Notes
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Établies sous la responsabilité de Jean-Luc Parodi, assisté de Cécile Brouzeng et de Carole Vidal, avec, pour ce numéro, la collaboration d’Alexandre Boza, Camille Hamidi, Cécile Lacoustille, Cédric Moreau de Bellaing, Simon Reungoat et Odile Rudelle, auxquels la Revue adresse ses remerciements.
Généralités, méthodologie
BOURQUIN (Laurent) – Les nobles, la ville et le roi. L’autorité nobiliaire en Anjou pendant les guerres de Religion (1560-1598). – Paris, Belin, 2001. 22 cm, 314 p. Bibliogr. Index.
1 Les guerres de religion sont paradoxalement un moment de contestation et de renforcement de l’autorité royale dans la France moderne. Le cas angevin illustre la stratégie royale qui consista à imposer des agents extérieurs à la région contre les partis catholique et protestant. La monarchie cherchait par ce procédé à remplacer les fidélités notabiliaires par son autorité en s’appuyant sur une « noblesse seconde ». Motivée par un « souci comparatiste », l’étude de L. B. décrit comment les configurations locales conduisent à une adaptation des stratégies de la monarchie pour s’imposer et que ces stratégies elles-mêmes évoluent en fonction de la tournure que prennent les conflits religieux. Ce travail expose également de quelle manière se fît, entre 1560 et 1598, le ralliement des différentes strates de la noblesse et la recomposition du pouvoir entre notables et gentilshommes angevins au profit du roi.
BRAUD (Philippe) – Sociologie politique. – Paris, LGDJ, 6e éd., 2002. 20 cm, 680 p. Index. Bibliogr.
2 Réédition d’un manuel classique de sociologie politique, cet ouvrage réussit à transmettre les acquis conceptuels fondamentaux de la discipline par ses entrées thématiques (le pouvoir, les groupements sociaux, l’État, les régimes politiques, la socialisation, l’action collective, la participation politique, les groupes d’intérêt, la représentation, la gouvernance). Mais il ne se contente pas de cette tâche déjà vaste ; il propose également une introduction au travail épistémologique dans le cadre disciplinaire, une bibliographie large et de qualité sur les différents thèmes traités ainsi qu’un lexique simple, mais subtil. Mis à jour récemment, le manuel constitue un outil d’une grande utilité pour tous ceux qui découvrent ou souhaitent approfondir leurs connaissances en sociologie politique.
CHATRIOT (Alain), DUCLERT (Vincent) dir. – Quel avenir pour la recherche ? – Paris, Flammarion, 2003. 350 p.
3 Voici un plaidoyer pour une politique de la recherche qui est le fruit d’un séminaire où se conjuguaient les souvenirs éblouis du colloque de Caen organisé en 1956 autour de Pierre Mendès France et ceux des années ultérieures. La naissance de la Cinquième République y devient une sorte d’âge d’or puisqu’elle a permis, à l’ombre de la nouvelle DGRST, la mise en place de « politiques publiques » dont le souvenir alimente la nostalgie de sorte qu’un patronage prestigieux est ici mobilisé pour alerter et dire que ces heureux temps ne sont plus. À partir de là, le livre oscille entre plusieurs pôles : états des lieux de disciplines allant de la science politique à la procréation médicalement assistée, description et projets de grands établissements (INRA, ENA, INSERM, EHESS, etc.) ou critiques acerbes, qu’il s’agisse de la relance tentée par J.-P. Chevènement, en 1981, par le moyen de la fonctionnarisation (Olivier Postel-Vinay) ou de la mise à la retraite d’office, en 1996, d’une centaine de chercheurs, qui aura décapité nombre de laboratoires dont les 35 heures accélèreront la désertification (Luc Montagnier). Le salut est attendu de l’Europe qui aurait seule la dimension nécessaire… à moins que Kafka n’y prenne, à son tour, le pouvoir.
GODET (Michel) – Le Choc de 2006 : démographie, croissance, emploi. Pour une société de projets. – Paris, Odile Jacob, 2003. 22 cm, 300 p. Bibliogr.
4 Ancien membre du Conseil d’analyse économique, M. G. propose ici une réflexion sur l’évolution sociale et démographique, qui illustre ce qu’est un think tank libéral français. Pointant les contradictions des politiques qui associent antilibéralisme économique et libéralisme social, il développe une réflexion sur la place du travail et de l’effort dans la société française contemporaine pour mieux souligner leur absence actuelle. Ces arguments permettent de mieux comprendre la praxis libérale française : dimensions déraisonnables de la fonction publique, absence de goût français pour l’initiative, poids croissant des retraités sur les finances de la collectivité et obligation de mettre en œuvre des réformes plus « souples » (la capitalisation) en appelant à des « efforts » (par l’allongement de la durée de cotisation). L’originalité de M. G. réside dans sa volonté de réhabiliter le sens de la famille comme moyen d’éviter que ce « choc » se change en crise, en réinvestissant celle-ci comme lieu d’exercice de l’autorité et en associant relance démographique et relance économique. C’est la promotion de la famille qui devra permettre de prévenir les risques sociaux tandis que la bonne gouvernance, transposition simpl (ist) e du monde de l’entreprise, devrait assurer la mise en place d’une société plus vertueuse et susceptible de produire du lien en sus du bien.
MATTELART (Armand), NEVEU (Erik) – Introduction aux Cultural Studies. – Paris, La Découverte, 2003. 18 cm, 122 p. Bibliogr. (Repères. 363)
5 Les Cultural Studies regroupent les questionnements sur le statut de la culture et sur la production d’une culture « légitime » contre la « culture de masse » ; c’est le paradigme qui apparaît au Royaume-Uni dans les années 1970. Derrière la diversité des terrains et des composantes culturelles ainsi exploités (genre, ethnicité, consommation), A. M. et E. N. cherchent à mettre en évidence les logiques et les transformations de ce champ de recherche de plus en plus impérialiste, au point que des chercheurs en fassent une « antidiscipline ». À travers l’émergence et les aléas du succès des Cultural Studies, ils considèrent ainsi que cette démarche éminemment critique à l’origine devient, dans l’analyse de l’intégration mondiale, un instrument de compréhension des phénomènes en réseau. On retrouve le politique dans l’analyse qui entend questionner les mythologies de notre « âge global », tout en rompant avec l’enfermement théorique dans une philosophie culturaliste.
SFEZ (Lucien) dir. – Science politique et interdisciplinarité. Conférences (1998-2000). – Paris, Publications de la Sorbonne, 2002. 24 cm, 174 p. (Série Science Politique. 4)
6 L’ouvrage rassemble des conférences données devant l’École doctorale de science politique de la Sorbonne et permet de faire le point sur l’interdisciplinarité dans la science politique à travers l’approche de spécialistes de la discipline ou de disciplines connexes : l’anthropologie (P. Ansart), le droit (J.-Cl. Colliard), l’histoire (J. Le Goff)… Les conférences sont également celles de chercheurs qui utilisent l’interdisciplinarité pour rendre compte d’objets atypiques (les réseaux sociaux, le public de la télévision, les temporalités du politique, les bonnes manières). À côté de cette volonté d’expliciter la réflexion épistémologique, l’autre mérite de cet ouvrage est de donner la parole à de jeunes docteurs pour un peu d’ego-histoire, qui permet de comprendre comment, chez le chercheur en devenir, le travail de thèse sert d’introduction à l’interdisciplinarité.
TABATONI (Pierre) dir. – La protection de la vie privée dans la société d’information. – Paris, PUF, tome 3, 4 et 5, 2002. 24 cm, 383 p. (Cahier des sciences morales et politiques)
7 P. B. nous propose, avec cet ouvrage, une vraie somme sur la protection de la vie privée face à l’impact des systèmes électroniques d’information. Sous le format d’études des législations de pays européens (Suisse, Belgique, Royaume-Uni, Espagne), mais également en référence aux États-Unis, les contributeurs envisagent non seulement les points précis de droit qui réglementent le respect de la vie privée, mais envisagent également les enjeux éthiques de ce respect ainsi que les stratégies mises en œuvre par des acteurs (presse, entreprises) pour faire respecter ou contourner ce droit. Solide dans le traitement de la question de la vie privée au regard des textes qui en explicitent les dispositions et des organes qui en ont la charge, l’ouvrage met en perspective cet « objet aux contours flous » dans des études stimulantes, comme la mise en œuvre du droit à la privacy aux États-Unis dans les sociétés de l’Internet, ou la protection des individus dans le cadre de la lutte contre le surendettement. En ne se limitant pas aux aspects juridiques sur la vie privée, l’ouvrage propose une ouverture des plus intéressantes vers la science politique.
Pensée politique
ARENDT (Hannah), HEIDEGGER (Martin) – Lettres et autres documents. Traduit de l’allemand par Pascal David. Édité par Ursula Ludz. – Paris, Gallimard, 2001. 397 p. Bibliogr. Index. (Bibliothèque de philosophie)
8 Cette publication n’est pas une correspondance, nous dit l’éditrice, dans la mesure où l’échange de lettres est très asymétrique : moins du quart de ces documents, comprenant poèmes ou conférences, vient d’Hannah Arendt dont les lettres les plus anciennes ont été détruites, en raison du pacte de secret dont avaient convenu le professeur et son élève de quinze ans plus jeune. Trois époques sont ici réunies : la rencontre (1925-1933), où l’absence des lettres d’Hannah est compensée par « Ombres », texte qui raconte la solitude qui fut celle d’une jeune fille « venue d’ailleurs » ; les brèves retrouvailles (1950-1965), après le nazisme, la guerre et l’aveu conjugal qui ont séparé, et séparent encore puisque, de 1952 à 1966, ils ne se sont pratiquement pas vus ; et « l’automne », qui, scellant la réconciliation entre les ménages, culmine dans le discours que la « chère Hannah » prononce en 1969 à l’occasion des 80 ans de Martin Heidegger : les échanges épistolaires reprennent alors, plus équilibrés, traitant de vie quotidienne, du travail de chacun ou des traductions américaines des œuvres du maître de Fribourg. Outre la densité humaine et poétique des premières lettres où se lit le trouble et la fièvre créatrice d’un amour partagé, on retiendra l’hommage final au philosophe, qui, en dépit de son « erreur », a rendu sa noblesse au travail de l’esprit, solitaire, distinguant « entre l’érudition et la chose pensée », et qui, après Platon, avait loué le « pouvoir de s’étonner devant le simple » et enseigné qu’il fallait « accepter cet étonnement comme un séjour ». Fidèle à ce précepte qui fut celui de sa vie, Hannah Arendt s’attristera des petitesses de la vie universitaire comme de l’apparition d’un conformisme tel que le féminisme de ses étudiantes qui aboutit au fait qu’il lui soit demandé jusqu’à la bonne recette pour garder un homme…
CAMUS (Albert) – Camus à Combat. Éditoriaux et articles de 1944-1947. Présentés par Jacqueline Levi-Valensi. – Paris, Gallimard, 2002. 703 p.
