Couverture de RFSP_573

Article de revue

L'(in)décision électorale et la temporalité du vote

Le moment du choix pour le premier tour de l'élection présidentielle 2007

Pages 293 à 314

Notes

  • [1]
    Cette typologie descriptive ne préjuge pas que l’ancienneté du choix impliquerait une cohérence entre préférences de long terme et intention de vote en 2007, ni que les électeurs qui se décident en cours de campagne le sont forcément à l’encontre de positions politiques de long terme.
  • [2]
    Données CSA-Cisco pour Le Parisien-Aujourd’hui en France, obtenues par cumul de différentes enquêtes réalisées selon la méthode des quotas. 3 587 personnes âgées de 18 ans et plus et inscrites sur les listes électorales ont été interrogées par téléphone du 28 février au 29 mars 2007. L’évolution de l’indécision pendant ces quatre semaines n’est pas précisée.
  • [3]
    Il a été pointé que « cette notion fait rarement l’objet d’une définition rigoureuse ou d’un comptage très précis » et qu’il existe « quatre manières au moins de définir les indécis : les électeurs qui n’ont pas encore pris leur décision, ceux qui ne répondent pas à la question des intentions de vote, ceux qui hésitent entre plusieurs candidats, ceux, enfin, qui indiquent qu’ils peuvent encore changer d’avis » (Jérôme Jaffré, « Indécis », dans Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 518-520). Cette grille d’analyse diffère un peu de la nôtre, car nous considérons que ne pas répondre à la question d’intention de vote peut alternativement témoigner de la volonté de préserver le secret du vote, y compris de la part d’électeurs déterminés et ayant effectué tôt leur choix. A contrario, il nous paraît important de prendre également en compte les électeurs qui ne sont pas certains d’aller voter.
  • [4]
    Par exemple la SOFRES, dans une série pour Le Figaro/RTL/LCI, demandait si les interviewés étaient sûrs de leur choix ou pouvaient encore changer d’avis. Cette dernière catégorie a régulièrement diminué, passant d’un peu plus de 45 % à l’automne 2006 à un peu plus de 30 % courant avril, ce qui indique tout de même que plus de 50 % des personnes interrogées se disaient sûres de leur choix six mois avant le premier tour ! Dans les trois dernières enquêtes (réalisées les 11-12, 16-17 et 18-19 avril), une question supplémentaire explorait « plus précisément » la situation d’(in)décision avec pour items de réponse : « Vous avez fait votre choix et vous n’en changerez pas / Vous avez une nette préférence pour un candidat, mais vous hésitez encore / Vous hésitez vraiment entre deux ou trois candidats / À ce jour, vous ne savez absolument pas pour qui vous allez voter ».
  • [5]
    Pour une présentation théorique du concept de « party utility » et un exemple empirique de l’usage de telles « probabilités de vote », voir Jean Tillie, Party Utility and Voting Behavior, Amsterdam, Het Spinhuis, 1995. Voir également les travaux de Cees van der Eijk, qui a beaucoup promu ce type de mesure dans les enquêtes « European Election Studies », notamment Cees van der Eijk, Mark Franklin (eds), Choosing Europe ? The European Electorate and National Politics in the Face of the Union, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1996. L’approche en termes « d’espace des possibles » des votes s’est récemment développée en France. Voir par exemple : Vincent Tiberj, « Le système partisan comme espace des possibles : le tournant cognitiviste dans l’étude du lien partisan », dans Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 287-319. Dans les enquêtes conduites par le Cevipof en 2007, les indicateurs de « probabilités de vote », et de « votes possibles » multiples ont été introduits pour la première fois en France.
  • [6]
    Par exemple, cela permet de vérifier si le moment du choix a un lien statistiquement significatif avec le nombre de votes potentiels. « L’espace des votes possibles » n’étant pas constitutif de notre définition de l’incertitude électorale, il pourra contribuer à l’éclairer.
  • [7]
    Les données pour 1988 et 1995 ont déjà été présentées par Jérôme Jaffré et Jean Chiche dans leur chapitre « Mobilité, volatilité, perplexité », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 285-325. Le léger décalage entre leur tableau et le nôtre est dû au fait qu’ils ont conservé les « sans réponse » dans leur analyse.
  • [8]
    Pour être précis, les résultats de 2002 reposent sur la vague post-présidentielle du Panel électoral français 2002, au cours de laquelle étaient interrogés à la fois des panélistes stricto sensu (qui avaient été interviewés une première fois lors de la vague pré-électorale) et de nouveaux interviewés destinés à « compléter » les panélistes afin qu’ils forment ensemble un échantillon représentatif des électeurs français. Vérification faite, il n’y a pas de différence significative quant au moment déclaré du choix entre ces deux sous-groupes pourtant sociologiquement complémentaires, donc différents en termes d’âge, de sexe et de CSP.
  • [9]
    Parmi les nombreux travaux disponibles sur ces questions, voir Gregory Markus, « Stability and Change in Political Attitudes : Observed, Recalled and Explained », Political Behavior, 8, 1986, p. 21-44 ; Barbara Anderson, Brian Silver, « Measurement and Mismeasurement of the Validity of the Self-Reported Vote », American Journal of Political Science, 30, 1986, p. 771-785. On peut également revenir vers les travaux de Hilde Himmelweit, dont Hilde Himmelweit, Marianne Jaeger Biberian, Janet Stockdale, « Memory for Past Vote : Implications of a Study of Bias Recall », British Journal of Political Science, 8, 1978, p. 365-384.
  • [10]
    Elisabeth Plumb, « Validation of Voter Recall : Time of Electoral Decision Making », Political Behavior, 50, 1986, p. 301-312.
  • [11]
    Steven Chaffee, Rajiv Nath Rimal, « Time of Vote Decision and Openness to Persuasion », dans Diana Mutz, Paul Sniderman, Richard Brody (eds.), Political Persuasion and Attitude Change, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1996, p. 267-291.
  • [12]
    Cf. Patrick Fournier, Richard Nadeau, André Blais, Elisabeth Gidengil, Neil Nevitte, « Validation of Time-of-Voting-Decision Recall », Public Opinion Quarterly, 65 (1), 2001, p. 95-107.
  • [13]
    Dans la vague pré-présidentielle, on a demandé aux enquêtés s’ils avaient pris leur décision « depuis longtemps », « récemment » ou bien si « leur choix n’était pas encore vraiment fait ». Dans la vague post-présidentielle, on a demandé à tous, y compris les panélistes, si leur choix du premier tour avait été fait « longtemps à l’avance », « pendant la campagne » ou bien s’ils avaient « hésité jusqu’au dernier moment ».
  • [14]
    Nous avons considéré comme cohérents, en appliquant un critère strict, les couples de réponses « depuis longtemps / longtemps à l’avance », « récemment / pendant la campagne » et « choix pas encore vraiment fait / hésité jusqu’au dernier moment ». Mais il serait tout à fait possible pour un panéliste de répondre en vague 1 que son choix n’est pas encore vraiment fait et en vague 2 qu’il s’est décidé pendant la campagne sans être incohérent, s’il s’est réellement décidé après la première interview sans pour autant hésiter jusqu’au jour du vote. Donc 60 % de cohérence calculée ici sur l’ensemble des panélistes constitue une estimation conservatrice.
  • [15]
    PEF (2007), Cevipof-Ministère de l’Intérieur, Vague 1, « Enquête pré-électorale présidentielle 2007 ». Cette enquête a été menée par l’IFOP, qui a réalisé 4 004 interviews en face-à-face au domicile des personnes interrogées, sélectionnées par quotas et représentatives de la population des Français de 18 ans et plus inscrits sur les listes électorales. Les données seront déposées au Centre de données de Sciences Po. Nous remercions chaleureusement Viviane Le Hay pour son implication dans ce lourd dispositif et son rôle décisif pour la qualité et la disponibilité rapide des données.
  • [16]
    Parmi de nombreuses références : Daniel Boy, Nonna Mayer, « Les variables lourdes en sociologie électorale : état des controverses », Enquêtes, 5, janvier-juin 1997, p. 109-122 ; Pascal Perrineau, « Modèles d’explication du vote », dans Dictionnaire du vote, op. cit., p. 638-644 ; Loïc Blondiaux, « Mort et résurrection de l’électeur rationnel. Les métamorphoses d’une problématique incertaine », Revue française de science politique, 46 (5), octobre 1996, p. 753-791.
  • [17]
    Voir Anne Jadot, « Mobilité, rationalité ? Une exploration des itinéraires électoraux, 1973-1997 », dans Pierre Bréchon, Annie Laurent, Pascal Perrineau (dir.), Les cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 377-400.
  • [18]
    Voir Paul Lazarsfeld, Bernard Berelson, Hazel Gaudet, The People’s Choice : How the Voter Makes Up his Mind in a Presidential Campaign, New York, Columbia University Press, 1944.
  • [19]
    Voir Angus Campbell, Philip Converse, Warren Miller, Donald Stokes, The American Voter, New York, Wiley, 1960. Voir également la notice que consacre Daniel Gaxie à ce paradigme, dans Dictionnaire du vote, op. cit., p. 629-632.
  • [20]
    Un pionnier de ce courant d’analyse est l’ouvrage de Vladimir O. Key, The Responsible Electorate : Rationality in Presidential Voting, 1936-1960, Cambridge, Harvard University Press, 1966.
  • [21]
    Pour approfondir le thème de l’économie et du vote, voir Marie Servais, « Les modèles économétriques du vote », dans Nonna Mayer (dir.), Les modèles explicatifs du vote, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 133-153 ; Michael Lewis-Beck, « Le vote du “porte-monnaie” en question », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, op. cit., p. 239-261 ; Philippe Merle, « L’homo politicus est-il un homo œconomicus ? », Revue française de science politique, 40 (1), février 1990, p. 64-80 ; André Bernard, « La conjoncture économique et le vote : une relation ambiguë », Revue française de sociologie, 38 (2), 1997, p. 245-264 ; Raymond Duch, « Heterogeneity in Perceptions of National Economic Conditions », American Journal of Political Science, 44 (4), 2000, p. 635-652.
  • [22]
    Pour plus de détails, voir Pierre Bréchon, « Vote sur enjeux », dans Dictionnaire du vote, op. cit., p. 411-413.
  • [23]
    Titre d’un ouvrage clé de ce courant d’analyse : Norman Nie, Sidney Verba, John Petrocik, The Changing American Voter, Cambridge, Harvard University Press, 1976.
  • [24]
    Philippe Habert, Alain Lancelot, « L’émergence d’un nouvel électeur », dans « Élections législatives 1988 », Le Figaro, juin 1988. Voir également Daniel Boy, Élisabeth Dupoirier, « L’électeur est-il stratège ? », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur français en questions, Paris, Presses de Sciences Po, 1990, p. 175-196.
  • [25]
    Nous n’avons pas cherché à (in)valider un modèle explicatif, par exemple pour prédire le fait d’être dans telle ou telle catégorie du moment du choix. Nous n’avons donc pas recours à une analyse de régression qui estimerait l’impact d’une variable en contrôlant simultanément l’influence des autres variables explicatives. De simples tableaux croisés (parfois d’ordre trois, pour contrôle) sont donc au fondement des paragraphes qui suivent, mais nous avons tout de même eu recours à un test d’association, en l’occurrence le coefficient V de Cramer, afin de vérifier que les relations mises à jour et commentées ici sont statistiquement significatives.
  • [26]
    Par exemple, dans le commentaire déjà cité accompagnant les données de l’enquête CSA, les couches populaires et les ouvriers sont identifiés comme nettement plus souvent hésitants que la moyenne.
  • [27]
    En particulier, le chapitre déjà cité de Jérôme Jaffré et Jean Chiche, dans lequel ils dressent notamment un portrait des « volatils » et des « perplexes » à partir des données Cevipof de 1995 : cf. Jérôme Jaffré, Jean Chiche, « Mobilité, volatilité, perplexité », cité.
  • [28]
    Cette caractéristique est encore plus marquée quand on analyse rétrospectivement le moment du choix, à partir de l’enquête post-électorale 2007 du Cevipof distincte du Panel électoral français, déjà citée.
  • [29]
    Sur ce thème, voir les travaux d’Anne Muxel, en particulier « Les choix politiques des jeunes à l’épreuve du temps : une enquête longitudinale », Revue française de science politique, 51 (3), juin 2001, p. 409-430 ; et L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de Sciences Po, 2001.
  • [30]
    À travers le rejet ou l’approbation (de « tout à fait » à « pas du tout d’accord ») d’une phrase selon laquelle « la politique, ce sont des choses trop compliquées et il faut être un spécialiste pour les comprendre ».
  • [31]
    « L’héritage » politique est construit à partir des positions en termes de gauche et de droite attribuées à son père et à sa mère par chaque répondant, le ninisme étant traité de la même façon que l’absence de réponse. Sur les indicateurs alternatifs et plus complexes de « filiation », voir Jérôme Jaffré, Anne Muxel, « Les repères politiques », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, op. cit., p. 67-100.
  • [32]
    Rappelons que les données de la vague 1 du PEF 2007, recueillies avant le premier tour, sont ici pondérées afin que l’échantillon corresponde bien au profil socio-démographique de l’électorat français et soit « calé » sur les résultats réels du 22 avril 2007, même s’ils sont postérieurs au terrain d’enquête.
  • [33]
    Pour de plus amples développements, voir le rapport que nous avons rédigé sur le thème du moment du choix, disponible sur le site du Cevipof, dont le présent article est une très large reprise. Ce premier texte avait été rédigé pendant l’entre-deux tours, donc à un moment où il était, par exemple, encore important de mesurer si, entre les deux finalistes, les intentions de vote étaient ancrées depuis longtemps ou si, au contraire, les lignes pouvaient encore bouger. Cf. <http://www.cevipof.msh-paris.fr/PEF/2007/V1/rapports/MomentDuChoix_BC-AJ.pdf>.
  • [34]
    Au sens propre, puisque la vague pré-électorale du PEF 2007 a tiré parti du mode d’interview en face-à-face en recueillant les intentions de vote grâce à une fausse urne : chaque répondant disposait d’une enveloppe et d’un jeu de bulletins reprenant l’ensemble des candidats officiels et était invité à « voter » dans la fausse urne. Ce procédé assure au maximum le secret du choix, qui n’a pas à être déclaré à l’enquêteur.
  • [35]
    Là encore, nous nous permettons de renvoyer à notre rapport du mois d’avril (cf. note 2 ci-dessus).
  • [36]
    PEF (2007), Cevipof-Ministère de l’Intérieur, Vague 2, « Enquête post-électorale présidentielle 2007 ». Pour rappel, cet échantillon est complètement séparé de celui qui est interrogé pour le PEF.
  • [37]
    Il y a des analyses intéressantes aux États-Unis, par exemple pendant le processus des primaires qui sert à désigner les candidats des deux grands partis, lequel s’étale sur plusieurs mois. Une étude telle que celle menée en 2000 par l’équipe de l’Annenberg American Electoral Study, avec un design d’enquête qui applique le « rolling section » à plusieurs milliers d’électeurs, est particulièrement propice pour saisir ces mouvements d’opinion : les mêmes candidats sont en lice à plusieurs reprises les uns contre les autres, mais le contexte de ces élections successives évolue pendant ce processus, par la stratégie de communication et leurs chances respectives. Voir Michael Hagen, Richard Johnston, Kathleen Hall Jamieson, « Dynamics of the 2000 Campaign : Evidence from the Annenberg Survey », communication à la conférence annuelle de l’American Association for Public Opinion Research, 2001.
  • [38]
    Cette approche fera d’ailleurs l’objet d’une table ronde au prochain congrès de l’AFSP (Toulouse, 5-7 septembre 2007), co-dirigée par Bruno Cautrès et Pascal Perrineau.
  • [39]
    Pour une synthèse de langue française, voir Jacques Gerstlé, La communication politique, Paris, Armand Colin, 2003. Cf. également Thomas Holbrook, Do Campaigns Matter ?, Thousand Oaks, Sage, 1996.

