Notes
-
[1]
Interview croisée de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel le 6 février 2012 sur les chaînes de télévision française France 2 et allemande ZDF, à la suite d’un conseil des ministres franco-allemand.
-
[2]
Conférence de presse conjointe tenue à l’Élysée le 17 février 2012.
-
[3]
Rencontre européenne « Une renaissance pour l’Europe : vers une vision progressiste commune » organisée par la Fondation Jean-Jaurès, la FEPS, la Fondation Italiani Europei et la Fondation Friedrich-Ebert, 16-17 mars 2012.
-
[4]
Renaud Dehousse, Angela Tacea, « The French 2012 Presidential Election. A Europeanised Contest », Les Cahiers européens de Sciences Po, 2, 2012, Paris, Centre d’études européennes de Sciences Po, p. 7.
-
[5]
Cf. notamment Olivier Costa, Paul Magnette (dir.), Une Europe des élites ? Réflexions sur la fracture démocratique de l’Union européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007 ; Sophie Duchesne, Elizabeth Frazer, Florence Haegel, Virginie Van Ingelgom, Citizens’ Reactions to European Integration Compared. Overlooking Europe, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013 ; Dieter Fuchs, Raul Magni-Berton, Antoine Roger (eds), Euroscepticism. Images of Europe Among Mass Publics and Political Elites, Opladen & Farmongton Hills, Barbara Budrich Publishers, 2009.
-
[6]
Klaus Goetz, Simon Hix (eds), « Special Issue on Europeanised Politics ? European Integration and National Political Systems », West European Politics, 23 (4), 2000, p. 1-231. Cf. tout spécialement les contributions de Peter Mair sur les partis et Matthew Gabel sur les électeurs : Peter Mair, « The Limited Impact of Europe on National Party Systems », ibid., p. 27-51 ; et Matthew Gabel, « European Integration, Voters and National Politics », ibid., p. 52-72.
-
[7]
« EU Issue Voting ». L’expression est de Catherine de Vries dans son article : « Sleeping Giant : Fact or Fairytale ? How European Integration Affects National Elections », European Union Politics, 8 (3), 2007, p. 363-385.
-
[8]
P. Mair, « The Limited Impact of Europe on National Party Systems », art. cité.
-
[9]
Cf. notamment : Nick Sitter, « Euro-Scepticism as Party Strategy : Persistence and Change in Party-Based Opposition to European Integration », Austrian Journal of Political Science, 32 (3), 2003, p. 239-253 ; Thomas Poguntke, Nicholas Aylott, Elisabeth Carter, Robert Ladrech, Richard Luther (eds), The Europeanization of National Political Parties. Power and Organizational Adaptation, Abington, Routledge, 2007.
-
[10]
Robert Harmsen, « L’Europe et les partis politiques nationaux : les leçons d’un “non-clivage” », Revue internationale de politique comparée, 12 (1), 2005, p. 77-94.
-
[11]
Pour une bonne synthèse de ce débat à la fin des années 2000, cf. le chapitre d’Antoine Roger, « Clivages et partis politiques », dans Céline Belot, Paul Magnette, Sabine Saurugger (dir.), Science politique de l’Union européenne, Paris, Economica, 2008, p. 197-213.
-
[12]
Voir notamment : Peter Jochen, Claes H. de Vreese, « In Search of Europe – A Cross-National Comparative Study of the European Union in National Television News », Harvard Journal of Press/Politics, 9 (4), 2004, p. 3-24 ; Mathieu Petithomme, « L’absence de conflictualisation des débats politiques sur l’Union européenne au sein des presses nationales : une analyse de contenu qualitative comparée des cas français, britannique, irlandais et espagnol (2005-2006) », Politique européenne, 33, 2011, p. 215-253.
-
[13]
Virginie Van Ingelgom, « Mesurer l’indifférence. Intégration européenne et attitudes des citoyens », Sociologie, 3 (1), 2012, p. 1-20 ; Florian Stoeckel, « Ambivalent or Indifferent ? Reconsidering the Structure of EU Public Opinion », European Union Politics, 14 (1), 2013, p. 23-45.
-
[14]
Geoffrey Evans, « Euroscepticism and Conservative Electoral Support : How an Asset Became a Liability », British Journal of Political Science, 28 (4), 1998, p. 573-590.
-
[15]
Erik Tillman, « The European Union at the Ballot Box ? European Integration and Voting Behavior in the New Member States », Comparative Political Studies, 37 (5), 2004, p. 590-610.
-
[16]
Harald Schoen, « Turkey’s Bid for EU Membership, Contrasting Views of Public Opinion, and Vote Choice. Evidence from the 2005 German Federal Election », Electoral Studies, 27 (2), 2008, p. 344-355.
-
[17]
Matthew Gabel, « European Integration, Voters and National Politics », West European Politics, 23 (4), 2000, p. 52-72.
-
[18]
Catherine de Vries, Erik Tillman, « European Union Issue Voting in East and West Europe : The Role of Political Context », Comparative European Politics, 9 (1), 2011, p. 1-17.
-
[19]
Catherine de Vries, Wouter van der Brug, Marcel van Egmond, Cees van der Eijk, « Individual and Contextual Variation in EU Issue Voting : The Role of Political Information », Electoral Studies, 30 (1), 2011, p. 16-28.
-
[20]
Catherine de Vries, « EU Issue Voting : Asset or Liability ? How European Integration Affects Parties’ Electoral Fortunes », European Union Politics, 11 (1), 2010, p. 89-117.
-
[21]
« Europe presents nothing new » : Jocelyn Evans, « The European Dimension in French Public Opinion », Journal of European Public Policy, 2007, 14 (7), p. 1098-1116, ici p. 1112.
-
[22]
Jocelyn Evans, Gilles Ivaldi, « Quand la crise du consensus profite à l’extrême droite », Le Figaro, 18 mai 2002, p. 14.
-
[23]
Gérard Grunberg, Florence Haegel, La France vers le bipartisme ? La présidentialisation du PS et de l’UMP, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
-
[24]
Nicolas Sauger, Sylvain Brouard, Emiliano Grossman (dir.), Les Français contre l’Europe ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 85.
-
[25]
Pascal Perrineau, « Le référendum français du 29 mai 2005. L’irrésistible nationalisation d’un vote européen », dans Pascal Perrineau (dir.), Le vote européen, de l’élargissement au référendum français, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 229-244.
-
[26]
Alain Mergier et al., Le jour où la France a dit « non », Paris, Plon, 2005.
-
[27]
N. Sauger, S. Brouard, E. Grossman (dir.), Les Français contre l’Europe ?, op. cit., p. 115.
-
[28]
Annick Percheron, « Les Français et l’Europe : acquiescement de façade ou adhésion véritable ? Note de recherche », Revue française de science politique, 41 (3), juin 1991, p. 382-406.
-
[29]
Gérard Grunberg, Étienne Schweisguth, « Vers une tripartition de l’espace politique », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 179-218.
-
[30]
Gérard Grunberg, Étienne Schweisguth, « La tripartition de l’espace politique », dans Pascal Perrineau, Colette Ysmal (dir.), Le vote de tous les refus. Les élections présidentielle et législatives de 2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 339-362.
-
[31]
Jean Chiche, Brigitte Le Roux, Pascal Perrineau, Henry Rouannet, « L’espace politique des électeurs français à la fin des années 1990. Nouveaux et anciens clivages, hétérogénéité des électeurs », Revue française de science politique, 50 (3), juin 2000, p. 463-487.
-
[32]
Céline Belot, Bruno Cautrès, « L’Europe, invisible mais omniprésente ? », dans Bruno Cautrès, Nonna Mayer (dir.), Le nouveau désordre électoral. Les leçons du 21 avril 2002, Paris, Presses de Science Po, 2004, p. 119-141 ; Bruno Cautrès, Sylvie Strudel, « Les traces du référendum du 29 mai 2005 dans la campagne présidentielle de 2007 », Les Cahiers du Cevipof – Le Baromètre politique français (2006-2007), 46, avril 2007, p. 141-148.
-
[33]
Nous renvoyons à la controverse ouverte en 2006 par Simon Hix et Stefano Bartolini sur la Politisation de l’UE : remède ou poison ?, <http://www.notre-europe.eu/media/policypaper19-fr.pdf?pdf=ok>. Ici nous retiendrons essentiellement une des dimensions de cette discussion, qui interroge une éventuelle polarisation gauchedroite du processus européen.
-
[34]
Thierry Vedel, Comment devient-on président(e) de la République ?, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 122.
-
[35]
Pour une défense des approches logométriques des discours politiques, cf. Damien Mayaffre, Le discours présidentiel sous la Cinquième République, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 14 et suiv.
-
[36]
Ce logiciel a été conçu par Cédric Lamalle, William Martinez, Serge Fleury et André Salem (équipe universitaire SYLED-CLA2T de l’Université Paris III-Sorbonne nouvelle). Nous remercions très vivement ce dernier pour son aide directe apportée au maniement du logiciel.
-
[37]
Voir Ruth Amossy, L’argumentation dans le discours, Paris, Nathan, 2000 ; Paul Bacot, La construction verbale du politique : études de politologie lexicale, Paris, L’Harmattan, 2011 ; Constantin Salavastru, Rhétorique et politique. Le pouvoir du discours et le discours du pouvoir, Paris, L’Harmattan, 2005.
-
[38]
Cf. la note 10, p. 1084.
-
[39]
Un groupe de formes rassemble les occurrences de formes graphiques différentes liées par une propriété commune : il permet de regrouper le singulier, le pluriel, les flexions d’un même verbe, des formes liées par un lien sémantique. Ici le groupe de formes europ* correspond à l’addition de l’ensemble des termes qui commencent par les lettres « europ » (Europe, l’Europe, européen, européens, européenne…).
-
[40]
Il s’agit des mots suivants : Europe, référendum (uniquement lorsque le terme est relatif à un référendum sur les questions européennes), directives, directive, européen, européens, européennes, européenne, Européenne, Maastricht, Bolkestein, BCE, pacte de stabilité, Bruxelles, banque centrale, PAC, politique agricole commune, traité.
-
[41]
43 sur 10 000 en 2007 contre 39 en 2012 pour les premières, 65 sur 10 000 en 2007 contre 53 en 2012 pour les secondes. Une recherche des occurrences des termes « Europe » et « Union européenne » dans les corpus du Monde, du Figaro et de Libération dans les trois mois qui précèdent l’élection montre que ces références ne sont pas non plus davantage présentes dans les médias en 2012 que lors des trois élections présidentielles précédentes.
-
[42]
Le groupe de formes fran* est constitué des termes France, Français, Française, Françaises, français, française, françaises.
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[43]
Nous adressons nos vifs remerciements à Odile Gaultier-Voituriez, responsable du Centre de documentation au Centre de recherches politiques de Sciences Po, qui a facilité nos recherches et nous a suggéré des pistes constructives pour la constitution du corpus.
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[44]
Comme par exemple celui prononcé par François Hollande lors de la journée « Une renaissance pour l’Europe : vers une vision progressiste commune » au Cirque d’hiver le 17 mars 2012 dans le cadre de la rencontre européenne organisée par la Fondation Jean-Jaurès, la FEPS, la Fondation Italiani Europei et la Fondation Friedrich-Ebert. Il va sans dire qu’une exploration ultérieure dans le cadre d’une recherche à plus long terme sur tous les discours des candidats devrait permettre de faire la part non seulement des convergences, mais aussi des divergences éventuelles internes à leurs discours, en prenant en compte à la fois les discours généraux et les discours thématiques.
-
[45]
Pour Nicolas Sarkozy et François Hollande, nous avons considéré que leurs deux premiers meetings stricto sensu étaient des « tours de chauffe » avant leur premier grand meeting : Mérignac le 5 janvier 2012 pour François Hollande avant Le Bourget (22 janvier), et Annecy le 16 février 2012 pour Nicolas Sarkozy avant Marseille (19 février).
-
[46]
Que ce soit par la taille du public mobilisé et/ou par les commentaires journalistiques suscités.
-
[47]
Cf. note 1, p. 1086.
-
[48]
Les différences entre les professions de foi et les discours de meeting peuvent découler du fait que les premières sont des exercices plus normés qui passent par un certain nombre de figures obligées. Le plus grand nombre d’occurrences relatives à l’Europe dans les professions de foi d’Eva Joly relève ainsi d’une révérence obligée.
-
[49]
L’anaphore consiste à commencer des vers ou des phrases par le même mot ou le même syntagme (exemple : « Paris ! Paris outragée ! Paris brisée ! Paris martyrisée ! Mais Paris, libérée ! », Charles de Gaulle, extrait du discours du 25 août 1944). La synecdoque consiste à remplacer un mot par un autre ayant une relation d’inclusion à celui-ci (exemple : « je vois des voiles au loin », ici les voiles (la partie) désignent les bateaux (le tout)). Cf. Pierre Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977.
-
[50]
Michel Hastings, Sylvie Strudel, « Gauche indivise et gauches singulières », dans Pierre Bréchon, Annie Laurent, Pascal Perrineau (dir.), Les cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 181.
-
[51]
Craig Parsons, « Puzzling out the EU Role in National Politics », Journal of European Public Policy, 14 (7) 2007, p. 1135-1149.
-
[52]
Nulle trace bien évidemment de toute mention ou allusion au référendum de 2005.
-
[53]
François Hollande désigne ici le nouveau traité de stabilité, de coordination et de gouvernance pour l’Union économique et monétaire qui a été finalisé par les États membres, à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque le lundi 30 janvier 2012.
-
[54]
L’ensemble des citations suivantes sont extraites du discours de Pau, prononcé le 10 décembre 2011.
-
[55]
En rhétorique, un oxymore est une figure d’opposition qui consiste à réunir deux termes de sens contraires à l’intérieur d’un même syntagme (exemples : « obscure clarté », « hâte-toi lentement »). Ici d’ailleurs, on est proche du paradoxisme, une figure de style créée par le grammairien Pierre Fontanier, qui réunit des attributs inconciliables mais liés de manière à frapper les esprits (exemple : « la propriété, c’est le vol »).
-
[56]
<http://www.elysee.fr/president/les-dossiers/europe/la-vision-du-president-de-la-republique-pour.9580.html>.
- [57]
-
[58]
Mais aussi : « L’Europe, ce n’est pas moins de souveraineté, mais davantage de souveraineté, parce que c’est davantage de capacité d’agir », discours de Toulon, ibid.
-
[59]
Intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, le dimanche 29 janvier 2012.
-
[60]
Un second engagement est pris en parallèle : « Alors, je pose solennellement la question, pourquoi ce que les États-Unis, pays le plus libéral du monde, s’autorisent, l’Europe se l’interdirait. La France demandera que l’Europe se dote d’un « Buy European Act » sur le modèle du « Buy American Act ». Ainsi bénéficieront de l’argent public européen les entreprises qui produiront en Europe. Je veux m’engager totalement dans ce combat. Si dans les douze mois qui viennent, aucun progrès sérieux sur l’exigence de la réciprocité avec nos principaux partenaires n’était enregistré, alors la France appliquera unilatéralement cette règle jusqu’à ce que les négociations aboutissent ».
