Couverture de RFSP_703

Article de revue

In absentia

Le vote par procuration, une participation électorale à distance ?

Pages 469 à 488

Notes

  • [1]
    Je remercie les lauréats de la Fondation pour les sciences sociales avec qui, entre 2018 et 2019, j’ai pu présenter les premiers tâtonnements de cette recherche. Ce travail s’inscrit aussi dans le cadre du projet « Procurations » soutenu par l’université Paris Lumières et dans celui de l’ANR ALCOV (projet ANR-16-CE41-0008).
  • [2]
    Guillemette Buisson, Sandrine Penant, « Élections présidentielle et législatives de 2017 : neuf inscrits sur dix ont voté à au moins un tour de scrutin », Insee Première, 1670, 2017, p. 1-4.
  • [3]
    Mais de l’autre côté de la relation, la procuration est rentable : la mandataire, sans avoir à se déplacer ni à remplir de formulaire, dispose de deux voix.
  • [4]
    Paul Gronke et al., « Convenience Voting », Annual Review of Political Science, 11 (1), 2008, p. 437-455.
  • [5]
    Nathalie Dompnier, « La mesure des fraudes électorales », Histoire & mesure, 22 (1), 2007, p. 123-144 ; Jean-Claude Masclet, « Procuration (Vote par) », dans Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 758-761.
  • [6]
    Baptiste Coulmont, Arthur Charpentier, Joël Gombin, « Un homme, deux voix : le vote par procuration », La vie des idées, 2014.
  • [7]
    Baptiste Coulmont, « Par procuration mais pas par défaut. Des électeurs doublement mobilisés », Note EnEF, Sciences Po, CEVIPOF, 36, 2017, p. 1-7.
  • [8]
    Une exception, le questionnaire « Sortie d’urnes » réalisé dans le cadre de l’ANR ALCOV.
  • [9]
    L’équipe coordonnée par François Buton et Claire Lemercier dans l’ANR PAECE avait recueilli l’information, mais ne l’a pas analysée dans les travaux publiés : F. Buton, C. Lemercier, Nicolas Mariot, « The Household Effect on Electoral Participation : A Contextual Analysis of Voter Signatures From a French Polling Station (1982-2007) », Electoral Studies, 31 (2), 2012, p. 434-447.
  • [10]
    La seule exploitation de ces données a été publiée dans Insee-Antilles-Guyane, Antianéchos, 34-35, mai 2013.
  • [11]
    Les rapports des missions d’observation des élections de l’OSCE critiquent l’existence, en France, en Belgique ou aux Pays-Bas, du vote par procuration qui n’assure pas le secret du vote. Voir, par exemple, OSCE, « Mission d’évaluation électorale OSCE/BIDDH : rapport final », Élections parlementaires, 10 et 17 juin 2012, novembre 2013, p. 6-7.
  • [12]
    Pippa Norris, Democratic Phoenix. Reinventing Political Activism, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 92-95.
  • [13]
    Adam J. Berinsky, « The Perverse Consequences of Electoral Reform in The United States », American Politics Research, 33 (4), 2005, p. 471-491 ; Adam J. Berinsky, Nancy Burns, Michael W. Traugott, « Who Votes by Mail ? A Dynamic Model of The Individual-Level Consequences of Voting-by-Mail Systems », Public Opinion Quarterly, 65 (2), 2001, p. 178-197 ; P. Gronke et al., « Convenience Voting », art. cité ; Robert M. Stein, Greg Vonnahme, « Early, Absentee, and Mail-in Voting », dans Jan E. Leighley (dir.), The Oxford Handbook of American Elections and Political Behavior, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 182-200.
  • [14]
    A. J. Berinsky, « The Perverse Consequences... », art. cité.
  • [15]
    Pippa Norris, Electoral Engineering. Voting Rules and Political Behavior, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
  • [16]
    Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation en milieu populaire, Paris, Gallimard, 2007.
  • [17]
    Céline Braconnier et al., « Sociologie de la mal-inscription et de ses conséquences sur la participation électorale », Revue française de sociologie, 57 (1), 2016, p. 17-44.
  • [18]
    Vincent Tiberj, « Le vote décentré ? Renouvellement générationnel et rapport à la participation électorale en France », Revue française de science politique, 68 (5), octobre 2018, p. 821-845, ici p. 821 ; voir aussi Id., Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Paris, PUF, 2017.
  • [19]
    François Héran, « Les intermittences du vote : un bilan de la participation de 1995 à 1997 », Insee Première, 546, 1997, p. 1-4.
  • [20]
    Jean-Louis Briquet, « Le vote au village des Corses de l’extérieur : dispositifs de contrôle et expressions des sentiments (19e-20e siècles) », Revue française de science politique, 66 (5), octobre 2016, p. 751-771 ; Lucie Bargel, « Les “originaires” en politique : migration, attachement local et mobilisation électorale de montagnards », Politix, 113, 2016, p. 171-199.
  • [21]
    lil-1222 : « Enquête sur la participation électorale » (EPE) – 2017 (Insee), diffusée par Progedo-ADISP, Réseau Quêtelet.
  • [22]
    Les calculs et graphiques ont été réalisés avec le logiciel R : R Core Team, R : A language and environment for statistical computing, Vienne, R Foundation for Statistical Computing, 2015.
  • [23]
    Parmi les nombreuses exploitations, citons Jean Morin, « La participation électorale d’avril 88 à mars 89 », Insee Première, 32, 1989, p. 1-4 ; François Héran, Dominique Rouault, « La présidentielle à contre-jour : abstentionnistes et non-inscrits », Insee Première, 397, 1995, p. 1-4 ; Stéphane Jugnot, « La participation électorale en 2007 : la mémoire de 2002 », Insee Première, 1169, 2007, p. 1-4 ; Xavier Niel, Liliane Lincot, « L’inscription et la participation électorales en 2012 : qui est inscrit et qui vote », Insee Première, 1411, 2012, p. 1-4.
  • [24]
    Anne Muxel, « Le moratoire politique des années de jeunesse », dans Annick Percheron, René Rémond (dir.), Âge et politique, Paris, Économica, 1991, p. 203-232.
  • [25]
    V. Tiberj, « Le vote décentré ?... », art. cité.
  • [26]
    Hélène Thomas, « Personnes âgées et vote : les significations plurielles de la participation électorale dans la vieillesse », Politix, 22, 1993, p. 104-118.
  • [27]
    Pierre Bourdieu, « La représentation politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 36-37, 1981, p. 3-24.
  • [28]
    Voir, par exemple, Éric Plutzer, « Becoming a Habitual Voter : Inertia, Resources, and Growth in Young Adulthood », The American Political Science Review, 96 (1), 2002, p. 41-56 ; Sidney Verba, Nancy Burns, Kay Lehman Schlozman, « Unequal at The Starting Line : Creating Participatory Inequalities Across Generations and Among Groups », The American Sociologist, 34 (1), 2003, p. 45-69 ; Sidney Verba, Key Lehman Schlozman, Nancy Burns, « Family Ties : Understanding The Intergenarational Transmission of Political Participation », dans Alan S. Zuckerman (dir.), The Social Logic of Politics. Personal Networks as Contexts for Political Behavior, Philadelphie, Temple University Press, 2005, p. 95-114.
  • [29]
    Anne Muxel, « La politisation par l’intime : parler politique avec ses proches », Revue française de science politique, 65 (4), août 2015, p. 541-562.
  • [30]
    On en trouve des exemples dans SPEL, Les sens du vote. Une enquête sociologique, France, 2011-2014, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
  • [31]
    Daniel Gaxie, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Seuil, 1978, p. 226.
  • [32]
    E. Plutzer, « Becoming a Habitual Voter... », art. cité.
  • [33]
    D. Gaxie, Le cens caché..., op. cit., p. 200.
  • [34]
    B. Coulmont, A. Charpentier, J. Gombin, « Un homme, deux voix... », art. cité ; Baptiste Coulmont et al., « La procuration, un vote de classe », Métropolitiques, 16 mai 2019, en ligne : www.metropolitiques.eu/La-procuration-un-vote-de-classe.html.
  • [35]
    Il ne faut pas non plus supposer que les classes populaires seraient homogènes dans leur rapport à la participation électorale, comme le souligne Camille Peugny dans « Pour une prise en compte des clivages au sein des classes populaires : la participation politique des ouvriers et des employés », Revue française de science politique, 65 (5-6), octobre-décembre 2015, p. 735-759. Mais le taux faible de procuration empêche ici une analyse plus précise.
  • [36]
    D. Gaxie, Le cens caché..., op. cit., p. 159.
  • [37]
    Ibid., p. 222.
  • [38]
    A. J. Berinsky, « The Perverse Consequences... », art. cité, p. 477.
  • [39]
    Céline Braconnier, Baptiste Coulmont, Jean-Yves Dormagen, « Toujours pas de chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale : chute de la participation et augmentation des inégalités électorales au printemps 2017 », Revue française de science politique, 67 (6), décembre 2017, p. 1023-1040.
  • [40]
    Baptiste Coulmont, « Citoyens à plusieurs : la procuration, un contrat de confiance ? », dans Claudia Senik (dir.), Crises de confiance, Paris, La Découverte, 2020, à paraître.
  • [41]
    Vincent Kaufmann, Les paradoxes de la mobilité. Bouger, s’enraciner, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2008, p. 21.
  • [42]
    Stéphanie Vincent-Geslin, Vincent Kaufmann (dir.), Mobilité sans racines. Plus loin, plus vite, plus mobiles ?, Paris, Descartes & Cie, 2012, p. 52.
  • [43]
    Nicolas Renahy, « Classes populaires et capital d’autochtonie : genèse et usages d’une notion », Regards sociologiques, 40, 2010, p. 9 ; et surtout Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie : réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, 63, 2003, p. 121-143.
  • [44]
    Jonas Hedegaard Hansen, « Residential Mobility and Turnout : The Relevance of Social Costs, Timing and Education », Political Behavior, 2016, p. 1-23.
  • [45]
    Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, « Une démocratie de l’abstention : retour sur le non-vote et ses conséquences politiques lors des scrutins municipaux et européens de 2014 », Hérodote, 154, 2014, p. 45.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    B. Coulmont, « Citoyens à plusieurs... », cité.
  • [48]
    J.-L. Briquet, « Le vote au village des Corses de l’extérieur... », art. cité.
  • [49]
    L. Bargel, « Les “originaires” en politique... », art. cité ; Id., « Le vote des “originaires” : mobilisation électorale et liens à (petite) distance », Métropolitiques, 14 mars 2014, en ligne : www.metropolitiques.eu/Le-vote-des-originaires.html.
  • [50]
    Pour le cas des petites communes grecques, voir Stathis Damianakos, « Les équivoques de la statistique : dépeuplement et double appartenance sociale en Épire (1961-1991) », Strates. Matériaux pour la recherche en sciences sociales, 10, 2001.
  • [51]
    Quand on contrôle par la composition socioprofessionnelle, les conclusions sont semblables (la zone C aurait un peu moins voté par procuration avec la composition socioprofessionnelle de la zone A) : la zone A a plus voté par procuration que les zones B et C.
  • [52]
    Sébastien Durier, Bruno Touré, « 6,5 % des citoyens ont fait une démarche volontaire pour s’inscrire », Insee Focus, 80, 2017, p. 1-4.
  • [53]
    Les effectifs sont relativement faibles, une centaine d’ouvriers mal-inscrits ayant déménagé, et il sera nécessaire de vérifier si la prochaine « Enquête sur la participation électorale » confirme ces écarts importants.
  • [54]
    P. Gronke et al., « Convenience Voting... », art. cité, p. 439.
  • [55]
    Kevin Geay, « Bourgeoisie et politique, cet objet à la mode : motifs de frustrations et raisons d’être optimiste », Mouvements, 100, 2019, p. 143-151, ici p. 150-151.

