Notes
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[1]
Camille Rougeron, « La guerre totale et l’aviation », L’Illustration, 2 septembre 1931, p. 382 ; « Aerial Bombardment of Fleet Bases », United States Naval Institute Proceedings, octobre 1933, p. 1413.
-
[2]
Camille Rougeron, Les enseignements de la guerre de Corée, Paris, Berger-Levrault, 1952.
-
[3]
Camille Rougeron, « Les caractères de la guerre future », conférence IHEDN, 11 décembre 1948, p. 1, archives IHEDN.
-
[4]
Camille Rougeron, L’aviation de bombardement, Paris, Berger-Levrault, 1936, 2 tomes, cf. tome 1, p. 189.
-
[5]
Camille Rougeron, « Scènes de la guerre future. 1/L’arme biologique pourra frapper hommes, animaux et plantes », Le Monde, 14 janvier 1950 ; Yves Mamou « La terreur bio, une menace dans l’air du temps », Le Monde, 25 juin 2002.
-
[6]
Camille Rougeron, La guerre nucléaire, armes et parades, Paris, Calmann-Lévy, 1962, avec la préface de Raymond Aron, p. 18.
-
[7]
Michel Roussel, « Camille Rougeron (1893-1980) », Journal de la Marine marchande, 19 mars 1981, p. 659.
-
[8]
Les détails biographiques proviennent d’un entretien de l’auteur avec le petit-fils de Camille Rougeron, en mars 1991.
-
[9]
Camille Rougeron, « La longueur du cuirassé », Bulletin de l’association technique maritime et aéronautique, 32, 1928, p. 476.
-
[10]
« Le Deutschland et l’évolution du croiseur de 10 000 t », Journal de la Marine marchande, juin 1931, p. 1312 ; « La protection horizontale du cuirassé », Revue maritime, 1er sem. 1931, p. 1203 ; « La vitesse du cuirassé », Revue maritime, 1er sem. 1931, p. 195 ; « L’accord de Londres et l’évolution du croiseur léger », Revue maritime, 1er sem. 1935, p. 40.
-
[11]
« L’efficacité du bombardement aérien », Revue de l’Armée de l’air, 64, novembre 1934, p. 1227 ; « La guerre totale et l’aviation », art. cité, p. 382 ; « Aerial Bombardment of Fleet Bases », art. cité, p. 1413.
-
[12]
David McIsaac, « The Legacy of Billy Mitchell », Colloque Air 1990, 8-10 octobre 1990 ; Edward Warner, « Douhet, Mitchell, Severski : les théories de la guerre aérienne », dans Edward Mead Earl (ed.), Les maîtres de la stratégie, Paris, Flammarion, vol. 2, 1987 (Champs) (1re éd. : 1943), p. 250-260 ; Lee Kennett, A History of Strategic Bombing. From the First Hot-Air Balloons to Hiroshima and Nagasaki, New York, Charles Scribner’s Sons, 1982 ; Patrick Facon, Le bombardement stratégique, Monaco, Éditions du Rocher, 1995 (L’art de la guerre).
-
[13]
Camille Rougeron, L’aviation de bombardement, op. cit.
-
[14]
Ibid., tome 1, p. 329.
-
[15]
Audition du témoin Rougeron Camille, Maurice par commission rogatoire de M. Baraveau, membre de la Cour suprême de justice, 2 décembre 1940, procès verbal d’information, SHAA Z 12962.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
Camille Rougeron, Les enseignements aériens de la guerre d’Espagne, Paris, Berger-Levrault, 1939, p. 242.
-
[19]
Sur le « salon » d’Émile Mayer, cf. Jacques Shapira, Henri Lerner, Émile Mayer, un prophète bâillonné, Paris, Michalon, 1995.
-
[20]
Camille Rougeron, La prochaine guerre, Paris, Berger-Levrault, 1948.
-
[21]
Paul Gérardot (général), Instruction provisoire sur l’emploi des forces aériennes, Limoges, Lavauzelle, 1947 ; Louis Marie Chassin (général), Stratégie et bombe atomique, Limoges, Lavauzelle, 1948.
-
[22]
Louis Marie Chassin (général), Anthologie des classiques militaires français, Limoges, Lavauzelle, 1950.
-
[23]
« Armes nouvelles offensives et défensives », Le Monde, 16 juin 1950, p. 1 ; « Premiers enseignements de la guerre de Corée (chars et infanterie, aviation tactique) », Le Monde, 11-12 juillet 1950 ; « Les États-Unis vont construire des avions de chasse plus puissants », Le Monde, 2 août 1950, p. 3 ; « Résultats obtenus par les chasseurs à réaction Shooting Star », Le Monde, 23 août 1950, p. 2 ; « La manœuvre de MacArthur », Le Monde, 20 septembre 1950, p. 3 ; « Avions de transport d’assaut », Le Monde, 31 octobre 1950, p. 4 ; « Réarmement et guerres d’Asie », Le Monde, 14 novembre, 7, 8 décembre 1950 ; « Manœuvre sino-coréenne », Le Monde, 22 décembre 1950 ; « Sabres et MIG en ciel de Corée », Le Monde, 29 décembre 1950, p. 1 ; « Puissance et mobilité, recherche des responsabilités en Corée », Le Monde, 24 janvier, 1950 ; « Thunderjets contre MIG en Corée », Le Monde, 28-29 janvier 1951 ; « Combats aériens en Corée », Le Monde, 21 février 1951 ; « L’échec sino-coréen ou la défense élastique », Le Monde, 28 février 1951.
-
[24]
« Les opérations aériennes tactiques dans la campagne de Corée », Forces aériennes françaises, 68, mai 1952, p. 181 ; « Conversion de l’aviation stratégique », Forces aériennes françaises, août 1952, p. 621 ; « Les géants devant la technique et l’histoire », Forces aériennes françaises, 87, novembre 1953, p. 697 ; « Le banc d’essai coréen », Forces aériennes françaises, 51, décembre 1950, p. 293 ; « La fortification en Corée », Revue de Défense nationale, août-septembre 1952, p. 170. « L’aviation tactique dans l’attaque et la défense », Science et vie, 401, février 1951, p. 82.
-
[25]
Brevets : « Perfectionnement au transport des hydrocarbures légers », 27 février 1961 ; « Projet de navire-citerne pour le transport de gaz liquéfiés », 3 mai 1961 ; « Perfectionnements aux canons sans recul pour lancement d’engins », 18 septembre 1961 ; « Production et utilisation des matériaux fissibles », archives familiales de Camille Rougeron.
-
[26]
Outre les revues déjà mentionnées, on peut encore citer : Ingénieurs et Techniciens, Revista de politica International, Interconair Aviazione e Marina, ainsi que des articles bimensuels pour des quotidiens tels que Le Télégramme de Brest, Le Progrès de Lyon, Le Midi Libre, Nice Matin, La République du Centre, L’Alsace, Presse-Océan, Les Dépêches, La Dernière Heure (Bruxelles), Primeiro de Janeiro (Porto).
-
[27]
La guerre nucléaire, Armes et Parades, Paris, Calmann-Lévy, 1962.
-
[28]
François Géré, « Quatre généraux de l’apocalypse : Ailleret-Beaufre-Gallois-Poirier », dans Stratégique, 1er janvier 1992, p. 75-116 ; André Beaufre (général), Dissuasion et stratégie, Paris, Armand Colin, 1964 ; Lucien Poirier (colonel), Éléments pour la théorie d’une stratégie de dissuasion concevable pour la France (la logique spécifique de la manœuvre dissuasive militaire), Paris, ministère des Armées, CPE, 1967 ; Charles Ailleret, (général), Essai de stratégie nucléaire, non publié, 1959 ; L’aventure atomique française, Paris, Grasset, 1968 ; Pierre-Marie Gallois (général), Stratégie de l’âge nucléaire, Paris, Calmann-Lévy, 1960.
-
[29]
« De l’explosion haute aux charges de 100 mégatonnes », Forces aériennes françaises, 180, avril 1962, p. 513 ; « Mines atomiques tactiques », Forces aériennes françaises, mai 1965, p. 657 ; « La guerre du Vietnam, engins sol-air et engins sol-sol », Forces aériennes françaises, 224, avril 1966, p. 411 ; « Aviation tactique et aviation stratégique », Forces aériennes françaises, 226, juin 1966, p. 715 ; « Engins et anti-engins », Forces aériennes françaises, 234, mars 1967, p. 305.
-
[30]
Les enseignements de la guerre de Corée, op. cit., p. 161.
-
[31]
Ibid., p. 161.
-
[32]
Ibid., p. 167.
-
[33]
Ibid., p. 167.
-
[34]
Ibid., p. 168.
-
[35]
Ibid., p. 171.
-
[36]
Ibid., p. 188.
-
[37]
Ibid., p. 252.
-
[38]
Ibid., p. 258.
-
[39]
Ibid., p. 258.
-
[40]
Camille Rougeron, L’aviation de bombardement, op. cit., tome 2, p. 244.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
Camille Rougeron, « Les enseignements de la guerre du Vietnam », Forces aériennes françaises, 265, janvier 1970, p. 39.
-
[43]
Camille Rougeron, Les enseignements de la guerre de Corée, op. cit., p. 92.
-
[44]
Ibid., p. 258.
-
[45]
Ibid., p. 253.
-
[46]
Camille Rougeron, « Armes nouvelles et bombardement intercontinental », Science et vie, 339, décembre 1945, p. 239 ; Camille Rougeron, « Les super-bombardiers et la stratégie mondiale », Science et vie, 401, février 1951, p. 82 ; Camille Rougeron, « L’aviation est-elle menacée par le prodigieux développement des engins téléguidés ? », Science et vie, 435, décembre 1953, p. 497.
