Notes
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[1]
Sur les propriétés théoriques du vote par assentiment, l’ouvrage de référence est : S. Brams, P. Fishburn, Approval Voting, Cambridge, Birkhauser, 1983. Pour des résultats plus récents, faisant notamment le lien avec le concept de vainqueur de Condorcet, cf. S. Brams, R. Sanver, « Voter Sovereignty and Election Outcome », Mimeo, New York University, 2003.
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[2]
Le terme français « vote par assentiment » a été proposé par Laurent Mann dans sa thèse de doctorat « Un modèle pour le vote par assentiment : du rôle stratégique des sondages dans le choix social », thèse soutenue à l’école Polytechnique le 20 janvier 1995.
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[3]
L’ordre des candidats figurant sur le bulletin est l’ordre tiré au sort par le Conseil constitutionnel.
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[4]
D. Green, A. Gerber, « Reclaiming the Experimental Tradition in Political Science », dans I. Katznelson, H. Milner (eds), State of the Discipline in Political Science, New York, Norton, 2002.
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[5]
En France, de telles études sont rapportées, en particulier dans G. Grunberg, N. Mayer, P. Sniderman (dir.), La démocratie à l’épreuve. Une nouvelle approche de l’opinion des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.
-
[6]
W. Güth, H. Weck-Hanneman, « Do People Care about Democracy ? An Experiment Exploring the Value of Voting Right », Public Choice, 97, 1997, p. 27-47.
-
[7]
Cf. M. Fiorina, C. Plott, « Committee Decisions under Majority Rule : An Empirical Study », American Political Science Review, 72, 1978, p. 575-598 ; R. McKelvey, P. Ordeshook, « A Decade of Experimental Research on Spatial Models of Elections and Committees », dans J. Enelow, M. Hinich (eds), Readings in the Spatial Theory of Voting, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, ou encore D. Davis, C. Holt, Experimental Economics, Princeton, Princeton University Press, 1993.
-
[8]
Cf., par exemple, S. Guarnaschelli, R. McKelvey, T. Palfrey, « An Experimental Study of Jury Decisions Rules », American Political Science Review, 94, 2000, p. 407-423.
-
[9]
Cf. H. Gosnell, Getting-Out-the-Vote : An Experiment in the Stimulation of Voting, Chicago, University of Chicago Press, 1927, ou D. Green, A. Gerber, cité.
-
[10]
L. Wantchekon, « Clientelism and Voting Behavior : Evidence from a Field Experiment in Benin », World Politics, à paraître.
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[11]
Cf. T. Vedel, « Le vote électronique », dans P. Perrineau, D. Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2000.
-
[12]
S. Brams, P. Fishburn, « Going from Theory to Practice : The Mixed Success of Approval Voting », Document de travail, New York University, 2002.
-
[13]
Cf. S. Brams, P. Fishburn, « A Nail-Biting Election » Social Choice and Welfare, 18, 2001, p. 409-414 ; D. Saari, « Analyzing a Nail-Biting Election », Social Choice and Welfare, 18, 2001, p. 415-430 ; J.-F. Laslier, « Analyzing a Preference and Approval Profile », Social Choice and Welfare, 20, 2003, p. 229-242.
-
[14]
Cf. M. Duverger, L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique, Paris, Armand Colin, 1950 ; A. Lijpart, Electoral Systems and Party Systems, Oxford, Oxford University Press, 1994, ou encore P. Martin, « Modes de scrutin », dans P. Perrineau, D. Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001.
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[15]
K. Arrow, Social Choice and Individual Values, New York, Wiley, 1952.
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[16]
A. Gibbard, « Manipulation of Voting Schemes : A General Result », Econometrica, 41, 1973, p. 587-601, et M. Satterthwaite, « Strategy-Proofness and Arrow’s Conditions : Existence and Correspondence Theorems for Voting Procedures and Social Welfare Functions », Journal of Economic Theory, 10, 1975, p. 198-217.
-
[17]
C’est la démonstration originale d’Allan Gibbard. Pour ces aspects techniques, cf. K. Arrow, Social Choice…, op. cit. ; A. Gibbard, art. cité ; M. Satterthwaite, art. cité ; ou A. Sen, « Social Choice Theory », dans K. Arrow, M. Intriligator (eds), Handbook of Mathematical Economics, Amsterdam, North-Holland, vol. III, 1986.
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[18]
Nous craignions en particulier un rejet a priori fondé sur une hostilité à toute expérimentation en sciences sociales et politiques. Un tel rejet avait été exprimé devant nous par certains élus initialement contactés, ainsi que par certains collègues, rejet assorti de prévisions pessimistes quant au taux de participation que nous pourrions obtenir. Comme on le verra, ces craintes se sont révélées injustifiées.
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[19]
J.-L. Parodi, « L’énigme de la cohabitation, ou les effets pervers d’une pré-selection annoncée », Revue française de science politique, 52 (5-6), 2002, p. 485-504.
-
[20]
J.-L. Parodi, « Sur quelques énigmes des élections françaises du printemps 2002 », Revue française de science politique, 52 (5-6), 2002, p. 483.
-
[21]
Pour une description de l’expérience et de ses premiers résultats, cf. aussi M. Balinski, R. Laraki, J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Expérience électorale du vote par assentiment », Pour la science, 296, 2002, p. 13. Les résultats détaillés des six bureaux se trouvent dans : M. Balinski, R. Laraki, J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Le vote par assentiment : une expérience », Document de travail n° 2003-013, Laboratoire d’économétrie de l’école Polytechnique, 2003.
-
[22]
Cf. S. Brams, P. Fishburn, « Going from Theory to Practice… », doc. cité.
-
[23]
On aurait, par exemple, éventuellement pu s’attendre à une distribution symétrique au lieu du graphique 1. En effet, le vote par assentiment permet de voter aussi bien « contre » un candidat (en cochant les noms de tous les autres candidats) que « pour » lui ou, plus généralement, « contre » un groupe aussi bien que « pour » le groupe complémentaire. À l’évidence, cette symétrie théorique n’est pas du tout intégrée par les électeurs et le vote « négatif » n’est pas utilisé.
-
[24]
Pour une présentation récente des modèles explicatifs du vote, cf. D. Boy, N. Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, ou encore N. Mayer (dir.), Les modèles explicatifs du vote, Paris, L’Harmattan, 1997.
-
[25]
J.-L. Parodi, « L’énigme de la cohabitation… », art. cité.
-
[26]
Sur l’abstentionnisme, cf. A. Muxel, « La poussée des abstentions : protestation, malaise, sanction », dans P. Perrineau, C. Ysmal (dir.), Le vote de tous les refus, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.
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[27]
Pour le détail des scores des candidats dans les différents bureaux d’Orsay, cf. M. Balinski, R. Laraki, J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Le vote par assentiment… », doc. cité.
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[28]
Cette information peut sembler trop riche pour être utilisable. Pour une élection à 16 candidats, le nombre de bulletins d’assentiment différents qui sont logiquement concevables est effectivement astronomique. Mais cette remarque est trompeuse : en pratique, le résultat complet d’un scrutin d’assentiment peut être vu comme un fichier informatique binaire comportant autant de colonnes qu’il y a de candidats et de lignes qu’il y a d’électeurs. Avec 16 candidats, cela représente deux octets par électeur ; à l’échelle d’un pays, il s’agit donc d’un petit fichier informatique. Un tel fichier – anonyme – constitue le véritable résultat de l’élection.
-
[29]
Il peut paraître surprenant de décrire le comportement des électeurs à l’aide de « probabilités ». Parler de « la probabilité qu’un électeur vote au premier tour pour le candidat c lorsqu’il a rendu par assentiment le bulletin B » ne signifie pas, bien sûr, que nous considérons que chaque électeur « tire au sort » au moment de décider à quel candidat il va donner son suffrage. Cela signifie simplement que nous cherchons une réponse à la question suivante : Sur 100 électeurs ayant remis un bulletin d’assentiment B donné, combien ont voté au premier tour pour les divers candidats ? Notre modèle revient à proposer la réponse suivante : « Aucun n’a voté pour un candidat ne figurant pas sur le bulletin B et une fraction proportionnelle à ?c a voté au premier tour pour chacun des candidats c figurant sur B. »
-
[30]
Cf. J. Jaffré, « Comprendre l’élimination de Lionel Jospin », dans P. Perrineau, C. Ysmal (dir.), op. cit.
-
[31]
Pour plus d’informations sur les caractéristiques des électeurs de Jean-Marie Le Pen, on pourra se reporter, par exemple, aux chapitres 3 et 5 de Nonna Mayer, « La consistance des opinions » et « Les dimensions de la confiance », dans G. Grunberg, N. Mayer, P. M. Sniderman (dir), op. cit., p. 19-49 et p. 87-107.
-
[32]
Cf. G. Grunberg, E. Schweisguth, « La tripartition de l’espace politique », dans P. Perrineau, C. Ysmal (dir.), op. cit.
-
[33]
Cf., par exemple, G. Grunberg, E. Schweisguth, ibid.
-
[34]
Cf. J.-F. Laslier, « Spatial Approval Voting », Document de travail n° 2002-031, Laboratoire d’économétrie de l’école Polytechnique, 2002, et J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Analyse d’un scrutin d’assentiment », Quadrature, 46, 2002, p. 5-12.
-
[35]
Pour plus de détails, cf. J.-F. Laslier, ibid. On n’a pas pu représenter les candidats ayant trop peu d’assentiments. On se restreint aux 10 principaux candidats. La position du point J-P C (Jean-Pierre Chevènement) dans le plan du graphique n’est pas significative.
-
[36]
J. Jaffré, cité.
-
[37]
Si elles existent. Mais tel est le cas sur le bureau de Gy, sur lequel nous réalisons l’estimation.
-
[38]
Certains bulletins comportent des notes non entières : pour ce décompte, elles ont été arrondies. Ceci concerne peu de bulletins.
1 Le 21 avril 2002, lors du premier tour de l’élection présidentielle française, a été organisée une expérience de grande échelle à propos du vote par assentiment, dit aussi vote par approbation, de l’anglais Approval Voting. Le principe de ce mode de scrutin est très simple : au lieu de voter pour un seul candidat, chaque électeur peut voter pour (« donner son assentiment à » ou « approuver ») autant de candidats qu’il le souhaite : un, deux, trois… ou tous. On compte le nombre d’assentiments reçus par chaque candidat ; celui en ayant reçu le plus est élu. Le vote par assentiment donne lieu à un seul tour et constitue une alternative (parmi d’autres) au système uninominal à deux tours à la française [1].
