Notes
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[1]
Nous tenons à remercier les rapporteurs de cet article pour leurs lectures approfondies et argumentées. Leurs remarques très constructives ont permis d’améliorer profondément ce travail.
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[2]
Les propos et opinions exprimées dans cet article n’engagent que les auteurs.
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[3]
Forum pour d’autres indicateurs de richesse.
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[4]
2005 pour la première édition de l’ouvrage.
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[5]
Ce terme est issu des travaux de J. Dewey, nous l’explicitons par la suite.
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[6]
Valuation studies : http://valuationstudies.liu.se/.
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[7]
Tous les documents afférents à ce projet de recherche peuvent être consultés sur le site de l’ONG PEKEA : http://www.pekea-fr.org/isbet.html.
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[8]
Voir Combe [2012, p. 23]. Par exemple en Wallonie une 4e question pour définir le bien-être a été ajoutée : qu’êtes-vous prêt(e) à faire pour garantir le bien-être des générations futures ? De même nous avions initié le recours à une enquête pour renseigner les indicateurs, jusque-là on recherchait des indicateurs déjà existants se rapprochant des indicateurs de situation (des « proxys »).
-
[9]
Sur un territoire, des groupes (une dizaine de personnes) ont été constitués, à la fois sur la base de réunions publiques ouvertes à tous organisées en différents lieux et sur la base de groupes « homogènes » (personnes âgées en maison de retraite, chefs d’entreprises, jeunes en insertion, etc.) pour éviter de trop forts biais participatifs. Chaque groupe traite séparément des trois questions posées, puis les groupes (ou des porte-parole de ceux-ci) sont rassemblés pour définir des « dimensions partagées » au niveau d’un territoire (ou d’un lieu de vie comme un collège, une entreprise…).
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[10]
Entendu ici comme « sans intermédiaire », sans médiation.
-
[11]
Des participants ont souligné la charge émotionnelle suscitée par la réponse aux trois questions [Combe, 2012, p. 25].
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[12]
L’expression est empruntée à J. Dewey [1993 (1938)].
-
[13]
Institut wallon d’études prospectives et statistiques.
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[14]
Analyse de similitude, réalisée avec le logiciel libre IRaMuTeQ.
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[15]
L’économiste J.R. Commons envisageait une transaction comme un « processus d’évaluation conjointe ». On peut définir une transaction comme une relation au cours de laquelle les acteurs impliqués sont amenés à mobiliser et à (re)définir leur identité, à définir une situation, à échanger et créer de la valeur, à négocier, à générer des compromis et des formes d’accommodation mutuelles et à s’inscrire dans des réseaux de réciprocités et d’engagements mutuels [Renault, 2009].
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[16]
Hutter et Stark distinguent situation et setting, qui peut être traduit par contexte, cadre, environnement, entendu au sens de quelque chose de « donné ».
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[17]
Cette délibération peut être initialement « intérieure », sans forcément qu’il y ait un dialogue au sens strict avec les autres, l’individu pouvant intérieurement « jouer des rôles » en interprétant la situation (notion de « répétition théâtrale » (dramatic rehearsal)) [Dewey, 1922, p. 190].
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[18]
Pour J. Zask : « Un public est l’ensemble des gens ayant un plein accès aux données concernant les affaires qui les concernent, formant des jugements communs quant à la conduite à tenir sur la base de ces données et jouissant de la possibilité de manifester ouvertement ses jugements » [Zask, 2008a, p. 177]. Pour Dewey, parlant du public : « […] ceux qui sont indirectement et sérieusement affectés en bien ou en mal forment un groupe suffisamment distinctif pour requérir une reconnaissance et un nom » [2003b (1927), p. 76].
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[19]
Dans notre expérience, nous avons transformé les indicateurs de situations en un questionnaire qui a été administré sur les territoires, nous avons abouti ainsi à une forme de « mesure ».
1 – Introduction [1]
1Le Vocabulaire technique et critique de la philosophie rappelle l’opposition entre qualitatif et quantitatif, les « aspects sensibles » ne se prêtant pas à des « déterminations géométriques ou quantitatives » [Lalande, 1991 (1926), p. 864]. Quantifier la qualité apparaît donc comme un oxymore alors même que les initiatives en ce sens se multiplient, notamment quand il s’agit de mettre en nombre la « qualité de vie », le « bien-être » ou encore le « bonheur ». Le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (SSF pour la suite) avait ainsi souligné l’enjeu d’une telle mise en nombre, l’érigeant en un « message clé » et un « thème unificateur » [SSF, 2009, p. 13]. Des territoires et des collectivités de tout niveau se sont aujourd’hui appropriés cette volonté de prendre en « comptes » des aspects qualitatifs [Offredi, Laffut, 2013]. Cependant, ce que laisse dans l’ombre le rapport de la commission SSF concerne la nature même du processus de quantification, notamment quand celui-ci concerne le monde sensible des qualités dont les individus font l’expérience. Ce dernier point se réfère entre autres aux « modèles politiques de la quantification » [Boulanger, 2007], eux-mêmes en relation avec des modalités différenciées pour élaborer des politiques publiques.