9 Le journalisme de Camus est un mythe, la référence de tout débutant. C’est donc un plaisir de retrouver ici les 6 articles du Combat clandestin et les 165 qui ont été publiés du 21 août 1944 au 3 juin 1947. On y retrouve l’écho d’une époque dominée par les espoirs et, très vite, les déceptions d’une Résistance qui n’a pas pu devenir révolution, en raison de la guerre qui continue, du non-dit qui entoure la place des communistes dans la Libération, de la difficulté du gouvernement provisoire à se faire reconnaître sur la scène internationale et, dès la paix revenue, sur la scène intérieure. On revit la polémique avec Mauriac à propos de l’épuration, les inquiétudes de Camus à propos de l’Algérie et, bien sûr, l’immense malentendu qui s’installe autour des propositions constitutionnelles du général de Gaulle à propos desquelles la prudence de Camus illustre le fossé séparant la culture représentative des républicains traditionnels de la culture constitutionnelle de l’homme du 18 juin.
CHARAUDEAU (Patrick), MAINGUENEAU (Dominique) dir. – Dictionnaire d’analyse du discours. – Paris, Le Seuil, 2002. 22 cm, 665 p. Bibliogr.
10 Ce dictionnaire se veut la preuve en acte de l’installation de cette discipline dans le champ des sciences sociales et humaines. L’analyse du discours est l’étude du « langage, lui-même considéré comme activité en contexte, construisant du sens et du lien social ». Cette discipline au carrefour des recherches en sciences sociales entraîne une démarche « impérialiste » des auteurs qui cherchent à la fois à montrer l’originalité de la discipline tout en témoignant de la forte interdisciplinarité dont l’analyse du discours fait acte en recourant aux catégories de la sociologie, de la psychologie ou de l’anthropologie. Cette logique d’explicitation des frontières disciplinaires est l’enjeu central de l’ouvrage, qui fournit ainsi aux chercheurs, aux professionnels de la communication, aux formateurs et aux enseignants de nouveaux terrains et de nouvelles problématiques.
DELACROIX (Christian), DOSSE (François), GARCIA (Patrick), TREBITSCH (Michel) dir. – Michel de Certeau. Les chemins de l’histoire. – Bruxelles, Complexe, 2002. 22 cm, 216 p.
11 Hommage au grand historien, cet ouvrage collectif rassemble des contributions qui ont toutes trait à la sensibilité particulière dont Certeau faisait preuve lorsqu’il étudiait le quotidien. De son étude de la langue et de la croyance ressort la permanence de la mystique et de la psychanalyse. Ces problématiques conduisent l’historien à repenser la permanence des catégories historiennes dans l’histoire du temps présent et l’épistémologue théoricien à rechercher un renouvellement de l’écriture de l’histoire qui tienne compte de l’acte d’écriture de l’histoire. Cette posture a placé de Certeau, auquel on reprochait son « hypertrophie du sujet », dans une position de « marginalité créatrice », mais qui sert désormais de point de repère aux études transdisciplinaires. C’est, en définitive, et à travers la réception de sont travail que l’on peut mesurer l’importance de l’historien, et à travers son travail que ce livre nous fait découvrir l’homme.
DELSOL (Chantal) – La République, une question française. – Paris, PUF, 2002. 19 cm, 151 p.
12 Dans cet essai, Ch. D. jongle avec les concepts et met en valeur les contradictions de la République « à la française » : contraste entre les institutions et l’esprit démocratique, tension entre l’unité républicaine et la diversité démocratique. Ces contradictions expliquent, selon elle, en partie pourquoi les Français ne sont pas un peuple « heureux », car ils doutent d’eux-mêmes. C’est l’identité de la France qui serait dès lors en question et cet essai souhaite ouvrir la voie à une réflexion sur le dépassement de la République (qui renvoie à une identité un peu défraîchie, pour l’auteur) pour déboucher sur l’attachement à la France. En somme, beaucoup de détours philosophiques pour nous délivrer une morale.
DEWEY (John) – Le public et ses problèmes. – Pau, Publications de l’Université de Pau, Farrago/Éditions Léo Scheer, 2003. 207 p. (Philosophie/Science politique)
13 Il a fallu attendre plus de 75 ans (la première édition américaine date de 1927) pour que la traduction française d’un des ouvrages majeurs du philosophe pragmatiste John Dewey, Le public et ses problèmes, nous soit livrée. Organisé en six chapitres, l’ouvrage part d’une réflexion sur les différentes théories portant sur la formation et la nature des États pour offrir une étude originale de la genèse de la notion de public qui accorde une place majeure aux conséquences inattendues, indirectes du fourmillement des actes sociaux quotidiens, des plus prosaïques aux plus institutionnels. Si l’on suit J. D., le partage public/privé s’opère entre les actes dont les conséquences ne réclament aucune intervention spécifique et ceux dont les conséquences appellent un contrôle (par permission ou prohibition) qui, prises en charge, dessinent les contours du public et par là même de l’instance supposé le gérer, l’État. La force majeure de cet ouvrage est de rompre avec les lectures causales de l’État en insistant sur sa relativité et sa nécessaire inscription dans le cadre d’un mouvement de perpétuelle actualisation. La formation des États, nous dit J. D., est un processus expérimental, c’est pourquoi « l’État doit toujours être redécouvert » (p. 75). Il décline ensuite les différentes potentialités d’une telle acception du public tant d’un point de vue scientifique en amorçant un débat épistémologique sur la notion d’unité, que d’un point de vue normatif à partir duquel il discute l’état de la démocratie avec des instruments et des intuitions qui ne peuvent que surprendre par leur actualité.
JUROVICS (Yann) – Réflexions sur la spécificité du crime contre l’humanité. – Paris, LGDJ, 2002. 24 cm, 519 p. Bibliogr. (Bibliothèque de droit international et communautaire. 116)
14 La notion de crime contre l’humanité s’est autonomisée de l’usage qui en fut fait à Nuremberg en 1945, pour s’incarner dans des institutions comme la Cour pénale internationale, sans qu’émerge pour autant une définition unifiée de ce crime. Y. J. montre comment de la diversité des statuts du crime contre l’humanité – entre droit international et droits nationaux – peut être tirée une telle définition, applicable aussi bien au Rwanda qu’en Afrique du Sud ou en ex-Yougoslavie. Ce travail de fond se traduit par une étude dans laquelle l’acte criminel doit d’abord être qualifié, discrimination avec atteinte à l’intégrité physique, persécution sous toutes ses formes. Ensuite, et surtout, le critère de passage du crime de droit commun au crime contre l’humanité se fait en fonction de l’existence d’un projet politique concerté de discrimination, liaison qui permet notamment de prendre de la distance avec la notion de crime de guerre. Ainsi, à la rigueur de l’analyse juridique, Y. J. ajoute un rapport essentiel du droit à l’histoire et à sa brutalité.
LACROIX (Justine) – Michaël Walzer. Le pluralisme et l’universel. – Paris, Michalon, 2001. 19 cm, 120 p. (Le bien commun)
15 « Libéral communautariste », Walzer s’affirme depuis quelques années comme un penseur incontournable de la justice sociale dans les sociétés multiculturelles. Son œuvre dense et riche trouve dans ce volume un résumé commode. Son libéralisme est présenté dans toute sa complexité, mêlant sens universel de la justice et enjeux des allégeances personnelles et communautaires. L’originalité de la position de Walzer sur le débat entre le « juste » et le « bien » est souvent rendue avec finesse, en la replaçant dans le champ de la philosophie politique contemporaine (McIntyre, Nagel, Rawls, Sandel, etc.). Mais cette intelligence tient surtout à ce que J. L. s’autorise à commenter, voire à souligner les contradictions du discours de Walzer, comme celles de ses contradicteurs.
LE QUANG SANG (Julie) – La loi et le bourreau. La peine de mort en débats (1870-1985). – Paris, L’Harmattan, 2001. 24 cm, 266 p. Bibliogr. (Logiques sociales : déviance et société)
16 L’abolition de la peine de mort est analysée ici sous la forme d’une fenêtre d’opportunité politique et juridique. J. L. Q. S. présente en effet deux situations historiques – les débuts de la Troisième République et l’alternance de mai 1981 – dans lesquelles l’abolition de la peine de mort est en débat. La loi est ainsi envisagée comme un moment du politique dans lequel se mobilisent des coalitions d’acteurs qui ne disposent pas d’une capacité égale à instrumentaliser le droit. L’auteur étudie plus spécifiquement l’arène parlementaire, doublée par la scène médiatique, et montre comment le renouvellement du personnel politique (notamment le rôle croissant des avocats) au début de la Troisième République et en 1981 conduit à mettre en avant ce thème de l’abolition. Ces nouvelles élites se heurtent en 1907 à la presse parisienne, mais, en 1981, la conjonction des espaces politique et médiatique – voire sociaux – conduit à l’adoption de l’abolition. C’est donc une mise en contexte de la loi qui, au terme de cet ouvrage, permet de comprendre sa genèse et son adoption.
PANDELON (Gérald) – Esquisse d’une théorie du mensonge. – Paris, LGDJ, 2002. 24 cm, 218 p. Bibliogr. Index.
17 G. P. propose un thème d’étude philosophique très stimulant : une « théorie politique du mensonge ». Il associe ce mensonge à quelques grandes représentations : la transgression de la loi comme début du mensonge, l’émergence de la raison d’État et la corruption, le lien étroit qui associe secret et mensonge. La dimension morale du mensonge en politique est essentielle, car la « transgression révèle toute la puissance de l’homme dans le champ politique ». G. P. développe l’idée que le mensonge est étroitement associé au pouvoir. Dès lors, le pluralisme politique, qui induit une multiplication des centres de pouvoirs, se traduit par une fragmentation du mensonge à mesure que la politique moderne recherche plus l’efficace sociale que la vérité divine.