2 Cette expérience a été organisée par une équipe de chercheurs du Laboratoire d’économétrie de l’école Polytechnique qui, outre les deux auteurs du présent article, comprend Michel Balinski et Rida Laraki. L’idée d’expérimenter le vote par assentiment à grande échelle à l’occasion d’un scrutin présidentiel est due, à l’origine, à Michel Balinski et remonte à 1995, quand un projet – qui n’avait pu être mené à terme – avait été lancé avec Laurent Mann [2].
3 L’expérience a été menée sur six bureaux de vote : dans l’unique bureau de vote de la commune de Gy-les-Nonains (Loiret) et dans cinq des douze bureaux de vote de la commune d’Orsay (Essonne). Une expérience pilote avait, au préalable, été menée à l’Institut d’études politiques de Paris, dont nous présentons les résultats en Annexe III. À Gy-les-Nonains comme à Orsay, nous avons bénéficié de l’aide active de la mairie. Ceci nous a, en particulier, permis d’envoyer un courrier à tous les électeurs inscrits dans les bureaux concernés une semaine avant le 21 avril, afin de les mettre au courant des objectifs et du déroulement de l’expérience et de solliciter leur participation (une copie de cette lettre est reproduite en Annexe II). D’autre part, nous avons pu installer à proximité immédiate des bureaux de vote (dans la pièce même ou dans une pièce attenante) des stands où des bureaux fictifs étaient constitués. Chaque bureau fictif était formé d’une table où étaient disposés les bulletins expérimentaux, d’isoloirs et d’une urne. Après avoir voté au scrutin officiel, chaque électeur était invité à venir participer à l’expérience. Un bulletin (reproduit en Annexe II) lui était remis. Ce bulletin comportait la liste des seize candidats à l’élection officielle [3], ainsi qu’un rappel du principe de vote par assentiment :
« Règlement du vote par assentiment : L’électeur vote en mettant des croix dans la deuxième colonne du bulletin. Il peut mettre des croix pour autant de candidats qu’il le souhaite, mais pas plus d’une croix par candidat. Est élu le candidat qui obtient le plus de croix. »
5 La description du principe du vote par assentiment retenue était volontairement très neutre et uniquement procédurale, de manière à laisser à l’électeur toute latitude dans l’interprétation de son acte de vote.
6 Le participant était alors invité à se diriger vers un isoloir où il pouvait remplir le bulletin et ensuite à le déposer dans l’urne.
L’expérimentation en science politique
7 En science politique, comme le rappellent Donald Green et Alan Gerber dans leur analyse critique du sujet [4], le terme « expérimentation » recouvre des travaux de diverses natures. Dans la tradition des enquêtes d’opinion, des variations contrôlées du protocole d’observation sont utilisées. Ces plans de sondages améliorés permettent, par exemple, de travailler le cadrage des questions ou de reproduire la dimension interactive de l’argumentation [5].
8 Dans la tradition de l’économie expérimentale, des actions, plus que des opinions, sont observées. Ainsi, Werner Guth et Hannelore Weck-Hanneman ont tenté de déterminer à partir de quel prix un électeur accepte de vendre son droit de vote [6]. Des expériences de laboratoire à propos de la question du mode de scrutin existent [7]. Notons que les expériences de laboratoire ne peuvent concerner qu’un petit nombre de votants et sont donc surtout adaptées à la problématique du vote dans les comités ou les jurys [8].
9 Moins fréquente est l’expérimentation sur le terrain en tant que manipulation contrôlée de certaines variables avant une véritable élection. Le point le plus étudié concerne l’influence des techniques de mobilisation sur l’inscription sur les listes électorales et la participation à l’élection [9]. Les expériences de terrain de Léonard Wantchekon [10] étudient l’influence des programmes des partis politiques sur le vote. Les tests récents de dispositifs électroniques constituent des expériences de terrain à propos de l’acte physique de vote, mais ne s’intéressent pas directement à la règle de vote [11].
10 La présente expérience ne s’inscrit véritablement dans aucun des cadres présentés ci-dessus ; elle est à rapprocher des modifications expérimentales des règles de vote qui ont été réalisées dans des groupes de taille moyenne tels que des sociétés savantes ou des associations. Le vote par assentiment a ainsi été comparé à d’autres règles dans plusieurs circonstances (cf. à ce sujet la synthèse de S. Brams [12]) et, en particulier, lors d’élections de la Social Choice and Welfare Society [13], mais ces expériences ne concernent pas des élections populaires.
Cadre théorique
11 Du point de vue de la théorie politique, la problématique du mode de scrutin est souvent réduite à la comparaison entre les systèmes majoritaires et proportionnels [14]. Or, la question du mode de scrutin se pose déjà dans le cas d’une élection du type de l’élection présidentielle, qui a pour objet d’élire un et un seul candidat. Même dans ce cas simple, des systèmes différents ne doivent pas être considérés comme équivalents.
12 Il se présente premièrement un problème d’agrégation, c’est-à-dire de passage de l’individuel au collectif : de même que tout résumé statistique est une perte d’information, il n’existe pas de règle de vote idéale. À cette idée se rattachent les « paradoxes » du vote tels que l’effet Condorcet ; le théorème d’Arrow [15] et la théorie arrowienne du choix social en explorent la généralité.
13 Deuxièmement, et cette fois au niveau de chaque électeur, toute règle de vote confronte l’électeur à un problème « stratégique », à savoir de passage de l’intention à l’action. Il n’existe pas de règle de vote telle que chaque électeur puisse décider de son vote à partir seulement de son jugement sur les résultats possibles de l’élection, en faisant en particulier abstraction des intentions de vote des autres électeurs. Cette idée trouve une expression précise dans le théorème de Gibbard et Satterthwaite [16] et, plus généralement, dans la littérature sur la « manipulabilité » des procédures de choix collectifs.
14 Ces deux difficultés du choix collectif ne sont, en fait, que deux faces d’une même réalité : par exemple, il est classique de déduire logiquement le théorème de manipulabilité de celui d’Arrow [17]. Pratiquement, elles impliquent que, au vu du résultat de l’élection, d’une part, un observateur extérieur peut quelquefois penser légitimement que le résultat aurait été différent avec un autre mode de scrutin et, d’autre part, certains électeurs peuvent légitimement regretter leurs choix. S’agissant précisément du vote par assentiment, l’expérience décrite dans cet article touche ces deux dimen-sions : effets d’agrégation et dimension individuelle de l’acte de vote.
Objectifs
15 Les objectifs de ce projet expérimental étaient multiples. En premier lieu, il paraissait intéressant de tester la réaction du public par rapport au fait de pratiquer cette sorte d’expérimentation dans le domaine politique [18].
16 Deuxièmement, nous étions curieux de tester la réaction du public confronté à l’idée d’envisager un mode de scrutin différent du mode usuel pour l’élection présidentielle. Nos idées a priori mettaient en avant l’attachement particulier des électeurs français au système uninominal à deux tours pour l’élection présidentielle. Cet attachement particulier existe, comme on peut bien le comprendre, en référence à l’histoire politique du pays et se traduit de diverses manières, notamment par le fait que ce système apparaît, aux yeux de nombreux électeurs, comme le système « naturel » ou « normal », tout autre système étant, au contraire, « étonnant » ou « bizarre », voire « dangereux ». Pour cette raison au moins, l’élection présidentielle, plutôt qu’une autre, était certainement le meilleur terrain d’expérience.
17 Troisièmement, cette expérience constitue un test par rapport à l’acceptation du vote par assentiment lui-même. Ici, on pouvait craindre que les électeurs, même acceptant a priori l’idée d’expérimentation sur le mode d’élection du président de la République n’adhèrent pas, pour une raison ou une autre, à une expérience sur le vote par assentiment. On pouvait craindre, en particulier, que de nombreux électeurs refusent l’idée d’une élection présidentielle en un seul tour, ou simplement ne puissent pas l’envisager.
18 Quatrièmement, même si les électeurs comprennent et acceptent le principe du vote par assentiment, il reste nécessaire de connaître leur comportement et leurs réactions lorsqu’ils sont confrontés à ce mode de scrutin. D’une part, pour chaque électeur, la signification de l’acte de vote est personnelle et partiellement mystérieuse. Nous étions donc à l’écoute des réactions des électeurs sur ce point. Sans prétendre découvrir à propos d’un mode de scrutin inhabituel ce que l’on connaît déjà mal à propos d’un mode de scrutin usuel, nous pouvions au moins observer les réactions des électeurs qui, naturellement, comparaient le scrutin par assentiment au scrutin uninominal à deux tours. D’autre part, le vote par assentiment autorisant à voter pour plusieurs candidats simultanément, nous voulions connaître, indépendamment de la signification des votes, ses caractéristiques statistiques.
19 Le cinquième point porte sur les résultats agrégés du vote par assentiment. De nombreux auteurs insistent sur le fait que des modes de scrutin différents peuvent produire des résultats différents (problème d’agrégation). Mais peu de théories et assez peu d’observations viennent nourrir cette idée générale. Concernant le vote par assentiment, on peut penser que celui-ci « favorise le centre » ou « profite aux petits candi-dats » ou « profite aux candidats consensuels », mais ces idées a priori ne reposent pas sur des fondements très solides et méritent sûrement d’être approfondies.
20 Enfin, le sixième point concerne la politique française en général et l’élection présidentielle de 2002 en particulier. Comme on le verra, une telle expérience fournit une information riche et exploitable puisque le résultat du vote par assentiment ne se limite pas au nombre de voix obtenues par chaque candidat : chaque bulletin contenant plusieurs noms, on peut observer combien d’électeurs approuvent simultanément chaque groupe de candidats, révélant ainsi une structure plus riche que les seuls pourcentages d’approbation. L’étude de cette structure délivre quelques observations sur l’élection en question, élection à bien des égards exceptionnelle, qui a pu être qualifiée par Jean-Luc Parodi d’« élection de tous les records » [19] et a contribué à dessiner ce qu’il a appelé cette « France étonnante, surprenante, énigmatique » [20]. L’analyse des résultats obtenus lors de l’expérience permet de lever une partie du mystère de ces élections, ou du moins propose un éclairage complémentaire de quelques détails.
21 Nous avons quelques éléments de réponses à apporter à ces diverses questions, qui s’appuient sur les résultats de l’expérience, mais aussi sur les contacts et échanges informels qu’elle a nécessités et suscités, ainsi que sur son déroulement même. Dans cet article, nous mentionnerons d’abord quelques résultats bruts du vote par assentiment [21] et quelques réflexions afférentes. Nous présenterons ensuite certaines analyses plus approfondies qu’il est possible de mener à partir des résultats détaillés.
Quelques enseignements à partir des résultats bruts
Participation
22 Les électeurs ont généralement réservé un accueil favorable à l’expérience, des taux de participation très élevés ayant été enregistrés. Plus des trois quarts des électeurs s’étant déplacés pour le scrutin officiel ont participé à l’expérience, ce taux dépassant 90 % à Gy-les-Nonains.
