Notes
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Établies sous la responsabilité de Jean-Luc Parodi, assisté de Monique Didier et de Carole Vidal, avec, pour ce numéro, la collaboration d’Alexandre Boza, Marie-Élisabeth de Bussy, Florence Faucher, Denis-Constant Martin et Odile Rudelle, auxquels la Revue adresse ses remerciements.
Généralités, méthodologie
BROSSAT (Alain), POTEL (Jean-Yves) – Au miroir de la guerre. Réflexions sur la guerre du Kosovo. – La Tour d’Aigues, Éditions de l’aube, 2000. 19 cm, 165 p. (Intervention)
1 Dans cet essai qui s’ouvre sur une traversée du Kosovo d’après-guerre, les auteurs présentent leur interprétation de la situation politique au Kosovo, des origines et du déroulement de cette guerre. Stigmatisant une situation d’exception dans laquelle était à leurs yeux requise une action contre un ennemi de l’humanité, ils dénoncent les trop longues tergiversations des dirigeants occidentaux qui ont précédé l’intervention armée de l’OTAN. En même temps, ils critiquent avec force l’attitude scandalisée d’une certaine gauche identitaire, refusant obstinément de croire à la purification ethnique et raisonnant encore, selon eux, comme au temps de la guerre froide.
GOYET (Bruno) – Henri d’Orléans, Comte de Paris (1908-1999). Le Prince impossible. – Paris, Odile Jacob, 2001. 24 cm, 363 p. Bibliogr. Index.
2 Conscient de proposer cette biographie à un moment où la question royale n’est plus un enjeu brûlant – comme en témoigne le concert des condoléances venues de tous les bords politiques à la mort du Comte de Paris en juin 1999 –, B. G. se devait quand même de réfléchir aux modalités mêmes d’un tel exercice, ce qu’il évoque brillamment en introduction. Concevant son étude comme « une descente progressive au cœur même du processus de l’action par paliers successifs », B. G. a choisi de suivre le prétendant au trône de France s’adressant à des formations sociales dont les structures objectives s’imposent à lui, comme les rites mondains, familiaux et dynastiques. Il s’agit donc pour B. G. de se situer « à la charnière du social et de l’individuel » ; éclairage original de l’historien qui permettra sans aucun doute de comprendre, mieux encore qu’une version critique, les Mémoires du prince, dont le seul intérêt serait, lui, de rectifier quelques erreurs de détail et de redresser des interprétations tendancieuses de ses actes. Cet ouvrage montre comment toute la vie du Comte de Paris n’a été qu’une longue tentative d’articulation de ses positions de départ avec les réalités changeantes des temps traversés, quadruple articulation – « symbolique, rituelle, sociologique et idéologique » – que B. G. construit au fil des pages pour le meilleur entendement d’un mode de vie qui paraît aujourd’hui désuet et idéologiquement enterré.
JEANNENEY (Jean-Noël) (dir.) – Une idée fausse est un fait vrai. Les stéréotypes nationaux en Europe. – Paris, Odile Jacob, 2000. 22 cm, 230 p. Index.
3 Pour les auteurs de cet ouvrage, d’horizons professionnels très différents, se soucier de l’identité européenne, c’est retrouver aussitôt l’importance primordiale des données culturelles et concentrer l’attention sur la question centrale de la perception de l’autre et de l’image de soi. Dans une perspective qui se veut renouvelée et dynamique, les contributions entendent suggérer combien les comportements collectifs sont influencés en profondeur par les stéréotypes nationaux qui, certes, évoluent sur le long terme, mais sur un rythme plus lent que les événements eux-mêmes. Préférant « la compréhension au blâme », les auteurs souhaitent moins dénoncer les idées reçues au nom de la vérité que d’en comprendre la nature, les ressorts et les mutations. Dans une succession pour le moins baroque, les contributions évoquent les « tempéraments » des nations voisines – Espagne, Italie, Allemagne, France – en soulignant l’influence des clichés sous-jacents et ce qu’ils peuvent comporter de précieux pour « l’observateur éclairé » si on les détourne de leur perversité. Milieux politiques, médias, espaces générationnels, milieux sportifs et sphères éducatives sont successivement envisagés, comme relais des « systématisations sommaires » et autres « pulsions élémentaires ». Volontairement non complaisant avec ces stéréotypes, l’ouvrage tente néanmoins de se démarquer d’un effet de style : celui de les regarder avec indulgence en raison de leur « intérêt inattendu ».
LESOURNE (Jacques) – Ces avenirs qui n’ont pas eu lieu. – Paris, Odile Jacob, 2001. 22 cm, 316 p.