-
[47]
Les enseignements de la guerre de Corée, op. cit., p. 242.
-
[48]
Herman Kahn, On Escalation, Metaphors and Scenarios, New York, Praeger, 1965. Traduit en français : De l’escalade. Métaphores et scénarios. Préf. du général Stehlin, Paris, Calmann-Lévy, 1966 (Liberté de l’esprit).
-
[49]
Camille Rougeron, Les applications de l’explosion thermonucléaire, Paris, Berger-Levrault, 1956 ; La guerre nucléaire, armes et parades, op. cit.
-
[50]
SHAA sous série E12. En 1944 est créé, à l’état major de l’Armée de l’air, un bureau de recherche opérationnelle (SHAA E4430) qui devient groupe d’études de recherche opérationnelle, par Note N° 561/EMAA/CAB du 26. 7.1955, SHAA E4175 ; E 2844.
-
[51]
SHAA E1489, « Organisation des bases stratégiques outre-mer 1945-1963 ».
-
[52]
Camille Rougeron, « L’aviation dans la manœuvre sur réseau de places », Forces aériennes françaises, décembre 1953, p. 505.
1 Camille Rougeron (1893-1980) est un stratège peu connu. Malgré une œuvre considérable, qui compte plusieurs centaines de publications, sans doute plusieurs milliers si on inclut ses articles parus entre 1927 et 1979 dans la presse quotidienne, malgré la pertinence de certaines de ses analyses, l’influence de ses idées est restée modeste. Un exemple suffit pour présenter l’aspect innovateur de la pensée de ce stratège, ainsi que sa marginalisation par l’institution militaire : alors qu’il est ingénieur maritime, de 1931 à 1938, Camille Rougeron met en garde à plusieurs reprises sur la vulnérabilité des flottes au mouillage face aux attaques aériennes [1]. Ces constats lui valent immédiatement l’hostilité de l’Amirauté française et provoquent son départ de la Marine, ils sont néanmoins confirmés avec éclat quelques années plus tard par la destruction de la flotte italienne à Tarente en novembre 1940 et celle de la flotte américaine à Pearl Harbor en décembre 1941. Pendant toute sa vie, Camille Rougeron remet en cause les certitudes stratégiques sur lesquelles se fondent les systèmes de défense de la France et de ses alliés. Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il signale que des armes de destruction massive pourront être employées directement sur les populations par un ennemi inférieur sur le plan militaire, mais déterminé : « Celui-ci saura, à faible coût, multiplier par la dispersion d’aérosols […] les toxines les plus dangereuses, comme la toxine botulinique dont on affirme que deux cents grammes suffiraient à empoisonner toute l’humanité et les […] formes pulmonaires aujourd’hui assez rares, mais dont l’issue est presque toujours fatale, comme celles de la peste et de l’anthrax » [2]. Il affirme que, dans la prochaine guerre, « les destructions l’emporteront sur les opérations » [3] et dénonce la fausse sécurité d’une prétendue maîtrise de l’air, qui pourra toujours être contournée par un ennemi qui s’arrangera pour atteindre directement la force productive de son adversaire en évitant le combat [4]. Si l’on compare ses chroniques militaires presque quotidiennes parues dans Le Monde en 1949 et 1950, et certains articles récents du même journal, en particulier sur la menace biologique et chimique, on ne peut manquer d’être frappé par leur actualité [5].
2 Camille Rougeron n’est pas seulement un visionnaire. Ses hypothèses pertinentes – souvent vérifiables plusieurs dizaines d’années après leur énonciation – ne sont pas fondées sur une imagination débordante, à l’instar d’un Jules Verne ou d’un Herbert G. Wells, ou encore sur une « inspiration », mais sur un raisonnement militaire rigoureux. « Nul n’est plus expert que M. Camille Rougeron dans l’art de battre en brèche les idées reçues, de remettre en cause les évidences ou les prétendues évidences » [6]. Ce jugement que Raymond Aron portait sur lui en 1962 résume bien la caractéristique principale d’une pensée originale qui englobe tous les aspects de l’art de la guerre. Dans ses ouvrages denses, fourmillant de détails techniques et de récits de combats, il est difficile de distinguer ce qui relève de la stratégie, de la tactique, de la technique et du « mode d’emploi » des armes. L’auteur refuse de se spécialiser dans un domaine précis. Sa pensée est un continuel va-et-vient entre les descriptions d’armement, la pratique du champ de bataille, la stratégie du théâtre d’opérations, l’analyse économique et politique des nations en guerre, l’histoire et l’actualité. Son refus des doctrines, des conventions de pensée, du conservatisme sous toutes ses formes, ses continuelles mises en garde concernant l’inefficacité des formes de défense adoptées, le mettent définitivement à part. À la différence de Pierre-Marie Gallois, important stratège de la dissuasion gaullienne, aucune grande doctrine officielle de défense ne s’est réclamée de Camille Rougeron.
3 En examinant la pensée de celui-ci, on aborde le problème des limites de l’influence de certaines idées dans le domaine de la défense. Par-delà l’étude de son œuvre, on peut s’interroger sur la capacité des institutions militaires à accepter une pensée qui les remet profondément en cause.
4 Avant d’aborder ce problème essentiel de l’absence d’impact de ses idées et de la limite de son influence, il convient de présenter Camille Rougeron et ses principales analyses stratégiques.
Qui est Camille Rougeron ?
5 Camille Rougeron est un ingénieur du Génie maritime qui, à la suite d’une carrière à différents postes de responsabilité dans les institutions de Défense, marquée par plusieurs démissions retentissantes, est devenu inventeur privé et journaliste militaire. Comme de Gaulle, son aîné de trois ans, il a souligné la part croissante du facteur technique dans l’évolution de l’art de la guerre. Il est venu à la stratégie par la technique, en s’interrogeant sur l’efficacité des navires qu’il devrait concevoir, ainsi que leur fiabilité pour les marins amenés à les utiliser. Ayant mis au jour plusieurs dysfonctionnements majeurs, il a été frappé par l’immobilisme de la Marine lorsqu’il proposait des changements nécessaires. C’est ainsi qu’insensiblement, d’ingénieur, il est devenu chroniqueur militaire, jusqu’à abandonner la carrière des armes pour se consacrer à sa réflexion et à ses inventions.
Ingénieur du génie maritime
6 Plusieurs observateurs ont noté la précocité et la remarquable intelligence de Camille Rougeron, voire son génie [7]. Né le 8 janvier 1893 à Guéret, dans la Creuse, fils d’instituteur, il effectue d’excellentes études secondaires, qui l’amènent à passer le baccalauréat avec une dispense, en raison de son jeune âge. Il entre ensuite en classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand à Paris et intègre l’École polytechnique en 1911, parmi les premiers et les plus jeunes de sa promotion. À sa sortie, il choisit l’École d’application du Génie maritime. Ses études se terminent en juillet 1914, alors que commence la Première Guerre mondiale. Le jeune homme participe à celle-ci comme sous-lieutenant, puis lieutenant du Génie [8]. On ne dispose pas d’archives sur cette période : son dossier militaire a disparu en 1940, avec d’autres archives du Service historique de la Marine, et ses archives personnelles ont, elles aussi, été détruites, une première fois en 1940 et une deuxième fois après sa mort. On sait cependant que Camille Rougeron se distingue car, à la fin des hostilités, alors qu’il n’a guère que 25 ans, il est promu au grade d’officier de la Légion d’honneur et décoré de la croix de guerre 1914-1918.
7 C’est alors que commence sa véritable carrière d’ingénieur naval, dont il franchit, au début, rapidement les échelons : en 1919, il est ingénieur de 1re classe, il passe ingénieur principal en 1923, puis ingénieur en chef de 2e classe en 1929, enfin ingénieur en chef de 1re classe en 1937. Rougeron est d’abord affecté à l’arsenal de Brest, où il reste cinq années, puis, de 1923 à 1925, il embarque à Toulon, sur le croiseur Pothuau, comme ingénieur principal à la Commission d’études pratiques d’artillerie navale (CEPAN). En 1925, il est chargé à Lorient de la construction des croiseurs La Motte-Piquet et Tourville, puis à Brest, de 1929 à 1931, de celle des croiseurs de 10 000 tonneaux Colbert, Foch, Dupleix, Algérie, et des sous-marins de 1 500 tonneaux Pascal, Pasteur, Achille et Ajax. Au même moment, le jeune ingénieur commence à exprimer ses idées techniques dans la presse ou lors de conférences. En 1927, il effectue sa première intervention, intitulée La longueur du cuirassé, devant l’association technique maritime et aéronautique. Il critique le cuirassé anglais Nelson [9], prenant ainsi le contre-pied des théories officielles britanniques et françaises qui préconisent l’emploi de cuirassés lourds et lents, d’une vitesse inférieure à 25 nœuds. Rougeron s’attache, au contraire, à démontrer la supériorité du croiseur de bataille rapide [10].
