Notes
-
[1]
Bruno Latour, « Pour un dialogue entre science politique et science studies », Revue française de science politique, 58 (4), août 2008, p. 657-678.
-
[2]
Pierre Favre, « Ce que les science studies font à la science politique : réponse à Bruno Latour », Revue française de science politique, 58 (5), octobre 2008, p. 817-829.
-
[3]
Nous laissons de côté le sixième sens, parce qu’il renvoie aux sens du mot « science » et nous éloignerait de notre propos.
-
[4]
Dans un entretien donné en 2012, Bruno Latour affirme que son texte cherchait à établir un contact avec les politologues parce qu’il venait d’arriver à Sciences Po. Cf. Laurent Godmer, David Smadja, « L’œuvre de Bruno Latour : une pensée politique exégétique », Raisons politiques, 47, 2012, p. 115-148, notamment p. 135.
-
[5]
L’extraordinaire néologisme « politicité » a été forgé par le politologue Nicolas Tenzer dans son ouvrage La politique, Paris, PUF, 1991 (Que sais-je ?), p. 108.
-
[6]
C’est tout le mérite de Mark Brown d’avoir traité B. Latour comme philosophe politique plutôt que comme théoricien (« sociologue ») de l’acteur-réseau. Cf. Mark Brown, Science in Democracy. Expertise, Institutions, and Representation, Cambridge, MIT Press, 2009. Mentionnons également Graham Harman, Bruno Latour. Reassembling the Political, Londres, Pluto Press, 2014.
-
[7]
Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte, 2004 (1re éd. : 1991).
-
[8]
Bruno Latour, « From Realpolitik to Dingpolitik, or How to Make Things Public », dans Making Things Public. Atmospheres of Democracy, Karlsruhe, Zentrum für Kunst und Medientechnologie, 2005, p. 4-31 (catalogue de l’exposition qui s’est tenue du 19 mars au 7 août 2005) ; et « Turning Around Politics : A Note on Gerard de Vries’ Paper », Social Studies of Science, 37 (5), 2007, p. 811-820.
-
[9]
B. Latour, ibid., p. 813.
-
[10]
Cet argument s’enracine dans la thèse que développe B. Latour notamment dans Politiques de la nature (op. cit.). La science vit encore dans un régime absolutiste. Il faut donc se doter d’institutions démocratiques afin de limiter son pouvoir, c’est-à-dire ne pas accepter d’emblée toutes les entités qu’elle veut introduire dans le collectif (voir p. 288).
-
[11]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814.
-
[12]
J’utilise le terme technoscience au sens de science possédant une puissance opératoire, ce que Patrick Carroll appelle « engine science », et non comme label diffamatoire, une tendance malheureusement trop prononcée dans certains cercles. Cf. à ce sujet, François-David Sebbah, Qu’est-ce que la technoscience ? Une thèse épistémologique ou la fille du diable ?, Paris, Les Belles Lettres, 2010.
-
[13]
Noortje Marres, « No Issue, No Public : Democratic Deficits after the Displacement of Politics », thèse de doctorat, Amsterdam, University of Amsterdam, 2005.
-
[14]
L’influence du pragmatisme sur la pensée de B. Latour est antérieure au milieu des années 2000, et dépasse la question des controverses. Elle est manifeste notamment dans son relationnisme.
-
[15]
Walter Lippmann, The Phantom Public, New York, Transaction Publishers, 1925, p. 77. L’ouvrage a été traduit en français sous le titre Le public fantôme, Paris, Démopolis, 2009, avec une longue préface de B. Latour.
-
[16]
W. Lippmann, ibid.
-
[17]
John Dewey, The Public and its Problems, Philadelphie, Pennsylvania State University Press, 2012.
-
[18]
J. Dewey, ibid., p. 48.
-
[19]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814-815.
-
[20]
Allan Mazur, « Disputes Between Experts », Minerva, 11 (2), 1973, p. 243-262 ; « Science Courts », Minerva, 15 (1), 1977, p. 1-14 ; et Dynamics of Technical Controversy, Washington, Communications Press, 1982.
-
[21]
Dorothy Nelkin, Nuclear Power and its Critics. The Cayuga Lake Controversy, Ithaca, Cornell University Press, 1971 ; « The Political Impact of Technical Expertise », Social Studies of Science, 5 (1), 1975, p. 35-54 ; et Controversy. Politics of Technical Decisions, Beverly Hills, Sage Publications, 1979.
-
[22]
Michel Callon et al., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001.
-
[23]
J. Dewey, The Public and Its Problems, op. cit., p. 46.
-
[24]
J. Dewey, ibid., p. 48.
-
[25]
Au moment de sa création, le BAPE était indéniablement une innovation politique. L’importante littérature de sciences sociales qui souligne le manque d’articulation entre les institutions du débat public et la décision politique plaiderait pour une reprise de l’expérimentation.
-
[26]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814.
-
[27]
B. Latour, ibid., p. 819.
-
[28]
B. Latour, Politiques de la nature…, op. cit.
-
[29]
La fameuse séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu ne comporte pas seulement la séparation du Législatif, de l’Exécutif et du Judiciaire. S’inspirant du cas anglais, Montesquieu défend également la séparation du corps législatif en deux chambres (Commons et Lords) pour éviter que le peuple ne prive les nobles de leur liberté. Cf. Montesquieu, De l’esprit des lois. I, Paris, Gallimard, 1995 (1re éd. : 1748), p. 333.
-
[30]
http://legifrance.com/affichCode.do;jsessionid=0767080DDF35349B2A8874540D4755B1.tpdjo06v_1?idSectionTA=LEGISCTA000006159282&cidTexte=LEGITEXT000006074220&dateTexte=20121026.
-
[31]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814.
-
[32]
James Farr et al. (eds), Political Science in History, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
-
[33]
Harold Lasswell, A Pre-View of Policy Sciences, New York, American Elsevier Publishing, 1971, p. XIII-XIV.
-
[34]
Douglas Torgerson, « Policy Analysis and Public Life : The Restoration of Phronesis ? », dans J. Farr et al. (eds), Political Science in History, op. cit., p. 225-252.
-
[35]
John Dewey, How We Think, Chicago, Heath & Compagny, 1933.
-
[36]
Timothy Kaufman-Osborn, « Pragmatism, Policy Science, and the State », American Journal of Political Science, 29 (4), 1985, p. 827-849.
-
[37]
J. Dewey, The Public and Its Problems, op. cit., p. 137.
-
[38]
J. Dewey, ibid., p. 138.
-
[39]
Peter de Leon, Danielle Vogenbeckin, « The Policy Sciences at the Crossroads », et Douglas Torgerson, « Promoting the Policy Orientation : Lasswell in Context », dans Frank Fischer et al. (eds), Handbook of Public Policy Analysis. Theory, Politics, and Methods, Boca Raton, CRC Press, 2007, p. 3-14 et p. 15-28.
-
[40]
Harold Lasswell, « The Policy Orientation », dans Daniel Lerner, Harold Lasswell (eds), The Policy Sciences, Stanford, Stanford University Press, 1951, p. 3.
-
[41]
H. Lasswell, ibid., p. 4.
-
[42]
B. Latour, Politiques de la nature…, op. cit.
-
[43]
H. Lasswell, « The Policy Orientation », cité, p. 8.
-
[44]
Nick Turnbull, « Harold Lasswell’s “Problem Orientation” for the Policy Sciences », Critical Policy Studies, 2 (1), 2008, p. 72-91.
-
[45]
Nick Turnbull, « How Should We Theorise Public Policy ? Problem Solving and Problematicity », Policy and Society, 25 (2), 2006, p. 3-22.
-
[46]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 815.
-
[47]
D. Torgerson, « Policy Analysis and Public Life… », cité, p. 236.
-
[48]
J. Dewey, How We Think, op. cit.
-
[49]
Il s’agit d’une version simplifiée du modèle décrit par J. Dewey.
-
[50]
Harold Lasswell, The Decision Process. Seven Categories of Functional Analysis, College Park, Bureau of Governmental Research, College of Business and Public Administration, University of Maryland, 1956.
-
[51]
Il va sans dire que ce qui suit est une schématisation extrême de chacun des stades. Nous nous inspirons surtout de Michael Howlett et al., Studying Public Policy. Policy Cycles & Policy Subsystems, Toronto, Oxford University Press, 2009.
-
[52]
Paul Sabatier, « Toward Better Theories of the Policy Process », Political Science and Politics, 24, 1991, p. 147-156.
-
[53]
Cf. notamment Bruno Jobert, Pierre Muller, L’État en action, Paris, PUF, 1987 ; Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, 1994 ; Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.), Les réseaux de politique publique. Débat autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998 ; Patrick Hassenteufel, Sociologie politique. L’action publique, Paris, Armand Colin, 2011.
-
[54]
Peter de Leon, « The Stages Approach to the Policy Process : What Has It Done ? Where Is It Going ? », dans Paul Sabatier (ed.), Theories of the Policy Process, Boulder, Westview Press, 1999, p. 19-32.
-
[55]
M. Howlett et al., Studying Public Policy…, op. cit. La deuxième partie de l’ouvrage reprend le cycle de vie, en enrichissant chacun des stades par des résultats plus récents, par exemple la prise en compte des acteurs et des idées.
-
[56]
Werner Jann, Kai Wegrich, « Theories of the Policy Cycle », dans F. Fischer et al. (eds), Handbook of Public Policy Analysis…, op. cit., p. 43-62.
-
[57]
J. Dewey, How We Think, op. cit., p. 115.
-
[58]
B. Latour, « Pour un dialogue… », art. cité, p. 669.
-
[59]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 816 (nous soulignons).
-
[60]
Par contraste avec la « politisation », dont le postulat semble être que la condition normale de la science est apolitique.
-
[61]
Grâce au travail de Michel Foucault, ce sont surtout les sciences humaines dont le caractère politique est largement reconnu. Plus près de nous, et pour s’en tenir à la France, cf. aussi Pascale Laborier et al. (dir.), Les sciences camérales, Paris, PUF, 2011 ; Olivier Ihl et al., Les sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003.
-
[62]
Bruno Latour, Les microbes. Guerre et paix, Paris, Anne-Marie Métailié, 1984.
-
[63]
Je me sers ici de B. Latour, « Give Me a Laboratory and I will Raise the World », dans Karin, Knorr, Michael Mulkay (eds), Science Observed. Perspectives on the Social Study of Science, Los Angeles, Sage, 1983, p. 141-170. Ce texte permet beaucoup mieux que Les microbes (op. cit.) de saisir que l’analyse latourienne des sciences est fondamentalement politique, et non pas sociologique. Cf. à ce sujet, Eve Seguin, « Bloor, Latour, and the Field », Studies in History and Philosophy of Science, 31A (3), 2000, p. 503-508.
-
[64]
B. Latour, « Give Me a Laboratory… », cité, p. 159.
-
[65]
B. Latour, ibid., p. 158.
-
[66]
B. Latour, ibid.
-
[67]
B. Latour, ibid., p. 144.
-
[68]
B. Latour, Les microbes…, op. cit., p. 158-159.
-
[69]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 813.
-
[70]
Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.
-
[71]
Le terme de proximisation est plus précis que ceux qu’on trouve dans la littérature, tels exploration et colonisation. Il désigne le fait de rendre les exoplanètes atteignables, de surmonter leurs énormes distances. Nous le préférons à celui de colonisation pour deux raisons. D’une part, c’est bien du voyage interstellaire lui-même dont il est question dans la littérature, et non de l’organisation des conditions de vie sur les exoplanètes. D’autre part, si une politique de colonisation est un jour adoptée, elle obéira probablement à des objectifs politiques différents de ceux de la politique de proximisation, et se matérialisera dans des pratiques de laboratoire – telles la bioingénierie des êtres humains et le terraforming des planètes – distinctes de celles mises en œuvre par la proximisation. Sur ces dernières, voir p. 299.
-
[72]
Cité dans Marc-André Miserez, « E.T., ce n’est bientôt plus de la science-fiction », Swissinfo.ch, 27 décembre 2009 (en ligne).
-
[73]
Gregory Matloff, Deep-Space Probes. To the Outer Solar System and Beyond, Chichester, Springer, 2005.
