Notes
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[1]
Afin de préserver l’anonymat des personnes et des lieux de notre enquête, les noms ont été modifiés et des libertés ont été prises concernant certains éléments descriptifs, jugés non décisifs pour l’analyse.
-
[2]
Cette carte mentionne clairement le motif du refus : les convictions religieuses des Témoins de Jéhovah. Elle est nominative, renouvelée chaque année, signée par son titulaire, ainsi que par deux témoins.
-
[3]
Ce sont les recommandations élaborées, sur la base des résultats de recherches cliniques, par un groupe souvent multidisciplinaire d’experts afin d’homogénéiser les pratiques.
-
[4]
Actes des Apôtres 15 : 19, 20 (« 19 Ma décision est donc de ne pas inquiéter ceux des nations qui se tournent vers Dieu, 20 mais de leur écrire de s’abstenir des choses qui ont été souillées par les idoles, et de la fornication, et de ce qui est étouffé, et du sang »). D’autres passages bibliques sont également invoqués à l’appui de cette interdiction : Genèse 9 : 3, 4 (« 3 Tout animal qui se meut [et] qui est vivant pourra vous servir de nourriture. Comme pour la végétation verte, oui je vous donne tout cela. 4 Seulement la chair avec son âme – son sang – vous ne devez pas la manger ») ; Lévitique, 17 : 13, 14 (« 14 Vous ne devez manger le sang d’aucune sorte de chair, car l’âme de toute sorte de chair est son sang. Quiconque le mangera sera retranché »).
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[5]
Selon les statistiques produites par le mouvement lui-même, les Témoins de Jéhovah comptaient en 2005 : 119 131 « proclamateurs » en France métropolitaine (1/508 habitants), 7 713 en Guadeloupe (1/57), 2 192 en Guyane (1/355), 4 215 en Martinique (1/90), 2 625 à la Réunion (1/292). Cf.<http:// www. watchtower. org/ statistics/ worldwide_report. htm>.
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[6]
Voir l’enquête de J.-L. Vincent, « Transfusion in the Exsanguinating Jehovah’s Witness Patient. The Attitude of Intensive-Care Doctors », European Journal of Anesthesiology, 8, 1991, p. 297-300.
-
[7]
La gestion de la contamination transfusionnelle par le VIH a été rendue difficile par ces pratiques tant sur le plan sanitaire que sur le plan humain. Cf. Nicole Bastin, Geneviève Cresson, Jean Tybergein, Approche sociologique de la demande en réparation du préjudice thérapeutique : le cas du sida, Lille, Rapport ANRS/CLERSÉ, 1993.
-
[8]
Sophie Gromb, Gérard Janvier, « Transfusion sanguine et Témoins de Jéhovah », Journal de médecine légale et de droit médical, 40 (5), 1997, p. 385-388.
-
[9]
Cette enquête part d’une interrogation plus générale sur l’impact des procès sur les pratiques médicales (cf. Janine Barbot, Emmanuelle Fillion, Les professionnels de santé face aux procès, rapport CERMES/MiRe, 2005). Des observations ethnographiques ont été réalisées, notamment dans le DAR (Département d’anesthésie et de réanimation) du CHU Delaville. 32 médecins anesthésistes-réanimateurs ont été interviewés sur des sites diversifiés (CHU, hôpital général, clinique). Parmi eux, certains assumaient des responsabilités dans des sociétés savantes ou dans des syndicats professionnels. Le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah est apparu comme une situation problématique, tant sur le terrain qu’au cours des entretiens. L’anesthésie-réanimation compte, du fait de sa transversalité, le plus grand nombre de praticiens hospitaliers en France, avec plus de 9 000 professionnels (voir Sylvia Pontonne, « Évolution des effectifs de praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs dans les prochaines années. Vers une crise ? », Annales françaises d’anesthésie et de réanimation, 18, 1999, p. 1073-1079). Cette enquête qualitative ne repose pas sur un échantillon « représentatif » des praticiens et des conditions d’exercice, mais entend à travers l’identification de situations variées d’activité faire jouer des contrastes productifs pour l’analyse (voir Barney Glaser, Anselm Strauss, The Discovery of the Grounded Theory, Chicago, Aldine Publishing Company, 1967).
-
[10]
Pour une critique de ce cadre d’analyse : Janine Barbot, Emmanuelle Fillion, « La "médecine défensive" : critique d’un concept à succès », Sciences sociales et santé, 24 (2), 2006, p. 7-33.
-
[11]
Cf. notamment : Ann Lawthers, A. Russel Localio, Nann Laird, Stuart Lipsitz, Liesi Herbert, Troyen Brennan, « Physicians Perceptions of the Risk of Being Sued », Journal of Health Politics, Policy Law, 17 (3), 1992, p. 463-482 ; R. Shapiro, D. Simpson, S. Lawrence et al., « A Survey of Sued and Nonsued Physicians and Suing Patients », Archives of Internal Medicine, 149 (10), 1989, p. 2190-2196 ; Carol Weisman, Laura Morlock, Martha Teitelbaum, Ann Klassen, David Celentano, « Practice Changes in Response to the Medical Malpractice Litigation : Results of a Maryland Physician Survey », Medical Care, 27 (1), 1989, p. 16-24.
-
[12]
Ce débat a abouti à l’adoption de la loi no 2005-370 du 22/04/2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie.
-
[13]
Nicolas Dodier, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003.
-
[14]
Nicolas Dodier, Janine Barbot, « Autonomy and Objectivity as Political Vectors in the Medical World : Twenty Years of Aids in France », Science in Context, 21 (3), 2008, p. 403-434.
-
[15]
Pour une présentation de la tradition clinique, cf. Nicolas Dodier, « S’en remettre à un spécialiste. Contribution à une histoire politique de la délégation », Handicap. Revue de sciences humaines et sociales, 104, 2005, p. 9-20.
-
[16]
Talcott Parsons, The Social System, New York, Free Press, 1951.
-
[17]
L’article 7 du Code de déontologie médicale (du 28 juin 1979) stipulait ainsi : « La volonté du patient doit toujours être respectée dans la mesure du possible ».
-
[18]
Le travail mené par Alexandre Jaunait (Comment pense l’institution médicale ? Une analyse des codes français de déontologie médicale, Paris, Dalloz, 2005) met en évidence ces aspects du consentement dans le paternalisme médical (ibid., p. 254 et suiv.). Il cite, comme illustration de cette posture, des extraits du livre de Louis Portes, premier président élu de l’Ordre des médecins : « En face d’un tel désarroi, ne devons-nous pas nous demander ce que devient le comportement intérieur du patient et notamment quelle confiance nous devons faire à son intelligence, à sa sensibilité et à sa volonté ? […] Au sens exact du terme, il ne voit plus clair en lui-même, car entre lui-même observant son mal et lui-même souffrant de son mal, s’est glissée une opacité et parfois même une obscurité totale ; tous ses pas dans sa connaissance de lui-même sont devenus trébuchants comme ceux d’un enfant […]. Dans la première période qui précède son premier contact avec le médecin, je dirais qu’il n’est qu’un jouet, à peu près complètement aveugle, très douloureux, essentiellement passif ; qu’il n’a qu’une connaissance objective très imparfaite de lui-même ; que son affectivité est dominée par l’émotivité ou par la douleur et que sa volonté ne repose sur rien de solide, si ce n’est parfois lorsqu’elle aboutit au choix de tel médecin plutôt que de tel autre » (Louis Portes, À la recherche d’une éthique médicale, Paris, Éditions Masson et Cie, 1954).
-
[19]
Nicolas Dodier (Leçons politiques…, op. cit., p. 20 et suiv.) propose la notion de bien en soi, pour désigner les objectifs que les acteurs du monde médical ont dotés d’une dignité particulière, pour légitimer ou, au contraire, critiquer le mode de répartition des pouvoirs en présence.
-
[20]
Le secret médical concerne la communication d’information à l’extérieur de la relation médecin/malade et ne s’impose pas au patient. Son pendant interne est fondé sur le principe de l’exception thérapeutique, qui permet au médecin de cacher au malade les informations qu’il juge potentiellement déstabilisantes.
-
[21]
Les Témoins de Jéhovah sont un mouvement millénariste et apocalyptique qui tire son origine des « Étudiants de la Bible » fondé par le pasteur Charles Russel en 1876, aux États-Unis. Ses proclamateurs annoncent l’imminence du jour d’Har-Maguédôn où Jéhovah détruira notre monde dominé par Satan et instaurera un paradis sur la terre.
-
[22]
Eliot Freidson, « The Reorganization of the Professions by Regulation », Law and Human Behavior, 7, 1983, p. 279-290 ; « The Changing Nature of Professional Control », Annual Review of Sociology, 10 (1), 1984, p. 1-20.
-
[23]
Pour une histoire des essais thérapeutiques contrôlés aux États-Unis, voir Harry Marks, The Progress of Experiment : Science and Therapeutic Reform in the United States, 1900-1990, New York, Cambridge University Press, 1997.
-
[24]
Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris, Balland, 2002.
-
[25]
Pierre Lascoumes, « Représenter les usagers », dans Isabelle Baszanger, Martine Bungener, Anne Paillet (dir.), Quelle médecine voulons-nous ?, Paris, La Dispute, 2002, p. 107-125. Pierre Lascoumes, juriste et sociologue au Cevipof-CNRS, est membre de l’association AIDES depuis 1989 et cofondateur du CISS.
-
[26]
Le Quotidien du Médecin en date du 15 décembre 2005 a ainsi publié dans son courrier des lecteurs une lettre de l’organisation des Témoins de Jéhovah, protestant contre un article mentionnant la transfusion à l’insu comme la « solution pragmatique » préconisée par certains médecins pour gérer les effets préjudiciables sur la vie du patient de la communication de l’information concernant la transfusion.
-
[27]
Circulaire ministérielle no 98-231 du 9 avril 1998 relative à l’information des malades en matière de risques liés aux produits sanguins labiles et aux médicaments dérivés du sang et sur les différentes mesures de rappel effectuées sur ces produits sanguins.
-
[28]
Article R710271 du Code de la santé publique (loi du 24 janvier 1994).
-
[29]
Alexandre Jaunait (op. cit., p. 299-305) montre notamment comment certaines sanctions disciplinaires peuvent paraître, depuis une perspective de droit commun, comme extrêmement sévères, compte tenu de l’absence totale de préjudice pour le patient (voire même en dépit d’une efficacité thérapeutique réelle).
-
[30]
C’est la loi du 4 mars 2002, sur les droits des malades et la qualité du système de soins, qui a introduit cette possibilité. Désormais, les malades et les associations de malades et d’usagers de la médecine peuvent se porter parties civiles devant la juridiction ordinale.
-
[31]
René Savatier (« La responsabilité médicale en France (aspects de droit privé) », Revue internationale de droit comparé, 28 (3), 1976, p. 493-510) défend ainsi une « immunité médicale » fondée sur la reconnaissance du bien commun poursuivi par l’activité médicale à travers l’exercice d’une pratique à risques : « Tout le progrès médical, dont chacun de nous profite, est dû à des risques courageusement pris par les médecins, et par rapport auxquels les chances poursuivies ont laissé un bilan positif » (René Savatier, ibid., p. 498).
-
[32]
Monsieur Bianchi est devenu tétraplégique à la suite d’une artériographie vertébrale. Le juge a conclu en l’absence de faute, mais a retenu la responsabilité du centre hospitalier au motif que l’acte médical était bien « la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’exceptionnelle gravité ». Serge Gomes est devenu paraplégique, à l’âge de 15 ans, à la suite d’une intervention chirurgicale. Le juge a conclu que « l’utilisation d’une thérapeutique nouvelle crée, lorsque ses conséquences ne sont pas encore entièrement connues, un risque spécial pour les malades qui en sont l’objet ; que lorsque le recours à une telle thérapeutique ne s’impose pas pour des raisons vitales, les complications exceptionnelles et anormalement graves qui en sont la conséquence directe engagent même en l’absence de faute, la responsabilité du service public hospitalier ».
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[33]
Cette évolution est congruente avec l’intérêt attribué aux victimes, depuis le début des années 1980, sur bien d’autres fronts : victimes du terrorisme, d’accidents industriels ou de catastrophes naturelles.
-
[34]
Voir notamment : Cass. civ., 25 févr. 1997, Hédreul, JCP 1997, éd. G., I, 4025, n° 7, obs. G. Viney ; JCP 1997, éd. G., II, 2492, rapport P. Sargos. À l’occasion d’une coloscopie avec ablation d’un polype réalisée par un gastro-entérologue, ce patient a souffert d’une perforation intestinale. Il a dû subir plusieurs interventions chirurgicales aux conséquences graves (ablation du côlon et du rectum).
-
[35]
Dominique Thouvenin, La responsabilité médicale, Paris, La Documentation française, 1995.
-
[36]
Ainsi, par exemple, l’issue de l’affaire Hédreul a été peu relatée. Si le défaut d’information a été établi, le juge a estimé qu’il n’avait pas entraîné une perte de chance pour le malade. Autrement dit, le malade ne justifie d’aucun préjudice indemnisable car, même informé des risques graves, il n’aurait probablement refusé ni l’examen, ni l’intervention (Cour de cassation, 20 juin 2000).
-
[37]
L’arrêt Perruche (par lequel le juge indemnise un enfant, né lourdement handicapé, à la suite d’une erreur de diagnostic n’ayant pas permis à sa mère d’interrompre sa grossesse) constitue, sans doute, un moment culminant de ces débats. Voir Janine Barbot, « Droits des malades, droits des victimes : évolution des débats publics sur la réparation », dans Didier Tabuteau (dir.), Les droits des malades et des usagers du système de santé, une législature plus tard. Actes du colloque Chaire Santé-CISS, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 101-105.
-
[38]
La loi est aussi le résultat de la mobilisation de différents acteurs (associations de victimes, juristes, parlementaires, etc.) dénonçant les inégalités de traitement des victimes selon que leur cas relève des juridictions civiles ou administratives, la longueur des procédures et l’incapacité du système à faire face à des situations d’urgence extrême.
-
[39]
La non-assistance à personne en péril est sanctionnée au titre de l’article 223-6, alinéa 2, du Code pénal.
-
[40]
Le principe du respect du consentement du patient a été posé dans plusieurs textes, au niveau international (le code de Nuremberg, la déclaration d’Helsinki, révisée à Tokyo, en 1975, puis à Venise, en 1983) et national (les lois de la bioéthique de 1994, le code de déontologie médicale du 6 septembre 1995, notamment dans son article 36, alinéa 2).
-
[41]
Atteint d’un syndrome de Goodpasture, provoquant une insuffisance rénale aiguë et des troubles de la coagulation, Monsieur S. avait à la suite d’une anémie sévère été transfusé à plusieurs reprises contre sa volonté, avant de décéder.
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[42]
Conseil d’État, 26 octobre 2001, requête n° 198546, Actualité juridique du droit administratif, mars 2002, p. 259. Voir notamment les commentaires de Elisabeth Dolard-Roche, « Un Témoin de Jéhovah peut-il refuser une transfusion sanguine ? », Journal de médecine légale et de droit médical, 45 (1), 2002, p. 59-63.
-
[43]
L’article L. 1111-4 stipule : « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
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[44]
La patiente a utilisé ici la procédure du « référé-liberté » qui permet aux administrés de demander au juge des référés de prendre des mesures d’urgence pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales de la personne (Article L. 521-2, CJA).
-
[45]
Un communiqué de presse du CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français), du 12 septembre 2002, faisait « réponse » aux propos de Bernard Kouchner dans Le Figaro. Kouchner avait suggéré que, pour respecter la volonté de la parturiente, les médecins auraient pu anticiper la situation et envisager la possibilité d’une autotransfusion. Pour le CNGOF, cette proposition « témoigne d’une double méconnaissance […] des convictions des Témoins de Jéhovah […] et de la gravité des hémorragies de la délivrance ».
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[46]
Les juristes notent qu’aucune jurisprudence n’a eu à statuer sur cette question : la portée du nouvel article L. 1111-4 du code de la santé publique et l’existence d’une jurisprudence ancienne sur le refus de soins (notamment Conseil d’État, 6 mars 1981) semblent néanmoins conforter cette interprétation. Cf. notamment Cl. Rougé-Maillart, T. Gaches, N. Jousset, A. Gaudin, M. Penneau, « Le refus de soins des Témoins de Jéhovah : une jurisprudence claire, une pratique médicale difficile », Journal de médecine légale et de droit médical, 47 (8), 2004, p. 357-362.
-
[47]
Ainsi pour E. Dolard-Roche (art. cité, p. 61-62) : « On ne peut poser une règle générale et dicter au médecin sa conduite. C’est à lui de décider en conscience. » […] « On peut en effet se demander si le malade qui a posément, tranquillement, clairement exprimé sa volonté de refuser un certain type de soins, réitérerait sa demande au moment ultime de l’approche de la mort, s’il en était encore dans la capacité. Submergé par la charge émotionnelle des derniers instants, confronté à une réalité non plus hypothétique (voire « phantasmée ») mais bien présente et arrivée à échéance, maintiendrait-il sa position ? »
-
[48]
Jocelyn Clerckx développe ces critiques virulentes dans « Chronique administrative. Une liberté en péril ? Le droit au refus de soins », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 120 (1), 2004, p. 139-168.
-
[49]
On peut noter que les médecins négligent pour ainsi dire le rôle crucial du « médecinexpert » auquel le juge recourt pour fonder son avis, alors même que ce rôle a pu faire l’objet de critiques de la part de ceux qui considèrent que la collusion naturelle et la confraternité du milieu médical sont un frein à l’établissement de la responsabilité médicale.