8 Sa carrière militaire se poursuit par une affectation comme chef de la section des constructions neuves à Brest, de 1931 à 1935. Il a alors la satisfaction de pouvoir mettre en pratique ses idées, car on le charge de la construction du Dunkerque, un de ces cuirassés légers et rapides, dont il préconisait l’usage. Mais il prend conscience qu’un autre danger menace les flottes, contre lequel même les bâtiments rapides ne pourront rien. Il s’agit du danger aérien. Ne parvenant pas à mettre en garde les autorités de la Défense par la voie hiérarchique, il choisit d’alerter l’opinion par une série d’articles dans la presse grand public et la presse spécialisée [11]. L’un de ces articles, intitulé « La guerre totale et l’aviation », paru dans le journal L’Illustration en septembre 1931, expose, avec exemples à l’appui, les moyens dont l’aviation dispose pour détruire les flottes au mouillage, en particulier dans les ports méditerranéens. À la même époque, le stratège américain Billy Mitchell met, lui aussi, en garde contre ce danger. Les arguments de Rougeron sont solides : puissance de destruction des bombardements aériens sur une zone déterminée, incapacité d’organiser une défense contre des avions plafonnant à 10 000 mètres, faible épaisseur des blindages de pont, absence de tout système fiable de détection qui permettrait de mettre en action une défense aérienne.Ils valent à leur auteur un blâme officiel du ministre de la Marine et l’avancement de l’ingénieur s’en trouve probablement compromis. Comme Billy Mitchell, Camille Rougeron sacrifie alors une carrière, qui aurait pu être brillante, à son obstination à vouloir exprimer ses idées et dire ce qu’il estime être la vérité [12].
Directeur du service technique du ministère de l’air
9 Déçu par la Marine, qui refuse, selon lui, les adaptations nécessaires – il n’hésite pas à écrire en 1936, non sans quelque ironie, « tout navire de guerre qui ne vole pas sera mort » [13] –, il obtient d’être détaché comme directeur du service technique et des recherches scientifiques au ministère de l’Air, poste à haute responsabilité qu’il occupe de 1936 à 1938. On ne dispose pas non plus d’archives sur ses activités officielles à cette période, mais on connaît ses préoccupations et ses idées grâce aux nombreux articles sur l’aviation qu’il fait paraître de 1931 à 1940, dans des publications militaires, des revues civiles spécialisées et toujours L’Illustration, dont il devient un collaborateur régulier jusqu’en 1940. Les idées principales de ces articles sont ensuite développées dans son premier livre : L’aviation de bombardement, un volumineux ouvrage en deux tomes, sorti en 1936 et immédiatement traduit dans plusieurs langues, dont l’Allemand, le Russe et le Polonais.
10 Ce livre est difficile à classer : ce n’est pas seulement un essai de stratégie ou de tactique aérienne, mais surtout un ouvrage technique où l’ingénieur expose un certain nombre d’idées concernant les modifications de l’armement des avions et le « mode d’emploi » de ceux-ci. Ces caractéristiques donnent à cet ouvrage un côté quelque peu rébarbatif, même si on est toujours frappé par la pertinence de ses choix techniques. Il préconise ainsi la « bombe fusée », qui peut apparaître comme l’ancêtre des missiles air-sol et air-air : « Ce qui est précieux, écrit Rougeron, c’est l’avion et non la bombe. C’est une erreur d’envoyer à plusieurs centaines de kilomètres dans l’intérieur d’un territoire ennemi un avion au risque de le perdre, alors que la bombe, gréée d’un petit bout de tôle en guise d’aile, fera tout aussi bien le parcours sans être accompagnée » [14]. D’autres idées du même type fourmillent dans cet ouvrage. Elles sont largement diffusées par le biais de démonstrations faites par Camille Rougeron à des délégations alliées au polygone de Bourges et de nombreuses conférences effectuées en France ou à l’étranger. À plusieurs reprises, entre 1936 et 1938, il se rend en URSS pour effectuer des missions techniques agrémentées d’exposés sur son livre.
11 Cependant, les défaillances de la préparation à la guerre l’exaspèrent. En tant que directeur du service technique du ministère de l’Air, il a connaissance d’une série de scandales, qu’il est contraint de taire pour ne pas fragiliser encore la position de la France. Servi par un esprit pratique et un sens du détail hors du commun, il décide, par exemple, de faire vérifier systématiquement le bon fonctionnement des munitions en stock, y compris les bombes. Il se rend compte alors qu’une bonne partie est inuti-lisable : les bombes incendiaires, en particulier, présentent un défaut qui les fait retomber à plat sur le sol, ce qui ne déclenche pas leur mise à feu. Comme s’en indigne Rougeron, « l’étude avait été faite, la fabrication en série lancée et recettée, sans qu’on ait même vérifié le fonctionnement de la bombe ! » [15] Autre motif d’exaspération : l’esprit de caste des ingénieurs d’État, des polytechniciens, dont il fait pourtant partie. Ceux-ci trouvent tous les défauts possibles aux matériels conçus par leurs concurrents afin de retarder leur sortie et leur adoption éventuelle, ce qui leur permet de gagner du temps pour mettre au point leur propre matériel dans les arsenaux d’État. Cette attitude – à la rigueur justifiée économiquement lorsqu’on peut tabler sur une longue période de paix – devient contestable lorsque la guerre menace, surtout lorsque l’ennemi potentiel dispose d’un armement moderne et puissant. Ainsi, le canon de marine de 90 mm de Schneider était opérationnel dès 1935, mais il faut attendre 1938 pour que la Marine accepte de se doter progressivement de ce matériel, l’essentiel de la mise en service devant avoir lieu en 1940. Ce réflexe de temporisation est encore plus marqué lorsqu’il faut se résoudre à admettre l’infériorité de certains matériels français par rapport à leur équivalent produit à l’étranger.
12 Pour ce qui est de l’aviation, Camille Rougeron estime que « l’industrie privée et les techniciens d’État se sont mis d’accord pour retarder jusqu’à l’extrême limite l’appel au matériel étranger à une époque où il pouvait seul nous sauver » [16]. Avec les nationalisations de 1936, la situation empire, non pas tant à cause des réductions du temps de travail que de la lourdeur qui régit les règles des marchés publics. Alors que des industries privées pouvaient facilement et rapidement commander les matières premières dont elles avaient besoin, les usines nationalisées sont désormais régies par un système d’appel d’offres global rassemblé au niveau de l’administration centrale, ce qui entraîne des lenteurs telles que les usines sont parfois obligées d’arrêter leur production, faute d’approvisionnements. Comme le signale Camille Rougeron, des ouvriers hautement spécialisés en étaient réduits à effectuer des tâches de nettoyage et des ouvrières n’avaient d’autre solution que d’avancer leur tricot [17].
13 Ayant vainement tenté d’alerter sa hiérarchie, il refuse de se faire le complice de cette catastrophe annoncée. En 1938, il demande sa mise à la retraite anticipée. Il devient alors ingénieur-conseil chez Brandt, où il entreprend des études sur les mortiers qui aboutiront, après la guerre, à la mise au point du mortier de 120 « à propulsion additionnelle » et il poursuit sa carrière de chroniqueur militaire à L’Illustration. Dans ses articles et dans un nouvel ouvrage, publié en 1939 et intitulé Les enseignements aériens de la guerre d’Espagne, il continue de mettre en garde contre les deux principaux dangers de la guerre qu’il prévoit imminente, la destruction des flottes au mouillage par un bombardement aérien et l’attaque directe des colonnes d’infanterie par l’aviation d’assaut. Il pense que ce double danger peut être réduit par le bombardement préalable des bases aériennes de l’adversaire et la mise sur pied d’une véritable artillerie antiaérienne de campagne et de canons de DCA puissants autour des bases navales. Il ressent pourtant amèrement l’inutilité de ses avertissements et ne se gêne plus pour déployer son ironie à l’encontre de la pesanteur des règlements militaires, de la frilosité des dirigeants politiques et du conformisme de la hiérarchie des trois armées [18].
Ingénieur privé et chroniqueur militaire
14 La défaite de 1940 lui paraît confirmer ses craintes concernant l’infériorité de certains matériels français, en particulier en ce qui concerne l’aviation d’appui et l’artillerie anti-aérienne. Le 3 juin 1940, l’immeuble de Camille Rougeron, boulevard Suchet, à Paris, est endommagé par une bombe. Cela précipite son départ vers le Sud de la France. Après avoir détruit tous ses papiers, il rejoint Toulon, puis Alger. Les Allemands, désireux d’exploiter ses qualités techniques, entreprennent alors des recherches pour le retrouver. Ils fouillent en vain l’appartement de l’ingénieur en espérant mettre la main sur les plans de nouveaux armements. En Algérie, Rougeron devient chroniqueur militaire à L’Écho d’Alger et commence sa collaboration à Science et vie et au Journal de la Marine marchande, revues pour lesquelles il écrit en moyenne un article par mois, jusqu’en 1970. Parallèlement, il continue d’inventer de nouveaux systèmes d’armement, dépose des brevets et s’efforce de les faire adopter par l’armée des États-Unis en les transmettant à un consul américain. Après le débarquement de novembre 1942, il est en contact avec de Gaulle, qu’il connaissait déjà pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises chez leur éditeur commun, Berger-Levrault, et dans le groupe de réflexiondu colonel Émile Mayer [19]. C’est sans doute grâce à l’appui du chef du GPRF qu’il obtient, à la Libération, un poste de conseiller technique au ministère de la Guerre, poste qu’il n’occupe qu’une année, son départ coïncidant avec celui du général de Gaulle en 1946. Il reste cependant conférencier à l’École de Guerre, au Centre d’enseignement supérieur aérien, à l’Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN) et collaborateur des revues militaires officielles comme Forces aériennes françaises, la Revue maritime ou la Revue de Défense nationale. En 1948, il publie un gros recueil des principaux écrits rédigés pendant les années qui ont suivi la Libération, intitulé La prochaine guerre [20], qui est recommandé dans les écoles militaires et fait l’objet de conférences de présentation officielles. Sa période de rupture avec les institutions semble avoir pris fin. Durant les années 1949-1951, son audience et sa respectabilité deviennent à nouveau significatives. Il est, en effet, chroniqueur militaire du journal Le Monde, où il peut exposer ses idées à raison de trois ou quatre articles par semaine. Sa pensée est alors utilisée par « les néo-douhétiens » de l’après-Seconde Guerre mondiale qui, sous l’influence de généraux comme Gérardot ou Chassin, tentent d’imposer une stratégie fondée sur l’emploi autonome de l’aviation dans une bataille aérienne préliminaire et réclament la primauté de leur armée sur les deux autres [21]. Le général Chassin, s’il consacre une large place à Rougeron dans une anthologie publiée en 1950, n’en sélectionne pas moins soigneusement les passages de son œuvre qui corroborentses propres théories [22].