2Traditionnellement, les processus de quantification étaient réservés à des experts. Cependant, la nécessité d’associer les citoyens aux processus de quantification est de plus en plus revendiquée, notamment parce que cela met en cause les finalités collectives poursuivies [FAIR, 2011]. On peut également penser que s’interroger sur la « qualité de vie », sur ce que signifie « être bien » ou « mieux vivre » – soit des dimensions essentiellement qualitatives – n’est pas de même nature que compter la production de biens matériels. De ce point de vue, si l’avoir, la possession de biens, se prête à la quantification, l’être, la qualité de l’existence, exige a minima une construction préalable des modalités de cette quantification. De nombreuses initiatives cherchent ainsi à associer les citoyens dans le cadre de démarches « participatives » ou « délibératives » [CoE, 2010 ; Leroy, Ottaviani, 2015 ; Rondinella et al., 2016] sur des espaces de proximité [Jany-Catrice, 2016, p. 69]. Elles sont caractérisées par une très grande diversité, tant sur le plan de la méthode adoptée que du degré d’association des citoyens [Le Roy, Ottaviani, 2015]. Concernant ce dernier point, la méthodologie SPIRAL (Societal Progress Indicators and Responsibilities for All), élaborée par la division de la cohésion sociale du Conseil de l’Europe (CoE pour la suite) et appliquée sur de nombreux territoires, apparaît comme l’une de celles allant le plus loin dans l’association des citoyens à l’élaboration d’indicateurs de bien-être. Ses fondements épistémologiques et méthodologiques demeurent cependant largement sous-documentés, comme c’est d’ailleurs le cas pour de nombreux processus « participatifs » [Perret, 2003 ; Offredi, Laffut, 2013].
3Notre article aura pour vocation de présenter une lecture, inspirée par la philosophie pragmatique, de la méthodologie SPIRAL [2], et plus précisément d’expérimentations de cette méthode sur des territoires, ou lieux de vie, en Bretagne. Il s’agira de mettre en perspective des partis pris méthodologiques avec des postulats et des hypothèses issus du pragmatisme en escomptant un gain d’éclairage mutuel, tant sur le versant des idées que de leur mise en œuvre. Ce faisant, il s’agira également de donner un cadre au « bricolage » [Jany-Catrice, 2016, p. 72] souvent inhérent aux procédures participatives, en portant un regard a posteriori sur des expérimentations. Notre lecture sera structurée à partir de l’ouvrage de John Dewey La formation des valeurs [2011] et de travaux se référant au pragmatisme, pour rendre intelligibles les questions liées à l’articulation entre quantification et participation [Boulanger, 2004, 2014 ; Bidet, 2008 ; Bidet et al., 2011 ; Hache, 2011 ; Renault, 2012, 2016 ; Cottereau, 2015]. Pour J. Dewey, le processus de formation des valeurs – qui amène à déterminer ce qui compte, ce qui « vaut » – comporte trois séquences successives permettant de décrire le processus par lequel les principaux concernés :
- disent ce « à quoi ils tiennent » [Hache, 2011], c’est-à-dire « conviennent » et « définissent » ce qu’est le bien-être pour eux ;
- élucident les causes et effets des faits/objets générateurs de mal-être, de dysfonctionnement, d’insatisfaction…, c’est-à-dire « évaluent » et « mesurent », ce qui renvoie à la mise en forme d’indicateurs de situation ;
- explorent les possibilités offertes par la situation considérée pour déterminer des finalités et les moyens adaptés pour résoudre la situation problématique, c’est-à-dire élaborent des solutions, des plans, des politiques…
4Nous reprendrons successivement ces trois points, qui constituent également trois phases de l’« enquête » selon Dewey, pour articuler une lecture, une « reconstruction » [Dewey, 2003a (1920)] des expérimentations de la méthodologie SPIRAL que nous avons menées.
2 – Dire ce à quoi nous tenons : définir le bien-être
5La volonté d’associer les citoyens aux processus de quantification pour identifier « ce qui compte » soulève des enjeux épistémologiques et théoriques d’un côté, opérationnels et pratiques de l’autre.
2.1 – Des enjeux multiples
6Le collectif FAIR [3], à la suite de travaux comme ceux de D. Meda [1999], P. Viveret [2002], J. Gadrey et F. Jany-Catrice [2016] [4], a affirmé qu’il convenait, préalablement à l’élaboration d’indicateurs, de mettre en question ce qu’une société considère comme des richesses, des biens communs, autrement dit, de s’interroger sur ce qui compte [FAIR, 2011]. Cela revient à s’intéresser à la « qualification » autant qu’à la « mesure » [Desrosières, 2008]. Ces interrogations s’inscrivent dans un contexte de remise en cause du PIB (ou de ses « proxys ») comme unique mesure de la richesse polarisant les choix politiques faits par les sociétés et leurs gouvernants. Il en résulte la volonté de reconnaître qu’il existe une pluralité de points de vue légitimes pour appréhender ce qui compte [Perret, 2003, p. 273-274], ce qu’est être bien, au-delà des seuls experts, justifiant les appels à la délibération citoyenne. Évoquant les fondements de son approche pragmatiste de ce qui compte, A. Cottereau précise que l’un des enjeux épistémologiques d’une telle démarche consiste à opérer un déplacement : passer de la « richesse des nations » au « bien-être des populations ». En conséquence : « Une science économique ne devrait pas ignorer que les plus compétents pour savoir ce qu’est “être bien” sont, en premier lieu, les intéressés eux-mêmes et non pas les conseillers du prince » [Cottereau, 2015]. Cela nécessite d’interroger ce que l’économie doit quantifier, c’est-à-dire peut-être moins des quantités que des qualités, moins des objets que des passions, des attachements, des relations [Hache, 2011, p. 112]. J. Dewey soulignait aussi que la mesure assume d’abord une forme qualitative répondant à la finalité à atteindre [Dewey, 1993 (1938), p. 280-281].
7Sur le plan analytique, beaucoup de travaux traitant des questions liées à la quantification se placent dans le cadre d’épistémologies constructivistes, que ce soit l’économie des conventions [Jany-Catrice, 2012] ou encore la sociologie de la quantification [Desrosières, 2008]. Plus récemment, les études des processus de « valuation » [5], symbolisées par le lancement d’une revue dédiée en 2013 [6], se réfèrent à une épistémologie pragmatique, issue notamment des travaux de J. Dewey, pour appréhender la mise en nombre de la réalité. L’approche de Dewey semble en effet particulièrement pertinente pour établir une connexion entre les aspects cognitifs et affectifs, intellectuels et émotionnels, qui apparaissent au cœur des processus amenant à compter ce qui compte [Vatin, 2013].
