Couverture de RFSE_SPE2020

Article de revue

Éditorial. Le monde selon Galt. Digression sur le roman libertarien La grève d’Ayn Rand

Pages 91 à 97

Notes

  • [1]
    Comme il est préconisé chez Dworkin [1977] et chez Rawls [(1971) 1987].
  • [2]
    On songe naturellement ici à la Parabole de Saint-Simon [1819].
  • [3]
    Toute ressemblance avec les propos de Marx et Engels [1847] est ici purement fortuite…
  • [4]
    Selon la thèse et le titre d’un essai de Georges Bataille [1949] sur la dépense improductive.
  • [5]
    Voir « La querelle des frelons et des abeilles » de Saint-Simon [1819].
  • [6]
    Voir sur ce point Olivier Rey [2006].
  • [7]
    Il s’agit là de la thèse de Bergson sur la grève [Institut de démobilisation, 2012, p. 177-181].
  • [8]
    C’est ici qu’Ayn Rand exprime sa dette envers Aristote et son principe de non-contradiction incarné dans la formule « A est A » (les contradictions n’existent pas dans la réalité, par conséquent deux propositions contradictoires ne peuvent être toutes les deux vraies, ni toutes les deux fausses). Voir sur ce point Caré [2009, p. 139-142].
  • [9]
    Stéphane Caré [2009, p. 141] rappelle à ce propos qu’Ayn Rand distinguait le « donné métaphysique », indépassable et devant être accepté comme tel, des réalisations humaines, susceptibles d’être soumises à la critique.
  • [10]
    Selon l’expression de Ruwen Ogien [2007] cité par Caré [2009, p. 197].
  • [11]
    En témoignent les nombreux passages du roman appelant, à l’encontre du puritanisme nord-américain, au mariage du luxe et de la compétence. On retrouve notamment ces propos dans la bouche d’Hank Rearden (p. 375-379) et de John Galt (p. 954).
  • [12]
    Et qui fait singulièrement écho à l’homme nouveau du socialisme qu’elle a fui…
  • [13]
    Cette critique se retrouve chez Hayek, Rothbard et Nozick. Ayn Rand préférait, pour sa part, en appeler à un « radicalisme anti-conservateur » [Caré, 2009, p. 10-11].

1Comment peut-on être libertarien ? Ce mouvement antiétatiste, qui connaît un regain d’intérêt aux États-Unis (John Malkovitch s’en revendique…), associe la défense des libertés individuelles et des libertés économiques, sur fond de pacifisme irréductible. La pensée libertarienne est, en effet, une « utopie capitaliste » qui « projette la logique du marché sur toutes les sphères de la vie sociale » [Caré, 2009, p. 12]. Elle s’oppose à l’ensemble des entraves apportées aux libertés individuelles, au nom d’un principe de « propriété de soi » [Nozick, 1974] devant être reconnu à tous. De fait, conformément aux principes égalitaires qui sous-tendent l’ensemble des théories politiques [Dworkin, 1977], la pensée libertarienne considère les individus comme des « fins en soi », propriétaires de leurs aptitudes et de tout ce qu’elles produisent [Kymlicka, 2009]. Que des inégalités de condition soient à l’origine d’une inégalité de ressources n’implique aucune compensation ni redistribution [1] : il s’agirait d’une violation du principe de propriété de soi, d’une trahison du principe d’égalité des individus, d’une source de mutilation de leur personne.

2La grève, un roman publié en 1957 aux États-Unis et traduit en français seulement en 2011, donne chair à ces principes. Son auteur, Ayn Rand (1905-1982), scénariste à Hollywood, avait fui l’Union soviétique et était une anti-communiste active, jusqu’à sévir sous le maccarthysme. Elle est considérée comme la théoricienne de « l’objectivisme », une doctrine libertarienne se distinguant des autres par son « éthique de la vertu ». La grève visait précisément à en illustrer les principes, promus et incarnés par le personnage de John Galt. Je me suis lancée dans la lecture de cet ouvrage avec la curiosité des mécréants, convaincue d’être vaccinée contre cette philosophie libéralo-individualiste honnie. Mais, à ma grande surprise, j’ai été captivée. Le roman s’est imposé à moi comme l’évidence d’une plongée au-delà des apparences. Je redoutais de le finir après les premières pages.