15 Toutefois, Rougeron refuse de voir ses idées ainsi utilisées. S’il avait accepté d’être le promoteur de l’« air intégral », nul doute qu’il aurait pu s’appuyer sur le lobby puissant des aviateurs et des constructeurs aéronautiques, qui auraient vu facilement en lui un « nouveau Douhet ». Mais ses analyses de la guerre de Corée vont décevoir tous ceux qui désiraient l’instrumentaliser. À partir de l’été 1950 et pendant un an, ses chroniques du Monde sont, pour l’essentiel, consacrées à ce conflit [23]. Au même moment, il publie de nombreux articles sur ce thème dans les revues spécialisées [24]. En 1952, alors que la guerre n’est pas encore achevée, il rassemble les thèses qu’il a développées en un ouvrage publié chez Berger-Levrault et intitulé Les enseignements de la guerre de Corée. Mais ses conclusions le mettent immédiatement en porte-à-faux vis-à-vis de la hiérarchie militaire, qui prépare alors le réarmement dans le cadre de l’OTAN. En effet, Camille Rougeron montre que les leçons héritées de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas transposables à ce théâtre, car les Nord-Coréens et leurs alliés font preuve d’une capacité de riposte et d’adaptation importantes, devant lesquelles aucune doctrine d’emploi de l’aviation n’est efficace sur le long terme. Le bombardement stratégique devient impossible, car les bombardiers sont directement pris à partie par la chasse soviétique, qui évite les escortes de chasseurs américains. Les « forteresses volantes » en sont réduites à faire de l’appui-feu sur le champ de bataille, tâche qui se révèle rapidement inutile, car le commandement sino-coréen renonce à tout armement lourd pouvant représenter un objectif facile pour l’aviation d’appui. Malgré la puissante défense anti-aérienne édifiée par les Américains autour de Séoul, cette ville est bombardée toutes les nuits pendant plusieurs mois par un petit avion léger qui nargue ainsi la puissance des forces de l’ONU, avec des dégâts matériels minimes, mais un impact psychologique non négligeable.
16 On pourrait ainsi multiplier les exemples. Pour Rougeron, tous les dogmes hérités de la Deuxième Guerre mondiale sont remis en cause par le conflit coréen : la maîtrise de l’air, le bombardement stratégique, le rôle des intercepteurs, le bombardement pré-stratégique des moyens de transport, l’appui-feu et la défense anti-aérienne. Selon lui, toutes ces certitudes nécessitent d’être repensées. La défense de l’Europe, qui se met en place dans le cadre de l’OTAN, lui paraît, elle aussi, inadaptée. Plusieurs indices montrent qu’une fois encore, il s’éloigne des positions officielles et que ses idées sont rejetées. À partir de 1951, il ne donne plus de conférences aux stagiaires de l’enseignement militaire supérieur, il demande à être rayé du cadre de réserve et sa collaboration au Monde cesse définitivement.
17 En 1953, Rougeron a soixante ans et son activité se poursuivra encore sans relâche pendant les vingt-sept années qui lui restent à vivre. Activité d’ingénieur d’abord : il dépose plusieurs brevets, à usage civil ou militaire, dont certains intéressent des industriels américains, qui lui achètent le droit d’exploitation [25]. Activité de « journaliste et critique militaire » surtout : il collabore à des dizaines de périodiques différents, mensuels, hebdomadaires ou quotidiens [26], dans lesquels il aborde non seulement les problèmes militaires, mais aussi toutes les nouvelles techniques civiles et de nombreuses autres questions touchant à l’environnement, l’énergie, l’économie, la santé ou l’industrie. Il a écrit près de six cents articles pendant cette période.
18 Pendant les années 1950 et 1960, son principal centre d’intérêt reste néanmoins la stratégie, tout particulièrement l’emploi des armes de destruction massive. Dans La guerre nucléaire, armes et parades, publié en 1962 [27], il récuse la stratégie de dissuasion mise alors en œuvre par le général de Gaulle, appuyé par les quatre stratèges français Gallois, Poirier, Ailleret et Beaufre [28], qui multiplient alors les articles dans les revues militaires officielles. Bien qu’il ait gardé des contacts épisodiques avec le chef de l’État – il lui envoie chacun de ses ouvrages et celui-ci lui répond toujours immédiatement par une lettre manuscrite –, ses théories iconoclastes n’ont plus place dans la presse militaire. Il continue de collaborer à la revue Forces aériennes françaises et à la Revue de Défense nationale, mais il livre surtout des articles techniques, sans considérations doctrinales [29].
19 Sa carrière prend fin le 19 décembre 1980. « Il n’a cessé d’écrire que lorsqu’il est mort », affirme un de ses proches qui l’a vu toute sa vie noircir des pages et des pages d’une petite écriture fine et précise. Rougeron laisse une œuvre considérable.Sa pensée se voulant pragmatique et adaptée à des contextes particuliers, il est impossible de ramener son œuvre à quelques idées. On ne peut que donner des exemples de sa manière de penser les événements militaires, en n’oubliant jamais qu’il considérait que le principal danger de la réflexion stratégique était la rigidification doctrinale et que, toute sa vie, il a récusé ceux qui tentaient d’instrumentaliser sa pensée.
Analyses stratégiques et limites d’une influence
20 Plusieurs thèmes centraux apparaissent dans l’œuvre de Camille Rougeron. Ce sont les idées qu’il avait suffisamment à cœur pour s’engager fermement dans leur défense. Les ruptures qui marquent sa carrière sont les conséquences de leur rejet par la hiérarchie militaire. En 1931, il s’oppose à la Marine sur le thème de la vulnérabilité des cuirassés et des flottes au mouillage ; en 1936-1938, il s’élève contre la doctrine aérienne adoptée par les aviateurs, dont certains s’inspirent du stratège italien Giulio Douhet, et les choix techniques qui en résultent ; en 1950-1951, à l’occasion de la guerre de Corée, il s’oppose aux options techniques et stratégiques qui président au réarmement de l’OTAN en Europe occidentale, en énonçant deux principes, celui de la « saturation-adaptation » et celui de la « guerre économique obtenue par le rendement différentiel des armes » ; enfin, à partir de 1960 et jusqu’à sa mort, il s’oppose à la stratégie de dissuasion, prévoyant l’escalade inéluctable des conflits vers la destruction massive, au détriment des opérations classiques. Nous nous concentrerons ici sur ses thèmes de prédilection des années 1950, développés dans son livre essentiel : Les enseignement de la guerre de Corée, qui permettent de résumer à la fois sa façon de raisonner et sa difficulté à se faire entendre.
Le principe de « saturation-adaptation »
21 L’une des particularités de Camille Rougeron est son refus de la doctrine, du conformisme, du conservatisme. Selon lui, dès qu’une méthode devient une doctrine, elle perd son efficacité, car la réussite des armes provient toujours de l’adaptation continue à la menace, de la recherche permanente et imaginative de parades multiples. Camille Rougeron se méfie des doctrines et théories et, pourtant, on peut identifier quelques grands principes dans toutes ses analyses stratégiques. Cependant, ceux-ci ne sont, en fait, que la description des constantes comportementales des chefs militaires dans une situation donnée. À cet égard, la guerre de Corée est une belle illustration d’une de ses analyses favorites : le principe de « saturation et d’adaptation ».
22 Pour illustrer cette idée, Camille Rougeron se plaît à rappeler l’exemple utilisé par Giulio Douhet : « Vous tirez sur un arbre où se trouvent cent moineaux et votre première salve de plombs en abat dix ; combien en tuerez-vous à la deuxième ? – Neuf, répondaient ceux qui avaient le mieux le sens de la réduction de vulnérabilité des objectifs à mesure de leur destruction. – Zéro, rétorquait Douhet, car tous les survivants se seront envolés » [30]. L’efficacité d’une arme amène rapidement la « saturation », c’est-à-dire la disparition des objectifs. Or, cette capacité d’adaptation est différente selon les cultures militaires. Lente avec les Allemands, qu’il juge partisans de l’esprit de système, elle peut se révéler rapide lorsqu’on a, en face de soi, des adversaires pragmatiques.