Introduction

1L’image est devenue habituelle [1] : un peu avant les élections, depuis une bonne douzaine d’années, des queues se forment devant les commissariats des grandes villes. Des électeurs attendent pour établir des procurations. Voter tout en étant absent, voilà ce que rend possible le vote par procuration, qui permet à un.e mandant.e de donner sa voix à un.e mandataire qui se déplacera pour voter à sa place. Pratique minoritaire conçue sur le mode de la dérogation au vote en personne, elle interroge « à nouveaux frais » certaines des régularités observées depuis longtemps par la sociologie électorale.

2Cette modalité de vote, qui existe depuis la fin des années 1940, s’est développée en deux temps. D’abord, à la fin des années 1970, avec la suppression du vote par correspondance ; puis, dans les années 2000, avec la libéralisation des conditions d’accès à la procuration. Longtemps ultra-minoritaire, concernant moins de 1 % des votes, elle concerne désormais, lors de l’élection présidentielle, entre 6 et 9 % des voix exprimées [2]. La procuration reste certes peu répandue : elle est coûteuse à établir, que l’on estime ce coût en fonction du temps de déplacement et d’attente, des connaissances à acquérir pour l’établir ou de la nécessité de mobiliser un.e mandataire pour porter sa voix. Ce coût va-t-il éloigner de la procuration celles et ceux dont les ressources sociales sont limitées [3] ? D’un autre point de vue, le vote par procuration est conçu pour lutter contre l’abstention de celles et ceux qui ne peuvent se déplacer jusqu’au bureau de vote le jour du vote, soit en raison d’une immobilisation forcée (en raison de l’état de santé, notamment, ou du grand âge), soit en raison d’un déplacement. La procuration attire-t-elle alors les électeurs les plus mobiles et les plus immobiles ?

3Cette note de recherche a pour objectif d’apporter une contribution à la description de ce « vote de convenance ». Dans les faits, le vote par procuration renforce la participation électorale des classes supérieures. Les jeunes électeurs sont parmi les utilisateurs les plus fréquents : leur socialisation à l’acte de vote se fait par délégation. Il rend aussi possible une participation électorale « à distance » alors même que la mobilité tend en général à déprimer la participation électorale, mais ce sont principalement celles et ceux qui cumulent suffisamment de ressources qui y ont recours.

Revue de la littérature

4Le vote par procuration n’a jusqu’à présent pas suscité l’intérêt des chercheurs. Il s’apparente à ce que les politistes anglophones appellent convenience voting[4]. Je vais l’approcher en m’inscrivant dans des travaux sur les marges de l’acte de vote.

5En France, notamment parce qu’il était très rare, le vote par procuration a été peu étudié. C’est en relation avec les possibilités de fraudes [5] qu’il est abordé. On ne dispose pas de données agrégées au niveau du bureau de vote, sauf pour quelques communes : le nombre de procurations à l’échelle locale n’est pas enregistré par le ministère de l’Intérieur [6]. On ne dispose pas non plus de données à l’échelle individuelle : les enquêtes électorales du CEVIPOF, dont l’échantillon est national, n’ont pas posé avant 2017 de question sur la modalité de vote [7]. Même à un niveau local, les questionnaires « Sortie d’urnes » réalisés par des équipes universitaires ne semblent pas s’être penchés sur ce type de vote [8], ni les analyses des listes d’émargement [9]. Les agents de l’Insee, dans le cadre de l’« Enquête sur la participation électorale », en 2012, avaient recueilli en notes annexes la mention de la procuration sur les listes d’émargement, mais sans l’intégrer au fichier de production et de recherche [10].

6Le vote par procuration est de plus une modalité rarement proposée en dehors de la France [11], et la littérature internationale sur le sujet est donc très limitée. À l’échelle nationale, Pippa Norris [12] remarque que les pays qui autorisent le vote par procuration, « toutes choses égales par ailleurs », ont un taux de participation plus faible, mais que cela est peut-être dû à l’instauration de cette modalité de vote, la procuration, justement pour remédier à un taux de participation jugé faible. En revanche, il existe un grand nombre d’études sur d’autres formes de vote, principalement aux États-Unis d’Amérique où, depuis une trentaine d’années, ont été multipliées des modalités de « convenience voting », de vote de convenance. Il s’agit principalement du vote par correspondance et du vote anticipé, qui permettent aux électeurs et électrices de ne pas avoir à se déplacer le jour du scrutin. Les études de ces modalités de vote proposent des conclusions similaires [13] : le convenience voting accroît les inégalités de participation, parce qu’il attire préférentiellement des électeurs dotés de plus de ressources (revenu, diplôme, socioeconomic status) que l’électorat moyen, parce qu’il ne fait pas voter des abstentionnistes constants mais qu’il permet à des électeurs participationnistes de voter en dépit d’un empêchement passager. En bref, ces formes de vote sont socialement sélectives. Pour Adam Berinsky, il s’agit d’une « conséquence perverse [14] » des réformes électorales états-uniennes, « perverse », parce que, au lieu d’inciter les abstentionnistes de classe populaire à voter, ces formes alternatives au vote direct soutiennent la participation de celles et ceux qui, en toutes probabilités, auraient voté.

7Cette note prend appui, sans les rappeler outre mesure, sur les grands résultats de l’étude de la participation électorale, déterminée en partie par les « variables lourdes » de positions sociodémographiques, par la balance entre le coût des procédures et les ressources individuelles disponibles, et par la socialisation à l’acte de vote, qui fait de la participation un « habit of the heart », en laissant cependant de côté, en raison de la source utilisée, les facteurs plus proprement liés au jeu politique (que ce soit la politisation individuelle ou le degré de compétition partisane) [15]. L’article s’inscrit alors dans un ensemble d’enquêtes qui ont étudié la participation électorale par ses « marges », marges qui peuvent parfois représenter une importante minorité des électeurs.

8Les enquêtes de Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen ont mis en évidence le poids important de ce qu’ils nomment la « mal-inscription », notamment dans les communes de banlieue populaire [16]. Avec Xavier Niel [17], ils ont montré qu’au niveau national, la « mal-inscription », comprise comme le fait de ne pas résider dans le ressort de son bureau de vote, était fréquente chez les jeunes actifs diplômés et qu’elle déprimait la participation. Elle concerne actuellement jusqu’à 17 % des personnes inscrites sur les listes électorales. Dans l’examen de cette « démocratie de l’abstention », où l’abstention est désormais le comportement majoritaire lors des élections secondaires, les travaux de Vincent Tiberj insistent sur ce qu’il appelle le « décentrement du vote dans le rapport au politique des citoyens », un décentrement qui « se traduit par la montée de l’abstention intermittente [18] », abstention intermittente sur laquelle insistaient déjà les travaux de François Héran [19]. Une autre série d’enquêtes insiste sur les usages électoraux de la mobilité. Les travaux de Lucie Bargel développent une ethnographie du vote en contexte rural et montrent les mobilisations des « enfants du pays » résidant ailleurs [20]. Une partie de la « mal-inscription » peut se lire comme la conséquence de l’attachement d’électeurs à une commune dans laquelle ils ont pu vivre leur enfance, ou avoir une activité professionnelle, ou partager une maison de famille, ou entretenir des liens leur ayant permis de ne pas être désinscrits. Dans une société de mobilité, ces situations ne sont ni rares, ni éphémères.