1L’indécision de l’électorat est un thème récurrent dans la couverture médiatique des campagnes électorales françaises et 2007 n’a pas échappé à cette tendance. De plus en plus d’électeurs sont présumés opérer tardivement leur choix, et même jusque dans l’isoloir, le jour du scrutin. Dans un premier temps, nous proposons une réflexion théorique et méthodologique autour du concept d’indécision électorale, y compris un retour critique des différentes manières de mesurer le degré de décision des électeurs potentiels, dans les sondages d’opinion et dans les dispositifs d’enquêtes universitaires. Retenant l’ancienneté du choix comme indicateur pertinent, ce qui permet d’englober dans l’analyse ceux qui se décident tôt ou pendant la campagne, nous analysons brièvement des données post-électorales du Cevipof depuis 1988. Ensuite, nous nous appuyons surtout sur le Panel électoral français 2007, dont la première vague, réalisée avant le premier tour du 22 avril, permet de saisir le processus de décision pendant qu’il se déroule encore. Et la comparaison terme à terme avec le Panel électoral français 2002 permet de relativiser certains lieux communs sur la volatilité et la fluidité supposée de l’électorat, même s’il est vrai que plus d’électeurs qu’auparavant se sont, cette année, décidés pendant le temps de la campagne.

2Dans un deuxième temps, nous dressons le portrait de trois groupes d’électeurs définis par l’ancienneté de leur choix : les « convaincus » de longue date, ceux qui ont été « conquis » récemment par un candidat et ceux qui restent « circonspects » de façon tardive dans la campagne électorale présidentielle [1]. Par rapport aux grands paradigmes explicatifs du vote, se pose la question de savoir si les électeurs qui se déterminent (très) tardivement dans une campagne tendent à être des stratèges calibrant leur choix en fonction de leurs anticipations des résultats et souhaits de victoire finale ou, au contraire, des perplexes, un peu distants du jeu politique, qui ont du mal à se déterminer face à une offre électorale nombreuse. Pour y répondre, ces trois groupes sont analysés successivement sous plusieurs angles :

  • Leur profil démographique et socio-économique, ce qui permet de montrer qu’il existe peu d’inégalités sociologiques vis-à-vis du processus de décision électorale, la principale étant l’âge ;
  • Leur niveau de politisation et leurs prises de position de long terme dans l’espace idéologique et partisan, pour vérifier qu’un ancrage politique favorise une prise de décision relativement tôt dans une campagne et montrer en quoi se différencient les conquis et les circonspects ;
  • Leurs attitudes politiques de plus court terme vis-à-vis des candidats et de la campagne présidentielle permettent de montrer que le niveau de l’(in)décision électorale est lié à la manière d’évaluer l’offre, mais aussi de suivre l’élection, les plus indécis ne s’avérant pas être les plus assidus. Cela est assez logique au regard de leurs prédispositions politiques, mais ne les aide pas à opérer leur choix, l’indécision étant d’ailleurs en 2007 et de façon écrasante une hésitation entre plusieurs candidats.
Dans un troisième temps, plus étroitement lié à l’événement, nous éclairons le contenu du vote en fonction du moment du choix, afin de mettre à jour les dynamiques politiques de la campagne présidentielle 2007. Autrement dit, nous vérifions quels sont les candidats profitant de votes décidés précocement et, au contraire, qui sont les bénéficiaires de prises de décision durant la campagne. De plus, le rythme de la prise de décision semble lié aux motivations du choix, c’est-à-dire aux raisons principales avancées pour rendre compte d’un vote. Cela serait même une tendance lourde depuis 1988, donc indépendamment de l’élection considérée, des candidats et des évolutions dans les intentions de vote. Tout cela nous permet de proposer en conclusion une réflexion sur l’importance pour la sociologie électorale d’appréhender le processus de la décision plutôt que son seul résultat. Le moment du choix est donc une clé de lecture très pertinente, qui complète les explications portant directement sur le contenu du vote. C’est un moyen de prendre en compte l’hétérogénéité de l’électorat, dans son mécanisme de prise de décision et son approche de l’élection, mais aussi l’hétérogénéité des électorats tels qu’ils sont définis par le contenu du vote.

La mesure de l’(in)décision électorale : un enjeu méthodologique fort

3Le thème de l’indécision électorale a beaucoup été mis en avant à la fin de la campagne présidentielle 2007. Pour prendre un exemple parmi d’autres, Le Parisien du 8 avril, à deux semaines du premier tour [2], publie des données de l’institut CSA selon lesquelles 42 % des électeurs n’ont pas encore fait leur choix (dont un cinquième susceptibles de s’abstenir in fine), chiffre abondamment repris ensuite par les autres médias. Certes, une interview d’accompagnement suggère qu’un tel pourcentage d’indécis à deux semaines d’un premier tour est « normal », quoique « légèrement supérieur à celui des dernières présidentielles ». Mais l’information reste d’autant plus frappante que, d’une part, sont mélangés les électeurs pas certains d’aller voter et ceux indiquant pouvoir changer d’avis et que, d’autre part, le pourcentage est rapporté à l’ensemble de la population électorale (titre de Une : « Présidentielle : 18 millions d’indécis »). Par contraste, une approche scientifique de l’indécision électorale implique en premier lieu un effort de définition, car la mesure même du phénomène en dépend. L’indécision électorale est en effet un concept un peu flou, qui peut recouvrir plusieurs acceptions [3]. La plus intuitive et la plus large, sans doute, est l’absence de fermeté du choix parmi les électeurs exprimant une intention de vote. Une seconde interprétation, plus restrictive, renvoie à une cristallisation tardive du choix. Une telle incertitude prolongée peut être le fait des électeurs qui ne sont pas sûrs d’aller voter ou de ceux qui fixent tard leur choix parce qu’ils hésitent entre plusieurs options.