-
[50]
Dans l’affaire du CHU de Valenciennes, le CNGOF considère ainsi que, quoi qu’en pense le juge, le médecin a agi en situation de risque vital. Le médecin concerné est, quant à lui, plus nuancé : « Certes lorsque la décision a été prise de commencer la transfusion, il n’y avait pas vraiment d’urgence vitale. Mais la situation médicale de la patiente était tellement précaire que le moindre incident lui aurait été fatal » ; et d’ajouter : « Je suis sincèrement convaincu d’avoir agi pour son bien. Je pense qu’elle le reconnaîtra un jour » (Jean-Luc Chagnon, Véronique Fournier, « Fallait-il transfuser contre son gré Madame G., Témoin de Jéhovah ? », Médecine et Droit, 62-63, 2003, p. 133-136).
-
[51]
Après avoir estimé que la transfusion sanguine ne constituait pas un traitement « inhumain ou dégradant », ni une privation du droit à la liberté, le juge a estimé que l’atteinte à la « liberté de manifester sa religion ou sa conviction » (Art. 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) ne pouvait être retenue dès lors que le médecin avait agi pour respecter son obligation de protection de la santé et de la vie.
-
[52]
Alain Vivien, Les sectes en France : expression de la liberté morale ou facteurs de manipulations ?, Rapport au Premier ministre Pierre Mauroy, 1983 (texte publié à La Documentation française en 1985 et en ligne : <http:// www. prevensectes. com/ rap83a. htm>). Alain Vivien a été président de la Commission DOM-TOM de la Ligue des droits de l’Homme (1996-2001), président du Centre Roger Ikor contre les manipulations mentales (1997-1998), président de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS, 1998-2002).
-
[53]
Selon Massimo Introvigne, le mouvement anti-secte se présente comme un mouvement laïc, distinct du mouvement contre les sectes d’origine chrétienne. Il entend « juger les actes et non les croyances » et définit différemment les dangers à combattre, les outils et les priorités de la lutte (Massimo Introvigne, « L’évolution du "mouvement contre les sectes chrétien" 1978-1993 », Social Compass, 42 (2), 1995, p. 237-247).
-
[54]
D’autres drames ont suivi : le 19 avril 1993, 88 membres de la secte des Davidsoniens sont morts par suicide ou à l’issue d’affrontements avec la police, à Waco au Texas ; le 4 octobre 1994, 53 membres de la secte du Temple solaire sont morts suicidés ou assassinés en Suisse et au Canada ; le 5 mars 1995, l’attentat au gaz perpétré dans le métro de Tokyo par la secte Aum a fait 11 morts et 5 000 blessés.
-
[55]
En France, deux organisations occupent une place centrale dans le mouvement « antisecte ». Il s’agit de l’Union nationale des associations pour la défense des familles et de l’individu (UNADFI), créée en 1982 et reconnue d’utilité publique en 1996 (la première association locale avait été créée, à Rennes, en 1974, par Guy Champollion, à la suite de l’entrée de son fils dans la secte Moon), et du Centre de documentation, d’éducation et d’action contre les manipulations mentales (CCMM), créé en 1981, par Roger Ikor (romancier, prix Goncourt 1955), à la suite du suicide de son fils entré dans une secte. Dans les deux cas, ces associations allaient être présidées par des personnalités politiques, issues du parti socialiste (Alain Vivien, pour le CCMM, et Catherine Picard, rapporteure de la loi contre les groupements sectaires dite « loi About-Picard », pour l’UNADFI).
-
[56]
Tobie Nathan, professeur de psychologie à l’Université Paris 8 Vincennes-St Denis, ethnopsychiatre et membre de la MIVILUDES, a ainsi expérimenté au Centre Georges-Devereux un dispositif de soutien psychologique aux victimes des sectes, en coordination avec les associations anti-sectes. Cf. Tobie Nathan, Jean-Luc Swertvaegher, Sortir d’une secte, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003.
-
[57]
Le gouvernement bulgare avait refusé de leur reconnaître le statut de culte, jugeant notamment la pratique d’excommunication des transfusés contraires aux droits de l’homme.
-
[58]
Si certains y voient le signe d’un assouplissement progressif de l’orthodoxie des Témoins de Jéhovah concernant le refus de transfusion, le mouvement anti-secte considère, quant à lui, qu’il s’agit d’une manœuvre pour relâcher la vigilance des pouvoirs publics et dénonce ce qu’il appelle le « compromis Bulgare ».
-
[59]
La MILS mentionne le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah parmi les comportements inacceptables au vu des droits fondamentaux de la personne humaine (MILS, Rapport 2001, p. 9-10). Elle fait référence à la publication du livre de Sophie Gromb, Alain Garay (dir.), Consentement éclairé et transfusion sanguine, Paris, Éditions de l’École nationale de la santé publique, 1996 : cf. « Alain Garay, Témoin de Jéhovah lui-même, est avocat des Témoins de Jéhovah », dans MILS, ibid., p. 95-96, <http:// www. miviludes. gouv. fr/ IMG/ pdf/ MILS_Rapport_2001_fr. pdf>.
-
[60]
MIVILUDES, 2005, p. 59.
-
[61]
Cf. Massimo Introvigne, J. Gordon Melton (dir.), Pour en finir avec les sectes. Le débat sur le rapport de la commission parlementaire, Paris, Dervy, 1996. Cette prise de position a suscité de vives critiques en retour, au nom de l’usurpation opérée par un groupe d’universitaires prétendant s’exprimer pour le communauté scientifique (qui s’avère plurielle sur la question des sectes), de la présence parmi ces universitaires de personnalités liées à des mouvements proches de l’extrême droite, de la naïveté de chercheurs « instrumentalisés » par les sectes et de la dangerosité potentielle des méthodes d’observations participantes dans un tel contexte (Serge Faubert, « Ces universitaires qui flirtent avec les sectes », L’Événement du Jeudi, 18 septembre 1997, p. 14-18, suivi, le 6 novembre 1997, d’un droit de réponse). Cf. également Jean-Louis Schlegel, « Pourquoi on n’en finit pas avec les sectes ? », Esprit, juin 1997, p. 98-112.
-
[62]
Sur la répression du jéhovisme dans l’Allemagne nazie : Guy Canonici, Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, Paris, Albin Michel, 1998 ; Sylvie Graffard, Léo Tristant, Les Bibelforscher et le nazisme (1933-1945), Paris, Tiserias, 1991 ; et aux États-Unis, pendant la seconde guerre mondiale : Shawn Francis Peters, Judging Jehovah’s Witnesses. Religious Persecution and The Dawn of the Rights Revolution, Lawrence, University Press of Kansas, 2000.
-
[63]
Les Témoins de Jéhovah sont une organisation structurée et pyramidale, chapeautée par la WTBS.
-
[64]
Ces arguments ont été développés dans plusieurs articles (« J’ai accepté le point de vue de Dieu sur le sang. Un médecin raconte son histoire », « Médecine et chirurgie sans transfusion. Une discipline en plein essor », « Les pionniers de la transfusion », « Transfusion sanguine. Une histoire riche en revirements ») publiés dans un dossier spécial de Réveillez-vous ! (8 décembre 2003) consacré à la question de la transfusion sanguine (<http:// www. watchtower. org/ languages/ francais/ library/ g/ 2003/ 12/ 8/ artcile_01. htm>).
-
[65]
Sur ce point, l’organisation des Témoins de Jéhovah met en avant un type de rapport à la science et à la médecine et une manière d’envisager le rôle du patient « actif » et « responsable » des risques qu’il prend en s’engageant dans des formes d’expérimentation sortant des sentiers battus de l’orthodoxie médicale, qui rappelle ce que nous avons pu observer dans le cas du sida à travers la mobilisation de l’association Positifs (Janine Barbot, « How to Build an Active Patient ? The Work of Aids Associations in France », Social Science & Medicine, 62 (3), 2006, p. 538-551).
-
[66]
On trouve également dans la littérature juridique et médicale quelques textes qui proposent de mettre en œuvre un protocole de soins particulier pour les Témoins de Jéhovah, au terme duquel les médecins se trouveraient déchargés de toute responsabilité devant les tribunaux, s’ils acceptaient de respecter – quoi qu’il arrive – leur volonté. Gérard Janvier et Sophie Gromb (« Transfusion et Témoin de Jéhovah », <http:// www. chu-rouen. fr/ actes/ temoinJOR. htm>) proposent aux médecins un formulaire-type de refus de transfusion, qu’ils leur conseillent de soumettre au comité d’éthique de leur établissement, avant de l’adapter à chaque malade, pour « qu’il ne puisse être taxé de décharge de routine ». Le formulaire précise notamment que le malade comprend qu’il s’expose à un « risque de mort » en refusant la transfusion de produits sanguins et qu’il accepte ce risque.
-
[67]
Voir notamment aux États-Unis : Timothy Marjoribanks, Mary-Jo Delvecchio Good, Ann-G. Lawthers, Lynn M. Peterson, « Physicians’ Discourses on Malpractice and the Meaning of Medical Malpractice », Journal of Health & Social Behavior, 37, 1996, p. 163-178.
-
[68]
Voir notamment Yann Faure, « L’anesthésie française entre reconnaissance et stigmates », Actes de la recherche en sciences sociales, 156-157, 2005, p. 98-114.
-
[69]
Cette domination tirait aussi parti de l’ancienne architecture des installations hospitalières caractérisée par le système pavillonnaire et le rattachement des blocs opératoires aux unités de soins, renforçant le pouvoir des chefs de service. Pour des raisons techniques et financières, cette configuration spatiale et politique a été délaissée au bénéfice des plates-formes centrales de blocs dont l’organisation est détachée des services et qui constituent potentiellement un véritable « fief » pour les DAR.
-
[70]
Geneviève Barrier, Hélène Fabre, L’anesthésiste-réanimateur face aux juges, Paris, Ellipses, 1998.
-
[71]
Monsieur Farçat, âgé d’une vingtaine d’année, est décédé d’un arrêt cardiaque quelques minutes après une opération des amygdales. Il avait été laissé seul dans sa chambre par l’infirmière, et le chirurgien et l’anesthésiste avaient quitté la clinique.
-
[72]
Les procès étaient alors critiqués en raison de la mauvaise publicité qui était ainsi donnée à la profession, et à la manière dont celle-là risquait d’éroder la confiance que les malades accordaient aux médecins, confiance pensée comme l’un des piliers de l’activité médicale.
-
[73]
Pour une analyse plus détaillée de la trilogie charlatans/déviants/malchanceux : voir Janine Barbot, Emmanuelle Fillion, « La "médecine défensive"… », art. cité.
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[74]
Ce traitement de l’aléa thérapeutique et de la faute technique du médecin peut surprendre, au premier abord. Mais les médecins développent à ce sujet des conceptions assez semblables à celles observées par Charles Bosk (Forgive and Remember. Managing Medical Failure, Chicago, University of Chicago Press, 1979) qui distinguait faute morale et faute technique.
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[75]
Le droit commun est réservé, pour les médecins, aux voleurs et aux personnes malintentionnées agissant dans l’intention de nuire. Souvent, aucune distinction n’est faite entre les juridictions civiles, administratives ou pénales. La question centrale est l’atteinte à la moralité personnelle et professionnelle que constitue le procès.
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[76]
Le communiqué de presse du CNGOF, en date du 12 septembre 2002, mentionne qu’« une récente étude américaine montre que le risque de décès maternel est multiplié par 44 chez les femmes Témoins de Jéhovah en l’absence de transfusion. Les gynécologues-obstétriciens français ne veulent pas être complices de cette forme d’euthanasie passive ». L’étude en question est celle de Angelica K. Singla, Robert H. Lapinski, Richard L. Berkowitz, Carl J. Saphier, « Are Women Who are Jehovah’s Witnesses at Risk of Maternal Death ? », American Journal of Obstetrics and Gynecology, 185 (4), 2001, p. 893-895.
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[77]
André Lienhart, chef du DAR du CHU Saint-Antoine, expert judiciaire auprès des tribunaux et responsable du groupe contentieux de la SFAR, a écrit plusieurs articles sur le sujet : « Transfusion sans consentement en cas d’urgence vitale : données récentes » (7 septembre 2002, document en ligne) ; « Refus de soins et urgence vitale : un conflit entre la finalité de l’exercice médical et l’obligation de respecter la volonté des personnes », Annales françaises d’anesthésie et de réanimation, 19, 2000, p. 42-44.
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[78]
Ce travail a bénéficié d’un soutien de la MiRe-DREES et de l’ANR, dans le cadre de programmes de recherche sur l’impact des procès sur les pratiques professionnelles de santé et sur les débats relatifs à la réparation des préjudices liés à l’activité médicale.
1Madame Armande vient d’être victime d’un accident de la route. Elle est transportée par le Samu au service des urgences du Centre hospitalier universitaire Delaville [1]. Elle souffre d’une fracture ouverte qui nécessite une intervention rapide en chirurgie orthopédique. Madame Armande est une femme d’une soixantaine d’années. Encore consciente, elle est informée de son passage imminent au bloc opératoire par le médecin anesthésiste. Madame Armande lui indique alors qu’en raison de ses convictions religieuses – et quelles que soient les complications qui pourraient survenir au cours de l’opération – elle refuse d’être transfusée. Ce refus est d’ailleurs clairement mentionné sur la carte qu’elle porte toujours sur elle, comme de nombreux Témoins de Jéhovah [2]. Consultés dès leur arrivée, le mari de Madame Armande et ses deux filles majeures se déclarent eux-mêmes fermement opposés à l’éventualité d’une transfusion. Dès lors, le cas de Madame Armande va être largement discuté en staff de service. Madame Armande ne pourrait-elle « au moins » concéder la possibilité d’une transfusion en cas de risque vital ? Les médecins sont-ils d’ailleurs tous d’accord pour repousser le recours à la transfusion en deçà des taux d’hémoglobine indiqués dans les Bonnes pratiques cliniques [3] pour éviter les risques liés à l’anémie sévère ? Les discussions sont vives. Alors que Madame Armande semble prête à accepter l’éventualité d’une transfusion de « dernier recours », l’hostilité manifeste de son mari la pousse à réitérer un rejet absolu. Le temps passe et Madame Armande n’est toujours pas opérée. Elle quittera le CHU plusieurs heures après y avoir été admise, le seul accord ayant pu se faire portant sur son transfert vers la clinique qui, démarchée par la famille, se serait engagée à respecter ses convictions, « quoi qu’il arrive ».
2Le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah n’est pas nouveau. Il s’appuie sur la Bible, et plus particulièrement sur les Actes des Apôtres, 15 : 19, 20, enjoignant les chrétiens de « s’abstenir […] du sang » [4]. Les médecins du CHU Delaville se souviennent d’ailleurs avoir fréquemment rencontré cette situation, jadis presque considérée comme « ordinaire ». Ordinaire par sa fréquence, d’abord, puisque les Témoins de Jéhovah comptent aujourd’hui plus de 120 000 proclamateurs en France métropolitaine [5]. Ordinaire également par son mode de résolution : pendant longtemps, nombreux sont en effet les médecins qui auraient tout simplement transfusé – sans les en informer – leurs patients Témoins de Jéhovah [6]. Cette pratique, régulièrement mentionnée par les médecins que nous avons rencontrés, a sans doute prévalu dans bien d’autres situations de soins [7], mais concernant les Témoins de Jéhovah, elle aurait fait l’objet d’une approbation spécifique du Conseil de l’Ordre [8]. La « transfusion à l’insu » a ainsi été justifiée par l’idée que, maintenu dans l’ignorance d’avoir été transfusé, le patient Témoin de Jéhovah se trouvait de ce fait libéré de tout problème de conscience et protégé des mesures d’excommunication qui, dans sa congrégation, sanctionnent la violation de l’interdit. Pendant longtemps, la transfusion à l’insu aurait ainsi constitué, pour de nombreux médecins, la « solution pragmatique » destinée à gérer – en accord avec une certaine conception de l’intérêt des malades et du bien-fondé des décisions médicales – une situation de soins presque « ordinaire ». Si le cas de Madame Armande suscite, au CHU Delaville, des discussions d’une telle ampleur, c’est parce que – nous y reviendrons – la transfusion à l’insu a progressivement perdu toute légitimité et est devenue, en pratique, plus difficile à réaliser. Face à une exigence de plus grande transparence des pratiques, et dans un contexte polémique marqué par l’intervention croissante et controversée du juge dans le domaine médical, le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah est désormais, aux yeux de nombreux cliniciens, une situation à risque judiciaire. C’est une situation dans laquelle les médecins identifient l’existence d’une tension importante parmi les arbitrages qu’ils sont amenés à faire dans leurs pratiques, et qui sont de nature à engager leur responsabilité devant les tribunaux. Cette identification est d’autant plus forte qu’existent déjà des précédents qui n’ont pas abouti, selon eux, à une clarification des repères cognitifs et moraux susceptibles de clore cette nouvelle forme d’incertitude associée à leurs pratiques. Ainsi, autour du refus de transfusion des Témoins de Jéhovah, les médecins s’interrogent sur l’arbitrage que fera le juge entre deux injonctions contradictoires. En cas de danger vital, quelle que soit la décision qu’ils prendront, ces médecins craignent en effet de se voir sanctionnés par les tribunaux : qu’ils laissent mourir leur patient sans le transfuser ou qu’ils les transfusent sans tenir compte de leur refus.