3Comment qualifier cette fièvre qui s’empare d’un lecteur et le met dans un état second ? Espère-t-il devenir le héros du récit qu’il dévore ? Ce serait réduire la lecture à une simple satisfaction narcissique. Nous lisons pour entendre quelque chose qui nous parle, qui résonne en nous, qui nous emporte, tout en nous ramenant à une possibilité d’être que nous croyions éteinte ou oubliée [Macé, 2011]. Cette lecture si précieuse, qui donne de la vie autant qu’elle suspend le temps, peut cependant laisser des traces d’autant plus perturbantes qu’elle délivre des messages fondamentalement incompatibles avec les formes intimes qu’elle a libérées. C’est ce qui m’est arrivé avec ce livre. La grève a la puissance d’attraction des épopées vers la liberté, mais les place au service de « la vertu d’égoïsme » [Rand, 1982] avec un manichéisme obstiné – et une efficacité redoutable qu’on ne peut dénoncer qu’après l’avoir goûtée.

1 – Le monde merveilleux du capital

4Le livre débute par cette question : « Qui est John Galt ? ». D’emblée, je suis intriguée par ce personnage absent. Pourtant, je reste incrédule devant le mystère annoncé autour de ce nom, brandi comme une formule magique. Bien vite, je rencontre l’alter ego qui partage mon scepticisme : Dagny Taggart, l’héroïne de ce livre. « Vice-présidente en charge de l’exploitation » de la Taggart Transcontinental, sœur du président, fille du fondateur de cette prestigieuse compagnie de chemin de fer, elle est l’héritière, dominante parmi les dominants. Tout me sépare d’elle, sauf ces convictions que nous partageons, elle et mon idéal-du-moi : ne compter que sur soi, n’obéir qu’à la raison, être toujours en mouvement, ne jamais baisser la garde, assumer la responsabilité de ses actes. Car Dagny Taggart n’est pas une héritière comme les autres : sa légitimité n’a d’égal que sa compétence, elle est la travailleuse infatigable qui porte à bout de bras la compagnie familiale.

5Le titre américain de l’ouvrage est Atlas Shrugged. Cet Atlas, qui porte le monde sur ses épaules et a le pouvoir de le faire chanceler, ce pourrait être elle. Mais non, Dagny Taggart est une femme de bonne volonté, elle tient à faire tenir son monde debout. Sa compagnie lui appartient autant par son travail que par ses titres de propriété. Elle fait partie de ces capitaines d’industrie qui ne sauraient imaginer le moindre conflit entre capital et travail : ils réconcilient les deux en leur propre personne. Tout comme Hank Rearden, son alter ego, l’inventeur d’un alliage fabuleux, plus léger et plus résistant que l’acier, tellement génial qu’il risque de conduire ses concurrents à la faillite. Tout comme Francesco d’Anconia, autre alter ego, ami d’enfance de Dagny Taggart, héritier ingénieur comme elle, ayant aussi appris son métier de décideur, en s’immergeant dans le travail concret, jusqu’au plus bas de l’échelle. Tous trois dédaignent les conventions qui méprisent le travail. Ils cultivent la même passion pour la raison et revendiquent de se consacrer à leur activité productive par la seule voie légitime qui soit, la compétence, à laquelle ils vouent un même culte : « On ne peut pas pénaliser la compétence. Sinon, il n’y a plus qu’à s’entretuer, parce qu’il n’y a plus rien de juste dans un tel monde. » (p. 88)