4 L’objectif de J. L. était clair : se placer à différentes dates cruciales du 20e siècle européen, supposer ignorer ce qui s’est réellement produit et rechercher les « trajectoires historiques » qui étaient « probables » à partir de ces dates. Sont ainsi reconstruites imaginairement, par exemple, l’année 1917 à Saint-Pétersbourg, la crise de 1929, l’armistice de 1940, Hitler, l’arme nucléaire, la guerre d’Algérie, Mai 1968, Gorbatchev, la réunification allemande. Reconnaissant lui-même que « le prospectiviste ne peut pas toujours inventer des avenirs… le poids des déterminismes réduisant le futur au simple filet d’un seul scénario », J. L. suscite chez le lecteur déjà méfiant mais encore curieux de l’exercice de style, un sentiment d’ébahissement devant l’aporie qui se dégage finalement d’une telle démarche. Le plaidoyer du « rétrospectiviste » bon samaritain en faveur d’une « pensée rafraîchie contre le danger d’être asservie par la prégnance de la chronologie constatée » peut sembler en effet insuffisant, malgré l’honnêteté de la démarche, dans un cadre méthodologiquement explicité.
THUILLIER (Guy) – La mendicité en Nivernais. Débats et pratiques (1840-1860). – Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 2001. 24 cm, 725 p. Index.
5 Ne souhaitant pas écrire une histoire de la mendicité en Nivernais au 19e siècle, mais simplement donner quelques « documents positifs » sur une période très courte, G. T. offre au lecteur un recueil de documents lui permettant toute liberté d’interprétation, qu’il soit historien social, historien de l’administration ou administrateur social. Réfléchissant sur les sources, leur nature et leur intérêt respectif, l’auteur entend déployer à travers la richesse des documents proposés la complexité du jeu des intérêts et des passions, les calculs politiques, le rôle des « projecteurs » et les rapports entre préfets et notables autour de ce problème qui paraissait insoluble dans les années 1840 : la mendicité. Panorama saisissant d’un pays qui « débat » de sa mendicité et cherche les moyens locaux d’imposer un système d’assistance aux malheureux, cet ouvrage suggère en fin de compte toutes les orientations de recherche qui restent à investir à l’historien. Conscient des difficultés d’une histoire neuve et pourtant déjà « piégée » tant elle peut prêter à malentendus, qui est aussi une « histoire du malheur et de la souffrance » difficile à établir, comme toutes les « annales de l’anonymat », G. T. brosse toutefois le tableau des orientations méthodologiques et problématiques pour les décennies à venir. Il établit tout un « arbre de questions » autour, par exemple, de la typologie, des mœurs et de la géographie du mendiant, de l’administration et de la répression de la mendicité, des doctrines juridiques et de la pratique judiciaire autour de ce phénomène, mais aussi autour des couples agriculture et mendicité, ville et mendicité, médecine et mendicité, église et mendicité, sans oublier d’autres problématiques telles que celles des modes d’écriture et des images artistiques sur le mendiant. En bref, un voyage constructif au pays des possibles historiographiques.
Institutions politiques et administratives
La diplomatie parlementaire. Actes du colloque du 23 mai 2001 organisé sous la présidence de Raymond Forni, président de l’Assemblée nationale, et Christian Poncelet, président du Sénat. – Paris, Imprimerie du Sénat, 2001. 24 cm, 260 p.
6 Les parlementaires de deux rives de la Seine se sont réunis en présence de leurs présidents et du ministre Hubert Védrine pour dire, évaluer et surtout imaginer tout le bien qu’ils pourraient apporter aux relations internationales devenues foisonnantes et multilatérales. Inquiets du rôle croissant d’ONG autoproclamées, ces élus du peuple ont tenu à rappeler leur légitimité et leur discrétion, leur savoir cultivé dans les multiples groupes d’amitié bilatéraux et l’ancienneté de l’Union interparlementaire créée en 1901 par Frédéric Passy qui en reçut le prix Nobel de la paix. Plus récemment, les assemblées parlementaires sont sollicitées par les nouvelles démocraties au titre d’ingéniéries variées qui peuvent aller de la présence à des jurys d’examen impartiaux à des aides plus techniques relatives aux procédures de contrôle. Le récent exemple de la convention qui a rédigé la Charte européenne des droits fondamentaux, où siégeaient des représentants des Exécutifs comme des Parlements, a également été cité pour montrer tout l’avantage qu’il y aurait à mieux associer à la diplomatie des parlementaires qui, déjà, jouent un grand rôle auprès des PECO. Les auteurs s’inquiètent de l’absence totale de représentation parlementaire auprès des multiples organisations financières qui régissent l’économie mondiale et de dire que puisqu’il y avait un embryon de gouvernement mondial à l’ONU, un embryon de TPI, une déclaration universelle des droits de l’homme, il serait urgent de penser à une représentation mondiale des peuples.
Giornale di Storia costituzionale. Semestrale del Laboratorio di storia costituzionale « Antoine Barnave », 1, janvier 2001. 210 p.
7 Il faut saluer la naissance de cette nouvelle revue italienne qui, dans l’esprit de ses directeurs Roberto Martucci et Luigi Laccè, veut être ouverte au comparatisme national et à la pluridisciplinarité pour réfléchir au dynamisme de l’idée constitutionnelle en Europe. Ainsi ce premier numéro s’applique-t-il à étudier les précédents (John Adams avant la révolution américaine, les origines de la Cour suprême américaine) ou les transformations sémantiques qui en annoncent d’autres (la fortune du mot régénération à partir des années 1780). Il cherche aussi à renouveler les explications traditionnelles en montrant que la Révolution française, loin d’ouvrir un espace démocratique, a inauguré un cycle d’instabilité que la seule France a mis un siècle à surmonter, que le royaume de Naples qui a pratiqué les lumières et permis la mobilité sociale a échoué à venir à bout de son Ancien régime, ou que l’Allemagne a longtemps préféré la Verfassung (régime traditionnel permettant l’incorporation des individus) au régime constitutionnel fondé sur l’individualisme révolutionnaire, etc. Une bibliographie stimulante clôt un volume attrayant qui annonce de prochains articles en français, en anglais et espagnol.