4Selon l’acception retenue et selon que le terrain d’enquête est réalisé avant ou après l’élection, l’opérationalisation de l’indécision électorale peut varier dans le cadre d’une enquête par sondage, qui peut :

  • recueillir à la fois une intention de participer et son degré de certitude, afin d’identifier les électeurs potentiels qui hésitent entre aller voter et s’abstenir ;
  • recueillir à la fois une intention de vote et une précision sur le fait que ce choix est définitif ou bien, au contraire, susceptible d’évoluer [4] ;
  • recueillir une seconde intention de vote, en demandant par exemple s’il y a un autre candidat pour lequel les électeurs envisagent sérieusement de voter et, si oui, lequel ; au-delà d’une analyse politique des différentes options entre lesquelles les électeurs hésitent, le refus d’émettre un « second choix » est une indication indirecte mais intéressante de la fermeté du premier choix ;
  • proposer la liste de tous les candidats et enregistrer autant de « votes potentiels » que les électeurs interrogés choisissent d’en émettre. L’indécision électorale va alors croissant avec le nombre de choix cités. À partir d’une telle question, on peut également opposer de façon binaire les électeurs déterminés et ceux qui hésitent, selon qu’ils indiquent un seul vote possible ou plusieurs choix, quel que soit leur nombre ;
  • interroger sur le moment de la décision électorale, en offrant une option de réponse équivalant à un choix pas encore définitivement arrêté (interrogation pré-électorale) ou à une hésitation qui s’est prolongée très tard (interrogation post-électorale). Plus le choix est effectué tôt, plus l’indécision électorale est considérée comme faible, et inversement.
Les deux premières questions sont souvent posées par les instituts de sondage, car elles permettent de moduler le calcul des intentions de vote en prenant en compte seulement ceux qui se déclarent sûrs d’aller voter et/ou ceux qui se disent certains de leur choix. Quant aux questions sur les choix multiples, qui définissent ce qu’on appelle parfois « l’espace des possibles » des électeurs, il s’agit plutôt d’une approche universitaire, par laquelle des chercheurs visent à comprendre le processus d’arbitrage entre plusieurs options [5]. Dans le présent article, la mesure par le moment du choix que nous avons retenue se justifie pour plusieurs raisons. D’abord, un tel indicateur permet d’inclure dans l’indécision à la fois ceux qui ne sont pas sûrs d’aller voter et ceux qui hésitent entre plusieurs candidats. Cela évite de limiter a priori et d’un point de vue théorique l’indécision électorale à l’une ou l’autre de ces situations, quitte à vérifier ensuite empiriquement s’il y a des différences entre ces deux sous-catégories [6]. Ensuite, cette approche par le moment du choix conduit non pas à une opposition binaire entre les électeurs décidés et les indécis, mais à une gradation ternaire, le long d’un continuum, ce qui permet d’affiner l’analyse. Il y a ainsi les électeurs qui se décident longtemps à l’avance, ceux qui arrêtent leur choix pendant la campagne électorale et enfin ceux qui hésitent jusqu’au dernier moment. Ces trois stades de la décision témoignent d’une diversité du rapport au choix électoral qui mérite d’être éclairée, plutôt que d’analyser les seuls hésitants. Cette mesure oriente donc l’analyse vers le processus de construction du choix, ce qui est une question de recherche importante, selon nous. Ce faisant, elle laisse de côté une interrogation qui présente un enjeu plus médiatique, éventuellement politique, pendant une campagne : les indécis sont-ils assez nombreux pour faire basculer l’issue du scrutin ou bien les jeux sont-ils faits à l’avance ? Enfin, cette question sur le moment du choix présente un avantage empirique important : elle a été systématiquement posée dans une série désormais longue d’enquêtes réalisées pour le Cevipof, à l’occasion des quatre dernières élections présidentielles [7]. En effet, chacune de ces enquêtes post-électorales a interrogé des échantillons représentatifs d’environ 4 000 personnes sur le moment de leur choix pour le premier tour, exactement dans les mêmes termes et avec les mêmes options de réponse (seul le mode de recueil a évolué : en face-à-face dans les deux premiers cas, par téléphone dans les deux derniers). Cela aide à mettre en perspective le niveau d’indécision électorale constaté en 2007.

Tableau 1

Moment du choix pour le 1er tour présidentiel (mesure rétrospective) [8]

Tableau 1
1988 1995 2002 2007 100 % 100 % 100 % 100 % Longtemps à l’avance 80,5 56 58 51 Pendant la campagne 8,5 22 21 27 Hésitation jusqu’au dernier moment 11 22 21 22 Données : enquêtes post-électorales du Cevipof, pondérées sur critères socio-démographiques et sur les résultats réels des élections.

Moment du choix pour le 1er tour présidentiel (mesure rétrospective) [8]

5Il ressort de ces données du Cevipof que l’élection présidentielle de 1988 est un cas à part : dans le contexte de la fin de la première cohabitation entre F. Mitterrand et J. Chirac, le président sortant avait dominé de bout en bout la campagne, bien que se déclarant candidat assez tardivement. Pressenti vainqueur d’après toutes les enquêtes d’intention de vote, il avait recueilli 34 % des voix dès le premier tour et avait été confortablement réélu au second. Dans ce contexte, l’électorat était donc très massivement fixé tôt sur ce qu’il allait faire. Cette élection de 1988 mise à part, il y a, de façon stable pour les trois scrutins suivants, environ un électeur sur cinq qui indique avoir hésité « jusqu’au dernier moment ». La cristallisation très tardive du vote, avec des choix éventuellement effectués le jour même du scrutin, dans l’isoloir, n’est donc pas en hausse en 2007, même si elle continue à toucher une minorité non négligeable d’électeurs. En revanche, l’élection présidentielle de 2007 voit « seulement » un électeur sur deux déclarer s’être décidé longtemps à l’avance, soit un recul de respectivement cinq et sept points par rapport à 1995 et à 2002. Il y a donc plus d’un électeur sur quatre qui déclare avoir effectué son choix pendant cette campagne présidentielle, ce qui est un niveau élevé et inédit, supérieur de cinq points à 1995, scrutin où, pourtant, la désignation tardive de L. Jospin par le PS et la concurrence interne au RPR entre J. Chirac et E. Balladur avait contribué à une campagne à rebondissements. Peut-être est-ce lié au fait qu’en 2007, plusieurs candidats à la présidence, et non des moindres, l’étaient pour la première fois ? Ou bien est-ce une conséquence du renouvellement de l’offre électorale, entendu à la fois dans une acception générationnelle et par le fait que ni le président de la République sortant, ni le Premier ministre en exercice n’étaient candidats ? Par ailleurs, on note que l’évolution des intentions de vote en faveur de F. Bayrou, avec une forte amplitude sur une période assez courte – du moins telle que les sondages publiés l’ont retracée – est congruente avec ce niveau inédit d’électeurs déclarant s’être décidés pendant la campagne.

6Si cette longue série sur le moment du choix présidentiel est intéressante, elle ne dispense évidemment pas de s’interroger sur la validité et la fiabilité de cet indicateur. Autrement dit, les électeurs sont-ils de bons juges du moment où leur choix final s’est fixé ? C’est particulièrement important dans le cadre d’enquêtes post-électorales, quand on interroge des électeurs sur leur choix du premier tour alors qu’ils connaissent déjà l’issue de l’élection. De plus, l’appréciation d’une décision prise en cours de campagne peut relever d’une datation assez variable d’un individu à l’autre : cela renvoie-t-il à la période (plus ou moins longue selon les élections) de pré-campagne, à l’annonce des candidatures, au moment où les principaux candidats sont investis par leur parti respectif ou bien aux quelques semaines qui précèdent le vote, voire à la seule campagne officielle ? Au titre des problèmes qui pourraient théoriquement biaiser une telle mesure, on peut noter la tendance à la reconstruction rétrospective erronée des itinéraires de vote, mais aussi les effets d’une « désirabilité sociale » sur les réponses [9]. En matière de moment du choix, de tels effets pourraient inciter une partie des électeurs à vouloir apparaître comme moins hésitants. Mais d’autres électeurs pourraient, au contraire, souhaiter manifester qu’ils ont hésité jusqu’au dernier moment, se conformant à une vision normative de citoyens à l’écoute des candidats et de leurs programmes, comparant sérieusement les propositions avant de choisir pour qui voter. Il est impossible de trancher théoriquement lequel des deux effets pourrait être le plus marqué. Empiriquement, quelques travaux nord-américains se sont attachés à vérifier la fiabilité de la mesure du moment du choix quand les données s’y prêtaient. En l’occurrence, ils disposaient d’un panel avec plusieurs vagues pré-électorales et au moins une vague post-électorale au cours de laquelle les enquêtés évaluaient rétrospectivement le moment de leur choix. Ces réponses ont été analysées et confrontées aux évolutions des intentions de vote enregistrées avant l’élection et au moment où celles-ci se sont effectivement stabilisées. Leurs résultats divergent : une étude recourant aux American National Election Studies de 1980 montre une relativement faible cohérence entre le moment déclaré du choix électoral et le moment à partir duquel les intentions de vote se stabilisent, de l’ordre de 40 % [10]. Steven Chaffee et Rajiv Rimal ont calculé, eux, cette cohérence à 58 %, à partir de données recueillies en Californie en 1992 [11]. Plus récemment, les travaux conduits sur les élections canadiennes par André Blais et son équipe tendent à montrer, contrairement au cas américain, que les déclarations rétrospectives sur le moment du choix constituent des mesures très fiables et bien corrélées avec la fermeté du choix électoral [12]. En France, il serait impossible de répliquer une telle analyse, faute d’un panel avec plusieurs vagues pré-électorales. Seul le Panel électoral français de 2002 permet une mesure approximative, puisque le moment du choix pour le premier tour y avait été posé à la fois avant et après l’élection présidentielle à 1 822 personnes ayant participé aux deux premières vagues, toutefois sans correspondance parfaite quant aux trois items de réponse proposés, lesquels étaient chaque fois adaptés au moment de l’interview[13]. Nous avons ainsi pu calculer que 60 % des panélistes donnaient deux réponses entièrement cohérentes [14], ce qui donne de l’intérêt à cette mesure.

7De cette discussion sur la validité de la mesure du moment du choix, nous retenons surtout le grand intérêt que représente une enquête qui débute avant l’élection, c’est-à-dire qui permet d’interroger sur le moment de la décision électorale précisément alors qu’elle se cristallise encore pour une partie des interviewés, et sans que la connaissance des résultats finaux puisse influencer les réponses. Un tel dispositif a été mis en œuvre dans le Panel électoral français de 2002, puis dans celui de 2007, la même question sur le moment du choix étant chaque fois incluse, avec pour items de réponse : « Votre choix est fait depuis longtemps », « Vous vous êtes décidé(e) récemment », ou « Votre choix n’est pas encore vraiment fait ». Cela donne un point de comparaison intéressant, bien que limité à deux cas. Dans la suite de cet article, nous travaillons donc sur la première vague du Panel électoral français 2007, laquelle a lieu du 29 mars au 21 avril [15].

8Dans les trois semaines précédant le 22 avril 2007, près de six électeurs interrogés sur dix déclarent avoir fait leur choix pour le premier tour « depuis longtemps » (58 %, soit + 5 points par rapport à 2002), un peu moins d’un cinquième disent s’être décidés « récemment » (18 %, - 1) et un quart considèrent que leur choix n’est « pas encore vraiment fait » (24 %, - 4). Dans les mêmes conditions d’enquête et avec le même indicateur qui saisit « en temps réel » le moment du choix, les électeurs semblent donc moins indécis en 2007 qu’en 2002. Nous pouvons faire l’hypothèse que joue ici une campagne qui a duré plus longtemps que la précédente. Il peut aussi y avoir eu un impact de la qualification de J.-M. Le Pen en 2002, laquelle a pu ancrer chez beaucoup d’électeurs et longtemps à l’avance l’idée de l’importance du premier tour, notamment pour émettre un « vote utile ». Cette idée est d’ailleurs convergente avec d’autres éléments du Panel électoral français 2007 qui pointent que la campagne a, cette fois, plus intéressé et mobilisé les électeurs. Surtout, la nature de l’hésitation a évolué entre les deux dernières élections présidentielles. À ceux qui déclarent n’avoir pas encore vraiment fait leur choix, il a en effet été demandé plus précisément entre quelles options ils hésitaient. Ne pas être sûr d’aller voter (hésiter entre un candidat et une abstention) est relativement minime en 2002 (8,5 %) et en 2007 (7,5 %). En revanche, il y a beaucoup moins de tentation d’un « non-choix » (hésiter entre un candidat et un vote blanc ou nul) en 2007 (14 %) qu’en 2002 (24,5 %). C’est parce que l’hésitation entre plusieurs candidats, déjà très majoritaire en 2002, a encore progressé, passant de 67 à 78,5 %. Il semble donc que l’offre électorale soit nettement plus stimulante en 2007 et que le fort intérêt qu’elle a inspiré a conduit à de plus nombreuses décisions prises en cours de campagne, même si une part importante d’électeurs s’est décidée assez tôt.