8Associer les « intéressés eux-mêmes » aux processus de quantification impose de s’interroger sur les procédures pour transformer une volonté louable en démarches opératoires. On observe en effet une grande diversité de procédures qui ont pu être mobilisées sur différents territoires : consultations, questionnaires, forums hybrides, conférences de citoyens… [Le Roy, Ottaviani, 2015]. Ces procédures ne sont pas neutres, le degré d’association des citoyens peut apparaître très variable et elles soulèvent parfois des interrogations et des doutes [Lefebvre, 2013]. L’articulation entre quantification et participation doit donc être outillée, c’est ce qui fait l’intérêt de la méthode SPIRAL que nous avons expérimentée.
2.2 – Qu’est-ce que le bien-être : la méthodologie SPIRAL
9La méthode SPIRAL a été déployée dans le cadre d’un projet de recherche-action, ISBET (Indicateurs sociétaux de bien-être territorialisés), financé par le Conseil régional de Bretagne, qui a comporté trois phases : une première phase consacrée à la territorialisation d’indicateurs synthétiques alternatifs (Indice de développement humain et Indicateur de santé sociale) ; une deuxième phase – à laquelle nous nous référons ici – a été consacrée à l’élaboration d’indicateurs de situation avec les citoyens en adaptant la méthodologie SPIRAL. Nous avons appliqué cette méthode sur deux territoires d’expérimentation (des communautés de communes) en Bretagne pour lesquels des indicateurs de bien-être ont été élaborés de façon participative. La troisième phase a été consacrée à une réflexion critique et théorique sur les enseignements tirés de ce projet [7]. Nous avons également adapté cette méthode pour appréhender le bien-être des jeunes dans le cadre de lycées et de collèges. Ce projet de recherche-action a été baptisé COREBE (Coresponsabilité et bien-être), nous y ferons aussi référence ponctuellement.
10La méthode SPIRAL a été initiée dans le cadre de la stratégie de cohésion sociale entendue par le CoE [2005] comme « la capacité de la société à assurer de façon durable le bien-être de tous ses membres ». Elle constitue un instrument pour qualifier le bien-être et élaborer des actions et des politiques permettant de l’atteindre, selon une logique de coresponsabilité [Combe, 2012].
11Il s’agit d’associer des individus et des communautés, pour mener conjointement un travail d’objectivation de la notion de bien-être, en prenant en compte la singularité et la pluralité des définitions des participants. L’objectif est d’arriver à une vision partagée du bien-être, du progrès social, dans un espace défini, lieu de vie ou territoire. Ainsi, on ne se contente pas d’agréger des opinions individuelles supposées déjà formées et bien identifiées, mais l’enjeu est de les mettre en débat, de les discuter, et donc de les modifier. Selon la grille de lecture pragmatiste de G.H. Mead [1963 (1934)], la méthode engage les acteurs dans un processus de « mise en perspective », puisque la création d’un espace public de dialogue force les individus à se placer, au moins partiellement, dans la perspective de l’autre, à la place de l’autre. Les questions du bien-être, du progrès, de la cohésion sociale, ne sont donc plus des questions individuelles, mais des questions communes. Comme le soulignait J. Dewey [1975 (1916), p. 18], la proximité entre les mots commun, communauté, communication… n’est pas un hasard, mais révèle la nature même de la socialité, de ce qui fait d’une somme de « je » un « nous ». Le langage et les processus communicationnels sont ainsi essentiels et c’est cela qu’il semble nécessaire d’appréhender. Cela fait aussi écho aux propos de P.-M. Boulanger [2004, p. 14] selon lesquels les indicateurs sociétaux peuvent remplir trois fonctions : une fonction de base d’information pour la prise de décision politique tout d’abord, une fonction d’évaluation ou d’audit, interne et/ou externe ensuite, et enfin ils « […] peuvent aussi constituer des éléments de la définition collective d’un monde commun […], voire d’un bien commun (buts à atteindre, normes à respecter) et des moyens de l’atteindre (mesure du bien-être) ». C’est vers cela que tend la méthode du CoE. Les différentes étapes suivies sont résumées dans le tableau 1, nous en détaillerons certains aspects dans les développements. Il faut noter que la méthode du CoE apparaît comme largement empirique, même si des fondements éthiques peuvent être identifiés. De plus, elle se nourrit des différentes expérimentations dont elle intègre les adaptations. Les applications diffèrent donc parfois sensiblement du fait d’un contexte local particulier et/ou de finalités différentes [8].
12La première étape de la méthode s’attache à définir le bien-être. On pose ainsi trois questions simples à des groupes [9] de participants qui y répondent individuellement sur des post-it© :
- qu’est-ce que le bien-être pour vous ?
- qu’est-ce que le mal-être pour vous ?
- que faites-vous ou qu’êtes-vous prêt à faire pour que les choses aillent mieux ?
13Chaque réponse (post-it©) est considérée comme un « critère » (voir tableau 1).