JACOB (Jean) – Le retour de « l’Ordre Nouveau ». Les métamorphoses d’un fédéralisme européen. – Genève, Droz, 2000. 22 cm, 315 p. Bibliogr. Index.
8 Avec le retour de « l’Ordre Nouveau » a resurgi le non-conformisme développé dans les années 1930. Dans le sillage de l’écologie politique et du personnalisme défendus par Denis de Rougemont qui, dénonçant la trop grande emprise de l’État-nation, fruit de la modernité, s’était fait le héraut d’une Europe des régions, espace de participation civique, se retrouvent aujourd’hui, dans les rangs alternatifs et écologistes, des réminiscences de ce personnalisme communautaire et fédéraliste. On y fustige en effet le productivisme, la droite et la gauche, l’État-nation. L’auteur entend ainsi démontrer comment l’irruption de la nature à gauche de l’échiquier politique a permis le retour de théories conservatrices sur le devant de la scène.
JOUVE (Bernard), SPENLEHAUER (Vincent), WARIN (Philippe) (dir.) – La région, laboratoire politique. Une radioscopie de Rhône-Alpes. – Paris, La Découverte, 2001. 24 cm, 379 p.
9 Illustrant parfaitement la nécessité et les modalités de repenser multidisciplinairement la « question régionale », cet ouvrage collectif embrasse le cas d’école de la région Rhône-Alpes en imposant plusieurs axes d’investigation problématique, tel celui-ci : la région peut-elle se contenter de continuer à fonder son existence sur une légitimité rationnelle de type wébérien ? Ou bien lui faudra-t-il se doter d’une légitimité politique, et par quelles voies ? Explorant le champ de la gouvernance à multiples niveaux, l’ouvrage analyse l’économie régionale à l’épreuve des disparités territoriales, le cadre financier de l’action publique régionale, la politique de régionalisation, l’émergence d’une identité régionale, l’évolution des votes, les figures de l’aménagement du territoire, les politiques de formation et d’insertion des jeunes, le rôle du patronat rhônalpin, l’autonomisation de l’action culturelle et l’évaluation des politiques régionales. Une radioscopie qui devrait susciter des analyses parallèles.
SCHMITTER (Philippe C.) – How to Democratize the European Union… And Why Bother ? – Lanham, Rowman and Littlefield, 2000. 23 cm, VII-150 p. Bibliogr. Index.
10 Paradoxalement, l’Union européenne est dotée des institutions d’une démocratie moderne, mais ne fonctionne guère comme une démocratie. Plus grave, l’étendue croissante de son domaine d’activité et de ses processus supranationaux de prise de décision portent atteinte à la légitimité démocratique au sein même de ses États-membres. Comme le souligne l’auteur de cet ouvrage, le constat du double déficit démocratique de l’Union européenne a souvent été dressé, mais on a peu réfléchi aux moyens concrets d’y remédier, si ce n’est en élaborant une nouvelle Constitution européenne fédérale. Ph. C. S, estimant que le calendrier et le contexte politique ne sont pas nécessairement propices à une telle démarche, préconise plutôt l’adoption immédiate d’un ensemble de réformes, partielles et d’inégale ampleur, passant par l’invention de nouvelles formes de citoyenneté, de représentation et de prise de décision, permettant d’améliorer la situation rapidement, puis de parvenir à une véritable « Euro-démocratie ».
STONE SWEET (Alec), SANDHOLTZ (Wayne), FLIGSTEIN (Neil) eds – The Institutionalization of Europe. – Oxford, Oxford University Press, 2001. 24 cm, XVIII-273 p. Bibliogr. Index.
11 Marquant l’aboutissement d’un long projet de recherche, cet ouvrage réunit un ensemble de contributions axées sur une approche institutionnaliste de l’espace politique européen, considéré à la fois de manière empirique et théorique. Cette démarche permet de comprendre le rôle des acteurs, des règles et des organisations dans l’évolution du système politique communautaire, qui se caractérise d’abord par sa spécificité. L’analyse met en évidence les liens entre l’innovation en matière de règles, qui est endogène au développement des politiques, les changements institutionnels qui caractérisent l’Union européenne et les réponses des organisations et des acteurs du système à ces changements, ainsi que leurs réactions devant l’émergence d’espaces politiques nouveaux. Grâce aux diverses composantes de cette dynamique à l’œuvre dans l’institutionnalisation de l’Europe communautaire, les difficultés ou les crises liées au déficit démocratique, à l’union monétaire ou à l’élargissement devraient être surmontées à travers des processus d’adaptation au changement.