9Un intérêt supplémentaire de la première vague du PEF (2007) est que le terrain, grâce à la publication anticipée de la liste officielle des candidats, est plus long : trois semaines et demi contre deux en 2002. Cela permet de vérifier si une cristallisation des choix s’est déroulée pendant le déroulement de l’enquête, par exemple avec le début de la campagne officielle. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons regroupé les personnes interrogées en deux sous-échantillons au profil similaire en fonction de la date d’interview : un peu plus de la moitié ont été interrogées entre le 29 mars et le 12 avril, un peu moins de la moitié du 13 au 21 avril, soit pendant la dernière semaine et jusqu’à la veille même du premier tour. Assez logiquement, confirmant d’ailleurs indirectement la validité de l’indicateur, la part des décidés de longue date reste stable entre ces deux périodes, alors que la part des électeurs récemment décidés augmente un peu (de 17 à 20 %) et celle des électeurs pas encore décidés recule d’autant (de 25 à 22 %). La différence entre le début et la fin de l’enquête, si elle est statistiquement significative, n’est donc pas massive. Le niveau global de décision était ainsi acquis plusieurs semaines avant le premier tour, même si une minorité d’électeurs a fait son choix pendant, voire à la toute fin de la campagne. Ce constat posé, reste à dévoiler les logiques de ce choix plus ou moins ancien ou tardif.

L’ancienneté du choix, une thématique qui interroge les modèles explicatifs du vote

10La question du moment du choix peut paraître de prime abord comme quelque peu périphérique par rapport à l’explication directe du contenu du vote. Mais, en prenant ainsi pour angle d’analyse l’(in)décision des électeurs, ce sont en fait toutes les grandes controverses de la sociologie électorale qui se trouvent en jeu. Dans ce qui suit, nous posons quelques rappels sur la temporalité du choix et l’importance réservée à la campagne et à ses effets dans les paradigmes classiques du vote. Il ne s’agit évidemment pas de proposer ici une relecture critique de travaux bien connus et qui ont été clairement présentés ailleurs [16]. Simplement, nous voulons montrer que le processus du vote abordé sous l’angle de la temporalité du choix est une manière transversale et pertinente d’examiner les différentes interprétations des comportements électoraux. Une démonstration assez proche a été proposée à propos de la mobilité électorale [17], puisque le fait de changer de choix d’une élection à la suivante est quasiment incompatible ou, au contraire, consubstantiel à certaines théories. D’une certaine façon, ne pas être certain de son choix, hésiter sérieusement entre plusieurs candidats, prendre sa décision pendant la campagne, voilà qui interroge avec plus d’acuité encore certains modèles explicatifs.

11Pour schématiser à grands traits, on peut tout d’abord distinguer les théories selon lesquelles les choix électoraux s’établissent bien en amont de la campagne, quasiment indépendamment de l’offre effective lors d’un scrutin donné (par exemple, aux États-Unis, avant que les candidats soient investis par les deux grands partis). L’étude pionnière de l’équipe de Paul Lazarsfeld [18] avait pourtant mis en place un dispositif précisément destiné à démêler l’influence respective des médias, des leaders d’opinion, des proches et de la campagne locale sur le vote. Il s’agissait de cerner les facteurs de court terme qui pouvaient aboutir à un changement par rapport à l’élection précédente ou par rapport à une intention exprimée au début de la campagne. Les résultats ont attesté plus de consolidations des préférences que de conversions lors de la campagne et, plus généralement, une forte stabilité des choix. Dans la majorité des cas, ceux-ci étaient en effet décidés très tôt en faveur des Démocrates ou des Républicains. Et la petite minorité d’électeurs faisant leur choix pendant la campagne étaient plutôt des hésitants convaincus par leur famille ou leurs amis de revenir au « bercail », c’est-à-dire de confirmer une orientation partisane traditionnelle, laquelle est fortement influencée par la position sociale. L’école de Columbia a ainsi mis en exergue le rôle des prédispositions politiques influencées par l’ancrage sociologique (notamment le statut socio-économique, la religion et le lieu de résidence) et qui conduisent nombre d’électeurs à voter comme ils ont toujours voté, et même comme leurs parents votaient avant eux. D’après le modèle de Michigan [19], les électeurs fixent également très tôt leur choix lors d’une élection présidentielle, mais cette fois sous l’influence de leur identification partisane, c’est-à-dire un attachement durable, généralement formé dès l’enfance et transmis par les parents, renforcé par le milieu social et professionnel à l’âge adulte. Fonctionnant comme un écran perceptif, l’identification partisane filtre la vision du monde des électeurs et colore leurs jugements sur les candidats et les enjeux. Elle fournit en quelque sorte des « lunettes partisanes » à une majorité d’électeurs peu informés et peu intéressés par les questions politiques. Ce paradigme minimaliste pose que la stabilité de l’identification partisane exerce un « effet plafond » sur l’influence éventuelle des facteurs de court terme et de la campagne électorale. Dans cette première grande approche, le vote est donc un comportement profondément orienté par des facteurs latents que la campagne ne ferait qu’activer. Les électeurs tardant – peinant ? – à faire leur choix pendant une campagne seraient en manque de repères, d’ancrages sociaux et/ou partisans, et ces électeurs « flottants » ou « hésitants » seraient politiquement apathiques.

12À l’encontre de ces analyses, des travaux ultérieurs se sont appuyés sur le constat d’une volatilité électorale croissante et l’ont expliquée par l’érosion du lien partisan et un « désalignement » entre groupes sociaux et clivages politiques. L’électorat y est cette fois présenté comme réactif, capable de produire à chaque scrutin un choix autonome et rationnel, notamment en évaluant le bilan des gouvernements sortants [20], ou à partir de son intérêt économique bien compris [21]. Avec la part croissante des électeurs indépendants, ce déclin du vote partisan a pour corollaire une montée en puissance du vote « sur enjeux » [22], c’est-à-dire selon les problèmes politiques saillants spécifiques à chaque élection, en fonction également des positions programmatiques des partis. Ce faisant, l’électeur est présenté comme beaucoup plus « changeant » [23]. Les électeurs sont conçus comme plus politisés, plus autonomes et moins prévisibles, plus susceptibles de forger tardivement leur choix, voire d’en changer facilement pendant la campagne électorale, en fonction notamment de facteurs de court terme tels que l’image des leaders et leurs stratégies de communication. Dans cette lignée, en France, un « nouvel électeur » a été décrit à la fin des années 1980 comme jeune, intéressé par la politique, éduqué, informé, en bref, apte à choisir de façon autonome son vote à chaque élection, selon l’offre politique développée pendant la campagne électorale et les enjeux saillants du moment [24]. Selon cette deuxième grande approche, un choix présidentiel tardif serait donc une décision volontaire et mûrement réfléchie, de la part d’électeurs intéressés et bien informés, ayant mis en balance les candidats et leurs programmes, voire recherché activement des informations (par exemple, des sondages d’intentions de vote) sur les chances respectives des candidats, afin d’adapter stratégiquement leur vote final à la configuration attendue du scrutin.

13Dans cet article, il ne s’agit pas d’arbitrer entre l’une ou l’autre de ces approches, surtout pas à l’aune de la seule question du moment du choix. Mais rapporter l’(in)décision électorale aux grands modèles explicatifs est important pour établir plusieurs questions de recherche vis-à-vis de la temporalité du choix au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. Ceux qui se décident tôt sont-ils mieux insérés que la moyenne dans la société, font-ils plus confiance au système politique, disposent-ils de meilleurs repères politiques ? Ceux qui se décident en cours de campagne sont-ils particulièrement diplômés, sont-ils plus intéressés et compétents que la moyenne, plus intéressés par la politique en général et l’élection présidentielle en particulier ? Et ceux qui hésitent encore à l’approche du premier tour, sont-ils stratèges et calculateurs, ou bien plus éloignés que la moyenne de la sphère politique et plus perplexes vis-à-vis de l’offre électorale ?

Une approche typologique de l’(in)décision électorale en 2007

14Pour répondre à ces différentes questions, nous avons adopté une démarche typologique [25], avec une analyse en composition des trois catégories définies plus haut. En adoptant successivement une approche par le bagage sociologique des répondants (principales variables démographiques et socio-économiques), leur rapport de long terme à la politique (politisation et ancrage idéologique et partisan) et leur réception de l’offre électorale et de la campagne de 2007, nous avons pu établir un portrait des électeurs selon le moment de leur choix. Les résultats nous conduisent à les appeler respectivement « les convaincus », « les conquis » et « les circonspects ».

L’âge, principal marqueur sociologique de l’(in)décision électorale

15Les profils de nos trois groupes sont tout d’abord examinés d’un point de vue sociologique. En nous appuyant sur les variables disponibles pour caractériser les répondants sur un plan socio-économique, nous avons cherché les principaux traits qui différencieraient les convaincus des conquis et des circonspects. Mais le principal enseignement en la matière est que ces trois groupes sont composites, qu’ils ne sont pas homogènes en interne et distincts les uns des autres. En croisant par exemple le moment du choix avec la profession, le statut d’activité, la précarité de l’emploi occupé, la facilité ou la difficulté à vivre avec les revenus du foyer, l’optimisme ou le pessimisme pour le devenir de ses enfants, il n’apparaît pas de différence forte et significative qui permettrait de conclure que l’un de ces trois groupes serait mieux inséré socialement ou, au contraire, vivrait une situation plus difficile que la moyenne. Autrement dit, infirmant certains commentaires sur les indécis [26], et contrastant également avec les résultats de recherches antérieures sur des thématiques proches [27], ni les convaincus ni les conquis ne semblent, en 2007, mieux situés dans la hiérarchie sociale que les autres. Par exemple, les cadres et les ouvriers ne se différencient pas dans leur rythme de prise de décision. En fait, les seuls contrastes marqués concernent le genre et l’âge, ce dernier étant même le principal critère de différenciation, à la fois directement mais aussi en interaction avec d’autres variables, en particulier le niveau de diplôme et le statut d’occupation.

16Plus précisément, les convaincus de longue date sont aussi plus souvent des hommes que des femmes, dénotant ainsi une légère sur-représentation masculine au sein de ce groupe [28]. Ils sont également plus souvent d’âge mûr, la barre des 50 ans franchie, et plus souvent sans diplôme (34 %, contre 27 % dans les deux autres groupes). Il est à noter que les non-diplômés s’opposent de façon binaire à tous les autres niveaux d’études, entre lesquels il n’y a pas de gradation supplémentaire. Autrement dit, il n’y a pas de lien entre l’ancienneté du choix et le fait de disposer d’un BEPC ou équivalent, d’un baccalauréat ou bien d’un diplôme universitaire, seul compte le fait d’être sans diplôme ou de relever d’une autre catégorie. Pourtant, le diplôme n’apparaît pas à lui seul comme un critère décisif en 2007 pour rendre compte du moment du choix. En effet, dès lors que l’on contrôle l’influence du diplôme par la classe d’âge, son effet est annulé, alors que l’effet de l’âge reste valide pour tous les niveaux de diplôme. C’est donc bien l’âge qui compte avant tout, et les relations entre âge et diplôme dans la distribution du niveau d’études dans la population (plus on est âgé, moins on est, globalement, diplômé) qui expliquent cette présence forte des sans diplôme au sein du groupe des convaincus. C’est un résultat d’autant plus intéressant que le diplôme est pourtant supposé avoir un effet très fort sur la formation des choix selon plusieurs théories, pas forcément dans le même sens d’ailleurs, tantôt « protégeant » de l’indécision, tantôt la suscitant. Suivant un raisonnement similaire, c’est également l’âge qui explique la sur-représentation des retraités et la sous-représentation des étudiants et des élèves chez les convaincus. Les conquis, quant à eux, sont un peu plus souvent des femmes, des personnes de moins de 50 ans, des élèves ou étudiants, des diplômés du primaire et des actifs, répondant un peu aux attendus de l’électeur stratège, mais sans que les effets soient massifs. Les circonspects, enfin, sont nettement plus souvent des femmes (57 %), des moins de 35 ans, des élèves ou étudiants. Si les retraités et les étudiants se distinguent à plusieurs reprises, parmi les actifs, être occupé ou au chômage n’a pas d’effet notable.

