Notes
-
[1]
Blandine MORTAIN, Des biens et des liens. Transmission des objets et inscription lignagère dans le réseau de parenté, Thèse de doctorat en sociologie, Université Lille 1, 2000.
-
[2]
Les parents ont servi d’intermédiaire pour les entretiens avec leurs enfants : ce sont eux qui ont choisi l’enfant à interroger, ou parfois refusé le principe même de cet entretien (surtout au début de la phase d’enquête et dans les entretiens menés avec des pères seuls, sans la présence de leur conjointe). En revanche, aucun des enfants ainsi contactés n’a refusé l’entretien.
-
[3]
Jean KELLERHALS, Josette COENEN-HUTHER, Marianne MODAK, « Stratification sociale, types d’interaction dans la famille et justice distributive », Revue française de sociologie, 28-2, avril-juin 1987, pp. 217-240.
-
[4]
Christian BROMBERGER, « Technologie et analyse sémantique des objets : pour une sémio-technologie », L’Homme, 19-1, janvier-mars 1979, p. 121.
-
[5]
Marie CORDIER, Cédric HOUDRE, Henri RUIZ, « Transferts intergénérationnels entre vifs : aides et donations », INSEE Première, n° 1127, mars 2007 ; Luc ARRONDEL, André MASSON, Daniel VERGER, « La patrimoine en France : état des lieux, historique et perspectives », Économie et statistique, « Patrimoine : développements récents », n° 417-418, juin 2009, pp. 3-26.
-
[6]
Claudine ATTIAS-DONFUT (dir.), Les solidarités entre générations. Vieillesse, Familles, État, Paris, Nathan, 1995 ; Josette COENEN-HUTHER, Jean KELLERHALS, Malik VON ALLMEN, Parentés d’aujourd’hui. Les réseaux de solidarité dans la famille, Lausanne, Réalités sociales, 1994.
-
[7]
Source : EPCV (partie variable), Les transmissions familiales, INSEE, Centre Maurice Halbwachs, octobre 2000.
-
[8]
Éric MENSION-RIGAU, L’enfance au château. L’éducation familiale des élites françaises au XXe siècle, Paris, Rivages, 1990, p. 197.
-
[9]
Le ton badin ou édifiant sur lequel ces anecdotes sont volontiers racontées, leur forme souvent très stéréotypée, indiquent qu’on a affaire, parfois, à des sortes de « contes familiaux », au contenu normatif très riche comme tous les contes, et qui mériteraient une analyse que nous ne ferons pas ici.
-
[10]
Moins discriminants en termes socio-économiques que les services ou les transmissions patrimoniales, les dons d’objets leur sont cependant corrélés statistiquement : les parents qui déclarent avoir donné des objets sont aussi ceux qui déclarent rendre des services et, dans une moindre mesure, avoir transmis du patrimoine.
-
[11]
Cette inscription dans le cadre légal est faite à plus ou moins juste titre : la loi interdit en effet de déshériter les héritiers dits « réservataires » que sont les descendants et, à défaut, le conjoint survivant ; elle applique, en l’absence de dispositions contraires, une égalité entre ces héritiers ; mais elle n’oblige pas à partager l’intégralité du patrimoine de manière égalitaire, et notamment pas les objets.
-
[12]
Ces deux aspects n’ont pas été à proprement parler mesurés dans notre corpus, mais sont objectivés à partir d’éléments factuels (proximité géographique et socioprofessionnelle entre les générations) et des représentations des acteurs eux-mêmes.
-
[13]
Voir deux numéros de revues consacrés simultanément à cette question : Enfances, Familles, Générations, « La famille et l’argent », n° 2, printemps 2005 ; Terrain, « L’argent en famille », n° 45, 2005-2.
-
[14]
Viviana ZELIZER, « Intimité et économie », Terrain, n° 45, 2005-2, pp. 13-28.
-
[15]
Jean-Hugues DÉCHAUX, « La parenté dans les sociétés occidentales modernes : un éclairage structural », Recherches et prévisions, n° 72, mars 2003, pp. 53-63.
-
[16]
Pierre BOURDIEU, « La terre et les stratégies patrimoniales », Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, pp. 249-271 ; Sybille GOLLAC, « Faire ses partages. Patrimoine professionnel et groupe de descendance », Terrain, n° 45, 2005-2, pp. 113-124 ; Dominique JACQUES-JOUVENOT, Choix du successeur et transmission patrimoniale, Paris, L’Harmattan, 1997 ; Pierre POUCHAIN, Les maîtres du Nord du XIXe siècle à nos jours, Paris, Perrin, 1998.
-
[17]
Anne GOTMAN, Hériter, Paris, PUF, 1988.
-
[18]
Anne MUXEL, Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, 1996.
-
[19]
Elles sont plus courantes, et plus légitimes, entre parents plus éloignés (de parrain à filleul, de tante à nièce, et dans une certaine mesure, de grands-parents à petits-enfants). Voir Blandine MORTAIN, « Des grands-parents aux petits-enfants : trois générations face à la transmission des objets », Recherches et prévisions, n° 71, mars 2003, pp. 45-61.
-
[20]
Anne GOTMAN, Dilapidation et prodigalité, Paris, Nathan, 1995, p. 68.