3Cet article analyse la nature des transformations qui ont présidé à un tel changement de cadrage et rend compte de la manière dont les médecins anesthésistes-réanimateurs, confrontés en premier lieu au refus de transfusion des patients Témoins de Jéhovah, gèrent aujourd’hui cette situation de soins particulière. Il s’appuie sur une étude de cas détaillée, articulant différentes méthodes : l’analyse d’un corpus de textes composé de commentaires de la jurisprudence et de prises de position publiques (des sociétés professionnelles, de l’organisation des Témoins de Jéhovah, ou des commissions parlementaires ayant étudié la question du refus de transfusion), ainsi que la réalisation d’entretiens approfondis avec les médecins et des observations ethnographiques menées en milieu hospitalier [9]. Cet article entend notamment apporter une contribution aux débats particulièrement vifs sur la « judiciarisation » des soins en France et son impact sur les pratiques des professionnels de santé. Les résultats de l’enquête montrent, en effet, les limites du cadre d’analyse actuellement dominant pour rendre compte des réactions des médecins face à ce qui serait une menace ambiante de procès. Ce cadre d’analyse est fondé sur l’idée générale de l’émergence et du développement d’une médecine dite « défensive » [10]. Selon cette perspective, la « médecine défensive » est une médecine de piètre qualité qui renvoie à des types de pratiques médicales toutes dévoyées ou coûteuses : orienter les patients jugés procéduriers vers d’autres spécialistes, limiter l’utilisation des techniques les plus innovantes mais les plus risquées, faire signer des « décharges » aux patients ou prescrire des examens complémentaires inutiles pour se prémunir de tout engagement de responsabilité. Dans ces travaux essentiellement quantitatifs, visant à saisir l’occurrence de ces nouvelles pratiques, la perception du risque judiciaire tient lieu de facteur explicatif de leur adoption. C’est une perception toujours diffuse, générale et déconnectée de toute situation de travail concrète, dont on nous montre simplement qu’elle est plus ou moins forte selon les spécialités médicales et les lieux d’exercice, selon que les médecins aient déjà fait l’objet d’une poursuite ou non, qu’ils soient hommes ou femmes, débutants ou près de la retraite [11]. En travaillant sur le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah, notre étude s’intéresse, au contraire, à la manière dont une situation de soins précise a pu être requalifiée par les médecins à l’aune des nouvelles questions de responsabilité qu’elle pose, et en analyse les conséquences. Ainsi, quand il s’agit de savoir qui endormira Madame Armande ou Monsieur Mathieu, Témoins de Jéhovah, nous verrons que les médecins anesthésistes-réanimateurs adoptent des postures contrastées. Et que ces contrastes ne peuvent se réduire au fait que ces pratiques soient simplement – plus ou moins – « défensives ». Dans ces postures, c’est à un travail complexe que se livrent les médecins pour gérer, en situation de risque judiciaire, la tension entre préservation de la santé et de la vie et respect de la volonté de la personne. Cette tension n’est pas nouvelle et, dans le domaine médical, elle a fait l’objet de débats intenses, notamment autour de l’euthanasie et de la revendication d’un droit à mourir dans la dignité. Néanmoins, le débat s’est alors inscrit dans la problématique de la « fin de vie » : face à un état de santé fortement dégradé, il s’agit alors de définir les « limites acceptables », pour le malade et pour la société, de l’utilisation de technologies médicales toujours plus performantes pour repousser la mort, mais impuissantes à améliorer la vie [12]. La situation créée autour du refus de transfusion des Témoins de Jéhovah est bien différente, les médecins l’abordant comme une alternative entre « sauver la vie » par un acte considéré comme relativement bénin sur le plan médical ou « laisser mourir » des personnes dont l’état de santé ne le justifie pas. L’article montre que la manière dont cette tension se pose et est traitée aujourd’hui par les médecins est en grande partie indissociable de la constitution du risque judiciaire comme nouveau repère des pratiques médicales. L’examen des postures adoptées par les médecins éclaire l’existence de différentes manières d’envisager – dans ce contexte – de quoi est faite la volonté du patient, quelle place attribuer (ou non) aux convictions religieuses dans la conduite des soins, sur quelles bases tenter (ou non) d’instaurer un climat de confiance dans la relation médecin/malade, comment articuler à la fois risque judiciaire et risque médical.
Le refus de transfusion : changement de cadrage
4On ne peut comprendre le changement de cadrage des questions posées par le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah sans le resituer dans un ensemble d’évolutions plus générales qui ont marqué, depuis plusieurs années, le cadre d’exercice de la médecine contemporaine. Nous tirons parti ici du cadre d’analyse développé par Nicolas Dodier [13] et notamment de l’idée selon laquelle ces transformations de la médecine renvoient au travail politique auquel se sont livrés différents acteurs pour établir des formes légitimes de distribution des pouvoirs et des compétences au sein du monde médical. Comme nous l’avons montré à propos du sida [14], dans ce travail politique, deux opérateurs (entendus comme questions dont le règlement suscite des débats intenses) jouent un rôle majeur. Le premier opérateur concerne le degré d’autonomie – plus ou moins grand – attribué au malade dans la conduite des soins le concernant ; le second renvoie à la manière de penser l’objectivité des décisions médicales dans une distance – plus ou moins grande – avec la pratique clinique. À l’articulation de ces deux opérateurs, on peut identifier deux des formes politiques dominantes dans la médecine. La tradition clinique paternaliste, tout d’abord, est caractérisée à la fois par le faible degré d’autonomie attribué au patient en matière de soins et par la suprématie accordée au jugement du clinicien. La modernité thérapeutique participative, ensuite, est liée tout à la fois à la réévaluation du degré d’autonomie du malade et à l’émergence d’outils permettant de construire une nouvelle forme d’objectivité, à distance du jugement clinique. Si ces formes politiques de la médecine, dont l’émergence est historiquement repérable, peuvent aujourd’hui coexister dans certaines spécialités, la tradition clinique, encore très présente jusqu’aux années 1980, tend aujourd’hui à perdre de sa prégnance. Ainsi peut-on considérer que la « transfusion à l’insu », longtemps utilisée comme solution pragmatique pour gérer les tensions liées au refus de transfusion des Témoins de Jéhovah, a puisé sa légitimité dans un modèle de la médecine progressivement remis en cause sur plusieurs fronts. Avec cette évolution des formes politiques, c’est par ailleurs toute l’économie de la responsabilité médicale qui s’est trouvée transformée.
La tradition clinique paternaliste
5Dans la tradition clinique, le clinicien est considéré comme le mieux à même d’apprécier – tant sur le plan scientifique qu’éthique – le bien-fondé des décisions médicales qu’il prend pour ses propres malades [15]. Il est en effet doté d’une autorité toute particulière qui découle des valeurs de la médecine qui lui ont été inculquées par ses aînés au cours de sa formation universitaire et qui guident sa pratique [16]. Cette autorité tient également aux savoirs spécialisés qu’il a développés au cours de son expérience clinique par le contact quotidien avec les malades. Dans la tradition clinique, le clinicien est le meilleur représentant de l’intérêt des malades car il incarne une éthique médicale qui ne peut s’exercer à distance, tant elle est étroitement liée à la connaissance intime de chaque patient, considéré comme un « cas clinique particulier ». Cette capacité du clinicien à statuer sur les questions morales qui se présentent, au cas par cas, est caractéristique d’un paternalisme médical dans lequel le malade est le plus souvent perçu comme une personne à protéger et doté d’un faible degré d’autonomie. Devant la maladie et face à l’univers spécialisé dans lequel elle le plonge, le patient est, en effet, considéré comme démuni, tant sur le plan cognitif que moral : il est supposé peu équipé (en matière de connaissances médicales) et émotionnellement fragile. Le clinicien dispose ainsi d’une large marge de manœuvre pour juger, concernant chaque patient, du moment, de la nature et de l’étendue de l’information qu’il doit lui donner concernant à la fois la maladie dont il souffre et les soins qui lui sont donnés. L’accent est d’ailleurs mis sur les effets délétères qu’une information trop poussée ou trop technique délivrée au malade peut avoir sur son état psychique et physique, et donc sur la réussite même des soins qui lui sont prodigués. Et si le principe du consentement aux soins est depuis longtemps intégré dans le code de déontologie médicale [17], celui-ci est pensé dans le cadre d’une répartition des rôles et des compétences selon lequel le malade est supposé déléguer à son médecin la tâche de prendre en son âme et conscience toutes les décisions qui lui semblent les mieux ajustées. Cette délégation repose sur l’idée d’un rapport de confiance du malade avec son médecin qui, outre les compétences et les valeurs morales dont est doté le médecin, est fondée sur le principe du libre choix « initial » qu’exerce le malade, dans un système de soins dominé, en France, par le modèle de la médecine libérale. Ainsi le malade consent-il avant tout au moment où est inaugurée la relation avec son médecin, ce consentement n’ayant pas à être réitéré dans la conduite des soins [18]. Une place importante est, par ailleurs, accordée dans ce modèle à la figure du clinicien universaliste, traitant chaque individu sans tenir compte de ses appartenances (sociales, raciales ou religieuses) et attaché, lui-même, à ne pas mettre en avant ses propres appartenances dans les soins qu’il dispense. Le clinicien est supposé agir selon la « condition objective » du patient pour fonder son diagnostic et établir sa stratégie de soins. La relation médecin/malade doit être un sanctuaire, préservée des forces extérieures qui s’exercent sur l’institution médicale, parce qu’elle poursuit un bien d’ordre supérieur : la préservation de la santé et de la vie des individus [19]. Le secret médical joue ici un rôle clé : il permet au médecin de soustraire son patient aux mesures de rétorsion que l’État, sa famille, son employeur, ou l’église, notamment, pourraient prendre contre lui si certaines informations relatives à sa maladie et à ses traitements étaient publicisées [20].
6Dans la tradition clinique, face au patient Témoin de Jéhovah, il appartient donc au clinicien de décider ou non de mentionner la possibilité d’un recours à la transfusion sanguine en cas d’anémie per- ou post-opératoire. Et si transfusion il y a, le clinicien pourra ensuite choisir d’en informer ou non le patient. Le caractère irréversible de l’acte accompli et la certitude d’avoir agi en accord avec le savoir spécialisé et les valeurs de la profession le conduisent le plus souvent à garder le silence. Ce silence est considéré comme le meilleur garant de la tranquillité du patient : le clinicien est le seul à assumer, « en conscience », la responsabilité de son acte. Le patient s’en retourne à son monde (son travail, sa famille, sa religion), l’intervention médicale n’ayant constitué qu’une parenthèse où pouvaient être légitimement suspendues toutes préoccupations risquant d’entraver la bonne conduite des soins. Le clinicien estime, par ailleurs, avoir protégé le patient Témoin de Jéhovah des mesures d’excommunication auxquelles ce dernier se serait exposé s’il avait consenti à être transfusé. Ces mesures prononcées par le comité de discipline religieuse de sa congrégation sont en effet particulièrement lourdes de conséquences. Lors de la destruction du monde, il ne pourra accéder à la vie éternelle accordée aux fidèles qui ont voué leur vie à Jéhovah et qui ont respecté à la lettre ses commandements [21]. Par ailleurs, il sera immédiatement exclu de sa communauté : les autres fidèles ne doivent plus entretenir de relations avec lui, d’aucun ordre que ce soit.
7Cette marge de manœuvre importante du clinicien va être réévaluée sous l’effet de la montée croissante de la modernité thérapeutique participative, qui tend à s’imposer comme forme politique de la médecine présentant à la fois une nouvelle conception de l’objectivité des décisions médicales et une évolution sensible de l’approche de l’autonomie du malade.
La montée de la modernité thérapeutique participative
8L’idée est aujourd’hui largement répandue que l’on assiste, depuis les années 1980, à l’érosion croissante du modèle de la tradition clinique et du principe de l’autorégulation professionnelle qui conférait à la communauté médicale la responsabilité de son propre encadrement [22]. La montée de nouvelles formes d’encadrement de la médecine qui se prévalent de la bonne administration hospitalière, de l’économie de la santé, de l’éthique, des Bonnes pratiques cliniques, ou de la gestion des risques sanitaires, a notablement transformé les conditions d’exercice de la médecine contemporaine, entraînant un ensemble de déplacements à la fois cognitifs et moraux. L’objectivité des décisions médicales fondées sur un jugement clinique alliant, en la personne du clinicien, savoir spécialisé et éthique médicale, a été progressivement supplantée par l’élaboration d’outils d’objectivité à distance (guide-lines, etc.) fondés sur l’essor de la « médecine des preuves » et des nouveaux standards de la communauté scientifique internationale [23]. L’autonomie du malade, souvent réduite auparavant à la phase initiale du choix du médecin ou à la défection, a fait l’objet d’une réévaluation importante : le malade se trouve désormais doté d’une nouvelle capacité à agir sur la conduite même des soins. Cette réévaluation a été notamment portée par l’ampleur des débats qui ont accompagné l’épidémie de sida et par l’émergence de nouvelles formes d’engagement militant visant (par et au nom des malades) à infléchir la répartition des pouvoirs et des compétences entre les acteurs du monde médical [24]. Dans un univers associatif longtemps cloisonné par pathologies, cette mobilisation, souvent pensée comme spécifique et peu transposable, a constitué au milieu des années 1990 un vecteur de ralliement important dans la constitution du Collectif inter-associatif sur la santé (CISS) [25]. Ce collectif a joué un rôle très actif autour de l’élaboration de la loi du 4 mars 2002 (dite « loi Kouchner ») relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Se sont ainsi mises en place, au début des années 2000, une nouvelle conception et une nouvelle assise juridique concernant le consentement du patient aux soins, les modalités, la nature et l’étendue des informations qui lui sont dispensées, via cette création de droits des malades indépendants des codes de déontologie professionnelle. Parmi les éléments les plus controversés de cette loi du 4 mars 2002, l’« accès direct » au dossier médical permet désormais au patient de disposer à son gré d’une information détaillée sur les examens et les actes de soin dont il a fait l’objet.
9Dans ce contexte, la « transfusion à l’insu » a progressivement perdu toute sa légitimité. Aujourd’hui, il est devenu impossible d’espérer la justifier publiquement. Les propos des quelques médecins qui s’y sont risqués ne sont d’ailleurs pas passés inaperçus [26]. La transfusion à l’insu est également devenue – concrètement – plus difficile à mettre en œuvre. À la suite de l’affaire du sang contaminé, la transfusion sanguine a fait l’objet d’un encadrement spécifique obligeant les médecins à dispenser aux patients une information particulière et a priori concernant les risques liés à la transfusion des produits sanguins ou dérivés du sang [27], ainsi qu’une information a posteriori en cas de transfusion effective [28]. Et, indépendamment même de cette obligation d’informer le patient, la circulation des produits sanguins au sein de l’hôpital fait désormais l’objet d’un encadrement particulièrement strict, édicté au nom de la gestion des risques iatrogènes. Si les modalités de prise en compte du refus de transfusion du patient Témoin de Jéhovah ont été ainsi réinterrogées à travers l’essor des droits des malades et des nouveaux dispositifs de sécurité sanitaire, elles vont également l’être face aux évolutions jurisprudentielles des deux dernières décennies concernant la mise en œuvre de la responsabilité médicale devant les tribunaux de droit commun. Les évolutions des formes politiques de la médecine ont, en effet, été accompagnées par une transformation plus générale de l’économie de la responsabilité médicale.
La nouvelle économie de la responsabilité médicale
10Dans le contexte de la tradition clinique et du principe de l’autorégulation professionnelle fondé sur le jugement par les pairs, la profession médicale avait été dotée d’une juridiction disciplinaire indépendante des juridictions de droit commun. Son rôle était avant tout de sanctionner la faute morale des praticiens ayant porté atteinte aux valeurs de la profession, notamment au principe de bienfaisance (en refusant de se porter au chevet d’un malade, par exemple) ou à l’altruisme (en faisant de la publicité et en exerçant son métier comme un simple commerce). Dans ce cadre, la partie considérée comme lésée n’était pas le patient, mais la communauté médicale elle-même [29]. Et, jusqu’en 2002, le patient, dont la plainte pouvait être à l’origine de l’action du juge ordinal, n’avait qu’un statut de simple témoin, informé a posteriori du jugement rendu, dépourvu de la capacité de faire appel [30]. Dans le contexte de la tradition clinique, nombreux sont par ailleurs les doctrinaires du droit pour lesquels la reconnaissance de la responsabilité du médecin devant les tribunaux de droit commun devait être limitée aux cas dans lesquels une faute lourde était clairement identifiée et un lien de causalité établi avec la réalisation d’un préjudice, la charge de la preuve en revenant au patient. Cette conception s’est appuyée sur l’idée d’une certaine immunité médicale, condition nécessaire à l’exercice d’une activité si spécifique, tant par ses valeurs (la médecine comme vocation, répondant à des motivations spécifiques), sa nature (la médecine considérée comme un art) et sa finalité (la médecine comme poursuivant un bien d’ordre supérieur : la préservation de la vie et de la santé) [31]. La limitation de la responsabilité juridique du médecin constituait pour ainsi dire le pendant à l’importance de sa responsabilité morale, qui, quant à elle, ne pouvait relever que de la sphère de sa conscience ou de la juridiction ordinale.
11Les évolutions jurisprudentielles des vingt dernières années ont accompagné le déclin de la tradition clinique paternaliste. Plusieurs arrêts sont, tout d’abord, venus assouplir les règles d’engagement de la responsabilité médicale devant les juridictions civiles et administratives. L’exigence d’une faute lourde a été remplacée par celle d’une faute simple (Arrêt Vergos, Conseil d’État, 1992). Le juge administratif a même admis, dans certains cas, l’existence d’une responsabilité sans faute (Arrêts Bianchi, Conseil d’État, 9 avril 1993, et Gomes, Cour administrative de Lyon, 20 décembre 1990), afin de prendre en compte l’impact de l’essor de nouvelles technologies chirurgicales ou diagnostiques sur le rapport au risque médical [32]. L’exigence d’un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur a également donné lieu à des interprétations moins strictes, le juge pouvant ainsi se contenter d’une simple présomption de causalité. À travers ces évolutions, l’accent n’est plus mis sur la nécessaire protection d’une activité médicale incarnée par la figure du clinicien traditionnel qui, offrant des garanties de moralité, pouvait disposer d’une liberté toute particulière pour prendre, en son âme et conscience, les décisions les mieux ajustées à chaque malade. La question centrale est ici celle de la réparation des dommages liés à l’activité médicale et de l’indemnisation des victimes. Les évolutions jurisprudentielles ont également accompagné l’extension des droits et libertés individuelles à la sphère médicale et la réévaluation du degré d’autonomie du patient [33]. Depuis le célèbre Arrêt Hédreul (Cour de cassation, 25 février 1997), c’est au médecin qu’il appartient désormais d’apporter la preuve qu’il a bien informé son patient sur la nature de l’acte médical envisagé et sur les risques, y compris exceptionnels, encourus [34]. Cet arrêt a constitué un véritable événement aux yeux de ceux, journalistes, médecins, associations de malades ou usagers du système de santé, qui y ont vu une perte de ce crédit tout particulier dont disposait a priori le médecin eu égard à sa profession, et une redistribution des pouvoirs entre médecins et malades.