9L’étude du vote par procuration s’inscrit alors au croisement de l’étude, classique, du poids des « variables lourdes » (qui en sortent renforcées), de l’étude des conséquences de la mobilité et de celle de la socialisation à l’acte de vote.

L’« Enquête sur la participation électorale » de 2017 [21]

10Pour étudier le recours à la procuration, je m’appuie sur l’« Enquête sur la participation électorale » (ci-après EPE) de l’Insee, réalisée en 2017 lors des scrutins présidentiels et législatifs [22]. Depuis leur création en 1988, ces enquêtes jouent un rôle essentiel dans les explications du rapport au vote [23]. Leurs modalités sont stables au cours du temps : tout d’abord l’échantillon est extrait de l’Échantillon démographique permanent de l’Insee, qui capte un large éventail de situations sociales, notamment au bas de l’échelle (étant donné que, par construction, les individus les plus précaires ne peuvent s’y soustraire). C’est de plus la participation effective qui est recueillie, car les enquêteurs de l’Insee vérifient les signatures sur les listes d’émargement, ce qui, là encore, élimine les biais de remémoration, de désirabilité, de dicibilité ou d’auto-sélection des enquêtés. Les variables de positionnement sociodémographique sont riches : groupe socioprofessionnel, âge, niveau de vie du ménage, niveau de diplôme, situation conjugale, déménagement, profession et diplôme du conjoint, etc. La grande taille de l’échantillon, près de 44 000 individus en 2017, rend possible l’étude des déterminants de pratiques peu fréquentes, comme le vote par procuration. En revanche, à la différence des enquêtes électorales (European Election Studies, American National Election Studies, Enquête électorale française...) qui s’appuient sur un questionnaire passé auprès d’électrices et d’électeurs, l’EPE ne dispose d’aucune information sur la politisation (sur l’intérêt déclaré pour l’élection, par exemple) ni sur l’orientation politique individuelle (que ce soit le positionnement sur l’échelle gauche-droite ou le bulletin déposé dans l’urne), variables habituellement mobilisées dans l’étude de la participation électorale.

11Les enquêteurs et enquêtrices de l’Insee ont recueilli, pour la première fois de manière uniforme en 2017, sur les listes d’émargement, les indications relatives aux procurations. Ces notes indiquent le rôle tenu dans la procuration (mandant ou mandataire). Malheureusement, de manière systématique, si le rôle de mandant est bien renseigné sur les listes d’émargement, puisqu’il faut une trace que l’électeur a bel et bien donné sa voix à un autre électeur, le rôle de mandataire l’est beaucoup moins (environ 20 % à 25 % des mandataires ne sont pas identifiés comme porteurs d’une procuration sur ces listes). Ainsi, les proportions de mandants et de mandataires ne correspondent pas, alors qu’elles le devraient. La relative complexité de la détection de la procuration (qui fait l’objet d’une mention dont l’intitulé n’est ni stable, ni uniforme) et la nouveauté de la démarche ont conduit, lors de l’examen des listes d’émargement de l’élection présidentielle, une moitié des enquêteurs à recueillir le fait d’être impliqué dans une procuration (quel que soit le rôle), alors qu’une autre moitié n’a recueilli que l’indication concernant le rôle de mandant. Pour les élections législatives, l’erreur a été rectifiée et, de manière systématique, les différents rôles possibles, à savoir « vote direct », « mandant », « mandataire », ont été identifiés.

12La note se déroule en trois temps. En premier lieu, c’est l’investissement plus important des jeunes adultes dans la procuration qui est étudié, alors même qu’ils forment les cohortes importantes d’abstentionnistes. Je soutiens que, pour ce qui les concerne, le recours à la procuration peut s’analyser en partie comme une forme de délégation du vote peut-être préalable au retrait électoral. En deuxième lieu, je montre que le vote par procuration, du moins lors de la séquence électorale de 2017, rend compte de la surparticipation des cadres et des plus diplômés : sans la procuration, leur taux de participation est égal à celui des catégories intermédiaires. En troisième lieu, je mets en lumière les interactions entre mobilité et ressources sociales : le vote par procuration est la modalité à laquelle ont recours des électeurs mobiles du haut de l’échelle des ressources sociales, la mobilité des moins dotés ayant pour conséquence l’abstention.

Le vote des jeunes

13La fréquence de l’abstention selon l’âge ressemble à une courbe en U : le taux d’abstention est élevé chez les électeurs les plus jeunes, il diminue jusque vers 65 ans et il remonte ensuite. Ces deux périodes de taux élevés s’analysent comme des périodes d’éloignement du politique. Les plus jeunes seraient dans une période de « moratoire » politique, à distance du vote [24]. Les plus âgés, de leur côté, se détourneraient du vote à mesure qu’ils se trouvent mis à distance du monde social, par la maladie, la dépendance, la sortie du monde professionnel et la limitation des réseaux de sociabilité. Le vote intermittent, lui, a tendance à diminuer avec l’âge. En 2017, près des deux tiers des plus jeunes ont eu ce comportement mêlant abstention et participation, alors que ce n’est le cas que d’un tiers des plus âgés. Par ailleurs, l’établissement du vote par procuration a été pensé pour les actifs, contraints au déplacement professionnel. Dans les années 1980 et 1990, les retraités, exclus de ce dispositif, ont demandé avec vigueur de pouvoir y avoir accès. Le code électoral prévoit aussi le déplacement de l’autorité auprès des personnes immobilisées pour raison de santé ou de grand âge. Ces deux éléments – distance au vote et intermittence des plus jeunes, abstention dans un cadre de « culture du vote [25] » chez les plus âgés associée à l’existence d’un dispositif d’aide à la participation, etc. – peuvent laisser penser que le vote par procuration est une modalité fréquemment choisie par les personnes âgées de plus de 65 ans. Or ce n’est pas le cas. Toutes choses égales par ailleurs, comme l’indique le modèle de régression en annexe, les jeunes électeurs votent plus par procuration que les électeurs âgés de 45 à 49 ans. Et les électeurs les plus âgés ont beaucoup moins recours à la procuration que les plus jeunes.

14Au second tour de l’élection présidentielle de 2017, 10 % des moins de 30 ans ont voté par procuration, et ce ne fut le cas que de 3 % des plus de 75 ans. Si l’on s’intéresse aux votants, alors près de 15 % des votants de moins de 30 ans ont voté par procuration au second tour de l’élection présidentielle. Les votants de plus de 75 ans l’ont fait à moins de 4 %. Si, aujourd’hui, les jeunes électeurs à la présidentielle ont un taux de participation plus élevé que les personnes âgées de 85 ans et plus, c’est en raison du passage par la procuration. Les plus âgés (80 ans et plus), quand ils restent inscrits, basculent dans l’abstention constante ou continuent de voter. Ils s’abstiennent sans avoir recours au vote par procuration, notamment en raison de la complexité du vote par procuration dans les EHPAD étant donné l’obligation de coinscription mandant/mandataire dans la même commune et de la nécessité d’une relation de confiance entre mandant et mandataire [26]. En revanche, le recours à la procuration apparaît aujourd’hui comme une forme relativement fréquente de la socialisation politique électorale pour les plus jeunes électeurs. Ce n’était pas le cas il y a une vingtaine d’années quand l’accès à la procuration était moins libéral. Sur l’ensemble de la séquence électorale de 2017, environ 13 % des moins de 30 ans ont eu recours, au moins une fois, au vote par procuration.

15Habitude est ainsi prise de la délégation de vote, presque sous la forme de la « remise de soi » dont Pierre Bourdieu fait le centre de la représentation politique [27]. Pourtant, le dispositif est complexe et devrait, en toute logique, tenir les plus jeunes à distance, surtout s’ils sont moins disposés à voter. Le paradoxe n’est qu’apparent et l’étude de la socialisation politique permet de le résoudre. Ces travaux sur la socialisation politique ont souligné à la fois le poids des ressources familiales dans la participation électorale des jeunes électeurs et la formation d’une habitude du vote prise au cours des premiers scrutins [28]. La procuration fréquente des jeunes électeurs se comprend au regard de leur inscription familiale. Ceux-ci, encore souvent inscrits sur le lieu de résidence de leurs parents, sont soumis à des injonctions à voter en provenance de la génération des parents, plus participationnistes [29]. Ce sont les parents, qui votent encore fréquemment, qui, à la suite des « micropressions » exercées dans le cadre de l’effervescence électorale, vont être les porteurs des procurations de leurs enfants [30]. Le vote est ici suscité par des entourages susceptibles de faire voter dans « une logique de conformité sociale [31] ». Le vote par procuration des moins de 30 ans serait alors un effet de la mobilisation par en bas, d’une réanimation familiale de la norme civique, qui contrebalance un manque d’intérêt individuel pour l’élection.