17L’effet sociologique le plus massif est donc celui de l’âge, ce qui peut se lire à la fois comme un effet de cycle de vie et un effet de génération. Cet impact est somme toute logique quand on replace le processus du choix lors d’une élection précise dans une perspective de plus long terme de socialisation à la politique et à l’acte électoral, plutôt que de l’analyser en fonction d’un stock de propriétés possédées à un moment donné. Dans cette perspective de socialisation politique, plus un électeur est âgé, plus il a eu l’occasion par le passé de participer à des élections de tous types, y compris plusieurs scrutins présidentiels, et plus il a, par ailleurs, des chances de bénéficier de repères politiques, voire d’un ancrage partisan marqué. À l’inverse, les plus jeunes, notamment une grande partie des 18-24 ans, votaient en 2007 pour la première fois pour une élection présidentielle. Il est probable qu’ils s’avèrent plus indécis que la moyenne parce qu’ils ne disposent pas d’une « grille de lecture » élaborée sur plusieurs années et confirmée d’élection en élection pour décrypter l’offre et évaluer les programmes, notamment parce qu’ils sont dans la période qui a été qualifiée de « moratoire politique de la jeunesse » [29]. Entre ces deux groupes, les 35-49 ans s’avèrent les plus sensibles aux effets de campagne, là aussi parce que leur rapport de long terme à la politique est différent. Car, si les variations sociologiques ne sont pas de très grande ampleur, d’autres variables agissent très fortement sur l’(in)décision électorale, en particulier tout ce qui caractérise le rapport de longue durée à la politique.

L’ancienneté de la décision électorale traduit une politisation plus forte et un ancrage politique plus marqué

18Il existe un grand nombre de variables caractérisant le rapport au politique des répondants qui s’avèrent avoir un lien statistiquement significatif avec le profil des trois groupes étudiés, ce qui permet d’établir des portraits contrastés. Pour présenter ces caractéristiques de manière raisonnée, nous avons dégagé trois niveaux du rapport au politique qui sont en jeu dans le moment du choix : la politisation et la distance/proximité au système ; la capacité à se repérer politiquement, par rapport à la gauche et à la droite, et par rapport à un parti ; la position précise ainsi prise dans l’espace politique.

19D’abord, il existe des différences, modérées à fortes, entre les convaincus, les conquis et les circonspects sur le plan de la politisation et de la distance/proximité au système et aux hommes politiques. Rappelons que deux théories s’opposent, selon lesquelles ce sont les décidés de longue date ou, au contraire, les indécis, qui sont les plus intéressés et intégrés politiquement. Nos résultats pointent que les convaincus sont nettement plus intéressés par la politique que les deux autres groupes, l’écart sur l’intérêt déclaré pour la politique entre eux et les conquis et circonspects étant respectivement de 7 et 13 points. Cette politisation des convaincus se traduit d’ailleurs par une plus forte participation régulière aux élections. Mais, sur les autres items, les différences ne sont pas très significatives, même si les convaincus pensent moins souvent que la moyenne que la démocratie ne fonctionne pas bien en France et que les hommes politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens comme eux. À l’autre extrémité du continuum de la décision, les circonspects sont nettement moins politisés et l’expression de cette plus grande distance à la politique se traduit chez eux par une habitude de voter à toutes les élections nettement moins prégnante (- 13 points). Ce groupe est plutôt situé « hors jeu », sans doute proche des logiques de l’abstention et de la prise de distance à l’égard d’un monde politique qui apparaît comme éloigné et peu à l’écoute. C’est d’ailleurs chez lui que l’on rencontre le plus fort taux de non-vote constant : 12 % déclarent n’avoir jamais voté depuis qu’ils sont en âge de le faire. On peut de plus établir une différence entre les circonspects. Nous avons vu que c’est l’hésitation entre plusieurs candidats qui domine dans ce groupe, mais qu’il existe tout de même en son sein une minorité d’électeurs qui ne sont pas sûrs d’aller voter ou qui hésitent en un candidat et un vote blanc ou nul. La distance à la politique, sur tous les critères observés, s’avère encore plus marquée quand il n’y a pas hésitation entre plusieurs candidats mais tentation d’une abstention ou d’un non-choix. Dans leur ensemble, les circonspects sont 59 % à déclarer peu ou pas du tout d’intérêt pour la politique et 53 % à considérer qu’en France, la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout. Les conquis sont, d’une certaine manière, à mi-chemin entre les convaincus et les circonspects sur tous les critères présentés ci-dessus. Quant au sentiment de compétence politique, avec une mesure subjective [30], il est peu clivant. Pourtant, les différents groupes ne s’avèrent pas « équipés » de façon égale face à la politique, notamment parce qu’ils disposent ou pas de points de repère, voire d’un ancrage personnel dans un camp ou en faveur d’un parti.

20Il existe des différences, très marquées et significatives, entre les trois groupes d’(in)décision électorale selon la présence ou l’absence d’un ancrage idéologique et partisan. À ce stade, c’est bien le fait de posséder des repères politiques qui compte, pas la nature exacte de cet ancrage. Autrement dit, on traduit le positionnement en termes de gauche et de droite par une opposition entre, d’une part, se dire de droite ou bien de gauche et, d’autre part, un refus de répondre ou un positionnement ni gauche ni droite. Et cela a un impact majeur : parmi les convaincus, 3 % ne répondent pas à cette question, 21 % se disent ni de droite ni de gauche et 76 % prennent position à droite ou bien à gauche. Chez les circonspects, les chiffres correspondant sont de 9, 43 et 48 %. C’est la même logique qui préside à toutes les autres variables permettant de mesurer la possession de repères politiques en termes idéologiques ou de proximité partisane. Les circonspects sont nettement plus nombreux que les conquis et les convaincus à refuser de se classer sur une échelle gauche/droite en onze positions (10 % sont dans ce cas, contre 4 % chez les convaincus), à ne pas répondre ou bien à déclarer n’avoir confiance ni dans la gauche ni dans la droite pour gouverner le pays dans les prochaines années (80 %, contre 63 % chez les conquis et 44 % chez les convaincus). Cette capacité à prendre position est d’ailleurs liée à la présence de repères politiques dans l’entourage : 41 % des circonspects, contre 30 % des convaincus, ont reçu de leurs parents un « héritage » politique homogène mais inscrit dans le « ninisme » [31]. Dans le même ordre d’idées, 17 % des convaincus, 21 % des conquis et 27 % des circonspects ne sont pas capables d’attribuer une position politique à leur conjoint, faute de réponse ou par ninisme. Assez logiquement, la capacité à positionner six candidats présidentiels sur une échelle gauche/droite est inégale : seuls 69 % des circonspects répondent pour les six candidats (ce qui ne préjuge d’ailleurs pas de l’exactitude de leurs réponses, du point de vue d’experts) et 12 % ne classent pas trois ou plus des candidats, ces chiffres étant respectivement de 80 et 5 % chez les convaincus. Dernier critère sur la prise de position personnelle, citer un parti, quel qu’il soit, et s’en déclarer assez, voire très proche, est un élément clivant entre nos trois groupes, ce qui confirme l’importance des repères politiques.

21Enfin, quand on prend en compte non seulement le fait que les électeurs se positionnent dans un espace gauche/droite, mais aussi la position qu’ils choisissent, on constate des différences dans le rythme de décision, lesquelles semblent assez directement liées au contexte de 2007. Ainsi, les conquis et les circonspects sont beaucoup plus souvent que la moyenne recrutés au sein des électeurs qui se positionnement sur les notes centrales (4 à 6) de l’échelle gauche/droite. Cela manifeste la fluidité des choix électoraux et la plasticité du moment de la décision au centre de l’échiquier politique pendant cette campagne. D’ailleurs, si l’on combine une position centrale (note 5) avec un intérêt marqué pour la politique (beaucoup ou assez), on constate que le centre qu’on peut qualifier de « consistant » est très présent parmi les conquis de 2007 ; tandis que les électeurs qui se positionnent au centre tout en se déclarant peu, voire pas du tout intéressés par la politique – ce qui correspond plutôt bien à la notion classique du « marais » – sont plus nombreux parmi les circonspects. Ils sont même particulièrement nombreux chez ceux qui hésitent à aller voter. Les conquis sont également recrutés nettement plus souvent à gauche qu’à droite, indiquant que c’est au cours de la campagne électorale qu’une partie des électeurs qui s’identifient durablement à un parti de gauche ont finalement figé leur choix. À l’inverse, les convaincus de longue date sont nettement plus souvent positionnés à droite que l’ensemble de l’échantillon. Mais il serait illusoire de viser à dévoiler à partir du seul cas de 2007 des relations durables entre position politique et moment du choix. Cela peut beaucoup varier selon l’élection présidentielle, la nature de l’offre et le déroulement de la campagne (candidat entré tôt ou tard en lice, désigné après un processus de primaires ou sans rivalité à l’intérieur de son parti). Le suivi de la campagne et le rapport à l’offre sont d’ailleurs les derniers éléments qui permettent de distinguer les trois groupes étudiés.

Trois rapports à l’offre électorale, trois manières de suivre la campagne : plus de perpléxité que de stratégie dans l’indécision

22Nous poursuivons notre démarche typologique pour analyser les convaincus de longue date, les récemment conquis et les circonspects tardifs, cette fois grâce à leurs attitudes de court terme vis-à-vis de l’élection présidentielle de 2007. À travers notamment leurs attentes (ou pas) d’amélioration pour le pays grâce à ce scrutin, l’attention qu’ils portent à la campagne et les activités qu’ils pratiquent pendant celle-ci, la gamme plus ou moins large des choix qu’ils déclarent possibles, l’adéquation de leurs intentions de vote à leurs souhaits quant à la victoire finale, il est possible de confirmer que les électeurs qui se décident (très) peu de temps avant le premier tour sont moins stratèges que perplexes.