12Certains commentateurs ont souligné la portée limitée des évolutions jurisprudentielles, du point de vue de la faiblesse du nombre de cas jugés et des condamnations effectives [35], ainsi que des conditions souvent restrictives de l’application des nouveaux principes et de leurs conséquences [36]. Au tournant des années 1990-2000, le thème s’impose, néanmoins, dans les débats publics des dérives compassionnelles de la justice [37] et des nouvelles tensions suscitées par la transformation du cadre de la responsabilité médicale (avec notamment le retrait des assureurs du marché de la responsabilité civile médicale). La loi du 4 mars 2002 est promulguée dans un contexte de crise, dans l’optique de déjudiciariser les relations médecins/malades, en mettant en place un dispositif de « règlement amiable » des accidents médicaux graves et en créant un droit à l’indemnisation des victimes d’aléas thérapeutiques, sur la base de la solidarité nationale [38]. Néanmoins, ce dispositif ne s’applique pas au non-respect du refus de transfusion des Témoins de Jéhovah, pour lequel le préjudice invoqué est essentiellement d’ordre moral. Dans ce cas, la question du sort qui sera réservé aux médecins devant les tribunaux pour avoir contré la volonté de leurs malades reste pleinement d’actualité.
Transfuser ou ne pas transfuser : une jurisprudence claire ?
13Au moment où nous assistons aux discussions autour du cas de Madame Armande, les anesthésistes-réanimateurs du CHU Delaville ont en tête plusieurs affaires dans lesquelles des patients, Témoins de Jéhovah, ou leurs familles, ont porté plainte pour avoir été transfusés contre leur volonté. Dans ces affaires, les juges ont eu à arbitrer entre deux obligations, distinctes et contradictoires, qui s’imposent aux médecins dans leurs pratiques et qui s’appuient sur différentes branches du droit. D’un côté, il s’agit de l’obligation faite au médecin d’intervenir en cas d’urgence vitale, la non-assistance à personne en péril constituant un délit [39]. De l’autre, on trouve l’obligation de respecter la volonté du patient et de ne pas porter atteinte à l’intégrité du corps humain en pratiquant un acte médical sans son consentement, les coups et blessures et la violation des libertés fondamentales de la personne constituant également un délit [40]. Le 9 juin 1998, la cour administrative d’appel de Paris a d’abord tenté de faire prévaloir, de façon générale, l’obligation du médecin de sauvegarder la vie de son patient sur celle de respecter sa volonté et, à ce titre, rejeté la requête de la veuve Senanayake dont le mari avait été transfusé contre son gré [41]. Cet arrêt a été cassé par le Conseil d’État le 26 octobre 2001, au motif que la cour administrative de Paris avait commis une erreur de droit en hiérarchisant, de façon prédéterminée et intangible, les deux obligations du médecin [42]. Mais le Conseil d’État n’a pas pour autant accédé à la demande d’indemnisation pour préjudice moral de la veuve Senanayake, en jugeant que, si imposer une transfusion était bien un acte illicite, lorsque certaines conditions sont remplies et si les circonstances le justifient, le juge peut estimer que le médecin n’a pas commis de faute susceptible d’engager sa responsabilité et celle de son établissement. L’affaire Senanayake portait sur des faits antérieurs à l’adoption de la loi du 4 mars 2002, dont est tiré l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique [43] qui est venu doter d’une force nouvelle le refus de soins du patient. D’aucuns s’interrogeaient alors sur l’impact qu’auraient les nouveaux droits des malades sur l’équilibre des obligations fait par le juge. Ainsi, en août 2002, Madame Feuillatey, opérée en chirurgie orthopédique à la suite d’un traumatisme (et ayant déjà été transfusée contre son gré), saisit le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, afin d’enjoindre le CHU de s’abstenir de toute nouvelle transfusion [44]. Cette injonction fut faite dans les 48 heures, l’ordonnance précisant néanmoins qu’elle cesserait de s’appliquer si la patiente venait à se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital. Saisi en appel, le juge des référés du Conseil d’État a, le 16 août, débouté la patiente et réformé l’ordonnance du tribunal administratif de Lyon pour préciser simplement que, comme dans l’affaire Senanayake, en cas de transfusion, le médecin devra « avoir tout mis en œuvre pour convaincre la patiente d’accepter les soins indispensables » et s’être assuré « qu’un tel acte soit bien proportionné et indispensable à la survie de l’intéressée ». Quelques jours plus tard, le 25 août 2002, le tribunal administratif de Lille, dans une décision largement relayée par la presse générale et spécialisée, condamne le CHU de Valenciennes pour avoir, lors d’un accouchement difficile, transfusé contre son gré une patiente, Témoin de Jéhovah, sans que la situation ne le justifie. Cette absence de justification a été contestée par les instances professionnelles qui, se référant aux recommandations élaborées par la profession, estiment, quant à elles, que la décision des médecins était bien ajustée à la situation de la jeune parturiente, exposée au risque vital lié aux hémorragies de la délivrance [45].
14Ces décisions judiciaires ont été largement commentées par les juristes, la plupart s’accordant à trouver l’orientation actuelle de la jurisprudence à la fois claire et constante. En situation d’urgence vitale, le médecin serait aujourd’hui en mesure de choisir entre transfuser le patient et commettre un acte illicite, mais non fautif, « si les circonstances le justifient », ou bien ne pas le transfuser au risque de le voir mourir : la non-assistance à personne en danger ne devrait probablement pas être retenue contre lui, compte tenu de la force nouvelle du refus de soins, et toujours « si les circonstances le justifient » [46]. Face à cette orientation, les juristes ne sont cependant pas unanimes. Certains saluent l’humanisme du juge administratif qui s’en remettrait ainsi à la conscience du médecin [47]. D’autres, au contraire, critiquent cette orientation. Ils dénoncent les dérives coercitives qui pourraient découler d’une telle négation du caractère absolu du droit au refus de soins. Ils s’insurgent contre le triomphe d’un matérialisme biologique, les juges accordant, de fait et quoi qu’ils en disent, une valeur primordiale à la sauvegarde de la vie. Ils voient dans cette jurisprudence le retour d’un paternalisme médical manifestement anachronique au regard des aspirations de la société [48]. Mais, que les juristes jugent cette situation acceptable ou non, ils s’accordent le plus souvent pour dire que le médecin sort pour ainsi dire gagnant de l’état de la jurisprudence. Néanmoins, force est de constater que de nombreux médecins ne partagent pas le même point de vue. L’emploi des procédures d’urgence au nom de la sauvegarde des libertés fondamentales vient, selon eux, connoter négativement leurs pratiques, en les plaçant sous surveillance judiciaire. En n’intervenant plus simplement a posteriori, mais au lit du malade, le juge s’immisce désormais dans la conduite même des soins, appréciant au cas par cas le bien-fondé de la pratique médicale en train de se faire. Et nombreux sont les médecins qui s’inquiètent de la nature et des conséquences d’un tel arbitrage et mettent directement en doute les compétences dont dispose le juge pour apprécier leur pratique [49]. À l’opposé d’une jurisprudence claire et constante, ils perçoivent alors une activité judiciaire potentiellement arbitraire, hasardeuse et imprévisible. Comment le juge peut-il apprécier le degré d’imminence d’un risque vital, alors qu’une fois repoussés les seuils indiqués pour les pratiques transfusionnelles, les médecins se trouvent confrontés à une situation particulièrement incertaine ? Dans cette situation, certains médecins discerneront un risque vital imminent, d’autres un « risque de risque vital » [50].
15Par ailleurs, les médecins perçoivent de manières très diverses le fait que, dans les affaires concernant les Témoins de Jéhovah, les tribunaux abordent la question de la conciliation entre le respect de la volonté du patient et la sauvegarde de la vie essentiellement à travers son aspect procédural : en définissant les conditions dans lesquelles les médecins peuvent, sans commettre de faute, agir contre la volonté de leur malade [51]. Aucun développement ne porte sur le fait de considérer (ou non) cette volonté comme relevant d’une nature spécifique du fait de sa dimension religieuse. De la même manière, la loi sur les droits des malades ne distingue pas les convictions religieuses des autres convenances personnelles que le patient est amené à faire valoir dans la conduite des soins. Or, si les postures du juge et du législateur s’inscrivent dans une logique de séparation de l’Église et de l’État basée sur le principe de la liberté des cultes, cette réserve tranche, pour de nombreux médecins, avec la virulence des débats publics autour du statut des convictions religieuses à l’école ou à l’hôpital. Le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah fait d’ailleurs l’objet, depuis plusieurs années, d’une attention particulière d’un ensemble d’acteurs qui le considèrent tantôt comme un marqueur des dérives sectaires, tantôt comme la simple expression des droits des malades.
Le refus de transfusion : droit des malades ou marqueur de dérives sectaires ?
16En 1983, la commission parlementaire de lutte contre les sectes, sous l’égide du député socialiste et vice-président de l’Assemblée nationale Alain Vivien, soulignait ainsi que l’opinion publique ne pourrait retenir des Témoins de Jéhovah que « leur aspect correct, pas très gai, et leur constant prosélytisme domiciliaire », s’ils ne présentaient des « comportements contestables » et « inquiétants » au rang desquels figure le refus de transfusion sanguine « y compris pour les enfants » [52]. Le refus de transfusion est également en ligne de mire du mouvement anti-secte, initié par des familles de victimes et par des ex-adeptes [53]. Ce mouvement a pris son essor dans les années 1980-1990, dans le contexte du grand retentissement médiatique accordé aux drames collectifs, et notamment le suicide-homicide de plus de 900 membres du Temple du Peuple à Jonestown (Guyana) en 1978 [54]. Ce mouvement s’est appuyé sur l’engagement de personnalités politiques de premier plan [55] et sur le travail d’un groupe de psychiatres qui a mis en place des consultations spécialisées destinées aux individus souhaitant sortir de l’emprise d’une secte. Dans ces consultations, les « sortants » sont invités à un cheminement intellectuel au cours duquel ils pourront mieux comprendre et démonter les mécanismes de manipulation mentale auxquels ils ont été confrontés [56]. La pratique de l’excommunication des Témoins de Jéhovah transfusés a été particulièrement critiquée par ce mouvement, tant pour la brutalité avec laquelle elle s’exerce (via le recours à un conseil de discipline) que pour ses conséquences (l’isolement profond et immédiat de l’adepte excommunié, auquel l’organisation demandait jusqu’alors de se maintenir à distance d’un monde social corrompu). En 1998, à la suite d’une suggestion de la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire opposant les Témoins de Jéhovah au gouvernement bulgare [57], l’organisation a remplacé l’excommunication de l’adepte transfusé par la procédure dite de retrait volontaire, sans pour autant satisfaire ces détracteurs [58]. Le refus de transfusion, en tant que marqueur des dérives sectaires, a ainsi fait l’objet d’une attention constante de la part du mouvement anti-secte et des instances de l’État. Et en 2001, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (la MILS) souligne dans son rapport le danger de voir certains aspects du débat public autour de la future Loi Kouchner parasités par les mouvements sectaires et pointe leur capacité « à s’introduire dans les instances et les publications officielles » [59]. Cette idée d’un accrochage problématique des dérives sectaires sur les droits des malades va de nouveau être pointée lorsque la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (la MIVILUDES), qui a succédé à la MILS en 2002, souligne que la création et le développement des droits des malades pourraient favoriser aujourd’hui l’expression de refus de soins pour des motifs « autres que ceux voulus par le législateur » [60].
17Le mouvement de lutte anti-secte et les différents rapports parlementaires ont été vivement critiqués par certains sociologues et historiens des Nouveaux mouvements religieux (NMR), au nom de leur extrémisme, de leurs amalgames rapides et du retour à une forme d’intolérance, voire de droit de persécution que ces initiatives risquaient d’augurer [61]. Concernant plus spécifiquement le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah, aucune étude n’a porté, à notre connaissance, sur le sujet : les travaux existants se sont surtout intéressés aux persécutions dont les Témoins de Jéhovah ont pu faire l’objet, dans de nombreux pays, en raison de leur rejet de la lutte armée, leur objection de conscience et leur refus de saluer le drapeau [62]. Dans ce contexte, ce mouvement a ainsi pu être pensé comme un mouvement contestataire, le refus de transfusion lui-même étant associé à une forme d’interpellation de la « médecine officielle ». Il est frappant de noter que les Témoins de Jéhovah se sont aujourd’hui largement équipés des outils de référence de la médecine de type participatif, en montrant notamment comment leur revendication s’avère congruente avec les évolutions contemporaines des droits des malades. Leur instance dirigeante, la Watchtower Tract and Bible Society (WTBS) située à New York [63], mobilise par ailleurs une diversité d’arguments contre ce qui relève, selon elle, d’une véritable croyance des médecins en la panacée de la transfusion. La WTBS en appelle ainsi au développement d’alternatives à la transfusion, tout en précisant que ces alternatives ne sont pas uniquement destinées à apporter une réponse aux préoccupations spécifiques des Témoins de Jéhovah, mais sont susceptibles de répondre à l’intérêt de la communauté des malades dans son ensemble. L’accent est mis sur les risques notamment infectieux liés à l’utilisation des produits sanguins. Après les contaminations transfusionnelles par le virus du sida et les virus des hépatites qui ont apporté, de façon tragique, la preuve de la dangerosité des produits sanguins, la WTBS a mis l’accent sur la nécessité d’adopter un principe de précaution face aux risques émergents (notamment le risque de transmission par le sang du prion, responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob). En présentant ses fidèles comme une population de volontaires prêts à expérimenter de nouvelles pistes pour une chirurgie sans transfusion, l’organisation des Témoins de Jéhovah estime contribuer à une innovation médicale de pointe [64]. Les expériences mises en avant s’appuient ainsi sur des études, souvent éloignées des canons des essais thérapeutiques contrôlés. Elles relèvent de séries observationnelles et d’exploits individuels (opérations à cœur ouvert, ou greffes du foie, réalisées par telle ou telle équipe, sans recours à la transfusion et relatées, ou non, dans des revues scientifiques internationales) [65]. Ainsi, la WTBS prône en quelque sorte une pratique médicale dans laquelle recherche et soins se trouvent mêlés. Le patient, en signant une « décharge », devrait ainsi être considéré, selon la Watchtower Tract and Bible Society, comme en pleine capacité de libérer son médecin des préoccupations juridiques ou philosophiques qui pourraient entraver une telle démarche [66].
18Dans ce contexte, complexe et incertain, avant d’aborder les postures adoptées sur le terrain par les médecins anesthésistes-réanimateurs, il est important d’éclairer la manière dont la profession elle-même a pu réagir face à la nouvelle économie de la responsabilité qui a accompagné la montée de la modernité thérapeutique participative, et plus spécifiquement comment elle a envisagé, dans ce cadre, les procès intentés par les Témoins de Jéhovah.
Dynamiques professionnelles face aux procès
19Les travaux autour de la judiciarisation des soins ont souvent proposé une analyse des positions des organisations professionnelles face à la montée des procès comme de simples « stratégies de résistance, de protestation et de défense » [67]. Nous pensons que le cas de l’anesthésie-réanimation offre, au contraire, l’exemple d’une spécialité qui a su s’appuyer sur certains procès pour redéfinir sa place au sein du milieu hospitalier. Ainsi, les médecins seniors, a fortiori quand ils ont occupé des fonctions de responsabilité dans les instances professionnelles, se souviennent de procès retentissants qui ont marqué l’histoire de la spécialité. Ces procès sont jugés à l’aune de leur portée réformatrice et des usages qu’a pu en faire la profession pour influer sur le mode de distribution des pouvoirs et des compétences alors en vigueur entre les différents acteurs des soins. En effet, il y a encore une vingtaine d’années, la place de l’anesthésiste était caractérisée par la position dominante du chirurgien, figure de proue de la tradition clinique hospitalière [68]. Longtemps formé en dehors de l’Internat, l’anesthésiste a ainsi été souvent considéré comme une « super-infirmière ». La réforme des études médicales, les mesures prises au nom de la rationalisation des structures de soins et plus récemment de la gestion des risques sanitaires ont contribué à réévaluer sensiblement cette position [69]. Cette réévaluation est également indissociable de la forte mobilisation professionnelle des anesthésistes-réanimateurs autour de la « sécurité anesthésique » qui a été pensée, à partir des années 1980, à travers un investissement fort dans la montée de la modernité thérapeutique (avec l’élaboration de guide-lines et le développement d’une recherche conduite selon les standards de la communauté scientifique internationale). Cette mobilisation professionnelle a su alors tirer parti d’une série de procès fortement médiatisés. Plusieurs verdicts, établissant une co-responsabilité du chirurgien et de l’anesthésiste sur le déroulement de l’opération ou une responsabilité propre de l’anesthésiste sur certains actes [70], ont ainsi été dotés d’une portée symbolique et pragmatique forte. En pointant publiquement les défaillances du suivi post-opératoire, certains procès ont également été mis en avant par les organisations professionnelles pour faire pression sur les pouvoirs publics et réclamer la mise en œuvre de moyens spécifiques à l’anesthésie dans les hôpitaux. L’exemple emblématique de cette manière d’envisager les procès est celui de la mobilisation autour de la création des salles de réveil et la manière dont elle s’est appuyée sur le fort retentissement, dans les années 1980, de l’affaire Farçat [71]. Cette instrumentalisation n’a alors été possible que parce que la profession s’était équipée. Ainsi, les procès – lorsqu’ils sont travaillés par les professionnels pour faire sens avec leurs revendications – ont pu constituer des ressources importantes pour, à un moment donné du développement de leur spécialité, modifier l’état des rapports de force en présence.