THÉNAULT (Sylvie) – Une drôle de Justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie. Préf. de Jean-Jacques Becker. Postface de Pierre Vidal-Naquet. – Paris, La Découverte, 2001. 22 cm, 347 p. Bibliogr. Index. (L’espace de l’histoire)
12 Ce livre est une date dans la lente prise de conscience du sort fait à la Justice par une République dite des droits de l’homme. S. T. s’en explique en justifiant un titre choisi par analogie avec la « drôle de guerre » et une problématique empruntée aux colloques de l’École de la Magistrature, publiés au Genre humain en 1994 et 1997, Juger sous Vichy et Juger en Algérie, 1944-1962. Le premier chapitre dit alors l’essentiel : cent-vingt ans de colonisation ont installé en Algérie un régime d’exception en faveur des Européens et des pratiques d’arrestations et de tortures pour les nationalistes auxquels ni la fin du code indigène en 1944 ni le statut départemental de 1947 n’ont mis fin. Cet état de fait obligera à penser l’insurrection des Algériens à travers les catégories juridiques de la loi et donc à y impliquer une Justice de plus en plus militarisée, au motif de faire reculer les représailles privées. Une excellente connaissance des archives permet d’éclaircir des affaires connues, d’entrer dans la logique des décisions, de rappeler le poids des condamnations à mort – puisque c’est l’exécution de trois Français qui déclenche le 13 mai – d’évaluer les différences entre les Quatrième et Cinquième Républiques, moins grande qu’on ne l’a dit si ce n’est que là où la première avait subi jusqu’à en mourir la militarisation d’une politique dont les définitions lui échappaient, la seconde eut les moyens de résister à cette logique en acceptant de négocier l’indépendance et même de lutter sur deux fronts pour ramener de la vérité dans les principes de la République. C’est à l’intérieur de ce dilemme qu’il faut situer le conflit entre les deux gardes des sceaux successifs, M. Debré et E. Michelet, ce dernier, prêt à considérer que les prisonniers FLN étaient la classe dirigeante de l’Algérie de demain, ce qu’assurément le Premier ministre n’était pas prêt à entendre.
Forces et comportements politiques
BOCKEL (Alain), ROUSSILLON (Henri), TEZIÇ (Erdogan) – Un président élu par le peuple, une bonne solution ? Actes du colloque des 21 et 22 octobre 1999 d’Istanbul. – Toulouse, Presses de l’Université de sciences sociales de Toulouse ; Istanbul, Galatasaray Üniversitesi Yayinlari, 2000. 23 cm, 295 p.
13 Le point d’interrogation du titre donne le ton d’un livre qui est au fond une consultation internationale autour du problème turc : le pays gagnerait-il de la stabilité et de la puissance démocratique en adoptant l’élection directe de son président, à l’image de la France de la Cinquième République ou faut-il préférer l’élection directe du Premier ministre, comme les Israéliens ont cru devoir le faire ? Le professeur Claude Klein, ici présent a eu l’honnêteté de reconnaître que la réforme n’avait pas donné tous les résultats souhaités. À partir de là, les Français ont pu développer leur virtuosité bien connue pour rappeler que l’idée n’avait pas été forcément bonne (H. Roussillon), qu’elle serait meilleure avec le quinquennat (G. Carcassonne), qu’elle nécessitait un régime de partis bipolaire (J.-C. Colliard) ou que, pour réussir, elle avait nécessité une combinatoire assez complexe (J.-L. Parodi).
MULÉ (Rosa) – Political Parties, Games and Redistribution. – Cambridge, Cambridge University Press, 2001. 23 cm, 255 p. Bibliogr. Index.
14 R. M. explore l’influence des partis sur les politiques publiques de redistribution dans quatre démocraties libérales occidentales : le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et les États-Unis. Les divergences d’évolutions des revenus et des niveaux relatifs de pauvreté reflètent la diversité des politiques publiques mises en place dans chaque cas et donc l’importance des choix politiques. Pour expliquer les orientations privilégiées par les hommes politiques, R. M. évalue la capacité explicatrice des approches en termes d’électeur médian, de cycle électoral, des évolutions de la structure sociale. Critiquant l’approche unitaire des partis, elle insiste sur la nécessité de s’intéresser à l’instabilité des clivages et des rapports de pouvoir internes et montre comment les changements de politiques sont davantage liés aux stratégies intra-partisanes des dirigeants qu’à la volonté de répondre aux demandes de leur électorat. Les factions utilisent les politiques de redistribution pour contribuer à asseoir leur position dans le jeu politique interne, en influençant si nécessaire la définition des groupes sociaux qui bénéficient le plus des politiques sociales et constituent donc des réservoirs potentiels d’électeurs. Ces stratégies ont un impact non seulement sur l’image des partis mais aussi sur les sources de légitimité que peuvent invoquer les acteurs politiques. Cet ouvrage présente le mérite de croiser les apports des recherches sur les politiques publiques et les organisations partisanes. La quadruple comparaison et l’utilisation de théories très diverses sont menées à bien dans un style dense mais néanmoins clair et concis.
THOMPSON (Alex) – An Introduction to African Politics. – Londres, New York, Routledge, 2000. 22 cm, X-277 p. Notes bibliogr. Index.