Les attitudes des convaincus de longue date vis-à-vis de l’offre et de la campagne

23En affinant le portrait politique des convaincus à partir de leurs opinions sur l’offre électorale et leur suivi de la campagne, il s’avère que ce groupe est celui qui a le plus d’attentes d’amélioration grâce aux résultats de l’élection présidentielle : 51 % d’entre eux pensent qu’elle permettra d’améliorer « beaucoup » ou « assez » les choses en France, contre 45 % en moyenne. Ce sont ces électeurs décidés de longue date qui se focalisent le plus sur le duel N. Sarkozy vs S. Royal, cette forte bipolarisation étant notamment marquée sur deux plans : près des deux tiers d’entre eux espèrent la victoire du premier (35 %) ou de la seconde (27 %) ; 61 % d’entre eux indiquaient une intention de vote pour le premier (34,5 %) ou la seconde (26,6 %). D’ailleurs, à 51 % (+ 4 par rapport à la moyenne), ils choisissent un seul candidat à la question qui leur offre pourtant la possibilité d’en citer autant qu’ils veulent parmi les douze du premier tour. Leur gamme des votes possibles est également un peu plus restreinte : seuls 14 % (contre 16 en moyenne) citent trois candidats et 7 % (contre 9) en citent quatre ou davantage. De plus, alors même que leur choix est décidé depuis longtemps, ils déclarent un peu plus que la moyenne suivre la campagne tous les jours (28,5 %, + 4,5) : cet intérêt correspond sans doute à la volonté de suivre son candidat favori, de renforcer son choix et de trouver des arguments supplémentaires de voter ainsi. Cela ne manifeste a priori pas la volonté de se confronter aux discours des autres candidats pour éventuellement mettre en doute son choix. Ces électeurs convaincus depuis longtemps sont d’ailleurs un peu plus nombreux que la moyenne à déclarer avoir assisté à une réunion publique, s’avèrent aussi actifs pour parler de l’élection avec leurs proches et, surtout, sont 5 points au-dessus de la moyenne à dire avoir « souvent » (9 %, + 2) ou « quelquefois » (19 %, + 3) tenté de convaincre quelqu’un de voter comme eux. Au total, ce groupe semble avoir perçu le premier tour présidentiel comme le premier acte déjà décisif du duel final entre N. Sarkozy et S. Royal. Le premier tour les a beaucoup intéressés et une minorité non négligeable a même tâché de faire partager son enthousiasme et son choix dans ses cercles d’interconnaissance. Et c’est dans ce groupe que l’on rencontre le plus d’électeurs qui mettent en cohérence leur intention de vote et leur souhait de victoire finale, c’est-à-dire qui entendent voter dès le premier tour pour le ou la candidat(e) qu’ils souhaitent voir élu(e) à la présidence.

Les attitudes des récemment conquis vis-à-vis de l’offre et de la campagne

24Par contraste, le portrait des électeurs récemment conquis indique qu’ils attendent à peine plus que la moyenne des améliorations suite à l’élection. Ils sont juste un peu moins nombreux à penser qu’elle n’améliorera pas du tout les choses (9 %, - 5) et un peu plus nombreux à dire qu’elle les améliorera peu (38 %, + 5). Leur choix récent a été arbitré entre plusieurs votes possibles, puisque 60 % d’entre eux citent au moins deux candidats potentiels : 30 % (+ 2 par rapport à la moyenne) citent deux candidats pour lesquels ils pourraient voter, 19 % (+ 3) en citent trois et 11 % (+ 2) en citent quatre ou plus. Par rapport au groupe précédent, les conquis de fraîche date suivent moins fréquemment la campagne (20 % le font tous les jours, 26 % presque tous les jours), mais ils ont des comportements quasiment identiques à la moyenne pour ce qui est de parler de l’élection avec des proches, d’assister à une réunion publique ou de tenter de convaincre quelqu’un de voter comme eux. Une fois intéressés par la campagne et décidés, sans doute parce que séduits par un candidat, ils ont donc un comportement relativement politisé, sans manifester de zèle particulier. Leur vraie particularité est que F. Bayrou arrive en tête des souhaits de victoire dans ce groupe, et c’est le seul cas. Avec 27 % des souhaits de victoire, contre 21 % chacun pour N. Sarkozy et S. Royal, ceci semble pointer que, parmi les décidés récents, les intentions de vote en sa faveur sont nettement supérieures à son score moyen. Mais il ne s’agit pas particulièrement d’un vote stratège : il n’y a pas de différence significative entre les trois composantes de l’électorat Bayrou (selon qu’ils sont convaincus/conquis/circonspects) quant aux chances qu’ils lui accordent de se qualifier pour le second tour. Notons qu’il n’y a pas non plus de divergence par rapport à la moyenne quant à leurs estimations des chances de qualification de N. Sarkozy et S. Royal. Il n’y a donc pas eu de phénomène de ralliement d’une partie de la gauche vers F. Bayrou au motif qu’il aurait hypothétiquement pu battre N. Sarkozy. Ce n’est donc pas un « vote protestataire utile » en faveur de F. Bayrou que les électeurs concernés ont souhaité exprimer, mais plutôt une adhésion forte, au moins le temps de la campagne, qui s’est traduite par des ralliements nombreux. Pour cela, l’absence de différence au sein de son électorat quant aux différents traits d’image positifs que les électeurs lui attribuent est assez révélatrice.

Les attitudes des circonspects vis-à-vis de l’offre et de la campagne

25Enfin, le portrait des « circonspects », à travers leurs attitudes de court terme vis-à-vis de l’offre électorale et de la campagne, ne plaide pas non plus pour l’hypothèse d’électeurs stratèges ou calculateurs, qui suivraient attentivement les sondages et réserveraient leur décision au dernier moment, afin de maximiser leurs chances d’obtenir un résultat auquel ils aspirent, par exemple pour faire battre un candidat. Cette hypothèse aurait pu être émise, étant donné que, rappelons-le, c’est massivement un choix entre plusieurs candidats qui les laisse indécis (à 78,5 %) et, dans une moindre mesure, une hésitation entre un candidat et un vote blanc (14 %). Mais les autres données indiquent que cela traduit en fait une perplexité plutôt qu’un calcul. Ainsi, c’est dans ce groupe des circonspects qu’on trouve le record absolu d’électeurs ne sachant pas encore, dans les dernières semaines de la campagne, quel candidat ils souhaiteraient voir élu : 31 % sont dans ce cas, contre 10 % en moyenne. Par ailleurs, 58 % citent au moins deux candidats pour lesquels ils pourraient voter, dont 18 % (+ 2 par rapport à la moyenne) qui en citent deux et 13 % (+ 4) qui en citent quatre ou plus parmi les douze. C’est donc parce que la gamme de leurs choix est large qu’ils hésitent encore à quelques semaines ou jours du premier tour. Alors qu’on pourrait penser que cela suscite un grand besoin de suivre la campagne pour pouvoir se forger une opinion, c’est ce groupe qui est le moins assidu : seuls 16 % (contre 24 % en moyenne) la suivent tous les jours, 23 % (- 3) la suivent presque tous les jours et plus de 60 % la suivent de temps en temps ou pas du tout (+ 10 points). Logiquement, ils sont aussi les moins nombreux à avoir assisté à un débat souvent ou quelquefois (6 %, - 6,5) et à avoir essayé de convaincre quelqu’un de voter comme eux : 13 % l’ont fait souvent ou quelquefois, contre 23 % en moyenne. Mais ils sont presque aussi nombreux à parler de l’élection avec leurs proches : 26,5 % le font souvent, 50 % le font quelquefois et seuls 23,5 % n’en parlent jamais avec leur famille, leurs amis ou leurs collègues. Dans ce groupe, les mécanismes de la persuasion sont donc sans doute inversés : ce sont eux qui sont susceptibles d’être influencés par des conversations avec les proches. Les mécanismes de mobilisation interpersonnelle ont d’ailleurs plus de chances de fonctionner que la mobilisation par l’intermédiaire des médias, étant donné leur suivi de campagne plus distant.

26In fine, nos données ne corroborent donc pas vraiment le portait robot d’un électeur indécis parce que sophistiqué, politisé et fixant son choix à la dernière minute suite à un raisonnement stratégique, des calculs sur les candidats et leurs chances respectives. C’est plutôt une forte politisation et un ancrage idéologique et partisan marqué qui permettent de faire un choix tôt. Par contraste, dès que se manifeste une légère prise de distance par rapport à un ancrage politique, la décision est prise plus tardivement, pendant la campagne. Enfin, une absence beaucoup plus marquée de repères politiques entretient une perplexité prolongée, au point parfois de ne pas être sûr d’aller voter. Ceci posé, quelles sont en 2007 les conséquences politiques de l’(in)décision électorale ?

(In)décision électorale, contenu du choix et motivations du vote : les dynamiques politiques de la campagne présidentielle 2007

27Les analyses menées jusqu’ici n’ont pas pris en compte pour quel candidat les gens avaient l’intention d’aller voter [32]. Elles ont donc été consacrées à la structuration du choix et à la temporalité du vote de façon assez indépendante des dynamiques politiques spécifiques à cette campagne présidentielle. Or, rapporter le moment du choix aux candidats effectivement en lice en 2007 est intéressant, même si c’est un questionnement qui avait sans doute plus de pertinence dans un exercice s’apparentant à une « analyse à chaud » des résultats du PEF [33]. Ici, nous consacrons quelques analyses, dans une dernière et plus brève partie, au lien entre (in)décision électorale et contenu du vote, pour mesurer l’ancienneté des attaches qui se manifestent dans l’urne [34].

28Il y a évidemment deux sens de lecture applicables à cette relation : en partant des intentions de vote, il est possible de vérifier la distribution de l’ancienneté du choix dans les différents électorats pour mesurer qui, parmi les candidats, rassemblait majoritairement des électeurs convaincus de longue date, qui a bénéficié d’un nombre important de ralliements pendant la campagne et qui, enfin, risquait jusqu’au dernier moment de subir les défections d’une partie non négligeable de ses électeurs potentiels. Les dynamiques de campagne ainsi dévoilées [35] sont, somme toute, assez congruentes avec l’évolution des intentions de vote que l’on a pu suivre à partir des sondages publiés dans les médias. Mais il y a plusieurs précautions à prendre avec une telle analyse « en pénétration ». Une première, générale, est de ne pas réifier la notion « d’électorat » telle qu’on peut la constituer à partir des intentions de vote (ou des votes effectifs reconstitués dans le cadre d’une enquête post-électorale). Il peut en effet y avoir des raisons très différentes de déposer un même bulletin dans l’urne pour un premier tour présidentiel, et ces différents mécanismes de décision ne suivent pas forcément le même rythme. Il serait alors logique que chaque candidat agrège les voix d’électeurs votant sur un tempo différent, car pour différentes raisons. La seconde précaution est dictée par des vérifications effectuées à partir de l’enquête post-électorale pour le Cevipof [36]. Nous avons vu que, pour s’adapter à la période d’interrogation, les trois items de réponse pour la graduation du moment du choix ne correspondent pas parfaitement, terme à terme, à ce qui est posé en vague pré-électorale du PEF. Donc ce sont essentiellement les deux réponses « depuis longtemps » et « longtemps à l’avance » qui devraient avoir des niveaux similaires pour un électorat donné d’une enquête à l’autre. Or, il y a des différences marquées selon qu’on interroge deux échantillons représentatifs (distincts) avant ou après l’élection. Par exemple, dans le cas de N. Sarkozy, 71,5 % de ceux qui avaient l’intention de voter pour lui avant le 22 avril déclaraient avoir pris leur décision depuis longtemps, un chiffre qui tombe à 58 % parmi ses électeurs effectifs du premier tour qui ont été interrogés après le second tour. De tels écarts sur les niveaux, d’une enquête à l’autre, sont importants et, de plus, ils ne s’effectuent pas dans le même sens pour tous les candidats : pour certains, l’ancienneté du choix augmente dans le sondage post-électoral. Il faudra creuser cette discordance, qui ne peut pas tenir au seul mode de recueil des réponses (face-à-face en pré-électoral, téléphone pour le post-électoral), car, selon le moment où se déroule l’interview, les électorats des différents candidats sont plus ou moins stabilisés ou volatils.

29Heureusement, quand on envisage la relation entre moment et contenu du choix dans l’autre sens de lecture, c’est-à-dire en regardant « en composition » la distribution des votes au sein des trois groupes des convaincus, des conquis et des circonspects, les structures dégagées par les deux enquêtes pré- et post-électorales de 2007 concordent mieux. Cela pointe des éléments assez logiques au vu de la campagne et du statut respectif des candidats présidentiels en termes de qualification pour le second tour et de victoire finale possible ou pas.