23 En Corée, MacArthur en fait rapidement les frais. Suivant les principes mis en œuvre lors de la bataille de Normandie, il décide, en août 1950, de couper toutes les voies par lesquelles ses ennemis pouvaient recevoir ravitaillement et renforts. Les forces aériennes de l’ONU ont alors pour mission essentielle d’établir un véritable barrage à travers la péninsule, au nord de Séoul, de manière à bloquer tout mouvement de troupe et tout ravitaillement du front. Pendant l’été 1950, les chasseurs bombardiers Shooting Star et Mustang, les bombardiers B26 et B29, par leurs actions répétées, « encagent » le champ de bataille. Leur rôle est essentiel dans l’essoufflement des offensives nord-coréennes à cette époque. Cependant, les Nord-Coréens trouvent rapidement la parade. En quelques semaines, les routes, que les photographies des avions de reconnaissance montraient encombrées de convois, sont désertées. Les convois automobiles sont peu à peu remplacés par des convois plus discrets : charrettes sur les routes secondaires, puis portage à dos d’homme sur les sentiers. Les Nord-Coréens décident ensuite de remplacer les transports diurnes par des transports nocturnes, pour éviter qu’ils ne soient repérés. Sur le champ de bataille, cette adaptation se traduit par l’allégement du matériel et la dispersion des combattants. « À la destruction de la presque totalité des blindés dès les premières semaines de la campagne, le commandement nordiste a répondu en se passant de blindés. » Et Camille Rougeron ne manque pas de souligner : « N’a-t-il pas réagi plus sagement en deux mois que l’armée allemande s’obstinant, deux ans après l’échec, en Sicile et en Italie, de ses contre-attaques de chars, à reconstituer des Panzerdivisionen, écrasées sous les coups de l’aviation alliées en Normandie et dans l’Ardenne ? » [31]
24 Ainsi, à l’instar des moineaux de Douhet, les objectifs communistes en Corée se sont rapidement évaporés face à l’efficacité de l’aviation des Nations unies. Les chefs militaires adverses ont ramené leurs forces au niveau de densité où ils peuvent supporter l’action aérienne et ont rapidement adapté leurs lignes de ravitaillement, tout comme leur tactique. Fatalement, le pilonnage du champ de bataille et de ses arrières immédiats par les projectiles de l’aviation américaine amène la dispersion et l’allégement des forces de l’adversaire. Non moins fatalement, la guerre aérienne acquiert une dimension de guerre totale, car tout abri, tout véhicule, tout animal et même tout individu se déplaçant devient un objectif militaire. En désespoir de cause, le résultat escompté ne peut être obtenu qu’en arrosant de napalm des contrées entières et en les transformant en désert, comme ce fut le cas sur des milliers de km2 en Corée du Nord.
25 Toute tactique atteint ainsi, au bout de quelques semaines, son niveau de saturation et voit diminuer son rendement. « La poursuite du rendement global maximum exige le transfert à d’autres activités du personnel et du matériel dont le rendement marginal est devenu trop faible ; la loi vaut en art militaire comme en économie » [32]. Si l’une des parties persiste à lancer des attaques dont le rendement marginal est faible, il s’épuise et son ennemi peut préparer une parade. Face au pilonnage de l’aviation tactique, le commandement sino-coréen renonce à tout armement lourd et impose aux forces de l’ONU une nouvelle guerre de mouvement : l’infanterie communiste, allégée au maximum, progresse camouflée, avançant pendant les longues nuits d’hiver, à l’abri de toute reconnaissance aérienne et, a fortiori, des attaques au sol de l’aviation. Les soldats surgissent ainsi à l’improviste, en encerclant l’adversaire là où il ne l’attend pas. En adaptant rapidement leur tactique, les Sino-Coréens réussissent à toujours surprendre l’adversaire.
26 Ils le surprennent également en adaptant rapidement leur matériel. Alors que les forces de l’ONU disposaient de la maîtrise du ciel, les bombardiers américains, qui se croyaient invulnérables, sont désagréablement surpris, à partir de l’automne 1950, par l’attaque de MIG 15 à réaction. Ceux-ci évitent l’engagement avec les chasseurs d’escorte et s’attaquent directement aux bombardiers à hélice. Malgré l’arrivée en Corée des intercepteurs plus rapides, Sabre, les pilotes américains doivent renoncer définitivement à tout emploi de leurs bombardiers lourds dans le nord de la péninsule, où ils risquent d’être la proie des MIG. À son tour, le commandement américain trouve la parade en confiant les missions de bombardement à des intercepteurs à réaction qui peuvent livrer leur bombe en évitant le combat avec les MIG, ce qui était impossible aux bombardiers à hélice. À chaque fois, l’avantage tactique ou technique dure peu et trouve rapidement sa parade, pour peu que les chefs militaires soient imaginatifs et pragmatiques et que les réalisations d’armement s’adaptent rapidement.
27 C’est pourquoi Rougeron ne propose pas de stratégie ou de tactique prédéterminée, il refuse de se prononcer sur les priorités à accorder : doit-on garder la maîtrise du ciel, mettre l’accent sur l’aviation de transport, sur le bombardement stratégique, sur l’appui direct sur le champ de bataille ou sur l’appui indirect en visant les arrières immédiats ? Selon lui, l’emploi de l’outil militaire doit rester souple et adaptable, de manière à pouvoir changer rapidement une tactique qui a atteint son niveau de saturation, quitte à y revenir plus tard si les circonstances l’exigent. « La rapidité et la justesse des réactions sino-coréennes devant le changement des méthodes et le progrès des armes de l’aviation tactique condamnent toute doctrine qui vise à en figer l’emploi » [33]. Plus loin il souligne : « Aucun règlement ne remplacera la libre appréciation d’un commandement supérieur de l’armée, de la Marine et de l’Aviation qui affectera l’ensemble de son aviation, tactique et stratégique, aux missions de rendement maximum suivant la valeur des appareils, l’efficacité de leur armement, la nature du théâtre d’opérations et la situation militaire du moment. Au-dessus de Dunkerque, la lutte contre l’aviation allemande était le concours le plus efficace que l’aviation britannique pouvait apporter au rembarquement. Pour aider à la défense, puis à l’évacuation de Bir Hakeim, il était préférable de laisser l’assiégé se débrouiller avec les Stukas et d’attaquer les camions-citernes d’eau et d’essence qui alimentaient l’offensive de Rommel. Mais pour arrêter, au col de Kasserine, les divisions blindées qui venaient de percer le front tunisien, l’engagement direct de toute l’aviation disponible contre les chars valait mieux encore » [34].
28 La nécessité de l’adaptation constante de la tactique et de la stratégie exclut également tout matériel trop spécialisé. Camille Rougeron se gausse de la spécialisation en notant qu’en Corée, la plupart des avions ont été employés, souvent avec succès, pour des missions très différentes de celles qui leur étaient dévolues à l’origine. Ainsi, le B-29, bombardier stratégique, s’est révélé totalement inapte à cette mission car trop vulnérable face aux MIG 15, en revanche, il a fait un excellent avion d’appui. Les chasseurs Shooting Star et les Thunderjets se sont eux aussi révélés d’excellents bombardiers d’appui, les bimoteurs B-26 se sont adaptés à l’attaque de nuit des convois. « De tous les avions utilisés en Corée, il n’y a guère que le Sabre qui ait été utilisé dans la mission d’escorte pour laquelle ce chasseur avait été étudié » [35]. Toutefois, leur efficacité dans la protection des B-29 a été limitée.
Critique de l’armement lourd
29 Pour Camille Rougeron, le secret du succès des armes est donc lié à leur capacité d’adaptation. Cette polyvalence du matériel ne peut être réalisée que dans l’excellence technique, la légèreté, la rapidité et le moindre coût. L’un des thèmes favoris de Camille Rougeron est la critique des armements lourds, lents et coûteux, dont le destin est toujours d’être, à plus ou moins long terme, détruits par des armes plus légères, plus rapides et moins coûteuses. « Tant que le bombardier à quatre, six ou huit moteurs passait sans trop de pertes, les démonstrations répétées qu’un chasseur bombardier passe mieux encore en portant un tonnage de bombes du même ordre avec un homme au lieu de huit n’intéressaient personne. Accepter le remplacement de ses escadres de bombardiers géants par un tonnage et des effectifs aussi inférieurs est une déchéance que ne supportera pas le commandement d’une aviation stratégique. A-t-on jamais vu le chef d’une division blindée reconnaître la supériorité du bazooka sur son canon de 90 à 1000 m/s ou celui d’une escadre de ligne admettre qu’une bombe fusée peut envoyer au fond ses cuirassés et leurs tourelles de 406 ? » [36] Partant de ce principe, il conteste l’efficacité des bombardiers à réaction géants sur lesquels repose à cette époque toute la stratégie nucléaire américaine. Selon lui, ces mastodontes seront, un jour ou l’autre, rattrapés par les progrès de l’interception, qui sera de plus en plus assumée par des missiles. « On s’est bien gardé d’envoyer en Corée les B-36, même équipés de quatre turboréacteurs additionnels, faire la démonstration que les MIG les descendraient aussi aisément que les Superforteresses » [37].
30 Pourquoi les chefs militaires occidentaux continuent-ils, malgré tout, à préférer les armements coûteux et lourds et à tout faire pour tenter de les préserver même lorsque leur vulnérabilité est patente ? Selon Camille Rougeron, l’explication doit être recherchée dans l’esprit de système, la concurrence interarmée et l’amour-propre des chefs militaires, qui, consciemment ou inconsciemment, se sentent d’autant plus valorisés qu’ils sont chargés de mettre en œuvre un armement plus coûteux. Il fustige l’inertie des armées et leur résistance au changement : « Aucun pays n’échappe à cette réaction de ses chefs militaires luttant pour leur existence. […] Le seul moteur assez puissant pour l’emporter sur ce frein est la suprématie d’un pouvoir civil soucieux du rendement global de sa défense nationale » [38]. L’inertie de la politique d’armement s’explique également par les enjeux économiques et sociaux, qui finissent par prendre la priorité sur les enjeux stratégiques. En temps de paix, ces enjeux civils prennent le pas sur les enjeux militaires et nuisent à l’adaptation rapide de l’armement. « Le char et l’obusier ont cessé d’être jugés à leur rôle militaire et ne sont plus que des prétextes à occuper une main d’œuvre menacée de chômage ou à soutenir une économie défaillante » [39]. Pour Camille Rougeron, toute reconversion importante de l’industrie d’armement est bloquée par des dirigeants politiques plus soucieux des répercussions locales qu’entraînerait la fermeture d’usines que de l’adaptation de l’armement national et de son efficacité en cas de guerre. Il estime que le point d’aboutissement est une situation de gabegie des finances publiques pour la mise sur pied d’un armement coûteux et obsolète, alors que la sécurité minimale n’est même pas assurée.