-
[21]
Annette LANGEVIN, « Frères et sœurs. Approche par les sciences sociales », in Yannick LEMEL, Bernard ROUDET (coord.), Filles et garçons jusqu’à l’adolescence. Socialisations différenciées, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 151-171.
-
[22]
François de SINGLY, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, 1996.
-
[23]
Jean-Hughes DÉCHAUX, Le souvenir des morts. Essai sur le lien de filiation, Paris, PUF, 1997.
-
[24]
Anne GOTMAN, Hériter, op. cit., p. 162.
Introduction. Les transmissions d’objets, analyseurs des relations intergénérationnelles
1 Cet article analyse les différentes logiques selon lesquelles s’opère la transmission familiale des objets.
2 Par objets, on entend ici tout ce qui compose d’ordinaire l’environnement matériel de la vie privée des gens, soit à peu près tout ce qu’on peut trouver dans une maison ou à proximité. Un inventaire très incomplet pourrait en être le suivant : mobilier, vaisselle, bibelots, livres, disques, appareils, outils et véhicules, mais aussi objets plus spécifiquement attachés à la personne – vêtements, bijoux et accessoires – ainsi que des objets auxquels on pense moins spontanément – courrier, papiers, photographies et autres documents.
3 Donnés, récupérés, hérités, subtilisés, laissés, rachetés, ces objets ont de multiples occasions de circuler dans l’espace familial [1]. Nous focalisons ici notre attention sur les pratiques qui relèvent de la transmission entre parents et enfants, qui s’apparentent à une transmission de patrimoine. Cette perspective n’appréhende pas l’ensemble des transferts d’objets mais ne se réduit pas non plus à l’héritage, en ce sens que des transmissions d’objets peuvent aussi avoir lieu du vivant des donneurs et/ou s’étaler dans le temps.
4 D’un point de vue logique, la nature même de ces objets donne à leur transmission un enjeu tout à fait spécifique, comparativement à d’autres contenus des relations intergénérationnelles. Ces objets sont singuliers et non divisibles, contrairement au temps et à l’argent, ainsi que non reproductibles, contrairement aux services. Ils sont détachables dans une certaine mesure des personnes, contrairement à l’affection, mais ils sont moins anonymes que l’argent. Ils sont aussi plus visibles que l’éducation ou le capital culturel. Enfin, ils ne peuvent pas être transmis simultanément à plusieurs personnes, contrairement à tous les éléments immatériels des transmissions intergénérationnelles.
5 Dès lors, la question de leur transmission est, à première vue, un problème de distribution, étalée dans le temps ou ramassée en quelques moments spécifiques, d’un ensemble fini de biens singuliers. Or, les enjeux qui sous-tendent les modalités de cette distribution dépassent largement le seul devenir de ces objets.
6 En analysant le point de vue des acteurs de la transmission, donneurs et receveurs, nous montrons comment parents et enfants, à travers la transmission des objets, mettent en œuvre des principes généraux de justice et affirment leur commune appartenance à un collectif familial. Loin d’être anodines, ces pratiques sont donc de bons analyseurs des relations de parenté contemporaines.
Méthode
Une enquête par questionnaire postal auprès de 1 100 allocataires de deux caisses de retraite complémentaire a fourni des données de cadrage sur certains aspects des relations familiales intergénérationnelles (composition du groupe familial, aides fournies, transmissions patrimoniales, dons d’objets) et a permis de contacter des personnes pour la phase qualitative.
Cette phase qualitative se compose de deux sous-ensembles :
- 30 entretiens individuels ou conjugaux, menés auprès de personnes de 67 à 78 ans constituant la population des « Parents ». Vivant en couple quatre fois sur cinq, ayant au moins un enfant, ces personnes ont en matière de transmission d’objets un regard essentiellement rétrospectif comme receveur, et comme donneur à la fois des expériences et des projets.
- 17 entretiens, surtout individuels, avec les enfants des « Parents » précédemment interviewés (soit 17 familles pour lesquelles on a le point de vue des parents et d’un enfant, et 13 pour lesquelles on n’a que le point de vue des parents [2]). Ces « Enfants », âgés de 32 à 50 ans, constituent des ménages autonomes, sont actifs, et pour la plupart mariés et parents eux-mêmes. S’ils ont pu déjà être les destinataires de transmissions d’objets, leur discours est cependant plutôt prospectif.
Les entretiens consistent en un inventaire circonstancié des objets reçus et donnés, ou susceptibles de l’être, dans les occasions les plus variées de la vie des personnes. L’analyse saisit donc les transmissions d’objets à partir de plusieurs positions (le donneur, le receveur, le tiers exclu) et à différents degrés de réalisation (les transmissions passées, les regrets, les projets, les désirs). Elle en dégage la structure en reconstituant des « gestes élémentaires » caractérisés par des circonstances biographiques, des protagonistes et des objets dotés de valeurs spécifiques.
Le questionnaire par scénarios, inspiré des travaux de Jean Kellerhals [3], propose 14 situations concrètes avec un problème de transmission familiale à résoudre et un choix contraint de solutions. Les réponses dévoilent les règles explicites de transmission et la définition normative des rôles de donneur et de receveur.