30– D’abord, chez les convaincus, il y a trois candidats qui font nettement mieux que les autres dans l’ensemble de l’électorat : N. Sarkozy (+ 6 points), S. Royal (+ 4 points), mais aussi J-M. Le Pen (+ 3 points). Ce degré élevé d’ancienneté du choix recouvre a priori des significations différentes. Pour les deux premiers cités, c’est le « duel annoncé » entre eux pour le second tour de la présidentielle et la volonté de « voter utile » qui se sont imposés dans les esprits depuis de long mois, bien avant que la campagne ne commence, ce qui explique qu’ils « sur-performent » chez les électeurs décidés de longue date. Dans le cas du leader du Front national, qui était qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002, mais dont le score en 2007 connaît une très forte érosion, cela s’explique probablement par un repli sur son « noyau dur » d’électeurs convaincus et fidèles, qui ont tôt décidé de lui apporter de nouveau leurs suffrages, quoi qu’il arrive dans la campagne. À l’appui de cette hypothèse, on peut d’ailleurs noter que les deux tiers des électeurs indiquant vouloir voter pour J.-M. Le Pen le 22 avril 2007 déclarent par ailleurs avoir déjà voté pour lui en 2002.

31– Ensuite, chez les électeurs qui ont été conquis en cours de campagne, F. Bayrou arrive très nettement en tête des intentions de vote : son score dans cette catégorie est supérieur de 13 points à sa moyenne dans l’électorat, avec 32 %, contre 18,8 %. Le corollaire de cette forte attractivité en cours de campagne, qui correspond d’ailleurs bien avec son « décollage » à partir de février dans les sondages d’intentions de vote, c’est qu’il obtient 7 points de moins chez les convaincus de longue date que dans l’ensemble de l’électorat. De plus, il était aussi celui des « grands » candidats qui risquait le plus de voir ses électeurs potentiels changer d’avis dans les dernières semaines et derniers jours, avec 8 points de plus par rapport à sa moyenne chez les circonspects. Il se confirme donc que la campagne de F. Bayrou a eu beaucoup d’impact, même si, jusqu’au bout, avec un haut niveau d’indécis, il y avait un véritable risque que cette dynamique retombe. Vu son score effectif le 22 avril, il n’en a rien été. Cela rejoint d’ailleurs certaines analyses vues plus haut, selon lesquelles il y avait une forte adhésion à sa personne et un net désir de victoire chez les électeurs qu’il a conquis pendant le temps de la campagne.

32– Enfin, chez les circonspects, les intentions de vote se portent nettement moins vers les grands candidats et nettement plus vers des candidats « petits » ou extrêmes, même si cela se joue, bien évidemment, à un niveau absolu qui est plus bas. Par exemple, O. Besancenot obtient les intentions de vote de 7,5 % des circonspects, contre 4,2 % dans l’ensemble de l’échantillon. Sa campagne a donc pu attirer des électeurs assez nombreux, même si, jusqu’au bout, les personnes concernées n’étaient pas complètement sûres de leur choix, sans doute parce que le contexte politique instillait une certaine pression en faveur d’un « vote utile », bien évidemment à cause du traumatisme du 21 avril 2002 (d’où d’ailleurs des citations d’un vote également possible en faveur de S. Royal, à partir de la question à choix multiples, dans cette catégorie des circonspects).

33Au-delà des candidats sur lesquels se portent les électeurs en fonction du moment de leur choix, il est donc envisageable qu’il y ait un lien entre la motivation principale du vote et le moment où la décision s’opère. C’est sans doute une approche heuristique pour des analyses ultérieures, afin de prendre en compte la dimension politique du choix autrement que par l’identité du candidat sur lequel les suffrages se portent. Dans la vague post-électorale, il a ainsi été demandé quelle était la raison principale du choix du premier tour, avec pour items de réponse : la personnalité du candidat, ses idées et propositions, et les partis qui le soutiennent. Par rapport à la distribution de ces trois réponses dans l’ensemble de l’échantillon, ceux qui se sont décidés plus tôt mettent plus en avant que la moyenne les partis qui soutiennent le candidat, ceux qui se sont plutôt décidés pendant la campagne mettent plus en avant que la moyenne les idées et propositions du candidat et, enfin, ceux qui ont hésité jusqu’au dernier moment mettent plus en avant que la moyenne la personnalité du candidat. Si le niveau absolu de ces trois raisons évolue selon les élections, ce lien entre moment du vote et motivations du choix est d’ailleurs confirmé dans toutes les enquêtes du Cevipof où ces deux informations sont disponibles. Cette régularité souligne combien la métaphore de l’élection présidentielle comme une « rencontre entre un homme et le peuple français » n’est qu’une vision partielle de ce qui se joue dans un tel scrutin, invitant à de futures analyses combinées sur les raisons du choix et la temporalité du vote.

34**

35Nous avons cherché à percer « la boîte noire » du vote à travers les mécanismes et la temporalité du choix. Cette orientation de recherche constitue une piste de travail prometteuse pour mieux cerner l’hétérogénéité de l’électorat et, in fine, comprendre les logiques et les significations des votes émis. Une campagne électorale est en effet le théâtre d’une rencontre entre une offre et une demande : tous les électeurs ne donnent pas rendez-vous à l’offre électorale au même moment et l’électorat est hétérogène dans son moment mais aussi son mode de prise de décision. Le vote doit donc être considéré comme le produit d’une interaction dont le moment et les effets ne sont pas de même nature pour tous. En France, comme dans les autres pays qui organisent leurs élections en un seul jour, c’est le dimanche électoral qui remet toute cette diversité temporelle dans un prisme d’unité de temps. Quelles que soient les expériences nationales en ce domaine [37], cette question pose un véritable défi aux partis et candidats dans leurs stratégies de communication politique : savoir gagner tôt ou garder en sa faveur ceux qui sont prédisposés à voter pour soi (parce qu’il s’agit d’un public plus politisé et bien ancré dans son camp), paraître meilleur que les autres dans la période où les propositions sont en opposition et comparées par ceux qui sont prédisposés à choisir pendant la campagne, ne pas s’aliéner par une erreur de communication ceux qui se décident plutôt vers la toute fin de la campagne, éventuellement en s’en remettant un peu plus aux personnalités pour trancher. La temporalité de la décision électorale, replacée dans une tripartition heuristique entre le très long terme, le temps de la campagne et l’immédiat avant-vote, est donc une manière d’enrichir la compréhension de la décision électorale, d’apporter un éclairage sur le processus, indépendamment du résultat [38]. Cela invite à intégrer d’autres approches que celle des spécialistes de sociologie électorale, par exemple en apprenant de l’étude des médias et de leurs effets pendant les campagnes électorales [39], mais aussi par les perspectives plus cognitivistes sur la façon dont les électeurs traitent l’information, ou plus psychologiques sur le rôle des affects vis-à-vis des candidats pour aider à la formation du choix. L’analyse de la décision électorale et de son rythme constitue donc bien un véritable levier à partir duquel les paradigmes et controverses de la sociologie électorale peuvent être interrogés, sans forcément prendre pour premier critère de tri entre les électeurs le contenu de leur vote.