STIRN (Bernard) – Les libertés en question. – Paris, Montchrestien, 4e éd., 2002. 20 cm, 156 p. (Clefs. Politique)
18 Les libertés sont toujours en question, même dans les régimes qui a priori en assurent le plus grand respect. Mais, pour les défendre, mieux vaut savoir de quoi on parle. Ainsi, l’objectif de ce livre consiste à rappeler un corpus de libertés publiques fondamentales et leurs conditions de mise en œuvre. Il envisage ensuite les instances de contrôle et de défense de ces libertés, ainsi qu’un certain nombre de thèmes qui, dans l’actualité, rappellent l’importance d’une vigilance de tous pour les préserver. B. S. nous administre en même temps une véritable leçon d’éducation civique : au-delà de la précision et de la densité des références qu’il utilise, au-delà de la subtilité de ses analyses, mêmes sommaires, il nous convie à apprécier cet objet essentiel de notre univers démocratique trop souvent négligé pour cause d’habitude.
WEBER (Max) – Rudolf Stammler et le matérialisme historique. – Laval (Canada), Presses de l’Université de Laval/Le Cerf, 2001. 24 cm, 198 p. Bibliogr. Index. (Pensée allemande et européenne)
19 Ce texte est la réfutation adressée en 1907 par M. Weber aux travaux de R. Stammler, qui prétendait, par le recours au matérialisme historique, dans l’association du droit et de l’éthique, aligner la méthodologie d’investigation du social sur celle des sciences de la nature. Ces travaux suscitèrent un vaste débat entre les philosophes, les juristes et les sociologues, débat qui permit notamment à Max Weber d’affiner sa réflexion épistémologique, préparant ainsi les éléments de l’exposé de sa méthode telle qu’il la développe dans Économie et société. La traduction de cet essai permet, au-delà de son intérêt épistémologique, de remettre en contexte historique et intellectuel la production scientifique de M. Weber, au regard de ses contemporains, parfois contre eux. La longue introduction au texte, réalisée par une équipe de sociologues québécois, rétablit l’importance du contexte dans la genèse de l’œuvre sociologique.
Institutions politiques et administratives
La République. Mélanges Pierre Avril. Contributions réunies par de Michel Ameller. – Paris, Montchrestien, 2001. 622 p.
20 C’est une belle habitude que celle des Mélanges et d’autant qu’ils sont mieux en relation avec la personnalité de l’auteur. Lié à l’aventure mendesiste, P. Avril a été secrétaire général et rédacteur en chef des Cahiers de la République (1957-1962) avant d’être, depuis 1977, aux côtés de Jean Gicquel, le subtil chroniqueur constitutionnel de la revue Pouvoirs. C’est dire que le champ de ses amitiés s’est élargi à la mesure des transformations subies par une République qui, de plus en plus éloignée de sa prétention à l’universalisme, découvre la richesse du comparatisme, mais aussi la difficulté d’enseigner une matière qui a tant évolué. C’est ce que Jacques Chevallier rappelle en racontant une histoire qui va du droit constitutionnel aux institutions politiques et, de là, au contrôle constitutionnel qui rétrécit encore les marges de la souveraineté parlementaire, même si, au-delà des textes, les usages, si bien étudiés par P. Avril sous le nom de conventions, avaient réussi à opérer une certaine reconquête. De cette distance entre les textes et leur pratique comme du bon usage de la comparaison, deux excellents exemples sont donnés par le texte d’Hugues Portelli sur la création, l’usage et le résultat des référendums abrogatifs en Italie, et par celui d’Élisabeth Zoller sur les pratiques de l’opinion dissidente aux États-Unis. Loin d’avoir toujours existé, ces dernières se sont peu à peu imposées comme intermédiaire entre la pratique de la common law à l’anglaise, qui ne connaît que les opinions individuelles, et celle issue du droit romaniste, qui ne connaît que l’opinion collective et anonyme de la Cour. Ayant expliqué qu’aux États-Unis, la publicité de l’opinion dissidente est liée à la responsabilité de juges nommés par des procédures démocratiques et dont l’impeachment peut être demandé, E. Z. continue en expliquant qu’en France, dialogue, discussion et critique existent tout autant, mais d’une autre façon. De ce côté de l’Atlantique, cela se déroule non pas à l’intérieur des cours, mais entre les juges et la « doctrine ». En conséquence, la France connaît moins de grands juges que de grands professeurs et le Conseil constitutionnel a heureusement su le reconnaître en faisant de leur indépendance un principe constitutionnel.
BARANGER (Denis) – Le droit constitutionnel. – Paris, PUF, 2002. 17 cm, 125 p.
21 La constitution est la tentative humaine pour mettre en place un « ordre politique idéal » fixant les modalités et les lieux de déploiement de l’action politique. Deux principes essentiels mis en œuvre par le droit constitutionnel sont étudiés : le pouvoir exercé par l’État et la légitimité que lui assure la démocratie. La mise en œuvre du pouvoir permet de rendre compte des dimensions de la souveraineté exercée par l’État et incarnée par des unités politiques. La légitimité est ici vue à travers l’association du pouvoir et de la démocratie, qui replace au centre de la constitution un certain nombre de valeurs, mais également de pratiques (la représentation, la responsabilité). Le tout est illustré par le recours aux exemples habituels (Grande-Bretagne, États-Unis et France). La qualité de ce petit volume est de ne pas chercher à être un manuel mais bien une introduction à l’esprit – et à la philosophie – du droit constitutionnel.
BAROLI (Marc), ROBERT (Dominique) – Du Conseil de la République au Sénat (1946-1958). – Paris, PUF, 2002. 22 cm, 202 p. Bibliogr. Index. (Politique aujourd’hui)
22 François Goguel avait l’habitude de dire que la faiblesse de la Quatrième République avait été la chance d’un Conseil de la République qui avait su obtenir le changement de sa première loi électorale pour un retour à la tradition, une révision constitutionnelle pour rétablir la « navette », et qui, grâce à Michel Debré, avait soutenu le gouvernement Edgar Faure à l’occasion du vote décisif sur le réarmement allemand. C’est donc cette histoire qui est ici racontée par deux fonctionnaires du Sénat. Il est bien vu que le Conseil de la République de la Quatrième République a été la matrice de deux hommes d’État : René Coty et Michel Debré, tous deux passionnés de révision constitutionnelle, qui joueront un rôle décisif en 1958. Pour la plus grande gloire du bicamérisme ? Certains l’ont cru. La révision de 1962 fera long feu de ces illusions.
COULON (Jean-Marie), SOULEZ-LARIVIÈRE (Daniel) – La Justice à l’épreuve. – Paris, Odile Jacob, 2002. 335 p.
23 Trois années d’un passionnant dialogue entre un magistrat, premier président de la cour d’appel de Paris, et un avocat du barreau de Paris sont ici rapportés dans un style dense et dénué de complaisance. Le magistrat est ouvert, mais pondéré, défenseur des dernières réformes aussi bien que d’une magistrature essentiellement formée à l’École nationale de la magistrature et dont les carrières sont gérées par le Conseil de la magistrature. Les deux hommes sont d’accord pour dire que le vieil État jacobin est sur le déclin, que la mondialisation juridique est à l’œuvre et que les cours de Strasbourg et de Luxembourg disent un droit qui révolutionne, en profondeur, une société française et une organisation judiciaire où le juge d’instruction est devenu le juge de l’instruction, en attendant le terme d’une évolution qui confiera l’instruction au parquet afin que le juge ne soit plus qu’un magistrat arbitrant entre des parties. Mais l’avocat va beaucoup plus loin : comparant avec les pays anglo-saxons, il dénonce l’absence d’une culture du droit, tant dans le monde politique que dans la presse, responsable de l’archaïsme d’une société juridique dont les avocats font partie au même titre que les magistrats, qui doivent sortir de leur tour d’ivoire, de leur prétention à dire l’intérêt général contre les intérêts particuliers. À cette fin, il dénonce la formation de l’ENM où de futurs magistrats sont enseignés par des magistrats, aussi bien que la gestion de leur carrière par un Conseil supérieur où les syndicats font la loi, de sorte que la sanction est devenue aléatoire, si ce n’est impossible. Pour lui, au moins la moitié des magistrats devrait venir d’un tour extérieur réservé aux meilleurs et les carrières devraient être gérées par une commission indépendante élue à la majorité des 2/3 par le Parlement, seul représentant d’une société civile qui ne serait pas autoproclamée. Ainsi, les magistrats seraient-ils investis de la légitimité démocratique, indispensable au rôle qui est le leur dans la formulation d’une norme, souvent plus décisive que la loi, rédigée de façon ambiguë pour ne mécontenter ni les intérêts en place ni les nombreuses associations de victimes particulièrement dénoncées dans ces pages.
DIEU (François) – Les gendarmes, secrets d’un corps. – Bruxelles, Complexe, 2002. 22 cm, 334 p. Bibliogr.
24 Sous cette accroche un peu journalistique, F. D. propose une étude exhaustive du corps de gendarmerie en faisant porter l’accent sur les spécificités et la diversité des gendarmes dans le travail de la force publique. L’ambivalence de cette fonction, entre peur mythique du gendarme et confiance dans le travail des « pandores », permet à F. D. de faire ressortir un « fait social gendarmique » – qui aurait cependant gagné à être défini plus rigoureusement et distingué d’un rôle social bien mis en valeur. Ce fait social se décrypte surtout à travers l’histoire de cette force de police qui dépasse la mise en œuvre de la force publique – ce qui explique le sens de sa rivalité avec la police – et auquel l’organisation et le statut militaires confèrent un supplément d’autorité. Précise et fouillée, l’enquête ne suit pas le quotidien des gendarmes, mais rend compte avec précision de leurs missions, de leurs valeurs, voire de leurs difficultés, avec une empathie perceptible.
DONZELOT (Jacques), MÉVEL (Catherine), WYVEKENS (Anne) – Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France. – Paris, Le Seuil, 2003.