-
[61]
Discours d’investiture de Marine Le Pen à la présidence du Front national, 16 janvier 2011 à Tours (<http://www.nationspresse.info/?p=121433>).
-
[62]
L’occurrence associée au groupe de formes « europ* » qui arrive en toute première position est la forme « frontières ». Autrement dit, c’est le substantif le plus fréquemment associé à l’Europe dans les discours.
-
[63]
Étant donné qu’une grande partie des citoyens européens continue à déclarer un relatif soutien à l’UE dans les enquêtes Eurobaromètre, alors que dans le même temps les résultats des référendums relatifs à l’intégration européenne sont beaucoup plus incertains que par le passé, il nous semble plus judicieux de creuser la question des attitudes à l’égard de l’intégration européenne à travers les blocages qu’elle suscite, les craintes qu’elle génère.
-
[64]
La troisième dimension n’est pas interprétée car l’histogramme des valeurs propres ne fait apparaître qu’une légère décroissance entre la seconde et la troisième dimension, indiquant que l’analyse peut ne retenir que les deux premières dimensions. Par ailleurs, la troisième dimension de l’analyse factorielle n’est caractérisée que par une seule variable (opposition entre la crainte qu’avec la construction européenne la France ne paie pour les autres pays).
-
[65]
La valeur propre est légèrement inférieure à la moyenne des valeurs propres (1/6 = 0,165) et pourrait conduire à ne pas retenir cette seconde dimension. Néanmoins, il est également statistiquement acceptable de continuer l’analyse si l’on peut interpréter la dimension. Or, la seconde dimension de notre analyse factorielle est interprétable de manière particulièrement significative en termes d’échelle gauche-droite. Par ailleurs, nos analyses ultérieures montrent la significativité statistique de cette seconde dimension lorsqu’elle est introduite dans un modèle de régression explicatif du vote. Il est bien évident que tous les résultats de l’analyse factorielle pourraient être davantage consolidés si nous disposions de nettement plus d’indicateurs.
-
[66]
Analyser le discours des petits candidats a cependant permis de saisir les discours européens auxquels les électeurs ont été soumis dans leur ensemble.
-
[67]
Cette dimension tripolaire, qui constitue le cœur de l’ordre électoral en France depuis les élections européennes de 1984, a été empiriquement analysée et démontrée par G. Grunberg, É. Schweisguth, « La tripartition de l’espace politique », cité. Voir aussi : J. Chiche, B. Le Roux, P. Perrineau, H. Rouanet, « L’espace politique des électeurs français à la fin des années 1990… », cité. La thèse de la tripartition a fait plus récemment l’objet d’analyses complémentaires qui la nuancent, voire la remettent en cause au moins partiellement : Robert Andersen, Jocelyn Evans, « The Stability of French Political Space, 1988-2002 », French Politics, 3, 2005, p. 282-301 ; Florent Gougou, Simon Labouret, « La fin de la tripartition ? Les recompositions et la transformation du système partisan », Revue française de science politique, 63 (2), avril 2013, p. 279-302. Nous la prenons donc ici comme un postulat de départ pour nos analyses mais nous avons contrôlé empiriquement sa pertinence pour nos analyses.
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[68]
Nous avons contrôlé l’éventuelle colinéarité des variables explicatives. Les valeurs des coefficients VIF (Variance Inflated Factor) sont comprises entre 1,13 et 2,40, ce qui indique que nous n’avons pas de problèmes de colinéarité.
-
[69]
L’annexe 3 explique en détail de quelle manière les échelles d’attitudes ont été construites, en ayant notamment recours à l’analyse spécifique des correspondances multiples.
-
[70]
Les tests statistiques (test du chi-deux) permettent de valider que le modèle (tableau 3) s’ajuste mieux aux données observées que si les deux échelles d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne étaient retirées.
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[71]
Nous remercions nos collègues Flora Chanvril du Cevipof et Hyungsoo Woo, doctorant à Sciences Po et à la LSE, pour leur lecture de nos analyses, leurs commentaires et leur aide sur cette partie du texte.
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[72]
Le fait que dans le tableau 5 l’échelle de libéralisme culturel apparaisse exercer des effets nettement moins significatifs que l’échelle de libéralisme économique est dû au fait que le vote Le Pen est ici la modalité de référence, ce qui fait ressortir de manière plus fortement significative les effets de l’échelle d’ethnocentrisme. Si l’on considère les autres votes comme modalité de référence, alors les effets de l’échelle de libéralisme culturel redeviennent plus fortement significatifs.
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[73]
Il est en effet habituel de constater que lorsque l’on introduit simultanément dans un modèle explicatif du vote des variables indépendantes d’opinion ou d’attitudes et des variables sociodémographiques, l’effet de ces dernières devient plus faiblement, voire presque plus, significatif. Cela n’invalide pas les analyses exclusivement sociologiques du vote (par exemple la question du « vote de classe »), qui constituent une facette importante de l’explication du vote.
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[74]
Les effets de ce nouveau clivage, lié à l’intégration européenne comme à la mondialisation, ont été notamment analysés par Hans-Peter Kriesi, Edgar Grande, Romain Lachat, Martin Dolezal, Simon Bornschier, Timotheos Frey, West European Politics in the Age of Globalization, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Sur les effets de l’intégration européenne en termes de « perdants » et de « gagnants », voir Neil Fligstein, Euroclash. The EU, European Identity, and the Future of Europe, New York, Oxford University Press, 2008.
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[75]
En retirant l’échelle gauche-droite du modèle de régression, les effets de la seconde dimension des craintes à l’égard de l’intégration européenne deviennent nettement plus significatifs et confirment l’opposition qu’elle structure entre les votes en faveur des candidats de la gauche et ceux en faveur de Nicolas Sarkozy ou de Marine Le Pen.
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[76]
Selon notre modèle, chaque électeur a, en fonction de son profil attitudinal et sociodémographique, une certaine probabilité de vote pour tel candidat plutôt que tel autre. S’intéresser aux probabilités de vote prédites par le modèle s’inscrit en partie dans l’intérêt récent développé par la recherche électorale en matière de probabilités de vote. Cf. Vincent Tiberj, Bernard Denni, Nonna Mayer, « Un choix, des logiques multiples. Préférences politiques, espace des possibles et votes en 2012 », Revue française de science politique, 63 (2), avril 2013, p. 249-278.
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[77]
S’agissant d’analyses complexes, nous ne pouvons en rendre compte pleinement ici ; le détail de nos analyses est disponible sur simple demande.
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[78]
Il s’agit également d’un effet du libellé de l’indicateur mesurant l’opinion sur la mondialisation : « Pour un pays comme la France, la mondialisation est plutôt chance, parce qu’elle lui ouvre des marchés à l’étranger et la pousse à se moderniser ».
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[79]
Nous remercions Isabelle Guinaudeau et les évaluateurs de la Revue française de science politique pour leurs commentaires et leurs suggestions.
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[80]
Notamment l’analyse en composantes principales et l’analyse des correspondances multiples dont les origines ne sont pas spécifiquement françaises mais dont l’usage s’est fortement développé en France, sous l’impulsion de J.-P. Benzécri. L’analyse des correspondances multiples spécifiques a été développée par Jean Chiche, Brigitte Le Roux et Henri Rouanet (voir Brigitte Le Roux, Henri Rouanet, Multiple Correspondence Analysis, Thousand Oaks, Sage Publications, 2009).
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[81]
Pour cette échelle, nous avons contrôlé que le coefficient d’homogénéité (alpha de Cronbach) n’était pas plus fort en retirant les deux indicateurs d’opinion sur les pratiques religieuses musulmanes. Alors que les corrélations entre ces deux indicateurs et les trois autres indicateurs de l’échelle d’ethnocentrisme sont modérées, voire assez faibles (les plus fortes corrélations sont avec l’opinion qu’il y a trop d’immigrés en France, leurs valeurs étant de 0,274 et 0,218), le coefficient d’homogénéité est de 0,670 avec les cinq indicateurs et de 0,622 et 0,641 si l’on retire le premier ou le second item, relatifs à ces pratiques religieuses. L’argument empirique ne peut, néanmoins, à lui seul valider le choix de conserver dans l’échelle d’attitude ces deux indicateurs. Il est bien évident que si notre modèle explicatif souhaitait tester les effets spécifiques d’une attitude vis-à-vis de l’islam en particulier, il nous faudrait scinder ce qui relève de cette attitude de ce qui relève de l’ethnocentrisme en général. Les deux attitudes pourraient relever de logiques différentes, mais l’analyse des correspondances ne fait pas clairement ressortir ce résultat sur les facteurs suivants. Le premier facteur de l’analyse des correspondances fait ressortir que les cinq items participent d’une même dimension, l’opinion sur les prières sur la voie publique étant plus encore corrélée par cette dimension que l’item sur le port du voile intégral.
1Crise de l’euro, crise des dettes souveraines, États membres en situation de récession économique, protestations sociales contre les politiques d’austérité en Espagne, Italie mais aussi en Slovénie, Hongrie ou encore Roumanie, Grèce ébranlée par une crise sociale et politique avec de vigoureuses manifestations contre les plans de rigueur économique : l’élection présidentielle française de 2012 s’est tenue dans un contexte où les questions européennes ont été particulièrement visibles dans l’espace public. Par ailleurs, l’irruption de la chancelière allemande Angela Merkel en soutien à Nicolas Sarkozy dans une campagne où celui-ci ne s’était même pas encore officiellement déclaré candidat [1], l’affirmation de l’entente cordiale liant le président français au Premier ministre britannique David Cameron souhaitant « bonne chance à son ami » [2], ou les prises de position de Sigmar Gabriel et Massimo d’Alema venus adouber François Hollande et épauler sa proposition de renégociation du traité budgétaire devant la gauche européenne rassemblée au Cirque d’hiver [3] furent autant de signes de la place occupée par des dirigeants européens dans la campagne présidentielle française. Enfin, de nombreux thèmes abordés pendant la campagne liés à la finance, à l’économie et au social (dette souveraine, chômage, immigration...) recelaient aussi indirectement une dimension européenne [4]. Autrement dit, cette campagne électorale s’est tenue dans un contexte qui pourrait être qualifié d’européanisation diffuse. Pour autant, la thématique européenne a-t-elle constitué un enjeu de campagne ? A-t-elle occupé une place dans les discours des candidats et si oui laquelle ? A-t-elle joué un rôle sur le vote des Français ? Après un bref état de l’art des travaux qui, ces quinze dernières années, se sont intéressés au rôle joué par l’enjeu européen dans l’espace politique des États membres et en particulier en France, nous nous proposons de répondre à ces questions à travers le recours à une triple approche empirique : une analyse des professions de foi de l’ensemble des candidats au premier tour de la présidentielle, une analyse, pour chacun de ces candidats, d’un certain nombre de leurs discours de campagne et enfin une analyse des résultats de l’enquête post-électorale réalisée par le Cevipof comprenant des questions relatives à l’intégration européenne. Mêler ces approches permet de questionner l’importance ou non de l’enjeu européen à la fois dans l’offre électorale et dans le choix des électeurs. Ce double regard paraît particulièrement pertinent dans un contexte où un certain nombre de travaux récents font état d’une distance accrue entre représentants et représentés sur les questions européennes [5]. Ce faisant, l’article apporte également des éléments permettant de nourrir les controverses actuelles autour des recompositions des dimensions de l’espace politique national dans les États européens.
État de l’art : l’enjeu européen dans l’espace politique
2En 2000 paraît un dossier de West European Politics qui s’intitule : « Europeanised Politics ? European Integration and National Political Systems ». Il met en évidence l’importance du questionnement relatif à l’impact de l’intégration européenne sur les systèmes politiques nationaux dans les études européennes depuis la fin des années 1990 [6]. Toute une littérature va alors se développer, principalement en réponse à deux interrogations. La première porte sur la manière dont les partis intègrent l’enjeu européen dans leurs positionnements et leurs stratégies et sur l’émergence ou non d’un clivage européen. La seconde se focalise sur les électeurs et s’intéresse à la manière dont ils prennent en compte les questions européennes au moment du vote, autrement dit à l’existence d’un « vote sur enjeu européen » [7] qui pourrait aboutir à la formation d’une nouvelle dimension de l’espace politique national. Ces questions ont reçu des réponses nombreuses et souvent assez contradictoires. Au niveau des partis, de nombreux auteurs considèrent « limité » [8] l’impact de l’intégration européenne et soulignent que l’intégration européenne est un enjeu absorbé dans les structures partisanes traditionnelles [9]. Dès lors l’intégration européenne n’apparaît pas comme à l’origine d’un nouveau clivage dans l’espace partisan des différents pays membres [10]. À travers une acception plus large du terme de clivage, d’autres auteurs soulignent cependant que l’intégration européenne est une nouvelle source de conflits structurels entre forces politiques qui s’ajoute ou même se substitue aux anciennes [11].
3Au niveau des électeurs, l’existence ou non d’un vote sur enjeu européen fait également débat. Certains travaux mettent en évidence la très faible connaissance des individus sur les questions européennes, le peu d’importance des questions européennes dans les débats nationaux, même lors des élections européennes [12], et l’indifférence des citoyens à l’égard des enjeux européens [13]. Inversement, d’autres travaux ont conclu, dès la fin des années 1990, que l’enjeu européen a bien joué un rôle dans certaines élections nationales. Ainsi au Royaume-Uni, Geoffrey Evans a montré que les questions européennes avaient coûté des voix aux conservateurs lors des législatives de 1997 [14]. À partir d’une étude qui porte sur l’Autriche, la Suède et la Finlande juste avant et après leur adhésion à l’UE, Erik Tillman conclut que les attitudes à l’égard de l’UE jouent un rôle significatif sur le comportement électoral au niveau national lorsque l’enjeu européen est visible dans l’espace public [15]. En Allemagne, Harald Schoen a plus récemment montré que le fait d’être favorable à l’adhésion de la Turquie à l’UE avait renforcé la probabilité de voter pour le SPD et les Verts et amoindri la probabilité de voter pour la CDU/CSU ou le FDP lors des élections fédérales de 2005 [16]. Matthew Gabel est le premier à avoir proposé dès 2000 une analyse du rôle de l’enjeu européen sur le vote dans l’ensemble des États membres. Son travail, qui teste l’influence du soutien à l’UE sur la probabilité de voter pour un parti plutôt qu’un autre, conclut à l’existence d’une telle influence dans la plupart des pays européens [17]. De récents travaux soulignent cependant que l’influence des attitudes à l’égard de l’Europe sur le vote au niveau national varie non seulement selon le niveau de sophistication politique des citoyens mais aussi selon le contexte national [18], selon la saillance de l’enjeu européen au moment de l’élection [19] ainsi que selon l’offre des partis autour de cet enjeu [20].