20Dans le modèle de la tradition clinique paternaliste, et de l’autorégulation professionnelle, les procès étaient envisagés comme un moyen de sanctionner, pour le compte des victimes de fautes graves, ceux qui étaient considérés, du point de vue des médecins eux-mêmes, comme des charlatans ou des déviants [72]. Avec l’assouplissement des règles d’imputation de la responsabilité, nombreux sont désormais les médecins qui estiment pouvoir être un jour « inquiétés » par les tribunaux. C’est ainsi qu’est apparue, selon eux, une nouvelle catégorie d’inculpés potentiels : les malchanceux [73]. Le malchanceux n’est pas un déviant : c’est un médecin « sur qui ça tombe », alors qu’il n’est « ni meilleur, ni moins bon qu’un autre ». Qu’il s’agisse par exemple d’un aléa thérapeutique, sans lien avec la qualité de l’acte, ou bien d’une faute technique d’un médecin, c’est un même sentiment d’injustice que la plupart des médecins expriment à l’égard de leur mise en cause [74]. L’aléa et la faute technique sont en effet considérés comme des risques liés à l’activité médicale qui ne devraient pas relever des tribunaux de droit commun [75]. Le médecin peut également être malchanceux lorsque l’acte dommageable qui lui est reproché à titre individuel est de fait indissociable de l’organisation collective du travail. La montée de la modernité thérapeutique de type participatif a par ailleurs été accompagnée d’une incertitude croissante sur le rôle qui pourrait être désormais accordé aux Bonnes pratiques cliniques et la manière de prendre en compte le consentement des malades. Dans ce cadre, les organisations professionnelles ont réagi diversement face aux procès intentés par les Témoins de Jéhovah. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a dénoncé – en s’appuyant sur les résultats d’essais montrant une mortalité plus élevée parmi les parturientes Témoins de Jéhovah – une jurisprudence incitant les médecins à être actifs dans la mise en place d’une nouvelle forme d’« euthanasie passive » et a pris de fait position contre le respect de la volonté du malade en la matière [76]. La Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) s’est, quant à elle, voulue apaisante, engageant les médecins à mieux se familiariser avec la logique des procès (à l’investir plutôt qu’à la subir) et à renforcer, autant que possible, la dynamique collégiale des prises de décision en situation de risque judiciaire [77]. Contrairement au CNGOF, la SFAR n’a pas pris position sur une hiérarchisation des valeurs entre les deux obligations qui s’imposent aux médecins : porter assistance au patient en situation d’urgence vitale et respecter la volonté des malades, quoi qu’il arrive.
Face au refus de transfusion : « postures » de médecins
21Comment les médecins ordinaires abordent-ils ces questions dans leurs pratiques quotidiennes ? Pour tous les médecins que nous avons rencontrés au cours de notre enquête, la préservation de la vie est au fondement même de leur intervention auprès des patients, et ces derniers ne peuvent leur imposer – par le seul fait de leur volonté – une conduite de soins dans laquelle ils seraient contraints de les laisser mourir sans aucune autre justification. Si, face au patient Témoin de Jéhovah, ces médecins s’accordent donc sur le fait qu’il n’est pas question d’accéder à un refus inconditionnel de transfusion, tous ne partagent pas pour autant le même point de vue sur la conduite à tenir. L’enquête a ainsi permis d’identifier plusieurs postures. Pour chacune d’entre elles, les médecins développent des manières différentes d’envisager la volonté du patient, la place des convictions religieuses dans les soins, la tension entre risque médical et risque judiciaire. Les deux premières postures témoignent d’une volonté des médecins de construire un accord avec leur patient sur la mise en œuvre d’une stratégie de soins spécifique aux Témoins de Jéhovah. La dernière traduit, au contraire, l’adoption par les médecins de véritables stratégies de raidissement vis-à-vis du patient Témoin de Jéhovah.
Construire un accord par une nouvelle virtuosité médicale
22Dans cette première posture, les médecins considèrent que, dans un cadre d’exercice caractérisé par la montée d’une modernité thérapeutique participative, certaines situations de soin supposent la mise en œuvre d’une nouvelle virtuosité médicale. Plusieurs principes guident alors leurs pratiques concernant la prise en compte des convictions religieuses des Témoins de Jéhovah dans la construction d’un contrat de soins consenti. Il s’agit de faire abstraction, comme le faisait le clinicien universaliste, de tout jugement sur les fondements et la légitimité même des croyances des patients, mais sans pour autant les évacuer hors de la sphère médicale. La croyance religieuse est considérée comme une option, une convenance exprimée à un moment donné par le patient en matière de soins, et il s’agit de la doter – comme tout autre convenance – d’un caractère souple et réversible, donc susceptible de faire l’objet d’un travail. Ce manque de robustesse et de stabilité des options religieuses n’est pas, dans cette posture, lié à un jugement sur leur inconsistance même (cela reviendrait à les juger quant au fond), mais au caractère toujours situé de l’expression de la volonté humaine. Rien ne dit en effet que le refus de transfusion d’un patient Témoin de Jéhovah exprimé lorsque celui-ci est bien portant, dans un contexte lié à son engagement religieux, sera maintenu lorsque celui-ci, malade, se trouvera confronté à l’univers médical et aux conséquences potentielles de ses choix. Dire qu’une volonté ne peut être prise en compte en dehors des situations dans lesquelles elle s’exprime et auxquelles elle est ajustée, considérer comme irréductible la condition du sujet bien portant et celle du sujet malade, revient ici à penser a priori le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah comme une simple indication qui, pour être valable, doit être actualisée.
23Mais comment et jusqu’où actualiser la volonté du patient ? En situation ordinaire, le processus d’actualisation de la volonté du patient n’est jamais interrogé lorsque cette volonté converge, d’emblée et sans difficulté, avec ce que propose le médecin. L’actualisation apparaît alors dans son aspect purement procédural, à savoir comme le moment où le médecin, dans le cadre de la consultation pré-anesthésique ou au lit du malade, délivre à son patient – selon un protocole souvent standardisé – une information circonstanciée sur les modalités d’un acte médical et les risques qui y sont liés. En revanche, quand la volonté du patient vient contrecarrer les indications médicales, et a fortiori lorsque la situation de soins est identifiée comme une situation à risque judiciaire, ce processus d’actualisation est plus problématique. De ce point de vue, les termes de la loi du 4 mars 2002 et de la jurisprudence – selon lesquels le médecin doit avoir « tout mis en œuvre » pour convaincre le patient d’accepter les soins indispensables à son état – restent quelque peu laconiques pour les médecins quant à la nature des moyens à employer sur le terrain. Dans cette posture, les médecins considèrent que cette actualisation de la volonté du patient relève d’un agencement complexe et périlleux entre, d’un côté, les pressions qu’ils exercent sur le patient Témoin de Jéhovah pour le conduire à réajuster son rapport au refus de transfusion et, de l’autre côté, les propositions qu’ils lui font concernant les possibilités d’infléchissement de leur propre pratique professionnelle.
24Les médecins travaillent ainsi sur une ligne étroite lorsque – selon leurs termes – « laisser mûrir » Madame Armande ou Monsieur Mathieu, Témoins de Jéhovah, peut signifier tout autant leur accorder un temps de réflexion souhaitable et utile à toute prise de décision, ou compter sur la progression de la souffrance physique et de l’angoisse pour venir à bout des volontés les plus assises. Les états émotionnels sont ici, contrairement à la posture du clinicien classique, les états les mieux ajustés à la prise de décision éclairée. Au lit du patient hospitalisé, certains médecins s’engagent ainsi dans un véritable travail de monitorage de la volonté du patient en matière de transfusion. Comme on prendrait sa température, on évalue régulièrement l’évolution de son positionnement. L’évolution est favorable quand, aux dires des médecins, le patient « devient raisonnable », qu’il « comprend bien la situation » et se déclare prêt à accepter l’éventualité d’un recours à la transfusion en situation d’urgence vitale. Pour faire en sorte que la situation soit bien comprise, indépendamment même du travail des corps, le médecin s’engage souvent à dispenser au patient une information qui le conduise à réajuster son rapport à la médecine. Ainsi, si les médecins n’encouragent pas le patient Témoin de Jéhovah à réévaluer ses croyances vis-à-vis du sang comme interdit religieux, ils l’engagent volontiers à envisager le refus du sang à partir d’une perspective dramatisée de l’activité médicale. Il s’agit de donner au patient un éclairage nouveau sur son refus de transfusion : un éclairage qui mette en scène le pire. L’emphase est alors portée sur les limites de l’arsenal thérapeutique du médecin pour pallier, sans recours aux produits sanguins, les risques liés à l’anémie sévère. L’accent est mis sur cette incertitude irréductible à la médecine qui fait que tout peut arriver à tout moment, et que même pour une opération considérée comme bénigne, « le risque zéro n’existe pas ». Le médecin tente, pour ainsi dire, d’éroder la confiance du patient en ses performances. L’excès de confiance est, selon ces médecins, une manière pour le patient Témoin de Jéhovah d’obscurcir son propre raisonnement en se persuadant que, de toutes façons, « tout se passera bien ». Cet excès de confiance empêche l’actualisation de sa volonté et peut s’avérer dangereux en terme judiciaire. Le médecin tend, à partir d’une information juste mais dramatisée, à construire progressivement une mise en équivalence, que d’aucuns pourront trouver discutable, entre « refuser d’être transfusé » et « vouloir mourir ».
25Parce que le processus d’actualisation de la volonté du patient est perçu par les médecins eux-mêmes comme pouvant faire l’objet d’appréciations variables, entre travail de conviction et travail d’intimidation, entre concession et extorsion, ces médecins estiment qu’il est important, en situation de risque judiciaire, de pouvoir montrer les efforts qu’ils ont consentis, en retour, pour infléchir leur propre pratique. Ils considèrent ainsi que s’aligner trop « strictement » sur les Bonnes pratiques cliniques (BPC) n’est pas une stratégie ajustée pour faire la preuve de l’attention singulière qu’ils ont accordée à leur patient Témoin de Jéhovah dans l’élaboration d’un contrat de soins consenti. Les BPC construisent en effet une norme thérapeutique sur une appréciation du risque médical qui ne prend pas en compte cette composante de l’activité médicale qui tient à la volonté du patient et à ses capacités de résistance aux prescriptions. Il s’agit donc d’envisager des écarts à la règle qui marquent l’attention portée à la demande spécifique du patient. Certains médecins s’engagent ainsi dans la recherche de nouveaux algorithmes de décision qui permettent d’agencer, de façon singulière, risque médical et risque judiciaire. Ces algorithmes sont, dans certains cas, centrés sur une réévaluation du seul mode d’intervention des anesthésistes ; dans d’autres cas, ils impliquent également un travail de coordination, parfois difficile, avec d’autres intervenants. Le chirurgien peut être ainsi amené à davantage expliciter ses pratiques et sa marge de manœuvre, à proposer, le cas échéant, le recours à une technique chirurgicale dont l’efficacité thérapeutique est moindre, mais dans laquelle les risques de perte de sang sont plus limités.
26Cette posture a pu être observée, par exemple, autour du cas de Madame Armande, au CHU Delaville, sous l’impulsion du chef du département d’anesthésie-réanimation (DAR). Celui-ci se présente volontiers comme issu d’une nouvelle génération de médecins, héritier direct de ceux qui ont mené la bataille de la sécurité anesthésique et obtenu une plus grande reconnaissance de la profession en contribuant à son entrée dans la médecine des preuves. Cette génération doit, quant à elle, faire face à de nouveaux défis liés à l’organisation du travail et à la gestion des risques, iatrogènes, nosocomiaux… et judiciaires.
27Ainsi, dans le DAR du CHU Delaville, le cas de Madame Armande prend vite l’allure d’un cas d’école, autour duquel un ensemble de médecins confrontent leurs conceptions des différentes stratégies d’intervention possibles. Ce côté « cas d’école » n’intéresse pas tous les médecins, loin de là, certains ne voient dans l’arrivée de Madame Armande qu’« une tuile » pour le service et souhaitent que la seule proposition qui lui soit faite consiste à la transférer en urgence vers un autre établissement de son choix. Gilbert, PUPH (professeur d’université praticien hospitalier), et Benoît, chef de clinique, sont parmi les médecins les plus engagés dans la discussion d’algorithmes de décision qui permettraient d’allier prise en compte de la volonté de Madame Armande et rationnel scientifique. Pour Benoît, il s’agit « de sortir de la routine », « des sentiers battus des Bonnes pratiques », qui sont « le point de départ pour le malade lambda », mais qui, dans cette situation de « risque médico-légal », ne s’appliquent pas. Deux propositions se dessinent alors : ne pas opérer Madame Armande et réduire la fracture en la maintenant en traction, ou dispenser à la patiente un traitement médicamenteux pour « booster son taux d’hémoglobine et être déjà plus confort » pour une opération nécessairement reportée. Dans les deux cas, si le risque de transfusion semble plus réduit, aucun médecin ne s’engage à assurer à Madame Armande qu’elle ne sera pas transfusée « en bout de course » et ces propositions engendrent elles-mêmes d’autres risques de complications (tromboembolie, escarres liées à l’immobilisation prolongée, moindre efficacité de l’intervention, voire perte d’autonomie). Une troisième proposition serait également de repousser le plus possible, dans le cadre de l’intervention « standard », le seuil transfusionnel, mais Madame Armande est âgée, obèse, hypertendue, et les médecins pensent que, dans ce cas clinique, la transfusion n’est pas improbable. Les propositions sont faites à Madame Armande, et à ses proches. Après des valses-hésitations, Madame Armande se déclare « confiante dans le CHU et dans les médecins [et prête à] TOUT accepter, du moment qu’on ne la transfuse pas… » Aucun des médecins engagés dans ces discussions ne souhaite « partir sur ce type de contrat ». Ils s’inquiètent désormais des risques médicolégaux qu’ils ont pris, et continuent à prendre, en gardant ainsi Madame Armande sans l’opérer. La situation devient inextricable dès lors qu’aucun accord n’a pu être réalisé. Si Madame Armande fait une phlébite, comment justifier devant les tribunaux le fait d’avoir tant tardé ? Madame Armande devient une « bombe » dans le service. Son transfert est vécu comme un soulagement.
Construire un accord par une reconnaissance mutuelle
28Contrairement à la position précédente, les convictions religieuses ne sont pas considérées dans cette seconde posture comme des convenances ordinaires des patients, mais elles font l’objet d’une prise en compte spécifique de la part des médecins. Alors que les médecins précédents cherchaient à conclure un accord qui intègre les tensions inhérentes aux nouveaux cadres d’exercice de la médecine contemporaine, ceux-ci se situent sur un tout autre registre, celui du respect des convictions en tant que telles. S’ils reconnaissent la légitimité des croyances de leurs patients, c’est qu’il s’agit pour eux d’une nécessité d’ordre supérieur : « philosophique ». Néanmoins, les médecins qui invoquent cet ordre philosophique n’en partagent pas tous pour autant la même conception. Pour les uns, celui-ci relève du religieux, pour les autres, de la laïcité. Les uns s’engagent ainsi dans un dialogue des convictions, les autres dans une lutte contre la stigmatisation.
29Le dialogue des convictions suppose souvent peu de publicité : il se déroule dans le cadre du colloque singulier médecin/malade, dans un face-à-face des consciences. L’accord recherché par le médecin procède de l’établissement d’une situation de reconnaissance mutuelle d’ordre religieux. Face à son patient, le médecin déclare accorder une importance majeure à la spiritualité dans la vie humaine et reconnaître le bien-fondé des revendications des Témoins de Jéhovah à vouloir vivre, ou mourir, selon leurs convictions. Il s’engage ainsi à tout mettre en œuvre pour éviter le recours à la transfusion, et plus encore : « à faire l’impossible », sans que la dimension technique ne soit ici soumise à force explicitation. Néanmoins, parce qu’il est lui-même attaché à des convictions qui, bien que divergentes, relèvent du même ordre supérieur, le médecin demande à son patient qu’il accepte en retour de le libérer de la charge morale d’avoir à le laisser mourir, alors qu’il est en mesure de lui sauver la vie. Le médecin insiste ici moins sur les dimensions professionnelles d’une éthique et d’une déontologie médicale codifiée que sur les dispositions personnelles et spirituelles qui l’ont conduit à s’engager dans la médecine. Ainsi, si le médecin refuse la possibilité d’une décharge de la part du patient Témoin de Jéhovah, ce n’est pas parce qu’elle n’aurait aucune validité devant les tribunaux, ou qu’elle constituerait une entorse à la déontologie professionnelle, mais parce qu’elle ne peut régler à ses yeux la vraie dimension du problème. Dans le dialogue des convictions, ce sont les croyances du médecin qui sont présentées comme offrant au patient Témoin de Jéhovah la garantie d’un engagement authentique pour que « le maximum » soit fait pour respecter sa volonté, sinon son refus. Comme les médecins cherchant à construire un accord sur les prouesses techniques ou organisationnelles, le médecin qui construit un accord sur les légitimités religieuses s’engage donc lui aussi – concernant le respect de la volonté du patient – à une obligation de moyens et non de résultats. Il ne perd pas de vue, lui non plus, la dimension judiciaire associée aujourd’hui à la prise en charge des Témoins de Jéhovah, et demande à son patient de signer une feuille précisant qu’il a bien été informé de l’éventualité d’une transfusion dans les cas les plus extrêmes. Cette pratique est alors davantage présentée au patient comme une formalité administrative nécessaire à la bonne organisation des soins dans un univers hospitalier gouverné par ses propres règles, que comme un élément essentiel de son engagement. L’idée même d’une décharge que donnerait le patient à son médecin pour le défaire de la responsabilité de sa mort est traitée, en extériorité, comme participant peu de la singularité de l’accord.