2 – Sueurs froides

6Or la compétence est en danger. Ses ennemis s’acharnent contre elle au nom de « l’intérêt général ». Ils s’opposent à sa libre circulation, qui menacerait l’ordre social, et leur âme charitable appelle à en secourir les victimes. Des victimes qui sont, en l’occurrence, des entrepreneurs à l’état civil, mais des rentiers d’esprit, hypocrites et veules, vautrés dans une médiocrité scrupuleusement entretenue. Or ces êtres sans relief ne sont pas sans voix. Ils savent convertir leurs geignements en injonctions, ne reculent devant aucun chantage, parviennent à enrôler l’État dans leur cause, et ceci d’autant plus facilement qu’il leur est acquis. Forts des rentes de situation qu’ils ont tirées de ce territoire inépuisable – et tenant le marché en horreur – ils revendiquent le droit d’y préserver leur rang que de géniaux ingénieurs ne sauraient leur disputer. La guerre est donc déclarée.

7Le combat se mène sur un double front. Les méchants et oisifs rentiers agissent dans l’ombre des salons feutrés et mondains. Ils y dénoncent, la main sur le cœur, la « concurrence prédatrice » que se livrent « les loups qui se dévorent entre eux » et fomentent des ententes n’ayant d’autre but que leur propre enrichissement. Puis viendra le temps des législations anti-trust, obtenues à coups de trahisons et de lobbying aussi discret qu’efficace, jusqu’à l’incroyable conversion de « Washington » aux bienfaits de l’économie dirigée. On devine que l’enjeu de cette planification bureaucratique, qui enserre toujours plus l’action de nos géniaux ingénieurs, n’est pas leur élimination mais la création d’un nouveau système de rente, grâce à l’exploitation de leur génie. Les frelons ne songent qu’à s’approprier sans vergogne le fruit de leur travail, la défense du « bien commun » ne leur servant qu’à justifier leur existence parasitaire.

8L’institutionnalisation d’un tel pillage constitue une entrave à la vie même de nos héros, chez qui pensée et action se fondent dans un même élan vital. Leur riposte ne se fait pas attendre, naturellement sous une forme inédite. Voilà que le beau Francisco d’Anconia, dont l’intelligence n’a d’égal que la vertu, s’affiche vautré dans le stupre, semble dilapider son héritage et saboter ses propres réalisations. D’incompréhensibles disparitions de matières premières viennent obstruer le cours d’une production déjà affaiblie par d’ignobles contraintes règlementaires. Et parmi les géniaux ingénieurs du pays, c’est l’hémorragie. Tous s’évanouissent dans la nature, les uns après les autres. Dagny Taggart a beau déployer toute son énergie pour empêcher leurs désertions en chaîne, rien n’y fait. Ils ont renoncé à leurs affaires et se sont mis en grève, attendant que la société, privée de leur compétence [2], sombre d’elle-même. Et pas question pour eux de s’imposer par la force, contraire à leur morale. Leurs lendemains devront chanter sans que le sang ne soit versé.

3 – L’utopie capitaliste

9Ils se sont retirés dans une vallée perdue dont ils ont fait leur « Atlantide ». Ils y ont recréé une société de petits producteurs, libre-échangistes, assurant leur subsistance tout en cultivant leurs talents – boulangers le matin, inventeurs l’après-midi, critiques le soir [3]… Tous ont fait le serment d’égoïsme : « Je jure sur ma vie et l’amour que j’ai pour elle, de ne jamais vivre pour les autres, ni demander aux autres de vivre pour moi » (p. 733). Et tous ont choisi de vivre « sous le signe du dollar. » De fait, chacun de leurs échanges a une traduction monétaire. Rien de gratuit ne saurait s’installer entre eux, dons et dettes sont exclus de leurs rapports: la « part maudite [4] » n’a pas de place ici. Ils doivent leur conversion à cette religion du marché à un homme venu de nulle part, annonciateur d’une liberté sans entraves ici-bas. Qui est John Galt ? Un messie libertarien ? Un ouvrier anonyme ? Un amoureux transi ? Et s’il était l’inventeur de ce génial moteur générateur d’énergie dont Dagny Taggart a découvert les traces et n’a de cesse de retrouver la formule ? Et si c’était pour lui qu’elle avait échoué, par accident, dans cette vallée, après avoir bravé tous les dangers et suivi, avec obstination, l’objet de son désir aveugle, forcément aveugle ?