4Centrée sur le contexte français, l’analyse est tout aussi contrastée. Certains considèrent que l’Europe n’exercerait qu’une influence faible sur le système politique [21], pérennisant un « politics as usual ». Les sécessions partisanes, apparues aussi bien à gauche qu’à droite lors de la ratification par référendum du traité de Maastricht, n’auraient pas fondamentalement altéré une « hyper-alternance » française [22], pas plus que leur réactivation en 2005 n’aurait infléchi la logique de bipartisme à l’œuvre dans l’espace partisan [23]. D’autres en revanche estiment que l’Europe est bien source de brouillage partisan [24]. Significative de cette confrontation scientifique est la bataille d’interprétation déclenchée autour du référendum de 2005 et des commentaires qu’il a suscités : certains n’ont voulu voir dans le « non » de 2005 qu’un « non » français, expression d’une « irrésistible nationalisation d’un vote européen » [25], alors que, selon d’autres auteurs, les électeurs ont bien répondu à une question européenne [26] mais dans laquelle « une proportion importante des électeurs [a lié] les sources nationales de l’insécurité sociale à l’enjeu direct du référendum et plus largement à la construction européenne » [27]. À l’aune de cette controverse, on mesure le chemin parcouru, depuis les premiers travaux menés sur l’adhésion et le rejet de l’intégration européenne par les citoyens jusqu’à aujourd’hui. Au début des années 1990, l’idée dominante était que les enjeux européens s’inséraient dans la dimension gauchedroite [28]. Dix ans plus tard, de nouvelles analyses identifiaient soit « un clivage nouveau, transversal au clivage gauche-droite traditionnel » opposant attitudes « universalistes » et « anti-universalistes [29] » et permettant de comprendre la singularité à long terme du Front national [30], soit un axe ouvert-fermé articulé autour de valeurs relatives à la perception de l’Autre (immigration, Europe, globalisation) et indépendant de l’axe gauche-droite [31]. La toute dernière génération de travaux sort de l’alternative et montre que le rapport à l’Europe combine en fait deux dimensions : une première dimension spécifique à l’Europe indépendante de l’axe gauche-droite et une seconde centrée sur les craintes sociales qui s’indexe sur l’axe gauche-droite [32].
5Pour poursuivre cette réflexion, nous nous proposons d’explorer trois pistes de recherche, bien évidemment liées : l’européanisation diffuse d’un contexte électoral contribue-t-elle à européaniser une campagne électorale ? Dans quelle mesure cette européanisation passe-t-elle par une « politisation » [33] du discours sur l’intégration européenne ? Enfin, cette européanisation du discours entre-t-elle en résonance avec les opinions des citoyens au point d’avoir une influence sur leur vote ?
Data : un triple jeu de données
6Nous nous proposons de répondre à ces questions à travers des analyses sur un triple jeu de données : l’analyse des professions de foi des candidats à la présidentielle de 2012, l’analyse d’un certain nombre de discours de campagne de ces candidats et l’analyse de données de l’enquête quantitative post-électorale réalisée par le Cevipof au lendemain du second tour de la présidentielle. Les genres profession de foi et discours de meeting présentent un intérêt particulier par rapport à d’autres canaux de communication utilisés par les candidats, puisqu’ils s’apparentent aux formes de communication directe (réunions publiques, tracts, livres…) qui exposent l’électeur au « contact direct avec le message du candidat tel que celui-ci l’a conçu » [34], à la différence des formes de communication indirecte (articles de presse, reportages…) qui passent par des intermédiaires et donc échappent au contrôle du candidat (et de son staff de campagne). Afin de comprendre et d’interpréter ces textes et ces discours au-delà d’une lecture intuitive, nous avons fait un double choix méthodologique : celui d’un traitement textométrique [35] couplé à une analyse qualitative. Notre corpus de professions de foi et de discours a été soumis au traitement de Lexico3 [36]. Cette première lecture a été couplée à une seconde approche : les professions de foi ont été analysées grâce à un logiciel d’analyse de contenu, (Nvivo) et les discours de meeting ont fait l’objet d’une analyse stylistique permettant de prendre au sérieux le genre discours politique, en tant qu’un des sous-genres de l’art oratoire. Ici la rhétorique, comme art de convaincre et de persuader, sera en particulier explorée en se focalisant sur les techniques discursives des différents candidats [37]. Un des intérêts du recours à ce matériau discursif consistera à garder en tête, au moment de l’analyse des données d’enquête, à quels messages des candidats relatifs à l’Union européenne les électeurs ont été exposés.
7Les données portant sur les électeurs sont issues de l’enquête post-électorale 2012 du Cevipof qui permet de mettre en relation le vote au premier et second tour de l’élection présidentielle avec les attitudes à l’égard de l’Europe mesurées de manière relativement fine. Nous proposons une analyse en deux temps : dans un premier temps, nous développerons un « modèle de mesure » (measurement model), d’inspiration factorielle, pour identifier les dimensions des attitudes à l’égard de l’Europe au travers des indicateurs qui s’y rapportent dans l’enquête et pour vérifier si nous retrouvons bien la bidimensionnalité de ces attitudes établie par nos précédents travaux [38] ; dans un second temps, nous déploierons un modèle, qui puise sa filiation méthodologique dans l’analyse de régression, afin d’analyser les corrélations entre ce que nous souhaitons expliquer, le vote, et un ensemble de variables explicatives, dont nos deux dimensions relatives à l’intégration européenne. Au final, l’enjeu est d’établir empiriquement si les attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne jouent un rôle sur le vote une fois contrôlés les effets des autres grandes dimensions explicatives du vote.
Les professions de foi : réaffirmation nationale et polarisation européenne
8Explorer la manière dont l’intégration européenne est mise en scène ou non dans les professions de foi des candidats nous offre un premier terrain, celui d’un texte très travaillé et qui relève d’un exercice de style particulier, un texte très normé, dont les règles sont fixées de manière quasi immuable. Le corpus constitué pour cette première analyse rassemble les textes des professions de foi des candidats au 1er tour de l’élection présidentielle de 2012, soit 10 candidats. Afin de mettre en évidence les particularités de cette élection, un certain nombre d’analyses ont été menées en s’appuyant sur une comparaison avec les professions de foi des 12 candidats à l’élection de 2007.
9L’élection présidentielle française de 2012 prend place dans un contexte de crise économique dans lequel la référence à l’Europe est permanente. L’actualité européenne apparaissait moins chargée en 2007. Nous pourrions donc nous attendre à ce que l’Europe apparaisse comme une thématique plus saillante des professions de fois en 2012 qu’en 2007. Si l’on prend comme mesure de la saillance, le nombre d’occurrences relatives à l’Europe, nos observations montrent que ce n’est pas le cas. Que l’on comptabilise les références à l’ensemble des termes du groupe de formes europ* [39] ou les 18 termes [40] désignant sans ambiguïté le processus d’intégration européenne, elles apparaissent plus nombreuses en 2007 qu’en 2012 [41].
10Ces moyennes masquent cependant de fortes divergences entre candidats. Dans la campagne de 2012, au discours a-temporel et a-contextuel de Nathalie Arthaud – qui ne cite ni la France, ni l’Europe – répond le discours de Nicolas Dupont-Aignan où l’Europe apparaît comme enjeu structurant (cf. le graphique 1 ci-dessous). Trois autres candidats se distinguent quant à la manière dont ils citent ou non l’Europe : Jean-Luc Mélenchon dont les références au groupe de formes europ* sont plus nombreuses que dans la moyenne des textes des autres candidats et à l’inverse François Hollande et Marine Le Pen, qui s’y réfèrent moins que la moyenne. Les deux principaux partis français évitant depuis le traité de Maastricht d’adopter des positions très affirmées sur les questions européennes il n’est pas étonnant que François Hollande, principal challenger du président sortant, se distingue par un discours faiblement « européen » du point de vue quantitatif. Le faible nombre de références à l’Europe dans le discours de Marine Le Pen – qui s’inscrit cependant dans la continuité de celui de son père en 2007 – est davantage notable. La mention récurrente à la France (et à ses formes associées dans fran* [42]) dans son discours invite plutôt à se demander si la référence à l’Europe n’est pas implicite. Dans cette perspective, il importe de comprendre comment les références à l’Europe s’insèrent dans l’argumentaire des candidats.
Occurrences dans les professions de foi des formes fran*, europ* et mond* par candidat au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (rapport sur 10 000 formes)
Occurrences dans les professions de foi des formes fran*, europ* et mond* par candidat au premier tour de l’élection présidentielle de 2012 (rapport sur 10 000 formes)
11L’analyse des substantifs les plus utilisés dans les professions de foi des candidats (tableau 1 ci-dessous) fait apparaître que les trois substantifs les plus cités en 2012 sont, dans l’ordre, « France », « Europe » et « Français ». Le même tiercé en 2007 est composé des substantifs « politique », « France » et « ans », l’« Europe » n’occupant alors que la douzième place et « Français » la dixième (cf. annexe 1). La référence à l’Europe apparaît donc plus centrale dans les professions de foi des candidats prises dans leur totalité en 2012 qu’en 2007 mais au sein d’un discours où la référence à la France et aux Français est particulièrement prégnante. S’agissant de professions de foi de candidats à la présidence de la République française, la focale nationale est attendue, mais elle apparaît en 2012 particulièrement marquée et plus largement partagée qu’en 2007. Si la référence à la France est évitée par les candidats de Lutte ouvrière et du NPA, en 2012 comme en 2007, elle occupe en revanche dans la profession de foi de tous les autres candidats une place privilégiée, ce qui n’était pas le cas en 2007 dans les discours des écologistes et de l’ensemble des candidats de gauche à l’exception de Ségolène Royal. Comment comprendre cette « nationalisation » du discours, à la fois à gauche, en particulier dans la profession de foi de Jean-Luc Mélenchon et à droite, la référence à la France étant particulièrement écrasante dans la profession de foi de Nicolas Sarkozy pour le premier tour ?
Les 12 substantifs les plus fréquents pour chaque candidat en 2012
Les 12 substantifs les plus fréquents pour chaque candidat en 2012
12Une analyse de contenu permet de mettre en évidence qu’à travers la référence appuyée à la France et aux Français se développe en creux un discours sur l’intégration européenne et plus généralement la mondialisation. Ainsi lorsque Nicolas Sarkozy affirme : « La France est un grand pays ». Il poursuit : « Elle peut tirer parti de la mondialisation : dans de multiples secteurs, notre pays remporte de grands succès ». Il s’agit donc surtout pour les candidats de réaffirmer la capacité des acteurs nationaux à répondre à des problèmes qui dépassent le cadre national. De Jean-Luc Mélenchon (« Votez Jean-Luc Mélenchon c’est […] adresser un message à la finance : « “Les Français ne se laisseront pas tondre !” ») à Marine Le Pen (« je vais organiser la réindustrialisation de la France pour recréer l’emploi, par la mise en place de protections aux frontières, modulées et adaptées »), en passant par François Bayrou (« je mobiliserai les consommateurs autour d’un label “produit en France” ») et François Hollande (« J’agirai pour produire en France […]. Je réserverai les aides publiques et les allégements fiscaux aux entreprises qui investiront en France, embaucheront ou seront offensives à l’exportation »), l’objectif est le même : souligner la capacité des acteurs étatiques français à faire entendre leur voix et à imposer leurs solutions dans un contexte européanisé et mondialisé. Ces discours ne sont pas nouveaux sur le fond mais ils prennent dans l’élection de 2012 une ampleur particulière à la fois à travers leur récurrence et leur porosité partisane, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen en passant par les deux principaux présidentiables.
13Malgré cette similitude d’une profession de foi à l’autre dans l’affirmation de la capacité des gouvernants et de l’État français à faire entendre et imposer des choix propres, les solutions proposées pour résoudre les problèmes identifiés dans un cadre européen et mondialisé ne sont bien évidemment pas les mêmes. Ainsi, point n’est besoin pour Marine Le Pen de réitérer la référence à l’Europe puisqu’elle est désignée – avec les marchés, les grands groupes industriels, l’immigration, le « mondialisme » et les « communautarismes » – comme la source même des maux de la France :
« Je vais rétablir les Français dans leurs droits légitimes en recouvrant notre souveraineté nationale par la remise à plat des traités européens. À nouveau, les lois seront votées à Paris et non à Bruxelles. »
15La rhétorique est la même que celle de son père, les marchés et les grands groupes industriels venant cependant s’ajouter à la liste des responsables de la situation « dégradée » de la France. Le texte de Jean-Luc Mélenchon reflète également une proximité avec celui de Marie-George Buffet en 2007, appelant à « change(r) l’Europe », à dire « non à l’Europe libérale » et en revendiquant : « L’Europe est à nous aussi ! »
16Si certains thèmes sur l’Union et le processus d’intégration apparaissent bien rodés et se déclinent autour des mêmes revendications d’élection en élection, en particulier de la part des candidats aux extrêmes, d’autres apparaissent à l’occasion de cette présidentielle : ils témoignent d’une certaine radicalisation ou du moins crispation des candidats plus « au centre » de l’échiquier politique. Ainsi, alors que François Bayrou affirme en 2007 vouloir « réconcilier […] les Français avec l’Europe et l’Europe avec la France », notamment en rendant l’Europe plus « lisible » pour les citoyens, sous-entendant que les résultats du référendum de 2005 relèvent d’un problème de communication et de compréhension, il propose en 2012 une « refondation de l’Europe », revendiquant donc une certaine distance avec l’Europe telle qu’elle existe.
17Surtout, l’élection présidentielle de 2012 donne lieu à un éloignement des positions européennes des deux principaux candidats. Les référendums relatifs au traité de Maastricht en 1992 et au traité constitutionnel en 2005 avaient mis en évidence le potentiel diviseur des questions européennes pour les deux grands partis, le PS et le RPR puis l’UMP. Il n’est dès lors pas étonnant que, en 2002 comme en 2007, la référence à l’Europe apparaisse dans les professions de foi des deux principaux candidats à la présidentielle comme un passage obligé peu marqué idéologiquement. Les termes utilisés par Jacques Chirac en 2002 pour désigner l’Europe sont ainsi particulièrement vagues : « La France s’est donnée un nouvel horizon, celui de l’Europe. L’Europe nous stimule. L’Europe nous protège. C’est une chance pour notre pays ». La formule utilisée par Lionel Jospin ne l’est pas moins, appelant à une « fédération européenne des États nations ». En 2007, les positions n’apparaissent pas plus tranchées et sont formulées quasiment dans les mêmes termes. Nicolas Sarkozy promet ainsi d’agir « pour que l’Europe nous protège dans la mondialisation […] en particulier contre les délocalisations » et en réhabilitant « le droit pour l’Europe de protéger ses produits et ses entreprises ». Ségolène Royal affirme vouloir « construire une Europe qui protège des délocalisations » et « au service de l’emploi et de la croissance, et non de la seule monnaie ».