-
[74]
Aleksander Wolszczan, Dale Frail, « A Planetary System Around the Millisecond Pulsar PSR1257 + 12 », Nature, 355 (6356), 1992, p. 145-147.
-
[75]
G. Matloff, Deep-Space Probes…, op. cit.
-
[76]
Témoignage de John Grunsfeld, administrateur de la NASA, au Congrès américain, 9 mai 2013, <https://science.house.gov/sites/republicans.science.house.gov/files/documents/HHRG-113-SY16-WState-JGrunsfeld-20130509.pdf> (consulté le 16 février 2015).
-
[77]
Andrea Sommariva, « Motivations Behind Interstellar Exploration and Colonization », Astropolitics. The International Journal of Space Politics & Policy, 12 (1), 2014, p. 82-94.
-
[78]
Defense Advanced Research Projects Agency. C’est l’agence « high-tech » du département de la Défense américain, qui encourage les recherches les plus aventureuses afin de garantir l’hégémonie technoscientifique américaine.
-
[79]
DARPA, « DARPA/NASA Seek to Inspire Multigenerational Research and Development », communiqué de presse, 28 octobre 2010.
-
[80]
DARPA, The 100-Year Starship Study. Strategy Planning Workshop Synthesis & Discussions, <https://web.archive.org/web/20111203110443/http://www.100yss.org/pdf/100YSS_January_Synopsis.pdf> (consulté le 16 février 2015).
-
[81]
Communication personnelle de Madame Alires Almon, responsable des activités de diffusion de la Fondation.
-
[82]
Loin de se limiter à l’astronautique et à la physique, tout un un éventail de disciplines est concerné, incluant la science politique.
-
[83]
Marc Millis, Eric Davis (eds), Frontiers of Propulsion Science. Progress in Astronautics and Aeronautics, Reston, American Institute for Aeronautics and Astronautics, 2009.
-
[84]
William Borucki et al., « Kepler-62 : A Five-Planet System with Planets of 1.4 and 1.6 Earth Radii in the Habitable Zone », Science, 540, 3 mai 2013, p. 587-590.
-
[85]
Les astronomes pensent qu’une trop grande taille empêcherait le recyclage de l’atmosphère de la planète par la tectonique des plaques.
-
[86]
Cité dans Dennis Overbye, « Two Promising Places to Live : 1,200 Light-Years From Earth », New York Times, 19 avril 2013, p. A1.
- [87]
-
[88]
Didier Debaise, « Qu’est-ce qu’une subjectivité non humaine ? L’héritage néo-monadologique de B. Latour », Archives de philosophie, 75 (4), 2012, p. 587-596.
-
[89]
Nous n’ignorons pas le positionnement de B. Latour face à la critique.
-
[90]
Michel Dubois, La nouvelle sociologie des sciences, Paris, PUF, 2001.
-
[91]
B. Latour, Politiques de la nature…, op. cit.
-
[92]
Bruno Latour, « An Attempt at a “Compositionist Manifesto” », New Literary History, 41 (3), 2010, p. 471-490 ; et « Il n’y a pas de monde commun : il faut le composer », Multitudes, 45 (2), 2011, p. 38-41.
-
[93]
Bruno Latour, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes, Paris, La Découverte, 2012.
-
[94]
Plusieurs collègues, amis, et étudiants ont eu la gentillesse de lire ce texte et de faire des suggestions pour l’améliorer. Il est certain que la version finale aurait présenté moins de défauts si j’avais suivi l’ensemble de leurs recommandations. Je suis particulièrement reconnaissante à Virginie Tournay pour son appui et sa lecture généreuse. Remerciements spéciaux à Frédéric Chauvière, qui a lu le présent travail comme « science-fiction », et à François Claveau, pour m’avoir accusée du pire des péchés, celui d’« exégèse » ! Merci également aux évaluateurs anonymes et au directeur de la RFSP. Finally, I am truly sorry that Mark Brown, Patrick Carroll, and Alfred Moore did not have the opportunity to read this piece in their mother tongue.
« J’éviterai certes de me joindre aux détracteurs d’un grand homme. Quand le hasard fait qu’en apparence je me rencontre avec eux sur un seul point, je suis en défiance de moi-même ; et pour me consoler de paraître un instant de leur avis, sur une question unique et partielle, j’ai besoin de désavouer et de flétrir autant qu’il est en moi ces prétendus auxiliaires. »
« Il n’y a pas plusieurs tout théoriques ou disciplinaires chez Latour mais son œuvre témoigne du fait qu’il y a plusieurs manières pour son auteur de faire totalité. »
1En 2008, Bruno Latour publie dans la Revue française de science politique [1] un texte dont l’objectif avoué est d’inciter les politologues à nouer un dialogue avec les chercheurs des « Science & Technologie Studies » – dorénavant STS. L’appel à un dialogue entre science politique et STS est entendu puisque le politologue Pierre Favre publie une réponse dans le numéro suivant [2].
2Dans son texte, B. Latour part du constat que la science politique et les STS vivent dans une ignorance mutuelle, qui se mesure en premier lieu au manque de définition commune de concepts clés :
« Il me semble malgré tout que les emplois que nous faisons les uns et les autres des termes “science” et “politique” restent incommensurables. Ou, à tout le moins, n’ont pas fait jusqu’ici l’objet d’un effort commun de calibration. »
4L’éloignement relatif des deux disciplines se marque également au refus des STS de poser que le politique est circonscrit à une sphère déterminée :
« Pour suivre les différents sens du mot politique tel qu’il est employé dans notre discipline (et sans beaucoup de rapport au début, je le concède, avec ceux de la science politique), il faut accepter de suspendre entièrement l’idée qu’il existerait un domaine propre – le ou la politique – distinct ou même séparable en principe des autres domaines. »
6Afin d’établir un dialogue entre les deux disciplines, B. Latour choisit de présenter les différents sens des termes « politique » et « science » qui circuleraient selon lui dans le champ STS. Dans le présent texte, nous laisserons de côté tout ce qui concerne le « scientifique » pour nous concentrer sur le mot « politique ». B. Latour affirme :
« La solution que j’ai choisie pour essayer de calibrer nos définitions quelque peu contradictoires consiste non pas à définir d’avance un domaine du politique, mais à qualifier par une succession de termes les étapes successives à travers lesquelles passent les objets controversés, les affaires, ce que l’anglais nomme des “issues”, dont la multiplicité définit empiriquement les nombreux points de contact entre les questions communes à nos deux disciplines. »
8B. Latour dégage donc cinq sens [3] du mot « politique » en leur attribuant des indices : Politique[1] Nouvelles associations, Politique[2] Pose le problème du public, Politique[3] Rejoue la souveraineté, Politique[4] Enjeu d’une démocratie, Politique[5] Devient une institution.
9Sortie de son contexte, pareille manœuvre peut paraître laborieuse, voire futile. Mais loin de s’apparenter à un simple exercice de dictionnaire, cette liste des sens de « politique » dessine une trajectoire des controverses, trajectoire dont la « finalité » est de leur trouver une solution :
« Des cinq synonymes que nous avons listés dans la section précédente, pas un ne cherchait à séparer un domaine propre, celui du politique. Tous, ils qualifiaient des étapes distinctes dans la trajectoire des mêmes affaires, un peu comme les astronomes ont pris l’habitude de nommer par des termes distincts (naine rouge, super-géante, supernova, pulsar, trou noir, etc.) les états distincts des mêmes étoiles. Le but de tous ces termes […] définir comment le collectif parvient plus ou moins bien à se désembrouiller de ces affaires. »
11On verra plus loin qu’il n’est guère besoin d’invoquer l’astronomie pour comprendre ce traitement des controverses : la science politique y suffit amplement. En effet, une telle conceptualisation « étapiste » est typique de l’analyse des politiques publiques, et de sa genèse dans la philosophie pragmatiste. En anticipant sur ce qui suit, on peut déjà affirmer que B. Latour prend les bons moyens pour atteindre le but qu’il s’est fixé, soit se rapprocher de la science politique [4].
12Le texte qui suit est divisé en trois parties. J’examinerai d’abord la critique que P. Favre adresse à l’analyse de B. Latour. Je montrerai que, contraint, ou auto-contraint, par le genre « réponse » auquel son texte appartient, P. Favre ne s’autorise pas à scruter plus largement l’œuvre latourienne et son évolution. Il passe ainsi à côté du rapprochement tout à fait réel avec la science politique, rendu possible par la conceptualisation du politique comme trajectoire des controverses. Du coup, il se prive des moyens d’évaluer l’apport de B. Latour à la compréhension politique des sciences. Dans un deuxième temps, j’expliquerai pourquoi la conception du politique comme trajectoire des controverses est parfaitement acceptable pour la science politique. Pour ce faire, je montrerai que les controverses sont une figure contemporaine des objets du politique théorisés par la philosophie pragmatiste, et repris par l’analyse des politiques publiques. Je soulignerai aussi la proximité de la trajectoire des controverses et du cycle de vie des politiques publiques. Dans la troisième partie, je reviendrai sur la théorie politique des sciences que B. Latour a développée au début des années 1980, et qui a été popularisée par la célèbre formule « science is politics by other means ». Afin d’illustrer mon propos, je me servirai du cas des exoplanètes discuté par B. Latour et P. Favre. La thèse que je voudrais défendre est que l’influence pragmatiste et le rapprochement avec la science politique qu’elle autorise éloignent B. Latour de sa théorie politique initiale. Cette évolution est regrettable car, contrairement à cette dernière, son positionnement théorique actuel ne permet pas de véritablement saisir la politicité [5] des sciences. En d’autres termes, B. Latour a perdu en pouvoir explicatif et en originalité ce qu’il a gagné en respectabilité.
La critique de Pierre Favre
13P. Favre organise sa critique en deux volets. Il reproche d’une part à B. Latour d’exagérer l’étendue de la fonction politique des sciences :
« […] Latour précise à plusieurs reprises que les éléments qu’il convoque comme “politiques” sont “infiniment plus nombreux” que ceux auxquels on se réfère habituellement, que le domaine du politique est sans cesse “débordé”, “bouleversé” par des innovations qui “prolifèrent” et dont “l’immense majorité provient des laboratoires” […]. Il ne semble pas que l’on puisse suivre Latour et estimer que ce que produisent les sciences – certes fondamental – est quantitativement plus important que tout ce qui alimente par ailleurs la ou le politique. Les productions symboliques et idéologiques, les nouveaux arrangements sociaux, les flux internationaux, les renouvellements générationnels, les mutations des formes de domination, les mouvements migratoires, les évolutions démographiques, les transformations de la communication, la redéfinition des territoires, les successions de politiques publiques, et mille choses encore “fabriquent” tout autant du politique et il faudrait pour le moins confronter quantitativement cette “fabrication politique” à ce que produisent les innovations scientifiques. À ne partir que des science studies, on se condamne à bien des cécités. »
15Cette accusation est étonnante puisque l’objectif du cadre pragmatiste latourien est justement de montrer la similitude des controverses technoscientifiques et des affaires « traditionnelles » qui intéressent la science politique. B. Latour avance qu’elles sont toutes politiques de la même façon parce qu’elles passent toutes par les mêmes stades, par les mêmes manières d’être politiques. Sa thèse n’est pas du tout que seules les sciences produisent du politique mais que les sciences sont responsables de l’émergence d’affaires politiques inédites. Avant la révolution scientifique, il existe bien des mouvements migratoires (vagues d’invasion de l’Empire romain par les tribus germaniques), des mutations des formes de domination (passage de la cité-État antique au féodalisme européen), des transformations de la communication (invention de l’écriture par les Babyloniens), des évolutions démographiques (croissance vertigineuse de la population européenne de l’an 1000 à l’an 1250), etc. Cependant, il faudra attendre le 17e siècle pour que le politique se retrouve peuplé de synthèses chimiques, de flux d’électrons, de réactions en chaîne, de combustions chimiques et de cultures microbiennes. On le verra en détail plus bas, c’est la tentative de forger une théorie politique des sciences qui fonde selon nous l’originalité et la valeur immense de l’œuvre de B. Latour [6]. Dans ce contexte, lui reprocher de minimiser l’importance des « mille choses encore » qui nourrissent le politique paraît singulièrement contre-productif.