23 Le tableau 1 décrit plus précisément la participation à l’expérience. Le protocole expérimental et le dispositif matériel retenu étaient tels que seuls les électeurs participant au scrutin officiel pouvaient participer à l’expérience. On calcule donc le taux de participation à l’expérience en rapportant le nombre de participants au nombre de votants (bulletins nuls compris) au scrutin officiel. Ces chiffres se trouvent dans le tableau 1.
Participation
Participation
24 Une observation remarquable est le nombre extrêmement faible de bulletins nuls dans le scrutin expérimental : en tout, 10 bulletins nuls sur 2 597. Le nombre de bulletins contenant des annotations manuscrites est négligeable. Notons que les bulletins d’assentiment ne comportant aucune croix, analogues des votes blancs, sont comptabilisés comme suffrages exprimés. Ce point concerne peu de bulletins (36 sur 2 587, soit 1,4 %), mais semble cependant revêtir une certaine importance aux yeux des électeurs, car il revient souvent dans leurs commentaires.
Nombre d’assentiments
25 Le tableau 2 décrit la composition quantitative des bulletins d’assentiment : en moyenne, chaque bulletin comporte un peu plus de trois noms (3,15 exactement), la répartition étant relativement régulière autour de cette moyenne, comme on peut le voir sur le graphique 1. Les bulletins à un seul nom ne sont pas sur-représentés. Ces observations diffèrent peu d’un bureau à l’autre. On constate donc que les électeurs approuvent un petit nombre de candidats et le chiffre de trois candidats approuvés est en conformité avec les observations faites dans diverses autres circonstances à propos du vote par assentiment [22]. À notre connaissance, aucune théorie ne propose d’explication pour ce fait [23].
Nombre d’assentiments par bulletin
Nombre d’assentiments par bulletin
Nombre d’assentiments par bulletin
Nombre d’assentiments par bulletin
Réactions des participants
26 La très forte participation à l’expérience doit être modulée par le fait que cette participation est différente suivant les bureaux de vote, allant de plus de 90 % dans le village de Gy-les-Nonains à environ 66 % dans un des bureaux d’Orsay (bureau 12 : Mondétour) ; on reviendra longuement sur ce point dans l’analyse détaillée des résultats. Il paraît cependant clair que les électeurs sont globalement très favorables au fait d’expérimenter de nouveaux modes de scrutin. Cette observation est confirmée de manière informelle par les réactions spontanées des électeurs, recueillies au cours de la journée par les personnes qui tenaient les bureaux. Ces commentaires individuels des participants comprennent un petit groupe de remarques défiantes ou désabusées et une majorité de commentaires positifs, d’encouragements et de suggestions.
27 En ce qui concerne plus précisément le vote par assentiment, les commentaires des participants permettent d’expliquer de manière particulièrement simple et convaincante la statistique observée sur le nombre d’assentiments par bulletin. La remarque la plus fréquente, en effet, est que le vote par assentiment permet de ne pas avoir à se décider en faveur d’un unique candidat alors qu’on hésite entre plusieurs. Pour comprendre ceci, il n’est pas inutile de revenir sur la perception qu’ont les électeurs du vote dans la forme qui leur est familière [24].
28 Le scrutin uninominal à deux tours pose aux électeurs un véritable problème de décision, problème bien résumé par le vocable de vote « utile ». Chacun, y compris les abstentionnistes, résout ce problème comme il le peut, en rationalisant, d’une manière ou d’une autre, l’acte de vote en général et son choix de candidat en particulier. En effet, comme le rappelle Jean-Luc Parodi dans une analyse des élections de 2002 [25], les premiers tours de l’élection présidentielle en France « répondent à deux logiques contradictoires dont l’équilibre fait l’élection. Une logique de qualification tout d’abord, qui oriente la stratégie des acteurs et des électeurs vers les candidats les plus susceptibles d’être au second tour et de le remporter. C’est un dérivé de la logique bien connue du vote utile. Une logique d’expression et de message, d’autre part, qui utilise le premier tour sans obligation ni sanction (ni sanction, c’est peut-être ce qui fera problème en 2002) pour défendre un programme, faire passer un message ou représenter une famille politique […] quitte à se désintéresser de la procédure de sélection » (p. 496). Pris entre ces deux logiques, certains électeurs considéreront que voter signifie donner son opinion indépendamment des contingences politiques, quand d’autres estimeront plutôt que leur vote détermine le résultat de l’élection ; certains estimeront qu’il est inutile de voter pour un « petit » candidat qui n’a aucune chance d’être élu, quand d’autres considéreront qu’il est inutile de voter pour un « grand » candidat qui aura, de toutes façons, beaucoup de voix… Mais, même si chacun apporte une réponse personnelle au problème, celui-ci n’en demeure pas moins une difficulté réelle pour de nombreux électeurs, ce qui peut amener certains à regretter leur choix au vu du résultat. Ainsi, dans son sondage réalisé les 25 et 26 avril 2002 auprès d’un échantillon de jeunes de 18 à 25 ans, la SOFRES observe que 11 % des votants regrettent leur choix de vote et que 71 % des abstentionnistes du premier tour regrettent de ne pas avoir voté [26].
29 Par rapport à cet « embarras du choix » du scrutin uninominal, le vote par assentiment est reçu comme une solution. De nombreux votants sont (et probablement de nombreux abstentionnistes seraient) prêts à voter pour plusieurs candidats, non pas nécessairement parce qu’ils sont indécis entre plusieurs candidats qui leur semblent également « bons », ni pour des raisons « stratégiques » sophistiquées, mais simplement parce que plusieurs candidats attirent leur voix pour des raisons différentes. On comprend bien alors que le nombre de candidats approuvés soit relativement faible (en moyenne trois sur les seize candidats). Typiquement, un électeur pourra voter, d’une part, pour celui des candidats qui a sa préférence parmi ceux qui ont une chance d’être élu et, d’autre part, pour un, deux ou trois autres candidats dont il se sent proche ou qu’il désire soutenir.
Scores des candidats
30 Le tableau 3 présente les scores des candidats aux scrutins expérimental et officiel, d’une part à Gy et, d’autre part, dans l’ensemble des cinq bureaux d’Orsay [27]. Nous choisissons, dans tous les tableaux qui suivent, de présenter les candidats par ordre décroissant du nombre de voix obtenues dans le scrutin officiel à l’échelle nationale (ainsi, dans le tableau 3, Jacques Chirac apparaît sur la première ligne, Jean-Marie Le Pen sur la deuxième, Lionel Jospin sur la troisième, etc.). Ce classement a été retenu afin de rendre plus facile la comparaison entre les scores d’assentiment recueillis dans l’expérience et les résultats au scrutin officiel.
31 Les résultats officiels à Gy et Orsay sont assez largement différents des scores nationaux (par exemple, Lionel Jospin arrive en tête à Orsay). On peut, en effectuant une moyenne pondérée de ces bureaux, tenter d’extrapoler à l’échelle nationale les pourcentages d’assentiment observés. Le graphique 2 est construit à partir de telles extrapolations (le détail du calcul sera explicité plus loin).
Scores des candidats au scrutin expérimental et au premier tour du scrutin officiel à Gy et à Orsay
Scores des candidats au scrutin expérimental et au premier tour du scrutin officiel à Gy et à Orsay
32 Il y a deux manières d’exprimer en pourcentage les scores d’assentiment. Par exemple, à Gy-les-Nonains, Jacques Chirac a obtenu 139 assentiments ; ceci représente 38,2 % des 364 bulletins exprimés et 13,2 % des 1 056 assentiments exprimés. On peut donc dire que 38,2 % des votants approuvent J. Chirac, 32,7 % approuvent J.-M. Le Pen, 23,9 % approuvent L. Jospin, etc. La somme de ces pourcentages est supérieure à 100 ; un instant de réflexion montre qu’elle correspond précisément au nombre moyen d’assentiments par bulletin. À Gy, cette somme vaut 290,1 %, ce qui correspond à un nombre moyen d’assentiments par bulletin de 2,9. Notons que les meilleurs candidats obtiennent des scores plutôt faibles : aucun d’entre eux, dans aucun bureau, n’est approuvé par une majorité d’électeurs. On peut aussi rapporter les scores d’assentiment au nombre total d’assentiments. On lit alors, par exemple, qu’à Gy, J. Chirac recueille 13,2 % des votes d’assentiment, J.-M. Le Pen 11,3 %, L. Jospin 8,2 %… et D. Gluckstein 2,5 %.
33 Si on veut comparer les scores des divers candidats dans le scrutin par assentiment et dans le scrutin de premier tour, cette seconde présentation peut sembler plus naturelle. Dans cette comparaison, les trois candidats les plus importants sur le plan national – Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen et Lionel Jospin – perdent de façon significative par rapport au scrutin actuellement utilisé, tandis que tous les autres y gagnent. Par exemple, à Gy, J. Chirac recueille 13,2 % des votes d’assentiment contre 19,6 % des votes de premier tour, J.-M. Le Pen 11,3 % contre 19,6 % et L. Jospin 8,2 % contre 11,1 %… En revanche, les petits et moyens candidats semblent bénéficier du mode de scrutin par assentiment. L’effet est particulièrement visible en ce qui concerne François Bayrou. Par exemple, à Gy, on trouve à peu près autant d’électeurs pour approuver L. Jospin et Fr. Bayrou (23,9 % des votants contre 23,3 %), alors que L. Jospin distance nettement Fr. Bayrou au scrutin officiel (11,1 % des voix contre 6,7 %). À Orsay, Fr. Bayrou est au niveau de J. Chirac en pourcentage d’assentiments (11,0 % contre 11,3 %), mais a pratiquement moitié moins de voix que lui au scrutin uninominal (il recueille 10,3 % des suffrages contre 18,8 % à J. Chirac).
Extrapolations nationales, deux variantes, en pourcentage des bulletins exprimés
Extrapolations nationales, deux variantes, en pourcentage des bulletins exprimés
34 Ceci peut sembler indiquer que, dans le scrutin officiel uninominal, les « grands » candidats sont favorisés par rapport aux « petits » ; ou du moins, ceci est en accord avec l’idée suivant laquelle les électeurs votent pour un des « grands » candidats au scrutin uninominal et, quand on leur donne la possibilité de voter en plus pour d’autres candidats, ils complètent leur choix avec des « petits » candidats, plus qu’avec d’autres « grands » candidats. Mais cette interprétation est peut-être excessive. Il peut également y avoir là un effet purement mécanique : les gros candidats ont arithmétiquement des réserves de voix moindres que les petits candidats et donc, ils ont moins à gagner quand on offre aux électeurs la possibilité de donner plusieurs voix. Nous proposerons plus loin, à partir d’une analyse détaillée des résultats, une discussion de ce point fondée sur une quantification des effets différenciés assentiment/vote de premier tour pour chaque candidat.