10Dagny Taggart rejoindra-t-elle les grévistes ? Prêtera-t-elle serment à son tour ? Percera-t-elle le mystère du moteur ? Deviendra-t-elle la maîtresse de John Galt ? Vivront-ils le grand soir de l’avènement de la compétence au pouvoir ? Vous le saurez en lisant La grève, le best-seller le plus lu aux États-Unis après la Bible. Ce livre, qui séduit parce qu’il dénonce l’exploitation des abeilles par les frelons [5], fascine en donnant chair à ce rêve de liberté vieux comme le travail, ici porté par des capitalistes miraculeusement sourds aux sirènes du capital. Leur épopée est d’autant plus palpitante qu’elle rejoint le rêve de l’ouvrier marchand de son travail, libéré de toute sujétion – et des protections qu’elles lui procuraient.

11Qu’a-t-il à faire de protections, ce travailleur ivre de toute-puissance, capable, par son travail, de transformer son environnement, sa vie, sa société ? Rarement ouvrage aura rendu compte à ce point du fantasme d’un travail productif maîtrisé de bout en bout, mené jusqu’à la réalisation d’une œuvre reflétant la grandeur de son auteur. Son portrait du travailleur en artiste-créateur est toutefois moins avant-gardiste [Menger, 2002] que profondément passéiste. Ses héros cultivent un idéal artisanal redoré de novations futuristes. Ils cautionnent les inégalités qui en découlent et qu’ils imputent à une raison égarée et à un déficit de vertu : elles ne sauraient par conséquent être corrigées. En témoigne leur refus de toute fiscalité redistributive, qu’ils vivent comme une atteinte à leur personne incarnée dans leurs réalisations – et qui ne saurait être sacrifiée sur l’autel de la médiocrité.

4 – De quoi John Galt est-il le nom ?

12Le monde selon Galt, c’est le monde de ceux qui jouissent de se voir si grands dans le miroir de leur travail, qu’ils ne sauraient tolérer d’ingérence du réel, par définition contrariant. C’est le monde du point de vue d’un individu qui le rêve en collection de créatures à son image, monades fabricantes et trafiquantes, entièrement auto-construites [6]. Mais c’est aussi, plus près de nous, le monde de ceux qui fantasment la disparition de la valeur travail [Vatin, 2008] et lui attribuent, prétendument pour la sauver, des pouvoirs mensongers, à coups d’injonctions à l’entrepreneuriat. C’est le monde de ceux qui souffrent de voir le travail malmené et promettent, à tout-va, la restauration de sa grandeur perdue. C’est le refuge de ceux qui récusent la dimension impersonnelle des activités de travail, qui détournent les yeux de l’organisation dans laquelle elles s’inscrivent, et se privent de la possibilité de faire éclore les espaces d’une réappropriation pratique et politique. C’est, en définitive, le monde qu’il nous faut déconstruire, pour sortir le travail des utopies libérales dévastatrices suscitées par la peur de le perdre. Le monde selon Galt constitue par conséquent, pour les sciences sociales, un monde à abattre.

13Pour autant, le combat n’est pas gagné. L’apologie du capitalisme au cœur de ce roman-plaidoyer ne fait pas la promotion d’un « individu bourgeois » [Marx, Engels, (1847) 1995], confondant son individualité avec des propriétés qu’il n’aurait de cesse de multiplier. Au contraire, la grève se place sous le signe du renoncement. Elle s’apparente à un « saut dans l’abîme » dont l’enjeu est moins l’arrêt de travail que la prise au sérieux d’une émotion partagée, enflammant l’intelligence pour le surgissement d’idées neuves [7] – à commencer par le ré-enchantement du travail et l’usage vertueux d’un temps libéré. L’ouvrage rappelle ainsi que le travail est un vecteur d’émancipation qui ouvre bien plus que la perspective d’une autoréalisation de soi. Au-delà de l’individu qu’il permet de célébrer, il est la promesse d’un double accomplissement : « Si nous produisions comme des êtres humains, chacun de nous s’affirmerait dans sa production doublement, soi-même et l’autre. […] Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. » [Marx, 1844, p. 33] De fait, le travail a vocation à produire du « nous » transcendant les divisions instituées, et pas seulement du « je ». Il nous sort de nous-mêmes en même temps qu’il nous construit – sauf lorsqu’il nous est imposé : il ne devient alors que « haine » et « tourment » [ibid., p. 34]. Ayn Rand et Karl Marx, même combat ? Bien évidemment non. L’une dénie les conflits et contradictions quand l’autre en fait le moteur de l’histoire.