16Mais si l’habitude du vote se constitue lors des premiers scrutins, si l’électeur fait preuve d’inertie comme l’indique Éric Plutzer [32], alors cette participation « à distance » augure peut-être d’un retrait. Comme « la probabilité pour un individu de voter à une élection est [...] étroitement liée à la régularité de sa participation antérieure [33] », la socialisation au vote par la délégation pourrait avoir des conséquences à moyen terme, si elle s’avère être une première étape dans l’abandon progressif du vote, associée à une participation intermittente, et renforcer ainsi le « vote décentré » repéré par V. Tiberj.

Des ressources : l’accentuation du gradient social

17En tant que modalité de vote alternative, obligeant à des formalités administratives, à passer du temps, etc., le vote par procuration va être d’autant plus fréquent que les citoyens et citoyennes sont politiquement compétents et disposés à voter habituellement. Le recours à la procuration augmente avec le volume de ressources sociales, et le constat des corrélations écologiques établies à l’échelle du bureau de vote et des communes sur résultats agrégés [34] est confirmé par les données individuelles de l’EPE. Elle a pour conséquence d’accentuer le gradient social de la participation. Quel que soit le scrutin (premier tour ou second tour de l’élection présidentielle ou des élections législatives), on enregistre des différences très importantes de recours à la procuration en fonction du « groupe socioprofessionnel », du diplôme et du niveau de vie. Sur de nombreux points alors, le vote par procuration apparaît non seulement comme l’image inversée de l’abstention, mais comme une image accentuée des contrastes entre participation et abstention.

Profession et groupe socioprofessionnel

18Comme le montre la figure 1, environ 1 % des agriculteurs inscrits sur les listes électorales ont voté par procuration au second tour de l’élection présidentielle, alors que c’est le cas de 11 % des cadres et de 12 % des étudiants. Le taux de ces derniers est le double de celui des professions intermédiaires ou des employés. On observe ainsi de très forts écarts de recours à la procuration entre les groupes socioprofessionnels, et cela quel que soit le scrutin : les cadres utilisent entre trois fois (lors de l’élection présidentielle) et cinq fois (lors des élections législatives) plus souvent le vote par procuration que les ouvriers. La différence reste significative une fois le sexe, l’âge, le diplôme et le niveau de vie contrôlés (voir annexe).

19Sur l’ensemble de la séquence électorale – les deux tours de l’élection présidentielle et les deux tours des élections législatives –, il est possible de calculer la proportion des électeurs inscrits ayant eu recours au moins une fois au vote par procuration. Le gradient n’est pas modifié, mais les proportions augmentent. Trois ensembles se distinguent. Un peu moins de 5 % des ouvriers ont voté par procuration au moins une fois en 2017, ainsi que près de 10 % des professions intermédiaires et plus de 17 % des cadres. Dans le premier « groupe », on trouve les ouvriers et les agriculteurs, qui ont très rarement recours au vote par procuration. Les agriculteurs, probablement parce qu’ils ne se déplacent pas en mai et juin, n’ont pas de raison d’utiliser le vote par procuration. Pour ce qui concerne les ouvriers et ouvrières, c’est probablement, outre les moindres déplacements de loisirs, le coût cognitif, temporel et matériel que représente l’établissement d’une procuration qu’il faut mentionner, associé à un recours plus fréquent à l’abstention. Un deuxième ensemble, comprenant employé.e.s, personnes à la retraite, indépendant.e.s et professions intermédiaires, ont un recours moyen au vote par procuration. Le groupe des retraités est hétérogène et il est possible de préciser cette hétérogénéité : les retraités disposant d’un volume important de ressources pratiquent plus le vote par procuration [35]. De même pour les personnes sans activité professionnelle, qui peuvent être les épouses, au foyer, de cadres, et avoir bien plus recours à la procuration que d’autres. Enfin, le recours intense au vote par procuration est confirmé pour les étudiant.e.s et les cadres : plus d’un sur six a voté au moins une fois par procuration en 2017. Week-ends à la campagne, période de stage ou d’examen... conduisent les uns et les autres à recourir à la procuration.

Figure 1

réquence de la procuration en 2017, en fonction du groupe socioprofessionnel

tableau im1

réquence de la procuration en 2017, en fonction du groupe socioprofessionnel

Lecture : mesure : fréquence ± erreur-standard.
Source : Insee, « Enquête participation électorale », 2017.

Niveau de vie

20Le niveau de vie du ménage n’est pas une variable habituelle dans les explications de la participation. Mais c’est une variable importante à prendre en compte dans les explications du recours à la procuration : un revenu élevé permet la multiplication des congés de courte durée, l’achat d’une résidence secondaire, les vacances régulières, etc., autant de situations pouvant être associées au vote par procuration. Il permet aussi de consacrer du temps – et donc de l’argent – à l’établissement d’une procuration.

21Le recours à la procuration augmente, de manière attendue, avec le niveau de vie du ménage. Avec un mystère apparent : les individus dont le niveau de vie est inconnu de l’Échantillon démographique permanent, ou ceux dont le niveau de vie est le plus faible, ont un taux de procuration important. Les individus dont le niveau de vie est inconnu sont le plus souvent des étudiant.e.s. De même, le premier décile, au niveau de vie le plus bas, est composé en partie d’étudiant.e.s, ce qui explique leur taux de procuration élevé. Mais de manière générale, en bas de l’échelle des niveaux de vie, environ 2,5 % des électeurs ont voté par procuration au second tour de l’élection présidentielle. En haut de l’échelle des revenus, ce sont près de 9 % des électeurs qui donnent leur voix à un autre. Le vote par procuration est ainsi lié aux ressources financières à disposition des individus, ressources qui permettent les déplacements temporaires, le week-end ou lors des « ponts » du mois de mai.

Figure 2

Fréquence de la procuration en 2017, en fonction du décile de niveau de vie

tableau im2

Fréquence de la procuration en 2017, en fonction du décile de niveau de vie

Lecture : mesure : fréquence ± erreur-standard.
Source : Insee, « Enquête participation électorale », 2017.

22Sur toute la séquence électorale, les différences d’usage de la procuration en fonction du niveau de vie vont du simple au triple : 5 % des individus du deuxième décile ont voté par procuration, trois fois moins que les 16 % du dernier décile. Comme le montre la régression logistique (voir annexe), un niveau de vie élevé reste significativement associé à un taux de procuration élevé, même après contrôle des autres variables sociodémographiques.

Diplôme

23Comme le soulignait Daniel Gaxie dès la fin des années 1970, « parmi les indicateurs de l’appartenance de classe, le niveau d’instruction est toujours le plus fortement corrélé avec les variables de politisation [36] » et « La fréquentation des bureaux de vote est fonction de la maîtrise d’une compétence politique dont le système d’enseignement fournit les instruments [37] ». Rien d’étonnant à ce que l’on observe de très forts écarts de vote par procuration en fonction du niveau d’étude. Plus les individus sont diplômés, plus ils votent, et plus ils votent par procuration. L’établissement de la procuration demande en effet des compétences politiques : choisir un.e candidat.e à l’avance, devoir expliquer a minima les raisons de son choix à son ou sa mandataire, repérer, parmi les mandataires possible, celui ou celle qui sera apte à porter sa voix.

Figure 3

Fréquence de la procuration en 2017, en fonction du diplôme

tableau im3

Fréquence de la procuration en 2017, en fonction du diplôme

Lecture : mesure : fréquence ± erreur-standard.
Source : Insee, « Enquête participation électorale », 2017.

24À des niveaux de diplômes différents sont associées des fréquences inégales de recours au vote par procuration, de la même manière qu’on observe habituellement de forts écarts de participation selon le niveau d’études. Plus les électeurs sont diplômés, plus ils établissent des procurations. Au second tour de l’élection présidentielle, la fréquence du vote par procuration passe de 1 % des inscrits sans scolarité à 13 % des inscrits détenteurs d’un master. La différence entre les électeurs non diplômés et les électeurs détenteurs d’un diplôme de master (ou d’un niveau équivalent) est donc très importante : lors de l’élection présidentielle, les détenteurs d’un master ont voté dix fois plus fréquemment par procuration que les électeurs n’ayant aucun diplôme. Et cela alors même qu’une minorité non négligeable des électeurs sans diplôme (environ 30 %) ne sont pas inscrits sur les listes électorales et que les électeurs inscrits et sans diplôme ont passé ce premier filtre.

25L’évolution du recours à la procuration selon le niveau de diplôme est globalement linéaire. Mais une coupure assez nette sépare les détenteurs d’un diplôme inférieur au baccalauréat (ou égal au baccalauréat professionnel) et celles et ceux qui détiennent un diplôme du supérieur (ou un baccalauréat général ou technologique), qui sont aussi tendanciellement les plus jeunes, en raison de l’augmentation séculaire et continue du niveau d’études. Cependant (comme l’indique la régression en annexe), l’effet du diplôme n’est pas confondu avec celui de l’âge : il est toujours significatif même après contrôle par l’âge et les autres variables de position sociodémographique. Sur l’ensemble de la séquence électorale, on peut estimer à un cinquième des électeurs et électrices détentrices d’un master la part qui a voté par procuration. Procédure relativement complexe, nécessitant des démarches administratives, la procuration éloigne celles et ceux qui sont en retrait de l’élection et dont le niveau de compétence politique, estimé ici par le niveau de diplôme, est faible.

