Introduction
1 Les recherches sur la socialisation politique constituent l’un des « noyaux durs » autour desquels la science politique s’est constituée en France. Elles sont pourtant délaissées depuis quelques années. En dépit de quelques exceptions notables, les publications sont devenues rares dans ce domaine. On peut s’interroger sur les raisons de cette évolution. Elle s’inscrit peut-être dans le mouvement de désaffection à l’égard de la « politique officielle ». Des analogies existent entre l’état des travaux concernant la socialisation politique et d’autres domaines de recherche, comme le vote ou les partis politiques, qui traitent de la politique instituée. Inversement, d’autres secteurs moins socialement décriés ou discrédités, comme les politiques publiques, les mouvements sociaux, les associations, la question des droits de l’homme ou de l’humanitaire, bénéficient d’une faveur qui suggère l’existence d’un lien entre les mouvements de spécialisation au sein des disciplines concernées et les évolutions sociales qui affectent le ou la politique. L’atonie actuelle des recherches sur la socialisation politique est peut-être aussi liée aux approches quantitatives jusqu’à présent privilégiées par les spécialistes. De ce point de vue, l’organisation française des recherches en sciences sociales constitue un obstacle. Rares sont, en effet, les chercheurs et les centres de recherche qui disposent des compétences, des moyens financiers et de l’assistance informatique et statistique nécessaires pour se lancer dans des recherches ambitieuses. Il faudra aussi un jour se pencher sur la place trop limitée accordée à l’apprentissage des techniques quantitatives dans les programmes d’enseignement de la science politique en France. Il y a sans doute une « exception culturelle » dans ce domaine également, mais on peut douter qu’elle soit bénéfique.
2 La faiblesse de l’intérêt actuel pour les travaux sur la socialisation politique est peut-être encore un effet d’un certain épuisement d’une tradition de recherche. Peut-on parler de socialisation politique spécifique ou réduire les apprentissages mobilisés dans l’ordre politique à une socialisation spécifique ? Les « agences » institutionnelles ou familiales de transmission et d’inculcation n’ont-elles pas été privilégiées à l’excès ? Le souci de la mesure n’a-t-il pas conduit à survaloriser la compétence discursive au détriment des compétences pratiques ? Les définitions tacites du politique engagées dans les recherches ne sont-elles pas entachées de biais normatifs ? Peut-on échapper à l’alternative d’une délimitation du politique qui renvoie à un lieu spécifique aux contours délimités ou à un sous-ensemble fonctionnellement organisé en vue d’une adaptation contrôlée du système tout entier ?
3 Le moment est donc venu de tenter de relancer les recherches sur la socialisation politique en ouvrant de nouvelles pistes. L’ambition de cette publication groupée est de montrer que des questions nouvelles mobilisant des matériaux différents peuvent être explorées. Yves Déloye s’appuie sur des matériaux qualitatifs dans une perspective socio-historique, Pierre Favre et Michel Offerlé utilisent des techniques quantitatives pour mesurer les connaissances politiques des étudiants de première année des Universités, Daniel Gaxie se propose de dépasser l’alternative courante de l’objectivisme et du subjectivisme à partir d’entretiens approfondis, Olivier Ihl reprend la littérature théorique et empirique pour problématiser les effets de contexte et Alfredo Joignant questionne le rapport à la politique et, en particulier, la compétence politique à partir de sources renouvelées, comme les manuels d’instruction civique. Bref, ce dossier se propose de revisiter une aire de recherche en prenant au sérieux des matériaux nouveaux et en s’efforçant de déroutiniser les questions et les modes de pensée.
4 Y. D., P. F., D. G., O. I., A. J., M. O.