Analyses complémentaires et modélisation
La difficile inteerprétation des résultats bruts de l’expérience
35 Nous n’avons, jusqu’à présent, présenté que les scores d’assentiment des différents candidats. En fait, et c’est une caractéristique très importante du scrutin d’assentiment, le « résultat » de l’élection ne se réduit pas à une liste de scores. Le dépouillement des bulletins d’assentiment fournit une information beaucoup plus précise, puisqu’on connaît, pour chaque groupe de candidats, le nombre d’électeurs ayant donné leur assentiment précisément aux membres de ce groupe. De cette information, on peut déduire, outre les scores des candidats, d’autres éléments comme, par exemple, le nombre de votants ayant approuvé à la fois tel et tel candidat. On a reporté en annexe, pour les différents bureaux, ces informations sous la forme de « matrices d’association ». On donne ci-dessous l’exemple de la matrice d’association obtenue à Gy-les-Nonains (tableau 4). Par exemple, en lisant la première ligne, on lit que parmi les 139 électeurs qui ont approuvé J. Chirac, 51 électeurs ont approuvé aussi J.-M. Le Pen, 15 ont approuvé aussi L. Jospin, etc. On peut même utiliser une information encore plus fine que ces matrices d’association en comptant le nombre de bulletins contenant, par exemple, J. Chirac, J.-M. Le Pen et L. Jospin. Par la suite, nous utiliserons les données détaillées jusqu’au niveau du bulletin de chaque électeur [28].
36 La lecture de ces matrices d’association fournit des résultats intéressants en eux-mêmes : par exemple, lorsqu’on les regarde, on voit qu’à Gy-les-Nonains, 51 participants ont donné leur assentiment à la fois à Jacques Chirac et à Jean-Marie Le Pen. On peut en inférer de l’information sur le vote par assentiment en lui-même. Mais cette lecture ne permet pas de dire si ce sont les électeurs de Jacques Chirac (au sens des électeurs qui ont effectivement voté pour lui au premier tour du scrutin officiel) qui ont également donné leur assentiment à Jean-Marie Le Pen ou si ce sont, au contraire, les électeurs de Jean-Marie Le Pen qui se sentent également proches de Jacques Chirac ou si encore ces assentiments proviennent d’électeurs d’autres candidats (comme Alain Madelin ou Bruno Mégret, par exemple). Si on pense qu’il est plus parlant d’avoir des résultats en terme de comportement des électeurs de tel ou tel candidat au premier tour (parce que c’est le mode de scrutin qui structure la vie politique française et donc, les analyses que l’on en fait habituellement) plutôt qu’en terme de comportement des électeurs quand ils votent par assentiment, le recours à la modélisation est nécessaire pour établir la correspondance entre le vote par assentiment et le vote de premier tour.
Matrice des associations de Gy-les-Nonains
Matrice des associations de Gy-les-Nonains
Un modèle de comportement reliant vote par assentiment et vote de premier tour
37 Le recours à la modélisation est nécessaire pour établir la correspondance entre le vote par assentiment et le vote de premier tour, puisque sur les bulletins expérimentaux, nous ne disposons pas du nom du candidat pour lequel le participant à l’expérience a voté lors du scrutin officiel. Nous avons choisi de ne pas demander aux participants de donner le nom de ce candidat afin de rendre le scrutin par assentiment expérimental le plus proche possible de ce qu’il serait s’il était effectivement utilisé. Nous voulions que les participants se mettent en situation de voter et non de répondre à un sondage ou une enquête. Ces éléments nous ont fait préférer un protocole expérimental le plus dépouillé possible, où seule la question du vote par assentiment était posée. Le coût de cette exigence est qu’il est maintenant nécessaire de construire un modèle pour « retrouver » le vote du premier tour à partir du vote par assentiment.
Description du modèle de comportement
38 On spécifie un modèle de comportement qui relie le comportement lors du vote par assentiment au comportement lors du vote de premier tour. Précisons d’emblée ce que nous entendons par « modèle de comportement » : on ne cherche pas à comprendre les ressorts psychologiques ou sociologiques du vote ou les déterminants qui font qu’un électeur ayant donné son assentiment à un certain nombre de candidats va voter au premier tour pour tel candidat plutôt que pour tel autre ; on établit simplement une relation statistique entre le vote par assentiment et le vote de premier tour.
39 Il existe de multiples manières de modéliser cette relation. Nous choisissons de procéder de la façon suivante : nous attribuons à chaque candidat un nombre positif, qui sera appelé son « levier de premier tour » (on note ?c le levier de premier tour du candidat c). Ce paramètre caractérise la propension du candidat à convertir un vote par assentiment en un vote de premier tour. Une description mathématiquement complète du modèle est fournie en annexe I, mais un exemple simple montrera exactement la signification de ces paramètres.
40 Considérons, à titre d’exemple, un bulletin d’assentiment sur lequel ont été cochés les noms de Lionel Jospin, Noël Mamère et Jean-Pierre Chevènement. La probabilité que l’électeur, qui a rempli ce bulletin, ait voté au premier tour pour Lionel Jospin vaut : ?LJ/(?JPC + ?LJ + ?NM). Elle est d’autant plus grande que ?LJ est grand et que ?JPC et ?NM sont petits. En revanche, la probabilité qu’il ait voté au premier tour pour Jacques Chirac ou pour tout autre candidat que Lionel Jospin, Noël Mamère ou Jean-Pierre Chevènement est nulle. Pour cette raison, nous avons choisi d’appeler le nombre ?c le levier de premier tour du candidat c (cf. plus loin le tableau 5, qui donne les leviers estimés pour les divers candidats).
41 Une manière équivalente d’exprimer cette hypothèse est la suivante. Lorsque les noms de deux candidats ont été cochés sur un même bulletin d’assentiment, par exemple Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement, le rapport entre la probabilité que l’électeur qui a rempli ce bulletin ait voté au premier tour pour Lionel Jospin et la probabilité qu’il ait voté au premier tour pour Jean-Pierre Chevènement ne dépend pas des autres noms figurant (éventuellement) sur le bulletin. Ce rapport vaut simplement : ?LJ/?JPC [29].
Méthode d’estimation et de test du modèle
42 On suppose que le même modèle de comportement, avec les mêmes valeurs des paramètres, est valable dans les six bureaux observés, c’est dire que les paramètres retenus sont des caractéristiques intrinsèques des candidats, qui ne dépendent pas de la composition électorale des divers bureaux. L’objectif est maintenant, à partir des données que nous avons récoltées durant l’expérience, d’estimer ces paramètres µc et de tester la validité du modèle.
43 La méthode générale est la suivante : dans un premier temps, on estime les paramètres du modèle sur le bureau de Gy-les-Nonains. Ces paramètres permettent de prédire le vote de premier tour à partir des résultats du vote par assentiment. Dans un second temps, afin de tester la validité du modèle, on utilise les paramètres calculés sur le bureau de Gy pour prédire les scores de premier tour des différents candidats dans les différents bureaux de vote d’Orsay, étant donnés les résultats d’assentiment recueillis dans ces bureaux (le détail des méthodes utilisées est fourni en annexe). Les bureaux de Gy et d’Orsay sont très différents en terme de composition sociologique et électorale : Gy est une petite commune rurale, plutôt à droite, et Orsay est une grande commune de banlieue, plutôt à gauche. Si les paramètres estimés à Gy permettent de restituer assez fidèlement les résultats électoraux observés dans les bureaux d’Orsay, on pourra considérer cela comme une preuve que le modèle de comportement est suffisamment satisfaisant.
Résultats de l’estimation du modèle
44 Le tableau 5 présente les valeurs des leviers de premier tour estimées sur le bureau de Gy-les-Nonains. Ces nombres sont normalisés de telle sorte que J. Chirac a un levier unitaire, ce qui est possible puisque seuls les rapports entre les leviers interviennent.
Leviers estimés sur le bureau de Gy-les-Nonains
Leviers estimés sur le bureau de Gy-les-Nonains
45 Les valeurs obtenues pour ces paramètres ne doivent évidemment pas être considérées comme très précises, mais elles sont si différentes les unes des autres que leur interprétation qualitative ne fait guère de doute. Le point le plus frappant est la faiblesse du levier de premier tour de L. Jospin. Ceci traduit l’incapacité de ce candidat à transformer les approbations de ses « électeurs d’assentiment » en vote de premier tour. Cet effet est assez massif : le levier de premier tour de L. Jospin est intermédiaire entre celui de J. Chirac ou J.-M. Le Pen, d’une part, et celui de F. Bayrou et de J.-P. Chevènement, d’autre part.
46 On retrouve ici l’idée souvent énoncée, et qui constitue certainement une des clefs pour expliquer la défaite de L. Jospin, de la faiblesse du vote Jospin parmi les sympathisants de gauche. J. Jaffré démontre ce point à l’aide du Panel électoral français : seulement 52 % des « sympathisants PS » votent pour L. Jospin au premier tour [30]. A contrario, les valeurs élevées obtenues pour J. Chirac et J.-M. Le Pen montrent que ces candidats, plus que les autres, réussissent à convaincre leurs « électeurs d’assentiment » à les choisir au scrutin uninominal. Comme on pouvait s’y attendre, les leviers de premier tour des « petits » candidats sont faibles ou très faibles, la valeur élevée observée pour Jean Saint-Josse étant exceptionnelle.
Résultats et discussion des tests du modèle
47 Afin de tester les performances du modèle, on peut alors utiliser les paramètres du tableau 5 pour prédire le vote de premier tour dans tous les autres bureaux. Les résultats de ce test sont présentés dans les tableaux 6a et 6b.
Validation du modèle sur Gy, Orsay 1, Orsay 5
Validation du modèle sur Gy, Orsay 1, Orsay 5
Validation du modèle sur Orsay 6, Orsay 7, Orsay 12
Validation du modèle sur Orsay 6, Orsay 7, Orsay 12
48 On constate tout d’abord que les estimations sont proches des observations, au moins en ce qui concerne les candidats réalisant les scores de premier tour les plus importants. Notons de toute façon dès maintenant que, pour les candidats réalisant des scores inférieurs à 5 % dans l’un des bureaux étudiés, le nombre d’observations est trop petit pour que l’on puisse espérer obtenir des résultats robustes ou faire des prévisions précises.