Date de mise en ligne : 01/09/2007

https://doi.org/10.3917/rfsp.573.0293

Notes

  • [1]
    Cette typologie descriptive ne préjuge pas que l’ancienneté du choix impliquerait une cohérence entre préférences de long terme et intention de vote en 2007, ni que les électeurs qui se décident en cours de campagne le sont forcément à l’encontre de positions politiques de long terme.
  • [2]
    Données CSA-Cisco pour Le Parisien-Aujourd’hui en France, obtenues par cumul de différentes enquêtes réalisées selon la méthode des quotas. 3 587 personnes âgées de 18 ans et plus et inscrites sur les listes électorales ont été interrogées par téléphone du 28 février au 29 mars 2007. L’évolution de l’indécision pendant ces quatre semaines n’est pas précisée.
  • [3]
    Il a été pointé que « cette notion fait rarement l’objet d’une définition rigoureuse ou d’un comptage très précis » et qu’il existe « quatre manières au moins de définir les indécis : les électeurs qui n’ont pas encore pris leur décision, ceux qui ne répondent pas à la question des intentions de vote, ceux qui hésitent entre plusieurs candidats, ceux, enfin, qui indiquent qu’ils peuvent encore changer d’avis » (Jérôme Jaffré, « Indécis », dans Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 518-520). Cette grille d’analyse diffère un peu de la nôtre, car nous considérons que ne pas répondre à la question d’intention de vote peut alternativement témoigner de la volonté de préserver le secret du vote, y compris de la part d’électeurs déterminés et ayant effectué tôt leur choix. A contrario, il nous paraît important de prendre également en compte les électeurs qui ne sont pas certains d’aller voter.
  • [4]
    Par exemple la SOFRES, dans une série pour Le Figaro/RTL/LCI, demandait si les interviewés étaient sûrs de leur choix ou pouvaient encore changer d’avis. Cette dernière catégorie a régulièrement diminué, passant d’un peu plus de 45 % à l’automne 2006 à un peu plus de 30 % courant avril, ce qui indique tout de même que plus de 50 % des personnes interrogées se disaient sûres de leur choix six mois avant le premier tour ! Dans les trois dernières enquêtes (réalisées les 11-12, 16-17 et 18-19 avril), une question supplémentaire explorait « plus précisément » la situation d’(in)décision avec pour items de réponse : « Vous avez fait votre choix et vous n’en changerez pas / Vous avez une nette préférence pour un candidat, mais vous hésitez encore / Vous hésitez vraiment entre deux ou trois candidats / À ce jour, vous ne savez absolument pas pour qui vous allez voter ».
  • [5]
    Pour une présentation théorique du concept de « party utility » et un exemple empirique de l’usage de telles « probabilités de vote », voir Jean Tillie, Party Utility and Voting Behavior, Amsterdam, Het Spinhuis, 1995. Voir également les travaux de Cees van der Eijk, qui a beaucoup promu ce type de mesure dans les enquêtes « European Election Studies », notamment Cees van der Eijk, Mark Franklin (eds), Choosing Europe ? The European Electorate and National Politics in the Face of the Union, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1996. L’approche en termes « d’espace des possibles » des votes s’est récemment développée en France. Voir par exemple : Vincent Tiberj, « Le système partisan comme espace des possibles : le tournant cognitiviste dans l’étude du lien partisan », dans Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 287-319. Dans les enquêtes conduites par le Cevipof en 2007, les indicateurs de « probabilités de vote », et de « votes possibles » multiples ont été introduits pour la première fois en France.
  • [6]
    Par exemple, cela permet de vérifier si le moment du choix a un lien statistiquement significatif avec le nombre de votes potentiels. « L’espace des votes possibles » n’étant pas constitutif de notre définition de l’incertitude électorale, il pourra contribuer à l’éclairer.
  • [7]
    Les données pour 1988 et 1995 ont déjà été présentées par Jérôme Jaffré et Jean Chiche dans leur chapitre « Mobilité, volatilité, perplexité », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, p. 285-325. Le léger décalage entre leur tableau et le nôtre est dû au fait qu’ils ont conservé les « sans réponse » dans leur analyse.
  • [8]
    Pour être précis, les résultats de 2002 reposent sur la vague post-présidentielle du Panel électoral français 2002, au cours de laquelle étaient interrogés à la fois des panélistes stricto sensu (qui avaient été interviewés une première fois lors de la vague pré-électorale) et de nouveaux interviewés destinés à « compléter » les panélistes afin qu’ils forment ensemble un échantillon représentatif des électeurs français. Vérification faite, il n’y a pas de différence significative quant au moment déclaré du choix entre ces deux sous-groupes pourtant sociologiquement complémentaires, donc différents en termes d’âge, de sexe et de CSP.
  • [9]
    Parmi les nombreux travaux disponibles sur ces questions, voir Gregory Markus, « Stability and Change in Political Attitudes : Observed, Recalled and Explained », Political Behavior, 8, 1986, p. 21-44 ; Barbara Anderson, Brian Silver, « Measurement and Mismeasurement of the Validity of the Self-Reported Vote », American Journal of Political Science, 30, 1986, p. 771-785. On peut également revenir vers les travaux de Hilde Himmelweit, dont Hilde Himmelweit, Marianne Jaeger Biberian, Janet Stockdale, « Memory for Past Vote : Implications of a Study of Bias Recall », British Journal of Political Science, 8, 1978, p. 365-384.
  • [10]
    Elisabeth Plumb, « Validation of Voter Recall : Time of Electoral Decision Making », Political Behavior, 50, 1986, p. 301-312.
  • [11]
    Steven Chaffee, Rajiv Nath Rimal, « Time of Vote Decision and Openness to Persuasion », dans Diana Mutz, Paul Sniderman, Richard Brody (eds.), Political Persuasion and Attitude Change, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1996, p. 267-291.
  • [12]
    Cf. Patrick Fournier, Richard Nadeau, André Blais, Elisabeth Gidengil, Neil Nevitte, « Validation of Time-of-Voting-Decision Recall », Public Opinion Quarterly, 65 (1), 2001, p. 95-107.
  • [13]
    Dans la vague pré-présidentielle, on a demandé aux enquêtés s’ils avaient pris leur décision « depuis longtemps », « récemment » ou bien si « leur choix n’était pas encore vraiment fait ». Dans la vague post-présidentielle, on a demandé à tous, y compris les panélistes, si leur choix du premier tour avait été fait « longtemps à l’avance », « pendant la campagne » ou bien s’ils avaient « hésité jusqu’au dernier moment ».
  • [14]
    Nous avons considéré comme cohérents, en appliquant un critère strict, les couples de réponses « depuis longtemps / longtemps à l’avance », « récemment / pendant la campagne » et « choix pas encore vraiment fait / hésité jusqu’au dernier moment ». Mais il serait tout à fait possible pour un panéliste de répondre en vague 1 que son choix n’est pas encore vraiment fait et en vague 2 qu’il s’est décidé pendant la campagne sans être incohérent, s’il s’est réellement décidé après la première interview sans pour autant hésiter jusqu’au jour du vote. Donc 60 % de cohérence calculée ici sur l’ensemble des panélistes constitue une estimation conservatrice.
  • [15]
    PEF (2007), Cevipof-Ministère de l’Intérieur, Vague 1, « Enquête pré-électorale présidentielle 2007 ». Cette enquête a été menée par l’IFOP, qui a réalisé 4 004 interviews en face-à-face au domicile des personnes interrogées, sélectionnées par quotas et représentatives de la population des Français de 18 ans et plus inscrits sur les listes électorales. Les données seront déposées au Centre de données de Sciences Po. Nous remercions chaleureusement Viviane Le Hay pour son implication dans ce lourd dispositif et son rôle décisif pour la qualité et la disponibilité rapide des données.
  • [16]
    Parmi de nombreuses références : Daniel Boy, Nonna Mayer, « Les variables lourdes en sociologie électorale : état des controverses », Enquêtes, 5, janvier-juin 1997, p. 109-122 ; Pascal Perrineau, « Modèles d’explication du vote », dans Dictionnaire du vote, op. cit., p. 638-644 ; Loïc Blondiaux, « Mort et résurrection de l’électeur rationnel. Les métamorphoses d’une problématique incertaine », Revue française de science politique, 46 (5), octobre 1996, p. 753-791.
  • [17]
    Voir Anne Jadot, « Mobilité, rationalité ? Une exploration des itinéraires électoraux, 1973-1997 », dans Pierre Bréchon, Annie Laurent, Pascal Perrineau (dir.), Les cultures politiques des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 377-400.
  • [18]
    Voir Paul Lazarsfeld, Bernard Berelson, Hazel Gaudet, The People’s Choice : How the Voter Makes Up his Mind in a Presidential Campaign, New York, Columbia University Press, 1944.
  • [19]
    Voir Angus Campbell, Philip Converse, Warren Miller, Donald Stokes, The American Voter, New York, Wiley, 1960. Voir également la notice que consacre Daniel Gaxie à ce paradigme, dans Dictionnaire du vote, op. cit., p. 629-632.
  • [20]
    Un pionnier de ce courant d’analyse est l’ouvrage de Vladimir O. Key, The Responsible Electorate : Rationality in Presidential Voting, 1936-1960, Cambridge, Harvard University Press, 1966.
  • [21]
    Pour approfondir le thème de l’économie et du vote, voir Marie Servais, « Les modèles économétriques du vote », dans Nonna Mayer (dir.), Les modèles explicatifs du vote, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 133-153 ; Michael Lewis-Beck, « Le vote du “porte-monnaie” en question », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, op. cit., p. 239-261 ; Philippe Merle, « L’homo politicus est-il un homo œconomicus ? », Revue française de science politique, 40 (1), février 1990, p. 64-80 ; André Bernard, « La conjoncture économique et le vote : une relation ambiguë », Revue française de sociologie, 38 (2), 1997, p. 245-264 ; Raymond Duch, « Heterogeneity in Perceptions of National Economic Conditions », American Journal of Political Science, 44 (4), 2000, p. 635-652.
  • [22]
    Pour plus de détails, voir Pierre Bréchon, « Vote sur enjeux », dans Dictionnaire du vote, op. cit., p. 411-413.
  • [23]
    Titre d’un ouvrage clé de ce courant d’analyse : Norman Nie, Sidney Verba, John Petrocik, The Changing American Voter, Cambridge, Harvard University Press, 1976.
  • [24]
    Philippe Habert, Alain Lancelot, « L’émergence d’un nouvel électeur », dans « Élections législatives 1988 », Le Figaro, juin 1988. Voir également Daniel Boy, Élisabeth Dupoirier, « L’électeur est-il stratège ? », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur français en questions, Paris, Presses de Sciences Po, 1990, p. 175-196.
  • [25]
    Nous n’avons pas cherché à (in)valider un modèle explicatif, par exemple pour prédire le fait d’être dans telle ou telle catégorie du moment du choix. Nous n’avons donc pas recours à une analyse de régression qui estimerait l’impact d’une variable en contrôlant simultanément l’influence des autres variables explicatives. De simples tableaux croisés (parfois d’ordre trois, pour contrôle) sont donc au fondement des paragraphes qui suivent, mais nous avons tout de même eu recours à un test d’association, en l’occurrence le coefficient V de Cramer, afin de vérifier que les relations mises à jour et commentées ici sont statistiquement significatives.
  • [26]
    Par exemple, dans le commentaire déjà cité accompagnant les données de l’enquête CSA, les couches populaires et les ouvriers sont identifiés comme nettement plus souvent hésitants que la moyenne.
  • [27]
    En particulier, le chapitre déjà cité de Jérôme Jaffré et Jean Chiche, dans lequel ils dressent notamment un portrait des « volatils » et des « perplexes » à partir des données Cevipof de 1995 : cf. Jérôme Jaffré, Jean Chiche, « Mobilité, volatilité, perplexité », cité.
  • [28]
    Cette caractéristique est encore plus marquée quand on analyse rétrospectivement le moment du choix, à partir de l’enquête post-électorale 2007 du Cevipof distincte du Panel électoral français, déjà citée.
  • [29]
    Sur ce thème, voir les travaux d’Anne Muxel, en particulier « Les choix politiques des jeunes à l’épreuve du temps : une enquête longitudinale », Revue française de science politique, 51 (3), juin 2001, p. 409-430 ; et L’expérience politique des jeunes, Paris, Presses de Sciences Po, 2001.
  • [30]
    À travers le rejet ou l’approbation (de « tout à fait » à « pas du tout d’accord ») d’une phrase selon laquelle « la politique, ce sont des choses trop compliquées et il faut être un spécialiste pour les comprendre ».
  • [31]
    « L’héritage » politique est construit à partir des positions en termes de gauche et de droite attribuées à son père et à sa mère par chaque répondant, le ninisme étant traité de la même façon que l’absence de réponse. Sur les indicateurs alternatifs et plus complexes de « filiation », voir Jérôme Jaffré, Anne Muxel, « Les repères politiques », dans Daniel Boy, Nonna Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, op. cit., p. 67-100.
  • [32]
    Rappelons que les données de la vague 1 du PEF 2007, recueillies avant le premier tour, sont ici pondérées afin que l’échantillon corresponde bien au profil socio-démographique de l’électorat français et soit « calé » sur les résultats réels du 22 avril 2007, même s’ils sont postérieurs au terrain d’enquête.
  • [33]
    Pour de plus amples développements, voir le rapport que nous avons rédigé sur le thème du moment du choix, disponible sur le site du Cevipof, dont le présent article est une très large reprise. Ce premier texte avait été rédigé pendant l’entre-deux tours, donc à un moment où il était, par exemple, encore important de mesurer si, entre les deux finalistes, les intentions de vote étaient ancrées depuis longtemps ou si, au contraire, les lignes pouvaient encore bouger. Cf. <http://www.cevipof.msh-paris.fr/PEF/2007/V1/rapports/MomentDuChoix_BC-AJ.pdf>.
  • [34]
    Au sens propre, puisque la vague pré-électorale du PEF 2007 a tiré parti du mode d’interview en face-à-face en recueillant les intentions de vote grâce à une fausse urne : chaque répondant disposait d’une enveloppe et d’un jeu de bulletins reprenant l’ensemble des candidats officiels et était invité à « voter » dans la fausse urne. Ce procédé assure au maximum le secret du choix, qui n’a pas à être déclaré à l’enquêteur.
  • [35]
    Là encore, nous nous permettons de renvoyer à notre rapport du mois d’avril (cf. note 2 ci-dessus).
  • [36]
    PEF (2007), Cevipof-Ministère de l’Intérieur, Vague 2, « Enquête post-électorale présidentielle 2007 ». Pour rappel, cet échantillon est complètement séparé de celui qui est interrogé pour le PEF.
  • [37]
    Il y a des analyses intéressantes aux États-Unis, par exemple pendant le processus des primaires qui sert à désigner les candidats des deux grands partis, lequel s’étale sur plusieurs mois. Une étude telle que celle menée en 2000 par l’équipe de l’Annenberg American Electoral Study, avec un design d’enquête qui applique le « rolling section » à plusieurs milliers d’électeurs, est particulièrement propice pour saisir ces mouvements d’opinion : les mêmes candidats sont en lice à plusieurs reprises les uns contre les autres, mais le contexte de ces élections successives évolue pendant ce processus, par la stratégie de communication et leurs chances respectives. Voir Michael Hagen, Richard Johnston, Kathleen Hall Jamieson, « Dynamics of the 2000 Campaign : Evidence from the Annenberg Survey », communication à la conférence annuelle de l’American Association for Public Opinion Research, 2001.
  • [38]
    Cette approche fera d’ailleurs l’objet d’une table ronde au prochain congrès de l’AFSP (Toulouse, 5-7 septembre 2007), co-dirigée par Bruno Cautrès et Pascal Perrineau.
  • [39]
    Pour une synthèse de langue française, voir Jacques Gerstlé, La communication politique, Paris, Armand Colin, 2003. Cf. également Thomas Holbrook, Do Campaigns Matter ?, Thousand Oaks, Sage, 1996.

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