Notes
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[1]
Les auteurs remercient Anita Engels et l’ensemble du comité éditorial de la newsletter ainsi que Jean-Philippe Cointet et Cécile Mounier pour leur aide sur la conception graphique.
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[2]
SER apparaît au sixième rang dans le classement des revues de sociologie par le Social Science Citations Index de 2020. Ce classement est fondé sur le système de notation des facteurs d’impact du Web of Science et a été récupéré de l’Observatoire de Recherche Internationale ou Observatory of International Research (OOIR) par le lien suivant : https://ooir.org/journals.php ?category=sociology. D’autres classements, tels que celui fondé sur Scopus par Scimago, comprennent les journaux de sociologie et de science politique ; SER apparaît au 33e rang, et devant toutes les autres revues de sociologie économique classées.
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[3]
Les termes de la recherche étaient = « climate change », « global warming », « greenhouse gases », « carbon », « energy », « renewable », « fossil fuel », « green », « environmental », « sustainab* ». Quand nous parlons d’élément de cadrage, nous évoquons par exemple des papiers qui discutent les politiques d’énergie renouvelable qui, bien que le dérèglement climatique n’y soit pas mentionné exactement, sont directement aux prises avec le sujet.
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[4]
Les résultats de la recherche des mots-clés « environmental » et « sustainab* » étaient nombreux, et ne recouvrant que partiellement les recherches avec les catégories en lien avec le climat, ce qui donnait un aperçu des thématiques associées, proches mais tout de même différentes (concurrentes et parfois excédant celles mentionnant le dérèglement climatique), à la croisée entre l’économie et l’environnement. Nous ne traitons pas de ces papiers dans cette courte analyse.
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[5]
Au sens premier, un « caméo » désigne l’apparition éclair d’une personnalité incarnant son propre rôle dans le monde du théâtre ou du cinéma.
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[6]
Traduction des auteurs.
1En 2021, les éditeurs de la economic sociology – electronic European newsletter (récemment renommée economic sociology – perspectives and conversations), publication trisannuelle en ligne hébergée au Max Plank Institute for the Study of Societies et qui contribue activement à la diffusion de travaux contemporains de sociologie économique, ont confié la ligne éditoriale à Anita Engels, professeure de sociologie l’Université de Hambourg, spécialiste des politiques climatiques et des marchés carbone. Cette dernière s’est attelée à construire une série de trois newsletters qui font état de travaux récents sur le dérèglement climatique. Le contenu de la série illustre à quel point le dérèglement climatique est devenu un moteur mondial croissant de changements sociaux, et défend l’idée qu’il mérite davantage d’attention de la part des sociologues de l’économie. Ce point est notamment soulevé dans des entretiens avec chercheurs confirmés [Hoffman, 2020 ; Sovacool, 2020 ; Pulver, 2020] et dans de courts articles de sociologie économique du climat, sur le rôle contesté des marchés dans l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, [Ehrenstein, Valiergue, 2021], sur l’épineux problème du tri des personnes pouvant bénéficier de compensations après une catastrophe climatique [Elliott, 2021], ou encore sur le rôle des crises dans l’émergence de nouveaux modes d’action collective [Ergen, Suckert, 2021]. C’est aussi dans cette série de newsletters qu’une première version de cet article, en anglais, a été publiée [1].
2Souhaitant explorer en quoi la sociologie économique peut contribuer à la compréhension du dérèglement climatique et de l’action climatique, nous examinons ici comment la discipline s’est jusqu’ici emparée de la question. En prenant appui sur les communications des conférences annuelles de la société savante SASE (Society for the Advancement of Socio-Economics) et les publications du journal Socio-Economic Review (SER) comme proxys pour analyser le champ de la sociologie économique, nous en proposons un « audit » climatique en nous intéressant à la façon dont le thème du dérèglement climatique y est traité depuis une décennie.
1. Repérer les références climatiques
3Les sociétés savantes et les conférences, tout comme les publications associées, sont des références utiles pour appréhender ce qui importe au sein d’une communauté académique [Abbott, 2000]. La sociologie économique inclut une diversité d’approches qui couvrent l’économie politique, la théorie des organisations ou encore les études sociales de la finance, et SASE et SER sont des lieux d’études pertinents car ils rassemblent des chercheurs de ces différents horizons. La conférence annuelle de SASE est un des plus grands rassemblements de la discipline, comptant généralement plus d’un millier de communications chaque année ; SER est le journal le mieux classé parmi les revues de sociologie économique [2]. De plus, SER est une initiative de SASE, ce qui fait que les productions qui en sont issues peuvent être considérées comme complémentaires – les communications de conférence (plutôt des travaux en cours) et les articles, publiés après évaluation en double aveugle.