25 Alors que les États-Unis sont souvent présentés en France comme un repoussoir, cet ouvrage propose une comparaison de la politique de la ville menée des deux côtés de l’Atlantique, qui fait du cas américain une source d’inspiration. En matière urbaine, les États-Unis privilégient une approche centrée sur les gens (people), qui s’appuie sur les communautés existantes, tandis que la France raisonne en termes de territoire (place) et refuse ce qu’elle qualifie de communautarisme. L’ouvrage dessine ainsi une opposition entre deux idéaux-types, celui de la « confiance entre les gens », dans le cadre d’un modèle américain horizontal, souple et participatif, et celui de la « magistrature sociale » en France, modèle vertical, rigidifié par la loi et où l’initiative vient des institutions.
DUHAMEL (Olivier) – Vive la Sixième république. – Paris, Le Seuil, 2002. 155 p.
26 Le constitutionnaliste, qui fut l’un des premiers à essayer de penser la Cinquième République comme celle qui permit à la France de vivre des alternances démocratiques paisibles, s’inquiète : l’alternance est devenue celle du césarisme et de l’impuissance, de la corruption et du populisme qui gronde aux portes. Aussi propose-t-il un régime primo-ministériel et ce joli néologisme cache un régime plus proche des autres démocraties du continent européen où cohabiteraient gouvernement de coalition, responsabilité du Premier ministre, chef de l’État élu par des notables et n’exerçant qu’une magistrature morale, et une Cour constitutionnelle exerçant en dernier recours. Pour le reste, ce livre évoque les heureux temps où, sous la présidence du doyen Vedel, s’élaboraient les projets de quinquennat, réalisé, et ceux du non-cumul des mandats, qui restent à faire.
FOUGÈRE (Louis), MACHELON (Jean-Pierre), MONNIER (François) dir. – Les communes et le pouvoir de 1789 à nos jours. – Paris, PUF, 2002. 24 cm, 662 p. Index.
27 L’ouvrage, aux signatures prestigieuses et diverses, est une somme sur les communes françaises : son projet ambitieux est d’aborder de manière chronologique la politique, l’administration, la société, l’économie et la culture communale. Il propose des études approfondies sur cet aspect central que constitue « la politique au village », envisagée dans les relations que les communes entretiennent avec le pouvoir « d’en haut ». Au croisement de l’histoire et du droit, c’est à une histoire de l’émergence et du développement du pouvoir municipal que nous sommes conviés, histoire qui prend un nouveau tour avec le renforcement de la décentralisation. C’est en même temps un regard décentré sur le politique et la politique qui est proposé, multipliant le recours aux sources qui témoignent des relations ambiguës, faites de séduction et de répression, entre le pouvoir central et les communes.
GICQUEL (Jean) – Droit constitutionnel et institutions politiques. – Paris, Montchrestien, 18e éd., 2002. 22 cm, 762 p. Bibliogr. Index. (Domat droit public)
28 Dans la nouvelle édition de ce manuel classique de droit constitutionnel, étudiants et enseignants trouveront expliqués avec clarté et style les concepts fondamentaux de ce droit. Mais l’ouvrage constitue également une bonne transition de la matière juridique vers sa transposition politique par l’introduction d’éléments d’analyse tirés de la science politique, soulevant des problèmes pratiques qui incitent à approfondir La lecture du droit tout en cherchant à comprendre ses fonctions et ses limites. L’ouvrage étudie ensuite les régimes politiques dans leur diversité (Grande-Bretagne, États-Unis, Union européenne, Pays ex-communistes) avant de se concentrer sur le droit constitutionnel français, à travers l’histoire des régimes et de leur fonctionnement. Une sobriété de présentation enrichie par l’évocation de nombreux cas et le recours à une bibliographie abondante et raisonnée permettent ensuite d’approfondir sa lecture.
JOBARD (Fabien) – Bavures policières ? Sociologie des violences policières. – Paris, La Découverte, 2002. 22 cm, 300 p. Bibliogr. (Textes à l’appui)
29 L’auteur de cet ouvrage nous livre une analyse prudente – inscrite dans le cadre d’une étude sociologique compréhensive des situations – des facteurs qui rendent parfois presque mécanique l’occurrence de la violence policière. Contournant les écueils du déni autant que de la litanie dénonciatrice, basée sur une accumulation de cas, ou de l’inférence abusive à partir d’un cas considéré comme exemplaire, F. J. s’appuie sur une enquête en trois temps (recueillir le matériel discursif, en vérifier la fiabilité, déduire l’ensemble des conditions de possibilité) pour traiter les logiques des violences policières et, plus largement, aborder le problème du monopole de la violence légitime de l’État. Un travail intéressant, qu’on aurait toutefois souhaité mieux inscrit dans l’ensemble des recherches anglo-saxonnes sur la question.
KREUZER (Marcus) – Institutions and Innovation : Voters, Parties and Interest Groups in the Consolidation of Democracy, France and Germany (1870-1939). – Ann Arbor, University of Michigan Press, 2001. 24 cm, 224 p. Bibliogr. Index.
30 Il s’agit de la réédition d’un livre de 1964 qui, avec Duverger, Schumpeter et Sartori, s’interrogeait sur l’influence des institutions sur la nature des partis. En l’occurrence, l’influence de la représentation proportionnelle sur la République de Weimar et celle du scrutin d’arrondissement à deux tours, dont la spécificité n’a pas fini d’étonner cette plume américaine qui, plaidant pour le comparatisme, s’amuse aux dépens des historiens qui plaident pour les spécificités nationales. Alors, si la représentation proportionnelle est justement accusée d’avoir aggravé la bureaucratisation des partis allemands et pesé sur l’affaiblissement fatal de la République de Weimar, le scrutin à deux tours français est au contraire crédité d’une souplesse et d’une capacité d’entreprise dont la description étonne le lecteur d’aujourd’hui.
LE ROY LADURIE (Emmanuel) dir. – Les grands procès politiques, une pédagogie collective. Actes du colloque organisé par la fondation Singer-Polignac. – Paris, Éditions du Rocher, 2002, 230 p.
31 Ouvert par un avant-propos d’E. Le R. L. rappelant le procès dont son grand-père, militaire, a été l’objet en 1902 pour avoir refusé de participer à l’expulsion des congrégations religieuse en Bretagne, cet ouvrage collectif est, en fait, un hommage à Annie Kriegel, auteur, en 1971, des grands procès dans les systèmes communistes, vrai chef-d’œuvre de déconstruction d’une pédagogie infernale, souligne Alain Besançon. Écrit après le témoignage d’Arthur London, cet ouvrage fut le premier à démonter la mécanique de procès qui n’étaient que la conclusion fracassante d’une purge, puisque le système communiste n’avait pas trouvé d’autre rôle positif pour l’opposition que d’accepter d’être détruite avec ostentation, de façon à consolider le pouvoir d’un secrétaire général, incarnant une nouvelle ligne. Cette pédagogie de la peur a eu ses précédents religieux – les procès de l’Inquisition –, politiques – même si le procès de Carrier cherchait, en réalité, à mettre fin à la Terreur – et surtout ses contrefaçons françaises dans la succession des procès internes au PCF, ici analysés par Stéphane Courtois. Après l’évocation des procès de l’Est communiste, le livre aborde deux sujets très différents : d’une part, le procès Kasztner qui se tint en 1954 à Jérusalem pour juger ce juif hongrois qui avait négocié avec Eichmann le départ de 1 700 coreligionnaires au risque de détourner l’attention du malheur des autres et, d’autre part, le problème très contemporain de la justice pénale internationale pour laquelle le plus grand scepticisme est montré.
OWEN (Bernard) – Le système électoral et son effet sur la représentation parlementaire des partis : le cas européen. – Paris, LGDJ, 2002. 24 cm, 525 p. Bibliogr.
32 L’ouvrage de B. O. consiste à essayer de mettre en évidence les effets du mode de scrutin sur le système des partis d’un État et sur la représentation. Pour cela, l’auteur propose une perspective comparative et historique entre différents pays selon que le système politique est proportionnel (à parti dominant, bipartisme ou multipartisme) ou majoritaire. Il compare dix pays d’Europe Occidentale dans le cadre du scrutin proportionnel et étudie de près le Labour Party britannique pour le scrutin majoritaire. Le recours à l’histoire et à la sociologie électorale lui permettent d’établir des profils partisans et des particularités nationales relatives à des évolutions doctrinales ou à des configurations historiques spécifiques. Surtout, la grande originalité de la thèse soutenue est de montrer que les effets des modes de scrutin dépassent de beaucoup la seule distribution des sièges et que leur interaction est constante avec ce que B. O. appelle les « groupes d’influence électorale » (églises, syndicats, etc.).
WYVEKENS (Anne), FAGET (Jacques) dir. – La Justice de proximité en Europe : Pratique et enjeux. – Ramonville, Érès, 2001. 161 p. Bibliogr.
33 Même en France, le concept est polysémique : il signifie soit la « justice cabinet » qui ne va pas plus loin que le bureau du juge admonestant l’enfant, soit la pratique qui s’est territorialisée dans le cadre d’une politique de la ville, demandant un traitement en « temps réel » pour la gestion d’une justice pénale qui, liant proximité humaine, territoriale et temporelle, va se déployer dans les maisons de justice. Dirigées par des magistrats, celles-ci ont mieux réussi que les « contrats de prévoyance contre la délinquance », restés au stade de la prévention. L’accroissement de la délinquance fera aller plus loin, avec des groupes locaux de traitement de la délinquance qui, sous la houlette du parquet, entreprennent des opérations de visibilité dans les écoles ou les supermarchés, siégeant en dehors des locaux traditionnels et ouvrant la voie à une pénalisation du social, dans une version douce empruntant à la médiation ou au conseil juridique, au risque de faire que ces « magistratures sociales » consacrent finalement plus de temps à la petite délinquance qu’à la grande. La comparaison avec une Angleterre où règne la politique de community safety fait cependant mesurer le risque qu’il y aurait à privatiser l’espace public, sous prétexte d’appel à la responsabilité des citoyens. La Suisse cantonale des juges de paix offre un modèle nostalgique qui ne doit pas faire illusion, car là comme en France, l’avenir se cherche du côté des nouvelles formes de médiation. L’étude belge rappelle judicieusement que le paradoxe de la proximité est d’avoir besoin de la distance pour s’exercer sereinement ; retour en France, l’analyse statistique du résultat de la justice en temps réel sème un doute, car si 60 % de ces dossiers s’appliquent à des auteurs d’origine africaine, le paradoxe de la proximité serait d’accentuer l’extranéité et donc, l’exclusion.