Une conséquence : le vote par procuration soutient la participation des plus participationnistes

26Au final, le vote par procuration est donc plus fréquent chez les cadres, les plus diplômés et les électeurs dont le niveau de vie est élevé. Le vote par procuration est donc une pratique plus fréquente dans les groupes participationnistes. D’un côté, cette conclusion est tautologique, puisque les mesures de la participation habituelles incluent les votes par procuration, sans les différencier des votes directs. Pour aller au-delà de la tautologie, il faut pouvoir séparer, dans la participation, ce qui revient au vote direct et ce qui revient à la procuration. Prenons l’exemple des groupes socioprofessionnels. Le taux de participation électorale des cadres est plus élevé que celui des autres catégories socioprofessionnelles. En 2017, 86 % des cadres ont voté au second tour de l’élection présidentielle, et c’est le cas de 77 % des retraités et de 80 % des artisans. Mais ces différences sont en grande partie expliquées par un recours inégal au vote par procuration : si l’on défalque les votes des mandants, le taux de participation des cadres, des artisans, des professions intermédiaires s’égalise : 75 % des cadres, des professions intermédiaires et des artisans ont voté directement au second tour de l’élection présidentielle (et 73 % des retraités).

Figure 4

Taux de participation au second tour de l’élection présidentielle de 2017

tableau im4

Taux de participation au second tour de l’élection présidentielle de 2017

Source : Insee, « Enquête participation électorale », 2017.

27Sans la procuration, la participation des étudiants et celle des personnes sans activité professionnelle serait semblable. Un tel raisonnement contrefactuel est bien entendu en partie fictif, dans la mesure où, sans la possibilité d’établir une procuration, les individus les plus enclins à voter pourraient toujours voter, en limitant les déplacements de loisir (pour les cadres) ou en rentrant chez leurs parents (pour les étudiants).

28Il en va de même si l’on prend comme variable d’intérêt le diplôme : alors que le taux de participation augmente avec le diplôme, une fois la part des votes par procuration enlevée, les taux de participation directe se rapprochent. Il n’y a plus de différence entre détenteurs et détentrices d’un CAP, d’un BTS, d’une licence, d’un doctorat ou d’un master (tous et toutes ayant un taux de participation directe d’environ 75 %). Un second groupe, représenté par les détenteurs et détentrices d’un baccalauréat, d’un CEP ou d’un BEPC, fait montre d’une participation intermédiaire. Les non-diplômés restent les moins participationnistes, mais ils n’avaient qu’un recours minuscule à la procuration. L’examen du niveau de vie conduit à des conclusions semblables : entre le cinquième et le dixième décile, le taux de participation directe est quasiment identique. Seul le recours à la procuration permet au dernier décile d’avoir un taux de participation plus élevé.

29Le vote par procuration, modalité alternative au vote direct, accentue donc les inégalités de participation et déforme encore plus l’électorat que le vote direct, une conclusion semblable à celle d’A. Berinsky et ses collègues. C’est parce que les mandants ne sont pas des abstentionnistes : au contraire, ce sont des personnes qui, en règle générale, votent directement. Dit autrement, la procuration ne « stimule » pas les abstentionnistes, elle retient les participationnistes : « Voting reforms bring well-off citizens to the polls repeatedly[38]. » Il est possible d’en donner des preuves à l’aide du suivi des électeurs sur les quatre tours de scrutin, qu’offre l’EPE. Les électeurs et électrices qui ont voté par procuration au premier tour de l’élection présidentielle ont beaucoup plus voté ensuite (lors des trois tours de scrutins suivants) : 52 % de ceux qui ont voté par procuration au premier tour ont voté aux trois scrutins suivants (soit huit points de plus que celles et ceux qui ont voté directement), et cela ne concerne que 5 % de ceux qui se sont abstenus au premier tour.

Tableau 1. Fréquence du vote constant (%) en fonction du comportement au premier tour de l’élection présidentielle

Au premier tour de l’élection présidentielleVote aux trois tours suivants
Vote direct44,4
Abstention5,0
Vote par procuration52,1
tableau im5

Tableau 1. Fréquence du vote constant (%) en fonction du comportement au premier tour de l’élection présidentielle

30Des conclusions similaires peuvent être avancées si l’on s’intéresse aux personnes ayant voté par procuration au second tour des élections législatives : elles ne se recrutent pas parmi les personnes s’étant abstenues aux tours précédents, mais auprès de celles et ceux qui ont déjà voté. Le vote par procuration apparaît alors comme le vote des habitué.e.s du vote direct. Le vote par procuration a donc un effet sur la composition de l’électorat qui vote (compositional effect), en incitant à voter les électeurs fortement dotés en ressources culturelles, économiques et sociales. Il a donc des conséquences en termes d’influence dans les urnes puisque les différents groupes se distinguent en termes de valeurs ou d’opinions politiques. La libéralisation de l’accès à la procuration et sa diffusion contemporaine ont ainsi tendance à renforcer le poids dans les urnes des plus dotés en ressources sociales et économiques.

Conclusion de la deuxième partie

31En bas de l’échelle sociale, le vote par procuration est rare : il ne fait pas partie de l’horizon des possibles. Tout d’abord parce que les déplacements de loisir sont moins fréquents. Mais aussi parce que les proches n’ont probablement pas fait de procuration. Enfin parce que l’abstention (aux élections législatives notamment) est une pratique parfois majoritaire [39]. Au sommet de l’échelle sociale, en revanche, le vote par procuration revêt le caractère, sinon de l’habitude, du moins du familier. Ce fut la modalité de vote, pour un des scrutins au moins, de près d’un cinquième des cadres et des diplômés du supérieur long. C’est une modalité connue : dans son réseau d’amis, dans sa famille, un.e cadre a de grandes chances de connaître une personne ayant voté par procuration. Et il leur est ainsi plus aisé de trouver un.e mandataire. C’est enfin une modalité de vote qui s’apprend, et qui est parfois la modalité du premier vote, pour les électeurs les plus jeunes, qui sont celles et ceux qui ont fortement recours au vote par procuration. L’habitude de voter à distance prise par les étudiants est une socialisation à la délégation.

32Cette partie s’est centrée sur les ressources inégales à disposition des électeurs. La partie suivante va s’intéresser au coût que représente l’éloignement entre le lieu de résidence et le bureau de vote.

Mobilités : la mobilisation des plus mobiles

33Les débats parlementaires sur la procuration se sont focalisés dans un premier temps sur la contrainte au déplacement (déplacements professionnels) dans une société d’inscription locale. Certains métiers obligeant au déplacement long, parfois d’une partie non négligeable des électeurs de la commune, il fallait pouvoir assurer le vote de ces électeurs. Puis les débats, dès les années 1980, se sont structurés autour de l’idée selon laquelle notre société étant devenue une société de la mobilité, c’est l’obligation de présence dans un bureau de vote qui était une forme de forçage. La procuration permettait alors la sauvegarde de cette société de mobilité, de vacances, de congés ou de stages divers [40]. Cette « société de la mobilité » comprend des composantes dotées en ressources importantes. Les lignes de train à grande vitesse ont permis à des travailleurs fortement diplômés des mobilités professionnelles éloignées, parfois entre pays différents (travailleurs frontaliers), ce que Vincent Kaufmann appelle la « pendularité de longue distance [41] » et la « mobilité réversible [42] ». Ce groupe est consommateur de mobilités de loisir construites autour des vacances scolaires, des « longs week-ends » autorisés par l’individualisation du temps de travail, autour des résidences secondaires. La société de la mobilité, c’est aussi une société dans laquelle, entre 18 et 25-30 ans, de nombreux électeurs, d’abord étudiants, puis jeunes travailleurs, pratiquent des formes de multirésidence variées (chambre étudiante, colocation en ville universitaire et retour fréquent chez les parents), liées également à la mise en couple. Cette société de la mobilité, aussi, ce sont des formes plus classiques d’éloignement, associées au travail saisonnier. Et ce sont enfin des formes de précarité résidentielles, qui consistent à « habiter chez », à vivre en hôtel meublé et à changer souvent de domicile.

34Deux formes de mobilité, que je qualifierais ici de précaire ou de solide, se différencient. La première peut être pensée comme la succession de ruptures de liens jusqu’à la perte du « capital d’autochtonie », à savoir « l’ensemble des ressources que procure l’appartenance à des réseaux de relations localisées [43] ». La seconde peut être décrite comme la multiplication de liens utiles (sur le modèle classique du notable qui vit en ville, mais garde une influence au village). Cette question de la mobilité est entrée dans les réflexions sur la participation [44]. Comme l’écrivent C. Braconnier et J.-Y. Dormagen, « des procédures électorales inadaptées à une société de la mobilité résidentielle [...] génèrent de l’exclusion électorale [45] ». Le système électoral français est contraignant : l’inscription sur les listes électorales doit être renouvelée en cas de déménagement. Or les déménagements sont aujourd’hui fréquents, notamment pour les électeurs les plus jeunes. Les déménagements peuvent conduire les électeurs à être radiés, ou à devenir « mal-inscrits », c’est-à-dire à conserver leur inscription électorale dans un bureau de vote éloigné de leur lieu de résidence. Ils concluent en écrivant que « la procédure française d’inscription sur les listes électorales pénalise les segments les plus mobiles de la population et contribue à les faire basculer dans un abstentionnisme qui se révèle souvent constant [46] ».