4À partir des archives en ligne des deux entités, nous avons réalisé des recherches par mots-clés dans les titres et les résumés, afin de construire un corpus rudimentaire des propositions récentes de la sociologie économique traduisant l’engagement intellectuel et empirique du champ académique dans le thème du dérèglement climatique. Pour cela, nous avons dû composer avec les pratiques archivistiques des deux sources. Alors que les archives de SER permettent de remonter à 2003 (date de création de la revue), les archives digitales de SASE ne commencent qu’en 2010 (alors que la société a été créée en 1989). Ces dernières ont aussi montré d’autres incohérences, notamment (1) l’absence d’archives pour la conférence de 2011 et (2) des changements de fournisseurs de services numériques qui ont entraîné des trous dans l’archivage de certains résumés pendant les premières années. Nous avons aussi limité certains biais en faisant usage d’une large palette de mots-clés, notamment pour identifier les titres où le « climat » n’était pas explicitement mentionné mais tout de même mobilisé comme élément de cadrage de l’argument principal [3]. Nous avons ensuite analysé à la main les résultats, écarté les propositions non pertinentes et ainsi constitué notre « corpus climatique » [4].
5Nous avons procédé de même avec les articles de SER, mais en restreignant la requête aux éléments des rubriques « articles de recherche » et « discussions » (et en excluant, notamment, les recensions d’ouvrage). Seuls trois articles de SER font mention du dérèglement climatique avant 2010 ; afin d’assurer la comparabilité entre les corpus, nous avons donc décidé de les exclure de l’analyse. Le graphique 1 illustre l’évolution du nombre de papiers faisant mention du dérèglement climatique dans les archives de SASE et SER.
Graphique 1. Nombre de mentions du dérèglement climatique dans les articles de SASE et SER (2010–2020)
Graphique 1. Nombre de mentions du dérèglement climatique dans les articles de SASE et SER (2010–2020)
6Les données témoignent de l’intérêt croissant porté à la thématique du dérèglement climatique par les participants et participantes des conférences de SASE, alors que la tendance est plus équivoque en ce qui concerne SER. En proportion, moins d’1 % des papiers présentés à SASE en 2010 touchaient de près ou de loin à la question du dérèglement climatique (trois parmi 413 communications). En 2014, cela concernait à peu près 1 % des communications, pour doubler et atteindre 2 % en 2016. En 2020, le dérèglement climatique était discuté, même marginalement, dans au moins 3 % des interventions. Si la tendance est à la hausse, elle reste tout de même décevante. Elle montre le peu d’engagement de la sociologie économique pour une thématique qui, depuis 2009, a tout de même donné lieu au lancement d’un marché réglementaire d’émissions de gaz à effet de serre (au succès limité), qui est au cœur de grandes batailles législatives aux États-Unis (et de nombreuses régulations étatiques fructueuses), et qui suscite une multitude de pressions de lobby, d’actions en justice et de mobilisations sur l’ensemble de la planète. Autrement dit, malgré le fait que le climat soit un problème de politique économique établi depuis 2009, SASE tout comme SER ne semblent pas encore vraiment refléter cet état de fait.
2. Catégoriser les sujets climatiques de la sociologie économique
7Malgré tout, ces éléments suggèrent que la sociologie économique est équipée pour contribuer à la clarification et à la critique des transformations sociales contemporaines liées à la question du climat. Pour éclairer cela, nous avons exploré le corpus afin d’observer la façon dont les communications de SASE et les articles de SER ont traité le sujet jusqu’à maintenant. L’analyse qui suit distingue les données de chaque source, afin de se focaliser sur les particularités de l’une puis de l’autre.
2.1. SASE
8Pour appréhender les aspects du dérèglement climatique traités dans les sessions de SASE, et comment ils évoluent dans le temps, nous avons évalué toutes les communications et les résumés de la base de données, et nous les avons catégorisés en thématiques plus larges. Afin de nous prémunir de biais personnels dans le travail de catégorisation, nous avons cherché à atteindre un certain niveau de « intercoder reliability » [O’Connor, Joffe, 2020], c’est-à-dire de fiabilité interpersonnelle : de façon indépendante, chacun d’entre nous a codé les communications de la base de données, ce qui a ensuite permis de comparer et discuter nos choix respectifs jusqu’à produire un ensemble de catégories qui faisait consensus. Nous avons alors reclassé les papiers, à nouveau de façon indépendante, en utilisant la catégorisation consensus, puis conduit une dernière étape de vérification de la fiabilité en discutant les variations entre les deux classements individuels, jusqu’à arriver à un accord mutuel sur la répartition des papiers par catégorie. Pendant ce travail, nous avons cherché à favoriser les catégories qui permettaient de refléter la dimension la plus saillante du dérèglement climatique traitée dans chaque communication. Par exemple, un papier traitant de petites installations solaires en Afrique du Sud et un papier sur les régimes d’innovation en Allemagne ont été tous deux classés dans « innovation et transition énergétique » plutôt que dans des catégories telles que « changements d’échelle » ou « orientations méthodologiques », entre autres possibilités.