49 On constate, d’autre part, que la performance du modèle semble être assez différente selon les bureaux, la performance décroissant progressivement lorsque l’on passe, à Orsay, du bureau 1 au bureau 12. Nous reviendrons en détail sur ce point par la suite. Pour le moment, contentons-nous de remarquer que les prévisions réalisées par le modèle dans les bureaux 1, 5 et 6 peuvent être qualifiées de très satisfaisantes. Plus précisément, sur le bureau 1, l’erreur relative (c’est-à-dire l’erreur de prédiction rapportée au score observé) sur les scores de J. Chirac, L. Jospin, Fr. Bayrou, J.-P. Chevènement est de l’ordre de 1 %, celle sur les scores de J.-M. Le Pen et N. Mamère est de l’ordre de 10 %. Parmi les scores des sept candidats arrivant en tête au scrutin national, seul le score d’Arlette Laguiller est mal prédit, puisque l’erreur relative est de 50 %. Mais, précisément, Arlette Laguiller ne recueille qu’un score très faible à Orsay 1, où elle totalise moins de 2 % des suffrages. Sur le bureau 5, l’erreur relative sur les scores de J. Chirac et de Fr. Bayrou est de l’ordre de 1 ou 2 %, celle sur le score de J.-P. Chevènement de 5 %, celle sur les scores de L. Jospin, J.-M. Le Pen et N. Mamère est inférieure à 10 %. Étant donné le nombre d’individus concernés, ces erreurs sont très faibles.
50 Si les prédictions du modèle sur les deux premiers bureaux d’Orsay sont bonnes, on constate, en revanche, qu’elles le sont moins dans les bureaux suivants, essentiellement parce que le modèle échoue à prédire correctement le score de Jean-Marie Le Pen. En effet, sur celui-ci, l’erreur relative est de 27 % dans le bureau 6, 4 % dans le bureau 12, et 45 % dans le bureau 7. La mauvaise performance du modèle sur les derniers bureaux d’Orsay, notamment sur les bureaux 7 et 12, s’explique très probablement par le comportement spécifique des électeurs de Jean-Marie Le Pen dans ces bureaux. En effet, la simple lecture des résultats du vote par assentiment laisse supposer que la participation à l’expérience n’a pas été homogène chez tous les électeurs et, en particulier, que les électeurs de Jean-Marie Le Pen étaient, à Orsay, sous-représentés parmi les participants. Dans les bureaux 7 et 12, qui sont précisément ceux où la non-participation est la plus importante, le pourcentage des électeurs donnant leur assentiment à Le Pen est sensiblement égal au pourcentage des électeurs qui votent pour lui au premier tour (tableau 7). Alors qu’en moyenne, les électeurs ont donné leur assentiment à trois candidats, cette constatation peut recevoir deux types d’explication : soit les électeurs de Jean-Marie Le Pen à Orsay sont très atypiques et ne donnent leur assentiment qu’à leur candidat favori, soit ils ont (relativement) moins participé à l’expérience que les autres électeurs. Plusieurs éléments amènent à pencher en faveur de la seconde explication, notamment la comparaison avec les résultats de Bruno Mégret et avec ceux obtenus par J.-M. Le Pen à Gy et dans les premiers bureaux d’Orsay.
Les votes J.-M. Le Pen
Les votes J.-M. Le Pen
51 Lorsque nous avons estimé le modèle de comportement sur Gy, nous avons fait l’hypothèse que les électeurs ne participant pas à l’expérience présentaient statistiquement des préférences politiques identiques à celles des électeurs de leur bureau (cf. la description du modèle en annexe). Si cette hypothèse n’est pas vérifiée dans tous les bureaux, comme cela semble manifestement être le cas, il n’est pas surprenant que l’on échoue à prédire, dans certains bureaux, les scores des candidats. Notons aussi qu’à cet égard, les résultats de l’expérience à Gy-les-Nonains sont particulièrement précieux puisque la participation est quasi totale dans ce bureau.
52 Nous considérons que la mauvaise performance du modèle dans les derniers bureaux d’Orsay s’explique par ce comportement atypique des électeurs de Jean-Marie Le Pen dans cette commune, qui ont refusé plus que les autres de participer à l’expérience. On peut rapporter cette sous-participation à ce qui est connu par ailleurs à propos de cet électorat. Les électeurs lepénistes sont, plus que les autres, méfiants vis-à-vis des institutions en général et de la science en particulier. Ils sont également caractérisés par un plus faible niveau d’études, ce qui a pu les décourager de lire la documentation et de participer à l’expérience [31]. Notons néanmoins que la sous-participation des électeurs de J.-M. Le Pen n’est pas observée à Gy.
53 Les mauvaises prédictions sur les bureaux 6 et 12 d’Orsay n’invalident pas le modèle lui-même ; elles indiquent simplement que certaines de ses hypothèses ne sont pas partout satisfaites (à savoir celle d’une participation homogène à l’expérience). En revanche, la bonne performance du modèle dans les bureaux où la participation est la plus importante nous autorise à penser qu’il y est validé. En l’absence de tests statistiques plus approfondis, on considère ainsi que les bons résultats des prédictions sur les premiers bureaux d’Orsay valident le modèle. La première conclusion est donc que la structure probabiliste proposée et les valeurs trouvées pour les paramètres sont pertinentes. Bien que les bureaux de vote de Gy et Orsay 1, 5, 6 soient très différents, en termes de représentation électorale, les mêmes paramètres y décrivent bien le lien entre assentiment et vote de premier tour. Ceci invite à penser que les paramètres µc sont bien des caractéristiques des candidats indépendantes des bureaux et autorisent à poursuivre des analyses s’appuyant sur ces paramètres.
Prédiction sur le bureau de Gy-les-Nonains du vote par assentiment en fonction du vote de premier tour
54 Comme on l’a mentionné plus haut, les matrices d’association, telles que celle présentée plus haut pour Gy, posent autant de questions qu’elles fournissent de réponses. On observe ainsi qu’à Gy-les-Nonains, parmi les 139 participants qui ont donné leur assentiment à Jacques Chirac, 51 l’ont également donné à Jean-Marie Le Pen ; et parmi les 119 participants qui ont donné leur assentiment à Jean-Marie Le Pen, 51 l’ont également donné à Jacques Chirac. Comment doit-on interpréter ces résultats ? Qui sont ces 51 personnes qui ont donné leur assentiment à la fois à Jacques Chirac et à Jean-Marie Le Pen ? Sont-ce plutôt des électeurs qui, au premier tour, ont voté pour Jean-Marie Le Pen, ce qui indiquerait que l’électorat de ce dernier reste proche de la droite modérée et ne rejette pas la classe politique dans son ensemble ? Ou sont-ce plutôt, au contraire, des électeurs qui, au premier tour, ont voté pour Jacques Chirac (ou pour Alain Madelin, ou pour François Bayrou), ce qui donnerait à penser que Jean-Marie Le Pen dispose de réserves importantes d’électeurs parmi ceux de la droite modérée ?
55 Les seuls résultats bruts ne permettent pas de trancher. En revanche, le modèle de comportement électoral que nous avons proposé et estimé nous permet de répondre à ces questions. Ce modèle permet de prédire le comportement de premier tour à partir du vote par assentiment. Mais on peut également l’inverser afin de « prédire », ce qui nous intéresse précisément ici, le vote par assentiment à partir du vote de premier tour (cf. en annexe les formules d’inversion). On pourra alors estimer la proportion d’électeurs de premier tour de Jacques Chirac qui ont donné leur assentiment à Jean-Marie Le Pen, ainsi que la proportion d’électeurs de premier tour de Jean-Marie Le Pen qui ont donné leur assentiment à Jacques Chirac. La comparaison de ces deux nombres pourra apporter des éléments pour trancher entre les deux hypothèses présentées ci-dessus. Le tableau 8 reproduit les prédictions obtenues à Gy (les chiffres concernant les candidats ayant reçu peu de voix ou peu d’assentiments à Gy, c’est-à-dire approximativement les dernières lignes et colonnes de la matrice, sont très peu fiables).
Prédiction sur le bureau de Gy-les-Nonains du vote par assentiment en fonction du vote de premier tour
Prédiction sur le bureau de Gy-les-Nonains du vote par assentiment en fonction du vote de premier tour
56 On y lit, par exemple dans la première ligne, que, sur 100 électeurs de J. Chirac au premier tour, 100 l’approuvent, 25 approuvent J.-M. Le Pen, 8 approuvent L. Jospin, 30 approuvent Fr. Bayrou, etc. Cette matrice n’est pas symétrique : par exemple, on observe que 30 % des électeurs de J. Chirac approuvent Fr. Bayrou, mais 43 % des électeurs de Fr. Bayrou approuvent J. Chirac. En lisant les chiffres par colonne, on peut voir combien un candidat reçoit d’assentiments en provenance d’autres électorats : par exemple, les assentiments de A. Laguiller proviennent de nombreux candidats différents.
57 Ces coefficients de transferts dessinent une carte des proximités politiques entre candidats, carte qui n’est pas basée sur les programmes ou les idées, mais sur les associations observées dans les bulletins d’assentiment. On retrouve bien la séparation entre les candidats de gauche et de droite, avec cependant de nombreux cas de transferts importants gauche/droite ou droite/gauche. Une observation sans doute pertinente est précisément celle-ci : ces taux de transferts sont élevés. Ils sont de l’ordre de 10 % de la gauche modérée (L. Jospin, N. Mamère) vers la droite modérée (J. Chirac, Fr. Bayrou) et de même dans l’autre sens. Les transferts entre la droite et l’extrême droite sont très élevés (30 % de J.-M. Le Pen vers J. Chirac et 25 % dans l’autre sens). Fr. Bayrou ne reçoit pas plus d’approbations que J. Chirac en provenance des électeurs de gauche, contrairement à ce que pourrait laisser penser la dénomination « centriste ». D’une manière générale, ces chiffres ne mettent pas en évidence des groupes d’électeurs homogènes dans leurs approbations et donnent plutôt l’impression que les électorats sont assez fortement enchevêtrés. Lorsque Gérard Grunberg et Étienne Schweisguth analysent les clivages idéologiques en France, ils concluent à une tripartition de l’espace politique [32]. Or, dans les données ici étudiées, on ne voit pas nettement apparaître une partition de l’électorat en trois sous-ensembles disjoints. Ceci semble montrer que les clivages idéologiques, même très marqués, ne se traduisent pas nécessairement de manière aussi tranchée dans les approbations des électeurs pour les divers candidats.
58 J.-P. Chevènement représente un cas exceptionnel, qui ne se trouve ni à droite ni à gauche. Ce point confirme ce qui est connu du profil idéologique et sociologique de ses électeurs, intermédiaire entre la gauche modérée et la droite modérée [33].