15 Cette introduction à la politique africaine rédigée par un enseignant de l’Université du Central Lancashire se présente comme un manuel destiné à des étudiants désireux de se familiariser avec un continent mal connu. Il choisit un certain nombre de grands thèmes (idéologies, ethnicité, classes sociales, néo-patrimonialisme, rôle des militaires, interventions étrangères, ajustement structurel, démocratie), abordés sous l’angle des rapports société civile-État et illustrés par quelques études de cas. L’ensemble, à défaut de présenter des points de vue originaux, est assez synthétique ; une annexe indique les résultats des élections tenues dans les pays africains jusqu’en 1999 ; en revanche ce livre ne comporte ni chronologie, ni bibliographie.
Biographies et mémoires
NEAU-DUFOUR (Frédérique) – Ernest Psichari, L’ordre et l’errance. – Paris, Le Cerf, 2001. 369 p. Bibliogr. Index.
16 Petit-fils d’Ernest Renan, héritier d’un nom grec dû à un père qui stabilisa le grec moderne, Psichari meurt en août 1914. Agé de trente-et-un an, il cumule les titres contradictoires d’une célébrité dont la postérité s’emparera pour la travestir. Dreyfusard, ami de Jacques Maritain, auteur de l’Adieu aux Armes et du Voyage du centurion mais aussi de dictionnaires sur les langues africaines, converti au catholicisme et membre du Tiers-ordre dominicain, il a été, comme son ami Péguy, instrumentalisé par le nationalisme et le catholicisme intégral d’Henri Massis. C’est ce nœud coulant que F. D. a voulu dénouer grâce à la lecture des correspondances familiales et amicales qui font accéder à la complexité d’un homme, resté fidèle à l’humanisme de sa jeunesse, en un temps où l’on croyait qu’il était impossible d’être un catholique, respectueux des droits de l’Homme.
RAFFY (Serge) – Jospin, secrets de famille. – Paris, Fayard, 2001. 23 cm, 438 p. Bibliogr.
17 Journaliste au Nouvel Observateur, S. R. a le sens du portrait, intrigué qu’il a été par le côté noué de Jospin, refusant de se situer dans une histoire, qu’elle soit personnelle ou nationale. Il a donc cherché et trouvé les raisons de ces silences dans une étonnante saga familiale, famille de sang avec un père socialiste et pacifiste qui fut exclu à la Libération avant d’être réintégré dix ans plus tard, une mère, admirable type de protestante indomptable, et une fratrie chaleureuse avec qui il transitera vers une nouvelle famille. Elle sera politique et, de l’OCI au PS, les figures tutélaires de Boris Fraenkel et François Mitterrand, l’amènent à découvrir d’autres « frères » en particulier Pïerre Joxe et Laurent Fabius, issus de familles plus favorisées, ou J.-P. Chevènement, camarade de l’ÉNA et Claude Allègre, tous deux venus de milieux enseignants plus conformes à la sociologie des socialistes. Le tableau serait incomplet sans les femmes, l’une issue de la résistance chrétienne, l’autre d’une gauche plus libertaire. Au total, ce livre fait revivre une étonnante galerie de personnages, un bouquet d’itinéraires engagés qui évoque un siècle d’histoire d’une gauche victorieuse avant d’être brisée par la guerre, la décolonisation et le surgissement d’une Cinquième République, reçue comme un nouveau bonapartisme.
Relations internationales
BERNAULT (Florence) dir. – Enfermement, prison et châtiment en Afrique, du 19e siècle à nos jours. – Paris, Karthala, 1999. 22 cm, 510 p. (Hommes et sociétés)
18 Issu d’un séminaire organisé par le laboratoire Société en développement dans l’espace et le temps de Paris 7, avec le concours de l’Université du Wisconsin, ce fort volume aborde l’introduction de techniques d’enfermement dans des sociétés africaines qui les ignoraient, leur préférant, en général, des procédures de réparation. La prison est donc un des aspects de la colonisation, qui n’exclut nullement l’utilisation d’autres formes de châtiments (travail forcé, déportation, flagellation, exposition). Dans les colonies, l’enfermement est dissocié de l’idéologie de la réforme qui l’accompagnait en Europe ; son arbitraire, son archaïsme, son caractère étranger n’en sont que plus prononcés : il est essentiellement un instrument de contrôle politique. Et le restera souvent après les indépendances. L’intérêt de ce livre et d’explorer les dimensions les plus importantes de la prison et de l’emprisonnement durant la période coloniale (y compris celle de l’enfermement des « fous »). Les chapitres ne peuvent couvrir tous les territoires et le cas particulier de l’Afrique du Sud n’est pas traité. L’Afrique postcoloniale est abordée mais pas traitée en profondeur : sont analysés les cas très particuliers du Rwanda, du Nord-Mali et du Sahara occidental. L’excellent travail historique réalisé ici reste à poursuivre pour la période contemporaine.