9Un autre élément à signaler dans la base de données est l’existence de ce qu’on peut appeler des « caméos [5] climatiques », c’est-à-dire des cas où le dérèglement climatique est uniquement mentionné de façon ponctuelle dans un résumé, généralement comme illustration d’un grand défi sociétal ou d’une crise à laquelle font face les sociétés contemporaines. Par exemple une communication de 2020 intitulée « Will Robots Take your Jobs ? The Workers’ Point of View » commence ainsi : « Nous faisons actuellement l’expérience de plusieurs évolutions : dérèglement climatique, contraction démographique, mondialisation, diffusion de la numérisation » [6], avant de ne poursuivre par la discussion des impacts de l’automatisation sur le marché du travail, sujet principal de la proposition. Ces « caméos » apparaissent de façon répétée dans la base de données. Cependant parce qu’ils témoignent d’une réflexion par analogie au dérèglement climatique au sein de la sociologie économique, nous avons décidé de les garder dans le corpus de données.
Graphique 2. Catégories du dérèglement climatique dans les communications de SASE (2010–2020)
Graphique 2. Catégories du dérèglement climatique dans les communications de SASE (2010–2020)
10Les résultats de la catégorisation (voir graphique 2) révèlent des tendances (et des lacunes) intéressantes dans la façon dont la sociologie économique traite du dérèglement climatique. Parmi les 150 papiers du corpus, la moitié environ sont regroupés dans quatre des treize catégories constituées, à savoir « innovation et transition énergétique », « climat et finance », « régulation et impacts » et « marchandisation du carbone ». Ces papiers mettent en évidence la façon dont l’attention des sociologues de l’économie envers le dérèglement climatique est particulièrement concentrée sur les avancées technologiques récentes et les initiatives institutionnelles, en lien avec les efforts contemporains de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’augmentation de la production d’énergies renouvelables. Les champs de l’ingénierie et de l’économie, qui ont déjà contribué à de nombreuses innovations politiques et matérielles, structurent largement la façon dont les réponses au dérèglement climatique (et plus largement aux questions environnementales) sont cadrées dans les sociétés contemporaines. La sociologie économique semble s’attacher à une analyse critique de ces innovations, illustrée par le fait que les technologies, les politiques et les marchés concentrent l’attention des chercheurs et chercheuses impliqué.e.s dans ces travaux.
11Les neuf autres catégories concernent des approches alternatives (et parfois opposées) pour penser aux implications économiques et sociales du dérèglement climatique, illustré par les catégories « décroissance et éco-consommation », « mouvements sociaux et activisme », et « acteurs économiques et lobbying ». Les effets sociaux des politiques de dérèglement climatique constituent aussi un angle analytique plus discret qui se traduisent par les catégories de « travail et activité » et « développement et vulnérabilité ». Cette dernière catégorie contient aussi quelques articles centrés sur le rôle joué par le dérèglement climatique en soi – dans le sens de météo extrême, sécheresse et insécurité alimentaire – dans l’intensification de vulnérabilités sociales préexistantes dans les Sud. Le thème de la vulnérabilité est aussi traité dans les économies développées par un groupe de textes portant sur « risque, assurance et adaptation » qui se saisissent de ces sujets à travers la gestion des dangers, les transferts de risques et les investissements en infrastructures. Enfin, quelques articles se penchent sur des aspects macro-théoriques, tels que ce que le dérèglement climatique révèle quant aux dimensions d’« économie politique et ordres sociaux » du capitalisme, et une autre catégorie qui examine les « temporalités » divergentes entre les cycles économiques et politiques et les horizons, à moyen et long terme, de la crise climatique.