Nous avions défini la population, à l’issue d’une préenquête, en réfléchissant aux différents types de capitaux transmissibles : nous avons délibérément exclu les indépendants parce que les enjeux des transmissions professionnelles semblaient de nature à surdéterminer un discours sur les transmissions d’objets, et nous avons concentré l’analyse sur des anciens cadres afin d’accéder aux classes moyennes détentrices d’un patrimoine essentiellement immatériel, social et culturel, mais cependant assez riches pour être « riches en objets » [4]. Les biais inhérents à la procédure d’enquête (les taux de réponse sont très contrastés selon l’origine sociale des enquêtés) et les spécificités historiques et sociales de la région Nord-Pas-de-Calais (où les anciens cadres seraient, plus souvent qu’ailleurs, des héritiers de la bourgeoisie industrielle plutôt que des salariés ayant bénéficié de l’ascenseur social) ont renforcé ce choix initial.
Au final, les 30 familles interrogées appartiennent donc, en majeure partie, à la frange supérieure des classes moyennes : 8 familles sont directement issues de la bourgeoisie industrielle, 8 autres ont au moins un grand-parent de catégorie sociale élevée (ingénieur, médecin, architecte...) ; 14 peuvent cependant être considérées comme en ascension sociale, avec des grands-parents ouvriers, employés, agriculteurs ou petits commerçants. Conjointement, les formes familiales dans notre corpus sont plus « traditionnelles » qu’en population générale : les divorces et les unions libres y sont très rares, y compris parmi les « enfants », les fratries y sont nombreuses à chaque génération, la proximité géographique des ménages est grande.
Des pratiques peu visibles et banales
7 Les transmissions d’objets sont des pratiques peu visibles et qui semblent en première approche insignifiantes.
8 Leur faible valeur marchande explique leur quasi-absence des enquêtes statistiques nationales et, partant, des analyses économiques : dans le questionnaire de l’enquête Patrimoine 2004 menée par l’INSEE, on ne trouve qu’une seule mention de certains objets (« meuble, bijou »), constituant une des catégories de biens reçus par donation ou héritage, et on n’en trouve plus la trace dans les analyses tirées de cette enquête [5]. Ils n’apparaissent pas davantage dans les enquêtes sur les solidarités entre générations [6], où les services sont appréhendés essentiellement à partir des fonctions qu’ils rendent ou des domaines dans lesquels ils s’exercent et peu selon la nature des biens qui circulent, même si on distingue généralement les prêts ou dons d’argent, les services et les aides en nature. L’enquête sur les transmissions familiales menée par l’INSEE en octobre 2000 fait une recension intéressante des différents contenus, matériels et immatériels, des relations intergénérationnelles, mais ne retient comme objets reçus ou donnés que « des biens d’équipement (électroménager, meubles...) ou une voiture », un ménage sur cinq environ déclarant avoir reçu de tels biens et un sur quatre en avoir donné à un enfant majeur, ces transmissions étant presque toujours informelles [7].
9 Pour les mêmes raisons, le contrôle juridique et fiscal qui régit les modalités de transmission patrimoniale des particuliers ne permet pas de repérer clairement les objets sans valeur vénale et encore moins de les différencier entre eux, à l’exception de quelques points de jurisprudence concernant des objets exceptionnels circulant dans des familles exceptionnelles [8]. Cependant, on verra que les principes généraux du droit des transmissions, en particulier le partage égalitaire entre héritiers dits « réservataires », servent de référence très explicite pour les protagonistes.
10 Les gens ordinaires eux-mêmes ne semblent guère convaincus a priori de l’importance de ces transmissions. Si chacun a en tête des histoires familiales mettant en scène le partage de la vaisselle, l’attribution d’une pendule ou la disparition douteuse de papiers de famille, on ne les traite spontanément que comme des anecdotes, à propos de « petites choses » [9]. Interrogées, dans une phase exploratoire de la recherche, sur les droits et les devoirs qu’ils se reconnaissaient en tant que parents et enfants, les personnes n’évoquent pas les transmissions d’objets, alors même qu’elles sont très bavardes sur l’éducation, les valeurs, l’argent, les sentiments, etc.
11 Pourtant, l’analyse révèle très vite que les transmissions d’objets sont des pratiques bien réelles et sans doute même assez banales entre parents et enfants.
12 L’enquête par questionnaire postal atteste de la prévalence des transferts d’objets, en particulier pour les personnes ayant des enfants : six sur dix déclarent avoir déjà « eu l’occasion de donner des objets qui [leur] appartenaient », pratiques qui par définition n’incluent pas les héritages [10]. Les destinataires de ces dons sont le plus souvent les enfants eux-mêmes, et ces pratiques scandent les étapes importantes du cycle de vie d’une famille que sont la formation du couple chez les enfants et la naissance des petits-enfants.
13 De même, le comptage des pratiques recensées dans les entretiens permet d’établir que les deux tiers au moins des dons d’objets évoqués se font entre parents et enfants.
14 L’analyse du discours des protagonistes permet ensuite de repérer, dans des configurations familiales simples (couples mariés et enfants issus d’une même union), les règles affichées, les arbitrages opérés, les manières d’anticiper ou de régler les conflits.