59 On peut imaginer d’autres manières plus compactes de présenter ces résultats. Nous avons proposé ailleurs des représentations graphiques agrégées de cette structure de proximité, en utilisant diverses techniques d’analyse des données [34]. L’image globale qui apparaît figure un paysage plutôt éclaté, que la distinction gauche-droite, bien qu’importante, ne suffit pas du tout à décrire. Dans ce paysage, la gauche est plus homogène que la droite, celle-ci comprenant des composantes diverses et un candidat en son milieu. Jean-Marie Le Pen n’est pas situé « au-delà » de la droite, mais constitue simplement une de ses composantes et le « centriste » Bayrou n’est pas quelque part à mi-chemin entre la gauche et la droite, mais représente une autre des composantes de la droite. Jean-Pierre Chevènement est le plus inclassable des candidats.
Représentation spatiale de 10 candidats à Gy-les-Nonains
Représentation spatiale de 10 candidats à Gy-les-Nonains
60 À titre d’exemple, le graphique 3 est une représentation bi-dimensionnelle obtenue par analyse en composantes principales à partir des résultats d’assentiment à Gy. Il se lit de la manière suivante : deux candidats sont d’autant plus proches sur ce graphique que les assentiments qu’ils recueillent sont fortement corrélés dans la population. Des candidats dont les électorats d’assentiment sont disjoints sont au contraire éloignés l’un de l’autre [35]. Il est ainsi flagrant que Jean-Marie Le Pen ne se trouve pas « au-delà » de la droite classique. Un tel graphique ne contredit pas l’idée de la tripartition de l’espace politique, mais vient la nuancer ou la préciser : dans le village de Gy-les-Nonains, peut-être convient-il plutôt de parler d’une autonomisation partielle de l’électorat de Jean-Marie Le Pen par rapport à l’électorat de droite.
Extrapolation des résultats du vote par assentiment à l’échelle nationale
61 On peut se demander quels auraient été les résultats du vote par assentiment si l’expérience avait été réalisée à l’échelle du pays tout entier.
62 Avant de présenter les diverses manières dont on peut essayer de répondre à cette question, il est important de savoir quelle question on veut exactement poser. En effet, on a vu – et on a longuement insisté sur ce point dans la partie précédente – que les électeurs de Jean-Marie Le Pen avaient eu un comportement assez atypique lors de l’expérience, au sens où ils ont participé moins que les autres. Comment faut-il incorporer ce fait à l’analyse, lorsqu’il s’agit de prédire ce qu’aurait donné le vote par assentiment à l’échelle nationale ? On peut considérer que la sous-participation de certains électeurs est un des résultats de l’expérience et que ce fait doit être pris en compte lorsque l’on présente ces résultats. Dans ce cas, on s’intéresse à la question suivante : « Sans chercher à corriger la sous-représentation de certains électorats, qu’auraient été les résultats de l’expérience si celle-ci avait été menée dans le pays tout entier ? » (question 1). On peut, à l’inverse, essayer de corriger le biais de sous-participation à l’expérience des électeurs de Jean-Marie Le Pen, ce qui revient à essayer d’apporter une réponse à la question suivante : « Qu’auraient été les résultats de l’expérience si celle-ci avait été menée dans le pays tout entier et que tous les électeurs de premier tour avaient voté par assentiment ? » (question 2). Étant donné la participation inégale des électorats des différents candidats, ces deux questions ne sont pas équivalentes et on cherchera à donner une réponse à chacune d’entre elles.
63 La manière la plus simple de le faire consiste simplement à construire des bureaux composites, en agrégeant les électeurs des différents bureaux, mais en leur affectant des pondérations différentes selon celui auquel ils appartiennent, de manière à ce que le bureau composite ainsi généré soit plus proche de la moyenne nationale (cf. une description de la méthode en annexe). On peut également imaginer des réponses plus complexes utilisant le modèle de comportement décrit ci-dessus, mais nous ne présenterons pas ces résultats ici : ils sont qualitativement peu différents de ceux obtenus avec la méthode la plus simple.
64 Cas de la question 1 : On ne cherche pas à corriger la sous-représentation des électeurs de J.-M. Le Pen à l’expérience. On cherche donc les poids optimaux sur tous les bureaux. On trouve les poids suivants :
65 Cas de la question 2 : les électeurs de Le Pen étant particulièrement sous-représentés dans les bureaux 7 et 12 d’Orsay, on choisit d’exclure ces bureaux et l’on optimise sur les quatre bureaux restant, où on est en droit de supposer que la participation des différents électorats à été plus homogène. Les poids optimaux sont les suivants :
66 Le graphique 4 montre les scores de premier tour que ces deux bureaux fictifs reconstituent, ainsi que le vrai résultat national. On peut voir pour quels candidats les reconstitutions sont bonnes et quelles sont les erreurs faites sur les autres candidats. Le tableau 9 donne les extrapolations nationales selon ces deux jeux de paramètres, en pourcentage d’électeurs. Ce sont les chiffres de la première et de la troisième colonne de ce tableau qui sont représentés sur le graphique 2 présenté au début de cet article.
Extrapolations nationales : représentativité des bureaux
Extrapolations nationales : représentativité des bureaux
67 Tout d’abord, il est clair que, quel que soit le mode exact d’extrapolation, la hiérarchie des candidats est modifiée au profit de Lionel Jospin, François Bayrou, Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère et Alain Madelin, qui recueillent l’approbation d’électeurs situés au-delà de leurs électorats de premier tour. En revanche, les candidats que le scrutin par assentiment semble défavoriser sans ambiguïté sont Jean-Marie Le Pen, Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Jean Saint-Josse et Robert Hue. Jacques Chirac conserve de façon assez nette le score le plus élevé.
Extrapolations nationales
Extrapolations nationales
68 Concernant les « grands candidats », certains traits méritent d’être relevés. Comme il l’a été dit, J. Chirac arrive toujours en tête, suivi par L. Jospin. Ensuite viennent Fr. Bayrou et J.-M. Le Pen, qui sont, suivant les cas, troisième ou quatrième.
69 Le rapport entre le pourcentage d’électeurs approuvant Jacques Chirac et le pourcentage d’électeurs approuvant Lionel Jospin vaut, dans le cas de la première extrapolation, 1,11. Ce chiffre coïncide avec ce que certaines études ont pu donner comme estimations de ce qu’auraient été les résultats de second tour si ce dernier avait opposé J. Chirac à L. Jospin. En effet, comme le note Jérôme Jaffré, selon les données du Panel électoral français recueillies avant le premier tour, les intentions de vote pour un second tour opposant Jacques Chirac à Lionel Jospin accordaient 52,8 % des suffrages au président sortant contre 47,2 % à son rival, soit un rapport de 1,12 [36].
70 On peut cependant noter le score assez faible de ceux qui étaient considérés, pendant la campagne de premier tour, comme les deux candidats principaux : 36,7 % des participants approuvent J. Chirac (dans la version 1 ; 36,9 % dans la version 2), 32,9 % d’entre eux approuvent L. Jospin (dans la version 1 ; 29,7 % dans la version 2). Étant donné le nombre relativement important d’assentiments accordés en moyenne (environ trois assentiments par électeur), ces scores sont relativement faibles en valeur absolue. Ils sont également faibles quand on les rapporte aux scores obtenus par les autres candidats de la gauche et de la droite modérées. Le tassement des scores induit par le vote par assentiment est ainsi particulièrement spectaculaire quand on compare le score de J. Chirac à celui de Fr. Bayrou, ou celui de L. Jospin à celui de N. Mamère ou J.-P. Chevènement. Ainsi, par exemple, 36,7 % des électeurs approuvent J. Chirac et 27,1 % approuvent Fr. Bayrou (dans l’extrapolation 1). De même, 32,9 % des électeurs approuvent L. Jospin et 24,3 % approuvent N. Mamère.
71 Concernant les « petits » candidats, il faut être prudent lorsque l’on commente les résultats obtenus. En effet, le nombre d’électeurs ayant effectivement voté pour eux durant l’expérience est faible, donc ces résultats peuvent être peu robustes. D’autre part, comme le montre le graphique 4, les scores qu’ils obtiennent dans les bureaux composites sont parfois assez éloignés de leur vrai score au scrutin national. Ces réserves étant formulées, on peut néanmoins noter que les effets du mode de scrutin sur les comparaisons des « petits » candidats entre eux peuvent être particulièrement massifs. Par exemple, au scrutin uninominal, le résultat de Robert Hue est un peu inférieur à celui d’Alain Madelin et environ le double de celui de Corinne Lepage ; par assentiment, R. Hue est largement distancé par A. Madelin et est devancé par B. Mégret, C. Taubira et C. Lepage.
72 Enfin, en comparant les colonnes un et trois, on voit comment la façon dont on traite la question de la non-participation à l’expérience influence les résultats obtenus. Comme on pouvait s’y attendre, le score obtenu par Jean-Marie Le Pen est nettement moindre dans la première variante que dans la seconde (25,1 % des participants contre 27,4 %) ; même si Lionel Jospin arrive en deuxième position dans les deux variantes, il ne devance Jean-Marie Le Pen que de 0,8 points de pourcentage d’assentiments dans le deuxième cas de figure.
73 * *
74 Cette expérience a montré que l’expérimentation de terrain à grande échelle en science politique est possible et qu’elle peut même recevoir une large adhésion de la part des personnes sollicitées. Le principe du vote par assentiment, qui consiste à voter pour autant de candidats qu’on le souhaite, est facilement compris et assimilé par les participants à l’expérience, qui utilisent largement les possibilités d’expression supplémentaires offertes par ce mode de scrutin, en donnant en moyenne leur assentiment à un peu plus de trois candidats (sur les seize présents). Une comparaison entre les scores d’assentiment et les résultats de premier tour met en évidence des modifications dans le classement des candidats, le vote par assentiment étant plus favorable à Lionel Jospin, qui arrive en deuxième position, ainsi qu’à François Bayrou, Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère et Alain Madelin, qui recueillent l’approbation d’électeurs situés au-delà de leurs électorats de premier tour. En revanche, les candidats que le scrutin par assentiment semble défavoriser sans ambiguïté sont Jean-Marie Le Pen, Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Jean Saint-Josse et Robert Hue. Jacques Chirac conserve de façon assez nette le score le plus élevé. L’aptitude des candidats à convertir des assentiments en vote de premier tour est quantifiée grâce à un modèle de comportement : on retrouve ici le fait que Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen convertissent beaucoup plus massivement que les autres les approbations qu’ils reçoivent en votes effectifs de premier tour. Enfin, il reste à rappeler que, comme tous résultats expérimentaux, ces résultats doivent être interprétés avec prudence. D’une part, il ne s’agit là que d’une expérience ; il est possible que, si le vote par assentiment était utilisé effectivement, le comportement des électeurs serait assez différent de celui observé ici. D’autre part, un emploi de ce mode de scrutin induirait des changements dans les stratégies de campagne ou de positionnement des partis, que nous ne prenons évidemment pas en compte ici. Enfin, ces résultats sont obtenus lors d’une élection particulière, le premier tour des élections présidentielles 2002, qui constitue à bien des égards une élection assez atypique.