2.2. SER
12Les articles publiés dans SER donnent un point de vue parallèle sur l’évolution de l’intérêt des sociologues de l’économie pour le dérèglement climatique. Sur les 26 articles qui mentionnent au moins une fois le dérèglement climatique, une petite moitié (12) traite le sujet de façon plus développée qu’un simple « caméo ». Étant donné le nombre réduit d’articles, il ne nous est pas apparu nécessaire de construire une catégorisation plus poussée. Le premier article du corpus qui discute explicitement le dérèglement climatique est celui de Fred Block intitulé « Crises et renouveau : les contours d’un New Deal au XXIe siècle » (traduction des auteurs), où Block soulève des questions centrales (notamment aux vues des discussions politiques contemporaines aux USA) au sujet du capitalisme, du changement et de l’État social [Block, 2011]. Les articles qui suivent, cependant, utilisent plutôt le dérèglement climatique de façon illustrative pour dépeindre une crise, ou le discutent dans le contexte d’initiatives de Responsabilité Sociale des Entreprises. En 2016, Craig Calhoun revient sur les thèmes évoqués par Block dans la discussion de l’article « Le futur du capitalisme » [Streeck et al., 2016] et les numéros suivants de SER entre 2017 et 2020 comprennent quelques articles empiriques relatifs à trois thèmes : (1) des études d’innovations institutionnelles en lien avec la transition énergétique ; (2) des études de l’impact des mouvements sociaux sur les pratiques entrepreneuriales et des politiques économiques liées au dérèglement climatique ; et (3) un article qui évoque les conséquences économiques potentielles des impacts climatiques à travers l’analyse d’assurance contre les catastrophes.
3. À l’avenir
13Que nous dit cet exercice des directions que pourrait prendre la sociologie économique ? Alors que les sociétés contemporaines semblent de plus en plus sensibles à la dure réalité du dérèglement climatique, mais aussi coincées entre la promesse de politiques transformatives et les doutes quant à leurs résultats, il est encourageant de voir un intérêt croissant – mais encore timide – pour la thématique parmi les membres de SASE. Cela nous invite aussi à réfléchir comment une « sociologie économique de l’environnement » pourrait contribuer au renouvellement des réflexions sur les enchevêtrements croissants entre les systèmes socioéconomiques et le système terre, en si rapide évolution.
14Notre « audit » suggère qu’il y a actuellement au sein de la sociologie économique deux tendances dans les travaux qui traitent de l’action climatique, l’une centrée sur les réponses institutionnelles à la crise climatique et l’autre, plus marginale, relative à la décroissance et aux alternatives au capitalisme. Alors que nous sommes largement convaincus de la nécessité d’analyser les propositions institutionnelles fondées sur les champs de l’économie et des sciences de l’ingénieur, il nous semble aussi que davantage d’attention pourrait être portée aux domaines hétérodoxes de la sociologie économique, c’est-à-dire aux recherches sur l’économie circulaire, la redistribution, l’économie du don, les solidarités locales [Reichel, Perey, 2018 ; Hickel, Kallis, 2020 ; Corlet-Walker et al., 2021]. Les outils de la sociologie économique pourraient être ajustés à des questions relatives à l’émergence de logiques productives alternatives et, en outre, aider à identifier (et imaginer) les opérations par lesquelles les économies locales peuvent se ré-encastrer dans l’environnement biophysique. En explorant ces directions, le dérèglement climatique offre aussi à la sociologie économique un moyen de renouveler ses propres sources de critique et de réflexivité, une voie largement suggérée par un penseur tel qu’Ulrich Beck [2014 ; 2016]. Autrement dit, plutôt que de suivre à l’ombre des projections économiques, ou attendre le passage d’une politique, la sociologie économique pourrait contribuer à une pensée plus prospective et plus distinctive.
15Nos catégorisations révèlent aussi que plusieurs thématiques de recherche, bien que présentes dans les discussions scientifiques, sont encore largement sous-représentées. Au sein du champ émergent des sciences de l’attribution, un nombre croissant de travaux montre que le dérèglement climatique entraine des pertes économiques grandissantes du fait de l’exacerbation d’évènements climatiques extrêmes [Herring et al., 2021]. Malgré ces signaux, le thème de « risque, assurance et adaptation » ne comprend que 7 % de l’ensemble des recherches du corpus. Alors que les prévisions de dépenses relatives à l’adaptation et à la résilience montrent la croissance des dépenses publiques et privées [Reidmiller et al., 2018 ; Goldstein et al., 2018], l’économie politique de la protection climatique, encore émergente, semble être en besoin urgent de plus nombreuses analyses.