Une typologie des règles pratiques, avec l’égalité en toile de fond
15 La règle générale et théorique qui prévaut dans la population enquêtée est celle de l’égalité. À ce premier niveau, le principe est à la fois très explicite et très consensuel : parents et enfants, donneurs et receveurs, s’accordent sur l’idée qu’il faut transmettre la même chose à chacun de ses enfants, refuser les préférences, les logiques de rétribution ou de compensation, se méfier pardessus tout des différences qui « font des histoires », etc. Ceci ressort très clairement de l’analyse des scénarios : à chaque fois qu’elle est proposée, la solution égalitaire remporte les suffrages.
16 Les premières justifications font cependant apparaître des différences entre parents et enfants. La référence au droit et la supposée impossibilité légale de privilégier un enfant [11] sont des arguments plus volontiers évoqués par les parents, qui pour la plupart ont vécu l’expérience de l’héritage. Chez les enfants, qui s’expriment surtout en tant que receveurs à venir, la règle égalitaire prend un caractère plus volontiers moral ou affectif, qui se manifeste également en cas de conflit, le partage égalitaire étant alors perçu comme une opportunité de réconciliation.
17 Par ailleurs, cette règle théorique d’égalité n’épuise pas les pratiques et doit avant tout être entendue comme une manière de les cerner, comme un cadre à l’intérieur duquel peuvent s’exercer des différences, plus ou moins légitimes, entre objets et entre enfants.
18 Les règles pratiques pour la transmission des objets, entendues comme les logiques auxquelles les acteurs se réfèrent pour évaluer concrètement leurs propres pratiques, s’articulent autour de deux axes :
- le premier axe renvoie à l’objectif premier de la transmission. Il oppose une logique de répartition (comment répartir un ensemble d’objets entre les enfants) et une logique d’attribution (comment attribuer un objet spécifique à tel ou tel enfant) ;
- le deuxième axe renvoie aux critères de différenciation mis en œuvre (entre receveurs et entre objets). Il oppose des critères catégoriels à des critères individuels.
Typologie des règles pratiques pour la transmission des objets aux enfants
Critères de différenciation Objectif de la transmission | Critères catégoriels | Critères individuels |
Répartition d’un ensemble |
1) Partage égalitaire Répartition au hasard d’objets estimés équivalents entre eux |
2) Partage individualisé Répartition des objets selon les désirs et les besoins de chacun des enfants |
Attribution d’un objet |
3) Attribution traditionnelle Transmission des « emblèmes » à l’aîné ; transmission d’objets domestiques aux femmes |
4) Attribution discrétionnaire Transmission d’un objet spécifique en rapport avec une relation interpersonnelle |
Typologie des règles pratiques pour la transmission des objets aux enfants
20 Ces différentes logiques, dont la légitimité varie selon les acteurs, les objets et les circonstances, forment un système dynamique et en tension. Chacune caractérise des transmissions spécifiques, mais aucune ne couvre l’ensemble des transmissions dans un groupe familial donné. Dans la plupart des familles, plusieurs de ces logiques se superposent, entrent en concurrence ou en conflit. La suite du propos rend compte de cette articulation, en exposant à la fois la manière dont ces règles sont mises en œuvre et les circonstances dans lesquelles elles sont invoquées ou, au contraire, rejetées.
Le partage égalitaire : faire en sorte que tous les enfants aient « la même chose »
21 Le premier type de transmission, repérable dans cette typologie, est celui qui découle formellement de la règle d’égalité entre les enfants. Au nom de cette règle, les familles procèdent à l’établissement de lots déterminés, in fine, par la valeur marchande des objets. Ici, les procédures mises en œuvre sont au moins aussi importantes que le résultat final de la répartition.
22 Le décès d’un parent, la vente de la maison familiale, un déménagement sont autant d’occasions de partage d’un grand nombre d’objets. Dans les familles les plus bourgeoises de notre corpus, et dans celles où les relations familiales sont les plus denses et le sentiment de proximité intergénérationnelle plus grand [12], ce partage est organisé par les donneurs ou en référence à eux, et se fait de manière très formalisée et contrôlée.
23 Il suppose d’abord l’équivalence des objets, puisqu’il s’agit de transmettre la même part à chacun. Cette équivalence, qui n’existe pas a priori, doit être définie par les acteurs eux-mêmes et passe le plus souvent par la prise en compte de la valeur marchande des biens considérés : on fait des lots, en fonction de la valeur financière des biens, puis on répartit ces lots entre enfants. Des valeurs formelles ou d’usage interviennent également (on peut faire des lots par catégories de meubles, de vaisselle, etc.) mais sont moins déterminantes et plus contestables. Il s’ensuit que dans ces histoires de transmissions d’objets, il est beaucoup question d’argent : c’est l’indice d’une certaine richesse, qu’atteste l’intervention fréquente de notaires et commissaires-priseurs dans cette phase d’évaluation des objets ; mais cela renvoie également au fait que la valeur marchande est la référence la plus simple et la plus universelle pour affirmer et vérifier l’égalité de traitement des enfants.
24 Ce faisant, on fait entrer l’argent dans les sentiments familiaux. Or, ce mélange ne va pas de soi [13]. Aussi, certains ont-ils à cœur de souligner que l’estimation des objets a été faite à la baisse, sur la base d’un « prix familial » ; d’autres usent de métaphores pour éviter d’avoir à parler d’argent, distinguant les « objets les plus importants » des « bricoles », ou vont s’efforcer d’occulter dans la suite du partage toute référence à la valeur marchande de biens pourtant lotis par un professionnel.