Précisions techniques
Modèle de comportement individuel
75 On fait l’hypothèse qu’il existe pour chaque candidat c un nombre positif µc tel que la probabilité qu’un électeur vote au premier tour pour le candidat c lorsqu’il a rendu par assentiment le bulletin (liste de candidats approuvés) B contenant le candidat c vaut ?c/?B , où on utilise la notation : . Un électeur ayant approuvé plusieurs candidats vote donc au premier tour pour un de ceux-ci.
Méthode d’estimation du modèle de comportement
76 Nous allons maintenant exposer la manière dont on calcule les divers coefficients caractérisant le modèle et comment les tests de la validité du modèle sont réalisés.
77
Introduisons quelques notations. Considérons un bureau de vote b. Ce bureau de vote est caractérisé par les nombres suivants :
- le nombre d’électeurs participant au premier tour du scrutin officiel : S(b),
- le nombre de voix recueillies par le candidat c au premier tour du scrutin officiel : Sc(b),
- le nombre de participants à l’expérience : N(b),
- pour chaque sous-ensemble non vide de candidats B, le nombre de bulletins par assentiment où le nom de chaque candidat de B, et seulement ceux-ci, est coché : NB (b).
Si l’on accepte les hypothèses du modèle de comportement spécifié ci-dessus, on peut exprimer le score prédit de chaque candidat au premier tour à partir des bulletins d’assentiment. En effet, considérons un électeur qui a déposé le bulletin B dans l’urne de l’expérience. Alors, par hypothèse du modèle, il a voté au premier tour pour le candidat c avec une probabilité µc/µB si le nom de c figure sur le bulletin B et avec une probabilité nulle sinon. Ainsi, on peut prédire, au sein des participants à l’expérience qui ont déposé un bulletin d’assentiment non nul ou blanc, le nombre d’individus qui ont voté pour le candidat c au premier tour ; ce nombre vaut :
Supposons, dans un premier temps pour simplifier l’exposé, que (1) parmi les électeurs ayant voté au premier tour, aucun n’a déposé de bulletin nul ou blanc (c’est-à-dire que ), (2) tous les électeurs qui ont participé au scrutin de premier tour ont également participé à l’expérience (c’est-à-dire que N(b) = S(b)), (3) parmi les électeurs ayant participé à l’expérience, aucun n’a déposé de bulletin nul ou blanc (c’est-à-dire que ). Dans ce cas, on va chercher à égaliser le score prédit au score observé Sc (b).
En fait, certains individus ont déposé des bulletins nuls ou blancs (à la fois lors du scrutin de premier tour et lors du vote expérimental) et tous les électeurs de premier tour n’ont pas participé à l’expérience. Pour pouvoir relier le score de premier tour observé dans le bureau à la prédiction réalisée parmi les participants à l’expérience, il faut faire des hypothèses sur le comportement des individus qui ont voté blanc ou nul et, plus important (car ils sont plus nombreux), sur ceux qui ont voté au premier tour, mais on refusé de participer à l’expérience. On fait l’hypothèse que les électeurs qui ont choisi de voter blanc ou nul au scrutin officiel, de ne pas participer à l’expérience ou de participer à l’expérience, mais de déposer un bulletin nul ou blanc lors de celle-ci ne présentent pas de caractéristiques particulières, en terme de comportement électoral lors du scrutin de premier tour, et donc que chacun de ces échantillons constitue un échantillon représentatif de la population du bureau de vote (cette hypothèse semble n’être pas vérifiée sur l’ensemble des bureaux de vote, voir dans le texte la discution qui introduit les variantes 1 et 2). Dans ce cas, on peut vérifier qu’on cherche à égaliser
Calculs de bureaux représentatifs
78 On cherche le système de pondération p(b) qui minimise la somme des carrés des différences entre le score (en pourcentage) national observé (noté Sc pour le candidat c) et le score reconstitué linéairement, sous les contraintes que les poids soient positifs et leur somme égale à 1. Le programme de minimisation est donc :
Matériel exprimental
Lettre aux électeurs
80 Madame, Monsieur,
81 Le Laboratoire d’Économétrie de l’école Polytechnique et le Centre national de la Recherche scientifique (CNRS), avec la coopération de la Mairie de Gy, organisent une expérience scientifique visant à mieux comprendre le fonctionnement des institutions démocratiques.
82 1. L’élection présidentielle
83 Au premier tour de l’élection présidentielle, le 21 avril, vous êtes appelés à voter pour un candidat parmi plusieurs. Si aucun candidat n’obtient une majorité absolue des suffrages exprimés, vous aurez à choisir, le deuxième dimanche suivant, entre les deux candidats ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour.
84 Le choix d’un candidat au premier tour peut susciter quelques hésitations de votre part. Il est souvent dit « au premier on choisit, au deuxième on élimine » ou, à l’inverse, « au premier on élimine, au deuxième on choisit ». Chaque phrase traduit un conseil sur la manière dont il faudrait voter pour s’exprimer au mieux.
85 Un mode de scrutin n’est qu’une règle parmi beaucoup, qui, toutes, ont pour objectif de choisir le candidat réellement voulu par l’électorat. Le souhait de rapprocher les citoyens des institutions démocratiques – françaises et européennes – a suscité un débat important sur les systèmes électoraux à choisir.
86 2. Objectifs de l’expérience
87 Notre objectif est d’étudier un nouveau mode de scrutin, le vote par assentiment. Le vote par assentiment se déroule en un seul tour. Un électeur peut voter pour autant de candidats qu’il le désire (mais pas plusieurs fois pour un même candidat). Au lieu d’insérer le bulletin d’un candidat dans une enveloppe, un électeur insérerait les bulletins d’autant de candidats qu’il le voudrait. Chaque candidat se voit attribuer le total de votes qu’il a reçu : l’élu est celui qui a obtenu le plus grand nombre de voix.
88 Le vote par assentiment donne ainsi bien plus de possibilités à l’électeur pour s’exprimer. Il permet de voter à la fois selon son cœur et selon ses intérêts, de choisir et d’éliminer, de voter utile et en même temps de soutenir des causes idéalistes, d’encourager et de décourager.
89 3. Déroulement de l’expérience
90 Votre participation sera sollicitée à votre sortie du scrutin officiel. Un bulletin de vote identique à celui reproduit ci-contre et des isoloirs spéciaux prévus à cet effet seront disponibles à proximité de votre bureau de vote. Nous vous demanderons de remplir un tel bulletin en mettant une croix en face du nom des candidats auxquels vous donnez votre assentiment.
91 Nous vous prions de consacrer les quelques minutes nécessaires pour remplir ce bulletin comme vous le feriez si le mode de scrutin pour les présidentielles était le vote par assentiment.
92 Cette expérience est réalisée dans un but exclusivement scientifique. Il s’agit de mieux comprendre le comportement des électeurs face à un autre mode de scrutin. Seuls les comportements des vrais électeurs peuvent nourrir cette réflexion : il n’y a pas d’autre laboratoire possible. Un compte-rendu de l’expérience vous sera proposé. Autrement, la diffusion des résultats se fera essentiellement à travers les canaux habituels de la publication scientifique internationale.
93 Nous vous remercions de bien vouloir nous accorder, le 21 avril, les quelques minutes qui suffiront à réaliser cette expérience.
94 Informations supplémentaires sur le site < hhttp:// ceco. polytechnique. fr/ vote. html >
Expérience pilote à l’institut d’études politiques de Paris
95 L’expérience a eu lieu le 23 janvier 2002, avant donc que la liste officielle des candidats ne soit fixée. Nous avions décidé de retenir quinze noms de candidats « potentiels ou probables » (voir la liste des candidats retenue dans le tableau de résultats ci-dessous). L’expérience a porté sur le vote par assentiment et sur le vote « par évaluation ». Dans le vote par évaluation, les électeurs sont invités à noter chaque candidat entre 0 et 10, sans autre contrainte. Le « bureau de vote » est resté ouvert de 9 heures à 17 heures 30 sur le site de l’Institut d’études politiques de Paris, rue Saint-Guillaume. Durant ce laps de temps, 429 personnes sont venues voter, sans qu’il soit bien sûr possible d’en déduire un pourcentage de participation. Lors du dépouillement des 429 bulletins, 21 ont été considérés comme nuls pour l’un ou l’autre des deux modes de scrutin. Les analyses portent donc sur : 429 – 21 = 408 bulletins totalement valides.
96 La principale cause de nullité est la présence de notes négatives dans les évaluations, qui invalide 10/429, soit 2,3 % des bulletins. Si on se restreint au vote par assentiment, on constate que la proportion de bulletins qui doivent être considérés comme nuls est extrêmement faible : 4 bulletins sur 429, soit moins de 1 %.
97 Assentiments : En moyenne, chaque votant a approuvé un peu moins de trois candidats (sur 15), résultat similaire à ceux observés à Gy et Orsay. Plus exactement, la statistique du nombre de candidats approuvés est la suivante :
98 Évaluations : la moyenne générale des notes des candidats est de 2,2 sur 10, mais ce chiffre est sans doute trompeur, car beaucoup de notes sont nulles. Sur les 408 × 15 = 6 120 notes comptabilisées, environ la moitié sont des 0. De nombreux bulletins comprenaient à la fois des candidats notés 0 et des candidats non notés, indiquant par là que l’absence de note et la note 0 pouvaient ne pas avoir le même sens. Cependant, il était explicitement indiqué sur le bulletin que les candidats non notés recevraient la note 0.
99 Le tableau et le graphique suivants montrent la répartition des notes [38]. On constate que les votants utilisent largement l’éventail des notes proposées. Ces résultats contredisent en particulier l’idée suivant laquelle les électeurs, dans ce mode de scrutin, n’utiliseraient que les notes extrêmes, 0 et 10. La note 10 est plus souvent utilisée que la note 9, mais moins souvent que toutes les autres. On remarque aussi une légère sur-représentation de la note 5.
100 Les classements des candidats suivant les deux méthodes sont présentés dans le tableau 9. À côté du nom de chaque candidat figure, entre parenthèse, le pourcentage d’électeurs qui lui ont donné leur assentiment, ainsi que l’évaluation moyenne obtenue.
Classements suivant deux méthodes de vote
Classements suivant deux méthodes de vote
101 Le même candidat (Jospin) arrive très largement en tête suivant les deux méthodes. Suivant les assentiments, il est approuvé par 61,8 % des votants et c’est le seul à avoir une évaluation supérieure à 5/10. On n’apprend pas grand-chose ici, sauf peut-être en ce qui concerne la composition de l’échantillon « volontaires pour participer à une expérience de vote à Sciences Po en avril 2002 ». Plus intéressante est l’observation que les différences entre les deux classements apparaissent assez peu significatives. Ainsi, les trois candidats, Mamère, Chirac et Chevènement, qui se trouvent en positions 2, 3 et 4, mais pas dans le même ordre pour les deux classements, ont des scores proches.