Forces et comportements politiques
BRESC (Henri), D’ALMEIDA (Fabrice), SALLMANN (Jean-Michel) dir. – La circulation des élites européennes. Entre histoire des idées et histoire sociale. – Paris, Seli Arslan, 2002. 22 cm, 255 p. (Histoire, cultures et sociétés)
34 Cet ouvrage collectif explore trois figures « parétienne » de la « circulation des élites » européennes depuis l’Antiquité : le conquérant qui, depuis les « clarissimes » gaulois aux chefs de guerre catalans du 14e siècle, permet la diffusion d’une forme d’élitisme, renforcée par le travail d’« intellectuels » émigrés à l’époque moderne (artistes, scientifiques, missionnaires), jusqu’à ce qu’au vingtième siècle, l’internationalisation des élites trouve à s’incarner dans des structures, des groupes et des pratiques qui redéfinissent l’élitisme comme mobilité à la fois sociale et spatiale. Au-delà de l’éclatement des thèmes abordés, ce recueil pointilliste permet de reposer la question de la nature et du fonctionnement de l’élitisme dans l’histoire.
COULON-GULLY (Marlène) – La démocratie mise en scène. Télévision et élections. – Paris, CNRS Éditions, 2001. 24 cm, 166 p. Bibliogr. (CNRS Communication)
35 À travers l’étude de la compagne présidentielle de 1995, M. C.-G. analyse les effets politiques et sociaux du formatage télévisuel des discours et des hommes politiques. Elle montre comment la médiation télévisuelle comporte une dynamique propre qui induit la simplification des discours et la réduction de la rationalité cognitive et de la confrontation d’arguments qui sont censés prévaloir dans l’arène politique. L’auteur rappelle ainsi que « la politique à la télévision, c’est de la télévision », dans laquelle l’esthétisation et la rhétorique priment sur les idées, ce que M. C.-G. articule sur des éléments de théorie de la communication. C’est à l’observation de l’empilement des signes que nous sommes conviés, mais également à mieux comprendre les parasitages entre deux logiques. Cette confusion pose problème par la forme spécifique de médiatisation de l’espace public qu’est la télévision parce qu’elle limite le politique comme projet à la politique comme gesticulation.
Biographies et mémoires
BONNEFOUS (Édouard) – La construction de l’Europe, par l’un de ses initiateurs. – Paris, Presses Universitaires de France, 2002. 22 cm, 208 p. (Entretiens avec Pascal Binczak)
36 Ce témoignage d’un des derniers survivants des « pères fondateurs » de l’Europe permet de se replonger dans l’histoire de la construction européenne depuis 1946. En étant notamment à l’initiative de la proposition de création de l’Assemblée du Conseil de l’Europe au congrès l’Europe de La Haye en 1948, E. B. a vécu toutes les grandes étapes qui ont façonné l’histoire de la formation progressive de l’Europe. Grâce aux fonctions qu’il a occupées et aux relations qu’il n’a cessé d’entretenir avec les principaux acteurs, il peut livrer ici une partie des secrets des rouages de la construction européenne, depuis les débuts jusqu’à aujourd’hui. Ce livre d’entretiens évoque les longs cheminements, les succès et les insuccès, les espoirs et les embûches qui ont jalonné le parcours d’un des initiateurs de l’idéal européen.
CHINSKY (Pavel) – Staline, archives inédites (1926-1936). – Paris, Berg International, 2001. 24 cm, 155 p. Index
37 P. C. s’appuie sur la correspondance entre Staline et ses principaux collaborateurs (Molotov ou Kaganovitch, par exemple) pour rendre compte du mode de gouvernement stalinien dans ses années de mise en place. Ces lettres ne pâtissent pas de la retenue liée aux réunions officielles et mettent en valeur le rôle d’un chef obsédé par la politique et qui installait son « clan » au cœur d’un État qu’il transformait en dictature. Elles soulignent également la volonté stalinienne de neutraliser ses adversaires et de contrôler toute la hiérarchie de l’appareil soviétique, de maîtriser l’image publique du chef héritier de Lénine. L’intérêt de ce livre, qui explicite des mécanismes du pouvoir totalitaire, est de montrer l’acuité de Staline dans l’analyse du régime qu’il tente alors de mettre en place. Sa responsabilité, aussi.
HURTIG (Serge) dir. – Alain Savary : politique et honneur. Colloque des 15-16 juin 2000. – Paris, Presses de Sciences Po, 2002. 325 p. Bibliogr. Index.
38 Il est rare de voir un livre collectif si bien écrit et un colloque si bien centré autour d’un homme dont la vie politique se résume à quatre points décisifs : La France libre, l’Union française dans les deux théâtres de l’Indochine et de l’Afrique du Nord, la refondation du Parti socialiste de 1971 et, après 1981, la modernisation de l’enseignement supérieur, toujours gouverné par sa loi, ou celle des rapports de l’État avec l’enseignement privé qui, votée à l’Assemblée, fut retirée en juillet 1984 par un président qui, à l’heure du chômage et de l’irruption du vote Le Pen, craignait des mouvements de rue incontrôlables. Alain Savary a eu un destin de courage physique et intellectuel, et ce fidèle aura eu une vision du monde qui, en avance sur celle de ses contemporains, n’a pas toujours trouvé l’écho national qui eût été souhaitable. Né à Alger, diplômé de Sciences Po, la guerre avait encore élargi sa vision : marin, il rallie Saint-Pierre et Miquelon en 1941, dont il sera gouverneur pendant deux ans ; en 1943, il rejoint la première DFL en Tripolitaine et fait la campagne d’Italie et le débarquement en Provence. Membre de l’Assemblée consultative, il sera commissaire de la République à Angers, secrétaire général aux Affaires allemandes en 1948, puis membre de l’Assemblée de l’Union française au nom de la SFIO. À ce titre, il va en Indochine, alerte les gouvernements et, élu député en 1951, entame une campagne pour des négociations qui le rapproche de Mendès France. Les socialistes ayant refusé de participer à son gouvernement, il n’a reçu une responsabilité ministérielle qu’en 1956, comme secrétaire d’État aux Affaires marocaines et tunisiennes où, écartelé entre l’indépendance des uns et la guerre qui s’installe en Algérie, il démissionne après l 19;arraisonnement de l’avion de Ben Bella. Hostile à la CED, favorable au Marché commun, il refusera d’user de son titre de compagnon de la libération pour signer un appel à de Gaulle en mai 1958. Il avait déjà refusé une proposition analogue en 1945, illustrant par là comment une fidélité patriotique et humaine pouvait aller de pair avec un jugement politique radicalement hostile aux vues constitutionnelles de l’homme du 18 juin.
KOTT (Sandrine) – Bismark. – Paris, Presses de Sciences Po, 2003. 22 cm, 358 p. Bibliogr. Index. (Facettes)
39 C’est à une déconstruction du mythe bismarckien que S. K. nous convie. Avec précision et rigueur, elle montre comment de son vivant et après sa mort, survenue en 1898, Bismarck et, au-delà, la nation allemande encore en quête d’unité ont forgé une image héroïque du ministre-président, image récupérée aussi bien par la gauche que par l’extrême droite allemande pour légitimer leur action et leurs positions. Plus qu’une simple biographie, l’ouvrage rappelle implicitement l’ambition biographique qui est de mettre la vie de l’homme en perspective, de le situer dans le contexte dans lequel il s’insère ou dans lequel les biographes le projettent. D’où le choix atypique de S. K., qui aborda en premier lieu la construction de l’image – par Bismarck d’abord, par les Allemands ensuite, par les historiens enfin – avant de revenir sur la vie et l’œuvre de Bismarck afin de comprendre comment elles ont pu servir à la constitution du culte qui lui fut longtemps rendu.
Cadres économiques et sociaux
BASSON (Jean-Charles) dir. – Sport et ordre public. – Paris, La Documentation Française, 2001. 24 cm, 313 p. Bibliogr. (« La sécurité aujourd’hui »)
40 La relation qui est faite dans cet ouvrage entre sport et ordre public doit être entendue au sens large d’une contribution de la pratique sportive à la mise en forme et en œuvre de l’ordre social. Ainsi, à côté des contributions attendues sur le hooliganisme, la sécurisation des manifestations sportives ou la pénalisation de pratiques douteuses (affairisme, dopage, corruption), on trouve des articles illustrant les relations sport-société dans le cadre d’une socialisation et particulièrement, celle des sports de rue. On envisage alors la dimension sociale du sport comme facteur d’ordre et la tension croissante entre les processus de socialisation autonome du monde sportif et de mise sous tutelle des activités sportives.
Relations internationales
ABOU ZAHAB (Maryam), ROY (Olivier) – Réseaux islamiques. La connexion afghano-pakistanaise. – Paris, Autrement, 2002. 23 cm, 87 p. Bibliogr. (CERI/Autrement)
41 L’intervention américaine en Afghanistan a donné lieu à de nombreux débats sur les relations qui existaient entre les talibans et le Pakistan, plaque tournante et soutien des réseaux islamiques radicaux de la région. Ce petit ouvrage montre avec concision la nébuleuse et les réseaux islamiques organisés localement et régionalement, décrivant les différentes tendances, leurs connexions et leurs rivalités dans une région que le « djihadisme » entend réorganiser à son profit. Dans une présentation claire, M. A. Z. et O. R. font le point sur cette force politique désormais incontournable en Asie centrale mais encore trop souvent confuse et obscure aux yeux des observateurs français.
AUDOIN-ROUZEAU (Stéphane), BECKER (Anette), INGRAO (Christian), ROUSSO (Henry) dir. – La violence de guerre (1914-1945). Approches comparées des deux conflits mondiaux. – Bruxelles, Complexe, 2002. 22 cm, 348 p. Index.