16Les chercheurs et chercheuses d’autres disciplines des sciences sociales, de l’aménagement urbain à la santé publique et l’économie, se penchent sur les nombreux risques climatiques, tels que les difficultés financières des propriétaires immobiliers et des municipalités [Shi, Varuzzo, 2020 ; Keenan, Bradt, 2020] et les implications de la chaleur sur les marchés du travail et le capital humain [Park et al., 2020 ; Flouris et al., 2018], pour n'en citer que quelques uns. Un autre domaine d’expertise sur lequel il semble opportun de se pencher est la privatisation croissante de l’analyse des risques, où les asymétries dans le pouvoir de prévision peuvent contraindre les futurs économiques pour les moins dotés en compétences analytiques (c’est-à-dire les assurés, les agriculteurs, ou encore les créanciers publics), et avoir des effets néfastes sur les impacts climatiques eux-mêmes [Fielder et al., 2021 ; Gray, 2020 ; Flavelle, 2020]. À ce stade, les lecteurs et les lectrices auront certainement d’autres idées qui leur viendront en tête ; la sociologie économique a encore beaucoup à apporter à ces considérations.
17Comment renforcer les espaces de réflexion dédiés à une sociologie économique engagée dans la question du dérèglement climatique ? Les données collectées suggèrent que, a minima au sein de SASE, les mini-conférences concentrent les propositions sur le dérèglement climatique : environ 40 % des papiers du corpus ont été proposés à des mini-conférences thématiques. En 2020, une mini-conférence co-organisée par une des auteurs de cet article (S. Barral) a accueilli 17 communications sur le climat, et une autre, co-organisée en 2021 par les deux auteurs (et quatre co-organisateurs) a rassemblé 22 communications traitant du dérèglement climatique (pour un total de 35 soumissions). En regardant rapidement le programme de SASE 2021 (tout juste sorti quand cette étude partait à l’impression), on observe une place croissante prise par le sujet : 47 communications font mention du dérèglement climatique, et douze des 17 réseaux qui structurent la société savante avaient au moins un papier y référant dans leur programme, ainsi que neuf mini-conférences sur un total de quinze. Le temps serait-il venu pour la création d’un réseau SASE sur la vie économique du dérèglement climatique ? Ou plus largement sur les transformations éco-sociales ? Que cela fasse sens ou non, nous espérons que les recherches sur le climat continueront à grandir au sein de SASE. Les conférences, bien entendu, aident à centrer l’attention sur de nouveaux sujets ; il nous semble aussi important d’agir plus en amont (par la formation et le financement de thèses), en aval (en sollicitant des éditeurs pour publier sur le sujet) et de façon plus large à travers des collaborations avec d’autres disciplines. La crise climatique est trop grave pour s’y attaquer selon des voies disciplinaires isolées : une pluralité d’approches, même au sein de la sociologie économique, se montre nécessaire.
Bibliographie
Bibliographie
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Notes
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[1]
Les auteurs remercient Anita Engels et l’ensemble du comité éditorial de la newsletter ainsi que Jean-Philippe Cointet et Cécile Mounier pour leur aide sur la conception graphique.
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[2]
SER apparaît au sixième rang dans le classement des revues de sociologie par le Social Science Citations Index de 2020. Ce classement est fondé sur le système de notation des facteurs d’impact du Web of Science et a été récupéré de l’Observatoire de Recherche Internationale ou Observatory of International Research (OOIR) par le lien suivant : https://ooir.org/journals.php ?category=sociology. D’autres classements, tels que celui fondé sur Scopus par Scimago, comprennent les journaux de sociologie et de science politique ; SER apparaît au 33e rang, et devant toutes les autres revues de sociologie économique classées.
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[3]
Les termes de la recherche étaient = « climate change », « global warming », « greenhouse gases », « carbon », « energy », « renewable », « fossil fuel », « green », « environmental », « sustainab* ». Quand nous parlons d’élément de cadrage, nous évoquons par exemple des papiers qui discutent les politiques d’énergie renouvelable qui, bien que le dérèglement climatique n’y soit pas mentionné exactement, sont directement aux prises avec le sujet.
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Les résultats de la recherche des mots-clés « environmental » et « sustainab* » étaient nombreux, et ne recouvrant que partiellement les recherches avec les catégories en lien avec le climat, ce qui donnait un aperçu des thématiques associées, proches mais tout de même différentes (concurrentes et parfois excédant celles mentionnant le dérèglement climatique), à la croisée entre l’économie et l’environnement. Nous ne traitons pas de ces papiers dans cette courte analyse.
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[5]
Au sens premier, un « caméo » désigne l’apparition éclair d’une personnalité incarnant son propre rôle dans le monde du théâtre ou du cinéma.
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Traduction des auteurs.