18En 2012 par contre, les positions de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, telles qu’exprimées dans leur profession de foi, se distinguent nettement, tant sur le fond que sur la forme. L’approche de François Hollande apparaît très offensive. Il dénonce dans un premier temps les leaders européens qui « se sont résignés à l’austérité et […] ont été incapables de dominer la finance ». Il s’affirme ensuite comme un leader capable de changer la donne au niveau européen :
« Je réorienterai l’Europe : renégociation du traité d’austérité dans le sens de la croissance et de l’emploi ; lancement de grands projets d’avenir ; politique commerciale contre le dumping fiscal, social, environnemental. »
20En tant que chef de l’État sortant, la posture de Nicolas Sarkozy est dans un premier temps plus défensive, il s’agit de justifier la politique menée sous son quinquennat : « l’implosion de l’euro, qui aurait été un cataclysme pour chacun de vous, a été évitée », « la France forte, c’est une France qui pèse de tout son poids dans une Europe qui protège ». Dans le même temps, il adopte une posture plus critique à l’égard de l’Europe :
« Si l’Europe ne retrouve pas la maîtrise de ses frontières […], la France suspendra sa participation à l’espace Schengen […]. Si […] l’Europe ne réserve pas ses marchés publics aux entreprises qui produisent en Europe, la France le fera pour ses propres marchés […]. »
22Ce faisant, il assume un discours national qui revendique une forme de retrait de l’Europe alors que son adversaire propose un discours national en modèle pour l’Europe, plus conforme au discours traditionnel des élites françaises qui adjuge à la France un rôle moteur dans l’UE. En outre, ces discours tendent plutôt à se radicaliser sur les questions européennes entre le 1er et le 2nd tour, François Hollande affirmant dans sa profession de foi pour le 2nd tour : « Je renégocierai le traité européen pour engager des grands projets d’avenir et nous protéger de la concurrence déloyale dans la mondialisation », tandis que Nicolas Sarkozy réitère ses menaces de mise en retrait de la France de certaines politiques et conclut en désignant clairement l’Europe comme coupable de certains maux dont souffre la France :
« Faites le choix d’une immigration maîtrisée et du respect de notre identité, pas celui d’une Europe ouverte à tous les vents. »
24L’analyse des professions de foi des candidats à l’élection présidentielle de 2012 permet donc de constater que si la référence à l’Europe n’est pas plus présente numériquement dans la campagne que lors des élections précédentes, le contexte de crise économique et la tension qu’il créé entre les États membres a constitué un cadrage particulièrement fort de cette campagne. La référence particulièrement marquée à la France et aux Français de la plupart des candidats – non seulement à droite où le discours de Nicolas Sarkozy apparaît encore davantage comme un discours national que celui de Marine Le Pen, mais également à gauche, de Jean-Luc Mélenchon à Eva Joly – se comprend dans ce contexte. Il s’agit de réaffirmer la capacité des gouvernants au niveau national et de l’État à faire face, sinon seuls du moins à travers des choix propres, à un problème globalisé. Par ailleurs, du point de vue des questions européennes, cette élection présidentielle se distingue de celles qui la précèdent à travers l’affirmation par les deux candidats des grands partis, PS et UMP, d’une vraie différence concernant le rôle futur de la France dans le processus d’intégration. Alors que pour François Hollande, le président français doit « réorienter l’Europe », pour Nicolas Sarkozy, il doit mettre la France en réserve de l’Europe si les mesures adoptées ne sont pas conformes aux souhaits de la France. Il s’agit là d’une polarisation forte qui peut être considérée comme relevant d’une forme de politisation des questions européennes au niveau national de la part des leaders des deux principaux partis.
Les discours de meeting : dénonciation, nationalisation, politisation
25Pour identifier la place relative de l’Europe dans les discours de meeting tenus pendant la précampagne et la campagne présidentielle de 2012, et pour la comparer avec celle occupée dans les professions de foi, la composition de notre corpus « Discours présidentiels 1er tour 2012 » [43] témoigne de choix méthodologiques, infléchis par certaines contraintes techniques. Nous avons sélectionné les discours les plus généraux et les plus emblématiques tenus par les candidats. Les plus généraux car nous voulions recueillir ce qui constitue le « cœur » de l’argumentaire du candidat et non un discours ad hoc construit pour un public averti [44]. Les plus emblématiques aussi, afin de pouvoir restituer le rythme de la campagne. Pour ce faire, et pour nous permettre de nous interroger sur une évolution éventuelle des argumentaires, nous avons sélectionné, pour chaque candidat, les discours prononcés lors du premier grand meeting (M1) [45], lors du dernier grand meeting (M3) et celui considéré comme « le plus important » (M2) de sa campagne (de 1er tour) [46]. Si nous disposons bien de ces trois discours pour François Bayrou, François Hollande et Nicolas Sarkozy, grâce aux sites Internet du MoDem, du PS et de l’UMP, les discours des autres candidats ne sont que partiellement accessibles en version écrite et électronique. La composition actuelle de notre corpus « Discours présidentiels 1er tour 2012 » témoigne de ces contraintes (cf. annexe 2).
26L’étude de la saillance des questions européennes à travers un comptage des occurrences du groupe de formes europ* [47] dans les 15 discours du corpus donne des résultats suggestifs et partiellement contre-intuitifs (cf. graphique 2). La candidate dont le vocabulaire est le plus pauvre en occurrences liées à « europ* » est Eva Joly alors que le candidat dont le vocabulaire en est le plus richement doté est Nicolas Dupont-Aignan. Nicolas Sarkozy devance nettement François Bayrou, mais aussi François Hollande et Jean-Luc Mélenchon. Si le thème européen est depuis plusieurs décennies un des « fondamentaux » du socle des références centristes et écologistes, il n’est pas endossé ou porté par les candidats de ces deux familles politiques à l’occasion de cette élection [48]. Marine Le Pen fait quant à elle un usage assez parcimonieux de ces occurrences et ne mobilise, pas plus dans ses discours que dans sa profession de foi, un discours (anti)-européen attendu.
Fréquences dans les discours de campagne des groupes de formes fran*, europ* et mond* par candidat (sur 10 000)
Fréquences dans les discours de campagne des groupes de formes fran*, europ* et mond* par candidat (sur 10 000)
27Nous avons ensuite individualisé les différents discours du corpus afin de voir si les candidats avaient parlé de l’Europe tout au long de leur campagne ou s’il y avait juste un temps pour évoquer celle-ci (cf. graphique 3). Rappelons que, en l’état actuel du corpus, nous comparons les trois discours (M1-M2-M3) de François Bayrou, François Hollande et Nicolas Sarkozy.
Évolution du groupe de formes europ* dans les discours de campagne des candidats Bayrou, Hollande et Sarkozy (fréquence sur 10 000)
Évolution du groupe de formes europ* dans les discours de campagne des candidats Bayrou, Hollande et Sarkozy (fréquence sur 10 000)
28De fait, on constate que les trois candidats adoptent des stratégies différentes mais qui convergent toutes vers moins d’Europe en fin de campagne. Comme pour les professions de foi, on observe que l’européanisation diffuse d’un contexte électoral ne contribue pas forcément à européaniser la campagne électorale. François Bayrou évacue progressivement l’évocation de l’Europe au fil de sa campagne, François Hollande ouvre son cycle de meetings en parlant un peu d’Europe puis stabilise en net retrait les mentions de celle-ci, alors que Nicolas Sarkozy en fait un thème récurrent du discours de Villepinte (M2) mais transparent du discours de Marseille (M1) et discret de celui de Nice (M3). Ce faisant, il crée la surprise en transformant ce qui devait être un discours d’annonce de son projet en discours protectionniste et conforte par là même la droitisation de sa campagne en usant de thèmes du FN (immigration/protectionnisme économique) maquillés en « questions européennes » : la réforme réclamée de la gouvernance de Schengen permet de dénoncer une « Europe-passoire des technocrates et des tribunaux », la proposition de création d’un Buy European Act permet d’affirmer : « Le libre-échange, oui. La concurrence déloyale, non ».
29Analyser la place de l’Europe dans les discours suppose d’observer son articulation avec d’autres espaces de références (« la France », « le monde ») : des substantifs dont nous avons déjà vu la place dans les professions de foi. Nous considérerons tant sa place relative dans les discours (graphique 2) que ses usages au regard des spécificités textuelles de chacun des candidats (tableau 2).
Les 12 substantifs les plus utilisés en 2012 dans les « grands discours » (M2)*, **
Les 12 substantifs les plus utilisés en 2012 dans les « grands discours » (M2)*, **
* : Europe, l’Europe, L’Europe, d’Europe.** : discours non disponibles en version écrite et/ou vidéo pour Arthaud, Cheminade et Poutou.
30D’un candidat à l’autre, l’articulation entre les espaces change, mais chez tous les candidats, sauf Eva Joly, la France devance l’Europe et le monde (stricto sensu, les groupe de formes « fran* », « europ* » et « mond* » : cf. graphique 2). Comme dans les professions de foi, la « France » est le substantif le plus cité dans les discours de meeting, souvent suivi de près par « Français » (cf. tableau 2). L’Europe en revanche est ici absente ou tombe en bas de tableau, sauf chez Nicolas Sarkozy (2e place) et Dupont-Aignan (3e place). La « nationalisation » de la campagne se fait au détriment de références explicites à l’Europe qui, de figure obligée des professions de foi, devient figure libre dans les discours de meeting. En outre, trois candidats (Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly et Marine Le Pen) sollicitent plus le groupe de formes « mond* » que celui d’« europ* » : autant d’invites à une lecture plus substantielle et détaillée des différents discours, à partir d’une étude stylistique de ceux-ci.
31Nicolas Dupont-Aignan, dans notre corpus, est celui qui parle le plus d’Europe. Son discours, prononcé lors d’un meeting au théâtre du Gymnase à Paris le 22 janvier 2012, est construit autour d’un thème unique (« la Nation a perdu sa liberté ») décliné en deux parties : il faut libérer la France des « abandons de souveraineté », il faut libérer la France des « féodalités intérieures ». Deux figures de style sont massivement utilisées dans la première partie entièrement dédiée à l’enjeu européen : l’anaphore et la synecdoque [49]. Dans le premier cas, la répétition permet la dénonciation cumulative :
« Une Europe passoire, courant d’air entre deux océans. Une Europe du chômage. Une Europe accélératrice de crise. Une Europe corsetée, en camisole. Une Europe de la ruine, de la dette, de la banqueroute. »
33Dans le second cas, l’évocation permet l’itération des boucs émissaires : « Bruxelles », « technocrates non élus », « Commission européenne », « le Traité constitutionnel », etc. Dans les deux cas, l’usage de ces figures de style installe une saturation syntaxique et sémantique renvoyant à l’Europe et à ses « liens qui enchaînent la France ». Ici, parler (beaucoup) de l’Union européenne revient à (mieux) la dénoncer.
34À l’opposé, le discours prononcé par Eva Joly au Cirque d’hiver à Paris le 18 avril 2012 ne fait quasi pas de place à l’Union européenne. Les deux occurrences identifiables renvoient à l’Europe comme territoire commun imbriqué dans un espace global, comme l’illustre en particulier la phrase suivante :
« Nous sommes chez nous [en France], nous les Bretons, les Corses, les Occitans, nous les polaks, les portos, les ritals et les espingouins, nous les youpins, les nègres, les bougnoules, nous les Norvégiennes ménopausées, nous l’Europe, nous le monde, nous la planète, parce que nous sommes la liberté d’aimer, l’égalité devant la loi, et la fraternité dans la République. »
36L’anaphore finale « Votez pour la planète… » (8 occurrences) ne mentionne pas l’Europe et se focalise sur les enjeux écologiques (épandage, circuits courts, nucléaire…). Ici ne pas parler (du tout) de l’Union européenne permet de ménager les sensibilités (contrastées) au sein d’un parti désormais divisé sur la question.
37Jean-Luc Mélenchon convoque l’Europe dans ses discours selon deux modalités. Comme Eva Joly, il affiche le souci du « destin de la civilisation humaine » et pose la question du « qui peut incarner l’intérêt général humain » (M1) : le projet politique s’affranchit des frontières et dans ce cas l’Europe a une simple fonction transitive, maillon d’une chaîne qui va de l’individu à l’humanité. Appelant de ses vœux une « révolution citoyenne », Jean-Luc Mélenchon fait un usage métonymique de l’Europe. Le premier discours place Stalingrad est dédié à « nos frères et sœurs grecs, à leur lutte obstinée » : ici le peuple grec concentre à la fois le « peuple [français] tout entier » et tous les peuples opprimés. De même, l’Europe institutionnelle figure repoussoir de « la capitulation sans condition devant les banques » (M1) et des abandons « de liberté et de souveraineté » (M2) est une sorte de condensé des compromis nationaux et des égoïsmes mondiaux. Le deuxième usage de l’Europe, nettement itératif, est plus partisan. Dénonçant après le sommet européen de Bruxelles du 8 décembre 2011 « une Europe austéritaire », Jean-Luc Mélenchon politise les questions européennes afin de ranimer la flamme d’une gauche qui pourrait capitaliser la victoire du « non » de 2005 au profit d’une dynamique présidentielle en 2012. Ici parler (beaucoup) de mondialisation (et plus marginalement d’Europe) doit permettre de ressouder (autant que possible) une gauche protestataire, voire élargie au-delà.
38C’est précisément le piège dans lequel François Hollande cherche à ne pas se laisser enfermer tout au long de la campagne : devenir le prisonnier de la gauche de sa gauche sur les questions européennes. Cela contribue probablement à expliquer les trois caractéristiques de ses discours étudiés ici : l’absence de toute occurrence relative à l’Europe dans les grandes périodes oratoires de ses discours, la moindre présence de l’Europe au fil de ceux-ci, mais aussi la contribution de l’Europe à « l’impératif de correction » [50] assigné à la gauche. Si François Hollande fait un grand usage des anaphores, la désormais notoire « moi, président de la République… » lors du débat télévisé du 2 mai 2012 n’en constituant qu’un bouquet final, la vision du rôle présidentiel qu’il impose à travers ces anaphores ne semble pas intégrer de perspective européenne forte. D’emblée peu présente, l’Europe tend aussi à l’être de moins en moins au fil des discours de la campagne (cf. le graphique 4). Comme si François Hollande, au moment de rassembler et compter ses soutiens, cherchait à éluder les sujets qui fâchent et qui divisent grâce à une « politics of muffling » [51], afin de minimiser le coût électoral d’un enjeu source de division intrapartisane. On pourrait considérer que l’Union européenne est ici l’objet d’une « ellipse narrative », consistant à passer sous silence une période de temps et à ne pas en raconter les événements [52]. Mais en même temps, parler d’Europe est possible, dès lors qu’on l’intègre au récit du combat de correction sociale propre à la gauche. Après le diagnostic d’une Europe « incapable de protéger sa monnaie de la spéculation » et qui se charge « en défiance » vient l’énoncé d’un projet global de « redressement dans la justice » : « la France doit retrouver l’ambition de changer l’orientation de l’Europe […] : le mouvement vers une Europe de croissance, vers une Europe de solidarité, vers une Europe de protection » (M1-Le Bourget), « Chacun sait que si je suis demain le président de la République, il y aura une renégociation du traité [53] » (M2-Vincennes). On peut se demander si l’ostentation énergique d’un « non » au futur traité du candidat socialiste en 2012 n’est pas là pour compenser (ou équilibrer) le « oui » à l’ex-traité constitutionnel du premier secrétaire du PS en 2005, dans une sorte de synthèse réconciliatrice d’une gauche alors divisée et se retrouvant désormais sur la thématique de « l’Europe sociale », en donnant des gages aux propositions de « démondialisation » et de « protectionnisme européen » portées par Arnaud Montebourg et d’autres à la gauche du parti. Ici parler (le moins possible) de l’Union européenne se double d’une politisation (sélective) du thème.