42 Cette mise au point sur la violence, par de bons spécialistes, est intéressante à plus d’un titre. D’abord, parce qu’elle propose une lecture de cette période de brutalisation des sociétés occidentales en s’intéressant aux champs de bataille des deux guerres mondiales et à la violence à l’adresse des civils (les bombardements, les déplacements forcés, l’extermination de différentes populations) ; parce qu’elle pose également la question des traumatismes associés à la brutalisation de ces sociétés (les tontes de la Libération, les deuils). Ces thèmes confirment le changement de grille d’analyse de la guerre et la prise en compte de l’émergence d’une « culture de guerre » dans le siècle ainsi que la volonté de redonner sa place à la Grande Guerre dans un 20e siècle marqué par la Seconde Guerre mondiale comme « événement-monstre ». Plus que sur les césures chronologiques habituelles, c’est sur la continuité d’un processus de violence que se penche ce livre, permettant avec succès de faire émerger une compréhension de l’imaginaire et des représentations de la violence dans ces sociétés en cours d’« ensauvagement ».
BONIFACE (Pascal), NIVET (Bastien) – Petit dico européen. – Paris, PUF, 2002. 22 cm, 172 p. Bibliogr. (Major)
43 Ce petit dictionnaire entend fournir au lecteur des connaissances rapides et essentielles sur quelques questions européennes à travers une série de mots clefs assortis de cartes et de chiffres. Quelques biographies de « grands Européens » (Adenauer, de Gasperi, Delors, Monnet, Schuman, Spaak et Spinelli), des portraits des États membres et des pays candidats dans la perspective de l’Union européenne complètent cette présentation rehaussée d’une bibliographie raisonnée et de quelques éléments de chronologie. Un résultat ad hoc pour un projet honnête à l’adresse des étudiants.
CARROUÉ (Laurent) – Géographie de la mondialisation. – Paris, Armand Colin, 2002. 24 cm, 254 p. Bibliogr. Index. (U)
44 L’objet de ce livre est de présenter la mondialisation dans sa multidimensionnalité pratique (les formes de la mondialisation) et théorique (les logiques intégration-fragmentation des centres et évitement-marginalisation des périphéries), mais, derrière cette volonté de définir un phénomène diffus, L. C. tend à le ramener à sa dimension économique. Le problème politique est rapidement expédié, les enjeux humains escamotés. En revanche, le livre se révèle précis et pertinent dans l’exposé de la dimension géoéconomique de la mondialisation. Firmes multinationales, investissements, flux et échanges sont au cœur de ce processus productif et marchand ; le politique revient alors par la bande dans l’étude des organisations régionales. La vraie richesse de cette étude réside alors dans l’utilisation massive d’exemples qui permettent de comprendre comment la mondialisation produit ces effets politiques et sociaux. Dommage qu’il ne leur soit pas fait une plus large place dans ce manuel.
CÉLIMÈNE (Fred), LEGRIS (André) dir. – L’économie de l’esclavage colonial. Enquête et bilan du 17e au 19e siècle. – Paris, CNRS-Éditions, 2002. 24 cm, 188 p. Index.
45 On sépare souvent l’idéologie de l’impérialisme colonial de ses objectifs économiques. Or cet ouvrage expose comment la réflexion des économistes politiques classiques les conduisit, à partir de la réflexion sur la libéralisation du commerce des grains, à contester le système esclavagiste. Cette contestation ne se heurte pas seulement à une posture de principe (naturalisme des rapports de force ou « morale » de la hiérarchie raciale qui légitime l’ordre établi), mais également aux intérêts bien réels des esclavagistes relayés par une société dont le mode de production consacre la « profitabilité supérieure du travail asservi sur le travail libre ». Alors que se fait la transition de l’esclavage au salariat dans les colonies, le libéralisme économique de Smith, Say ou Sismondi confirme l’apparition d’un nouveau monde économique dans lequel la plantation comme modèle d’organisation n’a plus sa place.
CLAVAL (Paul) – Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux. – Paris, Armand Colin, 2003. 24 cm, 287 p. Bibliogr. Index. (U)
46 Au-delà de la perspective didactique propre au manuel, P. C. présente comment la culture comme construction de la société et élaboration de valeurs est influencée par le rapport des sociétés à l’espace – et réciproquement. L’environnement est ainsi un élément de la culture, ce qui n’est pas en soi révolutionnaire, mais prend toute sa pertinence lorsque P. C. envisage comment les transformations de la communication restructurent le rapport à l’espace. La question du rapport de l’homme et de son milieu, et plus largement, de l’identité comme enjeu spatialisé, donne lieu à des analyses érudites et alertes mêlant, dans une optique de géographe, histoire, science politique, littérature. Si l’impérialisme de la géographie est patent dans cet ouvrage, le résultat de cette cultural study est stimulant.
DAVID (Charles-Philippe), ROCHE (Jean-Jacques) – Théories de la sécurité. Définitions, approches et concepts de la sécurité internationale. – Paris, Montchrestien, 2002. 20 cm, 158 p. (Clefs. Politique)
47 Le petit ouvrage de Ch.-Ph. D. et J.-J. R. est à conseiller : il expose, aussi bien pour les internationalistes novices que pour les plus chevronnés, les approches de la sécurité collective, en s’intéressant notamment aux instances qui concourent à sa définition. La démarche consiste à faire une passerelle permanente entre approches conceptuelles des relations internationales et mises en œuvre de politiques de sécurité. Elle permet de comprendre pratiquement les nuances entre positions réaliste, libérale et idéaliste, mais surtout de les mettre en perspective à l’évocation de quelques situations : la diplomatie préventive, l’intervention de l’OTAN au Kosovo, les « guerres de l’eau », la redéfinition de la sécurité collective après le 11 septembre 2001, dans un chapitre concis et instructif. Au final, une synthèse solide et claire qui évite les écueils d’un format court tout en proposant les clefs essentielles pour comprendre les éléments fondamentaux de l’analyse des relations internationales.
DREYFUS (François-Georges) – 1919-1939 : l’engrenage. – Paris, Éditions de Fallois, 2002. 23 cm, 393 p. Bibliogr. Index.
48 Cette synthèse envisage le basculement de la Première à la Seconde Guerre mondiale. F.-G. D. montre comment l’engrenage se met en place d’abord au plan géopolitique : l’Europe des traités est devenue instable à mesure que des États sont mutilés ou créés artificiellement. Les États d’Europe occidentale subissent également les conséquences sociales, économiques et politiques de la guerre. Au sein de ces pays en difficultés, F.-G. D. s’intéresse principalement au cas de la France, prise entre sa volonté de redressement national et les déconvenues successives lors des négociations sur les réparations de guerre. De l’impossibilité de la France à mener à bien ces deux objectifs naît l’idée qu’il faut fonder l’Europe contre la guerre, sans se rendre compte que la France est de plus en plus isolée au sein cette Europe qui marche vers la guerre. L’originalité de cet ouvrage tient à ce que F.-G. D. analyse la diplomatie européenne et les évolutions politiques nationales sous l’angle d’un engrenage, celui de l’isolement européen de la France, né des revendications de 1918 jugées inacceptables tant par ses adversaires que par ses alliés.
JEANCLOS (Yves) – L’eau, arme stratégique au 21e siècle ? – Strasbourg, CIRPES, 2002. 23 cm, 162 et 135 p. (Points de vue stratégiques)
49 Ces actes en deux volumes apportent un éclairage intéressant sur la question de plus en plus débattue de l’eau comme enjeu géostratégique. Le premier volume met en œuvre l’idée d’« hydrostratégie », associée à des conflits bien connus (au Moyen-Orient, en Turquie ou dans le continent africain) comme à des enjeux de négociation interne ou internationale (en Espagne, sur le Danube et au Canada). Le second volume fait le point sur les éléments de droit international relatifs à l’eau et sur le rôle d’institutions comme le Conseil de l’Europe dans la gestion de l’« or bleu », avant de s’intéresser aux problèmes français relatifs à l’eau (droit, distribution, gestion). L’intérêt des communications est de dresser le tableau de cet enjeu géostratégique essentiel, en changeant à la fois d’échelle et de terrain d’étude, permettant de mieux comprendre pourquoi l’accès à l’eau devient vraiment un problème mondial.
LOROT (Paul), THUAL (François) – La géopolitique. – Paris, Montchrestien, 2e éd., 2002. 20 cm, 158 p. (Clefs. Politique)
50 Selon P. L. et F. T., la géopolitique fait l’objet, depuis une vingtaine d’année, d’une « refondation ». Débarrassée enfin de l’image d’une approche réaliste et cynique des relations internationales, elle doit être comprise à la fois comme un objet spécifique associé à sa méthodologie propre. Les auteurs proposent ainsi une démarche de fondation « historique » en accordant une bonne place à la généalogie de cet objet, depuis la géographie politique nationaliste de Ratzel (1844-1904), jusqu’au retour de la géopolitique orchestré dans la lignée d’Yves Lacoste (entre autres). Cette généalogie les conduit à envisager le renouvellement des problématiques associées à la politique internationale à travers quelques notions clefs : les constructions internationales (étatiques, identitaires) et les nouveaux acteurs qui concourent à la déterritorialisation du politique (organisations régionales, diasporas, mafia ou religions). Les logiques identitaires, la « géoéconomie » et les conflictualités apparaissent désormais centrales dans cette refondation de la géopolitique.
MOCKLE (Daniel) – Mondialisation et État de droit. – Bruxelles, Bruylant, 2002. 24 cm, 411 p. (Mondialisation et droit international)
51 Cet ouvrage explore la diffusion et les transformations de l’État de droit dans le cadre de la mondialisation. Ce phénomène de transfert et de mise en réseau des constructions juridico-politiques au niveau mondial entraîne deux postures types : celle de l’expansion et celle de la reconfiguration de l’État de droit au contact de contextes nouveaux d’expérimentation juridique. On sait gré aux contributeurs d’avoir tenté de sortir de la logique fréquente d’opposition entre les vertus démocratiques de l’État de droit et la brutalité politique induite par la mondialisation. Cette question est envisagée, de même que celle des importations difficiles de l’État de droit en Chine ou dans l’Afrique subsaharienne. Elle cède cependant souvent le pas à la réflexion sur la vitalité de cette relation en matière juridique, non seulement au plan du droit international (émergence du patrimoine de l’humanité, construction du droit communautaire), mais également dans la revivification des droits nationaux et des démocraties.
MURAWIEC (Laurent) – L’esprit des nations. Culture et géopolitique. – Paris, Odile Jacob, 2002. 24 cm, 306 p. Bibliogr. Index.