Un résumé de la méthode SPIRAL appliquée dans le cadre du projet ISBET
Un résumé de la méthode SPIRAL appliquée dans le cadre du projet ISBET
2.3 – Ce qui compte : une approche pragmatique de la valuation
14Selon une lecture pragmatique, nous sommes initialement dans le cadre de l’immédiateté [10] [Dewey, 2011]. Cela renvoie aux émotions, aux affects, aux impressions immédiates [11]. En reprenant la métaphore utilisée par J. Dewey, cela peut être illustré par « j’aime ce tableau », ce qu’il appelle « priser ». Par la méthode des post-it© on révèle ainsi un monde personnel d’appréciations. Celles-ci ne sont pas des jugements, des « évaluations », mais des « valuations ». Avec « priser », qui est de l’ordre de l’immédiat, « on met l’accent sur quelque chose en référence à une personne définie » [ibid., p. 74 – nous soulignons]. La valuation renvoie à une attribution spontanée de valeur. Par ce processus, « un élément de l’expérience prend valeur, importance, pour l’organisme humain » [Bidet, 2008, p. 212]. Il s’agit donc de définir « ce qui compte » pour soi. Dans le cadre du projet COREBE, nous nous sommes inspirés à la fois de la méthodologie SPIRAL et de l’approche pragmatique pour appréhender le bien-être/mal-être de collégiens, notamment dans le cadre d’un établissement d’enseignement adapté (un internat). Nous avons reconstitué leur parcours durant une journée d’école, depuis le lever jusqu’au coucher, en leur demandant d’appliquer des émoticônes (sourire, grimace…) sur les différents moments/lieux prisés ou rejetés. Cette séquence permet le recueil d’impressions immédiates (j’aime/je n’aime pas) qui ont ensuite fait l’objet d’un approfondissement pour mettre en question ces impressions premières.
15La philosophie de Dewey établit un lien étroit entre les états de bien-être et de mal-être et la formation des valeurs, c’est-à-dire de « ce qui compte » pour une personne. Une valeur, avant d’être une notion abstraite (liberté, égalité, etc.), est un fait. C’est quelque chose qui survient dans le cours de l’action, qui le perturbe, une « dissonance » [Hutter, Stark, 2015]. Ce fait interpelle, pose problème, puisqu’il dérange la réalité courante. Selon Dewey, tout fait social, tout événement, dispose lors de sa survenue d’une triple dimension : affectivo-motrice, intellectuelle et idéationnelle. Il est composé d’affects positifs ou négatifs, incarnant la valeur (positive ou négative) que la personne lui attribue (j’aime/je n’aime pas), de comportements moteurs (mobilisation d’une énergie), de connaissances propres à la situation en rapport avec l’expérience de vie de la personne et, aussi, d’aspiration ou de désir, pour aller dans telle ou telle direction (idées). Pour des collégiens en internat, nous avons pu voir que leur parcours journalier est marqué par une succession d’actions chargées d’affects positifs ou négatifs (se lever, aller aux toilettes, se doucher…), de comportements liés à des connaissances propres à la situation (évitement, stratégies, par exemple pour se doucher en premier) et d’aspirations pour dépasser les affects négatifs ou amplifier les affects positifs (avoir plus de libertés, mais aussi de responsabilités par exemple).
2.4 – Dimensions partagées du bien-être (CoE) et enquête sociale (Dewey)
16La méthode du CoE ne s’arrête pas à cette première séquence de définition singulière et immédiate du bien-être/mal-être. Sur la base des post-it© (les critères), l’objectif est de déterminer des « dimensions partagées du bien-être ». Il s’agit alors d’engager les individus de chaque groupe dans un dialogue, une délibération, autour des différents critères exprimés pour voir ceux qui se ressemblent, renvoient à un même objet ou un même registre, afin de les assembler en « dimensions » [voir tableau 1], engageant les individus dans un processus d’explicitation. On n’en reste donc pas au stade du privé, des émotions individuelles, mais on les rend publiques [Bidet et al., 2011, p. 17]. Par exemple, dans un groupe, une participante avait rédigé le post-it© suivant : « manger du chocolat » (critère du bien-être), fallait-il le mettre avec « manger les légumes de son jardin », soit une dimension liée à l’alimentation ? La réponse fut « non, il s’agit d’un petit plaisir de la vie et il correspond mieux avec “promener son chien” ou “écouter de la musique” ». Sans débats ou discussions, si par exemple quelqu’un d’extérieur au processus avait procédé à ces regroupements, de telles informations sur les attributions de valeur effectuées par chaque individu, sur leurs représentations, seraient demeurées invisibles. Ces dimensions doivent aussi être « nommées », ce qui donne lieu à d’autres controverses et discussions. Cela va donc au-delà d’une simple agrégation d’opinions immédiates, puisqu’elles sont « médiatisées », soumises à un processus d’élucidation, d’explicitation, de reformulation, de mise en relation avec une ou des « situations ». Enfin, il faut noter que dans la méthode SPIRAL les dimensions du bien-être, au-delà de chaque groupe particulier, doivent également être discutées et arrêtées au niveau d’un territoire (ou lieu de vie).
17D’un point de vue pragmatique, « priser » est de l’ordre de l’immédiat ; en revanche la « valuation » comme « évaluation a […] essentiellement trait à une propriété relationnelle des objets […] » [Dewey, 1993(1938), p. 245] et implique une médiation. Dans l’évaluation, l’objet de la valuation est mis en relation avec la situation et les protagonistes qu’elle mobilise, nous sommes alors dans un cadre transactionnel [Dewey, Bentley, 1973 (1949)]. Nous passons de « j’aime ce tableau » à « ce tableau est beau ». Dit autrement, ce processus permet de mettre en évidence ce à quoi nous tenons collectivement [Hache, 2011] et les dimensions du bien-être de la méthode du CoE le matérialisent. Les valuations, dont témoignent les critères, deviennent alors les supports de développements délibératifs. Il s’agit d’une première phase d’évaluation, c’est-à-dire un jugement de valeur fondé sur les connaissances possédées par les acteurs et partagées. Les acteurs sont ainsi engagés dans ce que Dewey [1993 (1938)] qualifie d’« enquête sociale ».