30Lorsque les médecins invoquent la dimension philosophique associée à leur pratique vis-à-vis des Témoins de Jéhovah, ce n’est pas toujours sur le registre du religieux. Certains en effet s’inscrivent dans une perspective laïque du respect de la liberté des cultes et des minorités. Il ne s’agit alors plus de construire un accord fondé sur la reconnaissance mutuelle associée à la symétrie des positions religieuses (médecins et malades, tous deux croyants), mais sur une reconnaissance mutuelle liée à l’identification d’un enjeu commun : la lutte contre la stigmatisation. Médecin et patient occupent vis-à-vis de cet enjeu des positions asymétriques : l’un peut exercer, ou non, cette stigmatisation ; l’autre peut, ou non, en faire l’objet, accepter de s’y soumettre ou la dénoncer. Quand le médecin offre à son patient de s’engager à repousser au plus loin les limites communément admises avant de recourir à une transfusion, il invoque, pour marquer l’authenticité de cet engagement, son attachement, voire son combat personnel contre la stigmatisation. Le médecin se constitue ainsi comme rempart pour le patient face à des « confrères peu tolérants » ou « malintentionnés ». Il met en avant le principe d’égalité d’accès aux soins, face au risque de voir écarter ou s’auto-écarter de l’hôpital ces patients particuliers. De ce point de vue, les Témoins de Jéhovah constituent, à leurs yeux, une population en situation de faiblesse, susceptible d’être mal soignée en raison d’un retrait volontaire ou de pratiques actives d’exclusion. Dans un contexte de tensions potentielles, ces médecins se situent dans le cadre d’un règlement rapide et pacifié de la situation.
31Les expériences relatées par les médecins que nous avons rencontrés relevant de cette posture ont toujours eu un dénouement heureux. Les patients Témoins de Jéhovah ont accepté le contrat, le médecin a parfois pris le risque de faire descendre au plus bas le seuil transfusionnel, sans transfuser, et si certains patients ont souffert d’anémie sévère, aucun accident grave n’a été déploré. D’une certaine manière, l’épreuve n’a pas eu lieu. Ceci relève, selon ces médecins, d’une « chance ». Chacun des protagonistes a en effet accepté de prendre un risque (d’être transfusé ou d’être poursuivi) sans que la solidité de la confiance que chacun a accordée à l’autre pour que l’accord soit possible n’ait été éprouvée. L’accord réalisé sur la base de la reconnaissance mutuelle est un accord en totale singularité dont la spécificité est d’être peu délégable, peu transférable à un autre spécialiste de l’équipe médicale.
32Le docteur Anne-Marie, PUPH dans un CHU, qui s’est engagée sur le mode du dialogue des convictions, s’explique ainsi.
« Dans les cas que j’ai eu à traiter, j’ai toujours eu un accord du patient qu’en cas d’urgence vitale, il serait transfusé. Je lui dis : "je ne vous laisse pas mourir, je suis croyante et je n’ai pas les mêmes convictions que vous". […] C’est clair qu’on a diminué le seuil transfusionnel. On a eu une patiente qui est restée un mois en réa, parce qu’on l’avait laissée descendre à 4 grammes. On est allé au maximum du vital, sans jamais transfuser. Pour l’instant, nous n’avons pas eu d’urgence où, vraiment, le patient partait si on ne transfusait pas […] on a eu de la chance ! Chaque fois, je fais signer un papier comme quoi ils sont informés qu’en cas d’urgence gravissime, on les transfuse. Pour l’instant, ceux que j’ai eus ont signé le papier. »
Le raidissement et les cadres du discrédit
34Si, dans les deux postures précédentes, les médecins cherchent, par des voies diverses, à construire un accord avec leur patient Témoins de Jéhovah, il est possible d’observer également des situations de raidissement. Le raidissement peut faire suite, tout particulièrement dans le cadre des opérations programmées, à l’échec d’une tentative d’accord, au terme de laquelle le médecin refuse de prendre en charge un patient. Il peut aussi constituer une posture a priori de la part de médecins, qui estiment devoir s’en tenir aux Bonnes pratiques, sinon comme parade efficace contre le risque judiciaire, en tout cas comme conduite clairement alignée sur les standards scientifiques de la profession et comme moyen d’éviter d’être placé en première ligne dans la prise en charge de ces patients particuliers. Ce raidissement renvoie alors le plus souvent chez ces médecins à une critique forte, quant au fond, des revendications des Témoins de Jéhovah. Ainsi, ces médecins considèrent que les convictions des Témoins de Jéhovah sont dénuées de toute forme de légitimité pour infléchir les pratiques de soins. Tout risque médical pris pour tenir compte de ces convictions, tout écart aux Bonnes pratiques cliniques est présenté comme un risque médical injustifié. Deux types d’arguments sont alors avancés à l’appui de ce raidissement. Dans certains cas, les médecins évoquent le caractère « totalitaire » de l’organisation des Témoins de Jéhovah et estiment que le patient n’est pas en mesure d’exprimer librement sa volonté concernant la question de la transfusion : il est sous l’emprise du mouvement. Les Témoins de Jéhovah sont ici qualifiés de « secte », au sens péjoratif du terme. Chapeautée par une instance internationale, cette secte entend, selon eux, régir la vie et la mort de ses fidèles en s’appuyant sur de multiples ramifications locales pour exercer des pressions constantes. Ainsi ces médecins jugent-ils particulièrement préoccupant le fort investissement dans la relation médecin/malade de proches très interventionnistes, souvent Témoins de Jéhovah eux-mêmes, et dont les objectifs sont moins de soutenir le patient dans l’expression de sa volonté que de défendre à tout prix leurs propres convictions. Ces médecins jugent également préoccupante l’intrusion dans la relation médecin/malade de « référents médicaux » issus de l’organisation des Témoins de Jéhovah et qui entendent faire valoir leur propre conception des soins. Dans ce cadre, le refus de transfusion n’est pas l’expression de l’autonomie du patient mais, au contraire, le résultat de son assujettissement et du contrôle auquel il est soumis. Ce refus devrait simplement pouvoir être contourné si besoin est par le médecin, qui, en son âme et conscience, face à une situation particulière, est seul apte à juger de l’intérêt du patient. Toutefois, en contexte de risque judiciaire, ces médecins perçoivent, à juste titre, que défendre une telle posture devant les tribunaux est extrêmement difficile. Ils la perçoivent pour ainsi dire comme anachronique et transgressive. Elle s’inscrit en porte-à-faux des évolutions des droits des malades et enfreint ce qu’ils perçoivent comme un point de vue « politiquement correct » sur la question du respect du religieux. L’exception prévue par la loi concernant les mineurs pour lesquels les parents Témoins de Jéhovah refusent la transfusion marquerait pleinement l’hypocrisie actuelle. En effet, en suspendant « provisoirement » l’autorité parentale et en octroyant au médecin la capacité d’agir en fonction des données de la science, le législateur n’a-t-il pas reconnu, à la marge et au moindre coût, le caractère délétère et illégitime des croyances des Témoins de Jéhovah en matière médicale ? Ces médecins ne militent pas pour que le dispositif mis en place pour les mineurs soit étendu aux majeurs, mais ils se sentent en quelque sorte victimes du compromis de la modernité thérapeutique participative. Ils regrettent le temps où, face au refus de transfusion, ils se réservaient le droit de prendre valablement – c’est-à-dire au nom de principes peu attaquables devant les tribunaux, relevant de leur responsabilité morale – les décisions qui leur semblaient les mieux ajustées à l’état physique et psychique de leurs patients. La décision de transfuser se faisait alors en conscience et, pour « préserver la sérénité du malade », le médecin se sentait libre de décider de ne pas l’informer de la réalisation effective d’une transfusion. Ces médecins s’inscrivent alors dans la défense d’un paternalisme médical de crise concernant des personnes en situation d’emprise, que la loi ne veut, ni ne peut désigner.
35Au CHU Delaville, le docteur Jean-Pierre, médecin anesthésiste de plus de 55 ans, estime que l’énergie déployée par ses collègues autour de Madame Armande est disproportionnée. Selon lui, la situation est simple : Madame Armande n’a pas conscience des risques qu’elle court. Elle vient d’être victime d’un accident de la route, « elle a mal et elle a peur ». Fragilisée et fatiguée, elle subit les pressions constantes de sa famille. Lorsque, à un moment donné et au prix de maints efforts de ses collègues, Madame Armande s’est montrée « enfin prête à devenir raisonnable » et à accepter l’éventualité d’être transfusée, les réactions de son mari l’en ont vite dissuadée. Pour le docteur Jean-Pierre, « on ne peut pas se fier à elle […] ça ne servirait à rien d’obtenir son accord car, en cas de pépins, c’est la famille qui portera plainte ». Selon lui, le mari de Madame Armande et ses deux filles, qui « ne risquent rien dans l’affaire, veulent simplement montrer qu’ils sont de bons fidèles. […] Il y a quelques années, on n’aurait pas fait autant de chichis, on envoyait la perf, point/barre ». Le docteur Jean-Pierre soutient qu’il n’y a aucune raison de repousser les limites de la transfusion. Il prévient ses collègues qu’en tout cas, lui ne le fera pas : « On ne transfuse pas pour le plaisir quand même ! […] S’il y a des Bonnes pratiques, ce n’est pas pour rien. » Pour le docteur Jean-Pierre, il faut d’autant plus s’en tenir aux règles de la profession que prendre en compte des dimensions judiciaires associées à la pratique conduit à des situations assez inextricables : « Si la dame décède, si ce n’est pas la famille qui porte plainte, ce sera le type qui l’a percutée en voiture parce que les assurances ne voudront pas être tenues responsables de son décès ».
36D’autres arguments invoqués par les médecins pour dénier toute forme de validité aux convictions des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion peuvent paraître radicalement opposés. Ce n’est, en effet, pas tant au nom de leur extrême dogmatisme et du caractère jugé totalitaire de l’organisation qui les soutiennent que les médecins rejettent ces convictions. C’est parce qu’ils les perçoivent comme labiles et donc sans crédit. Cette labilité s’exprime notamment à travers la définition de la nature et de l’étendue des produits acceptés. Si la Bible parle du sang, elle est nécessairement muette sur le statut accordé à l’ensemble des produits dérivés qui sont venus dans les années récentes équiper l’arsenal thérapeutique du médecin. Le fait que les Témoins de Jéhovah disposent d’une certaine marge de manœuvre pour juger en conscience s’ils peuvent accepter ou non tel ou tel produit n’est pas ici pensé de façon positive comme ouvrant un espace de négociations dans lequel pourra être réalisé un accord sur une stratégie de soins. Cette marge de manœuvre est, au contraire, perçue comme la marque flagrante de l’inconsistance des options défendues par les Témoins de Jéhovah, options qui ne seraient en définitive que de petits arrangements entre foi et nécessité. Ces arrangements au coup par coup sont en effet selon ces médecins des jugements en opportunité qui ne relèvent ni de l’ordre du religieux – ordre qui serait fondé sur le respect de distinctions claires entre ce qui est interdit et ce qui est autorisé – ni de l’ordre de la science – qui serait quant à lui fondé sur le respect des normes thérapeutiques en vigueur. Ainsi ces médecins pointent-ils avec perplexité le fait que les positions des Témoins de Jéhovah aient évolué avec le temps, qu’elles ne soient d’ailleurs pas totalement arrêtées et fassent l’objet d’une variabilité importante sur le terrain, à la fois spatiale et interindividuelle. L’impossibilité de régir en généralité la relation aux Témoins de Jéhovah plonge selon eux les équipes médicales dans des jeux d’influences complexes étrangers à la pratique médicale et vis-à-vis desquels, en situation de risque judiciaire, ils se sentent peu équipés. Le patient n’est pas ici perçu comme un patient faible, sous emprise et à protéger, mais comme un patient fort, en position d’imposer à son médecin un raisonnement faussé. Cette force du patient vient de sa capacité à doter ses arbitrages d’une légitimité d’ordre supérieur (divine), en s’appuyant sur la force d’un collectif (humain) structuré pour exercer un lobbying sur la conduite des soins. C’est le gouvernement de l’arbitraire qu’imposent les Témoins de Jéhovah, toujours plus équipés par l’essor des droits des malades.
37Les Témoins de Jéhovah tendent alors à constituer une « catégorie de patients » revendiquant un traitement spécifique, et lorsque les médecins jugent leurs convictions peu fondées, il n’est pas rare qu’ils développent une vive critique des efforts concédés pour leur prise en compte. Il s’agit d’une critique des coûts économiques que ces efforts entraînent pour la collectivité. Ces coûts supplémentaires sont liés au temps passé par les médecins dans la recherche d’un accord par infléchissements réciproques, ou au maintien prolongé du patient en unité de réanimation quand, faute de transfusion, son état nécessite des soins intensifs. Ces arguments sont essentiellement avancés par les médecins exerçant à l’hôpital public, même si tous les médecins du public ne tiennent pas cette position. Dans un contexte de maîtrise des dépenses de santé, ces médecins estiment ainsi que les coûts potentiellement engendrés par les exigences des Témoins de Jéhovah en matière de transfusion posent des problèmes de justice sociale. Comment en effet justifier les 30 jours de réanimation imposés par le respect des croyances d’un malade Témoin de Jéhovah, alors qu’on limite par ailleurs la dispensation des soins dits « de confort » au sein de l’hôpital ? Comment justifier le temps passé pour établir une stratégie de soins spécifique aux Témoins de Jéhovah, alors que le temps consacré au patient lambda se réduit ? Aux exigences des lobbies sectaires, les médecins opposent alors les « vrais » besoins des personnes, et particulièrement des personnes en difficulté (âgées, délaissées, démunies) qui sont peu équipées pour faire valoir leurs intérêts.
38Cette lecture, en termes de justice sociale, trouve également une forme particulière de déclinaison concernant le cas spécifique des greffes d’organes. Nombreux sont les médecins qui estiment ainsi qu’il est peu cohérent de refuser le sang et d’accepter les greffons. Certains considèrent que cette position des Témoins de Jéhovah témoigne de la flexibilité de leurs croyances et des jugements en opportunité qu’elle autorise. Ces médecins se montrent alors particulièrement rigides : s’agissant de biens rares, plus encore que pour les soins ordinaires, aucun risque injustifié ne peut être pris, le médecin s’estimant ici garant du respect des biens bio-sociaux.
39Écoutons ici le docteur Martin (PUPH), exerçant dans un CHU de province.
« [Les Témoins de Jéhovah] viennent toujours avec leur gourou et leur petite feuille qui vous dit : "je ne veux pas être transfusé, je vous dégage de toute responsabilité", alors que ça n’a aucune valeur [devant les tribunaux]. Ils sont toujours venus comme ça. Ils acceptent les greffons mais pas la transfusion… Quand je travaillais dans un service de chirurgie hépatique, on a dit à un patient que là on ne pourrait vraiment pas garantir la non-transfusion pour une greffe hépatique et que compte tenu du nombre restreint d’organes qu’il y a en France, on ne peut pas se payer le luxe de sacrifier un greffon en respectant ses convictions ! Il est parti. Il n’est plus revenu. Moi, je ne discute pas. Ils acceptent les organes, pas le sang… Nous, ce qui nous gênait beaucoup, c’était, dans un contexte de pénurie d’organes, d’accepter de prendre le risque d’en sacrifier un. C’était un cas très particulier qui s’est réglé rapidement. On lui a dit : "ça peut se passer comme ça" et il n’est jamais revenu. Après tout, c’est lui qui a pris la décision de ne pas se faire greffer. »
41Dans ce cas de figure, le médecin sera donc assez peu enclin à prendre en charge un Témoin de Jéhovah non dépouillé de ses convictions religieuses. Dans le cadre d’opérations programmées, il énoncera les termes d’un contrat de soins « standard » et inscrira sa démarche en référence à une offre médicale ouverte et diversifiée. Lorsque le patient est déjà dans les murs, par le biais des urgences, il s’effacera volontiers devant des collègues plus impliqués et prônera quant à lui une orientation de nature à satisfaire son obligation de garantir la continuité des soins. Le renvoi vers un autre établissement est alors clairement une manière de se défaire d’un patient qui pose problème, de se sortir d’une situation à risque judiciaire.