16La seconde critique de P. Favre est que B. Latour dote d’une composante politique toutes les découvertes scientifiques en les rangeant à tort dans le stade 1 de la trajectoire des controverses :
« Le politiste se doit là de prendre du recul et de contester l’affirmation selon laquelle tout ce qui sort des laboratoires de recherche est par nature politique : cela ne devient selon nous “politique” que si une ou plusieurs conditions supplémentaires sont remplies, l’analyse de ces conditions étant en elle-même un des objets centraux de la science politique. »
18Cette condition supplémentaire est la « saisie du champ politique ». À première vue, il s’agit du processus qu’on qualifie communément de « politisation », et P. Favre précise qu’elle peut revêtir différentes formes. Malheureusement, la notion de saisie du champ politique s’avère tellement élastique qu’elle inclut même la conception latourienne du politique qu’elle est censée exclure. Ainsi, s’agissant de l’invention des métallocènes, P. Favre affirme :
« Cette production d’un “être” nouveau dans notre monde n’est pas un objet pour la science politique et ne modifie en rien l’ordonnancement des êtres à rassembler dans le monde commun. »
20P. Favre reprend donc ici la définition du stade 1 puisqu’il présuppose que si la production d’une nouvelle entité changeait l’ordonnancement du monde, elle serait effectivement politique. De la même manière, il soutient :
« L’exemple des exoplanètes que Latour sollicite à plusieurs reprises conduit aux mêmes conclusions. Le nombre des exoplanètes mises en évidence depuis 1995 s’accroît constamment, on en a découvert à ce jour 270, mais cela n’affecte en rien le politique. Le fait qu’il existe d’autres planètes où la vie est possible ne change pas réellement notre représentation de l’univers. »
22P. Favre admet donc que si la découverte d’exoplanètes changeait notre représentation du cosmos, elle serait bel et bien politique.
23Le stade 1 de la trajectoire renvoie à la conception que B. Latour a développée dans ce traité de théorie politique qu’est Politiques de la nature [7]. Le politique y est défini par la représentation des entités dans un cosmos, une coexistence harmonieuse, un monde commun, et par la nécessité de modifier l’ordonnancement de ce monde commun à la suite de l’introduction des nouvelles entités produites par les sciences, ce qu’on appelle communément les « découvertes scientifiques » (prions, exoplanètes, trou de la couche d’ozone ou boson de Higgs). Contre toute attente, P. Favre reprend à son compte cette conception, comme le démontrent les deux passages qu’on vient de citer. Il ne remet pas en question le stade 1 de la trajectoire, il se limite à en contester l’opérationnalisation. En d’autres termes, la représentation et l’ordonnancement des entités sont effectivement une forme de politisation, et l’analyse de B. Latour ne serait déficiente que parce qu’elle range dans ce premier stade des productions scientifiques qui ne lui appartiennent pas, les exoplanètes par exemple. On voit que, sous couvert de critique radicale, P. Favre concède en fait énormément à B. Latour.
24Cela se vérifie également au fait qu’il accepte d’emblée les controverses comme objet d’étude commun aux deux disciplines :
« On ne détaillera pas la liste des objets considérés identiquement comme “politiques” par les science studies et la science politique, la simple recension suffira à attester qu’il n’y a pas là divergences […]. »
26Pourtant, le choix des controverses est contingent puisque d’autres objets sont partagés par les deux disciplines. C’est le cas notamment de l’ensemble des politiques publiques à caractère technique et scientifique (politiques scientifiques, environnementales, de défense, des transports, de santé publique, etc.). Dans la même veine, P. Favre accueille favorablement les différents stades de la trajectoire proposés par B. Latour, en précisant simplement qu’une partition différente serait possible :
« La familiarité pour le politiste des objets d’étude communs aux deux disciplines est telle qu’il n’est pas nécessaire de débattre des subdivisions, matérialisées par des indices, que l’auteur propose s’agissant des sens de “politique” […]. D’autres subdivisions seraient évidemment possibles, ou de plus nombreuses, sans que cela modifie le débat de fond. »
28On tient ici ce qui nous paraît la vraie faiblesse de la critique de P. Favre. N’effectuant aucune tentative d’exégèse sur le travail de B. Latour, il accepte son modèle pragmatiste sur une base purement empirique et ignore ainsi que ce dernier a pour finalité de fonder théoriquement la proximité de la science politique et des STS. Ce faisant, il s’interdit d’en analyser la pertinence pour l’élaboration d’une théorie politique des sciences. Nous y reviendrons.
Pragmatisme
29B. Latour effectue le rapprochement entre science politique et STS de deux manières différentes. D’une part, en élaborant une trajectoire politique qui regroupe les différents stades par lesquels passent les controverses technoscientifiques ; on l’a déjà mentionné, et on verra pourquoi plus loin, cette démarche est typique de certaines analyses des politiques publiques. D’autre part, en prenant les controverses comme point de départ de sa réflexion. Il faut souligner ici que ce n’est pas du tout parce qu’elles sont un objet empirique commun aux deux disciplines qu’il procède ainsi. Bien au contraire, les controverses constituent pour lui le centre de gravité de la politique. Pour le comprendre, il est nécessaire de lire son article de la Revue française de science politique parallèlement à deux autres textes publiés à la même époque : « From Realpolitik to Dingpolitik » (2005) et « Turning Around Politics » (2007) [8]. Dans ce texte de 2007 [9], il soutient que jusqu’ici, les STS ont politisé les sciences et les technologies de deux manières. Soit en affirmant que tous les sites du travail scientifique et technique sont politiques, soit en demandant aux ingénieurs et aux scientifiques d’intégrer les circuits conventionnels de la politique. La première manière n’est qu’une variante du slogan « tout est politique » qui n’explique pas comment les garde-fous de la démocratie peuvent être étendus aux sites de la production scientifique [10]. La seconde se limite à chercher des moyens pour mettre en contact experts et profanes. Pour B. Latour, ces deux postures sont insatisfaisantes parce qu’elles reconduisent la conception traditionnelle du politique : « they equally retain the definition of politics taught in political science departments » [11].
Objets du politique
30Face à cet échec relatif du champ STS à élaborer une compréhension politique adéquate des technosciences [12], B. Latour entreprend d’expliquer la centralité des controverses technoscientifiques dans la constitution du politique, qu’il résume par cette formule empruntée à Noortje Marres : « no issues, no politics » [13]. Pour ce faire, il propose de revenir à la tradition pragmatiste, en particulier à John Dewey [14]. L’idée de base est de cesser d’aborder le politique sous l’angle des sujets et de le définir à partir des objets. Cette rupture avait été initiée par Walter Lippmann en 1925 dans son ouvrage The Phantom Public [15], lequel développe une conception fort singulière eu égard aux postulats qui fondent le régime démocratique. Se situant en porte-à-faux face à la théorie du gouvernement populaire, W. Lippmann affirme :
« That theory rests upon the belief that there is a public which directs the course of events. I hold that this public is a mere phantom. It is an abstraction. The public in respect to a railroad strike may be the farmers whom the railroad serves ; the public in respect to an agricultural tariff may include the very railroad men who were on strike. The public is not, as I see it, a fixed body of individuals. It is merely those persons who are interested in an affair […]. » [16]
32C’est en réponse à W. Lippmann que J. Dewey formulera de la manière la plus systématique sa théorie politique.
33Dans The Public and its Problems [17], publié en 1927, il présente une théorie à la fois de la démocratie, du public et de l’État, les trois étant pour lui étroitement liés. Bien qu’en désaccord avec son analyse du rôle des experts en démocratie, il reprend à W. Lippmann la notion de multiplicité et de variabilité des publics, mais en donne une formulation plus systématique. Il imagine qu’à une époque reculée, léser quelqu’un et en recevoir un dédommagement étaient des affaires strictement privées entre deux parties. La victime et l’agresseur recevaient toutefois l’aide de leurs parents et amis. La dispute avait ainsi des conséquences indirectes sur des gens qui n’étaient pas parties prenantes de l’affaire, conséquences qui pouvaient perdurer pendant des générations suite à l’exercice de représailles et de contre-représailles. Il existe donc deux types de conséquences, directes et indirectes, et cette distinction fonde celle entre le privé et le public. J. Dewey donne donc la definition suivante du public :
« The public consists of all those who are affected by the indirect consequences of transactions […]. » [18]
35J. Dewey précise que les problèmes qui engendrent la formation d’un public peuvent provenir de l’activité gouvernementale ou de l’économie de marché. L’inégalité entre les parties d’une transaction est également un facteur déterminant car elle est susceptible d’engendrer des conséquences graves. C’est d’ailleurs pour rétablir l’égalité que des mesures telles que le droit du travail ont été instaurées. Il faut souligner que le public de J. Dewey n’est pas équivalent à la « société civile ». En effet, un groupe qui se politise sur telle action parce qu’il en subit les conséquences indirectes ne préexiste pas nécessairement à cette action problématique. Le public est donc un espace pluraliste dans lequel coexistent plusieurs publics concernés par des problèmes différents. L’essentiel, tant chez W. Lippmann que chez J. Dewey, est que sans problèmes, sans conflits, sans affaires, le public n’existe pas. Les problèmes du public théorisés par J. Dewey sont donc une première figure des objets du politique.
36B. Latour applaudit cette conception :
« Here is a Copernican revolution of radical proportions : to finally make politics turn around topics that generate a public around them instead of trying to define politics in the absence of any. » [19]
38Les controverses technoscientifiques publiques constituent pour lui une éclatante matérialisation de la théorie politique pragmatiste. L’étude des controverses remonte au début des années 1970, quand des chercheurs tels Allan Mazur [20] et Dorothy Nelkin [21] ont commencé à s’intéresser aux contestations publiques de projets technoscientifiques, par exemple la décision prise par plusieurs autorités municipales américaines de fluorer l’eau potable. En 1979, la publication de l’ouvrage séminal de D. Nelkin Controversy. Politics of Technical Decisions a donné ses lettres de noblesse à l’étude des controverses, qui depuis lors n’a cessé de s’amplifier dans les STS. Les controverses analysées éclatent autour de décisions ou de projets à forte composante technique et scientifique (nucléaire, OGM, bouclier spatial, etc.). Leur caractéristique essentielle est de démontrer que les savoirs techniques et scientifiques sont contestables ou, dans le jargon STS, que n’importe quelle boîte noire peut être rouverte. Leur ressort se trouve dans l’implication de groupes qui subissent, ou prévoient de subir, des conséquences néfastes de la mise en œuvre d’une décision technoscientifique : iniquité, restriction des libertés, imposition de risques sanitaires ou environnementaux, etc. B. Latour voit donc dans les controverses une parfaite incarnation de la théorie de J. Dewey parce qu’elles sont associées à l’apparition de groupes qui ne préexistent pas à la décision ou au projet technoscientifique qui les mobilise. Autrement dit, elles favorisent l’émergence de nouveaux publics, exprimant de nouveaux problèmes, un processus que Michel Callon ressaisit avec la notion de « nouvelles identités » [22]. À côté des « problèmes du public », les controverses technoscientifiques sont donc une autre figure des objets du politique.
39L’influence du pragmatisme sur B. Latour ne s’arrête toutefois pas à la conceptualisation du public, il touche également à la théorie de l’État. Pour J. Dewey, les objets du politique sont également à l’origine de l’État, un fait qui a selon lui échappé à la philosophie politique. Passant en revue les grandes conceptions de l’État, J. Dewey constate en effet qu’elles donnent des explications circulaires en situant son origine dans des facteurs tels la psychologie et les instincts. Aristote, par exemple, en posant que l’homme est un animal politique, rejoint la vertu dormitive de l’opium. Essence de l’être humain, plan divin, contrat social, volonté générale, incarnation de la raison, toutes ces théories postulent des forces causales intrinsèques d’engendrement de l’État, un « autorship ». Ce faisant, elles donnent dans la mythologie. J. Dewey pose au contraire que pour comprendre le regroupement des humains, qui est distinct des autres sociétés animales, il faut partir de faits observables.