18Chez Dewey [1993 (1938)], cette notion est particulièrement importante. Elle matérialise une situation dans laquelle des acteurs font face à une interrogation, un doute, une incertitude, une indétermination… à la fois sur un plan intellectuel et pratique. S’interroger sur ce qu’est « être bien » est à la fois une question intellectuelle, visant à élucider la nature du bien-être, mais également une question pratique, puisque l’objectif est de trouver des moyens pour « être bien », pour aller mieux. Par cela un problème est « institué ». Une situation n’est pas forcément problématique en soi, elle le devient en étant sujette à un processus d’enquête qui l’institue. Un résumé de la conception de l’enquête chez Dewey est présenté dans l’encadré 1. La plupart des initiatives visant à mettre sur pied de nouveaux indicateurs avec les citoyens engagent ces derniers dans une enquête pour définir ce qui compte [Bidet et al., 2011], mais l’objectif final (la « fin-visée » dirait Dewey) est de transformer réellement les conditions existentielles, de faire qu’il y ait moins d’inégalités, que l’on vive mieux dans un collège, par exemple. Comme le souligne Y. Hallée [2013, p. 64], « la question intellectuelle qui gouverne l’enquête est de savoir quelle sorte d’action la situation requiert pour pouvoir être reconstruite objectivement de façon satisfaisante ». L’objectif de l’enquête est donc pratique et opérationnel : un bonheur mieux ordonné et plus intelligent [Dewey, 2003a (1920)]. Le dialogue et la délibération apparaissent comme des moyens d’y parvenir. La méthode du CoE partage ces orientations en instituant le bien-être comme problème et en engageant des citoyens dans un processus d’enquête à son sujet.
Encadré 1. Les phases de l’enquête chez Dewey [1993 (1938), p. 172-175]
La première phase de l’enquête correspond à l’« institution d’un problème » : « Le premier résultat de la mise en œuvre de l’enquête est que la situation est déclarée problématique. » Il s’agit de transformer une situation existentielle, pré-cognitive, en un problème donnant lieu à des opérations cognitives. Cela correspond à une problématisation.
La seconde phase consiste à définir précisément la situation problématique, à la qualifier, à en identifier les éléments constitutifs, à en comprendre l’histoire. La situation est mise « en observation » par différents moyens (la délibération par exemple). L’observation a pour objet d’organiser les faits qui apparaissent comme des obstacles et des ressources.
La troisième phase correspond à la formulation de solutions potentielles pour résoudre la situation problématique. Le processus d’enquête suggère des « idées » (i.e., des « conséquences anticipées de ce qui arrivera quand certaines opérations seront effectuées ») pour ce faire. Il s’agit notamment de se servir des éléments constitutifs de la situation, des causes et des effets identifiés par l’« observation ».
2.5 – Un « monde habillé de langage » [12]
19S’interroger sur le bien-être ou le mal-être implique une formulation, une mise en mots, d’impressions, de sentiments, d’affects… se référant au monde vécu et expérimenté par les acteurs, soit un univers de qualités. Les critères objectivent ainsi des traces de ce monde vécu à travers des mots ou des petites narrations. Nous disposons donc d’un matériau riche, encore sous-exploité, pour appréhender ce que M. Archer [2003] appelle des « conversations intérieures », quand les individus sont confrontés à la question de définir ce qui compte pour eux, mais aussi lors du dialogue qui s’instaure. Le processus délibératif ouvre ces mots/narrations/qualifications à la discussion collective et les soumet à un processus d’explicitation, de reconstruction, d’attribution, permettant d’élaborer un monde commun. Vouloir prendre en compte un univers de qualités par une mise en nombre implique donc une réflexion sur la nature des données, notamment en relation avec la participation [Boulanger, 2014, p. 25]. Si on considère que ceux qui sont le mieux placés pour dire ce qui compte, ce sont les « intéressés », alors on ne peut se contenter des données institutionnelles et de les prendre comme des sources primaires pour élaborer des indicateurs. Parlant du cas particulier de l’ethnocomptabilité qu’il promeut, A. Cottereau [2015] évoque le fait que les « données » de base ne sont pas des couples prix-quantité mais des « […] relations d’ordre triple opérateurs-évaluations-références d’évaluation ». Il est alors nécessaire de s’intéresser aux individus, à leurs cadres de références, et à la façon dont ils « content », dont ils rendent compte, par le langage, de ce qui compte et comment ils le prennent en compte. J. Dewey critiquait ainsi la considération des valeurs comme « intrinsèques » cela revenant à dire qu’« […] elles ne peuvent dépendre d’aucune relation que ce soit, et certainement pas d’une relation avec les êtres humains » [Dewey, 2011, p. 110-111]. La connexion entre « données » et « relation avec les êtres humains » apparaît aussi comme un enjeu important des méthodologies participatives, notamment celle du CoE.
20Nos travaux, ainsi que ceux menés en Wallonie, mettent en avant la nécessité de mieux prendre en compte ces éléments. Comme le soulignent C. Ruyters et al. [2011, p. 26], les mots et les narrations doivent être considérés comme des signaux porteurs de sens dont on peut analyser – dans un premier temps – la diversité (quantité de mots différents par exemple), la récurrence et la fréquence (nombre d’occurrences d’un mot par exemple) et leurs associations ou appariements [voir encadré 2]. L’analyse sémantique permet ainsi une première forme de reconstruction et d’élucidation d’un processus de formation des valeurs a posteriori. Cela permet aussi de matérialiser des phénomènes d’attribution de sens et de prendre en compte la singularité de ceux-ci selon les individus, les groupes et les lieux. Nos travaux, comme ceux de l’IWEPS [13] (qui a appliqué la méthode SPIRAL sur un très grand nombre de communes wallonnes) montrent que certains items reviennent plus fréquemment dans l’expression des groupes ; ceux liés à des moyens de vie (logement, revenu, formation…), à des valeurs (ouverture et respect vis-à-vis d’autrui, tolérance, entraide et solidarité…) ou à des relations sociales (famille, amitié…) [IWEPS, 2014]. En Wallonie, 16 000 expressions de bien-être/mal-être (critères) émanant de 1 200 participants ont été recueillies. Une application informatique (KIDISTI) a été développée permettant une traçabilité de tout le processus au cours des différentes étapes. Elle permet également de dégager des « unités de sens » à partir des critères exprimés. Par exemple, dans les expressions liées à l’alimentation, certaines sont relatives à des conditions d’accès (disposer d’un budget suffisant pour se nourrir), d’autres sont relatives à un aspect éducatif (apprendre à bien manger, éduquer le goût des enfants) [Ruyters, Laffut, 2013]. Cela constitue un support réflexif supplémentaire pour élaborer des actions. On peut noter que dans le cadre d’une autre expérimentation, le projet Nouveaux indicateurs de richesse (NIR) en Pays de la Loire, l’identification de ce qui compte (les richesses des Pays de la Loire) a également pris comme point de départ des expressions (verbatim) au cours de réunions publiques auxquelles un traitement sémantique a été appliqué.