52 Fort du principe selon lequel il faut comprendre pour prévoir l’action des nations, L. M. propose une analyse de l’impact croissant de l’Inde, du Japon, de la Chine sur les affaires mondiales, comparé à l’affaiblissement de la Russie, étudié également. Il s’agit avant tout de comprendre l’altérité par la mise en évidence des identités des nations, éventuellement de leur culture – encore que celle-ci soit mouvante –, en tout cas de quelques traits de civilisation à mi-chemin de la sociologie et de l’anthropologie. Las, la définition de l’identité est un peu courte – « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre » – et l’aveu de l’auteur – « c’est un ouvrage de bricolage » – donne plus une impression d’essai diffus que d’analyse fouillée et rigoureuse. Ainsi, l’identité est remplacée par l’idée d’« esprit », somme de représentations et de comportements et sorte de boite noire qui permet de disposer d’un « répertoire » d’actions qui, une fois connu, permet de se déterminer soi-même. L’éclectisme des connaissances et des références mobilisées par l’auteur rend l’ouvrage souvent stimulant, mais il n’est pas certain qu’il serve un projet au demeurant discutable.
SOUTOU (Georges-Henri) – La guerre de cinquante ans. Les relations Est-Ouest (1943-1990). – Paris, Fayard, 2002. 766 p. Bibliogr. Index.
53 Ce gros livre de plus de 700 pages se lit comme un roman, un roman qui finit bien, ce qui est assez rare en histoire diplomatique et donne peut-être la clef de l’allégresse de pages qui courent de Potsdam au traité « 2+4 » du 12 septembre 1990 rétablissant l’unité allemande dans de nouvelles frontières, avec l’engagement, de la part des Allemands, de respecter un certain nombre d’obligations démocratiques et pacifiques. Le bouleversement européen qui s’ensuivit fut vite inscrit dans des traités signifiant qu’une page était tournée. Il faut saluer l’ampleur d’une documentation magnifiquement maîtrisée, la prise en compte des sources, débats et polémiques et un jugement clair qui n’a jamais peur de s’exprimer. Pour des Français, la lecture montre à quel point la France a été enjeu plutôt qu’acteur de ce conflit Est-Ouest, même si de Gaulle a voulu, en décembre 1944 ou encore en 1966, s’y inscrire de façon autonome. Dans les deux cas, il fallut déchanter : les Soviétiques faisaient de leur idéologie un élément important de leur diplomatie et ce ne sera que longtemps après sa mort que les nations de l’Est prirent leur indépendance, mais personne ne dira que ce fut au profit d’une Europe plus européenne qu’atlantique.
Études nationales et régionales
L’État de la France 2002. Société, culture, économie, politique. – Paris, La Découverte, 2003. 22 cm, 446 p. Bibliogr. Index.
54 La nouvelle édition du traditionnel État de la France permet de retrouver les éléments qui en font le succès : signatures de qualité, schémas et statistiques nombreux, clairs et récents, variété des thèmes et des angles d’analyse. Cette édition s’enrichit d’une bibliographie récente des thèmes abordés, ainsi que d’une sélection de sites Internet thématique tout à fait à propos. En somme, un outil de culture générale toujours solide et dans un format d’une lecture plus agréable. On notera également que, dans cette nouvelle formule, l’étude des régions et des territoires fait l’objet d’une publication séparée.
CHOPIN (Thierry) – L’héritage du fédéralisme ? États-Unis/Europe. – Paris, Fondation Robert Schuman, 2002. 19 cm, 89 p. (Notes de la fondation Robert Schuman. 8) HAENEL (Hubert) – Justice, police et sécurité dans l’Union européenne. – Paris, Fondation Robert Schuman, 2002. 19 cm, 64 p. (Notes de la fondation Robert Schuman. 10) RABOURDIN (Eugénie) – La fonction publique française en Europe. – Paris, Fondation Robert Schuman, 2002. 19 cm, 94 p. (Notes de la fondation Robert Schuman. 13)
55 La Fondation Robert Schuman a pour objectif avoué de promouvoir l’idéal européen, de contribuer aux débats sur et dans l’Union en favorisant les études sur l’Union. Fidèle à ce but, les trois notes font appel à des spécialistes – scientifiques et praticiens – qui mettent en perspective l’histoire et les horizons dans l’Union sur des thèmes divers. Ainsi, Th. C. envisage le fédéralisme sous forme d’une comparaison entre États-Unis et Europe pour mieux faire valoir des originalités européennes (mise en œuvre d’un « pacte constitutionnel » plutôt que d’un « super-État »). H. H. envisage les limites d’une construction européenne qui n’inclurait pas un « espace de liberté, de sécurité et de justice », et dresse un état des lieux de la coopération dans le domaine de la « Justice et des Affaires intérieures ». E. R., de son côté, évalue la compatibilité de la fonction publique française avec le projet européen à travers une approche précise et chiffrée… encore que, sur ce point sensible en France, l’auteur évite de s’engager trop avant sur le terrain des solutions de convergence.
COFFRE-BANEUX (Nathalie) – Le partage du pouvoir dans les Hébrides écossaises. Pasteurs, élus et managers. Préf. de Marc Abélès. – Paris, L’Harmattan, 2001. 21 cm, 304 p. Bibliogr. Index. (Connaissance des hommes)
56 La particularité du terrain choisi, l’archipel écossaise des Hébrides extérieures, une des régions les plus déshéritées d’Europe, confère une originalité indéniable à cette « analyse anthropologique localisée » riche et très complète. N. C.-B. s’est immergée dans la vie locale en retraçant, à partir de l’histoire de l’île de Lewis, les évolutions récentes des rapports de pouvoirs entre groupes locaux au sein de cette petite région britannique : autrefois contrôlée par les notables, la société des Hébrides s’est vu insérée dans les programmes européens de développement en 1973 et devenir une Région, avec tous les bouleversements que cela suppose en terme d’identité, de tradition et d’organisation du pouvoir. L’enquête ethnologique met ici en lumière les modalités du partage de ce pouvoir entre les pasteurs, les élus et les managers, au sein d’une classe moyenne recomposée, élargie, et en partie exogène. Dans cet ouvrage, N. C.-B. a su restituer la complexité des blocages et des conflits au sein du microcosme politique local, tout en faisant apparaître les nouveau défis auxquels il se trouve confronté. L’anthropologie politique permet de saisir toute la complexité de ce jeu de pouvoir dans une région jusqu’alors oubliée des recherches françaises.
DEWANDRE (Nicole) – Critique de la raison administrative. Pour une Europe ironiste. – Paris, Le Seuil, 2002. 21 cm, 121 p. Bibliogr. (L’ordre philosophique)
57 L’ouvrage consiste en une lecture qui se veut distanciée de l’administration européenne et plus particulièrement de la Commission, dont N. D. juge qu’elle est dans l’impossibilité de « fonctionner » dès lors qu’elle le fait dans une perspective platonicienne en cherchant à incarner une mission de vérité. Il s’agit également d’une invitation à une lecture plus procédurale et moins idéaliste de l’Europe, car N. D. rappelle que le seul moyen de rompre avec la logique de l’idéal est de se concentrer sur les moyens effectifs de l’Europe. L’objectif pratique permet de faire fonctionner l’Europe contre la métaphysique invalidante. Le lecteur est également convié à une approche bienveillante de l’Europe par quelqu’un qui signale que l’un des principes centraux de sa démarche est de « ne jamais cesser d’aimer l’Europe », car de cette passion naît le regard distancié qui caractérise la démarche ironiste.
DJALILI (Mohammad-Reza) – Iran : l’illusion réformiste. – Paris, Presses de Science Po, 2001. 22 cm, 127 p. Bibliogr. (La Bibliothèque du citoyen)
58 L’Iran théocratique n’est pas réformable. L’échec de Mohammad Khatami en est le cinglant exemple. Cet échec tient d’abord au projet même de République islamique : les conservateurs disposent, avec le texte constitutionnel, de la meilleure des armes à opposer à tout projet réformateur. Ils sont soutenus par le Guide de la Révolution, arbitre entre les tendances, et savent utiliser la justice comme moyen de pression contre les réformateurs. Ensuite, l’économie est aux mains de groupes et de personnalités qui n’ont aucun intérêt à ce que soient adoptées des réformes qui en modifieraient la nature rentière. Enfin, cette révolution est idéologiquement en perte de vitesse en Iran et les conservateurs se maintiennent surtout en délégitimant leurs adversaires et les projets qui pourraient mettre en cause l’autorité cléricale. Mais, au-delà de l’analyse de cet échec, M.-R. D. souligne le problème central : la population iranienne attend toujours les réformes qui lui permettront enfin de respirer.
GUILLAUME (Sylvie) – Le consensus à la française. – Paris, Belin, 2002. 22 cm, 266 p. Notes bibliogr. Index (Histoire et sociétés. Modernités)
59 Ce petit livre est illustré par une photo représentant une cordiale poignée de mains, sur fond de garde républicaine, entre Jacques Chirac et Lionel Jospin ; le consensus est donc celui d’une cohabitation qui fait que la Cinquième République, à la différence de la Quatrième République, a su concilier alternance au pouvoir et stabilité gouvernementale. Ces pages décrivent les fondements historiques des valeurs républicaines et libérales maintenant intériorisées, comme le montre le consensus institutionnel progressivement bâti depuis la crise de 1962. Si bien que l’échec de la Troisième force sous la Quatrième est ici compensé par le succès de la « République du Centre » de la Cinquième et illustré par la comparaison entre le bref passage aux responsabilités d’Antoine (Pinay) et de Pierre (Mendès France) et le long séjour à Matignon de Jacques (Chaban-Delmas) et de Michel (Rocard), qui a rencontré une belle popularité. Ce consensus, néanmoins qualifié de « mou », connaît les difficultés consécutives à la remise en cause de l’État providence, dont le retrait laisse apparaître la fragmentation de la société civile. Il faut regretter qu’un récit sans chronologie ni analyse constitutionnelle réactualisée aboutisse à rendre Paul Ramadier seul responsable de l’affaiblissement de la présidence du Conseil de 1947, au motif qu’il aurait accepté la double investiture, comme il raconte la chute de la Quatrième République sans évoquer le refus de Georges Bidault de faire voter un statut de l’Algérie par l’Assemblée constituante qui en avait le pouvoir, ou décrit l’évolution de la Cinquième République sans que soit mentionnée l’existence du Conseil constitutionnel – sa nouveauté, sa vertu de continuité et son rôle apaisant lors des alternances.