« We must in any case start from acts which are performed, not from hypothetical causes for those acts, and consider their consequences. We must also introduce intelligence, or the observation of consequences as consequences, that is, in connection with the acts from which they proceed. » [23]
41Les humains agissent et, qui plus est, ils sont capables de percevoir les conséquences des actions. Si la perception des conséquences indirectes des actions engendre un public, elle rend également compte de l’existence de l’État. On peut compléter ici la citation qui figure plus haut :
« The public consists of all those who are affected by the indirect consequences of transactions to such an extent that it is deemed necessary to have those consequences systematically cared for. » [24]
43Ces conséquences se déploient sur le long terme et sur de grandes distances, elles sont récurrentes et irréparables. Quand de telles conséquences indirectes sont perçues et qu’une tentative de les réguler est faite, l’État apparaît. Qu’une corporation, une église, un syndicat, une école, adopte un comportement qui affecte de grands nombres de personnes extérieures, ces dernières forment un public qui entreprend de s’organiser en structures pour évaluer et réguler la situation. Ce contrôle des conséquences peut passer par l’inhibition ou par la promotion. Qu’est-ce que l’État ? C’est le public organisé. En d’autres termes, ce sont des représentants (législateurs, juges, exécutifs) et des agences matérielles qui protègent les intérêts du public et règlent les problèmes qui l’affectent.
44Pour J. Dewey, la pensée politique moderne n’est pas parvenue à comprendre l’origine de l’État. Si elle s’est approchée de la vérité en posant que ce sont des individus qui agissent, tant dans la société que dans l’État, elle a traduit cette observation dans la doctrine de l’individualisme, retombant du coup dans la mythologie. L’individualisme produit en effet deux conceptions erronées de l’État : le Léviathan à chérir et le monstre à détruire. J. Dewey conçoit les choses différemment. Pour lui, l’État est à construire. En effet, tel qu’il existe à un moment t, l’État est la création d’un public passé, et il est équipé pour réguler les problèmes qui affectent ce public. Il en découle qu’il n’est pas en mesure de réguler les nouvelles conséquences générées par les changements industriels et technologiques. Ces nouveaux problèmes créent un nouveau public qui demeure longtemps informe parce qu’il ne peut pas utiliser les agences gouvernementales héritées du passé. Pour émerger, le nouveau public doit briser les formes politiques existantes, une entreprise particulièrement ardue puisque ces formes sont précisément les mécanismes institués pour effectuer des changements. Cette tension est à l’origine de l’action directe et des révolutions. À travers un processus itératif, l’État doit donc être constamment surveillé, investigué et recréé aussitôt qu’il s’institutionnalise. De par sa nature, il ne trouve jamais de forme stable et achevée. En outre, la question de savoir si un public existe bel et bien, si des conséquences sont importantes au point de nécessiter une prise en charge par des agences et des représentants, cette question n’a pas de réponse évidente. Entre ce qui doit être laissé à l’initiative privée et ce qui demande une intervention de l’État, la frontière est floue et les disputes à ce sujet sont inévitables. Pour J. Dewey, la formation des États est, et doit être, un processus expérimental. Un tel expérimentalisme s’est clairement manifesté dans les années 1970, quand les États occidentaux ont mis sur pied de nouvelles procédures d’évaluation des projets d’infrastructures. Le Québec a fait œuvre de pionnier en créant une nouvelle agence au sein du ministère de l’Environnement, le Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE), qui a plus tard servi de modèle à la Commission nationale du débat public (CNDP) en France. Qu’un promoteur décide de construire une usine chimique, un aéroport, une déchetterie, ou une ligne électrique, tout citoyen peut demander au BAPE d’organiser des audiences publiques. Une commission est alors réunie, le promoteur est tenu d’expliquer son projet et de répondre aux questions des individus, groupes et collectivités intéressés, tandis que ces derniers peuvent s’exprimer par la rédaction de mémoires et des présentations orales aux audiences [25].
45B. Latour souscrit bien sûr à la conception expérimentale de l’État, lequel doit se mouler aux objets du politique. Il affirme ainsi :
« Instead of saying : “Define a procedure and then whatever will go through will be well taken care of”, pragmatism proposes that we focus on the objects of concern and then, so as to handle them, produce the instruments and equipment necessary to grasp the questions they have raised […]. » [26]
47À ses yeux, les controverses technoscientifiques sont emblématiques également parce qu’elles témoignent du caractère nécessairement itératif et expérimental de l’État.
« […] It’s just as improbable that the masses of new issues can all be brought back to the usual sites we associate with political traditions […]. There is no sense in saying that global warming, DNA probes, river pollution, new planetary systems, the building of a fusion research demonstrator, and so on, will all go through the same street demonstrations, the same parliamentary debates and the same governmental shuttles. Each new issue deserves its own protocol […]. » [27]
49L’influence qu’a eue la conception deweyenne de l’État sur B. Latour est manifeste dans Politiques de la nature [28]. En lieu et place de l’hégémonie des sciences qui contraint et limite la parole politique depuis des siècles, il propose une forme politique expérimentale, mieux adaptée à la gestion des controverses environnementales. Le bicaméralisme est l’institution qu’il promeut pour mettre fin à l’absolutisme dans lequel la science vit encore aujourd’hui. Dans la lignée de Montesquieu, il propose de scinder son pouvoir de représentation politique de la réalité en deux chambres [29]. La chambre haute détient le pouvoir de prise en compte : elle doit favoriser la perplexité et l’émergence de nouvelles entités (les « découvertes » scientifiques). La chambre basse détient le pouvoir d’ordonnancement : elle veille à l’intégration des nouvelles entités dans le monde commun selon une relation d’ordre. Si cet ordonnancement s’avère impossible, elle peut les exclure. En d’autres termes, dans le parlement des choses, la chambre basse a pour fonction de freiner la multiplication chaotique des entités à laquelle se livre la chambre haute.
50En 2008, l’État français a fourni une version, certes passablement édulcorée, du bicaméralisme latourien. L’article 3 de la Loi relative aux OGM a en effet créé une nouvelle instance d’expertise, le Haut Conseil des biotechnologies (HCB), dont la mission est « d’éclairer le gouvernement sur toutes questions intéressant les organismes génétiquement modifiés ou toute autre biotechnologie et de formuler des avis en matière d’évaluation des risques pour l’environnement et la santé publique que peuvent présenter l’utilisation confinée ou la dissémination volontaire des organismes génétiquement modifiés » [30]. La particularité du HCB, unique en Europe, est sa structure duale formée de deux comités indépendants et complémentaires. Un comité scientifique regroupe quarante chercheurs provenant essentiellement des sciences biologiques, et un comité économique, éthique et social, représentant les parties prenantes, est composé de membres d’ONG, d’élus de différents niveaux, de représentants d’organisations professionnelles et de personnalités « qualifiées », parmi lesquelles figurait Michel Callon. Cette structure novatrice trouve sa justification dans les insuffisances criantes de l’analyse scientifique des risques, connue pour n’utiliser qu’un ensemble partial et partiel de critères d’évaluation des technologies. La structure duale du HCB est une matérialisation institutionnelle expérimentale du débat entre experts et profanes qui caractérise la controverse sur les OGM.
51B. Latour décrit le pragmatisme comme « … as yet undervalued political philosophy » [31]. Cela expliquerait que, contrairement aux STS, la science politique demeure indifférente aux objets du politique. En réalité, pour quiconque est familier de l’histoire de la discipline, la référence au pragmatisme va de soi. J. Dewey a joué un rôle décisif dans l’évolution de la science politique américaine, et est même crédité par certains pour en être le fondateur [32]. Mais son influence n’est en aucun cas circonscrite aux idiosyncrasies de la discipline aux États-Unis : le pragmatisme est en effet responsable de l’émergence de l’analyse des politiques publiques. Cet important champ de spécialisation de la science politique provient des « policy sciences » développées par le politologue américain Harold Lasswell dans les années 1940 et 1950. Et c’est dans le pragmatisme que H. Lasswell a trouvé sa principale source d’inspiration.
« The policy sciences are a contemporary adaptation of the general approach to public policy that was recommended by John Dewey and his colleagues in the development of American pragmatism. » [33]
53Douglas Torgerson [34] soutient que toute la pensée de H. Lasswell est imprégnée de la conception du savoir comme résolution de problème, défendue par J. Dewey dans How We Think [35]. On peut plus spécifiquement y déceler la préoccupation pour les problèmes du public et la philosophie des sciences, développées dans The Public and its Problems. Pour J. Dewey, la société moderne, qu’il nomme « the Great Society », est caractérisée par de multiples transactions et par leurs multiples enchevêtrements, ce qui produit de multiples problèmes. Cette société est marquée par une très grande complexité, ce qui signifie que la distance entre les actions et les conséquences indirectes qu’elles génèrent est maximale. Dans ces conditions, identifier ces conséquences devient une tâche extrêmement ardue. En d’autres termes, les problèmes du public ne sont pas immédiatement observables. Bien qu’en désaccord avec la solution préconisée par W. Lippmann, J. Dewey reconnaît qu’il a raison de débusquer le mythe du citoyen omnicompétent parce que, dit-il, le savoir ne naît pas dans un esprit isolé. C’est ici que les sciences sociales entrent en scène. Le rôle que J. Dewey leur attribue découle bien sûr de sa philosophie pragmatiste des sciences. Pour lui, toutes les sciences doivent se préoccuper de leur pertinence pour les affaires humaines. Comme le relève Timothy Kaufman Osborn [36], il remplace donc l’objectivité scientifique par la promesse d’une efficacité pratique.
54Cela dit, la pertinence des sciences doit être soigneusement distinguée de leur « application », laquelle a engendré la révolution industrielle et un cortège de maux sociaux, tels que l’exploitation brutale des personnes et de la nature, l’enrichissement extravagant d’une classe de possédants, et le perfectionnement de la puissance meurtrière des armes. Pour J. Dewey, la mésestime qui entoure la science appliquée est justifiée. Non pas parce qu’elle serait inférieure à la science pure mais parce qu’elle a partie liée avec les préjugés, les biais, la valorisation excessive de la propriété et de l’autorité, et le mépris pour les préoccupations humaines.
« The understanding by man of his own affairs and his ability to direct them are sapped at their root when knowledge of nature is disconnected from its human function. » [37]
56L’enquête sociale doit donc éviter ces écueils et, à cette fin, J. Dewey formule un ensemble de préconisations, telles l’importance d’étudier des phénomènes contemporains et la nécessité de diffuser dans des médias grand public. L’objectif fondamental de l’enquête sociale est de documenter les conséquences indirectes des actions, de mettre en lumière les problèmes, de contribuer à faire émerger un public, bref de forger l’opinion. Elle est indispensable à l’élaboration des politiques publiques.
« There may well be honest divergence as to policies to be pursued, even when plans spring from knowledge of the same facts. But genuinely public policy cannot be generated unless it be informed by knowledge […]. » [38]
58À l’époque où H. Lasswell conçoit son programme, les sciences sociales valorisent la recherche fondamentale et se positionnent comme n’ayant pas atteint la maturité nécessaire pour déboucher sur d’éventuelles applications [39]. H. Lasswell prend le contre-pied de cette approche et retient de J. Dewey la nécessité de recourir aux sciences pour le repérage et la solution des problèmes. Ce sera justement le programme des policy sciences, auxquelles il assigne une double mission :
« The first task, which is the development of a science of policy forming and execution, uses the methods of social and psychological inquiry. The second task, which is the improving of the concrete content of the information and the interpretations available to policy-makers, typically goes outside the boundaries of social science and psychology. » [40]
60Conformément à la philosophie de J. Dewey, H. Lasswell pose que toutes les sciences sont susceptibles de participer à la compréhension et à la résolution des problèmes sociétaux.
« The policy orientation […] includes the results of the social, psychological, and natural sciences in so far as they have a bearing on the policy needs of a given period for adequate intelligence. » [41]
62H. Lasswell donne l’exemple du savoir de la physique nucléaire, indispensable à l’élaboration d’une politique de défense. De la même manière, dans l’esprit de J. Dewey (et de H. Lasswell), Politiques de la nature accorde aux sciences un rôle clé dans la caractérisation et la solution des controverses environnementales et technoscientifiques. Parmi les quatre corps de métier qui doivent participer à la composition du monde commun, trois appartiennent aux sciences : les économistes (science économique), les moralistes (sciences sociales) et les scientifiques (sciences naturelles et ingénieriques) [42].