Encadré 2. Graphe de correspondances pour le bien-être (tous les groupes) concernant un collège – Projet COREBE [14]
21La connexion entre « données » et « participation » remet en cause le caractère homogène des attributions de valeurs qui sont réalisées par l’intermédiaire des indicateurs institutionnels traditionnels censés être valables en tout temps et en tout lieu. Il nous semble en conséquence que cela constitue une voie de recherche prometteuse, même si elle laisse ouverte en l’état la question des représentations et des moyens par lesquels on pourrait les rendre perméables à l’analyse.
3 – Prendre en compte : élaborer des indicateurs
22La méthode SPIRAL permet, selon une lecture pragmatique, de passer des « valuations » à une première phase d’évaluation. Cette phase est poursuivie dans le cadre de l’élaboration d’indicateurs permettant d’élucider et d’objectiver les éléments constitutifs du bien-être. Une telle démarche peut permettre de « quantifier la qualité ».
3.1 – De l’individuel au collectif : mettre en perspective
23De nombreuses méthodes d’appréhension du bonheur ou du bien-être (on peut penser aux grandes enquêtes comme les World Values Surveys ou les European Values Studies, ou à des enquêtes menées par des instituts de sondage) présupposent que les opinions ou préférences sont déjà formées, claires, et qu’il suffit de les dévoiler ou de les découvrir. D’une certaine façon, cela correspond à ce que Dewey appelait une conception « spectatrice de la connaissance » [Dewey, 2003a (1920)], c’est-à-dire une « […] épistémologie qui prend pour hypothèse que la réalité et la vérité préexisteraient à la mesure et seraient simplement dévoilées par elle » [Jany-Catrice, 2012, p. 11]. La méthode du CoE, conformément à une épistémologie pragmatique, ne présuppose pas ces préférences comme données, mais cherche à les constituer progressivement par un processus délibératif et réflexif engageant les individus dans une « enquête ». Cela renvoie également aux approches de la démocratie délibérative fondées sur une rationalité communicationnelle, la communication entre acteurs modifiant leurs préférences [Zografos, Howarth, 2010, p. 3405]. Le concept de transaction [Renault, 2009] [15] met en scène des individus dont les préférences ne sont pas fixes et données, mais qui changent dans le cours des transactions, elles-mêmes en partie contraintes par des réalités de nature structurelle. Les acteurs sont toujours en train de se définir, engagés dans un processus d’individuation [Bidet, 2008, p. 214] qui les met en prise avec un ordre relationnel triple : un acteur, un fait et un univers de référence. L’enquête doit alors « […] repérer et re-déplier ces relations pour les rendre analysables […] » [Cottereau, 2015]. Dit autrement : le bien-être (ou le mal-être) est « situé » et relationnel, et l’enquête doit en identifier les éléments constitutifs. Cela ressort particulièrement lorsqu’on s’intéresse à des lieux de vie plus circonscrits, collèges ou lycées par exemple. Les « sites » de valuation/évaluation apparaissent comme spatialement, temporellement et institutionnellement marqués [Hutter, Stark, 2015, p. 4], ce que nous avons appelé des « moments/lieux » dans le cadre du projet COREBE. L’enquête sociale prend alors appui sur les connaissances intimes, et fréquemment controversées, des protagonistes.
24En engageant les individus dans une « enquête sociale », notamment dans la phase d’élaboration des indicateurs de situation, la méthode SPIRAL permet d’outiller les acteurs pour « prendre en compte ce que les gens prennent en compte » [Cottereau, 2015]. Cela transparaît à travers la volonté d’appréhender le bien-être de tous, qui renvoie par nature à des dimensions sociales. Le bien-être de tous « […] conduit à l’idée qu’il s’agit d’une construction raisonnée, assujettie à des contraintes, à des concertations et à des concessions mutuelles » [Farrell, 2008, p. 16]. Concrètement, sur la base des critères du bien-être/mal-être il s’agit, pour chaque dimension (et/ou sous-dimension), de qualifier avec les « intéressés » ce qu’est une situation « mauvaise », une « situation moyenne », une « situation bonne »… et une situation que l’on voudrait atteindre. En matière de relations sociales, par exemple, comment peut-on qualifier une situation désirable. Cette phase de « qualification », de « définition des situations », renvoie à une logique réflexive dans laquelle les participants s’engagent. Cela implique forcément, à des degrés divers, de se placer dans la perspective de l’autre. La logique de l’enquête – mettant en avant la communication et le dialogue, l’argumentation et la controverse – matérialise bien cela. En effet, pour Dewey, le langage force « […] l’individu à adopter le point de vue des autres individus, à voir et à enquêter d’un point de vue qui n’est pas strictement personnel, mais leur est commun à titre d’“associés” ou de “participants” dans une entreprise commune » [1993 (1938), p. 106]. Les procédures participatives apparaissent alors comme des « formes à perspectives multiples », selon la qualification de J. Bohman [2008].