39Si François Bayrou consacre à l’Europe le deuxième quart de son discours de Pau, c’est pour mettre en exergue deux éléments. Construite par les pères fondateurs comme « une volonté, une harmonie et une puissance » [54], l’UE est désormais, selon lui, un espace sans solidarité et « une oligarchie ». Tout en se proclamant « Européen de conviction profonde », le candidat centriste en tire trois conséquences : l’Europe doit être utilisée comme porte-voix de la France, elle doit se réformer et, surtout, la priorité absolue du redressement de la France a des solutions endogènes :
41Ce triple cadrage de l’Europe comme projection française, idée dévoyée et priorité « secondaire » se retrouve encore dans les discours prononcés au Zénith de Paris et à Lyon : les trois discours sont convergents et cohérents, aussi avec la profession de foi. Candidat centriste, Bayrou parle assez peu de l’Europe et lorsqu’il en parle, c’est pour mettre en place une rhétorique de la dénonciation et de la (re)nationalisation. Une dernière citation viendra illustrer le rapport ambigu à l’Europe que construit François Bayrou dans sa campagne présidentielle 2012 :
« Je veux vous parler de l’Europe, de notre Europe. Je n’aime rien tant que la souveraineté. Je l’aime dans ma vie personnelle, je n’aime pas me faire dicter des choix. Je l’aime dans ma vie de citoyen : j’attends d’exercer ma part de peuple souverain. Je l’aime passionnément pour mon pays que je veux indépendant chaque fois que possible. Mais j’aime la souveraineté réelle, pas la souveraineté apparente qui est en réalité une absence de souveraineté, une dépendance. C’est pourquoi je suis européen. »
43Au-delà de l’asymétrie entre le nombre des occurrences « Europe »/« souveraineté », ce qui frappe d’emblée c’est la construction oxymorique [55] de la phrase qui permet de se déclarer européen au nom de son amour de la souveraineté… Elle renseigne sur la tonalité très « nationale » de la campagne 2012 de François Bayrou, dominée par le mantra du « produire en France ». Ici parler (peu) de l’Europe permet de parler (beaucoup) du « pays France ».
« Ce soir la France est de retour en Europe. […] Je les conjure [nos partenaires européens] de ne pas rester sourds à la colère des peuples qui perçoivent l’Union européenne non comme une protection mais comme le cheval de Troie de toutes les menaces que portent en elles les transformations du monde. » [56]
45Ce discours, tenu par Nicolas Sarkozy à l’occasion de son élection au soir du 2nd tour de l’élection présidentielle le 6 mai 2007, a ouvert un quinquennat placé sous le double signe du volontarisme européen et des tentations souverainistes. Un autre, prononcé à Toulon le 1er décembre 2011, le clôt dans une lignée plus ostensiblement gaullienne :
« La refondation de l’Europe, ce n’est pas la marche vers plus de supranationalité. La crise a poussé les chefs d’États et de gouvernements à assumer des responsabilités croissantes, parce qu’au fond, eux seuls disposaient de la légitimité démocratique qui leur permettait de décider. » [57]
47L’affichage du volontarisme, du pragmatisme, de la protection, de la souveraineté au nom de l’Europe doit, de fait, s’entendre aussi comme une façon de « rendre à la France la maîtrise de son destin » [58]. Cette vision incarnative explique (voire justifie) les stratégies de cavalier seul au sein même de l’UE, comme l’illustre l’annonce d’une instauration unilatérale d’une taxe sur les transactions financières le 29 janvier 2012, puisque la France est investie d’une mission : « montrer l’exemple et provoquer un choc » [59]. L’Europe politique que le président de la République appelle de ses vœux pourrait bien n’être qu’une France en grand. Les discours du candidat Sarkozy ne sont pas moins ambigus. D’un discours à l’autre, l’Europe est soit oubliée (M1-Marseille), soit contradictoirement revendiquée (M2-Villepinte), soit réinterprétée (M3-Nice). Nulle trace d’Europe ou quasi dans le discours de Marseille rythmé autour de trois anaphores : « Quand on oublie la France, on oublie… », « Aimer la France, c’est… » et « Quand on aime la France… ». En revanche, l’Europe occupe le tiers central du discours de Villepinte et fait l’objet d’un traitement ambivalent. Si le passage consacré à l’Europe s’ouvre sur l’affirmation d’une solidarité de fait, il se clôt, après une mise en doute du bien-fondé des évolutions européennes, sur la menace unilatérale d’un recours (retour ?) à une « politique de la chaise vide » :
« Il y a urgence car il n’est pas question que nous acceptions de subir les insuffisances de contrôle aux frontières extérieures de l’Europe. Je suis décidé à m’engager totalement pour que ces principes soient mis en œuvre parce que c’est la seule façon d’éviter l’implosion de l’Europe. Mais si je devais constater que dans les douze mois qui viennent, il n’y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen jusqu’à ce que les négociations aient abouti. » [60] (M2-Villepinte)
49Le discours de Nice, tout en faisant beaucoup moins de place à l’Europe, accentue la critique et surtout réévalue la fonction apaisante de la frontière comme réponse aux « erreurs » de l’Union européenne :
« Et c’est vrai que le projet européen s’est perdu, s’est perdu dans la technocratie, a perdu ses valeurs et a détourné nos compatriotes de cet idéal. […] Quelles erreurs ont-elles été commises pour en arriver là ? […] La deuxième erreur majeure, elle est dans la suppression de notre vocabulaire de mots fondateurs que sont les mots frontière et les mots nation. Je sais que c’est bizarre que je vous parle de ça et pourtant, je l’ai tellement au fond de l’âme. Je pense tellement que ce fut une erreur. La frontière. La frontière est présentée par tous ceux qui n’y ont pas réfléchi comme une barrière. Moi, je pense que la frontière rassure, que la frontière apaise, que la frontière conforte et qu’un pays, une société rassurée, confortée, confiante, c’est une société ouverte, qu’un pays qui est inquiet, c’est une société fermée. » (M3-Nice)
51La figure de style la plus pertinente pour rendre compte de cet extrait est encore le paradoxysme, puisqu’elle consiste ici à affirmer qu’une société « ouverte » est « rassurée » par sa frontière… Cette tension entre l’ouverture et la fermeture, entre l’Europe et la frontière résume aussi, à elle seule, l’évolution discursive de Nicolas Sarkozy au fil de sa campagne et son inflexion nationalo-droitisante après Villepinte.
52Fidèle au positionnement national-populiste du Front national depuis les années 1990, Marine Le Pen a réservé à l’Europe une place de choix, dès son discours d’investiture à la présidence du parti le dimanche 16 janvier 2011 à Tours : un cinquième de celui-ci était dévolu à jeter l’anathème sur « L’Europe de Bruxelles » et « L’européo-mondialisme », agents liberticides des maux français. État fort, souveraineté monétaire retrouvée avec l’abandon de l’euro, relocalisation des productions, patriotisme économique et social seront dès lors autant de jalons d’une relève nationale, identitaire et sociale. Selon la présidente du Front national, en 2012, le choix sera binaire : « soit la mondialisation, soit la Nation » [61], « un pays libre ou une nation esclave » (M2-Toulouse), « la Caste ou le peuple » (M1-Metz). Cette structure discursive va être filée tout au long de sa campagne et va organiser des paires sémantiques : « élites »/« oubliés de la politique française », « mondialisme »/« patriotisme », « monde virtuel »/« retour au réel », « renoncement »/« souveraineté nationale ». Dans ce dispositif, l’Europe est présentée comme un des rouages de « la remise des clefs de la maison France aux marchés financiers » (M2-Toulouse) : « C’est Jacques Delors, Pierre Bérégovoy et Pascal Lamy, le directeur de l’OMC, qui ont cédé devant le Mur de l’argent avec l’Acte unique » (M2-Toulouse). À ce titre, l’Europe participe, mais parmi d’autres, d’une mise en abyme des figures de la soumission (oligarchies corrompues et profiteurs transnationaux) : Nicolas Sarkozy, ministres et hauts fonctionnaires, UMPS, Union européenne, OMC… Ici parler (un peu) d’Europe permet de dénoncer (beaucoup) la mondialisation pour mieux revenir à la France.
53Selon les candidats, la thématique européenne est plus ou moins présente et explicite, mais chez tous elle s’organise autour de trois leitmotive : la dénonciation, la nationalisation et la politisation. Premièrement, un cadrage commun à tous les candidats impose le thème de l’impuissance et de l’injustice de l’Union européenne. Même si des variations (en mode mineur ou majeur) sont identifiables, tous s’accordent à dénoncer le dévoiement de l’idéal européen, le décrochage démocratique et l’absence de protection perçue par les peuples. Deuxièmement, la nationalisation se déploie comme thématique transpartisane : elle s’illustre dans l’obsession de chaque candidat à prôner une solution française aux maux de l’Europe et à proclamer la vocation universaliste de la France. Face aux crises et aux craintes, le territoire national redevient espace-refuge : ainsi s’explique probablement l’importance du thème de la frontière [62]. Enfin, troisièmement, une politisation des enjeux européens s’esquisse au fil de la campagne. Aux logiques de déni (Dupont-Aignan) et de déplacement (Mélenchon, Joly, Le Pen) s’ajoute une logique de confrontation bipolaire : solidaire-redistributive (Hollande) versus national-protectrice (Sarkozy). Ce triple cadrage contribue à montrer combien du côté de l’offre électorale, le rapport à l’Europe est tissé de doubles langages, de tensions structurelles et d’instrumentalisations conjoncturelles. En tout état de cause, il active des ressorts idéologiques variés et entre en résonance avec les ambivalences des électorats de chaque camp.
À l’heure du vote : bidimensionnalité, tripartition
54Si l’Europe semble bien avoir joué en 2012 un rôle plus clivant dans les messages des candidats en campagne que par le passé, encore s’agit-il d’étudier si cette politisation de l’enjeu a été convertie en choix électoral et donc en vote. Identifier les bons indicateurs permettant de mesurer l’effet de l’Europe sur le vote n’est pas une tâche aisée. Nos principaux résultats antérieurs avaient permis d’identifier, à travers des indicateurs de craintes vis-à-vis des conséquences de l’intégration européenne originellement issus d’une batterie d’items de l’Eurobaromètre deux dimensions des attitudes à l’égard de l’intégration européenne [63]. Il s’agit donc pour nous dans un premier temps de répliquer cette analyse sur les données de 2012 pour vérifier la pérennité ou non de cette bidimensionnalité en recourant aux mêmes indicateurs (cf. l’encadré n° 1).
Encadré 1. Les indicateurs de crainte vis-à-vis de l’intégration européenne utilisés pour l’analyse factorielle
– Peur qu’avec la construction européenne il y ait davantage de chômage en France
– Peur qu’avec la construction européenne on perde notre identité nationale et notre culture
– Peur qu’avec la construction européenne il y ait une augmentation du nombre des immigrés
– Peur qu’avec la construction européenne la France paye pour les autres pays
– Peur qu’avec la construction européenne la France joue un rôle moins important dans le monde
55Afin de synthétiser ces données de 2012 et de mettre en œuvre notre modèle de mesure des attitudes des Français vis-à-vis de l’intégration européenne, nous avons conduit une analyse factorielle, méthode statistique très adaptée lorsqu’il s’agit d’identifier les dimensions latentes du concept étudié, ici la crainte inspirée par les développements de l’intégration européenne. L’analyse factorielle des correspondances multiples conduite sur les six indicateurs de craintes vis-à-vis de l’intégration européenne fait tout d’abord apparaître trois dimensions d’analyse qui expliquent 70,57 % de l’inertie totale du nuage de points des individus. Nous ne retiendrons que les deux premières qui rendent compte de plus de 58 % de la variance totale [64]. La première dimension factorielle (44,16 % de l’inertie totale) recouvre très largement la première dimension identifiée dans nos précédents travaux, tant en 2002 qu’en 2007 : il s’agit d’une opposition générale entre toutes les modalités de réponse indiquant les craintes et celles désignant l’absence de crainte. Pour qualifier cette dimension, nous avons contrôlé que l’expression de craintes ou d’absence de craintes par les répondants recouvrait bien une attitude plus générale vis-à-vis de l’intégration européenne : ceux qui expriment leur crainte, quelle qu’elle soit, sont bien ceux qui pensent que le fait pour la France d’appartenir à l’Union européenne est « une mauvaise chose » et qui connotent très négativement et assez négativement le mot « Europe ». Ceux qui n’expriment aucune crainte vis-à-vis de l’intégration européenne ont un profil d’opinions sur l’Europe exactement inverse. L’expression de la crainte est davantage structurée par les craintes qu’avec la construction européenne il y aura « une perte de l’identité nationale et de notre culture », que « la France joue un rôle moins important dans le monde » et qu’il y ait « une augmentation du nombre d’immigrés », que par les autres craintes tandis que l’absence de craintes est structurée de manière plus indifférente aux différents indicateurs. La seconde dimension (14,06 %de l’inertie [65]) de l’analyse factorielle oppose, comme en 2002 et en 2007, deux types de craintes concernant la construction européenne : d’un côté, ceux qui déclarent craindre « qu’il y ait moins de protection sociale en France » mais ne pas craindre « qu’il y ait une augmentation du nombre des immigrés » ; de l’autre côté, la structure inverse. La crainte ou la non-crainte d’une diminution de la protection sociale est la variable qui structure le plus cette dimension. Les données 2012 confirment ainsi que les attitudes à l’égard de l’Union européenne sont, en France, bidimensionnelles. Nous nous proposons donc de créer deux indices à partir des scores sur la première et la seconde dimension de l’analyse factorielle afin d’appréhender leur rôle sur le vote au 1er tour de la présidentielle. Ces deux indices d’attitude vis-à-vis de l’intégration européenne seront considérés ici comme des variables explicatives du vote et intégrés dans un modèle explicatif plus large. L’analyse empirique sera conduite par l’application d’un modèle de régression.
56Le modèle de régression que nous avons élaboré est un modèle de régression logistique multinomiale dans la mesure où notre variable dépendante, le vote, est une variable catégorielle avec de nombreuses modalités : les dix candidats du premier tour de la présidentielle. Afin de simplifier l’analyse des données et de ne pas rencontrer d’importants problèmes méthodologiques liés à la faiblesse des effectifs correspondant aux plus petits candidats (Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Cheminade, Eva Joly), nous n’avons retenu que les cinq premiers candidats : Jean-Luc Mélenchon, François Hollande, François Bayrou, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Ces cinq candidats ont réuni ensemble un peu plus de 76 % des suffrages exprimés au 1er tour et ils couvrent assez complètement le spectre politique du 1er tour de la présidentielle [66].
57Considérer la variable dépendante de la régression comme une variable catégorielle induit de considérer que l’une des catégories sert de « modalité de référence », une catégorie « benchmark » à laquelle les votes en faveur des autres candidats vont être comparés. L’analyse de régression logistique multinomiale procède par une série de régressions logistiques binaires pour lesquelles on organise une comparaison systématique entre la modalité de référence et les autres modalités tour à tour. En prenant comme postulat la dimension « tripolaire » de l’espace politique du 1er tour de la présidentielle [67], c’est le vote en faveur de Marine Le Pen que nous considérons comme la modalité de référence. L’analyse de régression logistique multinomiale va comparer une série de contrastes entre les votes en faveur des quatre autres candidats tour à tour et Marine Le Pen.
58Nous souhaitions tester l’hypothèse que les deux dimensions d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne identifiées par l’analyse factorielle expriment des effets spécifiques sur le vote du 1er tour, qui ne sont pas simplement déjà exprimés par l’adhésion des électeurs à des dimensions idéologiques et à des systèmes d’attitudes qui structurent le vote de manière significative : l’échelle de libéralisme économique, de libéralisme culturel, d’ethnocentrisme, l’opinion vis-à-vis de la globalisation et bien sûr l’échelle gauche-droite [68]. L’hypothèse de recherche est donc ainsi formulée : toutes choses égales par ailleurs, et notamment une fois pris en compte ces autres facteurs, les deux dimensions d’attitudes qui mesurent les craintes vis-à-vis des développements de l’intégration européenne ont-elles exprimé des effets nets sur le vote de 1er tour ? Nous avons également introduit des variables de contrôle : l’âge (en cinq classes), le genre, la catégorie socioprofessionnelle (une série de variables indicatrices, la catégorie des ouvriers étant la modalité de référence) et le niveau de diplôme (mesuré par une série de variables indicatrices, la catégorie des « sans diplôme » étant la modalité de référence) [69]. Le tableau 3 présente les coefficients de régression exprimés sur une échelle additive [70]. Ces coefficients mesurent chacun l’effet de la variable explicative sur le « logit », c’est-à-dire le logarithme du rapport des chances de voter pour Jean-Luc Mélenchon, puis François Hollande, François Bayrou et Nicolas Sarkozy plutôt que pour Marine Le Pen [71]. Le vote en faveur de la candidate du Front national est ici la modalité de référence : les coefficients de régression du tableau 3 s’interprètent donc par rapport à cette modalité de référence.
59Les échelles d’attitudes prises en compte – échelle de libéralisme économique, échelle de libéralisme culturel, échelle d’ethnocentrisme, échelle gauche-droite – sont tout d’abord toujours liées de manière statistiquement très significative avec les votes [72] ; ce résultat n’est pas surprenant compte tenu des liens habituellement observés entre attitudes et comportements politiques. Les variables de contrôle, une fois prises en compte les échelles d’attitudes, jouent beaucoup moins fortement que si l’on avait voulu tester un modèle purement sociologique du vote, par exemple celui du « vote de classe » ou du « vote culturel » [73]. Concernant plus précisément les deux dimensions des attitudes à l’égard de l’intégration européenne, l’analyse met en évidence que la première dimension de ces attitudes, celle qui traduit le sentiment de crainte le plus général, maintient ses effets quel que soit le choix binaire dans lequel notre modèle place les électeurs. Autrement dit, la crainte des conséquences de l’intégration européenne composée de nos six indicateurs de craintes produit des effets toujours significatifs sur la propension à voter pour Marine Le Pen, quel que soit le candidat auquel on l’oppose. Il s’agit d’un résultat important. En effet, les corrélations entre cette première dimension de crainte générale vis-à-vis de l’intégration européenne et les échelles de libéralisme culturel ou d’ethnocentrisme étant assez fortes, nous aurions pu faire l’hypothèse que les effets de ces facteurs explicatifs absorberaient et engloberaient les craintes des électeurs vis-à-vis de l’intégration européenne et plus généralement du clivage « intégration/démarcation » [74]. Or ce n’est pas le cas. Notre première dimension des attitudes à l’égard de l’intégration européenne produit des effets propres significatifs sur le vote en faveur de Marine Le Pen.
60L’effet de notre seconde dimension de craintes à l’égard de l’intégration européenne est moins fort. En gardant toujours le vote pour Marine Le Pen comme référence, c’est d’abord et avant tout le fait d’avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon qui est ici statistiquement significatif. Les valeurs et les signes des coefficients de régression semblent bien indiquer que la seconde dimension des craintes à l’égard de l’intégration européenne ordonne les votes sur une échelle gauche-droite et cette interprétation est statistiquement valide aux deux extrémités de cette échelle : sur cette seconde dimension, ce sont les votes en faveur du candidat du Front de gauche et ceux en faveur de Marine Le Pen qui s’opposent fortement. Le fait que la seconde dimension des craintes à l’égard de l’Europe joue un rôle statistiquement moins significatif que la première dimension dans notre régression n’est pas étonnant, étant donné que cette seconde dimension entretient une relation assez forte avec l’échelle gauche droite, présente dans le modèle [75]. Le tableau 3 montre cependant que ses effets sur le vote ne sont pas nuls lorsque les différentes échelles d’attitudes de notre analyse sont prises en compte. Il ressort de cette analyse que nos deux dimensions des craintes à l’égard de l’intégration européenne semblent avoir joué un rôle sur le vote au 1er tour de la présidentielle. La première dimension joue un rôle important dans le vote ou non en faveur de Marine Le Pen. La seconde joue un rôle moins fort mais renforce cependant la division entre vote de gauche et vote de droite.
Modélisation du vote de 1er tour, selon des facteurs d’attitudes politiques, contrôlés par des variables sociodémographiques (le vote Le Pen est la modalité de référence)
Modélisation du vote de 1er tour, selon des facteurs d’attitudes politiques, contrôlés par des variables sociodémographiques (le vote Le Pen est la modalité de référence)
Pour alléger la présentation des données, le tableau de donne pas les coefficients de régression pour un ensemble de variables de contrôle introduites dans le modèle (l’âge, le genre, la catégorie socioprofessionnelle et le niveau de diplôme). Les résultats complets sont à la disposition des lecteurs sur demande aux auteurs.61On pourrait objecter que c’est le fait de considérer le vote en faveur de Marine Le Pen comme modalité de référence de l’analyse de régression qui exacerbe la significativité statistique de l’effet de la crainte à l’égard de l’intégration européenne. On pourrait d’ailleurs formuler la même objection à propos des effets de notre seconde dimension dans la mesure où, par rapport aux craintes d’une augmentation de l’immigration et d’une diminution de la protection sociale dues à l’UE, le vote Le Pen représenterait également un point extrême. Pour répondre à ces objections, nous avons modifié la modalité de référence et estimé le modèle de régression pour tous les contrastes binaires que l’on peut construire à partir des cinq candidats retenus pour nos analyses, soit un total de dix. Le tableau 4 ne conserve, pour nos deux dimensions d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne, que les coefficients qui sont significatifs au seuil de 0,05. Il est remarquable de constater que les seuls coefficients significatifs, pour la première dimension, sont bien ceux qui opposent les quatre autres candidats à Marine Le Pen. Autrement dit, notre première dimension d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne exprime ses effets avant tout dans une configuration de l’espace politique qui oppose la candidate du Front national aux quatre autres candidats retenus dans notre analyse. Pour la seconde dimension d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne, les coefficients de régression ne sont significatifs que lorsque le choix binaire est entre Jean-Luc Mélenchon ou François Hollande plutôt que Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy : exprimer une crainte vis-à-vis de l’intégration européenne dans le domaine social plutôt qu’en matière d’immigration est bien sous-tendu par une orientation idéologique gauche-droite et ce résultat perdure lorsque l’on contrôle par l’échelle gauche-droite. Il est néanmoins remarquable de constater que le coefficient n’est pas significatif dans le cas du choix binaire de voter pour Nicolas Sarkozy plutôt que pour Marine Le Pen. Les électorats du candidat de l’UMP et du FN paraissent donc se différencier bien davantage dans leur rapport à l’intégration européenne en général (première dimension) que sur cette dimension de craintes sociales ou en matière d’immigration (seconde dimension).
Les effets des deux dimensions d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne pour l’ensemble des choix de vote au 1er tour de l’élection présidentielle
Les effets des deux dimensions d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne pour l’ensemble des choix de vote au 1er tour de l’élection présidentielle
(Coefficients de régression significatifs au seuil de 0,05 pour l’ensemble des logits estimés)Lecture : Dans la première colonne, les coefficients négatifs correspondant à la première dimension d’attitudes indiquent que lorsque les craintes vis-à-vis de l’intégration européenne augmentent, les chances de voter Mélenchon, Hollande, Bayrou ou Sarkozy plutôt que Le Pen décroissent, autrement dit que la crainte accroît les chances relatives de voter Marine Le Pen. Sur la seconde dimension d’attitude, les coefficients négatifs indiquent que lorsque les craintes en matière de protection sociale décroissent les chances de voter Mélenchon plutôt que Sarkozy ou Le Pen, Hollande plutôt que Sarkozy diminuent également.
62Ces premières analyses mettent clairement en évidence que nos deux dimensions d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne expriment des effets sur le vote toutes choses égales par ailleurs. Le tableau 4, en montrant que ces effets se sont plus particulièrement exprimés dans certains segments de l’électorat, invite cependant à prolonger l’analyse, ce que nous avons fait, à travers l’analyse des probabilités prédites par le modèle pour certains profils d’électeurs [76]. Nous avons en particulier cherché à savoir l’influence de chacun des grands facteurs reconnus comme influençant le vote – libéralisme culturel, libéralisme économique, ethnocentrisme – et de nos deux dimensions d’attitudes à l’égard de l’Europe sur les probabilités de voter pour les différents candidats [77]. Nos analyses, conduites à présent en termes d’effets marginaux des variables explicatives sur les probabilités de vote (cf. tableau 5), montrent que les effets des attitudes vis-à-vis du libéralisme économique ou culturel, de l’ethnocentrisme ainsi que la position sur l’échelle gauche-droite sur le vote pour tel ou tel candidat sont toujours plus forts que ceux des deux échelles d’attitudes vis-à-vis de l’Europe, sauf lorsqu’il s’agit de la probabilité de voter pour Marine Le Pen (la dimension générale des attitudes à l’égard de l’UE peut accroître jusqu’à 14 % la probabilité de voter pour Marine Le Pen). Le choix de voter pour la candidate du Front national semble ainsi beaucoup plus dépendre des positions de ces électeurs sur notre première échelle d’attitude vis-à-vis de l’Europe que sur le libéralisme économique et même sur le libéralisme culturel et l’échelle gauche-droite. Ce sont les attitudes de ces électeurs en termes d’ethnocentrisme ainsi que vis-à-vis de l’Europe et de la globalisation qui comptent davantage. Ce résultat renforce donc nos résultats précédents concernant le rôle déterminant des attitudes à l’égard de l’Europe dans le vote pour Marine Le Pen.
Les effets marginaux des variables d’attitudes sur le vote au 1er tour de l’élection présidentielle
Les effets marginaux des variables d’attitudes sur le vote au 1er tour de l’élection présidentielle
(a) Il s’agit ici de la moyenne des valeurs absolues des effets marginaux ; (b) variation de la probabilité prédite associée à une variation de la variable explicative de sa valeur la plus faible à sa valeur la plus forte.63En ce qui concerne les probabilités de vote pour Nicolas Sarkozy et François Hollande, notre première dimension d’attitude sur l’Europe ne joue tout d’abord que très faiblement sur le vote pour le président sortant qui semble avant tout influencé par le niveau de libéralisme économique et la position sur l’échelle gauche-droite de ses électeurs potentiels. L’attitude vis-à-vis de l’Europe joue un peu plus sur le vote Hollande, notamment l’amplitude de variation qui est de près de 10 % lorsque l’on passe de la valeur la plus faible de l’échelle à sa valeur la plus forte (coefficient marginal de – 0,0927). L’électorat potentiel de François Hollande, tel que le modèle le prédit, semble donc plus exposé à la tonalité en faveur d’une nouvelle dynamique européenne du message de son candidat que l’électorat de Nicolas Sarkozy ne semble influencé par la posture générale nécessairement favorable à l’intégration européenne d’un président sortant sous la Cinquième République. Quant aux probabilités de vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon ou François Bayrou, elles semblent également moins fortement influencées par l’attitude vis-à-vis de l’intégration européenne que par les autres facteurs explicatifs : faible libéralisme économique, faible ethnocentrisme et positions de gauche sur l’échelle gauche-droite pour Jean-Luc Mélenchon ; fort libéralisme économique, plus faible libéralisme culturel pour François Bayrou dont les probabilités de vote sont peu influencées par les positions sur l’échelle gauche-droite.
64Les effets marginaux de notre seconde échelle d’attitudes vis-à-vis de l’Europe apparaissent plus faibles que ceux qui concernent le libéralisme économique, culturel ou l’échelle gauche-droite, ce qui n’est pas étonnant étant donné que cette échelle est davantage connotée par la dimension gauche-droite que la première. Cependant, ses effets s’expriment dans les probabilités de voter pour François Hollande ou Nicolas Sarkozy : pour ce dernier, l’attitude de ses électeurs sur cette échelle exerce une influence positive plus forte que les opinions sur la globalisation. Pour les électeurs de Nicolas Sarkozy, si la mondialisation est une chance, il s’agit davantage d’une perception économique de la mondialisation [78] ; l’intégration européenne n’est pas perçue comme menaçante pour la protection sociale en France, mais elle est en revanche perçue comme menaçante en matière d’immigration. La combinaison d’une vision de l’économie française positivement exposée à la mondialisation mais d’une société française négativement exposée aux conséquences de l’intégration européenne en matière d’immigration est une des données importantes du tableau 5. À cet égard, les discours de campagne de Nicolas Sarkozy et notamment ceux où il a exprimé des positions très nettes sur l’espace Schengen, ont permis à une partie de son électorat potentiel d’adhérer à cette représentation à deux niveaux de l’ouverture/fermeture de la France vis-à-vis du monde et de l’Europe. Mais cette posture l’a également handicapé dans sa stratégie de conquête des électeurs de Marine Le Pen.
65* * *
66L’étude à la fois de la campagne et du vote montre que, directement ou indirectement, l’Union européenne a bien été cette fois-ci au rendez-vous de l’élection présidentielle française de 2012. Un double cadrage de dénonciation et de politisation structure les argumentaires des candidats et fait écho aux préoccupations des citoyens. La dénonciation de l’UE est récurrente (de la remise en cause du principe même de la participation française au processus d’intégration communautaire à la mise en doute des orientations prises par celle-ci). La politisation est patente : elle est indexée sur une structuration gauche-droite opposant État providence/État souverain. Surtout, l’Europe apparaît pour la première fois dans une élection nationale de premier ordre comme l’objet d’une polarisation entre les deux principaux candidats. Cette dénonciation et cette politisation entrent en résonance avec les diverses craintes des citoyens à l’égard de l’Europe, craintes qui s’expriment à travers le vote, à la fois dans leur dimension générale – de fortes craintes favorisant nettement le vote en faveur de Marine Le Pen – et dans leur dimension particulière, l’opposition entre craintes à l’égard de la perte de protection sociale et craintes à l’égard de l’immigration renforçant la division entre vote de gauche et vote de droite. La posture à l’égard de l’Europe joue d’ailleurs un rôle plus fort sur le vote Hollande que sur le vote Sarkozy, ce qui semble indiquer que le message d’un François Hollande bâtisseur d’une nouvelle dynamique européenne a porté au sein de son électorat potentiel au-delà des partisans PS. S’il a pu réaliser cette « synthèse » dès le vote au 1er tour, c’est notamment parce que l’électorat de gauche est apparu moins clivé sur les questions européennes lors de cette élection que l’électorat de droite.
67De manière plus générale, nos résultats apportent une triple contribution aux débats actuels autour du rôle de l’Union européenne dans les espaces politiques des États-membres, ici en l’occurrence de la France. D’une part, l’offre discursive des candidats paraît en lien avec les demandes des électeurs : la prise en charge des thèmes de la défense de la souveraineté et/ou de la protection des acquis du « welfare » par les candidats est bien un miroir tendu aux craintes plus ou moins fortes que les citoyens projettent dans l’objet européen. Le décalage souvent invoqué entre les discours des élites et les attentes des citoyens, pour expliquer entre autres l’absence de légitimité et de soutien populaire de l’Union, n’est pas attesté dans cette campagne présidentielle. D’autre part, le fait que les craintes à l’égard de l’Europe, mesurées à travers notre première dimension, permettent clairement de distinguer l’électorat de Marine Le Pen de ceux des autres candidats et apparaissent comme l’un des facteurs essentiels qui favorisent la probabilité de voter pour Marine Le Pen par rapport à tout autre candidat nous amènent à défendre explicitement l’actualité de la thèse de la tripartition dans l’élection présidentielle de 2012. Enfin, la bidimensionalité des attitudes à l’égard de l’UE, leur relation complexe avec l’échelle gauche-droite et leur influence sur les comportements électoraux montrent bien que la réflexion sur l’intégration européenne comme clivage n’est pas un débat aussi clos que certains voudraient le croire et constitue une invitation à le poursuivre [79].
Construction des échelles d’attitudes
68Plusieurs méthodes sont envisageables lorsque l’on souhaite construire des échelles d’attitudes. Celles-ci visent à combiner les scores révélateurs du degré d’adhésion à l’attitude, dite « latente », que l’on ne peut observer directement mais qui est mesurée par un ensemble d’indicateurs observés, dits « manifestes ». Deux grandes familles de méthodes d’analyse sont fréquemment utilisées : d’une part, les techniques de construction d’échelles d’attitude qui supposent que les indicateurs s’accumulent pour former des patterns de réponses (par exemple les échelles additives de Likert) ; d’autre part, les analyses factorielles dites « à la française » [80], et tout particulièrement l’analyse des correspondances multiples (ACM). C’est cette seconde démarche que nous avons suivie, l’analyse des correspondances multiples étant particulièrement bien adaptée aux niveaux de mesure de nos variables (catégorielles nominales ou catégorielles ordinales) et se révélant une technique plus puissante et adéquate pour obtenir les « scores optimaux » des individus sur les variables latentes. La première dimension d’une analyse de ce type fournit en effet un codage optimal des individus. Les échelles d’attitudes utilisées dans ce texte ont donc été construites par une série d’analyses des correspondances multiples spécifiques, réalisées de manière séparée pour chaque échelle. À l’issue de chacune de ces analyses nous avons analysé le premier facteur afin de vérifier qu’il mesurait bien l’attitude que nous cherchions à identifier dans les données et nous avons utilisé le codage optimal des individus comme des facteurs explicatifs du vote.
69On trouve ci-dessous les indicateurs utilisés pour chaque échelle d’attitude construite, et le codage proposé aux répondants lors de la passation de l’enquête. Ces indicateurs ont été sélectionnés à l’issue de plusieurs analyses des correspondances multiples pour chaque échelle d’attitude, les items ne contribuant pas ou peu au premier facteur des ACM étant systématiquement retirés de manière à obtenir les codages factoriels les plus « purs » et optimaux possibles. Les autres variables explicatives de notre modélisation logistique multinomiale étaient directement disponibles dans l’enquête post-électorale 2012 du CEVIPOF.
Échelle de libéralisme économique (8 indicateurs, valeur propre de la première dimension (1 = 0,2965, soit 13,05 % de l’inertie)
70Pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres
71Les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment.
72Le RSA, ancien RMI, risque d’inciter les gens à s’en contenter et à ne pas chercher du travail.
73Il faudrait limiter davantage le droit de grève dans les transports publics.
74Pour que les patrons n’aient pas peur d’embaucher, ils devraient avoir le droit de licencier plus facilement.
75(Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt pas d’accord/Pas d’accord du tout/NR-NSP)
76Pour faire face aux difficultés économiques, pensez-vous qu’il faut… que l’État fasse confiance aux entreprises et leur donne plus de liberté ; ou, au contraire, que l’État les contrôle et les réglemente plus étroitement.
77(Refus/NR/NSP)
78Pensez-vous qu’il faut accorder la priorité, dans les prochaines années… à la compétitivité de l’économie française ; ou à l’amélioration de la situation des salariés.
79(Refus/NR/NSP)
80À choisir entre… travailler davantage et gagner davantage d’argent ; ou travailler moins et gagner moins d’argent ; que préférez-vous ?
81(Refus/NR/NSP)
Échelle de libéralisme culturel (7 indicateurs, valeur propre de la première dimension (1 = 0,2817, soit 10,33 % de l’inertie)
82Il faudrait rétablir la peine de mort.
83De nos jours les parents n’ont plus aucune autorité.
84L’homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité.
85Lorsque l’emploi est en crise, les hommes devraient être prioritaires sur les femmes pour obtenir un emploi.
86Un enfant d’âge préscolaire risque de souffrir du fait que sa mère travaille.
87(Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt pas d’accord/Pas d’accord du tout/NR-NSP)
88Pour chacun des mots suivants, dites-moi s’il évoque pour vous quelque chose de très positif, d’assez positif, d’assez négatif ou de très négatif : féminisme.
89En pensant à l’école, avec laquelle de ces deux opinions êtes-vous le plus d’accord ? L’école devrait donner avant tout le sens de la discipline et de l’effort ; l’école devrait former avant tout des gens à l’esprit éveillé et critique.
Échelle d’ethnocentrisme (5 indicateurs, valeur propre de la première dimension (1 = 0,4609, soit 15,29 % de l’inertie) [81]
90Il y a trop d’immigrés en France.
91En matière d’emploi, on devrait donner la priorité à un Français sur un immigré.
92On ne se sent en sécurité nulle part
93(Tout à fait d’accord/Plutôt d’accord/Plutôt pas d’accord/Pas d’accord du tout/NR-NSP)
94Selon vous le respect des pratiques religieuses musulmanes suivantes peut-il, en France, poser un problème pour vivre en société ?
95Les prières sur la voie publique.
96Le port du voile intégral.
97(Oui, tout à fait/Oui, plutôt/Non, pas vraiment/Non pas du tout/Refus/NR/NSP)
Notes
-
[1]
Interview croisée de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel le 6 février 2012 sur les chaînes de télévision française France 2 et allemande ZDF, à la suite d’un conseil des ministres franco-allemand.
-
[2]
Conférence de presse conjointe tenue à l’Élysée le 17 février 2012.
-
[3]
Rencontre européenne « Une renaissance pour l’Europe : vers une vision progressiste commune » organisée par la Fondation Jean-Jaurès, la FEPS, la Fondation Italiani Europei et la Fondation Friedrich-Ebert, 16-17 mars 2012.
-
[4]
Renaud Dehousse, Angela Tacea, « The French 2012 Presidential Election. A Europeanised Contest », Les Cahiers européens de Sciences Po, 2, 2012, Paris, Centre d’études européennes de Sciences Po, p. 7.
-
[5]
Cf. notamment Olivier Costa, Paul Magnette (dir.), Une Europe des élites ? Réflexions sur la fracture démocratique de l’Union européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007 ; Sophie Duchesne, Elizabeth Frazer, Florence Haegel, Virginie Van Ingelgom, Citizens’ Reactions to European Integration Compared. Overlooking Europe, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013 ; Dieter Fuchs, Raul Magni-Berton, Antoine Roger (eds), Euroscepticism. Images of Europe Among Mass Publics and Political Elites, Opladen & Farmongton Hills, Barbara Budrich Publishers, 2009.
-
[6]
Klaus Goetz, Simon Hix (eds), « Special Issue on Europeanised Politics ? European Integration and National Political Systems », West European Politics, 23 (4), 2000, p. 1-231. Cf. tout spécialement les contributions de Peter Mair sur les partis et Matthew Gabel sur les électeurs : Peter Mair, « The Limited Impact of Europe on National Party Systems », ibid., p. 27-51 ; et Matthew Gabel, « European Integration, Voters and National Politics », ibid., p. 52-72.
-
[7]
« EU Issue Voting ». L’expression est de Catherine de Vries dans son article : « Sleeping Giant : Fact or Fairytale ? How European Integration Affects National Elections », European Union Politics, 8 (3), 2007, p. 363-385.
-
[8]
P. Mair, « The Limited Impact of Europe on National Party Systems », art. cité.
-
[9]
Cf. notamment : Nick Sitter, « Euro-Scepticism as Party Strategy : Persistence and Change in Party-Based Opposition to European Integration », Austrian Journal of Political Science, 32 (3), 2003, p. 239-253 ; Thomas Poguntke, Nicholas Aylott, Elisabeth Carter, Robert Ladrech, Richard Luther (eds), The Europeanization of National Political Parties. Power and Organizational Adaptation, Abington, Routledge, 2007.
-
[10]
Robert Harmsen, « L’Europe et les partis politiques nationaux : les leçons d’un “non-clivage” », Revue internationale de politique comparée, 12 (1), 2005, p. 77-94.
-
[11]
Pour une bonne synthèse de ce débat à la fin des années 2000, cf. le chapitre d’Antoine Roger, « Clivages et partis politiques », dans Céline Belot, Paul Magnette, Sabine Saurugger (dir.), Science politique de l’Union européenne, Paris, Economica, 2008, p. 197-213.
-
[12]
Voir notamment : Peter Jochen, Claes H. de Vreese, « In Search of Europe – A Cross-National Comparative Study of the European Union in National Television News », Harvard Journal of Press/Politics, 9 (4), 2004, p. 3-24 ; Mathieu Petithomme, « L’absence de conflictualisation des débats politiques sur l’Union européenne au sein des presses nationales : une analyse de contenu qualitative comparée des cas français, britannique, irlandais et espagnol (2005-2006) », Politique européenne, 33, 2011, p. 215-253.
-
[13]
Virginie Van Ingelgom, « Mesurer l’indifférence. Intégration européenne et attitudes des citoyens », Sociologie, 3 (1), 2012, p. 1-20 ; Florian Stoeckel, « Ambivalent or Indifferent ? Reconsidering the Structure of EU Public Opinion », European Union Politics, 14 (1), 2013, p. 23-45.
-
[14]
Geoffrey Evans, « Euroscepticism and Conservative Electoral Support : How an Asset Became a Liability », British Journal of Political Science, 28 (4), 1998, p. 573-590.
-
[15]
Erik Tillman, « The European Union at the Ballot Box ? European Integration and Voting Behavior in the New Member States », Comparative Political Studies, 37 (5), 2004, p. 590-610.
-
[16]
Harald Schoen, « Turkey’s Bid for EU Membership, Contrasting Views of Public Opinion, and Vote Choice. Evidence from the 2005 German Federal Election », Electoral Studies, 27 (2), 2008, p. 344-355.
-
[17]
Matthew Gabel, « European Integration, Voters and National Politics », West European Politics, 23 (4), 2000, p. 52-72.
-
[18]
Catherine de Vries, Erik Tillman, « European Union Issue Voting in East and West Europe : The Role of Political Context », Comparative European Politics, 9 (1), 2011, p. 1-17.
-
[19]
Catherine de Vries, Wouter van der Brug, Marcel van Egmond, Cees van der Eijk, « Individual and Contextual Variation in EU Issue Voting : The Role of Political Information », Electoral Studies, 30 (1), 2011, p. 16-28.
-
[20]
Catherine de Vries, « EU Issue Voting : Asset or Liability ? How European Integration Affects Parties’ Electoral Fortunes », European Union Politics, 11 (1), 2010, p. 89-117.
-
[21]
« Europe presents nothing new » : Jocelyn Evans, « The European Dimension in French Public Opinion », Journal of European Public Policy, 2007, 14 (7), p. 1098-1116, ici p. 1112.
-
[22]
Jocelyn Evans, Gilles Ivaldi, « Quand la crise du consensus profite à l’extrême droite », Le Figaro, 18 mai 2002, p. 14.
-
[23]
Gérard Grunberg, Florence Haegel, La France vers le bipartisme ? La présidentialisation du PS et de l’UMP, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
-
[24]
Nicolas Sauger, Sylvain Brouard, Emiliano Grossman (dir.), Les Français contre l’Europe ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 85.
-
[25]
Pascal Perrineau, « Le référendum français du 29 mai 2005. L’irrésistible nationalisation d’un vote européen », dans Pascal Perrineau (dir.), Le vote européen, de l’élargissement au référendum français, Paris, Presses de Sciences Po, 2005, p. 229-244.
-
[26]
Alain Mergier et al., Le jour où la France a dit « non », Paris, Plon, 2005.
-
[27]
N. Sauger, S. Brouard, E. Grossman (dir.), Les Français contre l’Europe ?, op. cit., p. 115.
-
[28]
Annick Percheron, « Les Français et l’Europe : acquiescement de façade ou adhésion véritable ? Note de recherche », Revue française de science politique, 41 (3), juin 1991, p. 382-406.
-
[29]
Gérard Grunberg, Étienne Schweisguth, « Vers une tripartition de l’espace politique », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 179-218.
-
[30]
Gérard Grunberg, Étienne Schweisguth, « La tripartition de l’espace politique », dans Pascal Perrineau, Colette Ysmal (dir.), Le vote de tous les refus. Les élections présidentielle et législatives de 2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 339-362.
-
[31]
Jean Chiche, Brigitte Le Roux, Pascal Perrineau, Henry Rouannet, « L’espace politique des électeurs français à la fin des années 1990. Nouveaux et anciens clivages, hétérogénéité des électeurs », Revue française de science politique, 50 (3), juin 2000, p. 463-487.
-
[32]
Céline Belot, Bruno Cautrès, « L’Europe, invisible mais omniprésente ? », dans Bruno Cautrès, Nonna Mayer (dir.), Le nouveau désordre électoral. Les leçons du 21 avril 2002, Paris, Presses de Science Po, 2004, p. 119-141 ; Bruno Cautrès, Sylvie Strudel, « Les traces du référendum du 29 mai 2005 dans la campagne présidentielle de 2007 », Les Cahiers du Cevipof – Le Baromètre politique français (2006-2007), 46, avril 2007, p. 141-148.
-
[33]
Nous renvoyons à la controverse ouverte en 2006 par Simon Hix et Stefano Bartolini sur la Politisation de l’UE : remède ou poison ?, <http://www.notre-europe.eu/media/policypaper19-fr.pdf?pdf=ok>. Ici nous retiendrons essentiellement une des dimensions de cette discussion, qui interroge une éventuelle polarisation gauchedroite du processus européen.
-
[34]
Thierry Vedel, Comment devient-on président(e) de la République ?, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 122.
-
[35]
Pour une défense des approches logométriques des discours politiques, cf. Damien Mayaffre, Le discours présidentiel sous la Cinquième République, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 14 et suiv.