102 Ceci nous incite à conclure que les deux méthodes ont, dans cette expérience, donné des résultats globaux peu différents. La comparaison des analyses multivariées réalisées sur les deux ensembles de données va dans le sens de la même conclusion. Ceci ne veut évidemment pas dire que ces méthodes donneront le même candidat élu dans le cas précisément où plusieurs candidats sont à peu près ex æquo.
Notes
-
[1]
Sur les propriétés théoriques du vote par assentiment, l’ouvrage de référence est : S. Brams, P. Fishburn, Approval Voting, Cambridge, Birkhauser, 1983. Pour des résultats plus récents, faisant notamment le lien avec le concept de vainqueur de Condorcet, cf. S. Brams, R. Sanver, « Voter Sovereignty and Election Outcome », Mimeo, New York University, 2003.
-
[2]
Le terme français « vote par assentiment » a été proposé par Laurent Mann dans sa thèse de doctorat « Un modèle pour le vote par assentiment : du rôle stratégique des sondages dans le choix social », thèse soutenue à l’école Polytechnique le 20 janvier 1995.
-
[3]
L’ordre des candidats figurant sur le bulletin est l’ordre tiré au sort par le Conseil constitutionnel.
-
[4]
D. Green, A. Gerber, « Reclaiming the Experimental Tradition in Political Science », dans I. Katznelson, H. Milner (eds), State of the Discipline in Political Science, New York, Norton, 2002.
-
[5]
En France, de telles études sont rapportées, en particulier dans G. Grunberg, N. Mayer, P. Sniderman (dir.), La démocratie à l’épreuve. Une nouvelle approche de l’opinion des Français, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.
-
[6]
W. Güth, H. Weck-Hanneman, « Do People Care about Democracy ? An Experiment Exploring the Value of Voting Right », Public Choice, 97, 1997, p. 27-47.
-
[7]
Cf. M. Fiorina, C. Plott, « Committee Decisions under Majority Rule : An Empirical Study », American Political Science Review, 72, 1978, p. 575-598 ; R. McKelvey, P. Ordeshook, « A Decade of Experimental Research on Spatial Models of Elections and Committees », dans J. Enelow, M. Hinich (eds), Readings in the Spatial Theory of Voting, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, ou encore D. Davis, C. Holt, Experimental Economics, Princeton, Princeton University Press, 1993.
-
[8]
Cf., par exemple, S. Guarnaschelli, R. McKelvey, T. Palfrey, « An Experimental Study of Jury Decisions Rules », American Political Science Review, 94, 2000, p. 407-423.
-
[9]
Cf. H. Gosnell, Getting-Out-the-Vote : An Experiment in the Stimulation of Voting, Chicago, University of Chicago Press, 1927, ou D. Green, A. Gerber, cité.
-
[10]
L. Wantchekon, « Clientelism and Voting Behavior : Evidence from a Field Experiment in Benin », World Politics, à paraître.
-
[11]
Cf. T. Vedel, « Le vote électronique », dans P. Perrineau, D. Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2000.
-
[12]
S. Brams, P. Fishburn, « Going from Theory to Practice : The Mixed Success of Approval Voting », Document de travail, New York University, 2002.
-
[13]
Cf. S. Brams, P. Fishburn, « A Nail-Biting Election » Social Choice and Welfare, 18, 2001, p. 409-414 ; D. Saari, « Analyzing a Nail-Biting Election », Social Choice and Welfare, 18, 2001, p. 415-430 ; J.-F. Laslier, « Analyzing a Preference and Approval Profile », Social Choice and Welfare, 20, 2003, p. 229-242.
-
[14]
Cf. M. Duverger, L’influence des systèmes électoraux sur la vie politique, Paris, Armand Colin, 1950 ; A. Lijpart, Electoral Systems and Party Systems, Oxford, Oxford University Press, 1994, ou encore P. Martin, « Modes de scrutin », dans P. Perrineau, D. Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001.
-
[15]
K. Arrow, Social Choice and Individual Values, New York, Wiley, 1952.
-
[16]
A. Gibbard, « Manipulation of Voting Schemes : A General Result », Econometrica, 41, 1973, p. 587-601, et M. Satterthwaite, « Strategy-Proofness and Arrow’s Conditions : Existence and Correspondence Theorems for Voting Procedures and Social Welfare Functions », Journal of Economic Theory, 10, 1975, p. 198-217.
-
[17]
C’est la démonstration originale d’Allan Gibbard. Pour ces aspects techniques, cf. K. Arrow, Social Choice…, op. cit. ; A. Gibbard, art. cité ; M. Satterthwaite, art. cité ; ou A. Sen, « Social Choice Theory », dans K. Arrow, M. Intriligator (eds), Handbook of Mathematical Economics, Amsterdam, North-Holland, vol. III, 1986.
-
[18]
Nous craignions en particulier un rejet a priori fondé sur une hostilité à toute expérimentation en sciences sociales et politiques. Un tel rejet avait été exprimé devant nous par certains élus initialement contactés, ainsi que par certains collègues, rejet assorti de prévisions pessimistes quant au taux de participation que nous pourrions obtenir. Comme on le verra, ces craintes se sont révélées injustifiées.
-
[19]
J.-L. Parodi, « L’énigme de la cohabitation, ou les effets pervers d’une pré-selection annoncée », Revue française de science politique, 52 (5-6), 2002, p. 485-504.
-
[20]
J.-L. Parodi, « Sur quelques énigmes des élections françaises du printemps 2002 », Revue française de science politique, 52 (5-6), 2002, p. 483.
-
[21]
Pour une description de l’expérience et de ses premiers résultats, cf. aussi M. Balinski, R. Laraki, J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Expérience électorale du vote par assentiment », Pour la science, 296, 2002, p. 13. Les résultats détaillés des six bureaux se trouvent dans : M. Balinski, R. Laraki, J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Le vote par assentiment : une expérience », Document de travail n° 2003-013, Laboratoire d’économétrie de l’école Polytechnique, 2003.
-
[22]
Cf. S. Brams, P. Fishburn, « Going from Theory to Practice… », doc. cité.
-
[23]
On aurait, par exemple, éventuellement pu s’attendre à une distribution symétrique au lieu du graphique 1. En effet, le vote par assentiment permet de voter aussi bien « contre » un candidat (en cochant les noms de tous les autres candidats) que « pour » lui ou, plus généralement, « contre » un groupe aussi bien que « pour » le groupe complémentaire. À l’évidence, cette symétrie théorique n’est pas du tout intégrée par les électeurs et le vote « négatif » n’est pas utilisé.
-
[24]
Pour une présentation récente des modèles explicatifs du vote, cf. D. Boy, N. Mayer (dir.), L’électeur a ses raisons, Paris, Presses de Sciences Po, 1997, ou encore N. Mayer (dir.), Les modèles explicatifs du vote, Paris, L’Harmattan, 1997.
-
[25]
J.-L. Parodi, « L’énigme de la cohabitation… », art. cité.
-
[26]
Sur l’abstentionnisme, cf. A. Muxel, « La poussée des abstentions : protestation, malaise, sanction », dans P. Perrineau, C. Ysmal (dir.), Le vote de tous les refus, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.
-
[27]
Pour le détail des scores des candidats dans les différents bureaux d’Orsay, cf. M. Balinski, R. Laraki, J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Le vote par assentiment… », doc. cité.
-
[28]
Cette information peut sembler trop riche pour être utilisable. Pour une élection à 16 candidats, le nombre de bulletins d’assentiment différents qui sont logiquement concevables est effectivement astronomique. Mais cette remarque est trompeuse : en pratique, le résultat complet d’un scrutin d’assentiment peut être vu comme un fichier informatique binaire comportant autant de colonnes qu’il y a de candidats et de lignes qu’il y a d’électeurs. Avec 16 candidats, cela représente deux octets par électeur ; à l’échelle d’un pays, il s’agit donc d’un petit fichier informatique. Un tel fichier – anonyme – constitue le véritable résultat de l’élection.
-
[29]
Il peut paraître surprenant de décrire le comportement des électeurs à l’aide de « probabilités ». Parler de « la probabilité qu’un électeur vote au premier tour pour le candidat c lorsqu’il a rendu par assentiment le bulletin B » ne signifie pas, bien sûr, que nous considérons que chaque électeur « tire au sort » au moment de décider à quel candidat il va donner son suffrage. Cela signifie simplement que nous cherchons une réponse à la question suivante : Sur 100 électeurs ayant remis un bulletin d’assentiment B donné, combien ont voté au premier tour pour les divers candidats ? Notre modèle revient à proposer la réponse suivante : « Aucun n’a voté pour un candidat ne figurant pas sur le bulletin B et une fraction proportionnelle à ?c a voté au premier tour pour chacun des candidats c figurant sur B. »
-
[30]
Cf. J. Jaffré, « Comprendre l’élimination de Lionel Jospin », dans P. Perrineau, C. Ysmal (dir.), op. cit.
-
[31]
Pour plus d’informations sur les caractéristiques des électeurs de Jean-Marie Le Pen, on pourra se reporter, par exemple, aux chapitres 3 et 5 de Nonna Mayer, « La consistance des opinions » et « Les dimensions de la confiance », dans G. Grunberg, N. Mayer, P. M. Sniderman (dir), op. cit., p. 19-49 et p. 87-107.
-
[32]
Cf. G. Grunberg, E. Schweisguth, « La tripartition de l’espace politique », dans P. Perrineau, C. Ysmal (dir.), op. cit.
-
[33]
Cf., par exemple, G. Grunberg, E. Schweisguth, ibid.
-
[34]
Cf. J.-F. Laslier, « Spatial Approval Voting », Document de travail n° 2002-031, Laboratoire d’économétrie de l’école Polytechnique, 2002, et J.-F. Laslier, K. Van der Straeten, « Analyse d’un scrutin d’assentiment », Quadrature, 46, 2002, p. 5-12.
-
[35]
Pour plus de détails, cf. J.-F. Laslier, ibid. On n’a pas pu représenter les candidats ayant trop peu d’assentiments. On se restreint aux 10 principaux candidats. La position du point J-P C (Jean-Pierre Chevènement) dans le plan du graphique n’est pas significative.
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[36]
J. Jaffré, cité.
-
[37]
Si elles existent. Mais tel est le cas sur le bureau de Gy, sur lequel nous réalisons l’estimation.
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[38]
Certains bulletins comportent des notes non entières : pour ce décompte, elles ont été arrondies. Ceci concerne peu de bulletins.