La guerre économique obtenue par le rendement des armes et des tactiques
31 La notion de rendement est un élément clé de la pensée stratégique de Camille Rougeron. L’armement et sa mise en œuvre ont un coût et leur rendement doit être proportionnel à ce coût. « Dans un conflit, le but est d’appauvrir l’adversaire jusqu’à ce qu’il s’essouffle et se rende » [40]. Dans ce contexte, « entre adversaires d’égale richesse, toute destruction est avantageuse qui coûte moins cher que l’objet détruit » [41]. Une autre forme de guerre économique est de privilégier un mode de combat peu coûteux, tout en imposant à l’adversaire un mode de combat qui l’épuise financièrement. La guérilla est le meilleur exemple de ce genre d’adaptation. Celui qui doit mettre en œuvre des moyens très onéreux de lutte anti-guérilla finira par épuiser ses forces et cherchera donc une paix de compromis. L’issue de la guerre du Vietnam tend à corroborer ces idées [42].
32 Pour obtenir le meilleur rendement du matériel et des tactiques, il faut en changer souvent car la période de rendement maximal d’un armement ou d’une tactique nouvelle est limitée dans le temps. Dès que les phénomènes de saturation et d’adaptation ont fait baisser le rendement marginal, il faut adapter la doctrine d’emploi du matériel et le matériel lui-même. Pour Rougeron, le rendement maximum d’un système d’armes peut être trouvé de deux manières : soit on diminue le coût, soit on augmente l’efficacité. Ainsi, dans le premier cas, on choisit un niveau de combat techniquement inférieur, mais bon marché. Dans les premiers temps de la guerre de Corée, les Sino-Coréens ont maintenu le rendement de leurs forces militaires en diminuant leur coût, en supprimant les convois motorisés, l’artillerie, l’aviation et les blindés. C’est également la technique utilisée dans la guérilla. En choisissant un niveau de combat plus sommaire, il est possible, face à un adversaire puissant, de garder un bon rapport coût-efficacité. « On se bat aussi bien, ou souvent mieux, avec un bazooka, une grenade ou un couteau de tranchée qu’avec un char de cinquante tonnes » [43].
33 Autre solution pour obtenir un bon rendement : accroître l’efficacité de l’arme en utilisant des techniques et des tactiques résolument novatrices. L’investissement réalisé est amorti car, durant le temps que les parades à l’armement nouveau soient élaborées, ses détenteurs disposent d’une longueur d’avance qui peut suffire à renverser la situation et emporter la décision. Le coût important de l’arme est amorti par son efficacité maximale. Les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki sont les exemples types de cette recherche de rendement « par le haut ». L’utilisation des MIG 15 en Corée ou du radar dans la bataille d’Angleterre peut également illustrer cette analyse.
34 Pour Camille Rougeron, la recherche du rendement ne peut donc se faire que de ces deux manières. D’un côté, on peut rechercher une adaptation « par le bas », avec priorité à l’infanterie, aux armes légères, aux techniques de combat de guérilla, à la « mise au pas » des populations par des destructions et des massacres arbitraires, toutes méthodes qui ont malheureusement fait, depuis les origines de la guerre, la preuve de leur redoutable efficacité. De l’autre, on recherchera une adaptation « par le haut », avec la mise en œuvre d’armes nouvelles qui imposent pour un temps suffisamment long la supériorité technique de celui qui les utilise.
35 Pour Camille Rougeron, toute voie intermédiaire – c’est-à-dire refusant à la fois la recherche de l’adaptation par le haut ou par le bas – est un gaspillage. Il condamne sans appel ce « matériel de juste milieu auquel on apporte, de temps à autre, le petit perfectionnement qu’on croit lui valoir dix ans de survie » et ajoute : « On se bat fort bien avec un matériel à la portée des nations les plus pauvres et les moins civilisées. On se bat aussi bien, et peut-être mieux encore, avec celui qui réclame l’assimilation des plus récentes conquêtes de la mécanique, de l’électronique et des techniques nucléaires, mais il n’y a rien à tirer du matériel intermédiaire » [44]. Il constate avec amertume que la politique de réarmement des pays de l’OTAN est pourtant une voie médiane, aux antipodes de cette recherche de rendement. Les pays du Pacte atlantique, note Rougeron, souhaitent juste perfectionner l’armement lourd issu de la Seconde Guerre mondiale, sans réaliser que ses jours sont comptés. Les chars, les avions lourds, le matériel d’artillerie conçu et réalisé à grands frais, dont l’acquisition grève le budget des États occidentaux, ont toutes les chances d’être facilement détruits par des armes moins coûteuses. « Que les chars légers ou lourds qui succèdent aux Sherman soient revêtus d’une cuirasse un peu plus ou un peu moins épaisse […], en quoi cela peut-il modifier les positions respectives de son équipage et du fantassin invisible qui, de son trou, le menace d’un lance-fusée ? Le premier enseignement de la guerre de Corée, c’est la révélation de l’impuissance croissante du matériel dont on n’est pas parvenu à renouveler les formules et pour la construction duquel on a bouleversé l’économie de l’Occident » [45]. Pour Rougeron, ces investissements auraient pu être utilement remplacés par la recherche d’armes nouvelles : missiles, armes ultra légères de grande puissance et armes de destruction massive.
36 Le principe du rendement impose le choix du matériel le moins coûteux à action égale. Abandonner tout système d’arme dont le rendement décroît est un des principes de Camille Rougeron. Il n’ignore pas qu’à long terme, ce principe pourra signer la fin de l’avion de combat ou du navire de ligne [46]. Cette loi du rendement s’applique aussi au bombardement stratégique. Le bombardement des villes et des usines de l’adversaire peut atteindre également son point de saturation. La dispersion de la population et des usines, la construction d’abris font que chaque nouveau bombardement a un rapport coût-efficacité de moins en moins intéressant. On ne peut retrouver ce rendement qu’en mettant en œuvre des armes de plus en plus destructrices. C’est tout d’abord l’extension des objectifs : champs, villages, forêts, tout ce qui peut nourrir ou abriter, et surtout l’extension du pouvoir de destruction : napalm, guerre atomique, guerre bactériologique, guerre chimique. C’est l’escalade. Tout conflit limité peut entraîner, par effet de saturation-adaptation et par recherche du rendement, le recours à des armes de plus en plus puissantes, y compris, au final, les armes de destruction massive. Camille Rougeron ne pense pas que la monstruosité des massacres et l’étendue des destructions peuvent limiter durablement l’emploi d’une arme hautement meurtrière. « Si effrayantes que puissent paraître ces destructions, on s’y habituera, comme on s’est habitué à toutes les formes qu’a prises la guerre » [47]. Il constate que « l’horreur de la guerre se mesure à l’acharnement qu’on y met beaucoup plus qu’aux armes qu’on y emploie ou à la manière dont on la conduit ». Rougeron rejoint ainsi Herman Kahn dans le cercle assez restreint des stratèges qui ne croient pas qu’un armement nouveau, même spécialement meurtrier, puisse produire un effet de dissuasion durable [48]. Il développe plus longuement ces théories dans ses deux derniers ouvrages stratégiques consacrés à la guerre nucléaire [49].
Des idées sans influence
37 Rougeron était un stratège qui a dérangé car il a systématiquement refusé les certitudes. À chaque affirmation doctrinale, il opposait un contre-exemple, puisé dans sa vaste culture historique et technique. Cette casuistique était naturellement bien plus inconfortable que les principes stratégiques clairement établis et reconnus par tous. Or, les institutions de la défense, dans leurs diverses composantes et à différentes échelles, du ministre de la Défense jusqu’au soldat, de la bombe atomique jusqu’à l’arme de poing, visent la continuité, la planification, la « domestication » de l’action de guerre. Il s’agit sans doute d’assurer la défense en cas de menace extérieure, mais également, et peut-être surtout, pendant de longues périodes sans conflit majeur, de donner au citoyen, qui paie sa dîme pour se sentir en sécurité, l’impression qu’il est protégé. À l’intérieur même des armées, la confiance en l’armement et en la doctrine est un des éléments essentiels du moral, cet impondérable qui permet de remporter des batailles. Vis-à-vis de l’extérieur, le fait d’afficher des forces militaires imposantes, d’aligner chars, missiles intercontinentaux et avions de combat dans les colonnes du Military Balance ou du Jane’s contribue à donner ce sentiment de puissance qui apporte respectabilité et stabilité, attire les investisseurs étrangers et dissuade les agresseurs potentiels. La puissance militaire comporte une importante dimension de symbolique politique.
38 Rougeron a refusé de cautionner cet aspect psychologique, rassurant et potentiellement dissuasif, de la stratégie officielle. Son expérience dans les tranchées de la Grande Guerre alors qu’il était jeune l’a peut-être conduit à toujours évaluer la guerre réelle et non la guerre potentielle. En tant qu’ingénieur, il s’interroge toujours sur l’efficacité de l’armement dans un contexte de combat extrême et de longue durée. Servi par son honnêteté intellectuelle et son anxiété, il refuse d’être co-responsable des pertes humaines que risque d’entraîner l’emploi d’une arme inadaptée à la menace. Pour lui, le conservatisme, l’esprit de caste, l’attachement aux symboles de puissance que représentent certains armements pourtant dépassés relèvent d’une dangereuse imposture intellectuelle.