63Le programme double des policy sciences imaginé par H. Lasswell consiste donc, d’une part, à comprendre le processus de formulation et d’implémentation des politiques publiques, ce qu’il nomme « the policy orientation » dans l’ouvrage fondateur de 1951 ; d’autre part, à améliorer ce processus en fournissant aux décideurs un savoir pertinent pour résoudre les problèmes de politique (policy problems), ce qu’il nommera plus tard « the problem orientation ». H. Lasswell met en garde les policy scientists contre la tentation de se pencher sur les problèmes du jour. C’est au contraire aux problèmes fondamentaux qu’ils doivent s’attaquer.
« The basic emphasis of the policy approach, therefore, is upon the fundamental problems of man in society. » [43]
65Outre les problèmes classiques de sécurité nationale, de santé publique et de stabilisation monétaire, H. Lasswell cite le contrôle des naissances, les communications de masse, la discrimination des Noirs, l’éducation, les droits humains, le chômage, la criminalité et même la protection environnementale.
66Sans surprise, la « problem orientation » est considérée par les commentateurs de H. Lasswell comme le trait distinctif de son programme. Pour Nick Turnbull [44], elle constitue l’opérateur qui permet d’articuler enquête scientifique et résolution des problèmes du public. À la fois objet d’étude des policy sciences et objet d’action des politiques publiques (rationalisées par les premières), les problèmes sociétaux font ainsi figure de catégorie fondatrice des policy sciences [45]. Le programme ne s’est évidemment jamais matérialisé tel que H. Lasswell l’envisageait. Pourtant, les problèmes sont bel et bien devenus l’alpha et l’oméga de l’analyse des politiques publiques, aussi bien dans sa version « post-positiviste » que « positiviste ». Les problèmes de politique sont donc une autre figure des objets du politique. Curieusement, B. Latour semble ignorer cette évolution et méconnaître l’histoire de la science politique plus globalement. Fidèle à sa tendance à présenter les STS comme révolutionnaires, il les crédite d’avoir démontré que les affaires définissent le politique :
« Science studies has made us realize retrospectively that politics has always been issue-oriented. » [46]
68L’analyse des politiques publiques et son insistance sur les problèmes sociétaux sont pourtant bien antérieures à l’émergence des STS qui, de ce point du vue, semblent plutôt avoir réinventé la roue. Si une discipline doit se voir attribuée la priorité de la découverte des objets du politique, nul doute que ce soit la science politique.
Stades du politique
69Nous venons de voir que les controverses technoscientifiques mises en avant par B. Latour appartiennent au même paradigme que les problèmes sociétaux qui occupent l’analyse des politiques publiques lasswellienne. De la même manière, ainsi qu’il a été dit en introduction, la conceptualisation du politique comme trajectoire des controverses rappelle étrangement le cycle de vie des politiques publiques. En science politique, le « cyclisme » est une conception classique, sans doute la plus connue, du processus de fabrication des politiques publiques. Ici encore, c’est H. Lasswell qui a introduit cette approche et, ici encore, c’est chez J. Dewey qu’il a trouvé son inspiration. D. Torgerson [47] explique que le point de départ de H. Lasswell est le modèle de la pensée réflexive comme résolution de problème élaboré dans How We Think [48]. J. Dewey pose dans cet ouvrage que l’activité réflexive débute par une situation pré-réflexive marquée par la perplexité et la confusion, et débouche sur une situation post-réflexive où le problème a été résolu, et qui procure un sentiment de maîtrise et de joie. Entre ces deux situations, le cycle de la pensée réflexive comporte cinq phases, qui sont autant de fonctions de la pensée. La phase 1 est celle de la suggestion, une idée qui vient spontanément à l’esprit sur ce qu’il convient de faire face à la situation qui perturbe le cours normal de l’action. La phase 2 est celle de l’intellectualisation, qui convertit la difficulté ou la perplexité ressentie en problème à résoudre, en question qui appelle une réponse. La phase 3, celle de l’hypothèse, utilise la suggestion de départ pour guider l’observation et la collecte de données, et transforme cette suggestion en supposition définie. La phase 4, celle du raisonnement, permet d’obtenir des termes intermédiaires qui assemblent en un tout cohérent des éléments qui au départ paraissent contradictoires. La phase 5, la vérification, teste l’hypothèse au moyen d’une action actuelle ou imaginée afin de la corroborer [49].
70À partir de cette conception « étapiste », H. Lasswell élabore une séquence du processus des politiques (policy process) dont la version définitive, formulée en 1956, comporte sept stades : intelligence, promotion, prescription, invocation, application, terminaison (termination), évaluation (appraisal) [50]. Cette approche pionnière a fourni un cadre à la recherche sur les politiques publiques et a servi de point de départ à de nombreuses typologies subséquentes. Aujourd’hui, la version standardisée utilisée par les chercheurs est le cycle de vie des politiques publiques, un modèle constitué de cinq stades [51] : 1/ Mise sur agenda : un problème sociétal est reconnu et placé sur la liste des sujets qui appellent une action publique ; 2/ Formulation d’alternatives : différentes solutions possibles au problème sont identifiées et évaluées ; 3/ Décision : la solution jugée la meilleure est officiellement approuvée et engendre une promesse d’action sous forme de loi ou de règlement ; 4/ Mise en œuvre : la décision est traduite en action, en politique publique, un financement et du personnel y sont assignées, et des règles de procédures sont développées ; 5/ Évaluation : l’efficacité de la politique implémentée est évaluée à la lumière de ses intentions et de ses résultats.
71La similitude du cycle de vie des politiques et de la trajectoire des controverses de B. Latour est patente. Les deux modèles sont constitués de cinq stades et on peut même établir une correspondance entre trois d’entre eux. Le deuxième stade de la trajectoire, le problème du public, correspond au premier stade du cycle, mise sur agenda. En effet, la reconnaissance des problèmes sociétaux, point de départ du cycle des politiques, est largement effectuée dans la sphère publique, dans les médias notamment. Le troisième stade de la trajectoire, la souveraineté, que B. Latour nomme aussi « la question schmittienne de la décision », correspond au troisième stade du cycle, décision. La correspondance est suffisamment nette pour qu’il ne soit pas nécessaire d’élaborer davantage. Enfin, le cinquième stade de la trajectoire, l’institution, correspond au quatrième stade du cycle, mise en œuvre. Les actes administratifs du stade institutionnel deviennent à toutes fins pratiques invisibles, affirme B. Latour. Dans la même veine, bien des politiques publiques perdurent quels que soient leurs résultats.
72Le cycle de vie des politiques publiques suscite des critiques nombreuses et récurrentes. Il y a vingt-cinq ans, certains ont annoncé son obsolescence et plaidé pour son abandon pur et simple [52]. Un tel programme a été poursuivi de manière particulièrement enthousiaste en France, où n’est guère prisé l’objectivisme de l’approche séquentielle [53]. Ce rejet a cependant lui-même été critiqué [54] et certains analystes, notamment dans le monde anglo-saxon, considèrent toujours le cycle de vie des politiques comme le meilleur moyen d’organiser l’étude des politiques publiques [55]. Force est de constater que des années d’assauts répétés ne sont pas parvenues à en sonner le glas. Werner Jann et Kai Wegrich affirment que sa persistance et son utilité tiennent à son rôle de traduction entre les nombreuses perspectives d’analyse des politiques publiques et d’intégration des différentes littératures du champ [56]. De fait, ses supporters lui attribuent d’abord et avant tout une valeur heuristique. Au-delà des divergences, le facteur qui réunit tous les auteurs est qu’il ne doit en aucun cas être tenu pour une description du processus décisionnel. J. Dewey lui-même insistait pour que son modèle séquentiel de la pensée réflexive ne soit pas pris au pied de la lettre :
« The five phases […] do not follow one another in a set order. » [57]
74B. Latour admet pareillement que sa trajectoire est une simplification de la dynamique des controverses. S’agissant du comportement de telle affaire, il écrit :
« Son mouvement ne sera pas forcément linéaire, mais peut sauter des étapes, monter ou descendre dans le tableau, demeurer sans bouger dans l’une ou l’autre des cases avant de s’agiter frénétiquement. » [58]
76La trajectoire des controverses possède vraiment tout pour être acceptée par la science politique. D’une part, on vient de le voir, elle reproduit le « cyclisme », forme de conceptualisation classique en analyse des politiques publiques. D’autre part, le contenu de ses stades reprend des catégories typiques de la théorie politique. Les stades 2 à 5 renvoient en effet à des dimensions du politique sur lesquelles des générations de théoriciens politiques modernes se sont penchées : public, souveraineté, démocratie, institution. Le cadre pragmatiste latourien permet de les envisager de manière ordonnée et circonscrite en les transposant sur la figure des objets du politique dont s’occupent les STS : les controverses technoscientifiques. En utilisant un (hypothétique) scénario linéaire et exhaustif, le processus se déploie ainsi : stade 2, une affaire surgit dans la sphère publique ; stade 3, elle oblige l’État à prendre une décision ; stade 4, pour correspondre aux normes démocratiques, cette décision suppose la création de procédures participatives ; stade 5, la décision prise est stabilisée et débouche sur des actes administratifs routiniers. Nous sommes clairement ici sur le terrain familier de la science politique.
77Voyons maintenant ce qu’il en est du stade 1, dont le contenu complexe semble faire appel à des catégories moins usuelles en science politique. On a vu dans la section 1 qu’il se définit par la nécessité de modifier l’ordonnancement du monde commun à la suite de l’introduction des nouvelles entités produites par les sciences. Il renvoie donc fondamentalement à ces nouveaux êtres.
« Le domaine de la politique au sens usuel paraît sans cesse débordé par l’irruption de nouveaux êtres. »
79Ces nouvelles entités supposent, et sont marquées par, de nouvelles associations.
« Un collectif avec ou sans exoplanètes n’est plus le même collectif, il ne forme plus les mêmes associations. »
81Voilà qui peut sembler élusif pour qui n’est pas familier du travail de B. Latour, mais un exemple tiré de son étude sur Pasteur permet d’y voir plus clair. La production de ces nouveaux êtres qu’étaient les « microbes » dans la France du 19e siècle a nécessité la formation de nouvelles associations entre bouillons de culture, chercheurs, animaux de ferme, hygiénistes, microscopes, éleveurs, etc. Bien entendu, la science n’est pas la seule pratique qui crée de nouvelles associations, on peut en dire autant des phénomènes dont P. Favre dit qu’ils alimentent le politique, de la démographie aux productions symboliques. B. Latour le confirme d’ailleurs dans une discussion sur certains tests sanguins.
« The biomedical tests […] produce new associations between humans and non humans (like all activities). » [59]
83On peut donc poser que le stade 1 est celui de la nouveauté. Et même si elle n’est pas la seule activité concernée, la science y occupe une place de premier plan. S’agissant des nouveaux êtres introduits dans le cosmos, B. Latour affirme que « depuis trois siècles mais chaque jour plus intensément, l’immense majorité provient des laboratoires » (p. 662). Contrairement aux stades 2 à 5, le stade 1 ainsi défini lui permet d’intégrer l’ensemble des productions scientifiques au politique. Par définition, une découverte introduit du nouveau dans la réalité.
84Avec le stade 1, B. Latour s’inscrit donc dans la longue tradition de théorie politique – qu’on peut faire remonter à Héraclite – qui conceptualise le politique comme événement. Si ce premier stade peut paraître de prime abord exotique, à l’examen, son contenu ne pose pas problème pour la science politique. On comprend mieux ici pourquoi P. Favre, à son corps défendant, adopte le modèle pragmatiste latourien, aussi bien la trajectoire que les stades qui la composent. Ce modèle cherche en effet à penser la politicité des sciences tout en conservant un degré de généralité suffisant pour s’appliquer à une foule d’autres pratiques. La science produit des entités et des affaires politiques certes inédites, mais elle intègre la sphère du politique de la même manière que n’importe quelle autre activité. C’est justement ici que le bât blesse. Le rapprochement bien réel avec la science politique, rendu possible grâce au détour par le pragmatisme, prive le travail de B. Latour de ce qui faisait son originalité : la capacité à expliquer ce qui rend les sciences politiquement uniques.