14Reste que le capitaliste dépeint dans cet ouvrage n’a plus rien de haïssable. Il se dérobe à la figure de l’individu bourgeois moins parce qu’il revendique de s’approprier les produits du travail, source légitime de subsistance, que parce qu’il refuse d’assujettir le travail d’autrui. Conformément aux principes libertariens, il récuse toute atteinte à la liberté individuelle et tout recours à la violence. Il ne conçoit la mobilisation du travail que dans le cadre d’une association de producteurs, libre et vertueuse, prenant le marché du travail au pied de la lettre. La raison doit se substituer à la subordination et, à l’instar du rêve taylorien, imposer sa vérité objective, sous la forme d’un one best way appelé à faire disparaître les conflits du travail.

15On comprend ici tout l’intérêt de la métaphysique et de l’épistémologie objectivistes qui animent le libertarianisme randien – tout comme l’économisme néo-classique ambiant. Dans la mesure où la réalité existe indépendamment de la conscience humaine, elle possède des lois propres et non contradictoires [8] qui doivent être comprises par la raison et acceptées comme telles. Face à ce « donné métaphysique » qui ne saurait être changé, et à des réalisations humaines en mesure de s’imposer par leur rationalité [9], il ne reste qu’à s’incliner. L’enjeu est alors de définir les valeurs et normes les plus adaptées à une appropriation rationnelle du monde. L’éthique requise se fonde, chez Ayn Rand, sur trois vertus (rationalité, productivité et fierté), relevant d’une « morale maximaliste [10] » : sont prescrites les actions mais aussi les pensées, désirs et manières d’être des individus. Les écarts à cet one best way des conduites se règlent à coup d’appels à la raison (« vérifie tes prémisses ! ») et se soldent par une déchéance fatale. De fait, les inégalités trouvent leur justification dans une conception néo-libérale de la méritocratie. Comme des marchandises mises en concurrence pour s’échanger à leur juste prix, les individus concourent sur l’échelle du mérite afin de rejoindre leur juste place [Girardot, 2011].

16En dénonçant l’individu bourgeois brutal, avide et pleutre, Ayn Rand dresse le portrait d’une créature qui en est le substitut vertueux, mais qui présente les mêmes fonctionnalités. Douée d’une intelligence justifiant sa réussite et la supériorité de son rang, elle se doit de l’assumer pleinement, jusque dans un luxe ostensible [11]. Ce faisant, l’éthique randienne de la vertu n’appelle pas à une transformation sociale mais au renouvellement des élites. L’homme nouveau du capitalisme que l’auteur appelle de ses vœux [12] tient, par la bouche de John Galt et de ses thuriféraires, le discours de ses institutions. Rien d’étonnant à cela : le libertarianisme est né, dans les années 1960, de la critique d’un libéralisme ayant renoncé aux utopies porteuses d’espoir qui avaient, à l’inverse, assuré le succès des idées socialistes [13]. Il s’est développé sous couvert de subversion radicale, pour revitaliser des principes libéraux en souffrance pour s’être cantonnés à l’économie. La mutation du libéralisme en utopie qu’il opère est donc une déclaration de guerre : à nous d’utiliser ses armes pour mieux le combattre !