Conclusion : pour une sociologie politique des pratiques médicales
42Deux questions controversées dans la pensée politique et dans la doctrine juridique contemporaines ont été abordées ici. Comment penser la responsabilité médicale dans nos sociétés ? Quelle marge d’autonomie accorder aux individus dans les soins (et notamment, quel degré de contrainte peut-on légitimement leur imposer quand leur vie biologique est menacée) ? Au cours des dernières décennies, on a assisté à une mutation profonde de l’économie générale de la responsabilité médicale. La nature de la relation qui se noue entre le médecin et son malade, l’identification des instances les mieux à même de juger la validité des pratiques médicales, la manière d’envisager la sanction des médecins jugés défaillants (de concevoir son rôle, ses formes de publicité et leurs conséquences) ont été sensiblement retravaillées dans différentes arènes (administratives, médiatiques ou judiciaires). Notre étude montre que cette mutation s’inscrit plus largement dans l’histoire des transformations des formes politiques de la médecine. Dans la tradition clinique paternaliste, forme politique longtemps dominante de la médecine contemporaine, le patient était le plus souvent jugé « incapable » (en raison de son manque de connaissances spécialisées et de son état émotionnel) d’agir sur la conduite des soins qui lui étaient dispensés. Le médecin qui exerçait un art, peu propice à l’évaluation d’un tiers, prenait ainsi – en son âme et conscience – les décisions qui lui semblaient les mieux ajustées tant sur le plan éthique que technique. Sa responsabilité morale était étendue, mais s’exerçait dans la sphère de l’intime. Sa responsabilité juridique n’était retenue qu’en cas de faute lourde. Un ordre professionnel pouvait sanctionner, sans publicité, les inconduites morales des médecins contraires aux valeurs de la profession. Avec la montée de la modernité thérapeutique, les outils se sont multipliés qui permettent aujourd’hui de juger, à distance, l’objectivité des pratiques médicales (guide-lines, etc.). Sous sa forme participative, on a également assisté, dans le cadre de la montée de la modernité thérapeutique, à une réévaluation sensible du statut du patient. Celui-ci a été doté d’une véritable compétence politique, tant au niveau individuel que collectif : comme détenteur de nouveaux droits et comme acteur de la démocratie sanitaire. La part conférée au respect et à l’expression de la volonté du patient a été singulièrement redéfinie.
43Notre analyse montre comment, sous l’effet conjoint de l’essor des formes d’encadrement des pratiques médicales et de la reconnaissance d’une compétence politique du patient, des situations de soins qui auparavant suscitaient peu de débats ont été réinterrogées avec une acuité particulière sous l’angle des atteintes à l’intégrité des personnes et de la violation des libertés fondamentales. Le cas du refus de transfusion des patients Témoins de Jéhovah est à cet égard exemplaire. Il a fait l’objet de positions contradictoires de la part de responsables de commissions parlementaires, de juristes, ou de mouvements associatifs – certains considérant le refus de transfusion comme un marqueur des dérives sectaires (l’expression d’une volonté manipulée et peu recevable), d’autres comme l’expression d’un droit des malades. La manière dont ces interrogations ont pu, elles-mêmes, prendre corps au sein des pratiques médicales est étudiée. L’enquête menée auprès des médecins a permis d’identifier plusieurs postures dans lesquelles les convictions religieuses et le sort réservé à ceux qui les expriment sont dotés d’un statut différent. Dans la première posture, les médecins intègrent les convictions religieuses de leurs patients, en les dénuant de toute nature spécifique. Leur prise en compte est un défi comme un autre, posé au clinicien dans le cadre d’une modernité thérapeutique dont il faut désormais intégrer, a fortiori sous la pression judiciaire, la dimension participative. Les convictions religieuses font partie, pour ces médecins, de toutes ces convenances personnelles, d’allure profondément hétérogène, que le patient est amené à exprimer dans la conduite des soins. Parce que la volonté du patient de refuser une transfusion n’est dotée d’aucune consistance particulière (qu’elle est changeante et contextuelle), elle peut faire l’objet d’un travail. C’est dans celui-ci que s’exprime une nouvelle forme de virtuosité médicale : les médecins s’engagent dans un processus d’actualisation de la volonté du patient qui, pour échapper à la violence, suppose l’identification d’infléchissements réciproques. Dans la dernière posture présentée, les médecins considèrent que les convictions religieuses des patients, et particulièrement celles des Témoins de Jéhovah, n’ont aucune légitimité pour infléchir les pratiques médicales ordinaires. Ils jugent que la volonté de ces patients est manipulée et que, nonobstant le contexte judiciaire ambiant, il serait préférable de s’en remettre, les concernant, à un paternalisme médical de crise permettant au médecin de passer outre la volonté de son malade et ce, dans son propre intérêt. Alors que la première posture intègre les convictions religieuses des patients, tout en rejetant leur nature spécifique, cette posture discrédite ces convictions, au motif de leur nature spécifique. Enfin, certains médecins adoptent une posture dans laquelle les convictions religieuses sont reconnues – en tant que telles – à la fois comme légitimes et consistantes. Ils s’engagent alors dans la recherche d’un accord avec leurs patients : accord basé sur une reconnaissance mutuelle. Dans une perspective religieuse, le médecin cherche à établir un dialogue des convictions avec son patient, dialogue au cours duquel il sort de la posture classique du médecin « universaliste » pour mettre en balance ses propres appartenances et celles de son patient. Dans une perspective laïque, le médecin cherchera plutôt à construire avec son patient une relation orientée vers la poursuite d’un bien commun – la lutte contre la stigmatisation – vis-à-vis duquel malade et médecin occupent néanmoins des positions asymétriques.
44Face à une situation identifiée par les médecins eux-mêmes comme une situation à risque judiciaire, l’enquête montre donc que, contrairement à ce que de nombreux travaux sur la judiciarisation des soins nous incitent à croire, loin d’opter de façon homogène pour des stratégies « défensives » (de type autolimitation des interventions ou renvoi du patient vers d’autres collègues), les médecins adoptent des postures très contrastées. Dans le cas du refus de transfusion des Témoins de Jéhovah, ces postures traduisent, d’une part, les différentes manières dont les médecins retravaillent aujourd’hui – dans le cadre de la montée de la modernité thérapeutique de type participatif – la question de la responsabilité médicale et du respect de la volonté des patients, et, d’autre part, les options qu’ils adoptent sur une question encore controversée dans les arènes politiques [78].
Notes
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[1]
Afin de préserver l’anonymat des personnes et des lieux de notre enquête, les noms ont été modifiés et des libertés ont été prises concernant certains éléments descriptifs, jugés non décisifs pour l’analyse.
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[2]
Cette carte mentionne clairement le motif du refus : les convictions religieuses des Témoins de Jéhovah. Elle est nominative, renouvelée chaque année, signée par son titulaire, ainsi que par deux témoins.
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[3]
Ce sont les recommandations élaborées, sur la base des résultats de recherches cliniques, par un groupe souvent multidisciplinaire d’experts afin d’homogénéiser les pratiques.
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[4]
Actes des Apôtres 15 : 19, 20 (« 19 Ma décision est donc de ne pas inquiéter ceux des nations qui se tournent vers Dieu, 20 mais de leur écrire de s’abstenir des choses qui ont été souillées par les idoles, et de la fornication, et de ce qui est étouffé, et du sang »). D’autres passages bibliques sont également invoqués à l’appui de cette interdiction : Genèse 9 : 3, 4 (« 3 Tout animal qui se meut [et] qui est vivant pourra vous servir de nourriture. Comme pour la végétation verte, oui je vous donne tout cela. 4 Seulement la chair avec son âme – son sang – vous ne devez pas la manger ») ; Lévitique, 17 : 13, 14 (« 14 Vous ne devez manger le sang d’aucune sorte de chair, car l’âme de toute sorte de chair est son sang. Quiconque le mangera sera retranché »).
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[5]
Selon les statistiques produites par le mouvement lui-même, les Témoins de Jéhovah comptaient en 2005 : 119 131 « proclamateurs » en France métropolitaine (1/508 habitants), 7 713 en Guadeloupe (1/57), 2 192 en Guyane (1/355), 4 215 en Martinique (1/90), 2 625 à la Réunion (1/292). Cf.<http:// www. watchtower. org/ statistics/ worldwide_report. htm>.
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[6]
Voir l’enquête de J.-L. Vincent, « Transfusion in the Exsanguinating Jehovah’s Witness Patient. The Attitude of Intensive-Care Doctors », European Journal of Anesthesiology, 8, 1991, p. 297-300.
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[7]
La gestion de la contamination transfusionnelle par le VIH a été rendue difficile par ces pratiques tant sur le plan sanitaire que sur le plan humain. Cf. Nicole Bastin, Geneviève Cresson, Jean Tybergein, Approche sociologique de la demande en réparation du préjudice thérapeutique : le cas du sida, Lille, Rapport ANRS/CLERSÉ, 1993.
-
[8]
Sophie Gromb, Gérard Janvier, « Transfusion sanguine et Témoins de Jéhovah », Journal de médecine légale et de droit médical, 40 (5), 1997, p. 385-388.
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[9]
Cette enquête part d’une interrogation plus générale sur l’impact des procès sur les pratiques médicales (cf. Janine Barbot, Emmanuelle Fillion, Les professionnels de santé face aux procès, rapport CERMES/MiRe, 2005). Des observations ethnographiques ont été réalisées, notamment dans le DAR (Département d’anesthésie et de réanimation) du CHU Delaville. 32 médecins anesthésistes-réanimateurs ont été interviewés sur des sites diversifiés (CHU, hôpital général, clinique). Parmi eux, certains assumaient des responsabilités dans des sociétés savantes ou dans des syndicats professionnels. Le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah est apparu comme une situation problématique, tant sur le terrain qu’au cours des entretiens. L’anesthésie-réanimation compte, du fait de sa transversalité, le plus grand nombre de praticiens hospitaliers en France, avec plus de 9 000 professionnels (voir Sylvia Pontonne, « Évolution des effectifs de praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs dans les prochaines années. Vers une crise ? », Annales françaises d’anesthésie et de réanimation, 18, 1999, p. 1073-1079). Cette enquête qualitative ne repose pas sur un échantillon « représentatif » des praticiens et des conditions d’exercice, mais entend à travers l’identification de situations variées d’activité faire jouer des contrastes productifs pour l’analyse (voir Barney Glaser, Anselm Strauss, The Discovery of the Grounded Theory, Chicago, Aldine Publishing Company, 1967).
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[10]
Pour une critique de ce cadre d’analyse : Janine Barbot, Emmanuelle Fillion, « La "médecine défensive" : critique d’un concept à succès », Sciences sociales et santé, 24 (2), 2006, p. 7-33.
-
[11]
Cf. notamment : Ann Lawthers, A. Russel Localio, Nann Laird, Stuart Lipsitz, Liesi Herbert, Troyen Brennan, « Physicians Perceptions of the Risk of Being Sued », Journal of Health Politics, Policy Law, 17 (3), 1992, p. 463-482 ; R. Shapiro, D. Simpson, S. Lawrence et al., « A Survey of Sued and Nonsued Physicians and Suing Patients », Archives of Internal Medicine, 149 (10), 1989, p. 2190-2196 ; Carol Weisman, Laura Morlock, Martha Teitelbaum, Ann Klassen, David Celentano, « Practice Changes in Response to the Medical Malpractice Litigation : Results of a Maryland Physician Survey », Medical Care, 27 (1), 1989, p. 16-24.
-
[12]
Ce débat a abouti à l’adoption de la loi no 2005-370 du 22/04/2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie.
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[13]
Nicolas Dodier, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’EHESS, 2003.
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[14]
Nicolas Dodier, Janine Barbot, « Autonomy and Objectivity as Political Vectors in the Medical World : Twenty Years of Aids in France », Science in Context, 21 (3), 2008, p. 403-434.
-
[15]
Pour une présentation de la tradition clinique, cf. Nicolas Dodier, « S’en remettre à un spécialiste. Contribution à une histoire politique de la délégation », Handicap. Revue de sciences humaines et sociales, 104, 2005, p. 9-20.
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[16]
Talcott Parsons, The Social System, New York, Free Press, 1951.
-
[17]
L’article 7 du Code de déontologie médicale (du 28 juin 1979) stipulait ainsi : « La volonté du patient doit toujours être respectée dans la mesure du possible ».
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[18]
Le travail mené par Alexandre Jaunait (Comment pense l’institution médicale ? Une analyse des codes français de déontologie médicale, Paris, Dalloz, 2005) met en évidence ces aspects du consentement dans le paternalisme médical (ibid., p. 254 et suiv.). Il cite, comme illustration de cette posture, des extraits du livre de Louis Portes, premier président élu de l’Ordre des médecins : « En face d’un tel désarroi, ne devons-nous pas nous demander ce que devient le comportement intérieur du patient et notamment quelle confiance nous devons faire à son intelligence, à sa sensibilité et à sa volonté ? […] Au sens exact du terme, il ne voit plus clair en lui-même, car entre lui-même observant son mal et lui-même souffrant de son mal, s’est glissée une opacité et parfois même une obscurité totale ; tous ses pas dans sa connaissance de lui-même sont devenus trébuchants comme ceux d’un enfant […]. Dans la première période qui précède son premier contact avec le médecin, je dirais qu’il n’est qu’un jouet, à peu près complètement aveugle, très douloureux, essentiellement passif ; qu’il n’a qu’une connaissance objective très imparfaite de lui-même ; que son affectivité est dominée par l’émotivité ou par la douleur et que sa volonté ne repose sur rien de solide, si ce n’est parfois lorsqu’elle aboutit au choix de tel médecin plutôt que de tel autre » (Louis Portes, À la recherche d’une éthique médicale, Paris, Éditions Masson et Cie, 1954).
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[19]
Nicolas Dodier (Leçons politiques…, op. cit., p. 20 et suiv.) propose la notion de bien en soi, pour désigner les objectifs que les acteurs du monde médical ont dotés d’une dignité particulière, pour légitimer ou, au contraire, critiquer le mode de répartition des pouvoirs en présence.
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[20]
Le secret médical concerne la communication d’information à l’extérieur de la relation médecin/malade et ne s’impose pas au patient. Son pendant interne est fondé sur le principe de l’exception thérapeutique, qui permet au médecin de cacher au malade les informations qu’il juge potentiellement déstabilisantes.
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[21]
Les Témoins de Jéhovah sont un mouvement millénariste et apocalyptique qui tire son origine des « Étudiants de la Bible » fondé par le pasteur Charles Russel en 1876, aux États-Unis. Ses proclamateurs annoncent l’imminence du jour d’Har-Maguédôn où Jéhovah détruira notre monde dominé par Satan et instaurera un paradis sur la terre.
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[22]
Eliot Freidson, « The Reorganization of the Professions by Regulation », Law and Human Behavior, 7, 1983, p. 279-290 ; « The Changing Nature of Professional Control », Annual Review of Sociology, 10 (1), 1984, p. 1-20.
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[23]
Pour une histoire des essais thérapeutiques contrôlés aux États-Unis, voir Harry Marks, The Progress of Experiment : Science and Therapeutic Reform in the United States, 1900-1990, New York, Cambridge University Press, 1997.
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[24]
Janine Barbot, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Paris, Balland, 2002.
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[25]
Pierre Lascoumes, « Représenter les usagers », dans Isabelle Baszanger, Martine Bungener, Anne Paillet (dir.), Quelle médecine voulons-nous ?, Paris, La Dispute, 2002, p. 107-125. Pierre Lascoumes, juriste et sociologue au Cevipof-CNRS, est membre de l’association AIDES depuis 1989 et cofondateur du CISS.
-
[26]
Le Quotidien du Médecin en date du 15 décembre 2005 a ainsi publié dans son courrier des lecteurs une lettre de l’organisation des Témoins de Jéhovah, protestant contre un article mentionnant la transfusion à l’insu comme la « solution pragmatique » préconisée par certains médecins pour gérer les effets préjudiciables sur la vie du patient de la communication de l’information concernant la transfusion.
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[27]
Circulaire ministérielle no 98-231 du 9 avril 1998 relative à l’information des malades en matière de risques liés aux produits sanguins labiles et aux médicaments dérivés du sang et sur les différentes mesures de rappel effectuées sur ces produits sanguins.
-
[28]
Article R710271 du Code de la santé publique (loi du 24 janvier 1994).
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[29]
Alexandre Jaunait (op. cit., p. 299-305) montre notamment comment certaines sanctions disciplinaires peuvent paraître, depuis une perspective de droit commun, comme extrêmement sévères, compte tenu de l’absence totale de préjudice pour le patient (voire même en dépit d’une efficacité thérapeutique réelle).
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[30]
C’est la loi du 4 mars 2002, sur les droits des malades et la qualité du système de soins, qui a introduit cette possibilité. Désormais, les malades et les associations de malades et d’usagers de la médecine peuvent se porter parties civiles devant la juridiction ordinale.
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[31]
René Savatier (« La responsabilité médicale en France (aspects de droit privé) », Revue internationale de droit comparé, 28 (3), 1976, p. 493-510) défend ainsi une « immunité médicale » fondée sur la reconnaissance du bien commun poursuivi par l’activité médicale à travers l’exercice d’une pratique à risques : « Tout le progrès médical, dont chacun de nous profite, est dû à des risques courageusement pris par les médecins, et par rapport auxquels les chances poursuivies ont laissé un bilan positif » (René Savatier, ibid., p. 498).
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[32]
Monsieur Bianchi est devenu tétraplégique à la suite d’une artériographie vertébrale. Le juge a conclu en l’absence de faute, mais a retenu la responsabilité du centre hospitalier au motif que l’acte médical était bien « la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’exceptionnelle gravité ». Serge Gomes est devenu paraplégique, à l’âge de 15 ans, à la suite d’une intervention chirurgicale. Le juge a conclu que « l’utilisation d’une thérapeutique nouvelle crée, lorsque ses conséquences ne sont pas encore entièrement connues, un risque spécial pour les malades qui en sont l’objet ; que lorsque le recours à une telle thérapeutique ne s’impose pas pour des raisons vitales, les complications exceptionnelles et anormalement graves qui en sont la conséquence directe engagent même en l’absence de faute, la responsabilité du service public hospitalier ».
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[33]
Cette évolution est congruente avec l’intérêt attribué aux victimes, depuis le début des années 1980, sur bien d’autres fronts : victimes du terrorisme, d’accidents industriels ou de catastrophes naturelles.
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[34]
Voir notamment : Cass. civ., 25 févr. 1997, Hédreul, JCP 1997, éd. G., I, 4025, n° 7, obs. G. Viney ; JCP 1997, éd. G., II, 2492, rapport P. Sargos. À l’occasion d’une coloscopie avec ablation d’un polype réalisée par un gastro-entérologue, ce patient a souffert d’une perforation intestinale. Il a dû subir plusieurs interventions chirurgicales aux conséquences graves (ablation du côlon et du rectum).