Politicité des sciences
85Qu’elles soient étiquetées industrielles, modernes, occidentales, du risque, capitalistes, du loisir, post-modernes, ou néolibérales, les sociétés dans lesquelles nous vivons sont fondamentalement des sociétés technoscientifiques. Le moins que l’on puisse attendre de la théorie politique, c’est d’être capable d’en rendre compte. La voie certainement la plus prometteuse est de théoriser la politicité des sciences [60]. Bien que cet effort pour comprendre en quoi les sciences naturelles et ingénieriques [61] sont intrinsèquement politiques ait été poursuivi par une bonne partie de la philosophie politique du 20e siècle, c’est surtout au nom de B. Latour qu’il est attaché. La raison est sans doute à chercher du côté de la célèbre formule qui résume la théorie politique des sciences développée au début des années 1980 : « science is politics by other means ». Dans ce qui suit, nous verrons pourquoi la théorie de la science comme productrice de controverses, d’objets du politique, marque un recul par rapport à cette théorie initiale.
Science is politics by other means
86C’est dans son étude sur Pasteur et l’émergence de la microbiologie que B. Latour a formulé sa première théorie [62]. Il analyse la microbiologie comme pratique politique en dégageant trois aspects [63]. En premier lieu, la microbiologie permet la poursuite d’objectifs politiques.
« Give us laboratories and we will make possible the Great War without infection, we will open tropical countries to colonization, we will make France’s army healthy, we will increase the number and strength of her inhabitants, we will create new industries. » [64]
88En deuxième lieu, elle modifie la composition de la société en y ajoutant une nouvelle entité non humaine.
« Microbiology laboratories are one of the few places where the very composition of the social context has been metamorphosed. It is not a small endeavour to transform society so as to include microbes and microbe-watchers in its very fabric. » [65]
90En troisième lieu, elle procède à une série d’interventions dans différents secteurs d’activité sociale.
« […] The influence of Pasteurian laboratories reached further, deeper, and more irreversibly since they could intervene in the daily details of life – spitting, boiling milk, washing hands – and at the macroscale – rebuilding sewage systems, colonizing countries, rebuilding hospitals […]. » [66]
92Le premier aspect établit que la science relève du politique (science is politics…) d’une manière tout à fait conventionnelle. En effet, des projets tels que gagner une guerre ou coloniser des territoires étrangers sont à l’évidence des objectifs politiques classiques, qui n’ont pas attendu la science moderne pour être poursuivis. Les deux autres aspects constituent la spécificité politique de la science (… by other means). Le deuxième renvoie à la production par la science de nouvelles entités non humaines, les microbes par exemple. La production de nouvelles entités n’est pas spécifique à la science, et B. Latour établit d’ailleurs un parallèle entre deux phénomènes du 19e siècle : le surgissement des microbes grâce aux chercheurs pastoriens et le surgissement des masses laborieuses grâce aux politiciens socialistes. Ce n’est donc pas la production de nouvelles entités qui caractérise la science mais bien la production de nouvelles entités non humaines. Les non-humains relèvent de la juridiction exclusive de la science. Par ailleurs, si l’ajout de ces entités transforme la composition de la société, il ne modifie pas la société comprise comme ensemble de pratiques ou d’activités. Un tel changement apparaît avec le troisième aspect, qui renvoie aux multiples interventions de la science. Elles sont constituées de pratiques de laboratoire qui se répandent et reconfigurent nos manières de faire. Dans le cas de la microbiologie, des pratiques telles l’antiseptie, l’isolement et la pasteurisation transforment un ensemble d’activités, que ce soit les interventions chirurgicales, la construction des égouts ou la production des aliments. Ici, il est essentiel de comprendre qu’au-delà de leur diversité, ces procédures scientifiques variées, qui envahissent différents secteurs d’activité sociale, forment un tout. Elles constituent une politique (policy) ciblée sur une catégorie de non-humains. On peut ainsi résumer de la manière suivante la politique microbiologique : « les microbes doivent être neutralisés ». Toutes ces pratiques visent en effet à les neutraliser, soit en les détruisant (aseptie), soit en les affaiblissant (vaccin). Les entités non humaines produites par la science sont donc une source d’objectifs et de politiques originaux, spécifiques à la science, qui transforment la société. B. Latour résume ainsi :
« Sciences are used to transform society and redefine what it is made of and what are its aims. » [67]
94On peut articuler et illustrer ici les trois dimensions de la théorie. La poursuite d’un objectif classique comme la colonisation de territoires suppose bien sûr des politiques qui ciblent des entités humaines : entraînement de soldats, financement de marchands et recrutement de colons. Mais les chances de réalisation de cet objectif sont démultipliées par la science qui fixe des objectifs inédits et implémente des politiques originales à partir des entités non humaines qu’elle contrôle. Le laboratoire de microbiologie, par exemple, permet de concevoir une politique originale alliant un objectif singulier, la neutralisation de l’entité « virus », et la mise en place d’une pratique singulière, la vaccination des corps expéditionnaires. B. Latour énonce de manière éloquente la signification d’une telle politique :
« Envahissez l’Afrique avec une volonté de domination, avec du pouvoir, et vous serez morts avant longtemps ou resterez confinés le long des côtes. Mais envahissez-la avec un Institut Pasteur, et vous dominerez pour de vrai. » [68]
96Seule la science peut engendrer de tels effets de majoration. En produisant de l’existant non humain et en y élargissant le domaine de l’action politique, les laboratoires scientifiques bouleversent et orientent la société comme aucune autre force n’est capable de le faire. Science is politics by other means signifie que l’ordre social se crée par des pratiques de laboratoire, par des actions qui ciblent les non-humains, et que seule la science peut mener. Voilà ce qui la rend politiquement unique.
97Cette théorie forte rend pleinement justice à la notion de politicité des sciences, et B. Latour a continué de s’en réclamer. Il affirme ainsi dans l’un de ses textes des années 2000 : « science and technology are political, yes, but by other means » [69]. Une telle déclaration paraît toutefois purement rhétorique quand on la met en parallèle avec le cadre pragmatiste qu’il propose dans le même souffle. On a vu en effet que tous ses efforts sont concentrés sur l’élaboration d’une approche qui efface le caractère distinctif de la science. Dans sa théorie pragmatiste, celle-ci est politique au même titre que n’importe quelle activité. De la théorie initiale il ne reste qu’une trace, la définition du stade 1 comme production de nouveaux êtres. Mais l’élaboration d’objectifs spécifiques à certains de ces êtres, les non-humains, la mise en place de politiques qui ne peuvent être menées que par elle, bref ce qui distingue la science a entièrement disparu.
Pourquoi les exoplanètes sont-elles politiques ?
98On peut évaluer la valeur respective des deux théories politiques des sciences proposées par B. Latour en utilisant le cas des exoplanètes. Dans son modèle pragmatiste, elles sont placées au stade 1.
« […] Un collectif avec ou sans exoplanètes n’est plus le même collectif, il ne forme plus les mêmes associations, il est fondamentalement bouleversé. On ne vit pas dans le même cosmos, dans le même univers, dans le même monde s’il existe une seule planète, notre bonne vieille Terre, ou une infinité de planètes dont certaines sont susceptibles de développer des formes de vie […]. La découverte des exoplanètes est-elle politique ? Mais non, bien sûr. Est-elle politique ? Oui, sans aucun doute : un grand chambardement est introduit dans l’ordre du monde selon qu’on les multiplie ou qu’on en réduit le nombre. »
100On l’a vu plus haut, P. Favre admet la définition du stade 1 en termes de représentation et d’ordonnancement du cosmos. Cependant, à ses yeux, les nouvelles associations que suppose la multiplication des exoplanètes ne conduisent nullement à une modification de nos représentations :
« L’exemple des exoplanètes que Latour sollicite à plusieurs reprises conduit aux mêmes conclusions […]. Le fait qu’il existe d’autres planètes où la vie est possible ne change pas réellement notre représentation de l’univers : l’idée même d’une vie extraterrestre est après tout fort ancienne. »
102Bref, contrairement à B. Latour, P. Favre estime que les exoplanètes n’appartiennent pas au domaine politique.
103Le désaccord de nos auteurs est toutefois de courte durée puisqu’ils affirment tous deux que le statut politique des exoplanètes pourrait changer. Pour B. Latour, elles sont susceptibles de se déplacer et d’atteindre un autre stade de la trajectoire, par exemple le stade 2 si une controverse éclatait. Mais elles pourraient tout aussi bien aboutir au stade 3 :
« Ne jurons pas que la question des exoplanètes ne deviendra jamais une question politique[3] : s’il fallait un jour quitter notre Terre ravagée, ne faudrait-il pas dire de ceux qui en superviseraient l’exode qu’ils engagent, de la façon la plus radicale qui soit, la grande question schmittienne de la décision ? »
105P. Favre est entièrement d’accord sur le fait que la colonisation d’exoplanètes serait politique, mais conteste la pertinence de discuter de cette éventualité :
« La politisation reste évidemment possible […]. S’il faut un jour que l’humanité quitte la Terre pour se réfugier sur une autre planète, il y aurait là du politique, au sens du moins où on l’entend aujourd’hui, mais faut-il vraiment s’arrêter à cet exemple ? Cela ne sera probablement ni possible ni nécessaire avant plusieurs milliers d’années, voire bien davantage […]. »
107La capacité du modèle pragmatiste latourien à rendre compte du caractère politique des exoplanètes paraît donc singulièrement limitée. Soit elles le sont mais uniquement parce qu’elles changent notre représentation du monde, soit elles ne le sont pas mais le deviendront peut-être dans un lointain avenir, quand l’abandon de la terre aura été décidé par les pouvoirs en place. Si B. Latour et P. Favre s’entendent si bien sur cette deuxième proposition, c’est parce que, paradoxalement, le modèle pragmatiste latourien reconduit la fameuse « constitution moderne » que B. Latour combat depuis trois décennies [70]. Nous avons donc d’un côté l’astronomie qui s’attache à découvrir des exoplanètes par amour de la connaissance, et de l’autre côté, un souverain qui décide des milliers d’années plus tard que nous irons habiter lesdites planètes. Malheureusement, l’étude des exoplanètes ne correspond pas à ce cadrage puisqu’elle est déjà en train de s’articuler à une politique de « proximisation » interstellaire [71], à laquelle tous les astronomes souscrivent. Ainsi Stéphane Udry, professeur au département d’astronomie de l’Université de Genève et responsable d’une des meilleures équipes dans l’identification d’exoplanètes, déclarait en 2009 :
« Si maintenant on était capables d’affréter un énorme vaisseau spatial, qui partirait pour 20-30 ans, avec des familles et tout ce qu’il faut pour subsister pendant le voyage, des serres, des animaux… je pense qu’on trouverait facilement des volontaires […]. Mais pour l’heure, nous n’avons pas les moyens technologiques. Cela n’empêche pas qu’on y pense, et de manière aussi tout à fait scientifique. » [72]
109Les exoplanètes sont des planètes situées à l’extérieur de notre système solaire, qui orbitent d’autres étoiles. Leur existence est postulée depuis Giordano Bruno et, pendant des décennies, les astronomes ont tenté d’en documenter l’existence. Plusieurs fausses détections ont été rapportées, la plus connue concerne les planètes de l’étoile de Barnard, détectées dans les années 1960 et dont l’existence a été réfutée à partir de 1973 [73]. C’est en 1992 que la première exoplanète a été confirmée [74]. Par la suite, grâce à de nombreuses avancées technologiques, en spectrométrie par exemple, les découvertes se sont multipliées par centaines. Les premières exoplanètes découvertes étaient des géantes gazeuses dépourvues de surface solide, comme Jupiter [75]. La donne a changé en mars 2009, quand la NASA a lancé la mission Kepler, un téléscope spatial dont l’objectif est de trouver dans notre galaxie des exoplanètes similaires à la terre, c’est-à-dire orbitant leur étoile à une distance qui leur confère une température pouvant supporter de l’eau liquide à leur surface, ce qu’on appelle la zone habitable. Quatre ans après son lancement, Kepler avait découvert 122 nouvelles exoplanètes confirmées et 2 700 candidates. De ce nombre, une cinquantaine orbitent en zone habitable [76].