25 Après l’établissement des lots vient en effet leur répartition, qui est la plupart du temps une mise en scène soignée du hasard : tirages au sort ou par rang de naissance, établissement aléatoire d’un ordre de priorité tournant pour choisir un objet à la fois, etc.
26 Ces procédures engendrent, à entendre les enquêtés, une grande satisfaction, ce qui n’est pas sans étonner l’observateur eu égard à la logique très comptable qui y préside. Comme le souligne à juste titre Viviana Zelizer [14], on ne peut pas comprendre ce paradoxe si on s’en tient à la théorie des « mondes hostiles » entre argent et sentiment. Ici, bien au contraire, c’est le croisement des deux domaines qui fait sens. Ce partage égalitaire très formalisé, au-delà des aspects financiers, produit en effet de la cohésion familiale autant qu’il la prouve, en impliquant tous les enfants dans une procédure collective. Son respect est en outre, de la part des receveurs, très explicitement présenté comme une forme de respect filial, un hommage à la mémoire des parents. Si au final, certains expriment des regrets de n’avoir pas eu tel ou tel objet, tous ont soin de n’afficher aucune amertume, faisant passer au second plan leurs désirs individuels.
Le partage individualisé : tenir compte des spécificités de chacun
27 Toutes les familles ne procèdent pas de manière aussi déterminée, loin s’en faut. En particulier dans les familles les moins fortunées de notre corpus, d’origine modeste, et dans celles où les relations familiales sont plus lâches et le sentiment de distance intergénérationnelle plus grand, les donneurs se limitent le plus souvent à énoncer un principe égalitaire général qu’il incombera aux receveurs de mettre en œuvre. Ils feront, dit ce père de sept enfants, « un partage comme tout le monde, ils essaieront de le faire en bonne intelligence [...]. Ils prendront chacun une part. » Ici entrent en jeu la faible importance attribuée aux biens à transmettre, la difficulté à envisager sa propre mort mais aussi une distance intergénérationnelle, une prise en compte de facto des individualités : « On n’est pas certains, poursuit le même enquêté, d’aller dans le sens de ce qu’ils veulent. »
28 Cette position des parents peut être assortie de craintes quant au résultat final du partage, qui les laissent assez démunis, et qu’exprime ce père de deux enfants, à propos de la répartition de ses livres : « Mon garçon se fera rouler par sa sœur [...], si ça fait plaisir à sa sœur, il dira oui et puis c’est tout, c’est une nature comme ça. »
29 Les enfants pour leur part sont assez partagés quant à leur capacité à se débrouiller le temps venu. D’un côté, ils tendent à préférer cette logique à la précédente, mais c’est peut-être surtout pour retarder la perspective du partage et n’avoir pas l’air de spéculer sur la valeur marchande des objets qu’ils conserveront de leurs parents. D’un autre côté, ils aimeraient que leurs parents préparent un peu la transmission, leur laissent des indications et surtout fassent un premier tri des choses qui leur tiennent à cœur, se débarrassent (et les désembarrassent) du reste.
30 Bref, parents et enfants dans cette logique de transmission se renvoient la balle, dans des propos qui rappellent la « dialectique de la dépendance et de l’autonomie » évoquée par Jean-Hugues Déchaux [15].
31 Rétrospectivement, ces modalités de partage où, en quelque sorte, chacun dit ce qu’il veut prendre et prend ce qu’il veut, laissent des souvenirs moins enchantés que les répartitions formalisées évoquées plus haut. Les narrateurs se présentent d’ailleurs souvent de manière symptomatique en position de tiers exclu, d’enfant lésé : « Moi par exemple, dit cette femme en évoquant la vente de la maison parentale, ma sœur avait pris la vaisselle. Moi je n’en avais pas besoin, c’est tout. J’en avais, c’était une période où je n’avais pas le temps de m’occuper de tout ça, j’avais des petits enfants et le travail à la ferme. J’ai dit : “Prends ce que tu veux !” et puis après je me suis dit : “Tiens, on aurait eu ça...”. Mais enfin, je le vois chez ma sœur, ça me fait plaisir aussi. »
32 Cette logique de partage, au contraire de la précédente, apparaît donc comme une règle par défaut, comme une manière assez peu satisfaisante de gérer le devenir d’objets laissés, voire délaissés, plus que positivement transmis par les parents.
L’attribution traditionnelle : aînés et filles restent des enfants particuliers
33 À côté des règles de partage d’un ensemble de biens, il y a des objets que leur nature destinerait à des catégories de receveurs spécifiques, en l’occurrence les aînés et les filles.
34 Le critère du rang, même s’il ne concerne que peu d’objets, dessine une figure très stéréotypée de l’aîné. Hier et/ou dans d’autres milieux sociaux, la transmission différenciée aux aînés ou aux cadets a été ou demeure le mode privilégié de perpétuation du patrimoine professionnel [16]. Aujourd’hui et dans le milieu étudié, la transmission de certains objets à l’aîné demeure une pratique très empreinte de tradition familiale et un principe assez peu remis en question. Plus que ses frères et sœurs, l’aîné est supposé avoir « le sens de la famille » et se trouve de ce fait être le dépositaire privilégié des objets qu’Anne Gotman [17] appelle des « emblèmes » et qui ont pour vocation de représenter la famille et d’être transmis de génération en génération. Cette règle de retransmission ne fonctionne cependant vraiment que quand le parent donneur est lui-même l’aîné de sa fratrie et quand le critère de rang coïncide avec le genre, les fils aînés étant « pour le nom » préférés aux filles aînées.