Bibliographie

  • Bataille G. ([1949], 1967), La part maudite. Précédé de la notion de dépense, Paris, Minuit, coll. « Critique ».
  • Caré S. (2009), La pensée libertarienne. Genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale, Paris, PUF.
  • Dworkin R. ([1977], 1995), Prendre les droits au sérieux, Paris, PUF, traduction française.
  • Institut de démobilisation (2012), Thèses sur le concept de grève, Paris, Nouvelles Lignes.
  • Kymlicka W. (2009), Les théories de la justice. Une introduction, Paris, La Découverte, traduction française.
  • Girardot D. (2011), La Société du mérite. Idéologie méritocratique et violence néolibérale, Lormont, Le Bord de l’eau, coll. « Les voies du politique ».
  • Macé M. (2011), Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard.
  • Marx K. ([1844], 1968), « La production humaine », in Notes de lecture, Économie et Philosophie, Manuscrits parisiens, Œuvres, t. 2, Paris, Gallimard, La Pléiade, p. 33-34.
  • Marx K., Engels F. ([1847], 1994), Le manifeste du parti communiste, Paris, Le Temps des cerises.
  • Nozick R. ([1974], 1988), Anarchie, État et Utopie, Paris, PUF, traduction française.
  • Saint-Simon C. H. ([1819] 1965), « Sur la querelle des abeilles et des frelons » ; « La parabole », dans « L’Organisateur », in La physiologie sociale. Œuvres choisies, Paris, PUF, avant-propos de Georges Gurvitch.
  • Ogien R. (2007), L’éthique aujourd’hui : maximalistes et minimalistes, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais ».
  • Rand A. ([1964], 2008), La vertu d’égoïsme, Paris, Les Belles Lettres, traduction française.
  • Rey O. (2006), Une folle solitude. Le fantasme de l’homme autoconstruit, Paris, Seuil.
  • Vatin F. (2008), Le travail et ses valeurs, Paris, Albin Michel.
  • Référence de l’ouvrage

    • Rand A. (1957 [2011]), La grève, Paris, Les Belles Lettres, traduction française Sophie Bastide-Foltz d’Atlas Shrugged, Random House.

Date de mise en ligne : 28/04/2020

https://doi.org/10.3917/rfse.spe2020.0091

Notes

  • [1]
    Comme il est préconisé chez Dworkin [1977] et chez Rawls [(1971) 1987].
  • [2]
    On songe naturellement ici à la Parabole de Saint-Simon [1819].
  • [3]
    Toute ressemblance avec les propos de Marx et Engels [1847] est ici purement fortuite…
  • [4]
    Selon la thèse et le titre d’un essai de Georges Bataille [1949] sur la dépense improductive.
  • [5]
    Voir « La querelle des frelons et des abeilles » de Saint-Simon [1819].
  • [6]
    Voir sur ce point Olivier Rey [2006].
  • [7]
    Il s’agit là de la thèse de Bergson sur la grève [Institut de démobilisation, 2012, p. 177-181].
  • [8]
    C’est ici qu’Ayn Rand exprime sa dette envers Aristote et son principe de non-contradiction incarné dans la formule « A est A » (les contradictions n’existent pas dans la réalité, par conséquent deux propositions contradictoires ne peuvent être toutes les deux vraies, ni toutes les deux fausses). Voir sur ce point Caré [2009, p. 139-142].
  • [9]
    Stéphane Caré [2009, p. 141] rappelle à ce propos qu’Ayn Rand distinguait le « donné métaphysique », indépassable et devant être accepté comme tel, des réalisations humaines, susceptibles d’être soumises à la critique.
  • [10]
    Selon l’expression de Ruwen Ogien [2007] cité par Caré [2009, p. 197].
  • [11]
    En témoignent les nombreux passages du roman appelant, à l’encontre du puritanisme nord-américain, au mariage du luxe et de la compétence. On retrouve notamment ces propos dans la bouche d’Hank Rearden (p. 375-379) et de John Galt (p. 954).
  • [12]
    Et qui fait singulièrement écho à l’homme nouveau du socialisme qu’elle a fui…
  • [13]
    Cette critique se retrouve chez Hayek, Rothbard et Nozick. Ayn Rand préférait, pour sa part, en appeler à un « radicalisme anti-conservateur » [Caré, 2009, p. 10-11].

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions