Notes
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[1]
Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier, « L’effet patrimoine », dans Jacques Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, Paris, Presses de Sciences Po, 1981, p. 171-355. Cf. aussi Jacques Capdevielle, Le fétichisme du patrimoine : essai sur un fondement de la classe moyenne, Paris, Presses de Sciences Po, 1986.
-
[2]
Alain Lancelot, « Préface », dans J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, ibid., p. 11-12.
-
[3]
Monica Charlot, « Un effet patrimoine ? », dans Monica Charlot (dir.), L’effet Thatcher, Paris, Economica, 1989, p. 33-51, dont p. 49. Cf. aussi David E. Butler, Dennis Kavanagh, The British General Election of 1983, Londres, Macmillan, 1985 : les auteurs montrent que les ouvriers propriétaires de leur logement sont plus enclins à voter conservateur que ceux vivant en HLM (p. 296-297).
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[4]
Les éléments de patrimoine pris en compte dans l’étude de Monica Charlot sont : livrets de caisse d’épargne (National Savings), placements d’épargne-logement (Building Societies), actions (Shares) et SICAV (Unit Trusts).
-
[5]
Signalons cependant le bilan de la variable patrimoine réalisé par Daniel Boy et Nonna Mayer « Que reste-t-il des variables lourdes ? », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 118-123.
-
[6]
Cf. Guy Groux, Catherine Lévy, La possession ouvrière. Du taudis à la propriété (19e-20e siècle), Paris, Éd. de l’Atelier, 1993. Cf. aussi l’ouvrage, plus général, de Hélène Michel, La cause des propriétaires. État et propriété en France, fin 19e-20e siècle, Paris, Belin, 2006.
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[7]
Cf. en particulier parmi les travaux récents : Raymond Duch, Randy Stevenson, The Economic Vote. How Political and Economic Institutions Condition Election Results, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 ; Michael S. Lewis-Beck, Mary Stegmaier, « Economic Models of the Vote », dans Russell Dalton, Hans-Dieter Klingemann (eds), Oxford Handbook of Political Behavior, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 518-537 ; Wouter Van der Brug, Cees Van der Eijk, Mark N. Franklin, The Economy and the Vote. Economic Conditions and Elections in Fifteen Countries, New York, Cambridge University Press, 2007. Pour la France, voir : Michael S. Lewis-Beck, « Le vote du “porte-monnaie” en question », dans D. Boy, N. Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, op. cit., p. 239-261 ; Jean-Dominique Lafay, « L’analyse économique de la politique : raisons d’être, vrais problèmes et fausses critiques », Revue française de sociologie, 38 (2), 1997, p. 229-243, et « Analyse économique d’une présidentielle », Sociétal, 36, avril-juin 2002, p. 4-8.
-
[8]
Insee, Les tableaux de l’économie française, <http//www.insee.fr>.
-
[9]
Dans le discours de clôture, Nicolas Sarkozy déclare : « La propriété est une sécurité en cas de chômage ou de changement professionnel, elle est une garantie de niveau de vie au moment de la retraite ou pour reprendre une formation, elle est un capital à transmettre à ses enfants » (Le Monde, 10 septembre 2009).
-
[10]
Cf. Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007-2008, Paris, La Documentation française, 2008, et les travaux de Serge Paugam, dont La disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 1994.
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[11]
Assemblée nationale, « Rapport d’activité au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes », no 3670, octobre 2005-février 2007, p. 7.
-
[12]
Cf. André Babeau, Dominique Strauss-Kahn, La richesse des Français : épargne, plus-value, héritage : enquête sur la fortune des Français, Paris, PUF, 1977 ; Luc Goutard, Jérôme Pujol, « Les niveaux de vie en 2006 », Insee Première, 1203, juillet 2008.
-
[13]
Nous employons ici les méthodes internationales canoniques quand on parle de niveau de vie. Les détails de la construction sont précisés dans la première section de l’article. Dans l’enquête de 1978, l’un des indicateurs idoines, la structure par âge, faisait défaut. Les auteurs ont alors contourné la difficulté : connaissant la taille du foyer, ils ont « au-delà de trois personnes, appliqué un coefficient unique pour chaque personne supplémentaire de 0,5 unité » (dans J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, op. cit., p. 176).
-
[14]
Nous travaillons à partir d’un échantillon de 4 006 personnes représentatives de la population française inscrite sur les listes électorales, âgées de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession ou ancienne profession du chef de ménage, niveau de diplôme) après stratification par région administrative et catégorie d’agglomération. Nous utilisons ici le fichier pondéré (redressement socio-démographique et politique – premier et second tours de l’élection présidentielle de 2007).
-
[15]
« Le niveau de vie correspond au revenu disponible du ménage (revenu salarial de l’ensemble des salariés, autres revenus d’activité, prestations, minima sociaux, revenus du patrimoine, net des impôts directs) divisé par le nombre d’unité de consommation (UC). […] Les unités de consommation sont généralement calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans » (Yves Jauneau, « Les employés et ouvriers non qualifiés. Un niveau de vie inférieur d’un quart à la moyenne des salariés », Insee Première, 1250, juillet 2009, p. 4).
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[16]
Les questions posées dans l’enquête Cevipof sont : 1) « Quel est le revenu mensuel de votre ménage, tout compris, c’est-à-dire en comptant les salaires, les allocations et vos autres revenus ? » ; 2) « Combien de personnes vivent actuellement dans votre foyer, en comptant tout le monde, y compris vous-même ? » ; 3) « Parmi ces personnes, combien y a-t-il d’enfants de moins de 14 ans ? »
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[17]
Si le seuil de pauvreté fixé par l’Insee en 2007 est de 908 euros, nous avons, quant à nous, adopté le seuil de 900 euros, pour davantage de lisibilité. La valeur du seuil de pauvreté correspond à 60 % de la médiane des niveaux de vie (critère employé par Eurostat et les pays européens).
-
[18]
La question posée dans l’enquête est la suivante : « Vous-même ou un membre de votre foyer possédez-vous ? (Oui / Non) Votre logement / Une résidence secondaire / Des valeurs mobilières, des actions (actions, sicav) / Un livret A (Caisse d’épargne, Poste) ».
-
[19]
Les personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté sont peu nombreuses à détenir deux éléments de patrimoine ou plus.
-
[20]
Les éléments de patrimoine retenus par Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier sont : livret de caisse d’épargne, compte sur livret, bons d’épargne, bons du Trésor, bons de caisse, compte à terme, placement d’épargne logement, valeurs mobilières (actions, obligations, parts de Sicav) et enfin biens immobiliers de rapport.
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[21]
Dans les tableaux présentés, il peut arriver que les pourcentages ne somment pas toujours à 100. Ceci est le plus souvent lié à des questions d’arrondis, mais peut également résulter de l’absence dans les tableaux de catégories rares, telles que les « ne sait pas », « autre réponse », etc. Pour l’ensemble des tableaux, la source est l’enquête postprésidentielle 2007, Cevipof-Ministère de l’Intérieur.
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[22]
En 2004, 82,6 % des ménages possédaient des livrets défiscalisés (Insee, Les revenus et le patrimoine des ménages, Paris, édition 2009, p. 137).
-
[23]
Le tableau détaillé des caractéristiques sociologiques est disponible en annexe (tableau A).
-
[24]
D’après l’Insee, 69,5 % ans des ménages français des 60-69 ans possèdent leur résidence principale, contre 13,7 % des moins de 30 ans (Insee, Les revenus et le patrimoine des ménages, ibid., p. 137).
-
[25]
Ainsi d’après l’enquête postprésidentielle de 2007 Cevipof-Ministère de l’Intérieur, seuls 52 % des ouvriers et 55 % des employés s’intéressent « beaucoup » ou « un peu » à la politique, contre 85 % des membres des professions libérales et des cadres supérieurs. C’est le cas aussi de 54 % des non-diplômés ou titulaires du seul certificat d’études, contre 86 % des diplômés de l’enseignement supérieur.
-
[26]
Cf. Loïc Blondiaux, « Les invisibles de la représentation », Le Monde, 29 avril 2009, et son ouvrage Le nouvel esprit de la démocratie : actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008.
-
[27]
Ce tableau ainsi que l’ensemble des tableaux à venir ont fait l’objet d’une vérification par régression logistique (variables indépendantes : âge, sexe, diplôme, revenu dichotomisé, patrimoine en trois catégories) : les résultats montrent que « toute chose égale par ailleurs », les effets du revenu et du patrimoine sont significatifs.
-
[28]
J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, op. cit., p. 183.
-
[29]
Nous parlons d’« effet cumulé » quand les deux éléments de pauvreté (le revenu et le patrimoine) entraînent des effets simultanés (les deux éléments se combinent et agissent simultanément). L’« effet propre » fait, quant à lui, référence à un des deux effets qui se produirait sans l’autre.
-
[30]
Au sens où les « pauvres » possédants se situent à des niveaux comparables ou supérieurs à ceux des « riches » non possédants (sans pour autant égaler les scores des « riches » possédants) ; en revanche, à des niveaux de patrimoine égaux, le revenu continue à avoir un effet.
-
[31]
Nous avons en effet souligné que le double handicap (financier et patrimonial) était caractéristique de personnes non diplômées.
-
[32]
Des éléments abordés ultérieurement permettent en effet de formuler cette hypothèse.
-
[33]
Cf. Robert D. Putnam, Bowling Alone. The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon & Shuster, 2000 ; James S. Coleman, Foundations of Social Theory, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1990 ; Nonna Mayer, « Les conséquences politiques du “capital social” : le cas français », Revue internationale de politique comparée, 10 (3), 2003, p. 381-395.
-
[34]
Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier avaient déjà constaté, il y a 30 ans, que l’électorat socialiste était beaucoup moins dépendant des effets conjugués du revenu et du patrimoine que l’électorat communiste (dans J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, op. cit., p. 183).
-
[35]
Principe de construction des attributs de droite : connaissant l’orientation politique du répondant, ainsi que celle de ses deux parents et de son conjoint (« de gauche », « de droite », ou « ni de gauche, ni de droite »), nous avons comptabilisé, parmi les quatre, combien sont positionnés à droite par la personne interrogée. Le principe de construction des attributs de gauche est identique, en comptabilisant cette fois combien sont positionnés à gauche.
-
[36]
Cf. notamment Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier à partir de l’enquête Cevipof 1978 ; Claude Dargent à partir de la postprésidentielle 2007.
-
[37]
Le sondage IPSOS réalisé le 6 mai 2007 (3 609 personnes) donne des résultats très voisins : 57 %des Français avec un « revenu élevé » (au foyer) ont choisi le candidat de l’UMP.
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[38]
Le constat est identique quel que soit le niveau de patrimoine considéré : -1 point pour un élément de patrimoine entre les « pauvres » et les « riches », +1 point pour deux éléments ou plus.
-
[39]
Même remarque que précédemment.
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[40]
Sans doute est-ce dû en partie à l’effet du recodage dichotomisé du revenu. Malgré tout, il est marquant de constater que le double prisme (revenu + patrimoine) affine considérablement l’analyse du vote. De plus, nous verrons ultérieurement, à partir d’une régression logistique, qu’un indice de revenu plus détaillé aboutit au même constat.
-
[41]
Lors de cette convention du 14 septembre 2006, déjà citée, le candidat Nicolas Sarkozy promet la création d’un « prêt foncier à taux zéro », la « mise en vente chaque année de 1 % du parc social » et évoque la « réintroduction d’un crédit d’impôt sur les intérêts des crédits immobiliers ». Sur ce point, N. Sarkozy peut être vu comme le digne continuateur de Valéry Giscard d’Estaing qui, dans son discours de Verdun-sur-le-Doubs (27 janvier 1978), disait sa volonté de « rendre les Français propriétaires de la France ».
-
[42]
Le rapport entre propriété et sécurité/liberté a été amplement développé par Valéry Giscard d’Estaing : « Une sécurité supplémentaire est celle qui procure à l’individu le sentiment d’avoir bien à lui un certain patrimoine. La liberté d’attendre, de choisir, de décider est renforcée par la possession autonome d’une “réserve” qui protège des incertitudes extérieures » (Démocratie française, Paris, Fayard, 1976, p. 122). Mais l’exaltation de la propriété comme sécurité a aussi été portée, on l’a dit, par le discours de Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2007.
-
[43]
Les effectifs des autres catégories socioprofessionnelles sont insuffisants.
-
[44]
Cf. G. Groux, C. Lévy, La possession ouvrière…, op. cit., p. 191-193.
-
[45]
On peut supposer que cette catégorie recoupe, en partie, les employés et ouvriers « non qualifiés », dont on sait qu’ils sont les plus exposés à la pauvreté (cf. Y. Jauneau, cité). Sur le vote des ouvriers et des catégories populaires, cf. Guy Michelat, Michel Simon, Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, 1962-2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2004 ; Henri Rey, La gauche et les classes populaires, Paris, La Découverte, 2004.
-
[46]
Sur ce point, cf. Guy Michelat, Michel Simon, « Déterminations socio-économiques, organisations symboliques et comportement électoral », Revue française de sociologie, 26, 1985, p. 50.
-
[47]
Nous utilisons l’expression en rappelant qu’il s’agit plutôt de : « une fois tenu compte des variables entrées dans le modèle ».
-
[48]
Le découpage en sextiles consiste à créer six catégories de revenus d’effectif égal (environ 16,7 %).
-
[49]
34 % de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans l’échantillon, 66 % au-dessus. La transformation logarithmique est utile quand les écarts en échelle linéaire n’ont pas la même signification sociologique en bas ou en haut d’un continuum ; par exemple, passer d’un revenu de 500 à 1 000 euros ne signifie pas la même chose que de passer de 6 000 à 6 500 euros.
-
[50]
Les tableaux en annexe illustrent le fait que, pour l’ensemble des variables dépendantes, les effets du patrimoine et du revenu ne disparaissent pas (les odds ratio sont significatifs) et qu’au-delà, les rapports de chance sont importants.
-
[51]
Sur l’effet du statut sur le vote à l’élection présidentielle de 2007, cf. Élisabeth Dupoirier, « Le parti socialiste et la gauche : l’implacable spirale de l’échec », dans Pascal Perrineau (dir.), Le vote de rupture. Les élections présidentielle et législatives d’avril-juin 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 143-172, dont p. 164. Il est observé ainsi que 71 %des indépendants ont voté pour Nicolas Sarkozy au second tour, contre 54 %des salariés du privé et seulement 42 % des salariés du public.
-
[52]
Ralf Dahrendorf, Class and Class Conflict in Industrial Society, Stanford, Stanford University Press, 1959 (traduction française : Classes et conflits de classes, Paris, Mouton, 1972).
-
[53]
Nous remercions Bruno Cautrès et Flora Chanvril pour leurs remarques et conseils judicieux.
-
[54]
Principe de construction de l’attribut ouvrier : connaissant la profession ou l’ancienne profession du répondant, et si le père et la mère étaient ouvriers quand il avait 14 ans, nous avons comptabilisé, parmi les trois, combien sont déclarés « ouvrier » par la personne interrogée.
-
[55]
Dans la mesure où l’interaction entre revenus et patrimoine n’est jamais significative, l’ensemble des odds ratio présentés se fonde sur la régression logistique sans le contrôle des effets d’interaction.
1Il y a 30 ans, la mise à jour de l’« effet patrimoine », par Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier, connaissait un retentissement certain dans le milieu de la science politique, suscitant l’intérêt de nombreux chercheurs, tant en France qu’à l’étranger, pour une piste considérée comme heuristique [1]. Dans l’introduction de France de gauche, vote à droite, ouvrage paru en 1981, qui analyse la défaite de la gauche aux élections législatives de 1978, Alain Lancelot écrit ainsi :
« C’est à mon sens l’apport le plus original du livre qu’on va lire de proposer […] une explication neuve en dégageant une nouvelle variable clé pour l’étude des élections : la possession d’un patrimoine… C’est la structure plus ou moins diversifiée du patrimoine – quel que soit le montant du revenu – qui départage partisans et adversaires de l’éventuelle alternative de gauche. Quel que soit le revenu, la gauche l’emporte toujours sur la droite chez ceux qui n’ont aucun élément de patrimoine, et la droite l’emporte toujours sur la gauche chez ceux qui ont un patrimoine comportant deux ou trois éléments. » [2]
3Au Royaume-Uni, des chercheur(e)s ont mené des travaux s’inspirant de la découverte française. Il est vrai que la conjoncture politique du moment les y incitait fortement. Margaret Thatcher, arrivée au pouvoir en 1979, y mène une action vigoureuse en vue de diffuser une sorte de capitalisme populaire. Elle souhaite que chaque citoyen britannique puisse devenir propriétaire de son logement, tout en détenant quelques actions. L’idée qui préside à sa politique est de développer une sorte d’« éthique de vie » fondée sur le principe suivant : à partir du moment où on est propriétaire, on est plus respectueux du bien public et de la société. Lors d’un colloque tenu à Oxford en 1988, qui réunit les meilleurs spécialistes de sociologie électorale, l’un des thèmes retenus touche précisément aux incidences de la diffusion du patrimoine sur le vote des Britanniques, après huit années de thatchérisme. Monica Charlot démontre que « cette politique consciente de transformation de l’environnement social » a un impact certain sur les choix électoraux. Aux élections législatives de 1987, la diversification du patrimoine joue fortement en faveur du vote conservateur et au detriment du vote travailliste.
4« L’effet patrimoine sur les comportements électoraux présents est réel en Grande-Bretagne comme en France, écrit Monica Charlot. Il vient brouiller, dans une large mesure, les pesanteurs traditionnelles du vote tout en contribuant à une nette différenciation entre conservatisme et travaillisme […]. » [3]
5Ainsi, les ouvriers qui ont au moins trois éléments de patrimoine votent à la majorité absolue pour le parti conservateur, alors que ceux qui ne possèdent que deux éléments ou moins lui préfèrent nettement le parti travailliste [4].
6Bien qu’ayant connu un grand écho dans les années 1980, la variable patrimoine est pourtant tombée dans un oubli quasi total. En France, personne n’a jamais réalisé, depuis lors, une recherche de fond sur le sujet à partir de données d’enquête, comme en témoignent la lecture des archives de la Revue française de science politique [5]. Si Guy Groux et Catherine Lévy, par exemple, ont mené des recherches sur la « possession ouvrière, ils l’ont fait dans une approche historique et sociopolitique [6]. Aucun chercheur ne s’est plus jamais attelé à mesurer les effets de la pauvreté ou de la richesse relative d’un individu sur ses comportements politiques et son vote. Seule a persisté, notamment aux États-Unis, la tradition ancienne d’analyse « économétrique », qui – à partir d’une logique « macro » – s’efforce de mesurer l’impact électoral de certaines variables économiques. L’hypothèse qui sous-tend ces travaux est la suivante : si les indices économiques du pays sont bons, les électeurs soutiennent le gouvernement en place ; s’ils sont mauvais, ils auront tendance à voter pour l’opposition [7].
7Nous avions de bonnes raisons de revenir à une analyse centrée sur l’articulation entre patrimoine et vote en France. Deux hypothèses principales méritaient d’être vérifiées, qui toutes les deux, d’ailleurs, plaidaient à certains égards, pour une atténuation des incidences politiques de cette variable. On pouvait, premièrement, se demander si l’effet patrimoine observé lors des élections législatives de 1978 n’était pas lié à un effet de conjoncture. En effet, dans le cadre d’une opposition binaire gauche/droite, avec un parti communiste ralliant encore quelque 20 % des suffrages exprimés, la gauche suscitait alors la « grande peur » des possédants. La crainte de ces derniers était que, si la gauche arrivait au pouvoir, elle s’enprenne aux biens non seulement des « riches », mais de tous ceux qui détenaient du patrimoine. En 1978, la peur du « collectivisme » survivait en quelque sorte à la rupture du programme commun. Aujourd’hui, le parti communiste étant devenu un parti marginal, et la gauche socialiste n’étant plus « révolutionnaire », on pouvait supposer que l’effet patrimoine aurait baissé d’intensité, les voix des possédants se portant plus volontiers que jadis sur les candidats d’une gauche devenue « gestionnaire » et qui cessait de « faire peur ».
8Une deuxième hypothèse pouvait conduire à un brouillage de l’effet patrimoine, qui découlait de la diffusion de la petite propriété dans les couches les plus diverses de la population, y compris populaires. En 2007, ce sont 57,5 % des ménages qui sont propriétaires de leur logement, contre 46,7 % en 1975 [8]. À partir du moment où il est devenu courant, sinon banal, de détenir au moins deux éléments de patrimoine, notamment le logement principal et un compte d’épargne, n’allait-on pas assister à une dilution de l’effet politique de l’accumulation patrimoniale ? D’un autre côté, et en sens inverse, la propriété et l’accession à celle-ci ont été un enjeu politique fort de la campagne présidentielle 2007. Le candidat de l’UMP a délibérément « ciblé » les possédants mais aussi tous ceux – ils sont nombreux – qui souhaitent accéder à la propriété, afin de les attirer dans le camp de la droite. Durant la Convention du 14 septembre 2006 sur le logement, Nicolas Sarkozy développe l’idée de la « propriété comme sécurité », en particulier contre la précarité économique, et promet diverses mesures d’aide à l’accession [9]. Tandis que n’avait pas encore éclaté la crise financière, il escomptait ainsi renforcer son audience auprès des électeurs qui partageaient encore une vision quelque peu idéalisée du libéralisme économique, un libéralisme alors assumé par le candidat Sarkozy. En 2007, la propriété a donc servi de marqueur idéologique fort à la droite.
9La notion de pauvreté (ou de richesse) est toutefois difficile à définir. Il n’en existe d’ailleurs pas de définition consensuelle, que ce soit parmi les économistes, les sociologues, ou les politologues [10]. La pauvreté est, en effet, un « phénomène multidimensionnel, qui ne se réduit pas à l’indicateur de taux de pauvreté monétaire » [11]. Au cours de notre recherche, on mesurera la richesse relative à partir d’un indicateur qui prend en compte deux éléments : les revenus par unité de consommation et le patrimoine du foyer. Nous serons ainsi amenées à distinguer d’un côté les « riches » et les « pauvres » par les revenus, de l’autre les « riches » et les « pauvres » par le patrimoine. En faisant le choix d’appréhender revenus et patrimoine au niveau du foyer, et non au niveau de l’individu, on se réfère à des travaux déjà anciens menés par des économistes tels André Babeau et Dominique Strauss-Kahn, comme aux statistiques les plus récentes de l’Insee, mais aussi au travail déjà cité de nos collègues du Cevipof [12]. Ajoutons que choisir l’unité statistique du foyer correspond à l’évolution sociale la plus récente, qui a vu se multiplier les couples bi-actifs.
10Les enquêtes électorales antérieures ne comprenaient pas les indicateurs autorisant une approche rigoureuse du niveau de vie des ménages. Cette lacune méthodologique a été comblée dans l’enquête postprésidentielle Cevipof 2007 que nous utilisons ici. Grâce à la vigilance de Claude Dargent, elle pose les deux questions suivantes : « Combien de personnes vivent actuellement dans votre foyer, en comptant tout le monde, y compris vous-même ? », et « Parmi ces personnes, combien y a-t-il d’enfants de moins de 14 ans ? » Ces deux indicateurs, combinés à celui du revenu, permettent ainsi de calculer, à l’instar de l’Insee, le « niveau de vie » du ménage des répondants par unité de consommation [13], puis, de déterminer ceux d’entre eux vivant sous le seuil de pauvreté. Dans notre enquête, il est chiffré à 900 euros par mois, soit un seuil proche de celui retenu par l’Insee (qui était fixé à 908 euros en 2007).
11La richesse relative des individus, entendue dans son double sens, monétaire et patrimonial, induit-il des comportements politiques et électoraux d’un certain type ? L’interrogation qui fait l’objet de notre recherche se pose avec d’autant plus d’acuité dans le contexte d’une crise économique longue commencée il y a près de 40 ans, qui peut précipiter les individus les plus fragiles sous le seuil de pauvreté, mais qui peut en inciter d’autres – ceux qui en ont l’opportunité – à se constituer des « réserves » pour faire face aux aléas de l’insécurité. Les données présentées dans cet article proviennent de l’enquête post-présidentielle 2007. À défaut de pouvoir évaluer l’impact de la crise financière (intervenue à l’automne 2008), nous tenterons de mesurer les effets politiques de la richesse relative dans le cadre de la crise de restructuration liée à l’accélération de la mondialisation du capitalisme, qui a débuté au milieu des années 1970. Si, au départ, la mise en œuvre de politiques redistributives a permis d’atténuer les effets sociaux de la crise, il n’en va plus de même aujourd’hui. Depuis les années 1990, on a vu se développer un accroissement des inégalités et de la pauvreté. En 2006, l’Insee estimait à près de 8 millions (13,2 % de la population), le nombre de personnes touchées par la « pauvreté monétaire relative », contre quelque 7 millions en 2002.
12Nous utiliserons les concepts déjà mis en avant par nos collègues du Cevipof : nous parlerons ainsi de « pauvres possédants » ou « non-possédants », de « pauvreté relative », et surtout de « stratégie d’accumulation patrimoniale », qui réfère à un système de valeurs (de droite). En même temps, il est vrai, l’accumulation des biens obéit, comme nous allons le voir, à une détermination sociale certaine (cf. tableau A en annexe). On a d’autant plus d’opportunités de se constituer un patrimoine diversifié qu’on est un homme, que l’on n’est pas à la tête d’un foyer monoparental, que l’on est diplômé du supérieur et qu’on exerce une profession à temps complet et en CDI, de préférence haut située sur l’échelle sociale… Si, à l’inverse, les ouvriers (22 % de l’échantillon) sont surreprésentés parmi les « pauvres » non possédants (29 %) et sous-représentés parmi les « riches » ayant un patrimoine diversifié (17 %), pour autant, une fraction d’entre eux a réussi à accumuler des biens. Et la possession de ce patrimoine va aller de pair avec des attitudes et comportements d’un certain type. En définitive, on pourrait dire que la stratégie patrimoniale relève d’une double logique, sociale et idéologique, sans qu’on puisse déterminer laquelle est première.
Mesurer la richesse : l’indice revenus-patrimoine
13Pour étudier les effets combinés du niveau de revenu et de la stratégie d’accumulation patrimoniale sur les attitudes et comportements politiques, nous avons donc mobilisé l’enquête post-présidentielle 2007 Cevipof-Ministère de l’Intérieur, qui fournit l’ensemble des indicateurs nécessaires à la construction d’un indice rigoureux [14].
14Concernant le revenu, nous disposons, grâce à cette enquête, de toutes les informations permettant de reproduire le niveau de vie de la personne interrogée par unité de consommation (UC) tel que le pratique l’Insee par exemple [15]. Cette procédure nécessite de connaître les revenus du ménage mais également la composition de celui-ci (nombre de personnes vivant dans le ménage et structure par âge) [16]. Le principe qui prévaut dans l’usage des unités de consommation consiste à ne pas considérer le niveau de vie du ménage comme une simple combinaison linéaire du niveau de revenu et de la taille du foyer, dans la mesure où, d’une part, le fait de vivre sous le même toit permet des économies d’échelle dans les dépenses du ménage (loyer, abonnement téléphonique, facture d’électricité, par exemple) et, d’autre part, la charge financière d’un enfant est différenciée selon son âge. De la sorte, si le premier adulte du ménage compte pour 1 UC, les suivants (de plus de 14 ans) comptent pour 0,5 UC, tandis que les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 UC.
15Afin de combiner le niveau de vie avec la stratégie patrimoniale sans être confronté à des problèmes d’effectifs dans l’analyse, nous avons dichotomisé l’indicateur de revenus en choisissant comme valeur-frontière une mesure objective du niveau de richesse : le seuil de pauvreté en 2007 [17]. Le premier critère pour construire l’indice de pauvreté sépare donc la population interrogée selon qu’elle se situe en-dessous ou au-dessus du seuil de pauvreté (respectivement 34 % et 66 % de l’échantillon).
16L’enquête Cevipof renseigne en outre sur un ensemble d’éléments de patrimoine possédés par le ménage, à savoir le logement, la résidence secondaire, les valeurs mobilières et les actions, et enfin le livret A [18]. Nous avons ici comptabilisé le nombre d’éléments détenus (pouvant donc aller de zéro à quatre éléments), puis, là encore pour des raisons d’effectifs, nous avons regroupé ensemble les personnes possédant deux à quatre éléments [19]. Finalement, l’indice que nous utilisons dans notre analyse pour appréhender le niveau de richesse relative résulte de la combinaison de ces deux dimensions, pour aboutir à six catégories distinctes (tableau 1). Notre indicateur est donc construit différemment de celui élaboré par nos collègues du Cevipof dans l’enquête de 1978. Rappelons que ce dernier était limité au patrimoine de rapport [20], excluant le logement principal ; qu’en outre, les catégories de revenus prises en compte n’étaient pas rapportées au seuil de pauvreté.
17Ces choix de catégorisation reposent donc à la fois sur des critères objectifs de dichotomie (au-dessus/en-dessous du seuil de pauvreté) et sur des contraintes d’effectifs. D’autres choix auraient pu, comme bien souvent, être envisageables. Nous verrons cependant dans la dernière section, en utilisant la méthode de la régression logistique, qu’une ventilation plus développée de la variable de revenu par unité de consommation ne modifie en rien les conclusions générales que nous énoncerons tout au long de cet article.
Distribution de l’indice revenus-patrimoine (effectifs et pourcentages) [21]
Distribution de l’indice revenus-patrimoine (effectifs et pourcentages) [21]
Structure des patrimoines selon les tranches de revenus (par unité de consommation : UC) (% en ligne)
Structure des patrimoines selon les tranches de revenus (par unité de consommation : UC) (% en ligne)
18Notons que la détention de patrimoine est liée au niveau de revenus à disposition : comme l’indique le tableau 2 (cases grisées), plus le niveau de revenus est élevé, plus les chances statistiques de posséder un patrimoine diversifié s’intensifient. Mais le type de patrimoine détenu varie aussi considérablement en fonction du revenu (tableau 3) : le logement puis le livret A sont les biens les plus souvent possédés par les personnes les moins aisées financièrement [22], tandis que le patrimoine se diversifie à mesure que le niveau de revenus augmente. Détenir 3 à 4 éléments de patrimoine (dont des actions et une résidence secondaire) reste l’apanage des plus riches.
Composition des patrimoines selon les tranches de revenus (par UC) (% en colonne)
Composition des patrimoines selon les tranches de revenus (par UC) (% en colonne)
19Seuls 13 % de l’échantillon ne détiennent aucun patrimoine (tableaux 3 et 4), tandis que 68 % des personnes interrogées ont un logement et 58 % un livret A. Cette large diffusion de la propriété et du livret A explique par exemple que de nombreux seniors de plus de 65 ans [23] peuvent vivre sous le seuil de pauvreté du fait d’une pension de retraite peu élevée, tout en étant dotés d’un patrimoine assez important, peu à peu accumulé au cours de la vie. Les seniors se caractérisent donc moins souvent que d’autres catégories de la population par un cumul de pauvreté, monétaire et patrimoniale [24].
Composition des patrimoines selon l’appartenance socio-professionnelle (% en colonne)
Composition des patrimoines selon l’appartenance socio-professionnelle (% en colonne)
20Le cumul du double handicap (vivre sous le seuil de pauvreté sans détenir de patrimoine) concerne en revanche le plus souvent les personnes actives en difficulté du point de vue de l’emploi (tableau A en annexe) : au chômage (+ 10 points par rapport à la moyenne), travaillant à temps partiel (+ 5 points), en contrat précaire (+ 16 points). Expose aussi davantage à la probabilité de vivre sous le double standard de pauvreté le fait d’être sans diplôme (+ 12 points), d’être de sexe féminin (+ 14 points) et de vivre seul(e) avec des enfants (+ 10 points), ce qui est le plus souvent aussi… le lot des femmes.
Participation électorale et rapport au jeu politique
21Les travaux de science politique ont, de longue date, démontré que l’intérêt pour la politique en général, la participation aux élections, au suivi de la campagne, l’engagement associatif, etc., varient amplement en fonction du niveau socioculturel. Moins on est diplômé, plus on se situe au bas de l’échelle sociale et professionnelle, moins on s’intéresse au jeu politique, moins on y participe et plus on manifeste de défiance vis-à-vis des institutions et des acteurs politiques. L’assertion se vérifie encore davantage en période de crise. Ce sont les plus démunis, culturellement et socialement, et peut-on penser, ceux qui souffrent en premier lieu des effets de la crise qui sont les plus nombreux à se désintéresser de la politique, exprimant ainsi qu’ils ne croient plus guère au suffrage universel pour changer leur sort [25].
22On en arrive au paradoxe suivant lequel ceux qui auraient le plus intérêt à faire valoir leur point de vue auprès des responsables politiques se retirent eux-mêmes du jeu électoral et se retrouvent les oubliés du système et des politiques publiques [26].
23Ce constat d’un effet du milieu social sur la participation électorale et le rapport au jeu politique se vérifie une nouvelle fois en 2007. Mais nous observons aussi, à partir de l’indice revenus-patrimoine, que la possession d’un patrimoine diversifié est un puissant facteur d’intégration politique, même chez ceux qui se situent par le revenu sous le seuil de pauvreté, donc le plus souvent au bas de l’échelle sociale (tableau 5).
Rapport à la politique, selon les revenus et le patrimoine (% par case) [27]
Rapport à la politique, selon les revenus et le patrimoine (% par case) [27]
24Considérons la participation électorale : la proportion d’interviewés déclarant avoir voté à toutes les élections augmente régulièrement à mesure qu’ils possèdent un patrimoine de plus en plus étoffé. Le résultat se vérifie chez les « pauvres » (+ 18 points) comme chez les « riches » (+ 14 points). Inversement, les non-possédants sont les plus abstentionnistes, qu’ils soient en dessous ou au-dessus du seuil de pauvreté. À l’évidence, la structure du patrimoine joue plus que le niveau de revenu pour rendre compte de l’assiduité aux urnes. Des résultats similaires sont observés sur la participation déclarée au premier comme au second tour de l’élection présidentielle 2007. Alors qu’au temps du suffrage censitaire, les non-propriétaires étaient juridiquement privés du droit de vote, tout se passe comme si, désormais, ils s’auto-excluaient de la citoyenneté politique en se détournant des urnes. Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier avaient déjà fait semblable constat. « La détention d’un patrimoine très diversifié s’accompagne, dans toutes les tranches de revenus, d’un moindre abstentionnisme », écrivaient-ils alors [28]. Ils expliquaient ce résultat par la crainte peut-être plus grande des conséquences d’une victoire de la gauche chez les nantis. Aujourd’hui, la permanence du lien entre participation électorale et possession d’un patrimoine diversifié, des années après l’alternance de gauche survenue en 1981, suggère que les ressorts du civisme électoral chez les possédants se situent bien au-delà du conjoncturel. Tout se passe comme si le ressenti des enjeux d’une élection – identifiés à des intérêts – était toujours chez eux plus fort que chez les non-possédants, les motivant ainsi à se rendre aux urnes.
25Sur les autres questions du tableau 5, on observe en revanche un effet cumulé [29] des revenus et du patrimoine, de sorte que le degré de politisation va crescendo des « pauvres » démunis aux « riches » possédant un patrimoine diversifié. Quel que soit l’indicateur utilisé (participation à des associations, conversations politiques, intérêt pour la politique, suivi régulier de la campagne, etc.), les électeurs se situant sous le seuil de pauvreté compensent partiellement [30] leur déficit de participation ou d’intégration politique par le seul fait de suivre une stratégie patrimoniale : on pourrait dire que le patrimoine, financier ou immobilier, vient combler en partie l’absence de patrimoine culturel [31]. Ainsi, les « pauvres » qui cumulent plusieurs éléments de patrimoine sont 71 % à parler politique en famille, contre 59 % des « pauvres » non possédants (+ 12 points). De même, les premiers sont 61 % à penser que « l’élection présidentielle améliorera les choses en France », contre 43 % des seconds (+ 18 points).
26Comment expliquer la corrélation observée entre détention d’un patrimoine diversifié et haut degré de politisation ? Les individus poursuivant une stratégie patrimoniale seraient-ils incités à participer au jeu politique parce qu’ils présupposent que le déroulement de celui-ci peut améliorer ou détériorer leur stratégie [32] ? Ou bien faut-il poser l’hypothèse inverse selon laquelle les individus les plus politisés seraient aussi les plus enclins à s’inscrire dans un tel processus d’accumulation ? Si la corrélation mise à jour nous interdit de raisonner en termes de causalité, en tout cas, force est de constater que les « pauvres » multipossédants s’avèrent parfois plus politisés que les « riches » démunis : ils appartiennent plus souvent à des associations (+ 8 points), parlent plus souvent politique en famille (+ 5) et pensent plus fréquemment que « l’élection présidentielle peut améliorer les choses » (+ 12). Ces thématiques sont en effet directement reliées à leurs préoccupations et investissements individuels. Sur les trois autres indicateurs de politisation – d’ordre plus général – que sont l’intérêt pour la politique, le jugement sur le fonctionnement de la démocratie et le suivi de la campagne, les « pauvres » possédants font jeu égal avec les « riches » sans patrimoine, sans les surpasser (tableau 5).
27D’une façon générale, la diffusion des petits patrimoines ferait fonction, chez les « pauvres », d’un bouclier anti-exclusion politique : elle motiverait les individus à aller voter, à parler politique, à s’impliquer dans la campagne, et procurerait un enjeu fort à l’élection présidentielle. En l’absence de biens personnels à « protéger » et à faire fructifier, l’intérêt pour la chose publique comme pour le jeu électoral s’étiolerait. Nous retrouvons ce mécanisme chez les plus riches, pour lesquels la stratégie d’accumulation renforce encore davantage l’implication politique. Dès lors, niveau de richesse monétaire et niveau de diversification patrimoniale se combinent en se renforçant l’un l’autre, et facilitent un rapport étroit au jeu politique.
Défiance, pessimisme, attitudes protestataires
28Certains auteurs ont analysé la confiance politique comme le prolongement de la confiance sociale. Il en va ainsi de Robert Putnam, pour qui le « capital social » est une des conditions du bon fonctionnement de la démocratie [33]. Nous montrons ici que l’articulation entre le capital financier et immobilier détenu par les individus et leurs attitudes en matière de défiance, de capacité protestataire et de pessimisme est non moins importante à considérer.
29Examinons la défiance exprimée vis-à-vis des partis quant à leur capacité à gouverner. Elle atteint son niveau maximum chez les « pauvres » démunis de tout patrimoine (62 %), pour tomber à 48 % chez les « pauvres » multipossédants et atteindre son étiage minimum (39 %) chez les « riches » ayant un patrimoine de deux éléments ou plus (soit une variation totale de 23 points). L’effet patrimoine est tel qu’il vient brouiller la frontière « riches »/« pauvres ».
Défiance, pessimisme, peur de l’avenir, attitudes protestataires, selon les revenus et le patrimoine (% par case)
Défiance, pessimisme, peur de l’avenir, attitudes protestataires, selon les revenus et le patrimoine (% par case)
30Les deux éléments de richesse composant l’indice agissent simultanément sur les autres items du tableau 6. Ainsi, la probabilité de penser que les responsables politiques ne sont pas attentifs à ce que pensent les gens va décroissant au sein des deux catégories de revenus « pauvres/riches » à mesure qu’ils sont détenteurs d’un ou de plusieurs éléments de patrimoine. Ainsi encore, la propension à adhérer à des attitudes protestataires, majoritaires chez les « pauvres » non possédants, est singulièrement émoussée par la détention d’éléments de propriété. Même sous le seuil de pauvreté, le fait de posséder (ne serait-ce qu’un livret A et un logement, même modeste) porte les individus à exprimer moins de tolérance vis-à-vis d’une action d’occupation de bâtiments publics. Le respect de la propriété privée induirait en somme celui de la propriété publique…
31Quant au pessimisme face à l’avenir, il est, lui aussi, doublement dépendant et du niveau de revenus et de la stratégie patrimoniale suivie (écart de 19 points entre les 6 groupes de l’indice). Un bas niveau de revenus associé à l’absence de patrimoine rend les individus particulièrement inquiets face à l’avenir, l’inverse étant vrai aussi. Dans un contexte de crise économique, la possession d’un patrimoine diversifié agirait, au contraire, comme un filet de sécurité pour soi et sa famille, face à un risque de chômage ou de réduction du périmètre de l’État providence. C’est un ressort de confiance. Mais ici, le fait même d’être multipossédant ne suffit pas à compenser une faiblesse du revenu : les personnes dans cette situation restent alors toujours plus inquiètes en pensant à l’avenir que les « riches » non possédants.
Positionnement politique, préférence pour gouverner et proximité partisane
32Alors que pauvreté et sympathie pour la gauche ont partie liée – qu’inversement, richesse et sympathie pour la droite marchent de pair –, cette relation générale est brouillée par la présence ou l’absence de stratégie patrimoniale (tableau 7). Lorsqu’ils sont non possédants, « pauvres » et « riches » se rejoignent pour s’autodéfinir de gauche ou se positionner à gauche sur l’échelle. Inversement, quand ils détiennent plusieurs éléments de patrimoine, les « pauvres » se situent à peine moins à droite que les « riches ». La stratégie patrimoniale est donc au cœur du positionnement politique, comme elle est, nous allons le voir, une variable explicative majeure du vote.
33Elle est aussi un facteur d’inclusion, qui incite les individus, même « pauvres », à se situer – à gauche ou à droite – dans l’espace politique et à avouer une proximité partisane déclarée. Alors que pauvreté et refus de positionnement, pauvreté et refus de choisir un parti proche vont généralement de pair, cette relation est en partie remise en cause par la détention d’un patrimoine comportant deux éléments ou plus. Ainsi, les « pauvres » en revenus dotés d’un patrimoine diversifié refusent deux fois moins souvent de choisir un parti que les « pauvres » non possédants (10 %, contre 21 %).
34Les deux types de pauvreté, monétaire et patrimoniale, conjuguent leurs effets pour faire varier la proximité déclarée soit vis-à-vis des partis de gauche, soit vis-à-vis de l’UMP. Ainsi, la proportion d’interviewés proches d’un des partis de gauche passe de 52 % chez les « pauvres » non possédants à 39 % chez les « pauvres » dotés de patrimoine, pour tomber à 34 % chez les « riches » possédants (soit un écart total de 18 points). Observons, cependant, que l’articulation entre la pauvreté des individus et leur proximité aux partis de gauche joue surtout en direction de l’extrême gauche et du parti communiste ; alors qu’elle est beaucoup moins perceptible pour le parti socialiste et ses alliés [34]. À droite, la relation est à son apogée pour la proximité à l’UMP. La part des individus se disant proches du parti du président augmente en raison directe de leur degré de richesse monétaire et patrimoniale : elle s’élève ainsi de 9 % chez les « pauvres » non possédants à 28 % chez les « pauvres » multipossédants, pour atteindre 37 % chez les « riches » également multipossédants (écart de 28 points). La confiance en la droite pour gouverner varie, de même, selon le double effet des revenus et du patrimoine. Faible chez les « pauvres » sans patrimoine, elle augmente au fur et à mesure des cinq autres modalités de l’indice, passant de 18 % à 42 % (écart de 24 points). On notera, en revanche, que la confiance dans la capacité de la gauche grandit beaucoup moins à mesure que la pauvreté, monétaire ou patrimoniale, des individus augmente, ce qui contribue à éclairer a posteriori la défaite de Ségolène Royal.
Positionnement politique, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne)
Positionnement politique, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne)
35Enfin, on est plus que jamais convaincu de ce que la stratégie patrimoniale réfère à un système de valeurs construit quand on considère les relations entre les attributs de droite [35] que détient un individu et la stratégie patrimoniale qu’il a poursuivie. La part de ceux qui ont un ou plusieurs attributs de droite, faible chez les « pauvres » non possédants (34 %), atteint 55 % chez les « pauvres » possédants pour dépasser les 60 % chez les « riches » les mieux dotés en patrimoine (écart de 29 points). Pour les attributs de gauche, la relation inverse est vérifiée, mais de façon moins prégnante (9 points d’écart). Tout se passe donc comme si l’affinité élective avait lieu d’abord entre les possédants et la droite ; tandis que l’accord idéologique entre les non-possédants et la gauche n’avait pas la même force. Ce dernier résultat renverrait au fait que le PS a progressivement perdu ses bases populaires, tandis que le PC, qui symbolisait la lutte idéologique contre les nantis, est devenu un parti marginal.
Choix électoraux
36Mesurée à partir des seuls revenus du foyer (pondérés par unité de consommation), la pauvreté induit certaines différences dans l’orientation du vote, confirmant le constat déjà fait par d’autres chercheurs avant nous [36]. Ainsi, au deuxième tour, 58 % des individus disposant des revenus au foyer les plus importants (1 800 euros) ont voté pour Nicolas Sarkozy contre 53 % de l’ensemble de l’échantillon (tableau 10) [37]. Mais ces variations sont de moins grande amplitude que lorsque la pauvreté est appréhendée à partir de l’indice à double standard revenus/patrimoine (tableau 9).
Vote au premier tour de l’élection présidentielle 2007, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux suffrages exprimés)
Vote au premier tour de l’élection présidentielle 2007, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux suffrages exprimés)
37Au premier tour de l’élection présidentielle 2007 (tableau 8), le niveau du vote pour l’ensemble de la gauche est à son étiage maximum chez les « pauvres » non possédants (44 %) pour tomber à 34 % chez les « pauvres » multipossédants… et à 31 % chez les « riches » possédants (soit une variation de 13 points). Le vote en faveur de la candidate socialiste subit lui aussi une érosion sensible suivant les six catégories de l’indice, mais de moindre amplitude (6 points). On peut résumer l’effet revenus/patrimoine sur le vote en soulignant que Ségolène Royal obtient, à deux points près, la même audience chez les « pauvres » et les « riches », à la condition qu’ils soient non possédants [38]. De même, Nicolas Sarkozy recueille, à trois points près, le même score auprès des « pauvres » comme des « riches », pourvu qu’ils possèdent deux ou plusieurs éléments de patrimoine [39]. Pour autant, à même niveau de revenu, le vote pour Ségolène Royal s’amoindrit à mesure qu’augmente la dotation en patrimoine des répondants ; l’effet est inverse concernant le vote en faveur de Nicolas Sarkozy. C’est dire à quel point, aujourd’hui encore, les rapports de propriété structurent le vote et brouillent les frontières de revenus.
38Si pauvreté et vote de gauche vont de pair, pauvreté et radicalité entretiennent aussi des liens marqués. À l’extrême gauche, Olivier Besancenot, José Bové, Arlette Laguiller, Gérard Schivardi et Marie-George Buffet réalisent ensemble leur meilleure audience (15 %) chez les « pauvres » non possédants, comme si leur statut de « prolétaires » (au sens marxiste, à savoir ceux qui n’ont pour vivre que la vente de leur force de travail) les situait en congruence idéologique avec la lutte anticapitaliste développée par les porte-drapeaux du trotskysme et du communisme. À l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, Philippe de Villiers et Gérard Nihous font, eux, le plein des voix chez les « pauvres » tout petits possédants (un élément de patrimoine) : ils ont voté pour l’un des trois candidats de la droite radicale à raison de 21 % (contre 14 % pour les « pauvres » non possédants et 16 % pour les « pauvres » ayant un patrimoine diversifié). On isolerait ici l’expression d’un vote « petits blancs » : les tout petits propriétaires en situation de fragilité économique verraient dans l’extrême droite – et en Jean-Marie Le Pen, notamment – le meilleur rempart pour défendre des intérêts qu’ils sentent menacés par la crise.
39Au second tour de l’élection présidentielle, le « modelage » des choix électoraux par les rapports de propriété est encore plus manifeste. Les variations du vote selon les catégories de l’indice à niveau de revenu équivalent sont d’une amplitude voisine de 20 points pour les personnes vivant sous le seuil de pauvreté, de 13 points pour les autres ; en revanche, les variations sont beaucoup plus ténues quand on appréhende la richesse à partir des seuls revenus, contrôlés par le patrimoine (tableau 11) [40]. Ségolène Royal fait le plein des voix (62 %) chez les « pauvres » quand ils sont non possédants. Si elle reste encore majoritaire chez les mono-propriétaires (53 %), elle devient minoritaire chez les « pauvres » multipropriétaires (43 %) qui lui préfèrent de très loin le candidat de l’UMP. On a beaucoup commenté le fait que la candidate socialiste ait échoué à conquérir l’électorat populaire.Ondoit retenir ici qu’elle a ralliémassivement à elle la fraction la plus démunie des « pauvres », ceux qui sont sous le seuil de pauvreté sans aucun patrimoine. Au contraire, les « pauvres » dotés de patrimoine ont soutenu le candidat de l’UMP dans une proportion presque aussi élevée que les « riches » possédants (57 %contre 59 %), ce qui donne à voir que la détention d’un patrimoine diversifié estompe électoralement les inégalités produites par le revenu.
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les tranches de revenu (par UC) (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les tranches de revenu (par UC) (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote en faveur de Sarkozy, au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les revenus et le patrimoine (en écarts de points)
Vote en faveur de Sarkozy, au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les revenus et le patrimoine (en écarts de points)
40S’il n’est de meilleur indicateur du vote que le fait de posséder, pourtant le type de patrimoine détenu n’est pas neutre, loin de là (tableau 12). C’est à la possession d’un logement plus qu’à celle d’un livret A qu’est le plus souvent associé le vote pour Nicolas Sarkozy au deuxième tour de l’élection présidentielle 2007 (52 % contre 44 %). La seule détention d’un livret A, très répandue dans les couches populaires, reste corrélée à un vote de gauche. Le fait d’accéder à la propriété de son logement induit au contraire un mouvement de bascule dans le camp de la droite. On comprend mieux, rétrospectivement, les raisons pour lesquelles, huit mois avant l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy a organisé une convention sur le logement au titre prometteur : « Contre la précarité, permettre à chacun d’être propriétaire » [41]. Quand on possède logement et actions, le vote en faveur de Nicolas Sarkozy atteint 63 % et frôle les 70 % lorsqu’on cumule les quatre éléments que sont le logement, la résidence secondaire, les actions et le livret A.
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007 selon le nombre et la nature du patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007 selon le nombre et la nature du patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
41On en vient à penser que le meilleur mot d’ordre pour le candidat de droite qui voudrait gagner la prochaine élection présidentielle serait « Devenez tous propriétaire », dans la ligne du « Enrichissez-vous » cher à Guizot. Mais on peut aussi émettre l’hypothèse qu’un candidat de gauche qui aborderait avec clarté la thématique des patrimoines pourrait rallier à lui un certain nombre de voix. Or, jusqu’à présent, le rapport de la gauche socialiste à l’argent et à la propriété est resté dans un impensé qui n’a fait qu’inciter les petits possédants à voter pour la droite (ou l’extrême droite), même quand la faiblesse de leurs revenus les rangeait dans le camp des « pauvres ». En 2007, ils ont d’autant plus volontiers rallié l’UMP que celle-ci s’incarnait dans un homme, Nicolas Sarkozy, qui a clairement assumé sa volonté de réhabiliter l’argent et la réussite sociale des possédants.
42L’explosion de la crise financière pourrait inciter encore davantage les Français à poursuivre une stratégie patrimoniale diversifiée, seul moyen de se doter d’une protection privée face aux aléas du chômage et au rétrécissement de l’État providence. Dans un tel contexte, le rapprochement entre la gauche et les couches populaires (et moyennes) pourrait bien passer par l’élaboration d’un programme incluant des mesures d’aide à l’accession à la propriété pour les tout petits épargnants. Depuis trente ans, le thème de la propriété comme « sécurité » a, sans nul doute, été plus souvent porté par la droite que par la gauche [42].
Choix économiques
43Les divergences de comportement électoral entre possédants et non-possédants reflètent en réalité l’opposition entre deux univers idéologiques antinomiques. En matière de politique économique, d’ouverture à l’Europe et à la mondialisation, les idées exprimées donnent à voir une forte structuration à la fois par les revenus et les stratégies patrimoniales (tableau 13). En ce domaine, les effets des deux variables sont souvent cumulatifs. À l’un des pôles extrêmes du positionnement idéologique, les « pauvres » non possédants sont les plus favorables à une politique économique prenant en compte l’intérêt des travailleurs par des mesures sociales, les plus favorables aussi à une politique fiscale redistributive. Réservés vis-à-vis d’une Europe et d’une mondialisation perçues comme néolibérales, entraînant des conséquences négatives pour eux en termes d’emploi et de protection sociale, ils sont minoritaires à considérer positivement le mot « profit ». À l’autre pôle des idées économiques, les « riches » multipossédants apparaissent comme les meilleurs tenants d’un modèle libéral. Ils privilégient la compétitivité de l’économie et la liberté des entreprises et sont très opposés à une augmentation des impôts. Ils considèrent la mondialisation comme une chance et l’appartenance à l’Union comme une bonne chose. Enfin, ils connotent positivement le « profit », concept fétiche qui les rattache symboliquement à l’ethos du monde capitaliste. Entre ces deux extrêmes, on observe une graduation des opinions suivant les différentes catégories de l’indice, montrant l’effet cumulatif des revenus et du patrimoine sur l’expression des choix économiques. Considérons la question de la mondialisation : la perception de celle-ci comme un danger culmine à 58 % chez les « pauvres » non possédants, une proportion qui va diminuant au fil des cinq autres catégories de l’indice pour descendre à 36 % chez les « riches » multipropriétaires (- 22 points).
Choix économiques, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne)
Choix économiques, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne)
L’effet patrimoine transcende-t-il les variables « lourdes » ?
44Pour analyser avec plus de précision l’articulation entre comportements politiques et stratégie patrimoniale, nous avons eu recours à deux méthodes d’analyse distinctes. Premièrement, nous avons réalisé des tris d’ordre quatre pour vérifier si l’effet revenus/patrimoine est tel qu’il puisse estomper celui de variables lourdes, comme l’appartenance à un groupe socioprofessionnel, le niveau de diplôme, ou la religion. Deuxièmement, afin de s’assurer plus largement du maintien de l’effet observé une fois tenu compte des caractéristiques sociodémographiques classiques des répondants (en particulier, l’âge, le sexe et le niveau d’éducation), nous avons procédé à une série d’analyses de régression logistique.
45En utilisant un indice revenus-patrimoine simplifié (pour des raisons d’effectifs, il est réduit à 4 catégories au lieu de 6), nous avons tout d’abord isolé le vote des employés et des ouvriers (soit des effectifs respectifs de 865 et 705 personnes) au deuxième tour de l’élection présidentielle 2007 [43]. Avec ce nouvel indice, on fait le constat que l’effet patrimoine vient partiellement annuler l’effet du groupe social d’appartenance. Les employés « pauvres » votent en majorité pour Ségolène Royal (54 %) quand ils ne possèdent au mieux qu’un élément de patrimoine, alors qu’ils rallient très majoritairement Nicolas Sarkozy (61 %) quand ils cumulent au moins deux éléments de patrimoine. On enregistre ici une inversion totale de l’expression politique d’un même groupe social. Si le vote en faveur de Nicolas Sarkozy est majoritaire chez les employés « riches », quelle que soit leur stratégie patrimoniale (tableau 14), il est à son étiage maximum chez les multipossédants (63 % contre 51 %, soit un écart de 12 points). La variable clé est ici la détention d’un patrimoine diversifié, même si le niveau de revenus exerce un effet propre et indépendant sur le vote.
46Le constat pour les ouvriers n’est pas très différent. Si Nicolas Sarkozy peut se targuer d’avoir rallié 52 % de la « classe ouvrière » au deuxième tour de l’élection présidentielle 2007, cette moyenne est trompeuse. En réalité, seuls les ouvriers doublement dotés, en revenus et en patrimoine, ont voté très majoritairement pour lui (61 %), les trois autres catégories d’ouvriers, « pauvres » en patrimoine et ou en revenus, lui ont préféré Ségolène Royal (tableau 14). Si la gauche socialiste a un temps profité de l’embourgeoisement ouvrier [44], tel n’est plus le cas aujourd’hui. Le phénomène bénéficie au contraire à l’UMP, alors que la candidate socialiste attire à elle les ouvriers les plus démunis [45]. La mise à jour de ce résultat amène à souligner la diversité sociale et politique du monde ouvrier, moins que jamais homogène.
47Force est de constater que l’affirmation politique d’un groupe social n’a rien d’automatique. Le « vote de classe » des employés/ouvriers ou, pour le dire autrement, la norme politique de ce groupe social est facilement transgressée quand on a un patrimoine diversifié. Si le vote reste en partie déterminé par la place dans l’appareil de production, il l’est aussi par le montant des revenus et plus encore par les éléments du patrimoine détenu. On pourrait dire qu’il n’existe pas de relation directe ou « nécessaire » entre les conditions de classe et le vote, mais une relation indirecte, médiatisée par la stratégie patrimoniale.
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007 des employés et des ouvriers, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007 des employés et des ouvriers, selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
48Observons que les effets du diplôme sur le vote se trouvent également perturbés par le type de stratégie patrimoniale poursuivie par les individus (tableau 15). Alors que la « norme » électorale des non-diplômés est de voter en majorité pour Sarkozy (57 %), celle-ci se trouve transgressée chez les « pauvres » non possédants, qui rallient en majorité Royal (54 %). Inversement, la norme des diplômés du bac ou du supérieur, qui est de voter Royal (55 %), se trouve amplifiée chez les « pauvres » non possédants (64 %) et estompée chez les « riches » possédants (50 %).
49En outre, si l’effet de la détention de patrimoine est massif chez les « pauvres » quand ils sont titulaires d’un diplôme inférieur au bac (le vote pour Nicolas Sarkozy passe alors de 46 % à 61 %), il est plus ténu quand ils sont titulaires d’un diplôme au moins égal au bac. Dans ce dernier cas, les individus sous le seuil de pauvreté sont moins convaincus par le discours du candidat de droite : le vote en faveur de Nicolas Sarkozy reste minoritaire chez eux, quelle que soit la dotation patrimoniale (passant de 36 % à 42 %, soit un écart de 6 points).
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les diplômes et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon les diplômes et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
50La variable revenus-patrimoine est loin d’annuler les effets de la religion dans l’expression du vote [46], puisque, quelle que soit leur richesse relative, les catholiques votent toujours beaucoup plus souvent pour Nicolas Sarkozy que les sans religion. Pourtant, l’incidence de la stratégie patrimoniale sur les choix électoraux des catholiques est loin d’être négligeable (tableau 16). Alors que la norme politique des catholiques est en 2007 de rallier massivement Nicolas Sarkozy (63 %), la proportion de vote pour le candidat de l’UMP chute à 53 % chez les catholiques les plus démunis, pour monter en revanche jusqu’à 68 % chez ceux qui sont les plus nantis au regard des deux critères. L’accumulation patrimoniale fait pencher le vote des catholiques à droite, tandis que les catholiques de gauche se retrouvent le plus souvent parmi les individus « pauvres » et non propriétaires. Cette relation entre attitude à l’égard de la religion et fait patrimonial avait été mise en évidence de la même façon dans l’enquête de 1978. On est en mesure de préciser ici – ce que les auteurs de « l’effet patrimoine » n’avaient pu faire en raison d’effectifs insuffisants – que, quelle que soit leur distribution au regard des quatre groupes de richesse, les « sans religion » optent toujours massivement en faveur de la candidate socialiste : tout se passe comme si les « agnostiques » ne se laissaient dicter leur vote ni par leurs gains monétaires ni par l’étendue de leur patrimoine. On se trouve là en présence d’une exception à la règle qui veut que les possédants aient partie liée à la droite.
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon la religion et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Vote au 2e tour de l’élection présidentielle 2007, selon la religion et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
L’effet patrimoine à l’épreuve des régressions logistiques
51Vérifions maintenant que les grandes tendances observées à partir des tableaux croisés – soulignant l’effet prégnant de la richesse selon le double standard du revenu et du patrimoine – ne procèdent pas de ce qui serait l’effet « caché » d’une autre variable. Pour s’en assurer, nous avons réalisé des analyses de régressions logistiques qui, pour toutes les variables de comportement politique étudiées, contrôlent – en sus du revenu et du patrimoine – les effets du sexe, de l’âge et du diplôme (cf. tableaux E à G en annexe).
52Les résultats confirment – une fois tenu compte de ces caractéristiques sociodémographiques traditionnelles – le maintien à la fois des effets du revenu et de ceux du patrimoine détenu sur les comportements politiques et électoraux : les odds ratio attachés à ces deux variables sont significatifs et indiquent des rapports de chance particulièrement élevés. Ainsi, pour toutes les variables présentées ici, qu’il s’agisse du rapport au politique, du pessimisme et de la défiance vis-à-vis de la politique, du vote ainsi que du positionnement politique, on observe de façon systématique et ce, « toute chose égale par ailleurs » [47], un double effet significatif, de la diversification patrimoniale et du niveau de vie. Le fait d’avoir voté à toutes les élections fait néanmoins exception : pour cette dernière variable et comme nous l’avons souligné précédemment, seul un effet patrimoine apparaît robuste.
53Pour des raisons d’effectifs, nous avons jusqu’à présent été contraintes de raisonner à partir d’un indice à double standard n’offrant que peu de finesse, concernant en particulier le revenu par unité de consommation (dichotomisé), mais aussi la structure patrimoniale. Il nous a donc semblé opportun ici, puisque l’analyse de régression logistique le permet, de ré-ouvrir l’éventail du niveau de vie en sextiles [48]. Ce dernier a au préalable fait l’objet d’une transformation logarithmique, méthode qui présente l’avantage d’accorder un poids plus important aux faibles valeurs du revenu et permet ainsi de redonner voix aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté, qui sont peu représentées dans l’échantillon [49]. De la même manière, il a été possible de développer la variable du nombre d’éléments de patrimoine en 4 catégories distinctes (au lieu de 3 dans les précédentes sections). Le résultat important consiste à souligner, là-encore, la grande stabilité des effets, confirmant s’il était nécessaire l’efficience des variables revenus et patrimoine pour éclairer les comportements politiques [50].
54Nous centrerons notre analyse sur le vote en faveur de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle de 2007 (tableau 17), tout en signalant que les tendances observées ici se déclinent bien souvent à l’identique pour les autres variables dépendantes considérées jusqu’à présent.
55Un premier modèle (modèle 1) tenant compte non seulement du revenu et du patrimoine, mais aussi du sexe, de l’âge et du diplôme, montre le rôle important joué par le niveau de richesse relative sur le vote en faveur de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle.
56Ainsi, on a deux fois moins de chances (exactement 2,1 fois) d’avoir accordé sa voix au candidat de l’UMP quand on ne détient aucun élément de patrimoine que quand on en possède trois à quatre. De la même manière, le fait de figurer dans le premier sextile des revenus divise par plus d’une fois et demie (exactement 1,6 fois) les chances de lui accorder son vote comparé à une personne se situant en haut de cette même échelle (sixième sextile). Dès lors, si le diplôme semble décisif (les odds ratio sont élevés dans le modèle 1), patrimoine et revenus constituent aussi deux variables essentielles à considérer pour comprendre l’issue de l’élection présidentielle en 2007. Mais allons plus loin.
57Nous avons insisté dans la précédente section sur l’importance de la religion, variable « lourde » s’il en est, dans l’expression d’un choix électoral. On connaît par ailleurs les effets massifs liés au statut dans l’emploi sur le vote [51]. L’intégration de ces deux variables au modèle – modèle 1 – est dès lors apparue essentielle ; cela fait l’objet des second et troisième modèles (auxquels ont été ajoutés successivement le statut – modèle 2 – puis la religion – modèle 3).
58Un premier constat consiste à noter l’apport substantiel de ces deux variables (et plus particulièrement de la religion) dans l’explication du vote pour Nicolas Sarkozy : le R [52] de Cox et Snell (indicateur de la qualité du modèle), valant initialement 4,9 % s’élève à 6,1 % dans le second modèle, puis double grâce à la variable religion, et atteint 12,4 % dans le troisième modèle.
Trois modèles de régression logistique du vote en faveur de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle 2007 (les coefficients indiquent l’exponentielle (B), représentant les rapports de chance)
Trois modèles de régression logistique du vote en faveur de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection présidentielle 2007 (les coefficients indiquent l’exponentielle (B), représentant les rapports de chance)
59La lecture des rapports de chance de ce dernier modèle est en outre instructive à plusieurs titres. D’abord, la religion constitue, et de façon très sensible, un marqueur fondamental du vote : « toute chose égale par ailleurs », un catholique pratiquant a ainsi presque 7 fois plus de chance d’avoir donné sa voix à Nicolas Sarkozy qu’une personne se déclarant sans religion. Si le statut dans l’emploi provoque des différences moindres, il fait néanmoins jeu égal avec le diplôme (rapports de chance autour de 2,4).
60Pour autant, cela n’annule en aucun cas les effets du revenu et du patrimoine, qui se maintiennent à des niveaux tout à fait significatifs. Ajoutons cette précision : alors que l’incidence du patrimoine est en légère décroissance du premier au troisième modèle (les rapports de chance et les niveaux de significativité baissent), le niveau de vie résiste très bien à la « complexification » du premier modèle et voit même ses rapports de chance et sa « significativité » augmenter. Force est en tout cas de conclure que la richesse des individus, mesurée par la diversité du patrimoine et le niveau de revenu, mérite toute l’attention nécessaire pour qui veut appréhender avec finesse les ressorts des choix électoraux.
61* *
62Nous avons observé tout au long de cette recherche que la présence/absence d’une stratégie patrimoniale est un facteur structurant du rapport au politique et du vote. Le fait de posséder ou non un patrimoine diversifié va parfois jusqu’à brouiller les frontières des univers riches/ pauvres définis par les seuls revenus ou à effacer les normes politiques liées aux appartenances sociales, culturelles ou professionnelles.
63La pauvreté patrimoniale est corrélée avec un moindre intérêt politique, un refus de se situer dans l’espace, une désaffiliation partisane et un vote de gauche. Comme si cette famille politique pouvait seule répondre aux inquiétudes de ceux qui n’ont que les revenus d’un salaire modeste pour faire face aux aléas de l’insécurité sociale, économique et médicale dans un monde en crise. C’est dans la gauche gouvernementale qu’ils mettent le plus souvent leurs espoirs pour que l’État reste garant de la solidarité nationale et de la lutte contre les inégalités sociales. Mais, une partie non négligeable d’entre eux émet un vote protestataire en direction de l’extrême gauche ou de l’extrême droite.
64À partir du moment où les « pauvres » en revenus détiennent deux éléments de patrimoine (dont en particulier le logement), construisant ainsi une sorte de solidarité d’ordre privé reposant sur la propriété individuelle, alors leur univers politique d’appartenance change du tout au tout. Ils se montrent politisés, confiants dans les institutions et les partis gouvernementaux et ont des référents idéologiques qui les portent à privilégier les candidats d’une droite vue comme la meilleure caution des (petits) propriétaires.
65Les conclusions auxquelles nous arrivons sont donc très proches de celles tirées de l’enquête de 1978 par nos collègues du Cevipof, alors même que le contexte idéologique et politique a profondément changé en trente ans ; alors même aussi que nous avons pris un critère plus lâche pour définir la possession, y incluant, outre la « propriété de rapport », la propriété du logement principal.
66Tout semble se passer comme si, dans les sociétés postindustrielles du 21e siècle, le combat politique s’enracinait toujours dans les rapports de propriété. Ce constat vient contredire certaines analyses, dont celle, ancienne, du sociologue Ralf Dahrendorf qui, à la fin des années 1950, dans son ouvrage Classes et conflits de classes [53], avait voulu démontrer que c’est plutôt l’inégale distribution des rôles de commandement et de subordination qui constitue le fait central. En 2007, c’est toujours la détention d’un patrimoine diversifié qui s’avère être le meilleur indice prédictif du vote des Français à droite, en l’occurrence pour le candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy. À l’inverse, la pauvreté définie comme dénuement patrimonial corrèle avec le vote en faveur de la candidate socialiste, Ségolène Royal. Pourtant, les liens constatés entre patrimoine et politique ne doivent pas être interprétés en termes de causalité, ce qui inciterait à conclure – ce que nous nous gardons de faire – que le politique serait dans une relation de dépendance ou de subordination par rapport à l’économique [54].
Tableaux complémentaires
Sociologie de la « pauvreté » et de la « richesse » selon l’indice revenuspatrimoine (% en colonne)
Sociologie de la « pauvreté » et de la « richesse » selon l’indice revenuspatrimoine (% en colonne)
Composition des patrimoines selon l’indice revenus-patrimoine (% en colonne)
Composition des patrimoines selon l’indice revenus-patrimoine (% en colonne)
Intérêt pour la politique, selon les diplômes et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Intérêt pour la politique, selon les diplômes et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
A voté à toutes les élections, selon les diplômes et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
A voté à toutes les élections, selon les diplômes et selon les revenus et le patrimoine (% en colonne par rapport aux exprimés)
Régressions logistiques des variables de rapport à la politique ? exp(B), *** < 1 %, ** < 5 %, * < 10 %
Régressions logistiques des variables de rapport à la politique ? exp(B), *** < 1 %, ** < 5 %, * < 10 %
Régressions logistiques des variables de défiance, pessimisme, peur de l’avenir, attitudes protestataires
Régressions logistiques des variables de défiance, pessimisme, peur de l’avenir, attitudes protestataires
? exp(B), *** < 1 %, ** < 5 %, * < 10 %Régressions logistiques des variables de positionnement politique à droite
? exp(B), *** p < 0,01, ** p < 0,05, * p < 0,1Notes
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[1]
Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier, « L’effet patrimoine », dans Jacques Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, Paris, Presses de Sciences Po, 1981, p. 171-355. Cf. aussi Jacques Capdevielle, Le fétichisme du patrimoine : essai sur un fondement de la classe moyenne, Paris, Presses de Sciences Po, 1986.
-
[2]
Alain Lancelot, « Préface », dans J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, ibid., p. 11-12.
-
[3]
Monica Charlot, « Un effet patrimoine ? », dans Monica Charlot (dir.), L’effet Thatcher, Paris, Economica, 1989, p. 33-51, dont p. 49. Cf. aussi David E. Butler, Dennis Kavanagh, The British General Election of 1983, Londres, Macmillan, 1985 : les auteurs montrent que les ouvriers propriétaires de leur logement sont plus enclins à voter conservateur que ceux vivant en HLM (p. 296-297).
-
[4]
Les éléments de patrimoine pris en compte dans l’étude de Monica Charlot sont : livrets de caisse d’épargne (National Savings), placements d’épargne-logement (Building Societies), actions (Shares) et SICAV (Unit Trusts).
-
[5]
Signalons cependant le bilan de la variable patrimoine réalisé par Daniel Boy et Nonna Mayer « Que reste-t-il des variables lourdes ? », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 118-123.
-
[6]
Cf. Guy Groux, Catherine Lévy, La possession ouvrière. Du taudis à la propriété (19e-20e siècle), Paris, Éd. de l’Atelier, 1993. Cf. aussi l’ouvrage, plus général, de Hélène Michel, La cause des propriétaires. État et propriété en France, fin 19e-20e siècle, Paris, Belin, 2006.
-
[7]
Cf. en particulier parmi les travaux récents : Raymond Duch, Randy Stevenson, The Economic Vote. How Political and Economic Institutions Condition Election Results, Cambridge, Cambridge University Press, 2008 ; Michael S. Lewis-Beck, Mary Stegmaier, « Economic Models of the Vote », dans Russell Dalton, Hans-Dieter Klingemann (eds), Oxford Handbook of Political Behavior, Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 518-537 ; Wouter Van der Brug, Cees Van der Eijk, Mark N. Franklin, The Economy and the Vote. Economic Conditions and Elections in Fifteen Countries, New York, Cambridge University Press, 2007. Pour la France, voir : Michael S. Lewis-Beck, « Le vote du “porte-monnaie” en question », dans D. Boy, N. Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, op. cit., p. 239-261 ; Jean-Dominique Lafay, « L’analyse économique de la politique : raisons d’être, vrais problèmes et fausses critiques », Revue française de sociologie, 38 (2), 1997, p. 229-243, et « Analyse économique d’une présidentielle », Sociétal, 36, avril-juin 2002, p. 4-8.
-
[8]
Insee, Les tableaux de l’économie française, <http//www.insee.fr>.
-
[9]
Dans le discours de clôture, Nicolas Sarkozy déclare : « La propriété est une sécurité en cas de chômage ou de changement professionnel, elle est une garantie de niveau de vie au moment de la retraite ou pour reprendre une formation, elle est un capital à transmettre à ses enfants » (Le Monde, 10 septembre 2009).
-
[10]
Cf. Le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2007-2008, Paris, La Documentation française, 2008, et les travaux de Serge Paugam, dont La disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 1994.
-
[11]
Assemblée nationale, « Rapport d’activité au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes », no 3670, octobre 2005-février 2007, p. 7.
-
[12]
Cf. André Babeau, Dominique Strauss-Kahn, La richesse des Français : épargne, plus-value, héritage : enquête sur la fortune des Français, Paris, PUF, 1977 ; Luc Goutard, Jérôme Pujol, « Les niveaux de vie en 2006 », Insee Première, 1203, juillet 2008.
-
[13]
Nous employons ici les méthodes internationales canoniques quand on parle de niveau de vie. Les détails de la construction sont précisés dans la première section de l’article. Dans l’enquête de 1978, l’un des indicateurs idoines, la structure par âge, faisait défaut. Les auteurs ont alors contourné la difficulté : connaissant la taille du foyer, ils ont « au-delà de trois personnes, appliqué un coefficient unique pour chaque personne supplémentaire de 0,5 unité » (dans J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, op. cit., p. 176).
-
[14]
Nous travaillons à partir d’un échantillon de 4 006 personnes représentatives de la population française inscrite sur les listes électorales, âgées de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession ou ancienne profession du chef de ménage, niveau de diplôme) après stratification par région administrative et catégorie d’agglomération. Nous utilisons ici le fichier pondéré (redressement socio-démographique et politique – premier et second tours de l’élection présidentielle de 2007).
-
[15]
« Le niveau de vie correspond au revenu disponible du ménage (revenu salarial de l’ensemble des salariés, autres revenus d’activité, prestations, minima sociaux, revenus du patrimoine, net des impôts directs) divisé par le nombre d’unité de consommation (UC). […] Les unités de consommation sont généralement calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), modifiée, qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans » (Yves Jauneau, « Les employés et ouvriers non qualifiés. Un niveau de vie inférieur d’un quart à la moyenne des salariés », Insee Première, 1250, juillet 2009, p. 4).
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[16]
Les questions posées dans l’enquête Cevipof sont : 1) « Quel est le revenu mensuel de votre ménage, tout compris, c’est-à-dire en comptant les salaires, les allocations et vos autres revenus ? » ; 2) « Combien de personnes vivent actuellement dans votre foyer, en comptant tout le monde, y compris vous-même ? » ; 3) « Parmi ces personnes, combien y a-t-il d’enfants de moins de 14 ans ? »
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[17]
Si le seuil de pauvreté fixé par l’Insee en 2007 est de 908 euros, nous avons, quant à nous, adopté le seuil de 900 euros, pour davantage de lisibilité. La valeur du seuil de pauvreté correspond à 60 % de la médiane des niveaux de vie (critère employé par Eurostat et les pays européens).
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[18]
La question posée dans l’enquête est la suivante : « Vous-même ou un membre de votre foyer possédez-vous ? (Oui / Non) Votre logement / Une résidence secondaire / Des valeurs mobilières, des actions (actions, sicav) / Un livret A (Caisse d’épargne, Poste) ».
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[19]
Les personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté sont peu nombreuses à détenir deux éléments de patrimoine ou plus.
-
[20]
Les éléments de patrimoine retenus par Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier sont : livret de caisse d’épargne, compte sur livret, bons d’épargne, bons du Trésor, bons de caisse, compte à terme, placement d’épargne logement, valeurs mobilières (actions, obligations, parts de Sicav) et enfin biens immobiliers de rapport.
-
[21]
Dans les tableaux présentés, il peut arriver que les pourcentages ne somment pas toujours à 100. Ceci est le plus souvent lié à des questions d’arrondis, mais peut également résulter de l’absence dans les tableaux de catégories rares, telles que les « ne sait pas », « autre réponse », etc. Pour l’ensemble des tableaux, la source est l’enquête postprésidentielle 2007, Cevipof-Ministère de l’Intérieur.
-
[22]
En 2004, 82,6 % des ménages possédaient des livrets défiscalisés (Insee, Les revenus et le patrimoine des ménages, Paris, édition 2009, p. 137).
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[23]
Le tableau détaillé des caractéristiques sociologiques est disponible en annexe (tableau A).
-
[24]
D’après l’Insee, 69,5 % ans des ménages français des 60-69 ans possèdent leur résidence principale, contre 13,7 % des moins de 30 ans (Insee, Les revenus et le patrimoine des ménages, ibid., p. 137).
-
[25]
Ainsi d’après l’enquête postprésidentielle de 2007 Cevipof-Ministère de l’Intérieur, seuls 52 % des ouvriers et 55 % des employés s’intéressent « beaucoup » ou « un peu » à la politique, contre 85 % des membres des professions libérales et des cadres supérieurs. C’est le cas aussi de 54 % des non-diplômés ou titulaires du seul certificat d’études, contre 86 % des diplômés de l’enseignement supérieur.
-
[26]
Cf. Loïc Blondiaux, « Les invisibles de la représentation », Le Monde, 29 avril 2009, et son ouvrage Le nouvel esprit de la démocratie : actualité de la démocratie participative, Paris, Seuil, 2008.
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[27]
Ce tableau ainsi que l’ensemble des tableaux à venir ont fait l’objet d’une vérification par régression logistique (variables indépendantes : âge, sexe, diplôme, revenu dichotomisé, patrimoine en trois catégories) : les résultats montrent que « toute chose égale par ailleurs », les effets du revenu et du patrimoine sont significatifs.
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[28]
J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, op. cit., p. 183.
-
[29]
Nous parlons d’« effet cumulé » quand les deux éléments de pauvreté (le revenu et le patrimoine) entraînent des effets simultanés (les deux éléments se combinent et agissent simultanément). L’« effet propre » fait, quant à lui, référence à un des deux effets qui se produirait sans l’autre.
-
[30]
Au sens où les « pauvres » possédants se situent à des niveaux comparables ou supérieurs à ceux des « riches » non possédants (sans pour autant égaler les scores des « riches » possédants) ; en revanche, à des niveaux de patrimoine égaux, le revenu continue à avoir un effet.
-
[31]
Nous avons en effet souligné que le double handicap (financier et patrimonial) était caractéristique de personnes non diplômées.
-
[32]
Des éléments abordés ultérieurement permettent en effet de formuler cette hypothèse.
-
[33]
Cf. Robert D. Putnam, Bowling Alone. The Collapse and Revival of American Community, New York, Simon & Shuster, 2000 ; James S. Coleman, Foundations of Social Theory, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1990 ; Nonna Mayer, « Les conséquences politiques du “capital social” : le cas français », Revue internationale de politique comparée, 10 (3), 2003, p. 381-395.
-
[34]
Jacques Capdevielle et Élisabeth Dupoirier avaient déjà constaté, il y a 30 ans, que l’électorat socialiste était beaucoup moins dépendant des effets conjugués du revenu et du patrimoine que l’électorat communiste (dans J. Capdevielle et al. (dir.), France de gauche, vote à droite, op. cit., p. 183).
-
[35]
Principe de construction des attributs de droite : connaissant l’orientation politique du répondant, ainsi que celle de ses deux parents et de son conjoint (« de gauche », « de droite », ou « ni de gauche, ni de droite »), nous avons comptabilisé, parmi les quatre, combien sont positionnés à droite par la personne interrogée. Le principe de construction des attributs de gauche est identique, en comptabilisant cette fois combien sont positionnés à gauche.
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[36]
Cf. notamment Jacques Capdevielle, Élisabeth Dupoirier à partir de l’enquête Cevipof 1978 ; Claude Dargent à partir de la postprésidentielle 2007.
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[37]
Le sondage IPSOS réalisé le 6 mai 2007 (3 609 personnes) donne des résultats très voisins : 57 %des Français avec un « revenu élevé » (au foyer) ont choisi le candidat de l’UMP.
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[38]
Le constat est identique quel que soit le niveau de patrimoine considéré : -1 point pour un élément de patrimoine entre les « pauvres » et les « riches », +1 point pour deux éléments ou plus.
-
[39]
Même remarque que précédemment.
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[40]
Sans doute est-ce dû en partie à l’effet du recodage dichotomisé du revenu. Malgré tout, il est marquant de constater que le double prisme (revenu + patrimoine) affine considérablement l’analyse du vote. De plus, nous verrons ultérieurement, à partir d’une régression logistique, qu’un indice de revenu plus détaillé aboutit au même constat.
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[41]
Lors de cette convention du 14 septembre 2006, déjà citée, le candidat Nicolas Sarkozy promet la création d’un « prêt foncier à taux zéro », la « mise en vente chaque année de 1 % du parc social » et évoque la « réintroduction d’un crédit d’impôt sur les intérêts des crédits immobiliers ». Sur ce point, N. Sarkozy peut être vu comme le digne continuateur de Valéry Giscard d’Estaing qui, dans son discours de Verdun-sur-le-Doubs (27 janvier 1978), disait sa volonté de « rendre les Français propriétaires de la France ».
-
[42]
Le rapport entre propriété et sécurité/liberté a été amplement développé par Valéry Giscard d’Estaing : « Une sécurité supplémentaire est celle qui procure à l’individu le sentiment d’avoir bien à lui un certain patrimoine. La liberté d’attendre, de choisir, de décider est renforcée par la possession autonome d’une “réserve” qui protège des incertitudes extérieures » (Démocratie française, Paris, Fayard, 1976, p. 122). Mais l’exaltation de la propriété comme sécurité a aussi été portée, on l’a dit, par le discours de Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2007.
-
[43]
Les effectifs des autres catégories socioprofessionnelles sont insuffisants.
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[44]
Cf. G. Groux, C. Lévy, La possession ouvrière…, op. cit., p. 191-193.
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[45]
On peut supposer que cette catégorie recoupe, en partie, les employés et ouvriers « non qualifiés », dont on sait qu’ils sont les plus exposés à la pauvreté (cf. Y. Jauneau, cité). Sur le vote des ouvriers et des catégories populaires, cf. Guy Michelat, Michel Simon, Les ouvriers et la politique. Permanence, ruptures, réalignements, 1962-2002, Paris, Presses de Sciences Po, 2004 ; Henri Rey, La gauche et les classes populaires, Paris, La Découverte, 2004.
-
[46]
Sur ce point, cf. Guy Michelat, Michel Simon, « Déterminations socio-économiques, organisations symboliques et comportement électoral », Revue française de sociologie, 26, 1985, p. 50.
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[47]
Nous utilisons l’expression en rappelant qu’il s’agit plutôt de : « une fois tenu compte des variables entrées dans le modèle ».
-
[48]
Le découpage en sextiles consiste à créer six catégories de revenus d’effectif égal (environ 16,7 %).
-
[49]
34 % de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans l’échantillon, 66 % au-dessus. La transformation logarithmique est utile quand les écarts en échelle linéaire n’ont pas la même signification sociologique en bas ou en haut d’un continuum ; par exemple, passer d’un revenu de 500 à 1 000 euros ne signifie pas la même chose que de passer de 6 000 à 6 500 euros.
-
[50]
Les tableaux en annexe illustrent le fait que, pour l’ensemble des variables dépendantes, les effets du patrimoine et du revenu ne disparaissent pas (les odds ratio sont significatifs) et qu’au-delà, les rapports de chance sont importants.
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[51]
Sur l’effet du statut sur le vote à l’élection présidentielle de 2007, cf. Élisabeth Dupoirier, « Le parti socialiste et la gauche : l’implacable spirale de l’échec », dans Pascal Perrineau (dir.), Le vote de rupture. Les élections présidentielle et législatives d’avril-juin 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 143-172, dont p. 164. Il est observé ainsi que 71 %des indépendants ont voté pour Nicolas Sarkozy au second tour, contre 54 %des salariés du privé et seulement 42 % des salariés du public.
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[52]
Ralf Dahrendorf, Class and Class Conflict in Industrial Society, Stanford, Stanford University Press, 1959 (traduction française : Classes et conflits de classes, Paris, Mouton, 1972).
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[53]
Nous remercions Bruno Cautrès et Flora Chanvril pour leurs remarques et conseils judicieux.
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[54]
Principe de construction de l’attribut ouvrier : connaissant la profession ou l’ancienne profession du répondant, et si le père et la mère étaient ouvriers quand il avait 14 ans, nous avons comptabilisé, parmi les trois, combien sont déclarés « ouvrier » par la personne interrogée.
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[55]
Dans la mesure où l’interaction entre revenus et patrimoine n’est jamais significative, l’ensemble des odds ratio présentés se fonde sur la régression logistique sans le contrôle des effets d’interaction.