110La théorie « science is politics by other means » permet de comprendre pourquoi l’astronomie contemporaine, comme la microbiologie, est une pratique politique. L’erreur commune à B. Latour et à P. Favre est de postuler que la colonisation d’exoplanètes participera d’un objectif aussi grandiose que lointain : assurer la pérennité de l’espèce humaine suite à la complète dégradation des conditions de vie sur terre. En réalité, la politique de proximisation interstellaire qui est en train de se mettre en place poursuit des objectifs politiques qui n’ont rien à voir avec ce scénario-catastrophe. Le plus important est probablement l’abolition de la limite terrestre à la croissance économique [77]. Comme la neutralisation des microbes, la proximisation des exoplanètes mettra en œuvre un ensemble de pratiques de laboratoire, parmi lesquelles pourraient figurer non seulement de nouvelles techniques de propulsion, mais aussi la biostase, la protection face aux rayons cosmiques et le contrôle de la gravité.
111En octobre 2010, la DARPA [78] et la NASA se sont associées pour lancer la 100-Year Starship Study. D’une durée d’un an, l’étude visait à concevoir un modèle d’affaires pour encourager la R & D nécessaire à la réalisation d’un voyage interstellaire d’ici cent ans :
« The 100-Year Starship study looks to develop the business case for an enduring organization designed to incentivize breakthrough technologies enabling future spaceflight. » [79]
113Un atelier de planification stratégique s’est tenu en janvier 2011. L’une de ses conclusions était qu’en vertu de l’instabilité créée par les changements de majorité politique et les considérations budgétaires de court terme, le gouvernement n’était pas une source fiable de support pour un projet destiné à se déployer sur plusieurs décennies. L’organisation à mettre en place devrait être indépendante du gouvernement et assurer le financement des recherches à partir de donateurs [80]. Un appel à projets a débouché sur la création en 2012 de la Fondation 100-Year Starship. Dirigée par l’ingénieure et médecin Mae Jemison, ancienne astronaute de la NASA, la Fondation a reçu une subvention de démarrage d’un demi-million de dollars qui couvre la période 2012-2014, et devra ensuite devenir autonome financièrement [81]. Afin d’assurer le financement des nombreuses recherches nécessaires à la réalisation d’un voyage interstellaire [82], l’un de ses principaux objectifs est de susciter l’intérêt du grand public.
114La vitesse est sans doute le défi le plus important de la politique de proximisation interstellaire. Proxima Centauri, l’étoile la plus proche de notre soleil, se trouve à 4,24 années-lumière, ce qui signifie que le vaisseau Apollo, qui a atteint la lune en trois jours, mettrait 900 000 ans pour y arriver. Depuis plusieurs années, de nombreuses recherches sont menées, qui visent à maîtriser des lois physiques qui permettraient de créer des formes alternatives de propulsion pour approcher la vitesse de la lumière. Afin de monitorer et d’établir des critères pour évaluer les voies de recherches susceptibles de contribuer à la création d’un vaisseau interstellaire, la NASA avait mis sur pied le Breakthrough Propulsion Physics Project, qui a été activement financé de 1996 à 2002, et s’est poursuivi jusqu’en 2008. Les résultats du projet ont été publiés en 2009, dans un épais manuel qui répertorie les recherches de « physique révolutionnaire », aux allures de science-fiction, régulièrement publiées dans les revues scientifiques [83]. Le financement, la continuité et la diffusion de telles recherches devraient être consolidés par la Fondation 100-Year Starship. Notons qu’il existe aussi une autre initiative, Icarus Interstellar, qui finance et mène des recherches, notamment sur la propulsion à fusion nucléaire, afin de réaliser un vol interstellaire d’ici 2100.
115Un événement survenu en janvier 2013 a marqué une nouvelle étape dans la politique astronomique des exoplanètes. La découverte du système planétaire Kepler-62 a provoqué un véritable raz de marée [84]. Ce système est constitué de cinq planètes dont deux, Kepler-62e et Kepler-62f, se trouvent en zone habitable. L’excitation provient de ce que ces planètes rencontrent les deux critères qui déterminent si une exoplanète est similaire à la terre. L’orbite en zone habitable d’une part, et la taille d’autre part. De ce point de vue, Kepler-62f est particulièrement prometteuse car elle n’est que 40 % plus grande que la terre [85]. Pour cette raison, elle est considérée comme la meilleure planète révélée par la mission Kepler. Cela dit, même si elle s’avérait habitable, elle ne sera jamais visitée par des humains puisqu’elle est située à 1 200 années-lumière. Mais la découverte d’une « super-terre », selon la terminologie scientifique, a achevé de convaincre les astronomes qu’une réplique de la terre sera découverte incessamment. Un chercheur de la mission Kepler a ainsi déclaré :
« We haven’t found Earth 2.0 yet, but we can taste it, smell it, right there on our technological fingertips. » [86]
117La découverte du système Kepler-62 a conduit à l’organisation d’audiences publiques par le Comité sur la science, l’espace et la technologie du Congrès américain, qui se sont tenues le 9 mai 2013 sous le titre « Exoplanet Discoveries : Have We Found Other Earths ? ». Dans son discours d’ouverture, le président du Comité, le député Lamar Smith, a affirmé :
« Space exploration is an investment in our nation’s future […]. I don’t know if space is the final frontier, but I believe it is the next frontier. » [87]
119Il est très probable que la découverte d’une réplique terrienne à une distance inférieure à 15 années-lumière sera la meilleure garantie de succès de la politique de proximisation interstellaire poursuivie par la science.
120* * *
121Comme l’a récemment souligné Didier Debaise [88], il existe plusieurs clés d’interprétation pour aborder l’œuvre de Bruno Latour. La critique [89] du rationalisme en est une, que Michel Dubois [90] a très bien mise en évidence. Cette critique a d’abord emprunté la forme d’une théorie politique des sciences qui a ouvert un vaste chantier. En effet, elle a convaincu un très grand nombre de chercheurs, dans le champ STS et au-delà, que la science est une institution dont la capacité d’agir sur la société est aussi importante, sinon plus, que celle des acteurs et institutions officiellement reconnus comme politiques. Cette théorie a inspiré de nombreuses recherches subséquentes en histoire, en philosophie des sciences, en théorie politique et dans bien d’autres disciplines. La popularité de la formule « science is politics by other means » en témoigne.
122Depuis la fin des années 1990, notamment avec Politiques de la nature [91] puis le Manifeste compositionniste [92], la théorie politique des sciences de B. Latour a pris un virage résolument ontologique. Aujourd’hui, l’ontologie est clairement le terrain qu’il a choisi d’occuper, comme en fait foi l’Enquête sur les modes d’existence [93]. Désormais, il semble que la critique latourienne du rationalisme ne passe plus par une compréhension politique de la science, mais par la mise en cause de sa prétention à être la seule institution capable d’instaurer le réel. La science n’est qu’un mode de véridiction, qu’un mode d’existence, parmi d’autres.
123La théorie pragmatiste de B. Latour discutée ici participe de cette orientation ontologique, puisque le stade 1 de la trajectoire des controverses technoscientifiques est une concaténation du compositionnisme. Ce n’est certainement pas faire injure à B. Latour d’affirmer que, du point de vue de la science politique, la théorie pragmatiste marque un recul face à sa théorie politique initiale. D’une part, comme le montre la critique de P. Favre, elle ne parvient pas à convaincre que tous les produits de la science sont politiques, ce qui est pourtant l’une de ses visées. D’autre part, et surtout, elle abandonne le projet de saisir la place unique qu’occupe la science dans l’organisation politique de la modernité. Si le présent texte a rappelé l’ambition qui semblait jadis animer B. Latour, il aura atteint son but [94].
Notes
-
[1]
Bruno Latour, « Pour un dialogue entre science politique et science studies », Revue française de science politique, 58 (4), août 2008, p. 657-678.
-
[2]
Pierre Favre, « Ce que les science studies font à la science politique : réponse à Bruno Latour », Revue française de science politique, 58 (5), octobre 2008, p. 817-829.
-
[3]
Nous laissons de côté le sixième sens, parce qu’il renvoie aux sens du mot « science » et nous éloignerait de notre propos.
-
[4]
Dans un entretien donné en 2012, Bruno Latour affirme que son texte cherchait à établir un contact avec les politologues parce qu’il venait d’arriver à Sciences Po. Cf. Laurent Godmer, David Smadja, « L’œuvre de Bruno Latour : une pensée politique exégétique », Raisons politiques, 47, 2012, p. 115-148, notamment p. 135.
-
[5]
L’extraordinaire néologisme « politicité » a été forgé par le politologue Nicolas Tenzer dans son ouvrage La politique, Paris, PUF, 1991 (Que sais-je ?), p. 108.
-
[6]
C’est tout le mérite de Mark Brown d’avoir traité B. Latour comme philosophe politique plutôt que comme théoricien (« sociologue ») de l’acteur-réseau. Cf. Mark Brown, Science in Democracy. Expertise, Institutions, and Representation, Cambridge, MIT Press, 2009. Mentionnons également Graham Harman, Bruno Latour. Reassembling the Political, Londres, Pluto Press, 2014.
-
[7]
Bruno Latour, Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte, 2004 (1re éd. : 1991).
-
[8]
Bruno Latour, « From Realpolitik to Dingpolitik, or How to Make Things Public », dans Making Things Public. Atmospheres of Democracy, Karlsruhe, Zentrum für Kunst und Medientechnologie, 2005, p. 4-31 (catalogue de l’exposition qui s’est tenue du 19 mars au 7 août 2005) ; et « Turning Around Politics : A Note on Gerard de Vries’ Paper », Social Studies of Science, 37 (5), 2007, p. 811-820.
-
[9]
B. Latour, ibid., p. 813.
-
[10]
Cet argument s’enracine dans la thèse que développe B. Latour notamment dans Politiques de la nature (op. cit.). La science vit encore dans un régime absolutiste. Il faut donc se doter d’institutions démocratiques afin de limiter son pouvoir, c’est-à-dire ne pas accepter d’emblée toutes les entités qu’elle veut introduire dans le collectif (voir p. 288).
-
[11]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814.
-
[12]
J’utilise le terme technoscience au sens de science possédant une puissance opératoire, ce que Patrick Carroll appelle « engine science », et non comme label diffamatoire, une tendance malheureusement trop prononcée dans certains cercles. Cf. à ce sujet, François-David Sebbah, Qu’est-ce que la technoscience ? Une thèse épistémologique ou la fille du diable ?, Paris, Les Belles Lettres, 2010.
-
[13]
Noortje Marres, « No Issue, No Public : Democratic Deficits after the Displacement of Politics », thèse de doctorat, Amsterdam, University of Amsterdam, 2005.
-
[14]
L’influence du pragmatisme sur la pensée de B. Latour est antérieure au milieu des années 2000, et dépasse la question des controverses. Elle est manifeste notamment dans son relationnisme.
-
[15]
Walter Lippmann, The Phantom Public, New York, Transaction Publishers, 1925, p. 77. L’ouvrage a été traduit en français sous le titre Le public fantôme, Paris, Démopolis, 2009, avec une longue préface de B. Latour.
-
[16]
W. Lippmann, ibid.
-
[17]
John Dewey, The Public and its Problems, Philadelphie, Pennsylvania State University Press, 2012.
-
[18]
J. Dewey, ibid., p. 48.
-
[19]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814-815.
-
[20]
Allan Mazur, « Disputes Between Experts », Minerva, 11 (2), 1973, p. 243-262 ; « Science Courts », Minerva, 15 (1), 1977, p. 1-14 ; et Dynamics of Technical Controversy, Washington, Communications Press, 1982.