35 C’est d’ailleurs à peu près le seul cas où le fait d’être un garçon soit avantageux en matière de transmission des objets. Le genre, qui est l’autre critère catégoriel de différenciation entre enfants, est en effet un argument qui justifie essentiellement des transmissions de mère à fille. L’attribution sexuée des objets reste très vivace en ce qui concerne les attributs du rôle domestique traditionnel de la femme et tous les objets qui autrefois auraient constitué sa dot : les objets « de femme » vont aux femmes, et donnent lieu à des séances de partage dont s’excluent volontairement les hommes, pères, conjoints et frères. La symétrie n’est pas ou plus vraie : si certains objets « masculins » provenant de la lignée paternelle sont plutôt destinés par leurs parents aux garçons, il n’est pas rare que les filles en réclament aussi leur part, comme elles se sont appropriées d’autres domaines autrefois strictement masculins. Ainsi cette enquêtée, cadette de deux enfants, trouve-t-elle tout à fait justifié d’être la destinataire exclusive, en tant que seule fille, des bijoux de sa mère mais ne voit en revanche pas du tout pourquoi elle n’aurait pas comme son frère sa part de la cave paternelle, s’estimant tout autant que lui amatrice de bon vin.
36 On pourrait imaginer que l’individuation de la société affaiblit la portée de ces critères statutaires. L’évolution, qui reste à confirmer, pourrait être plus insidieuse : quand on creuse le propos des enquêtés, les inégalités de rang et de genre sont en effet cachées, en même temps que légitimées, par de supposées différences « de nature », par définition intangibles.
L’attribution discrétionnaire : transmettre un objet pour souligner un lien
37 Une dernière logique de transmission émerge de l’inventaire que les enquêtés font des objets qu’ils ont reçus. Il arrive en effet que soient évoqués des objets donnés de la main à la main dans une occasion particulière, en dehors de toute idée de partage. L’accent est mis alors sur la valeur sentimentale et personnelle de ces objets « animistes » [18]. D’autres objets, récupérés ou reçus comme autant de services en nature, peuvent être a posteriori réinvestis par le receveur d’une valeur mémorielle et rehaussés au rang d’objets « transmis », souvent après le décès du donneur.
38 Ces pratiques, qui renvoient à une logique à tous points de vue plus individuelle que les précédentes (il s’agit d’objets spécifiques, supports d’une mémoire personnelle et donnés dans une circonstance précise ou pour souligner un lien singulier avec un enfant) sont, d’un point de vue familial, très ambivalentes [19].
39 L’enfant receveur n’est en effet pas le seul, au moment du décès du donneur, à reconsidérer ces dons informels comme des transmissions. Ce peut être aussi le cas des autres membres de la fratrie, qui s’estiment alors lésés par un frère ou une sœur suspecté de s’être « accaparé » des objets familiaux : ainsi, ce fils cadet constate-t-il avec amertume qu’au moment du partage des objets de la maison maternelle, « il y a des choses qui n’existaient plus, qui étaient déjà évaporées », prises sans doute par une sœur « restée longtemps avec [sa] mère qui lui faisait un peu tous ses caprices ».
40 Par ailleurs, ces pratiques apparaissent très rarement dans des projets précis de transmission, chez les receveurs comme chez les donneurs. Ceci renvoie d’une part, à la règle d’indépendance entre les générations (qui incite les enfants à ne pas attendre d’objets de leurs parents, et les parents à ne pas vouloir imposer des objets à leurs enfants) et, d’autre part, à l’illégitimité d’une préférence affichée pour l’un des enfants.
41 Que ces attributions discrétionnaires soient effectives ou seulement projetées, les différences qu’elles impliquent entre enfants sont d’ailleurs, plus encore que pour les transmissions aux aînés et aux filles, naturalisées et par là « euphémisées », par le biais d’arguments psychologiques assez sommaires qui ramènent la proximité affective à une proximité de traits de caractère. Ces transmissions seraient alors des produits plus que des producteurs de différences entre enfants. Les objets eux-mêmes sont systématiquement dévalorisés (ce sont « une petite boîte tout à fait quelconque », un guéridon si délabré « que rien que de le regarder, il tombe »,des « petites babioles », etc.), les occasions renvoyées à un simple concours de circonstanes. Bref, tout est fait pour que ces dons ne soient pas perçus comme des transmissions volontairement inégalitaires.
Conclusion. Partage égalitaire et cohésion familiale
42 Partage égalitaire ou individualisé, attribution traditionnelle ou discrétionnaire, ces quatre logiques sont ainsi traversées par des oppositions qui dépassent la seule question de la transmission des objets : dialectique de l’argent et des sentiments, de la dépendance et de l’autonomie, de l’égalité et de la différence.