GARDE (Paul) – Fin de siècle dans les Balkans. – Paris, Odile Jacob, 2001. 24 cm, 264 p. Bibliogr. Index. (Politique internationale)
19 Souhaitant « éclairer l’opinion de (son) pays » sur la situation politique complexe des Balkans dans la dernière décennie du 20e siècle, P. G., qui n’est « ni historien ni politologue mais seulement linguiste slavisant, familier depuis un demi-siècle de l’ex-Yougoslavie », propose ici une compilation d’articles déjà parus sur le sujet dans la revue Politique internationale. Dans une première partie – « Analyses » –, il aborde quelques thèmes généraux concernant les pays ex-yougoslaves : religions, langues, idéologies, conceptions de l’État, dans le souci de faire déboucher l’esquisse historique sur les réalités les plus immédiates. Dans une seconde partie – « Chroniques » –, il regroupe des textes s’échelonnant d’année en année et traitant chaque fois de sujets étroitement liés à l’actualité mais replacés dans leur contexte historique, géopolitique ou culturel. L’absence de mise en perspective générale dans une conclusion resserrée laisse toutefois le lecteur non aguerri aux problématiques de cette ère géographique dans un manque interprétatif que d’autres ouvrages pourront alors combler, tels ceux cités dans la riche bibliographie proposée en fin d’ouvrage.
MELANDRI (Pierre), VAÏSSE (Justin) – L’Empire du milieu. Les États-Unis et le monde depuis la fin de la guerre froide. – Paris, Odile Jacob, 2001. 24 cm, 550 p. Bibliogr. Index.
20 Cette belle synthèse sur les relations entre les États-Unis et le monde depuis la chute du mur de Berlin apporte une réelle contribution à la compréhension de la politique internationale américaine de la fin du 20e siècle. Conscients des difficultés de l’exercice – dix ans ne sont sans doute pas un délai historique suffisant pour juger de l’impact de la disparition de l’URSS –, mais, s’appuyant sur une solide documentation, les deux auteurs montrent comment Washington gère depuis lors les affaires du monde d’une manière pragmatique et informelle. Ils soulignent par ailleurs l’importance des enjeux de politique intérieure dans la gestion des crises internationales. P. M. et J. V. consacrent enfin leur ultime partie aux relations des États-Unis avec la France et à l’anti-américanisme des Français, hommes politiques et intellectuels. Une rivalité entre deux nations, chacune porteuse d’un message universaliste, mais dont la France ressort affaiblie par l’effacement de sa position internationale, face à un « nouvel empire » que rien ne semble plus endiguer depuis la fin de l’URSS.
PRODI (Romano) – Europe as I See It. Trad. par Allan Cameron. – Cambridge, Polity Press ; Malden, Blackwell, 2000. 23 cm, VI-128 p.
21 Le président de la Commission européenne présente ici sa vision de l’Europe actuelle et future, en se réclamant de l’idéal des pères fondateurs, De Gasperi, Monnet, Schuman, et en rappelant certains acquis particulièrement significatifs de la construction européenne au cours du demi-siècle écoulé. Envisageant le rôle qu’est appelée à jouer l’Union européenne à l’extérieur, il insiste sur l’importance des relations de l’Union avec ses partenaires méditerranéens (l’Italie est évidemment très concernée) et sur la place dévolue à l’Europe sur la scène mondiale, avant de conclure sur le problème de l’emploi en Europe qui représente à ses yeux un défi majeur.
VAN SELM (Joanne) ed. – Kosovo’s Refugees in the European Union. – Londres, Pinter, 2000. 23 cm, X-239 p. Index.
22 Le drame des réfugiés du Kosovo ayant traversé les frontières de l’Albanie, de la Macédoine et du Kosovo pour venir chercher refuge dans les pays de l’Union européenne semble avoir pris de court les États-membres. L’analyse comparative de la gestion de cette crise dans sept pays membres – Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Autriche, Italie, France – offre un exemple significatif d’attitudes nationales très sécuritaires, du contenu insuffisant de la politique d’immigration et du droit d’asile mise en œuvre en application du traité d’Amsterdam, de l’influence limitée des dispositions communautaires sur les décisions nationales, du rôle des médias dans la perception des problèmes des réfugiés. Les manifestations de racisme et de xénophobie occupent une large place aux côtés des règles internationales sur les droits de l’homme et la souveraineté des États. Au-delà des événements de 1999, une réflexion de fond s’impose au sujet de la protection des réfugiés.
Études nationales et régionales
L’Afrique politique 1999. – Paris, Karthala, 1999. 24 cm, 218 p., L’Afrique politique 2000. – Paris, Karthala, 2000. 24 cm, 239 p.
23 Publié par le Centre d’étude d’Afrique noire de l’Institut d’études politiques de Bordeaux, sous la direction de Patrick Quantin, l’annuaire L’Afrique politique parvient à remplir une double fonction : traiter sans trop de retard d’événements survenus en Afrique au cours de l’année de référence mais ne pas se contenter de les décrire, les analyser en profondeur de manière à en tirer des enseignements généraux du point de vue de la compréhension des phénomènes politiques en Afrique, dans une perspective de politologie générale. On n’y trouve donc pas une couverture événementielle exhaustive ; en revanche, les études de cas sont regroupées en dossiers thématiques : « Entre transition et conflits » pour 1999, volume dans lequel les dimensions externes aussi bien qu’internes des affrontements sont analysées et où se trouve posée la question de l’efficacité de la « démocratisation » pour résoudre les conflits ; « Démocratie plurale et démocratie non libérale ; guerre et paix de la Corne à Pretoria », pour 2000, poursuit la discussion des formes et des efficaces de la démocratie en s’intéressant notamment aux rapports entre démocratie, cultures, droits de l’Homme et rapports de sexe.