KIAN THIÉBAUT (Azadeh) – Les femmes iraniennes entre Islam, État et famille. – Paris, Maisonneuve et Larose, 2002. 21 cm, 318 p. Bibliogr. Index.
60 Alors que se creuse le fossé entre la République islamique d’Iran et le peuple iranien, A. K.-T. expose comment les femmes jouent un rôle moteur dans ce « décrochement » en refusant la politisation de l’Islam. L’idée de ce travail est de rompre avec la lecture habituelle d’une altérité radicale et inconciliable entre les mondes occidental moderne et musulman. L’auteur montre ainsi comment la modernité trouve à s’incarner dans les femmes de la société iranienne car elles ont dû prendre le contre-pied d’une politique islamique qui, en échec sur les terrains sociaux et économiques, a concentré son action sur l’islamisation du droit familial et du droit des femmes. Les femmes qui, jusqu’alors, avaient soutenu le régime autoritaire en espérant la modernisation que le Chah leur avait déjà refusée, se sont détournées des ayatollahs qui adaptent la chari’a pour assurer la domination masculine. Fondée largement sur des enquêtes de terrain, cette étude bouscule certaines idées reçues sur la société iranienne et présente pratiquement comment et à quel prix se met en place une contre-culture iranienne.
LAMY (Pascal) – L’Europe en première ligne. – Paris, Le Seuil, 2002. 22 cm, 184 p. (L’épreuve des faits)
61 Au-delà du credo de P. L., c’est ce qu’il fait comprendre du fonctionnement de l’Union européenne qui est intéressant : en expliquant, à l’encontre du lieu commun habituel, que l’Europe n’est pas un objet administratif et réglementaire, qu’il est bien question d’un objet politique fait d’intérêts et de croyances. Le commissaire européen est ainsi présenté comme un observateur privilégié et engagé, aux remarques souvent précises mais au style administratif. P. L. indique surtout qu’il exerce une fonction qui le met au contact des questions brûlantes de l’organisation du monde : mondialisations et altermondialismes, construction européenne bien sûr, politiques de santé comme de culture. Tout au plus pourra-t-on regretter que P. L. place en avant son rôle d’administrateur pour délivrer des « histoires vraies » qui, de toute évidence, mettent en valeur le politique sans toujours le dire.
PAGDEN (Anthony) ed. – The Idea of Europe. From Antiquity to the European Union. – Cambridge, Cambridge University Press, 2002. 23 cm, 377 p. Index. (Woodrow Wilson Center Series)
62 Cet ouvrage collectif explore la question de l’intégration européenne et de la fondation d’une identité collective au sein de cet espace. De manière simple mais ambitieuse, les auteurs se demandent quels traits distinguent l’Union européenne des autres espaces européens et non-européens. De cette perspective pluridisciplinaire, on retiendra l’effort conceptuel qui espère dépasser l’éclatement des terrains historiques (J. G. A. Pocock sur le long terme, H. Blom sur la contribution allemande à cette identité), sociologiques (W. Nippel sur la citoyenneté européenne chez Weber) et philosophiques (l’idée kantienne d’Europe par J. Tully). Cette conceptualisation nous est justement présentée comme la question centrale à résoudre pour comprendre le mécanisme de constitution de l’Europe avec plus de finesse que ce que les repères stato-nationaux permettent. Cette approche à l’avantage de tenir compte des alternatives à cette intégration que constitueraient l’Islam ou les ethno-nationalismes infra-étatiques.
PEYRELEVADE (Jean), JEAMBAR (Denis) – La République silencieuse. – Paris, Plon, 2002. 22 cm, 274 p.
63 Cette longue interview du président du Crédit lyonnais par le directeur de l’Express tire son intérêt du récit de la trajectoire d’un « fils de l’école républicaine », ingénieur polytechnicien, dont le premier étonnement a été de découvrir que le programme Concorde avait été lancé sans étude de marché. La leçon de l’échec sera tirée : Airbus sera construit en accord avec les Allemands et, vendu dans le monde entier, il fait découvrir à son agent commercial la dureté de la compétition industrielle et financière de la planète. J. P. continue son apprentissage en entrant au Crédit lyonnais, tout en suivant les négociations de l’union de la gauche dont le programme lui paraît une folie. Par amitié pour Pierre Mauroy, il sera le directeur adjoint d’un cabinet où il devient « Monsieur nationalisations », jusqu’à ce que le vent du large le reprenne : il deviendra le président de la compagnie financière de Suez avant de retourner au Crédit lyonnais, qu’il sauvera après le désastre. De tout cela, que ressort-il ? L’État doit renoncer à la gestion directe, se décentraliser, se fixer sur ses fonctions régaliennes de sécurité et d’intégration des populations qui vivent sur son territoire : l’avenir se joue dans la lutte pour la pureté de l’air et de l’eau autant que dans les banlieues ou dans la lutte contre l’argent sale. L’Europe sera une solution quand elle sera dotée d’un pouvoir légitime. Fidèle à Mauroy, sévère pour Rocard (laxiste en matière monétaire), J. P. (qui reconnaît que Jacques Chirac l’a aidé à sauver le Crédit lyonnais, probablement contre Alain Juppé) dénonce la faillite des intellectuels français qui, devenus provinciaux, se montrent incapables d’inventer les concepts nécessaires au déchiffrement de l’avenir…
RACINE (Jean-Luc) – Cachemire. Au péril de la guerre. – Paris, Autrement, 2002. 23 cm, 160 p. Bibliogr. (CERI/Autrement)
64 C’est un conflit trop méconnu que J.-L. R. nous invite à découvrir, un conflit longtemps éclipsé, mais qui, depuis le 11 septembre 2001, connaît un regain de tension. Le Cachemire est en effet au cœur des relations indo-pakistanaises : comme enjeu culturel, c’est localement l’identité des Cachemiris qui est posée alors que, depuis 1989, ils tentent d’obtenir leur souveraineté nationale contre l’Inde et avec le soutien pakistanais ; comme enjeu géostratégique également, depuis qu’Inde comme Pakistan disposent de l’arme nucléaire et multiplient les démonstrations de force réciproques. L’intervention des grandes puissances ne fait qu’envenimer la situation dans la région tant les positions semblent figées. Pour mieux les comprendre, J.-L. R. revisite l’histoire du Cachemire depuis 50 ans, nous en décrit l’organisation sociale dans un livre utile et bien conçu pour celui qui tient à s’informer des conflits dans une région en recomposition.
RICHER (Philippe) – Le Cambodge. Une tragédie de notre temps. – Paris, Presses de Science Po, 2001. 22 cm, 221 p. Index.
65 Le Cambodge a subi de plein fouet les idéologies et les événements du second 20e siècle : la guerre froide, les guerres d’indépendance, le totalitarisme khmer. C’est à travers le prisme de cette dernière épreuve que Ph. R. envisage l’histoire de ce pays disputé et déchiré par les enjeux politiques locaux et régionaux. L’attachement de Ph. R. pour la région est perceptible et se retrouve dans la richesse et la qualité des informations qu’il nous donne sur l’évolution passée et en cours du pays, tant au plan national que régional. On aurait aimé cependant qu’il prenne parfois plus de recul par rapport aux événements, que, sans céder sur la précision des faits rapportés, il adopte une perspective plus analytique qui rende compte des processus sans trop céder à la tentation de l’histoire-bataille.
VALTER (Stéphane) – La construction nationale syrienne. Légitimation de la nature communautaire du pouvoir par le discours historique. – Paris, CNRS Éditions, 2002. 24 cm, 399 p. Bibliogr. Index.
66 Sous l’apparence d’une étude classique de la construction du territoire national syrien, S. V. permet de comprendre comment s’articule actuellement la tension entre deux identités constitutives de la Syrie que sont arabité et islam. Ces deux éléments de culture se confrontent dans la reconstruction de l’identité syrienne par le discours historique national, en insistant sur la période antéislamique et le rôle de Damas comme lieu de mémoire. L’étude met dès lors l’accent sur les fonctions politico-symboliques de l’archéologie et de la muséographie syriennes, comparées aux cas irakien et israélien, et envisage la dynamique de construction et de manipulation de l’imaginaire collectif. Cet ouvrage, réflexion au thème original, offre de surcroît une grille d’analyse pertinente pour saisir l’actualité des constructions nationales au Moyen-Orient.
VILLAIN-GANDOSSI (Christiane) dir. – L’Europe à la recherche de son identité. – Paris, Éditions du CHTS, 2002. 22 cm, 556 p. Bibliogr. (Comité des travaux historiques et scientifiques)
67 Ce titre est à la fois un thème et un programme de recherche. Un thème, parce que s’y dessine l’image d’une Europe à « géographie variable », à la recherche de sa propre conscience ; un programme, parce qu’au fil des contributions, nombreuses et diverses, apparaît l’idée que le chercheur essaie encore de trouver, dans tous ces éléments épars, les traces de la construction de cet objet géographique et historique. Cet ouvrage oscille donc entre synthèse et pointillisme, mais se révèle être une somme d’une très grande qualité.
ZOLLER (Élizabeth) – Le droit des États-Unis. – Paris, PUF, 2001. 18 cm, 128 p. (Que sais-je ?)
68 La culture juridique américaine est-elle une des formes les plus abouties de la démocratie ? C’est la problématique sous-jacente de ce petit volume qui pose le droit américain comme pluraliste (il n’y a pas un, mais des droits aux États-Unis, ceux des 50 États plus le droit fédéral) et fondateur d’une communauté qui croit profondément aux valeurs qu’il véhicule et pratiques qu’il autorise. Ce point de vue s’explique par l’histoire d’un droit à l’origine décentralisé, profondément égalitaire, et qui repose sur le respect de la figure du juge et de l’indépendance du pouvoir judiciaire. La Common Law est au centre de la construction démocratique américaine, dont le juge est garant et qui trouve à s’exprimer dans l’idée de jury, avec les limites de cette participation populaire : « populisme » juridique et inadaptation technique.
Notes
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[*]
Établies sous la responsabilité de Jean-Luc Parodi, assisté de Cécile Brouzeng et de Carole Vidal, avec, pour ce numéro, la collaboration d’Alexandre Boza, Camille Hamidi, Cécile Lacoustille, Cédric Moreau de Bellaing, Simon Reungoat et Odile Rudelle, auxquels la Revue adresse ses remerciements.