39 Le rejet des idées de Camille Rougeron trouve ici une partie de son origine. Ses analyses pouvaient contribuer à remettre en cause la seule sécurité qu’apportent les armes qu’il jugeait inadaptées, c’est-à-dire la sécurité psychologique, qui n’est pas nulle, mais qui ne dure que tant que l’imposture n’est pas dévoilée. Si tout le monde s’entend sur l’efficacité d’une arme, personne n’ose venir la tester. Toute remise en cause intellectuelle nuit alors à la défense réelle, car elle dévoile les vérités qui ne sont « pas bonnes à dire ». Alors que la France de l’entre-deux guerres tirait fierté de sa Marine nationale rebâtie sous Georges Leygues, quelle attitude fallait-il adopter face au jeune ingénieur maritime qui osait dévoiler son point faible dans une conférence internationale ?
40 Les limites de l’influence de Camille Rougeron ne se résument pourtant pas à cela. Dire qu’il n’a pas été reconnu parce qu’il disait la vérité et que cette vérité était difficile à entendre reviendrait à adopter sans recul sa propre mise en scène de son action. Camille Rougeron a également commis des erreurs d’appréciation et sa pensée n’est pas sans lacunes. Il a toujours mésestimé les progrès de l’électronique et a parfois oublié de les intégrer dans ses prévisions concernant l’emploi futur de l’aviation. En outre, il a été desservi par une série de facteurs touchant à son caractère, à son milieu social, à sa trajectoire. Les commentateurs parlent de lui comme d’un homme modeste, effacé et timide. L’écriture sera toujours son mode d’expression favori, on ne le voit pas à la télévision, on ne l’entend pas à la radio, il ne confronte pas publiquement ses idées avec celles d’autres penseurs, stratèges ou hommes politiques. Ses écrits, extrêmement divers et touchant de nombreux thèmes, donnent une impression de désordre. À travers la multitude des exemples historiques, des récits de combats, des digressions techniques, il est souvent difficile de repérer ses idées principales. Il manie volontiers l’anathème et l’ironie. À moins de disposer d’une solide culture à la fois littéraire et scientifique, le lecteur décroche fatalement à l’une ou l’autre de ses digressions.
41 Rougeron ne cherche pas à plaire et refuse d’être récupéré. S’il a eu la satisfaction de toujours vivre selon ses convictions, il a aussi dû subir la rançon de ce choix et s’est coupé des réseaux d’influence qui auraient pu servir de relais à sa pensée. Son milieu social a pu également contribuer à cet oubli relatif. Venant de province, fils d’instituteur, ce n’est pas un homme de système et de réseau. Il a toujours marqué de la distance envers ceux qui auraient pu l’appuyer, en particulier les polytechniciens et les ingénieurs de l’armement, en dénonçant publiquement leur supposée incurie, en particulier lors du procès de Riom.
42 Il aurait également pu s’appuyer sur les réseaux aéronautiques. S’il avait accepté d’être un stratège de la puissance aérienne, sa notoriété aurait été assurée, car les aviateurs français ont toujours cherché le stratège national, dont la pensée aurait pu conforter leur identité et leur volonté de s’imposer face aux autres armées. Pendant un temps, il a joué ce rôle, puis il a montré, à l’occasion de la guerre de Corée, que l’aviation, tout comme la Marine, était vulnérable face aux nouvelles menaces, en particulier les missiles, qu’elle était coûteuse par rapport au rendement qu’elle offrait, qu’il ne pouvait jamais y avoir de maîtrise de l’air absolue, pas plus que de fortification imprenable. Il s’est ainsi aliéné définitivement un lobby puissant qui lui aurait ouvert une carrière brillante. Enfin, il aurait pu, à l’instar de Gallois, Poirier, Ailleret et Beaufre, accompagner la révolution doctrinale amenée par la nouvelle politique de défense du général de Gaulle. Au lieu de cela, il a pris systématiquement le contre-pied de la doctrine officielle et s’est condamné à avoir une audience de plus en plus limitée, dans un contexte où la dissuasion était devenue la seule pensée stratégique encouragée par la presse militaire.
43 Son influence sur le plan de la technique et du mode d’emploi des armes a cependant été indéniable. Dès 1936, il préconise l’emploi des « bombes fusées » (actuellement nommées missiles air-air ou air-sol), des « bombes soufflantes », des « mortiers à propulsion additionnelle ». Plus tard, ses recherches sur les explosions nucléaires souterraines et à haute altitude, ses développements sur la technique du bombardement en piqué et en semi-piqué, des réservoirs larguables, du ravitaillement en vol ont eu une postérité évidente. Il est, en revanche, difficile d’évaluer son influence sur la stratégie et la doctrine d’emploi des forces françaises ou étrangères. Une œuvre aussi considérable, diffusée dans de si nombreuses revues, dont la grande presse quotidienne, la presse militaire et les revues scientifiques de vulgarisation, n’est pas passée inaperçue. De plus, ses fonctions de directeur du service technique du ministère de l’Air avant 1938, de conseiller technique du ministère de la Défense nationale de 1945 à 1946 l’ont, malgré tout, mis au cœur de l’action. Pour mesurer son influence stratégique, il faudrait dépouiller les travaux des bureaux de recherche opérationnelle des états-majors, en France comme à l’étranger, et essayer de déceler des idées qui pourraient avoir été inspirées par Rougeron. La tâche est hasardeuse car les officiers spécialistes de ce genre de recherche citent rarement leurs sources.
44 Dans les archives du service historique de l’Armée de l’air [50], il est possible de constater que la recherche opérationnelle des années 1945-1950 s’articule essentiellement autour de la notion de « base stratégique » [51]. La possession d’un certain nombre de bases navales et aériennes fortement défendues pouvant servir de point d’appui pour l’Armée de terre, reliées entre elles par un réseau d’aviation de transport, dispenserait de l’occupation et du maintien de l’ordre dans de vastes espaces en cas de troubles. Cette politique a été mise en œuvre en Afrique et, en grande partie, maintenue après la décolonisation. Or, cette idée est longuement développée dans les travaux de Camille Rougeron, qui prône au même moment la « manœuvre sur réseau de places », sorte de réactualisation de la pensée de Vauban à l’âge de l’aviation [52]. Doit-on y voir un lien de cause à effet ? Seule une recherche approfondie sur la documentation utilisée par les services de recherche opérationnelle à cette époque ou des entretiens avec d’anciens officiers de ces bureaux permettrait de répondre à cette question. Il reste que Rougeron a probablement influencé ces orientations stratégiques, notamment par le biais de ses conférences et écrits d’après-guerre.
45 ***
46 Il ne faudrait pourtant pas attribuer à Rougeron une influence qu’il n’a pas eue. Le but de cet article n’est nullement de rendre justice à son talent, mais d’analyser, à travers un exemple précis, les rapports entre une administration et une pensée. L’appareil militaire au sens large est une administration qui, comme toutes les autres, a une mission et une identité. La mission, c’est la défense, la préparation de la guerre et la guerre elle-même ; l’identité, c’est tout un ensemble de signes de reconnaissance et de relations de confiance qui crée la certitude de la fiabilité et de l’adéquation à la mission. D’un côté, il y a l’efficacité réelle, lors d’une guerre réelle, de l’autre, la croyance en l’efficacité, qui suffit en temps de paix ou lors de conflits très limités. La plupart du temps, il n’est pas nécessaire qu’une armée fasse preuve sur le terrain de son efficacité réelle, il suffit qu’elle ait une identité marquée et que sa puissance soit reconnue. La doctrine, telle qu’elle se manifeste dans les instructions d’emploi des systèmes d’armes, dans les lois-programmes, dans les déclarations officielles, la possession d’armements puissants et impressionnants exposés tous les ans lors de défilés militaires ou de salons internationaux, présentés solennellement à des visiteurs étrangers, les actions extérieures « coup de poing », rapides et fortement médiatisées, participent à cette action psychologique où la certitude de posséder une armée puissante et un système de défense adapté suffit effectivement à assurer, pour un temps plus ou moins long, une sécurité réelle. C’est pourquoi l’appareil militaire repousse souvent les pensées qui dérangent cette belle stabilité. Aucune armée ne peut accepter cela. Un stratège « civil », diffusant ses idées par la grande presse et – qui plus est – exposant des analyses souvent exactes, représente une telle menace pour la stabilité d’un système de défense qu’il ne peut qu’être rejeté et marginalisé.
47 La question posée reste cependant d’actualité : les institutions de la Défense peuvent-elles – doivent-elles – accueillir des pensées novatrices qui remettent en cause la certitude de leur efficacité ? Certes, les remises en cause intellectuelles peuvent fragiliser temporairement la sécurité collective, mais il faut se souvenir que, trop souvent dans l’histoire, les armées qui les ont refusées se sont vues contraintes d’attendre les défaites pour s’adapter.
Notes
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[1]
Camille Rougeron, « La guerre totale et l’aviation », L’Illustration, 2 septembre 1931, p. 382 ; « Aerial Bombardment of Fleet Bases », United States Naval Institute Proceedings, octobre 1933, p. 1413.
-
[2]
Camille Rougeron, Les enseignements de la guerre de Corée, Paris, Berger-Levrault, 1952.
-
[3]
Camille Rougeron, « Les caractères de la guerre future », conférence IHEDN, 11 décembre 1948, p. 1, archives IHEDN.
-
[4]
Camille Rougeron, L’aviation de bombardement, Paris, Berger-Levrault, 1936, 2 tomes, cf. tome 1, p. 189.
-
[5]
Camille Rougeron, « Scènes de la guerre future. 1/L’arme biologique pourra frapper hommes, animaux et plantes », Le Monde, 14 janvier 1950 ; Yves Mamou « La terreur bio, une menace dans l’air du temps », Le Monde, 25 juin 2002.
-
[6]
Camille Rougeron, La guerre nucléaire, armes et parades, Paris, Calmann-Lévy, 1962, avec la préface de Raymond Aron, p. 18.