43 Dans cette perspective, le partage égalitaire doit être compris aussi comme un choix relatif, comme la solution à la fois la moins mauvaise et, somme toute, la plus facile à mettre en œuvre, c’est-à-dire pour reprendre les propos d’Anne Gotman, comme un « formidable rempart », une « “solution” à tous les problèmes de préférence, sans doute peu satisfaisante du point de vue individuel, mais moins coûteuse du point de vue de la survie du collectif familial » [20]. Il faut en effet comprendre la justice procédurale qui s’exprime dans le partage strict d’objets lotis : les parents, mettant en œuvre ce principe, affirment l’égalité de parenté de leurs enfants. De leur côté, les enfants, en se pliant à cette règle énoncée plus ou moins explicitement par les ascendants, assument et valorisent cette égalité statutaire et montrent qu’ils sont capables de dépasser leurs différences individuelles, qu’ils sont un collectif ; et ce faisant, ils le deviennent.
44 En matière de transmission des objets entre parents et enfants, la préférence affichée pour le partage égalitaire et sa mise en œuvre participent donc de la cohésion du groupe familial, à la fois verticalement (entre les générations) et horizontalement (dans la fratrie). Elles sont cohérentes avec le droit de la famille et avec « l’éthique familiale » du traitement par les parents de leurs différents enfants [21].
45 À l’inverse, la norme de l’épanouissement personnel et la logique relationnelle et psychologique qui incitent les parents à considérer chaque enfant comme un être original [22], trouvent ici leurs limites. L’individualisation des transmissions d’objets, même si elle existe dans les pratiques, tend à être dévalorisée dans les discours parce qu’elle est très ambivalente. Les différences entre enfants ne sont acceptables ici que pour autant qu’elles paraissent naturelles et involontaires.
46 La transmission égalitaire des objets relève ainsi, comme le souvenir des morts analysé par Jean-Hughes Déchaux [23], d’un symbolisme spécifique de la filiation, de nature holiste, qui résiste à l’individualisation des relations familiales.
47 Reconstruite à partir de discours, cette cohésion familiale doit être comprise d’abord comme une mise en scène : invités à faire l’inventaire des objets circulant dans leur famille, les enquêtés mettent en valeur la famille comme groupe, validant l’idée que « ce qui se partage et circule dans la transmission des biens de famille, c’est la famille comme bien » [24]. Les différences de points de vue entre parents et enfants nous sont apparues ici essentiellement comme des différences de position, dans la structure de transmission, entre donneurs, receveurs passés et receveurs potentiels. Ceci n’exclut pas un effet de génération, autrement dit, une évolution des pratiques et des représentations, hypothèse que le matériau recueilli ne permet pas de poursuivre. Cette cohésion doit en outre être rapportée aux entretiens menés : le fait d’interviewer des parents en couple et de n’avoir, au mieux, que le point de vue d’un seul enfant de la fratrie, limite sans aucun doute la perception que nous pouvons avoir de différences de représentations et de pratiques au sein du groupe familial, entre mari et femme, entre frère et sœur notamment.
48 Circonscrite, cette thèse est cependant alimentée par d’autres éléments, dont il n’a pas été question ici : d’autres types de circulation d’objets relèvent de la même logique, notamment la mise à disposition des enfants d’objets emblématiques de la famille pour des occasions solennelles (bijoux de mariée et robes de baptême) ainsi que la circulation d’objets de puériculture au moment de la naissance des petits-enfants, qui sont autant d’occasions pour le groupe familial d’affirmer sa permanence et sa continuité. Par ailleurs, l’exclusion des affins (gendres et brus) et, dans une moindre mesure, des petits-enfants, ainsi que l’analyse des situations de rupture, permettent d’affirmer le caractère obligatoire des transmissions entre parents et enfants, l’interdiction faite tout à la fois aux parents de ne rien destiner à leurs enfants et aux enfants de refuser des objets dont ils ne voudraient pas. Ces différentes règles pratiques sont autant de manières d’assurer à chacun sa place dans la chaîne générationnelle.
49 Enfin, des objets circulent bien sûr dans la famille avec des enjeux plus prosaïques (rendre service, vider des placards) ou renvoient à des identités plus personnelles (récupérer ses souvenirs d’enfance). Dans ces pratiques-là, des logiques plus individuelles sont en jeu. Par ailleurs, pour la plupart des enquêtés, la transmission des objets n’est pas une préoccupation spontanée ni un enjeu a priori essentiel des relations intergénérationnelles. Il n’empêche que, quand la question est posée, c’est dans ces termes collectifs qu’elle est traitée ; qui plus est, les autres pratiques de dons d’objets peuvent alors être réévaluées à l’aune de cette logique collective, avec tous les risques de malentendus et de tensions qu’impliquent ces réinterprétations.
Notes
-
[1]
Blandine MORTAIN, Des biens et des liens. Transmission des objets et inscription lignagère dans le réseau de parenté, Thèse de doctorat en sociologie, Université Lille 1, 2000.
-
[2]
Les parents ont servi d’intermédiaire pour les entretiens avec leurs enfants : ce sont eux qui ont choisi l’enfant à interroger, ou parfois refusé le principe même de cet entretien (surtout au début de la phase d’enquête et dans les entretiens menés avec des pères seuls, sans la présence de leur conjointe). En revanche, aucun des enfants ainsi contactés n’a refusé l’entretien.