BERDAH (Jean-François) – La démocratie assassinée. La République espagnole et les grandes puissances 1931-1939. – Paris, Berg International, 2000. 25 cm, 451 p. Index. (Écritures de l’Histoire)
24 J.-F. B. entend montrer que la République espagnole ne se résume pas à l’affrontement armé entre tenants de l’ordre ancien et partisans de la révolution. Les premières années de cette jeune démocratie, née en 1931, constituent en effet une période de transformation profonde de la société espagnole, affectant aussi bien l’armée que le clergé, la bourgeoisie et la paysannerie. L’ouvrage explicite comment, entendant promouvoir une autre vision de l’Espagne débarrassée de tous ses archaïsmes, les dirigeants républicains, attachés aux libertés fondamentales, se sont efforcés d’enraciner de nouveaux idéaux dans la conscience populaire. En dépit de l’opposition croissante des secteurs les plus conservateurs de la société, le nouveau personnel républicain parvint à déployer une politique dynamique de réformes qui devait déboucher, en l’espace de quelques mois, sur l’une des constitutions les plus modernes et les plus démocratiques du 20e siècle. Mais J.-F. B. montre bien que le pacifisme et l’humanisme de la République espagnole heurtèrent de front les intérêts égoïstes des grandes puissances européennes, tandis que sa légitimité était contestée par les forces les plus réactionnaires de « l’ancienne Espagne », dont les propriétaires terriens et l’Église. Son engagement généreux en faveur de la paix internationale ne lui fut d’aucun secours au moment de faire valoir son droit légitime à assurer sa défense contre l’agression des forces franquistes, aidées par l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Ce livre montre donc plus largement comment l’échec de la Seconde République fut le symbole déchirant d’une faillite collective de l’idéal démocratique dans les années 1930. La conclusion de la guerre d’Espagne signifia non seulement la fin des espérances nées de la Société des Nations, mais aussi l’annonce de nouveaux affrontements pour la domination du monde.
L’état de la France, 2001-2002. 13e éd. – Paris, La Découverte, 2001. 19 cm, 672 p. Index.
25 Outil pratique et désormais reconnu, L’état de la France dans sa nouvelle édition, profondément renouvelée, dessine les contours de la nouvelle France qui émerge en ce début de décennie. Elle bénéficie d’enrichissements bienvenus, concernant notamment les références de sites Internet. La section « Enjeux et débats », en ouverture de livre, traite des opportunités suscitées par les perspectives de l’emploi et la décrue du chômage, des paradoxes et des mythes de la « nouvelle économie », des défis posés à la construction européenne après le traité de Nice, de la biosécurité, de la vraie signification du projet de « refondation sociale »… et bien sûr des enseignements des élections municipales. D’autres thèmes font par ailleurs cette année l’objet d’une attention particulière, tels la santé et l’avenir de l’Europe. Seul ouvrage à embrasser la situation française dans son ensemble et de façon particulièrement actualisée, la présente édition continue utilement d’occuper sa position d’« observatoire permanent » du pays – bénéficiant de la collaboration de 130 spécialistes issus de nombreux centres d’étude et de réseaux de recherche – et de guide pratique pour tous.
FERRO (Marc) – Histoire de France. – Paris, Odile Jacob, 2001. 24 cm, 764 p. Bibliogr. Index. (Histoire)
26 C’est évidemment une gageure que d’écrire en 2001 une Histoire de France en 700 pages. Il faut choisir et M. F. ne s’en prive pas, accordant 200 pages à l’Ancien régime et 500 à un temps qui commence avec les révolutions dont le cinéma qu’il connaît si bien, a contribué à populariser le souvenir. L’histoire ici racontée est donc la sienne, faisant sa belle part au communisme que la critique des Hautes études a démystifié comme aux « périls » venus du fascisme où les travaux de l’Institut du Temps présent font autorité. L’histoire politique est plus faible, mieux présente par ses hontes – collaboration et colonisation – que par des succès que l’on serait bien en peine de trouver. Au fond elle intéresse beaucoup moins M. F. que le « roman national », légende que l’histoire scientifique peut déconstruire, sans la détruire, puisque c’est elle qui vit dans l’imaginaire populaire où il est sans cesse retravaillé. Le cas le plus célèbre est celui de Jeanne d’Arc, mais il y en a d’autres entretenus par ce « génie de la guerre civile » auquel sont consacrées les soixante-dix dernières pages d’un livre qui se termine par une interrogation : qu’est ce que la France d’aujourd’hui ? Pays apaisé mais désintéressé de la politique, du fait d’une mondialisation technique et financière qui, accompagnée de la construction européenne, fait refluer les énergies vers un local où le monde politique se découvre dessaisi, sans prise sur les citoyens. N’y aurait-il d’autre roman que celui de la révolution ?