35La mobilité résidentielle et la « mal-inscription » ne conduisent-elles qu’à l’abstention ou aboutissent-elles aussi au recours à la procuration ? Cette dernière n’est pas habituellement décrite comme s’appliquant à des cas de résidence prolongée en dehors du ressort du bureau de vote d’inscription, elle l’est plutôt comme une manière de pallier des absences temporaires (des congés, des déplacements professionnels). Cependant, au milieu des années 1970, à une époque où la procuration était difficile d’accès, des parlementaires corses avaient fait reconnaître le droit à la procuration des personnes qui « résidaient et travaillaient » en dehors de leur département d’inscription électorale [47], pour permettre aux « Corses du continent » de voter facilement par procuration. Les travaux de Jean-Louis Briquet [48] sur la Corse et de L. Bargel [49] sur la vallée de la Roya ont souligné le recours au vote par procuration par les « enfants du pays », celles et ceux qui ont résidé un moment dans le village, qui peuvent y avoir une maison de famille ou d’autres attaches, et qui, jamais radiés, continuent d’y voter alors que leur domicile habituel est en ville, ou sur le continent [50].

36L’EPE ne permet pas d’analyser directement l’association entre les déplacements temporaires, conjoncturels, et le vote par procuration, mais elle permet d’étudier à l’échelle des individus les déménagements récents et le décalage structurel entre lieu de résidence et lieu d’inscription.

Mobilité de loisir et procuration : une « expérience naturelle » ?

37L’EPE n’indique pas si les électeurs sont en congés au moment de l’élection. Mais une indication indirecte existe, qui nous indique que, quand on compare période de vacances scolaires et période de non-vacances, c’est la fréquence de la procuration des cadres et des plus diplômés qui varie. Le premier tour de l’élection présidentielle a eu lieu le 23 avril 2017. Certaines académies étaient alors en période de vacances scolaires. La France métropolitaine est découpée en trois zones. Pour la « zone A », ce jour était situé au milieu des vacances de printemps. Pour la « zone B », le 23 avril était le dernier jour des vacances. Et pour la « zone C », le premier tour tombait bien après la fin des vacances. Le second tour, le dimanche 7 mai 2017, était situé pour toutes les zones au milieu d’un « pont », le 8 mai étant férié. On peut constater dans le tableau 2 qu’il n’y a presque pas de hausse pour la zone A, en vacances le 23 avril, entre le premier et le second tour (+ 0,6 point, ou une multiplication par 1,12) alors que la hausse est de 1,6 point et 2,2 points pour les autres zones (une multiplication par 1,5). Le vote par procuration est plus élevé en contexte de vacances et de ponts.

Tableau 2. Fréquence de la procuration (%) par zone académique et tour de scrutin

ZonePrésid. 1Présid. 2Législ. 1Législ. 2
A5,36,03,33,2
B3,24,72,12,3
C4,36,53,23,0
tableau im6

Tableau 2. Fréquence de la procuration (%) par zone académique et tour de scrutin

38Mais tout le monde ne part pas en vacances. Si la zone A connaît un taux de procuration plus élevé que les autres zones, ce n’est pas parce que les ouvriers ou les employés ont plus voté par procuration pendant les vacances. Le taux élevé par comparaison avec les autres zones est essentiellement dû aux cadres et aux étudiants, et secondairement aux professions intermédiaires, qui, eux, ont plus voté par procuration. Les ouvriers, les retraités, les employés, les personnes sans activité professionnelle ont voté par procuration dans les mêmes proportions dans les zones A (en vacances) et C (hors vacances). Ce sont donc les personnes susceptibles de partir en vacances autour du 23 avril qui connaissent un taux élevé de vote par procuration [51]. Le fait d’être en période de vacances ou non n’a pas d’effet sur les électeurs du bas de l’échelle sociale.

39Cet indicateur indirect de déplacement temporaire est suggestif, mais imparfait. Les informations individuelles sur les déménagements sont, dans l’EPE, bien plus directes.

Mobilité de long terme

40La déconnexion entre le lieu de résidence et le lieu d’inscription peut être plus durable que celle d’un congé. C’est parfois le domicile habituel qui est éloigné du bureau de vote d’inscription, suite à un déménagement qui n’a pas été suivi d’un changement de lieu d’inscription. En 2017, 17 % des électeurs sont mal-inscrits, et 9,5 % des électeurs ont déménagé dans l’année qui a précédé le recensement. Une partie des électeurs ayant déménagé sont mal-inscrits, mais pas tous. Et la mal-inscription peut avoir pour origine un déménagement plus ancien, qui n’est pas indiqué dans la base de l’EPE. Comme le montre le graphique 5, 14 % des électeurs mal-inscrits qui ont déménagé récemment ont voté par procuration (au moins une fois) lors de la séquence électorale de 2017. Les électeurs mal-inscrits qui ont déménagé il y a plus longtemps, et dont les liens avec le lieu de départ se sont détendus, votent un peu moins par procuration.

Figure 5

Fréquence de la procuration en fonction de la situation

tableau im7

Fréquence de la procuration en fonction de la situation

Lecture : mesure : fréquence ± erreur-standard.
Source : Insee, « Enquête participation électorale », 2017.

41La mobilité instaure une barrière que seules les personnes disposant de ressources importantes peuvent franchir. Pour des raisons d’exposition, je vais me concentrer sur les cadres et les ouvriers, mais d’autres variables (le niveau de vie, le niveau de diplôme) vont dans le même sens. L’examen des réinscriptions électorales montre que les cadres se réinscrivent plus souvent que les ouvriers [52] : les plus précaires sortent du jeu électoral. Quand les ouvriers ayant déménagé et étant devenus mal-inscrits votent au second tour de l’élection présidentielle, ils votent très peu par procuration (moins d’1 % d’entre eux votent par procuration). En revanche, les cadres ayant déménagé et devenus mal-inscrits sont, pour un septième d’entre eux, utilisateurs de la procuration (sans que cela ne compense leur abstention importante) [53].

Tableau 3. Fréquence de la procuration (%) au second tour de l’élection présidentielle, par groupe socioprofessionnel

SituationGroupeFréquence (%)
Bien inscrit et déménagementCadres11,8
Bien inscrit et déménagementOuvrier.e.s2,6
Bien inscrit et sans déménagementCadres9,8
Bien inscrit et sans déménagementOuvrier.e.s3,7
Mal-inscrit et déménagementCadres14,1
Mal-inscrit et déménagementOuvrier.e.s0,9
Mal-inscrit et sans déménagementCadres14,4
Mal-inscrit et sans déménagementOuvrier.e.s3,8
tableau im8

Tableau 3. Fréquence de la procuration (%) au second tour de l’élection présidentielle, par groupe socioprofessionnel

42L’accès libéral, en droit, à la procuration, n’est pas utilisé de la même manière par les cadres et les ouvriers. Les cadres ayant déménagé et se trouvant mal-inscrits arrivent à trouver, dans leur ancienne commune, un.e mandataire acceptant de porter leur voix aux urnes, et ce n’est pas le cas des ouvriers : les liens des uns ont été entretenus, ceux des autres semblent avoir été rompus. Placés dans une même situation (avoir déménagé), les comportements diffèrent, peut-être aussi en raison des coûts divers associés à l’établissement d’une procuration. C’est pour cette raison que le déménagement, à lui seul, après contrôle par les autres variables sociodémographiques, n’a pas d’effet significatif dans la régression logistique présentée en annexe.

Conclusion

43Les objectifs conjoints de ce texte étaient descriptifs et analytiques. Étant donné la source utilisée, l’EPE, qui ne contient aucune information individuelle sur l’orientation politique, il s’agissait à la fois de donner à voir les différences de recours au vote par procuration en fonction des caractéristiques sociodémographiques des électeurs et électrices et le rôle qu’il pourrait jouer dans la diminution de l’abstention. Nous avons constaté que celles et ceux qui votent par procuration sont parfois des virtuoses du vote, des « participants au carré ». Éloignés, de manière structurelle ou conjoncturelle, de leur bureau de vote, ils arrivent à voter à distance : si l’on défalque le vote par procuration, les électeurs situés en haut de l’échelle des ressources votent autant que ceux du milieu de l’échelle. Le vote par procuration ne compense pas les handicaps, il soutient alors la participation des plus participationnistes et des électeurs mobiles fortement dotés en ressources sociales, culturelles et économiques.

44La société de la mobilité accentue les écarts : déménagements et mal-inscriptions dépriment le vote direct en bas de l’échelle sociale sans que les électeurs les moins dotés ne recourent à la procuration. Cette procédure alternative n’est donc pas adaptée à remédier à l’abstention. C’est parce que la procuration est à l’origine de coûts directs (notamment dans le temps passé à son établissement) et de coût indirects ou « cognitifs » liés à la plus ou moins grande familiarité avec la procédure. La procédure de procuration ne s’inscrit pas dans une logique de compensation des handicaps : elle n’offre pas la possibilité aux personnes les plus distantes de l’acte électoral de se mobiliser. Elle renvoie à une logique de cumul des ressources : ce sont les mieux dotés socialement et culturellement, qui sont aussi les plus mobiles, qui y ont recours.