-
[3]
Jean KELLERHALS, Josette COENEN-HUTHER, Marianne MODAK, « Stratification sociale, types d’interaction dans la famille et justice distributive », Revue française de sociologie, 28-2, avril-juin 1987, pp. 217-240.
-
[4]
Christian BROMBERGER, « Technologie et analyse sémantique des objets : pour une sémio-technologie », L’Homme, 19-1, janvier-mars 1979, p. 121.
-
[5]
Marie CORDIER, Cédric HOUDRE, Henri RUIZ, « Transferts intergénérationnels entre vifs : aides et donations », INSEE Première, n° 1127, mars 2007 ; Luc ARRONDEL, André MASSON, Daniel VERGER, « La patrimoine en France : état des lieux, historique et perspectives », Économie et statistique, « Patrimoine : développements récents », n° 417-418, juin 2009, pp. 3-26.
-
[6]
Claudine ATTIAS-DONFUT (dir.), Les solidarités entre générations. Vieillesse, Familles, État, Paris, Nathan, 1995 ; Josette COENEN-HUTHER, Jean KELLERHALS, Malik VON ALLMEN, Parentés d’aujourd’hui. Les réseaux de solidarité dans la famille, Lausanne, Réalités sociales, 1994.
-
[7]
Source : EPCV (partie variable), Les transmissions familiales, INSEE, Centre Maurice Halbwachs, octobre 2000.
-
[8]
Éric MENSION-RIGAU, L’enfance au château. L’éducation familiale des élites françaises au XXe siècle, Paris, Rivages, 1990, p. 197.
-
[9]
Le ton badin ou édifiant sur lequel ces anecdotes sont volontiers racontées, leur forme souvent très stéréotypée, indiquent qu’on a affaire, parfois, à des sortes de « contes familiaux », au contenu normatif très riche comme tous les contes, et qui mériteraient une analyse que nous ne ferons pas ici.
-
[10]
Moins discriminants en termes socio-économiques que les services ou les transmissions patrimoniales, les dons d’objets leur sont cependant corrélés statistiquement : les parents qui déclarent avoir donné des objets sont aussi ceux qui déclarent rendre des services et, dans une moindre mesure, avoir transmis du patrimoine.
-
[11]
Cette inscription dans le cadre légal est faite à plus ou moins juste titre : la loi interdit en effet de déshériter les héritiers dits « réservataires » que sont les descendants et, à défaut, le conjoint survivant ; elle applique, en l’absence de dispositions contraires, une égalité entre ces héritiers ; mais elle n’oblige pas à partager l’intégralité du patrimoine de manière égalitaire, et notamment pas les objets.
-
[12]
Ces deux aspects n’ont pas été à proprement parler mesurés dans notre corpus, mais sont objectivés à partir d’éléments factuels (proximité géographique et socioprofessionnelle entre les générations) et des représentations des acteurs eux-mêmes.
-
[13]
Voir deux numéros de revues consacrés simultanément à cette question : Enfances, Familles, Générations, « La famille et l’argent », n° 2, printemps 2005 ; Terrain, « L’argent en famille », n° 45, 2005-2.
-
[14]
Viviana ZELIZER, « Intimité et économie », Terrain, n° 45, 2005-2, pp. 13-28.
-
[15]
Jean-Hugues DÉCHAUX, « La parenté dans les sociétés occidentales modernes : un éclairage structural », Recherches et prévisions, n° 72, mars 2003, pp. 53-63.
-
[16]
Pierre BOURDIEU, « La terre et les stratégies patrimoniales », Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, pp. 249-271 ; Sybille GOLLAC, « Faire ses partages. Patrimoine professionnel et groupe de descendance », Terrain, n° 45, 2005-2, pp. 113-124 ; Dominique JACQUES-JOUVENOT, Choix du successeur et transmission patrimoniale, Paris, L’Harmattan, 1997 ; Pierre POUCHAIN, Les maîtres du Nord du XIXe siècle à nos jours, Paris, Perrin, 1998.
-
[17]
Anne GOTMAN, Hériter, Paris, PUF, 1988.
-
[18]
Anne MUXEL, Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, 1996.
-
[19]
Elles sont plus courantes, et plus légitimes, entre parents plus éloignés (de parrain à filleul, de tante à nièce, et dans une certaine mesure, de grands-parents à petits-enfants). Voir Blandine MORTAIN, « Des grands-parents aux petits-enfants : trois générations face à la transmission des objets », Recherches et prévisions, n° 71, mars 2003, pp. 45-61.
-
[20]
Anne GOTMAN, Dilapidation et prodigalité, Paris, Nathan, 1995, p. 68.
-
[21]
Annette LANGEVIN, « Frères et sœurs. Approche par les sciences sociales », in Yannick LEMEL, Bernard ROUDET (coord.), Filles et garçons jusqu’à l’adolescence. Socialisations différenciées, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 151-171.
-
[22]
François de SINGLY, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, 1996.
-
[23]
Jean-Hughes DÉCHAUX, Le souvenir des morts. Essai sur le lien de filiation, Paris, PUF, 1997.
-
[24]
Anne GOTMAN, Hériter, op. cit., p. 162.