-
[36]
Ce logiciel a été conçu par Cédric Lamalle, William Martinez, Serge Fleury et André Salem (équipe universitaire SYLED-CLA2T de l’Université Paris III-Sorbonne nouvelle). Nous remercions très vivement ce dernier pour son aide directe apportée au maniement du logiciel.
-
[37]
Voir Ruth Amossy, L’argumentation dans le discours, Paris, Nathan, 2000 ; Paul Bacot, La construction verbale du politique : études de politologie lexicale, Paris, L’Harmattan, 2011 ; Constantin Salavastru, Rhétorique et politique. Le pouvoir du discours et le discours du pouvoir, Paris, L’Harmattan, 2005.
-
[38]
Cf. la note 10, p. 1084.
-
[39]
Un groupe de formes rassemble les occurrences de formes graphiques différentes liées par une propriété commune : il permet de regrouper le singulier, le pluriel, les flexions d’un même verbe, des formes liées par un lien sémantique. Ici le groupe de formes europ* correspond à l’addition de l’ensemble des termes qui commencent par les lettres « europ » (Europe, l’Europe, européen, européens, européenne…).
-
[40]
Il s’agit des mots suivants : Europe, référendum (uniquement lorsque le terme est relatif à un référendum sur les questions européennes), directives, directive, européen, européens, européennes, européenne, Européenne, Maastricht, Bolkestein, BCE, pacte de stabilité, Bruxelles, banque centrale, PAC, politique agricole commune, traité.
-
[41]
43 sur 10 000 en 2007 contre 39 en 2012 pour les premières, 65 sur 10 000 en 2007 contre 53 en 2012 pour les secondes. Une recherche des occurrences des termes « Europe » et « Union européenne » dans les corpus du Monde, du Figaro et de Libération dans les trois mois qui précèdent l’élection montre que ces références ne sont pas non plus davantage présentes dans les médias en 2012 que lors des trois élections présidentielles précédentes.
-
[42]
Le groupe de formes fran* est constitué des termes France, Français, Française, Françaises, français, française, françaises.
-
[43]
Nous adressons nos vifs remerciements à Odile Gaultier-Voituriez, responsable du Centre de documentation au Centre de recherches politiques de Sciences Po, qui a facilité nos recherches et nous a suggéré des pistes constructives pour la constitution du corpus.
-
[44]
Comme par exemple celui prononcé par François Hollande lors de la journée « Une renaissance pour l’Europe : vers une vision progressiste commune » au Cirque d’hiver le 17 mars 2012 dans le cadre de la rencontre européenne organisée par la Fondation Jean-Jaurès, la FEPS, la Fondation Italiani Europei et la Fondation Friedrich-Ebert. Il va sans dire qu’une exploration ultérieure dans le cadre d’une recherche à plus long terme sur tous les discours des candidats devrait permettre de faire la part non seulement des convergences, mais aussi des divergences éventuelles internes à leurs discours, en prenant en compte à la fois les discours généraux et les discours thématiques.
-
[45]
Pour Nicolas Sarkozy et François Hollande, nous avons considéré que leurs deux premiers meetings stricto sensu étaient des « tours de chauffe » avant leur premier grand meeting : Mérignac le 5 janvier 2012 pour François Hollande avant Le Bourget (22 janvier), et Annecy le 16 février 2012 pour Nicolas Sarkozy avant Marseille (19 février).
-
[46]
Que ce soit par la taille du public mobilisé et/ou par les commentaires journalistiques suscités.
-
[47]
Cf. note 1, p. 1086.
-
[48]
Les différences entre les professions de foi et les discours de meeting peuvent découler du fait que les premières sont des exercices plus normés qui passent par un certain nombre de figures obligées. Le plus grand nombre d’occurrences relatives à l’Europe dans les professions de foi d’Eva Joly relève ainsi d’une révérence obligée.
-
[49]
L’anaphore consiste à commencer des vers ou des phrases par le même mot ou le même syntagme (exemple : « Paris ! Paris outragée ! Paris brisée ! Paris martyrisée ! Mais Paris, libérée ! », Charles de Gaulle, extrait du discours du 25 août 1944). La synecdoque consiste à remplacer un mot par un autre ayant une relation d’inclusion à celui-ci (exemple : « je vois des voiles au loin », ici les voiles (la partie) désignent les bateaux (le tout)). Cf. Pierre Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977.
-
[50]
Michel Hastings, Sylvie Strudel, « Gauche indivise et gauches singulières », dans Pierre Bréchon, Annie Laurent, Pascal Perrineau (dir.), Les cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 181.
-
[51]
Craig Parsons, « Puzzling out the EU Role in National Politics », Journal of European Public Policy, 14 (7) 2007, p. 1135-1149.
-
[52]
Nulle trace bien évidemment de toute mention ou allusion au référendum de 2005.
-
[53]
François Hollande désigne ici le nouveau traité de stabilité, de coordination et de gouvernance pour l’Union économique et monétaire qui a été finalisé par les États membres, à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque le lundi 30 janvier 2012.
-
[54]
L’ensemble des citations suivantes sont extraites du discours de Pau, prononcé le 10 décembre 2011.
-
[55]
En rhétorique, un oxymore est une figure d’opposition qui consiste à réunir deux termes de sens contraires à l’intérieur d’un même syntagme (exemples : « obscure clarté », « hâte-toi lentement »). Ici d’ailleurs, on est proche du paradoxisme, une figure de style créée par le grammairien Pierre Fontanier, qui réunit des attributs inconciliables mais liés de manière à frapper les esprits (exemple : « la propriété, c’est le vol »).
-
[56]
<http://www.elysee.fr/president/les-dossiers/europe/la-vision-du-president-de-la-republique-pour.9580.html>.
- [57]
-
[58]
Mais aussi : « L’Europe, ce n’est pas moins de souveraineté, mais davantage de souveraineté, parce que c’est davantage de capacité d’agir », discours de Toulon, ibid.
-
[59]
Intervention télévisée de Nicolas Sarkozy, le dimanche 29 janvier 2012.
-
[60]
Un second engagement est pris en parallèle : « Alors, je pose solennellement la question, pourquoi ce que les États-Unis, pays le plus libéral du monde, s’autorisent, l’Europe se l’interdirait. La France demandera que l’Europe se dote d’un « Buy European Act » sur le modèle du « Buy American Act ». Ainsi bénéficieront de l’argent public européen les entreprises qui produiront en Europe. Je veux m’engager totalement dans ce combat. Si dans les douze mois qui viennent, aucun progrès sérieux sur l’exigence de la réciprocité avec nos principaux partenaires n’était enregistré, alors la France appliquera unilatéralement cette règle jusqu’à ce que les négociations aboutissent ».
-
[61]
Discours d’investiture de Marine Le Pen à la présidence du Front national, 16 janvier 2011 à Tours (<http://www.nationspresse.info/?p=121433>).
-
[62]
L’occurrence associée au groupe de formes « europ* » qui arrive en toute première position est la forme « frontières ». Autrement dit, c’est le substantif le plus fréquemment associé à l’Europe dans les discours.
-
[63]
Étant donné qu’une grande partie des citoyens européens continue à déclarer un relatif soutien à l’UE dans les enquêtes Eurobaromètre, alors que dans le même temps les résultats des référendums relatifs à l’intégration européenne sont beaucoup plus incertains que par le passé, il nous semble plus judicieux de creuser la question des attitudes à l’égard de l’intégration européenne à travers les blocages qu’elle suscite, les craintes qu’elle génère.
-
[64]
La troisième dimension n’est pas interprétée car l’histogramme des valeurs propres ne fait apparaître qu’une légère décroissance entre la seconde et la troisième dimension, indiquant que l’analyse peut ne retenir que les deux premières dimensions. Par ailleurs, la troisième dimension de l’analyse factorielle n’est caractérisée que par une seule variable (opposition entre la crainte qu’avec la construction européenne la France ne paie pour les autres pays).
-
[65]
La valeur propre est légèrement inférieure à la moyenne des valeurs propres (1/6 = 0,165) et pourrait conduire à ne pas retenir cette seconde dimension. Néanmoins, il est également statistiquement acceptable de continuer l’analyse si l’on peut interpréter la dimension. Or, la seconde dimension de notre analyse factorielle est interprétable de manière particulièrement significative en termes d’échelle gauche-droite. Par ailleurs, nos analyses ultérieures montrent la significativité statistique de cette seconde dimension lorsqu’elle est introduite dans un modèle de régression explicatif du vote. Il est bien évident que tous les résultats de l’analyse factorielle pourraient être davantage consolidés si nous disposions de nettement plus d’indicateurs.
-
[66]
Analyser le discours des petits candidats a cependant permis de saisir les discours européens auxquels les électeurs ont été soumis dans leur ensemble.
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[67]
Cette dimension tripolaire, qui constitue le cœur de l’ordre électoral en France depuis les élections européennes de 1984, a été empiriquement analysée et démontrée par G. Grunberg, É. Schweisguth, « La tripartition de l’espace politique », cité. Voir aussi : J. Chiche, B. Le Roux, P. Perrineau, H. Rouanet, « L’espace politique des électeurs français à la fin des années 1990… », cité. La thèse de la tripartition a fait plus récemment l’objet d’analyses complémentaires qui la nuancent, voire la remettent en cause au moins partiellement : Robert Andersen, Jocelyn Evans, « The Stability of French Political Space, 1988-2002 », French Politics, 3, 2005, p. 282-301 ; Florent Gougou, Simon Labouret, « La fin de la tripartition ? Les recompositions et la transformation du système partisan », Revue française de science politique, 63 (2), avril 2013, p. 279-302. Nous la prenons donc ici comme un postulat de départ pour nos analyses mais nous avons contrôlé empiriquement sa pertinence pour nos analyses.
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[68]
Nous avons contrôlé l’éventuelle colinéarité des variables explicatives. Les valeurs des coefficients VIF (Variance Inflated Factor) sont comprises entre 1,13 et 2,40, ce qui indique que nous n’avons pas de problèmes de colinéarité.
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[69]
L’annexe 3 explique en détail de quelle manière les échelles d’attitudes ont été construites, en ayant notamment recours à l’analyse spécifique des correspondances multiples.
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Les tests statistiques (test du chi-deux) permettent de valider que le modèle (tableau 3) s’ajuste mieux aux données observées que si les deux échelles d’attitudes vis-à-vis de l’intégration européenne étaient retirées.
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[71]
Nous remercions nos collègues Flora Chanvril du Cevipof et Hyungsoo Woo, doctorant à Sciences Po et à la LSE, pour leur lecture de nos analyses, leurs commentaires et leur aide sur cette partie du texte.
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Le fait que dans le tableau 5 l’échelle de libéralisme culturel apparaisse exercer des effets nettement moins significatifs que l’échelle de libéralisme économique est dû au fait que le vote Le Pen est ici la modalité de référence, ce qui fait ressortir de manière plus fortement significative les effets de l’échelle d’ethnocentrisme. Si l’on considère les autres votes comme modalité de référence, alors les effets de l’échelle de libéralisme culturel redeviennent plus fortement significatifs.
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[73]
Il est en effet habituel de constater que lorsque l’on introduit simultanément dans un modèle explicatif du vote des variables indépendantes d’opinion ou d’attitudes et des variables sociodémographiques, l’effet de ces dernières devient plus faiblement, voire presque plus, significatif. Cela n’invalide pas les analyses exclusivement sociologiques du vote (par exemple la question du « vote de classe »), qui constituent une facette importante de l’explication du vote.
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Les effets de ce nouveau clivage, lié à l’intégration européenne comme à la mondialisation, ont été notamment analysés par Hans-Peter Kriesi, Edgar Grande, Romain Lachat, Martin Dolezal, Simon Bornschier, Timotheos Frey, West European Politics in the Age of Globalization, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Sur les effets de l’intégration européenne en termes de « perdants » et de « gagnants », voir Neil Fligstein, Euroclash. The EU, European Identity, and the Future of Europe, New York, Oxford University Press, 2008.
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En retirant l’échelle gauche-droite du modèle de régression, les effets de la seconde dimension des craintes à l’égard de l’intégration européenne deviennent nettement plus significatifs et confirment l’opposition qu’elle structure entre les votes en faveur des candidats de la gauche et ceux en faveur de Nicolas Sarkozy ou de Marine Le Pen.
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Selon notre modèle, chaque électeur a, en fonction de son profil attitudinal et sociodémographique, une certaine probabilité de vote pour tel candidat plutôt que tel autre. S’intéresser aux probabilités de vote prédites par le modèle s’inscrit en partie dans l’intérêt récent développé par la recherche électorale en matière de probabilités de vote. Cf. Vincent Tiberj, Bernard Denni, Nonna Mayer, « Un choix, des logiques multiples. Préférences politiques, espace des possibles et votes en 2012 », Revue française de science politique, 63 (2), avril 2013, p. 249-278.
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S’agissant d’analyses complexes, nous ne pouvons en rendre compte pleinement ici ; le détail de nos analyses est disponible sur simple demande.
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Il s’agit également d’un effet du libellé de l’indicateur mesurant l’opinion sur la mondialisation : « Pour un pays comme la France, la mondialisation est plutôt chance, parce qu’elle lui ouvre des marchés à l’étranger et la pousse à se moderniser ».
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Nous remercions Isabelle Guinaudeau et les évaluateurs de la Revue française de science politique pour leurs commentaires et leurs suggestions.
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Notamment l’analyse en composantes principales et l’analyse des correspondances multiples dont les origines ne sont pas spécifiquement françaises mais dont l’usage s’est fortement développé en France, sous l’impulsion de J.-P. Benzécri. L’analyse des correspondances multiples spécifiques a été développée par Jean Chiche, Brigitte Le Roux et Henri Rouanet (voir Brigitte Le Roux, Henri Rouanet, Multiple Correspondence Analysis, Thousand Oaks, Sage Publications, 2009).
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Pour cette échelle, nous avons contrôlé que le coefficient d’homogénéité (alpha de Cronbach) n’était pas plus fort en retirant les deux indicateurs d’opinion sur les pratiques religieuses musulmanes. Alors que les corrélations entre ces deux indicateurs et les trois autres indicateurs de l’échelle d’ethnocentrisme sont modérées, voire assez faibles (les plus fortes corrélations sont avec l’opinion qu’il y a trop d’immigrés en France, leurs valeurs étant de 0,274 et 0,218), le coefficient d’homogénéité est de 0,670 avec les cinq indicateurs et de 0,622 et 0,641 si l’on retire le premier ou le second item, relatifs à ces pratiques religieuses. L’argument empirique ne peut, néanmoins, à lui seul valider le choix de conserver dans l’échelle d’attitude ces deux indicateurs. Il est bien évident que si notre modèle explicatif souhaitait tester les effets spécifiques d’une attitude vis-à-vis de l’islam en particulier, il nous faudrait scinder ce qui relève de cette attitude de ce qui relève de l’ethnocentrisme en général. Les deux attitudes pourraient relever de logiques différentes, mais l’analyse des correspondances ne fait pas clairement ressortir ce résultat sur les facteurs suivants. Le premier facteur de l’analyse des correspondances fait ressortir que les cinq items participent d’une même dimension, l’opinion sur les prières sur la voie publique étant plus encore corrélée par cette dimension que l’item sur le port du voile intégral.