-
[7]
Michel Roussel, « Camille Rougeron (1893-1980) », Journal de la Marine marchande, 19 mars 1981, p. 659.
-
[8]
Les détails biographiques proviennent d’un entretien de l’auteur avec le petit-fils de Camille Rougeron, en mars 1991.
-
[9]
Camille Rougeron, « La longueur du cuirassé », Bulletin de l’association technique maritime et aéronautique, 32, 1928, p. 476.
-
[10]
« Le Deutschland et l’évolution du croiseur de 10 000 t », Journal de la Marine marchande, juin 1931, p. 1312 ; « La protection horizontale du cuirassé », Revue maritime, 1er sem. 1931, p. 1203 ; « La vitesse du cuirassé », Revue maritime, 1er sem. 1931, p. 195 ; « L’accord de Londres et l’évolution du croiseur léger », Revue maritime, 1er sem. 1935, p. 40.
-
[11]
« L’efficacité du bombardement aérien », Revue de l’Armée de l’air, 64, novembre 1934, p. 1227 ; « La guerre totale et l’aviation », art. cité, p. 382 ; « Aerial Bombardment of Fleet Bases », art. cité, p. 1413.
-
[12]
David McIsaac, « The Legacy of Billy Mitchell », Colloque Air 1990, 8-10 octobre 1990 ; Edward Warner, « Douhet, Mitchell, Severski : les théories de la guerre aérienne », dans Edward Mead Earl (ed.), Les maîtres de la stratégie, Paris, Flammarion, vol. 2, 1987 (Champs) (1re éd. : 1943), p. 250-260 ; Lee Kennett, A History of Strategic Bombing. From the First Hot-Air Balloons to Hiroshima and Nagasaki, New York, Charles Scribner’s Sons, 1982 ; Patrick Facon, Le bombardement stratégique, Monaco, Éditions du Rocher, 1995 (L’art de la guerre).
-
[13]
Camille Rougeron, L’aviation de bombardement, op. cit.
-
[14]
Ibid., tome 1, p. 329.
-
[15]
Audition du témoin Rougeron Camille, Maurice par commission rogatoire de M. Baraveau, membre de la Cour suprême de justice, 2 décembre 1940, procès verbal d’information, SHAA Z 12962.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
Camille Rougeron, Les enseignements aériens de la guerre d’Espagne, Paris, Berger-Levrault, 1939, p. 242.
-
[19]
Sur le « salon » d’Émile Mayer, cf. Jacques Shapira, Henri Lerner, Émile Mayer, un prophète bâillonné, Paris, Michalon, 1995.
-
[20]
Camille Rougeron, La prochaine guerre, Paris, Berger-Levrault, 1948.
-
[21]
Paul Gérardot (général), Instruction provisoire sur l’emploi des forces aériennes, Limoges, Lavauzelle, 1947 ; Louis Marie Chassin (général), Stratégie et bombe atomique, Limoges, Lavauzelle, 1948.
-
[22]
Louis Marie Chassin (général), Anthologie des classiques militaires français, Limoges, Lavauzelle, 1950.
-
[23]
« Armes nouvelles offensives et défensives », Le Monde, 16 juin 1950, p. 1 ; « Premiers enseignements de la guerre de Corée (chars et infanterie, aviation tactique) », Le Monde, 11-12 juillet 1950 ; « Les États-Unis vont construire des avions de chasse plus puissants », Le Monde, 2 août 1950, p. 3 ; « Résultats obtenus par les chasseurs à réaction Shooting Star », Le Monde, 23 août 1950, p. 2 ; « La manœuvre de MacArthur », Le Monde, 20 septembre 1950, p. 3 ; « Avions de transport d’assaut », Le Monde, 31 octobre 1950, p. 4 ; « Réarmement et guerres d’Asie », Le Monde, 14 novembre, 7, 8 décembre 1950 ; « Manœuvre sino-coréenne », Le Monde, 22 décembre 1950 ; « Sabres et MIG en ciel de Corée », Le Monde, 29 décembre 1950, p. 1 ; « Puissance et mobilité, recherche des responsabilités en Corée », Le Monde, 24 janvier, 1950 ; « Thunderjets contre MIG en Corée », Le Monde, 28-29 janvier 1951 ; « Combats aériens en Corée », Le Monde, 21 février 1951 ; « L’échec sino-coréen ou la défense élastique », Le Monde, 28 février 1951.
-
[24]
« Les opérations aériennes tactiques dans la campagne de Corée », Forces aériennes françaises, 68, mai 1952, p. 181 ; « Conversion de l’aviation stratégique », Forces aériennes françaises, août 1952, p. 621 ; « Les géants devant la technique et l’histoire », Forces aériennes françaises, 87, novembre 1953, p. 697 ; « Le banc d’essai coréen », Forces aériennes françaises, 51, décembre 1950, p. 293 ; « La fortification en Corée », Revue de Défense nationale, août-septembre 1952, p. 170. « L’aviation tactique dans l’attaque et la défense », Science et vie, 401, février 1951, p. 82.
-
[25]
Brevets : « Perfectionnement au transport des hydrocarbures légers », 27 février 1961 ; « Projet de navire-citerne pour le transport de gaz liquéfiés », 3 mai 1961 ; « Perfectionnements aux canons sans recul pour lancement d’engins », 18 septembre 1961 ; « Production et utilisation des matériaux fissibles », archives familiales de Camille Rougeron.
-
[26]
Outre les revues déjà mentionnées, on peut encore citer : Ingénieurs et Techniciens, Revista de politica International, Interconair Aviazione e Marina, ainsi que des articles bimensuels pour des quotidiens tels que Le Télégramme de Brest, Le Progrès de Lyon, Le Midi Libre, Nice Matin, La République du Centre, L’Alsace, Presse-Océan, Les Dépêches, La Dernière Heure (Bruxelles), Primeiro de Janeiro (Porto).
-
[27]
La guerre nucléaire, Armes et Parades, Paris, Calmann-Lévy, 1962.
-
[28]
François Géré, « Quatre généraux de l’apocalypse : Ailleret-Beaufre-Gallois-Poirier », dans Stratégique, 1er janvier 1992, p. 75-116 ; André Beaufre (général), Dissuasion et stratégie, Paris, Armand Colin, 1964 ; Lucien Poirier (colonel), Éléments pour la théorie d’une stratégie de dissuasion concevable pour la France (la logique spécifique de la manœuvre dissuasive militaire), Paris, ministère des Armées, CPE, 1967 ; Charles Ailleret, (général), Essai de stratégie nucléaire, non publié, 1959 ; L’aventure atomique française, Paris, Grasset, 1968 ; Pierre-Marie Gallois (général), Stratégie de l’âge nucléaire, Paris, Calmann-Lévy, 1960.
-
[29]
« De l’explosion haute aux charges de 100 mégatonnes », Forces aériennes françaises, 180, avril 1962, p. 513 ; « Mines atomiques tactiques », Forces aériennes françaises, mai 1965, p. 657 ; « La guerre du Vietnam, engins sol-air et engins sol-sol », Forces aériennes françaises, 224, avril 1966, p. 411 ; « Aviation tactique et aviation stratégique », Forces aériennes françaises, 226, juin 1966, p. 715 ; « Engins et anti-engins », Forces aériennes françaises, 234, mars 1967, p. 305.
-
[30]
Les enseignements de la guerre de Corée, op. cit., p. 161.
-
[31]
Ibid., p. 161.
-
[32]
Ibid., p. 167.
-
[33]
Ibid., p. 167.
-
[34]
Ibid., p. 168.
-
[35]
Ibid., p. 171.
-
[36]
Ibid., p. 188.
-
[37]
Ibid., p. 252.
-
[38]
Ibid., p. 258.
-
[39]
Ibid., p. 258.
-
[40]
Camille Rougeron, L’aviation de bombardement, op. cit., tome 2, p. 244.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
Camille Rougeron, « Les enseignements de la guerre du Vietnam », Forces aériennes françaises, 265, janvier 1970, p. 39.
-
[43]
Camille Rougeron, Les enseignements de la guerre de Corée, op. cit., p. 92.
-
[44]
Ibid., p. 258.
-
[45]
Ibid., p. 253.
-
[46]
Camille Rougeron, « Armes nouvelles et bombardement intercontinental », Science et vie, 339, décembre 1945, p. 239 ; Camille Rougeron, « Les super-bombardiers et la stratégie mondiale », Science et vie, 401, février 1951, p. 82 ; Camille Rougeron, « L’aviation est-elle menacée par le prodigieux développement des engins téléguidés ? », Science et vie, 435, décembre 1953, p. 497.
-
[47]
Les enseignements de la guerre de Corée, op. cit., p. 242.
-
[48]
Herman Kahn, On Escalation, Metaphors and Scenarios, New York, Praeger, 1965. Traduit en français : De l’escalade. Métaphores et scénarios. Préf. du général Stehlin, Paris, Calmann-Lévy, 1966 (Liberté de l’esprit).
-
[49]
Camille Rougeron, Les applications de l’explosion thermonucléaire, Paris, Berger-Levrault, 1956 ; La guerre nucléaire, armes et parades, op. cit.
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[50]
SHAA sous série E12. En 1944 est créé, à l’état major de l’Armée de l’air, un bureau de recherche opérationnelle (SHAA E4430) qui devient groupe d’études de recherche opérationnelle, par Note N° 561/EMAA/CAB du 26. 7.1955, SHAA E4175 ; E 2844.
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[51]
SHAA E1489, « Organisation des bases stratégiques outre-mer 1945-1963 ».
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[52]
Camille Rougeron, « L’aviation dans la manœuvre sur réseau de places », Forces aériennes françaises, décembre 1953, p. 505.