25L’enquête se déploie selon plusieurs stades [encadré 1]. Le premier correspond à l’institution d’un problème (qu’est-ce que le bien-être ?). Au-delà des critères et de leur regroupement en dimensions partagées, l’élaboration des indicateurs engage les participants dans une seconde phase d’enquête. Au sens de Dewey, il s’agit alors d’identifier les éléments constitutifs d’une situation, d’élucider les causes et effets des faits/objets générateurs de mal-être, de dysfonctionnement, d’insatisfaction, d’indétermination. L’objectif est de transformer une situation « indéterminée » en un problème ayant des composantes définies. Il faut alors qualifier des situations en se fondant sur les connaissances des acteurs.
3.2 – Qualifier des situations
26Toute enquête est située : « Ce que désigne le mot “situation” n’est pas un objet ou un événement isolé ni un ensemble isolé d’objets ou d’événements. Car nous n’expériençons jamais ni ne formons jamais de jugement à propos d’objets et d’événements isolés, mais seulement en connexion avec un tout contextuel. Ce dernier est ce qu’on appelle une “situation” » [Dewey, 1993 (1938), p. 128]. Tout objet ou événement fait partie d’un « monde environnant expériencé », d’une « situation ». Un objet ou un événement n’apparaissent comme saillants que face à un problème d’« utilisation et de jouissance » [ibid.]. La valuation est ainsi rattachée à des « situations existentielles » [Dewey, 2011, p. 93]. On peut faire ici une distinction entre « contexte » et « situation ». La notion de situation s’applique lorsqu’il y a action réciproque entre un acteur et son milieu, l’un et l’autre étant transformés par la transaction [Zask, 2008b, p. 314]. Un « contexte » se réfère simplement à « […] une conformation passive du premier aux conditions du second » [ibid.]. Ce terme tend à évacuer toute référence aux processus de définition/qualification de la situation et donc aux conflits potentiels [Hutter, Stark, 2015, p. 4] [16]. La « définition de la situation » apparaît comme un point important, puisqu’une telle définition n’est pas donnée, mais résulte de l’enquête. Les processus de qualification au cœur de la méthode du CoE, notamment lors de l’élaboration d’indicateurs de situation, articulent de façon opératoire ces éléments dans le cadre de l’enquête dans laquelle s’engagent les participants.
27À ce stade, pour chaque dimension (et/ou sous-dimension), par exemple pour la santé [voir tableau 1], il s’agit pour les participants d’identifier les déterminants d’une situation très mauvaise (niveau 1 de l’indicateur), mauvaise (niveau 2) jusqu’à une situation idéale ou à atteindre (niveau 5). Cette qualification s’effectue en prenant en compte les critères (expressions du bien-être/mal-être) qui ont amené à déterminer cette dimension. Dans le cas présenté dans le tableau 1, on voit que la santé est avant tout liée à des comportements, donc à des actions à mener individuellement (prendre soin de soi, avoir une bonne hygiène de vie, aller voir le médecin, etc.). Il y a alors mise en forme d’un système de causes et effets agissant sur la santé et ouvrant sur une résolution potentielle de la situation problématique. Les participants cherchent donc à identifier les éléments constitutifs de la situation au sens pragmatique évoqué plus haut. Cela fait partie d’une « mise en observation » de la situation qui peut être complétée par le renseignement des indicateurs.
28Pour résumer : la méthodologie du CoE revient à mettre les participants dans une posture où ils sont amenés à élucider et qualifier les causes et effets des éléments générateurs de bien-être/mal-être révélés par le travail d’enquête. Les participants sont placés en position de réflexivité dans le processus de formation des valeurs. Cela consiste notamment en une « mise en dialogue » des situations problématiques par la « convocation » d’autres points de vue dans le cadre de la situation. Par exemple, dans le cas du travail mené dans les collèges, une enquête conjointe a été conduite avec les élèves, mais aussi les professeurs, éducateurs, chercheurs, personnels techniques… Dit autrement, il s’agit de délibérer, notamment en prenant en compte le point de vue des autres par rapport à l’objet de jugement [17].
4 – Élaborer des possibles : la « coresponsabilité » comme moyen pour atteindre le désirable
29La méthode du CoE a moins pour objet de définir des indicateurs que de (re)définir les conditions d’une « réglementation des activités », pour reprendre les termes de J. Dewey, afin de résoudre les « situations problématiques ».
4.1 – Résoudre des situations problématiques
30Définir ce qui compte, ce qu’est le « bien vivre ensemble », offre une occasion de mettre en scène un « public » [18] et de l’outiller pour lui donner les moyens (ou lui permettre de se donner les moyens) de résoudre des « situations problématiques ». Dans les termes de J. Dewey [2011, p. 224], désirer désigne « l’attitude comportementale émergeant lorsque quelque chose nous éloigne temporairement de l’objet que nous chérissons ». Le désir, tel qu’il est défini, appelle à reconfigurer la situation, et l’intérêt désigne « une séquence organisée d’opérations devant reconfigurer un état de choses » [Bidet, 2008, p. 213]. Prendre plaisir (enjoying) désigne alors, dans cette séquence, la phase de satisfaction du désir, le rétablissement de la situation troublée [Dewey, 2011, p. 224]. Le désirable est défini par la situation et par les transactions dans lesquelles les agents sont engagés, les fins ne sont en effet jamais indépendantes des moyens. Il faut donc tenir compte des contraintes sociales, de la nature de la situation. La délibération a pour objet de mettre en question, de comparer, les finalités du point de vue des moyens requis pour les atteindre [Dewey, 2011, p. 116]. Cette délibération implique que les autres individus et la situation soient convoqués dans le cadre d’une « répétition théâtrale » sur la scène mentale, permettant d’anticiper les conséquences des choix de façon raisonnable. La fixation du désirable apparaît comme produit de cette « discussion avec la situation ». Il s’agit notamment de se mettre à la place des autres et de considérer les choses de leur point de vue [Dewey, 1980, p. 130].