45Les conséquences politiques générales de la diffusion du vote par procuration sont variées. Tout d’abord le vote par procuration instaure un rapport différent à l’acte de vote, un rapport de délégation qui modifie à la marge, pour l’instant, le « rituel civique ». Son usage fréquent par les jeunes adultes les socialise à la délégation électorale, et constitue peut-être une introduction au vote intermittent, s’ils se mettent à distance du vote direct. Au lieu de se déplacer, de faire la queue, de déposer son bulletin, de décliner l’invitation à participer au dépouillement, une partie des électeurs échappe au rituel de l’élection (le déplacement au bureau de vote, la présentation de la carte, la queue devant l’isoloir, etc.). Cette technologie d’évitement de l’isoloir peut-elle nuire à la culture civique ? Pour utiliser les mots de Paul Gronke, « quel impact cela peut-il avoir sur la manière dont les électeurs conçoivent la politique, la démocratie, la société [54] ? » Un autre rituel se met en place : la recherche d’un.e mandataire, la queue rituelle devant le commissariat, le dévoilement de son vote à un.e partenaire de confiance. Cela permet peut-être de comprendre certaines des formes d’apathie ou d’auto-déhabilitation bourgeoises, repérées par Kevin Geay [55], qui s’objectivent dans de la participation intermittente, du retrait, de la mise à distance de la norme civique. J’ai analysé le vote par procuration des cadres comme la poursuite de leur participationnisme sous une autre forme, mais le vote par procuration peut être, au sommet de l’échelle sociale aussi, un début de détachement de la norme civique. Les participants « au carré » seraient-ils aussi des participants détachés ?

46Le vote par procuration peut aussi avoir des conséquences sur la propagande électorale. On en trouve une trace dans les sites internet d’appariement mandant-mandataire que les principaux partis politiques mettent en place. Au niveau local (dans les communes), les électeurs qui ont recours à la procuration sont, par définition, plus éloignés des enjeux locaux (car résidant ailleurs, ou en déplacement). L’établissement de la procuration plusieurs jours, voire quelques semaines, avant le vote modifie la temporalité de la cristallisation des voix (puisqu’il a fallu, au minimum, négocier un accord avec un.e mandataire). Enfin, le vote par procuration pourrait avoir des conséquences politiques, en permettant à des groupes d’électeurs virtuoses de multiplier leur poids dans les urnes, suite à la déformation du corps électoral. Les caractéristiques de la procuration, forme dérogatoire, conduisent à éloigner une partie des électeurs et électrices, les plus distants des procédures administratives. Elle attire préférentiellement celles et ceux qui sont déjà les plus investis dans le vote, qui connaissent les modalités d’établissement des procurations, et qui sont absents le jour du scrutin.

47Pour poursuivre l’étude, il faudrait étudier le rôle que jouent les mandataires, celles et ceux qui reçoivent la procuration et, sans aucun contrôle extérieur, disposent de deux voix le jour du scrutin. Ce sont des électeurs qui, parce qu’ils sont proches des mandants (socialement, familialement et parfois géographiquement), présentent de grandes ressemblances, à ceci près qu’ils sont moins mobiles que les mandants.


Annexe. Régression logistique sur le recours à la procuration : les mandants

48On va s’intéresser aux déterminants du vote par procuration (en tant que mandant), au moins à une reprise au cours de la séquence électorale de 2017.

49Les modalités de références ici sont :

50

  • • bien inscrit (c’est-à-dire inscrit sur son lieu de résidence) ;
  • • cadre ;
  • • homme ;
  • • 45-49 ans ;
  • • n’a pas déménagé ;
  • • diplôme de master, d’une grande école ou doctorat de santé ;
  • • niveau de vie le plus élevé.

Tableau 4. Régression logistique sur le recours à la procuration en tant que mandant.e

VariableModalité de référenceModalitéCoeff.Std.errorS
MalinscritsBien inscritMal inscrit0,100,06.
cs_recodeCadresAgriculteurs– 0,760,31*
Artisans– 0,160,14
Employé.e.s– 0,290,10**
Étudiant.e.s0,380,13**
Ouvrier.e.s– 0,520,12**
Professions intermédiaires– 0,240,09**
Retraité.e.s– 0,240,13.
Sans activité professionnelle– 0,190,13
DiplômeMaster, grande école, doct. santéPas de scolarité...– 1,440,25**
Aucun diplôme, collège interrompu– 1,240,16**
Aucun diplôme, collège fini– 1,370,15**
CEP (certificat d’études primaires)– 1,140,14**
BEPC, brevet élémentaire, DNB– 0,900,12*
CAP, BEP ou diplôme équivalent– 0,940,10**
Baccalauréat général ou techno...– 0,460,10**
Baccalauréat professionnel...– 0,820,12**
BTS, DUT, Deug, autre bac+2– 0,410,09**
Licence, et bac+4– 0,160,09.
Doctorat de recherche– 0,270,21
DemenagementPas de déménagementDéménagement0,020,08
age_cl45-49 ans18-24 ans0,530,15**
25-29 ans0,390,12**
30-34 ans0,220,12.
35-39 ans0,060,12
40-44 ans– 0,030,12
50-54 ans0,220,12.
55-59 ans0,440,11**
60-64 ans0,550,12**
65-69 ans0,360,15*
70-74 ans0,420,16*
75-79 ans0,330,18.
80-84 ans0,290,19
85 ou plus0,410,18*
sexe_epeHommeFemme0,130,05**
quart_nivvie41– 0,520,08**
2– 0,380,07**
3– 0,200,07**
Constante– 1,710,11**
tableau im9tableau im10

Tableau 4. Régression logistique sur le recours à la procuration en tant que mandant.e

Observations : 27143 – Log Likelihood : -7283,5 – p.value du modèle : < 0.0000001.
AIC : 14645 – Nagelkerke pseudo R2 : 0,066.
Lecture : Insee, « Enquête sur la participation électorale », 2017.
S : ** : p.value < . 01 ; * : p.value < . 05 ; . : p.value < . 1.

51La régression logistique confirme les relations déjà observées : à caractéristiques égales, les cadres ont plus recours à la procuration que les autres groupes socioprofessionnels. Les détenteurs d’un master plus que ceux qui ont un autre diplôme. Par comparaison avec la tranche d’âge 45-55 ans, les plus jeunes et les personnes plus âgées recourent plus à la procuration. À caractéristiques contrôlées, les plus riches ont plus recours à la procuration que les moins riches. En revanche, le déménagement à lui seul n’est pas associé à un recours plus important à la procuration. Enfin, la régression logistique fait ressortir et confirme le recours plus important des femmes à la procuration, quand on les compare à des hommes ayant les mêmes caractéristiques qu’elles.