IBISCUS/CEAN – Pays lusophones d’Afrique, sources d’information pour le développement, Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, Sao Tomé e Principe. – Paris, IBISCUS, 2000. 24 cm, 221 p. Notes bibliogr. (Réseaux documentaires pour le développement)
27 Visant à fournir des « sources d’information pour le développement », cet ouvrage, après une introduction étoffée due à Michel Cahen (CEAN, Institut d’études politiques de Bordeaux), comprend pour chaque pays un excellent article de présentation générale du même auteur, un annuaire des principaux organismes susceptibles de fournir des informations dans les domaines les plus divers du développement et une bibliographie. Des chapitres complémentaires traitent des ressources portugaises et françaises, ainsi que de l’Afrique du Sud. Un livre clair, maniable et, donc, utile.
OZOUF (Mona) – Les aveux du roman. Le dix-neuvième siècle entre Ancien régime et Révolution. – Paris, Fayard, 2001. 24 cm, 348 p. (L’esprit de la Cité)
28 Pourquoi traiter de littérature dans une revue de science politique ? Parce que, spécialiste d’une Révolution qui a coupé le temps en deux, qui a sombré dans la Terreur en laissant un souvenir inégalé et, plus étonnant encore, qui a échoué en engendrant un goût d’avenir qui peut s’appeler espoir, M. O. a voulu chercher si la littérature confirmerait la réalité de ce que la fréquentation des archives lui avait appris, à savoir la continuité de la société, le goût si français pour les fêtes et surtout le poids des femmes, absentes des délibérations des Assemblées révolutionnaires. Car bien sûr, au nom de l’amour et de sa quête, les femmes trônent dans les romans, comme dans les salons, peuplant les églises et les cimetières, nourrissant l’imagination des jeunes gens comme l’appétit de pouvoir de clercs dévoyés. Leur présence fait revivre les vieux usages de la conversation et de la civilité aristocratique et, par la possibilité d’un « beau mariage », ouvre même la voie à des ambitions nouvelles et, derrière elles, à une mixité sociale infiniment plus facile à vivre à Paris qu’en Province où tout se voit, se sait et se pèse. Comme dans ses précédents essais, M.O. choisit quelques grandes plumes – Germaine de Staël, George Sand, Stendhal, Hugo, Flaubert, Barbey, Zola et Anatole France –, avant de conclure à la fin de cette véritable « guerre de cent ans », entre l’Ancien régime voué à l’hérédité, et la Révolution vouée au mérite. Loin des arènes politiques, les présences d’humbles femmes, de prêtres évangéliques ou d’un forçat sublime ont dit l’inépuisable diversité et l’incroyable fécondité de la société, présidant aux retrouvailles élaborées, bâties et finalement racontées par le roman d’une France artiste au point de résister à la monotonie démocratique aussi bien qu’au délire totalitaire.
RUCKER (Laurent) – Staline, Israël et les Juifs. – Paris, PUF, 2001. 24 cm, 380 p. Bibliogr. Index.
29 Dans le monde bipolaire de la guerre froide, l’URSS et Israël appartenaient à deux camps ennemis. Mais, comme le montre L. R., les nécessités de l’affrontement planétaire entre l’Est et l’Ouest ont longtemps occulté un fait majeur qui a contribué à bouleverser l’histoire du Proche-Orient : sans la contribution décisive, politique, militaire et démographique de l’URSS et de ses satellites, l’État d’Israël n’aurait peut-être jamais vu le jour en 1948 et aurait éprouvé les plus grandes difficultés à survivre au cours des premières années de son existence. Ce soutien soviétique à la création d’un État juif en Palestine fut une surprise pour tous les acteurs de l’époque. Il a longtemps intrigué les historiens. Mais jusqu’en 1991, malgré leur grande qualité, toutes les études butaient sur un obstacle de taille : l’impossibilité d’accéder aux archives soviétiques. L’effondrement soudain de l’URSS, en 1991, a partiellement levé cette hypothèque. Et même si de nombreux fonds restent inaccessibles (comme celui qui regroupe les documents des secrétaires généraux du parti bolchevik ou ceux de l’ex-KGB), L. R. montre comment le voyage au pays des archives soviétiques s’avère extrêmement fructueux et permet de faire progresser la connaissance historienne de l’Union soviétique, du communisme et, plus largement, du monde contemporain. Ce livre s’appuie sur l’exploitation d’archives soviétiques inédites qui permettent de revisiter nombre d’épisodes des rapports entre l’URSS, Israël et les Juifs soviétiques à l’époque stalinienne : les premiers contacts soviético-sionistes, les négociations secrètes, les livraisons d’armes tchèques en Israël, l’immigration clandestine en Palestine, le procès Slansky, l’affaire des Blouses blanches. Au-delà du sujet, L. R. contribue à une réflexion continue sur le mode de fonctionnement du pouvoir stalinien et sur la place des Juifs dans l’histoire contemporaine.
Notes
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Établies sous la responsabilité de Jean-Luc Parodi, assisté de Monique Didier et de Carole Vidal, avec, pour ce numéro, la collaboration d’Alexandre Boza, Marie-Élisabeth de Bussy, Florence Faucher, Denis-Constant Martin et Odile Rudelle, auxquels la Revue adresse ses remerciements.