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[35]
Dominique Thouvenin, La responsabilité médicale, Paris, La Documentation française, 1995.
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[36]
Ainsi, par exemple, l’issue de l’affaire Hédreul a été peu relatée. Si le défaut d’information a été établi, le juge a estimé qu’il n’avait pas entraîné une perte de chance pour le malade. Autrement dit, le malade ne justifie d’aucun préjudice indemnisable car, même informé des risques graves, il n’aurait probablement refusé ni l’examen, ni l’intervention (Cour de cassation, 20 juin 2000).
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[37]
L’arrêt Perruche (par lequel le juge indemnise un enfant, né lourdement handicapé, à la suite d’une erreur de diagnostic n’ayant pas permis à sa mère d’interrompre sa grossesse) constitue, sans doute, un moment culminant de ces débats. Voir Janine Barbot, « Droits des malades, droits des victimes : évolution des débats publics sur la réparation », dans Didier Tabuteau (dir.), Les droits des malades et des usagers du système de santé, une législature plus tard. Actes du colloque Chaire Santé-CISS, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 101-105.
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[38]
La loi est aussi le résultat de la mobilisation de différents acteurs (associations de victimes, juristes, parlementaires, etc.) dénonçant les inégalités de traitement des victimes selon que leur cas relève des juridictions civiles ou administratives, la longueur des procédures et l’incapacité du système à faire face à des situations d’urgence extrême.
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[39]
La non-assistance à personne en péril est sanctionnée au titre de l’article 223-6, alinéa 2, du Code pénal.
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[40]
Le principe du respect du consentement du patient a été posé dans plusieurs textes, au niveau international (le code de Nuremberg, la déclaration d’Helsinki, révisée à Tokyo, en 1975, puis à Venise, en 1983) et national (les lois de la bioéthique de 1994, le code de déontologie médicale du 6 septembre 1995, notamment dans son article 36, alinéa 2).
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[41]
Atteint d’un syndrome de Goodpasture, provoquant une insuffisance rénale aiguë et des troubles de la coagulation, Monsieur S. avait à la suite d’une anémie sévère été transfusé à plusieurs reprises contre sa volonté, avant de décéder.
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[42]
Conseil d’État, 26 octobre 2001, requête n° 198546, Actualité juridique du droit administratif, mars 2002, p. 259. Voir notamment les commentaires de Elisabeth Dolard-Roche, « Un Témoin de Jéhovah peut-il refuser une transfusion sanguine ? », Journal de médecine légale et de droit médical, 45 (1), 2002, p. 59-63.
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[43]
L’article L. 1111-4 stipule : « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
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[44]
La patiente a utilisé ici la procédure du « référé-liberté » qui permet aux administrés de demander au juge des référés de prendre des mesures d’urgence pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales de la personne (Article L. 521-2, CJA).
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[45]
Un communiqué de presse du CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français), du 12 septembre 2002, faisait « réponse » aux propos de Bernard Kouchner dans Le Figaro. Kouchner avait suggéré que, pour respecter la volonté de la parturiente, les médecins auraient pu anticiper la situation et envisager la possibilité d’une autotransfusion. Pour le CNGOF, cette proposition « témoigne d’une double méconnaissance […] des convictions des Témoins de Jéhovah […] et de la gravité des hémorragies de la délivrance ».
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[46]
Les juristes notent qu’aucune jurisprudence n’a eu à statuer sur cette question : la portée du nouvel article L. 1111-4 du code de la santé publique et l’existence d’une jurisprudence ancienne sur le refus de soins (notamment Conseil d’État, 6 mars 1981) semblent néanmoins conforter cette interprétation. Cf. notamment Cl. Rougé-Maillart, T. Gaches, N. Jousset, A. Gaudin, M. Penneau, « Le refus de soins des Témoins de Jéhovah : une jurisprudence claire, une pratique médicale difficile », Journal de médecine légale et de droit médical, 47 (8), 2004, p. 357-362.
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[47]
Ainsi pour E. Dolard-Roche (art. cité, p. 61-62) : « On ne peut poser une règle générale et dicter au médecin sa conduite. C’est à lui de décider en conscience. » […] « On peut en effet se demander si le malade qui a posément, tranquillement, clairement exprimé sa volonté de refuser un certain type de soins, réitérerait sa demande au moment ultime de l’approche de la mort, s’il en était encore dans la capacité. Submergé par la charge émotionnelle des derniers instants, confronté à une réalité non plus hypothétique (voire « phantasmée ») mais bien présente et arrivée à échéance, maintiendrait-il sa position ? »
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[48]
Jocelyn Clerckx développe ces critiques virulentes dans « Chronique administrative. Une liberté en péril ? Le droit au refus de soins », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 120 (1), 2004, p. 139-168.
-
[49]
On peut noter que les médecins négligent pour ainsi dire le rôle crucial du « médecinexpert » auquel le juge recourt pour fonder son avis, alors même que ce rôle a pu faire l’objet de critiques de la part de ceux qui considèrent que la collusion naturelle et la confraternité du milieu médical sont un frein à l’établissement de la responsabilité médicale.
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[50]
Dans l’affaire du CHU de Valenciennes, le CNGOF considère ainsi que, quoi qu’en pense le juge, le médecin a agi en situation de risque vital. Le médecin concerné est, quant à lui, plus nuancé : « Certes lorsque la décision a été prise de commencer la transfusion, il n’y avait pas vraiment d’urgence vitale. Mais la situation médicale de la patiente était tellement précaire que le moindre incident lui aurait été fatal » ; et d’ajouter : « Je suis sincèrement convaincu d’avoir agi pour son bien. Je pense qu’elle le reconnaîtra un jour » (Jean-Luc Chagnon, Véronique Fournier, « Fallait-il transfuser contre son gré Madame G., Témoin de Jéhovah ? », Médecine et Droit, 62-63, 2003, p. 133-136).
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[51]
Après avoir estimé que la transfusion sanguine ne constituait pas un traitement « inhumain ou dégradant », ni une privation du droit à la liberté, le juge a estimé que l’atteinte à la « liberté de manifester sa religion ou sa conviction » (Art. 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) ne pouvait être retenue dès lors que le médecin avait agi pour respecter son obligation de protection de la santé et de la vie.
-
[52]
Alain Vivien, Les sectes en France : expression de la liberté morale ou facteurs de manipulations ?, Rapport au Premier ministre Pierre Mauroy, 1983 (texte publié à La Documentation française en 1985 et en ligne : <http:// www. prevensectes. com/ rap83a. htm>). Alain Vivien a été président de la Commission DOM-TOM de la Ligue des droits de l’Homme (1996-2001), président du Centre Roger Ikor contre les manipulations mentales (1997-1998), président de la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS, 1998-2002).
-
[53]
Selon Massimo Introvigne, le mouvement anti-secte se présente comme un mouvement laïc, distinct du mouvement contre les sectes d’origine chrétienne. Il entend « juger les actes et non les croyances » et définit différemment les dangers à combattre, les outils et les priorités de la lutte (Massimo Introvigne, « L’évolution du "mouvement contre les sectes chrétien" 1978-1993 », Social Compass, 42 (2), 1995, p. 237-247).
-
[54]
D’autres drames ont suivi : le 19 avril 1993, 88 membres de la secte des Davidsoniens sont morts par suicide ou à l’issue d’affrontements avec la police, à Waco au Texas ; le 4 octobre 1994, 53 membres de la secte du Temple solaire sont morts suicidés ou assassinés en Suisse et au Canada ; le 5 mars 1995, l’attentat au gaz perpétré dans le métro de Tokyo par la secte Aum a fait 11 morts et 5 000 blessés.
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[55]
En France, deux organisations occupent une place centrale dans le mouvement « antisecte ». Il s’agit de l’Union nationale des associations pour la défense des familles et de l’individu (UNADFI), créée en 1982 et reconnue d’utilité publique en 1996 (la première association locale avait été créée, à Rennes, en 1974, par Guy Champollion, à la suite de l’entrée de son fils dans la secte Moon), et du Centre de documentation, d’éducation et d’action contre les manipulations mentales (CCMM), créé en 1981, par Roger Ikor (romancier, prix Goncourt 1955), à la suite du suicide de son fils entré dans une secte. Dans les deux cas, ces associations allaient être présidées par des personnalités politiques, issues du parti socialiste (Alain Vivien, pour le CCMM, et Catherine Picard, rapporteure de la loi contre les groupements sectaires dite « loi About-Picard », pour l’UNADFI).
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[56]
Tobie Nathan, professeur de psychologie à l’Université Paris 8 Vincennes-St Denis, ethnopsychiatre et membre de la MIVILUDES, a ainsi expérimenté au Centre Georges-Devereux un dispositif de soutien psychologique aux victimes des sectes, en coordination avec les associations anti-sectes. Cf. Tobie Nathan, Jean-Luc Swertvaegher, Sortir d’une secte, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003.
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[57]
Le gouvernement bulgare avait refusé de leur reconnaître le statut de culte, jugeant notamment la pratique d’excommunication des transfusés contraires aux droits de l’homme.
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[58]
Si certains y voient le signe d’un assouplissement progressif de l’orthodoxie des Témoins de Jéhovah concernant le refus de transfusion, le mouvement anti-secte considère, quant à lui, qu’il s’agit d’une manœuvre pour relâcher la vigilance des pouvoirs publics et dénonce ce qu’il appelle le « compromis Bulgare ».
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[59]
La MILS mentionne le refus de transfusion des Témoins de Jéhovah parmi les comportements inacceptables au vu des droits fondamentaux de la personne humaine (MILS, Rapport 2001, p. 9-10). Elle fait référence à la publication du livre de Sophie Gromb, Alain Garay (dir.), Consentement éclairé et transfusion sanguine, Paris, Éditions de l’École nationale de la santé publique, 1996 : cf. « Alain Garay, Témoin de Jéhovah lui-même, est avocat des Témoins de Jéhovah », dans MILS, ibid., p. 95-96, <http:// www. miviludes. gouv. fr/ IMG/ pdf/ MILS_Rapport_2001_fr. pdf>.
-
[60]
MIVILUDES, 2005, p. 59.
-
[61]
Cf. Massimo Introvigne, J. Gordon Melton (dir.), Pour en finir avec les sectes. Le débat sur le rapport de la commission parlementaire, Paris, Dervy, 1996. Cette prise de position a suscité de vives critiques en retour, au nom de l’usurpation opérée par un groupe d’universitaires prétendant s’exprimer pour le communauté scientifique (qui s’avère plurielle sur la question des sectes), de la présence parmi ces universitaires de personnalités liées à des mouvements proches de l’extrême droite, de la naïveté de chercheurs « instrumentalisés » par les sectes et de la dangerosité potentielle des méthodes d’observations participantes dans un tel contexte (Serge Faubert, « Ces universitaires qui flirtent avec les sectes », L’Événement du Jeudi, 18 septembre 1997, p. 14-18, suivi, le 6 novembre 1997, d’un droit de réponse). Cf. également Jean-Louis Schlegel, « Pourquoi on n’en finit pas avec les sectes ? », Esprit, juin 1997, p. 98-112.
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[62]
Sur la répression du jéhovisme dans l’Allemagne nazie : Guy Canonici, Les Témoins de Jéhovah face à Hitler, Paris, Albin Michel, 1998 ; Sylvie Graffard, Léo Tristant, Les Bibelforscher et le nazisme (1933-1945), Paris, Tiserias, 1991 ; et aux États-Unis, pendant la seconde guerre mondiale : Shawn Francis Peters, Judging Jehovah’s Witnesses. Religious Persecution and The Dawn of the Rights Revolution, Lawrence, University Press of Kansas, 2000.
-
[63]
Les Témoins de Jéhovah sont une organisation structurée et pyramidale, chapeautée par la WTBS.
-
[64]
Ces arguments ont été développés dans plusieurs articles (« J’ai accepté le point de vue de Dieu sur le sang. Un médecin raconte son histoire », « Médecine et chirurgie sans transfusion. Une discipline en plein essor », « Les pionniers de la transfusion », « Transfusion sanguine. Une histoire riche en revirements ») publiés dans un dossier spécial de Réveillez-vous ! (8 décembre 2003) consacré à la question de la transfusion sanguine (<http:// www. watchtower. org/ languages/ francais/ library/ g/ 2003/ 12/ 8/ artcile_01. htm>).
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[65]
Sur ce point, l’organisation des Témoins de Jéhovah met en avant un type de rapport à la science et à la médecine et une manière d’envisager le rôle du patient « actif » et « responsable » des risques qu’il prend en s’engageant dans des formes d’expérimentation sortant des sentiers battus de l’orthodoxie médicale, qui rappelle ce que nous avons pu observer dans le cas du sida à travers la mobilisation de l’association Positifs (Janine Barbot, « How to Build an Active Patient ? The Work of Aids Associations in France », Social Science & Medicine, 62 (3), 2006, p. 538-551).
-
[66]
On trouve également dans la littérature juridique et médicale quelques textes qui proposent de mettre en œuvre un protocole de soins particulier pour les Témoins de Jéhovah, au terme duquel les médecins se trouveraient déchargés de toute responsabilité devant les tribunaux, s’ils acceptaient de respecter – quoi qu’il arrive – leur volonté. Gérard Janvier et Sophie Gromb (« Transfusion et Témoin de Jéhovah », <http:// www. chu-rouen. fr/ actes/ temoinJOR. htm>) proposent aux médecins un formulaire-type de refus de transfusion, qu’ils leur conseillent de soumettre au comité d’éthique de leur établissement, avant de l’adapter à chaque malade, pour « qu’il ne puisse être taxé de décharge de routine ». Le formulaire précise notamment que le malade comprend qu’il s’expose à un « risque de mort » en refusant la transfusion de produits sanguins et qu’il accepte ce risque.
-
[67]
Voir notamment aux États-Unis : Timothy Marjoribanks, Mary-Jo Delvecchio Good, Ann-G. Lawthers, Lynn M. Peterson, « Physicians’ Discourses on Malpractice and the Meaning of Medical Malpractice », Journal of Health & Social Behavior, 37, 1996, p. 163-178.
-
[68]
Voir notamment Yann Faure, « L’anesthésie française entre reconnaissance et stigmates », Actes de la recherche en sciences sociales, 156-157, 2005, p. 98-114.
-
[69]
Cette domination tirait aussi parti de l’ancienne architecture des installations hospitalières caractérisée par le système pavillonnaire et le rattachement des blocs opératoires aux unités de soins, renforçant le pouvoir des chefs de service. Pour des raisons techniques et financières, cette configuration spatiale et politique a été délaissée au bénéfice des plates-formes centrales de blocs dont l’organisation est détachée des services et qui constituent potentiellement un véritable « fief » pour les DAR.
-
[70]
Geneviève Barrier, Hélène Fabre, L’anesthésiste-réanimateur face aux juges, Paris, Ellipses, 1998.
-
[71]
Monsieur Farçat, âgé d’une vingtaine d’année, est décédé d’un arrêt cardiaque quelques minutes après une opération des amygdales. Il avait été laissé seul dans sa chambre par l’infirmière, et le chirurgien et l’anesthésiste avaient quitté la clinique.
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[72]
Les procès étaient alors critiqués en raison de la mauvaise publicité qui était ainsi donnée à la profession, et à la manière dont celle-là risquait d’éroder la confiance que les malades accordaient aux médecins, confiance pensée comme l’un des piliers de l’activité médicale.
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[73]
Pour une analyse plus détaillée de la trilogie charlatans/déviants/malchanceux : voir Janine Barbot, Emmanuelle Fillion, « La "médecine défensive"… », art. cité.
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[74]
Ce traitement de l’aléa thérapeutique et de la faute technique du médecin peut surprendre, au premier abord. Mais les médecins développent à ce sujet des conceptions assez semblables à celles observées par Charles Bosk (Forgive and Remember. Managing Medical Failure, Chicago, University of Chicago Press, 1979) qui distinguait faute morale et faute technique.
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[75]
Le droit commun est réservé, pour les médecins, aux voleurs et aux personnes malintentionnées agissant dans l’intention de nuire. Souvent, aucune distinction n’est faite entre les juridictions civiles, administratives ou pénales. La question centrale est l’atteinte à la moralité personnelle et professionnelle que constitue le procès.
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[76]
Le communiqué de presse du CNGOF, en date du 12 septembre 2002, mentionne qu’« une récente étude américaine montre que le risque de décès maternel est multiplié par 44 chez les femmes Témoins de Jéhovah en l’absence de transfusion. Les gynécologues-obstétriciens français ne veulent pas être complices de cette forme d’euthanasie passive ». L’étude en question est celle de Angelica K. Singla, Robert H. Lapinski, Richard L. Berkowitz, Carl J. Saphier, « Are Women Who are Jehovah’s Witnesses at Risk of Maternal Death ? », American Journal of Obstetrics and Gynecology, 185 (4), 2001, p. 893-895.
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[77]
André Lienhart, chef du DAR du CHU Saint-Antoine, expert judiciaire auprès des tribunaux et responsable du groupe contentieux de la SFAR, a écrit plusieurs articles sur le sujet : « Transfusion sans consentement en cas d’urgence vitale : données récentes » (7 septembre 2002, document en ligne) ; « Refus de soins et urgence vitale : un conflit entre la finalité de l’exercice médical et l’obligation de respecter la volonté des personnes », Annales françaises d’anesthésie et de réanimation, 19, 2000, p. 42-44.
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[78]
Ce travail a bénéficié d’un soutien de la MiRe-DREES et de l’ANR, dans le cadre de programmes de recherche sur l’impact des procès sur les pratiques professionnelles de santé et sur les débats relatifs à la réparation des préjudices liés à l’activité médicale.