Mots-clés éditeurs : vote, participation, mobilité

Mise en ligne 09/09/2020

https://doi.org/10.3917/rfsp.703.0469

Notes

  • [1]
    Je remercie les lauréats de la Fondation pour les sciences sociales avec qui, entre 2018 et 2019, j’ai pu présenter les premiers tâtonnements de cette recherche. Ce travail s’inscrit aussi dans le cadre du projet « Procurations » soutenu par l’université Paris Lumières et dans celui de l’ANR ALCOV (projet ANR-16-CE41-0008).
  • [2]
    Guillemette Buisson, Sandrine Penant, « Élections présidentielle et législatives de 2017 : neuf inscrits sur dix ont voté à au moins un tour de scrutin », Insee Première, 1670, 2017, p. 1-4.
  • [3]
    Mais de l’autre côté de la relation, la procuration est rentable : la mandataire, sans avoir à se déplacer ni à remplir de formulaire, dispose de deux voix.
  • [4]
    Paul Gronke et al., « Convenience Voting », Annual Review of Political Science, 11 (1), 2008, p. 437-455.
  • [5]
    Nathalie Dompnier, « La mesure des fraudes électorales », Histoire & mesure, 22 (1), 2007, p. 123-144 ; Jean-Claude Masclet, « Procuration (Vote par) », dans Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 758-761.
  • [6]
    Baptiste Coulmont, Arthur Charpentier, Joël Gombin, « Un homme, deux voix : le vote par procuration », La vie des idées, 2014.
  • [7]
    Baptiste Coulmont, « Par procuration mais pas par défaut. Des électeurs doublement mobilisés », Note EnEF, Sciences Po, CEVIPOF, 36, 2017, p. 1-7.
  • [8]
    Une exception, le questionnaire « Sortie d’urnes » réalisé dans le cadre de l’ANR ALCOV.
  • [9]
    L’équipe coordonnée par François Buton et Claire Lemercier dans l’ANR PAECE avait recueilli l’information, mais ne l’a pas analysée dans les travaux publiés : F. Buton, C. Lemercier, Nicolas Mariot, « The Household Effect on Electoral Participation : A Contextual Analysis of Voter Signatures From a French Polling Station (1982-2007) », Electoral Studies, 31 (2), 2012, p. 434-447.
  • [10]
    La seule exploitation de ces données a été publiée dans Insee-Antilles-Guyane, Antianéchos, 34-35, mai 2013.
  • [11]
    Les rapports des missions d’observation des élections de l’OSCE critiquent l’existence, en France, en Belgique ou aux Pays-Bas, du vote par procuration qui n’assure pas le secret du vote. Voir, par exemple, OSCE, « Mission d’évaluation électorale OSCE/BIDDH : rapport final », Élections parlementaires, 10 et 17 juin 2012, novembre 2013, p. 6-7.
  • [12]
    Pippa Norris, Democratic Phoenix. Reinventing Political Activism, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 92-95.
  • [13]
    Adam J. Berinsky, « The Perverse Consequences of Electoral Reform in The United States », American Politics Research, 33 (4), 2005, p. 471-491 ; Adam J. Berinsky, Nancy Burns, Michael W. Traugott, « Who Votes by Mail ? A Dynamic Model of The Individual-Level Consequences of Voting-by-Mail Systems », Public Opinion Quarterly, 65 (2), 2001, p. 178-197 ; P. Gronke et al., « Convenience Voting », art. cité ; Robert M. Stein, Greg Vonnahme, « Early, Absentee, and Mail-in Voting », dans Jan E. Leighley (dir.), The Oxford Handbook of American Elections and Political Behavior, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 182-200.
  • [14]
    A. J. Berinsky, « The Perverse Consequences... », art. cité.
  • [15]
    Pippa Norris, Electoral Engineering. Voting Rules and Political Behavior, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
  • [16]
    Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation en milieu populaire, Paris, Gallimard, 2007.
  • [17]
    Céline Braconnier et al., « Sociologie de la mal-inscription et de ses conséquences sur la participation électorale », Revue française de sociologie, 57 (1), 2016, p. 17-44.
  • [18]
    Vincent Tiberj, « Le vote décentré ? Renouvellement générationnel et rapport à la participation électorale en France », Revue française de science politique, 68 (5), octobre 2018, p. 821-845, ici p. 821 ; voir aussi Id., Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Paris, PUF, 2017.
  • [19]
    François Héran, « Les intermittences du vote : un bilan de la participation de 1995 à 1997 », Insee Première, 546, 1997, p. 1-4.
  • [20]
    Jean-Louis Briquet, « Le vote au village des Corses de l’extérieur : dispositifs de contrôle et expressions des sentiments (19e-20e siècles) », Revue française de science politique, 66 (5), octobre 2016, p. 751-771 ; Lucie Bargel, « Les “originaires” en politique : migration, attachement local et mobilisation électorale de montagnards », Politix, 113, 2016, p. 171-199.
  • [21]
    lil-1222 : « Enquête sur la participation électorale » (EPE) – 2017 (Insee), diffusée par Progedo-ADISP, Réseau Quêtelet.
  • [22]
    Les calculs et graphiques ont été réalisés avec le logiciel R : R Core Team, R : A language and environment for statistical computing, Vienne, R Foundation for Statistical Computing, 2015.
  • [23]
    Parmi les nombreuses exploitations, citons Jean Morin, « La participation électorale d’avril 88 à mars 89 », Insee Première, 32, 1989, p. 1-4 ; François Héran, Dominique Rouault, « La présidentielle à contre-jour : abstentionnistes et non-inscrits », Insee Première, 397, 1995, p. 1-4 ; Stéphane Jugnot, « La participation électorale en 2007 : la mémoire de 2002 », Insee Première, 1169, 2007, p. 1-4 ; Xavier Niel, Liliane Lincot, « L’inscription et la participation électorales en 2012 : qui est inscrit et qui vote », Insee Première, 1411, 2012, p. 1-4.
  • [24]
    Anne Muxel, « Le moratoire politique des années de jeunesse », dans Annick Percheron, René Rémond (dir.), Âge et politique, Paris, Économica, 1991, p. 203-232.
  • [25]
    V. Tiberj, « Le vote décentré ?... », art. cité.
  • [26]
    Hélène Thomas, « Personnes âgées et vote : les significations plurielles de la participation électorale dans la vieillesse », Politix, 22, 1993, p. 104-118.
  • [27]
    Pierre Bourdieu, « La représentation politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 36-37, 1981, p. 3-24.
  • [28]
    Voir, par exemple, Éric Plutzer, « Becoming a Habitual Voter : Inertia, Resources, and Growth in Young Adulthood », The American Political Science Review, 96 (1), 2002, p. 41-56 ; Sidney Verba, Nancy Burns, Kay Lehman Schlozman, « Unequal at The Starting Line : Creating Participatory Inequalities Across Generations and Among Groups », The American Sociologist, 34 (1), 2003, p. 45-69 ; Sidney Verba, Key Lehman Schlozman, Nancy Burns, « Family Ties : Understanding The Intergenarational Transmission of Political Participation », dans Alan S. Zuckerman (dir.), The Social Logic of Politics. Personal Networks as Contexts for Political Behavior, Philadelphie, Temple University Press, 2005, p. 95-114.
  • [29]
    Anne Muxel, « La politisation par l’intime : parler politique avec ses proches », Revue française de science politique, 65 (4), août 2015, p. 541-562.
  • [30]
    On en trouve des exemples dans SPEL, Les sens du vote. Une enquête sociologique, France, 2011-2014, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.
  • [31]
    Daniel Gaxie, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Seuil, 1978, p. 226.
  • [32]
    E. Plutzer, « Becoming a Habitual Voter... », art. cité.
  • [33]
    D. Gaxie, Le cens caché..., op. cit., p. 200.
  • [34]
    B. Coulmont, A. Charpentier, J. Gombin, « Un homme, deux voix... », art. cité ; Baptiste Coulmont et al., « La procuration, un vote de classe », Métropolitiques, 16 mai 2019, en ligne : www.metropolitiques.eu/La-procuration-un-vote-de-classe.html.
  • [35]
    Il ne faut pas non plus supposer que les classes populaires seraient homogènes dans leur rapport à la participation électorale, comme le souligne Camille Peugny dans « Pour une prise en compte des clivages au sein des classes populaires : la participation politique des ouvriers et des employés », Revue française de science politique, 65 (5-6), octobre-décembre 2015, p. 735-759. Mais le taux faible de procuration empêche ici une analyse plus précise.
  • [36]
    D. Gaxie, Le cens caché..., op. cit., p. 159.
  • [37]
    Ibid., p. 222.
  • [38]
    A. J. Berinsky, « The Perverse Consequences... », art. cité, p. 477.
  • [39]
    Céline Braconnier, Baptiste Coulmont, Jean-Yves Dormagen, « Toujours pas de chrysanthèmes pour les variables lourdes de la participation électorale : chute de la participation et augmentation des inégalités électorales au printemps 2017 », Revue française de science politique, 67 (6), décembre 2017, p. 1023-1040.
  • [40]
    Baptiste Coulmont, « Citoyens à plusieurs : la procuration, un contrat de confiance ? », dans Claudia Senik (dir.), Crises de confiance, Paris, La Découverte, 2020, à paraître.
  • [41]
    Vincent Kaufmann, Les paradoxes de la mobilité. Bouger, s’enraciner, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2008, p. 21.
  • [42]
    Stéphanie Vincent-Geslin, Vincent Kaufmann (dir.), Mobilité sans racines. Plus loin, plus vite, plus mobiles ?, Paris, Descartes & Cie, 2012, p. 52.
  • [43]
    Nicolas Renahy, « Classes populaires et capital d’autochtonie : genèse et usages d’une notion », Regards sociologiques, 40, 2010, p. 9 ; et surtout Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie : réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, 63, 2003, p. 121-143.
  • [44]
    Jonas Hedegaard Hansen, « Residential Mobility and Turnout : The Relevance of Social Costs, Timing and Education », Political Behavior, 2016, p. 1-23.
  • [45]
    Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, « Une démocratie de l’abstention : retour sur le non-vote et ses conséquences politiques lors des scrutins municipaux et européens de 2014 », Hérodote, 154, 2014, p. 45.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    B. Coulmont, « Citoyens à plusieurs... », cité.
  • [48]
    J.-L. Briquet, « Le vote au village des Corses de l’extérieur... », art. cité.
  • [49]
    L. Bargel, « Les “originaires” en politique... », art. cité ; Id., « Le vote des “originaires” : mobilisation électorale et liens à (petite) distance », Métropolitiques, 14 mars 2014, en ligne : www.metropolitiques.eu/Le-vote-des-originaires.html.
  • [50]
    Pour le cas des petites communes grecques, voir Stathis Damianakos, « Les équivoques de la statistique : dépeuplement et double appartenance sociale en Épire (1961-1991) », Strates. Matériaux pour la recherche en sciences sociales, 10, 2001.
  • [51]
    Quand on contrôle par la composition socioprofessionnelle, les conclusions sont semblables (la zone C aurait un peu moins voté par procuration avec la composition socioprofessionnelle de la zone A) : la zone A a plus voté par procuration que les zones B et C.
  • [52]
    Sébastien Durier, Bruno Touré, « 6,5 % des citoyens ont fait une démarche volontaire pour s’inscrire », Insee Focus, 80, 2017, p. 1-4.
  • [53]
    Les effectifs sont relativement faibles, une centaine d’ouvriers mal-inscrits ayant déménagé, et il sera nécessaire de vérifier si la prochaine « Enquête sur la participation électorale » confirme ces écarts importants.
  • [54]
    P. Gronke et al., « Convenience Voting... », art. cité, p. 439.
  • [55]
    Kevin Geay, « Bourgeoisie et politique, cet objet à la mode : motifs de frustrations et raisons d’être optimiste », Mouvements, 100, 2019, p. 143-151, ici p. 150-151.
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