-
[21]
Dorothy Nelkin, Nuclear Power and its Critics. The Cayuga Lake Controversy, Ithaca, Cornell University Press, 1971 ; « The Political Impact of Technical Expertise », Social Studies of Science, 5 (1), 1975, p. 35-54 ; et Controversy. Politics of Technical Decisions, Beverly Hills, Sage Publications, 1979.
-
[22]
Michel Callon et al., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001.
-
[23]
J. Dewey, The Public and Its Problems, op. cit., p. 46.
-
[24]
J. Dewey, ibid., p. 48.
-
[25]
Au moment de sa création, le BAPE était indéniablement une innovation politique. L’importante littérature de sciences sociales qui souligne le manque d’articulation entre les institutions du débat public et la décision politique plaiderait pour une reprise de l’expérimentation.
-
[26]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814.
-
[27]
B. Latour, ibid., p. 819.
-
[28]
B. Latour, Politiques de la nature…, op. cit.
-
[29]
La fameuse séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu ne comporte pas seulement la séparation du Législatif, de l’Exécutif et du Judiciaire. S’inspirant du cas anglais, Montesquieu défend également la séparation du corps législatif en deux chambres (Commons et Lords) pour éviter que le peuple ne prive les nobles de leur liberté. Cf. Montesquieu, De l’esprit des lois. I, Paris, Gallimard, 1995 (1re éd. : 1748), p. 333.
-
[30]
http://legifrance.com/affichCode.do;jsessionid=0767080DDF35349B2A8874540D4755B1.tpdjo06v_1?idSectionTA=LEGISCTA000006159282&cidTexte=LEGITEXT000006074220&dateTexte=20121026.
-
[31]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 814.
-
[32]
James Farr et al. (eds), Political Science in History, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.
-
[33]
Harold Lasswell, A Pre-View of Policy Sciences, New York, American Elsevier Publishing, 1971, p. XIII-XIV.
-
[34]
Douglas Torgerson, « Policy Analysis and Public Life : The Restoration of Phronesis ? », dans J. Farr et al. (eds), Political Science in History, op. cit., p. 225-252.
-
[35]
John Dewey, How We Think, Chicago, Heath & Compagny, 1933.
-
[36]
Timothy Kaufman-Osborn, « Pragmatism, Policy Science, and the State », American Journal of Political Science, 29 (4), 1985, p. 827-849.
-
[37]
J. Dewey, The Public and Its Problems, op. cit., p. 137.
-
[38]
J. Dewey, ibid., p. 138.
-
[39]
Peter de Leon, Danielle Vogenbeckin, « The Policy Sciences at the Crossroads », et Douglas Torgerson, « Promoting the Policy Orientation : Lasswell in Context », dans Frank Fischer et al. (eds), Handbook of Public Policy Analysis. Theory, Politics, and Methods, Boca Raton, CRC Press, 2007, p. 3-14 et p. 15-28.
-
[40]
Harold Lasswell, « The Policy Orientation », dans Daniel Lerner, Harold Lasswell (eds), The Policy Sciences, Stanford, Stanford University Press, 1951, p. 3.
-
[41]
H. Lasswell, ibid., p. 4.
-
[42]
B. Latour, Politiques de la nature…, op. cit.
-
[43]
H. Lasswell, « The Policy Orientation », cité, p. 8.
-
[44]
Nick Turnbull, « Harold Lasswell’s “Problem Orientation” for the Policy Sciences », Critical Policy Studies, 2 (1), 2008, p. 72-91.
-
[45]
Nick Turnbull, « How Should We Theorise Public Policy ? Problem Solving and Problematicity », Policy and Society, 25 (2), 2006, p. 3-22.
-
[46]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 815.
-
[47]
D. Torgerson, « Policy Analysis and Public Life… », cité, p. 236.
-
[48]
J. Dewey, How We Think, op. cit.
-
[49]
Il s’agit d’une version simplifiée du modèle décrit par J. Dewey.
-
[50]
Harold Lasswell, The Decision Process. Seven Categories of Functional Analysis, College Park, Bureau of Governmental Research, College of Business and Public Administration, University of Maryland, 1956.
-
[51]
Il va sans dire que ce qui suit est une schématisation extrême de chacun des stades. Nous nous inspirons surtout de Michael Howlett et al., Studying Public Policy. Policy Cycles & Policy Subsystems, Toronto, Oxford University Press, 2009.
-
[52]
Paul Sabatier, « Toward Better Theories of the Policy Process », Political Science and Politics, 24, 1991, p. 147-156.
-
[53]
Cf. notamment Bruno Jobert, Pierre Muller, L’État en action, Paris, PUF, 1987 ; Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, PUF, 1994 ; Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.), Les réseaux de politique publique. Débat autour des policy networks, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 1998 ; Patrick Hassenteufel, Sociologie politique. L’action publique, Paris, Armand Colin, 2011.
-
[54]
Peter de Leon, « The Stages Approach to the Policy Process : What Has It Done ? Where Is It Going ? », dans Paul Sabatier (ed.), Theories of the Policy Process, Boulder, Westview Press, 1999, p. 19-32.
-
[55]
M. Howlett et al., Studying Public Policy…, op. cit. La deuxième partie de l’ouvrage reprend le cycle de vie, en enrichissant chacun des stades par des résultats plus récents, par exemple la prise en compte des acteurs et des idées.
-
[56]
Werner Jann, Kai Wegrich, « Theories of the Policy Cycle », dans F. Fischer et al. (eds), Handbook of Public Policy Analysis…, op. cit., p. 43-62.
-
[57]
J. Dewey, How We Think, op. cit., p. 115.
-
[58]
B. Latour, « Pour un dialogue… », art. cité, p. 669.
-
[59]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 816 (nous soulignons).
-
[60]
Par contraste avec la « politisation », dont le postulat semble être que la condition normale de la science est apolitique.
-
[61]
Grâce au travail de Michel Foucault, ce sont surtout les sciences humaines dont le caractère politique est largement reconnu. Plus près de nous, et pour s’en tenir à la France, cf. aussi Pascale Laborier et al. (dir.), Les sciences camérales, Paris, PUF, 2011 ; Olivier Ihl et al., Les sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003.
-
[62]
Bruno Latour, Les microbes. Guerre et paix, Paris, Anne-Marie Métailié, 1984.
-
[63]
Je me sers ici de B. Latour, « Give Me a Laboratory and I will Raise the World », dans Karin, Knorr, Michael Mulkay (eds), Science Observed. Perspectives on the Social Study of Science, Los Angeles, Sage, 1983, p. 141-170. Ce texte permet beaucoup mieux que Les microbes (op. cit.) de saisir que l’analyse latourienne des sciences est fondamentalement politique, et non pas sociologique. Cf. à ce sujet, Eve Seguin, « Bloor, Latour, and the Field », Studies in History and Philosophy of Science, 31A (3), 2000, p. 503-508.
-
[64]
B. Latour, « Give Me a Laboratory… », cité, p. 159.
-
[65]
B. Latour, ibid., p. 158.
-
[66]
B. Latour, ibid.
-
[67]
B. Latour, ibid., p. 144.
-
[68]
B. Latour, Les microbes…, op. cit., p. 158-159.
-
[69]
B. Latour, « Turning Around Politics… », art. cité, p. 813.
-
[70]
Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.
-
[71]
Le terme de proximisation est plus précis que ceux qu’on trouve dans la littérature, tels exploration et colonisation. Il désigne le fait de rendre les exoplanètes atteignables, de surmonter leurs énormes distances. Nous le préférons à celui de colonisation pour deux raisons. D’une part, c’est bien du voyage interstellaire lui-même dont il est question dans la littérature, et non de l’organisation des conditions de vie sur les exoplanètes. D’autre part, si une politique de colonisation est un jour adoptée, elle obéira probablement à des objectifs politiques différents de ceux de la politique de proximisation, et se matérialisera dans des pratiques de laboratoire – telles la bioingénierie des êtres humains et le terraforming des planètes – distinctes de celles mises en œuvre par la proximisation. Sur ces dernières, voir p. 299.
-
[72]
Cité dans Marc-André Miserez, « E.T., ce n’est bientôt plus de la science-fiction », Swissinfo.ch, 27 décembre 2009 (en ligne).
-
[73]
Gregory Matloff, Deep-Space Probes. To the Outer Solar System and Beyond, Chichester, Springer, 2005.
-
[74]
Aleksander Wolszczan, Dale Frail, « A Planetary System Around the Millisecond Pulsar PSR1257 + 12 », Nature, 355 (6356), 1992, p. 145-147.
-
[75]
G. Matloff, Deep-Space Probes…, op. cit.
-
[76]
Témoignage de John Grunsfeld, administrateur de la NASA, au Congrès américain, 9 mai 2013, <https://science.house.gov/sites/republicans.science.house.gov/files/documents/HHRG-113-SY16-WState-JGrunsfeld-20130509.pdf> (consulté le 16 février 2015).
-
[77]
Andrea Sommariva, « Motivations Behind Interstellar Exploration and Colonization », Astropolitics. The International Journal of Space Politics & Policy, 12 (1), 2014, p. 82-94.
-
[78]
Defense Advanced Research Projects Agency. C’est l’agence « high-tech » du département de la Défense américain, qui encourage les recherches les plus aventureuses afin de garantir l’hégémonie technoscientifique américaine.
-
[79]
DARPA, « DARPA/NASA Seek to Inspire Multigenerational Research and Development », communiqué de presse, 28 octobre 2010.
-
[80]
DARPA, The 100-Year Starship Study. Strategy Planning Workshop Synthesis & Discussions, <https://web.archive.org/web/20111203110443/http://www.100yss.org/pdf/100YSS_January_Synopsis.pdf> (consulté le 16 février 2015).
-
[81]
Communication personnelle de Madame Alires Almon, responsable des activités de diffusion de la Fondation.
-
[82]
Loin de se limiter à l’astronautique et à la physique, tout un un éventail de disciplines est concerné, incluant la science politique.
-
[83]
Marc Millis, Eric Davis (eds), Frontiers of Propulsion Science. Progress in Astronautics and Aeronautics, Reston, American Institute for Aeronautics and Astronautics, 2009.
-
[84]
William Borucki et al., « Kepler-62 : A Five-Planet System with Planets of 1.4 and 1.6 Earth Radii in the Habitable Zone », Science, 540, 3 mai 2013, p. 587-590.
-
[85]
Les astronomes pensent qu’une trop grande taille empêcherait le recyclage de l’atmosphère de la planète par la tectonique des plaques.
-
[86]
Cité dans Dennis Overbye, « Two Promising Places to Live : 1,200 Light-Years From Earth », New York Times, 19 avril 2013, p. A1.
- [87]
-
[88]
Didier Debaise, « Qu’est-ce qu’une subjectivité non humaine ? L’héritage néo-monadologique de B. Latour », Archives de philosophie, 75 (4), 2012, p. 587-596.
-
[89]
Nous n’ignorons pas le positionnement de B. Latour face à la critique.
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[90]
Michel Dubois, La nouvelle sociologie des sciences, Paris, PUF, 2001.
-
[91]
B. Latour, Politiques de la nature…, op. cit.
-
[92]
Bruno Latour, « An Attempt at a “Compositionist Manifesto” », New Literary History, 41 (3), 2010, p. 471-490 ; et « Il n’y a pas de monde commun : il faut le composer », Multitudes, 45 (2), 2011, p. 38-41.
-
[93]
Bruno Latour, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des Modernes, Paris, La Découverte, 2012.
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[94]
Plusieurs collègues, amis, et étudiants ont eu la gentillesse de lire ce texte et de faire des suggestions pour l’améliorer. Il est certain que la version finale aurait présenté moins de défauts si j’avais suivi l’ensemble de leurs recommandations. Je suis particulièrement reconnaissante à Virginie Tournay pour son appui et sa lecture généreuse. Remerciements spéciaux à Frédéric Chauvière, qui a lu le présent travail comme « science-fiction », et à François Claveau, pour m’avoir accusée du pire des péchés, celui d’« exégèse » ! Merci également aux évaluateurs anonymes et au directeur de la RFSP. Finally, I am truly sorry that Mark Brown, Patrick Carroll, and Alfred Moore did not have the opportunity to read this piece in their mother tongue.