4.2 – La coresponsabilité comme méthode
31Dans la méthode du CoE, cela renvoie largement à la notion de « coresponsabilité ». Ce concept signifie que l’on conçoit « […] la responsabilité d’une manière plus collective en fonction des problèmes sociaux émergents […] » [Thirion, 2004, p. 54], on rejette alors la logique consistant à reporter la responsabilité sur d’autres, par exemple des élus. Le principe de coresponsabilité signifie que chacun peut avoir une part à prendre pour atteindre le « désirable » et que l’espace de proximité, territoire ou lieu de vie, constitue le lieu pertinent pour cela [Combe, 2012, p. 10].
32Il faut alors déterminer collectivement des finalités (le désirable) et des moyens pour y parvenir. Il ne s’agit pas d’une idéalisation abstraite, mais de se servir des éléments de la situation, des causes et des effets que révèlent le processus de « qualification », pour améliorer cette situation, définir un « chemin de progrès ». L’élaboration des indicateurs de situation et leur renseignement [19], par une enquête statistique, apparaissent comme des supports pour objectiver (mettre en « observation ») les situations problématiques et suggérer des pistes d’action. Sur chacun des territoires, dans le cadre du projet ISBET, des actions ont ainsi été proposées pour se rapprocher du désirable. Cela n’a pas été fait sur l’ensemble des dimensions/sous-dimensions du bien-être, mais sur les points que l’enquête a révélés comme étant les plus prégnants. Par exemple, sur un territoire, la prise de conscience que certains ne mangeaient pas à leur faim (suite à l’enquête statistique) a généré une proposition consistant à mettre sur pied une épicerie sociale « mobile », sur le modèle des commerçants se déplaçant dans les campagnes. La question de l’accès à l’épicerie sociale, localisée dans une des communes, ayant été identifiée comme une « cause » potentielle du défaut d’accès à l’alimentation. Cela correspond à une troisième phase de l’enquête chez Dewey [encadré 1] qui consiste en la formulation de solutions possibles (moyens), en conséquences anticipées résultant de la mise en œuvre de certaines opérations dans le cadre des situations considérées, pour reconfigurer les situations problématiques (fins).
33Une telle perspective concrétise l’impératif démocratique mis en avant par J. Dewey [2003b (1927)] que partagent la méthodologie SPIRAL et d’autres tentatives menant à la réappropriation des processus de quantification par les citoyens. Ce plaidoyer constant de Dewey en faveur de la démocratie repose sur la volonté d’appréhender des « faits » et de les soumettre à une enquête. La supériorité de la démocratie « en actes » repose sur le fait qu’elle offre – en mettant en avant le dialogue, la communication, le débat – de plus grandes occasions de « mises en perspective » et autorise ainsi à considérer avec plus d’attention, plus de soin, le fait que l’individu et le monde sont engagés dans la situation problématique. Par le dialogue, la discussion, les individus sont amenés à expérimenter des registres d’action, des perspectives, qui leur seraient autrement demeurées étrangères et qu’ils n’auraient pas pu convoquer dans le cours du processus de valuation/évaluation [Bohman, 2008]. Cette mise en perspective nourrit ainsi l’imaginaire entendu comme une projection vers des futurs possibles [Joas, 1999 (1992)]. Cela matérialise également un effort de transformation de soi et du monde dans lequel les individus s’engagent, chez Dewey c’est ce que désigne l’« intérêt » [Bidet et al., 2011, p. 38].
34La démocratie constitue chez J. Dewey une méthode pour résoudre des problèmes concrets qui mettent en jeu ce à quoi nous tenons collectivement. Elle matérialise un appel à s’engager dans la voie de l’intelligence collective, de l’enquête sociale. Les infrastructures formelles ne sont jamais des fins, mais toujours des moyens [Dewey, 2003a (1920), p. 169]. La démocratie, en tant que processus, amène également à considérer qu’il n’y a pas d’absolu ou de « fin finale », mais une reconstruction permanente, une révision flexible. Comme le rappellent A. Bidet et al. [2011, p. 48], la finalité de la démocratie est la participation de chaque individu à la formation des valeurs qui régulent le vivre ensemble. Il nous semble en ce sens que la méthodologie du CoE peut être lue comme une modalité d’opérationnalisation d’une telle orientation. Les situations problématiques que nous rencontrons dans le cours de l’action invitent en effet à « négocier la réalité », à définir ces situations et à « faire des compromis » [Hache, 2011, p. 56]. Le concept de coresponsabilité illustre cette mobilisation de l’intelligence collective en présentant une méthodologie pratique.
5 – Conclusion
35Notre lecture pragmatique de la méthodologie SPIRAL invite donc à repenser la question de la quantification en mettant l’accent sur les processus de qualification, de valuation, qui lui sont préalables. La quantification, en tant que processus, implique la détermination de finalités qui, elles-mêmes, impliquent de déterminer collectivement ce qui « vaut », ce à quoi nous tenons, en tenant compte des moyens pour en « prendre soin ». Les mesures ou les indicateurs – dans une perspective pragmatique – ne sont pas des absolus, les reflets objectifs d’une réalité, mais des instruments, des outils au service de « fins-en-vue-de » (ends-in-view) qu’il faut mettre en question, ce qui implique de s’engager dans une enquête. C’est bien ainsi qu’il faut interpréter les prises de position contre la méthode adoptée par la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi, réservant à des experts, et non à des citoyens, le soin de « dire ce qui vaut » et de déterminer les indicateurs ad hoc.
36Il nous semble ainsi qu’il faut prêter une attention plus grande à d’autres formes de narration, plus qualitatives et ancrées dans l’expérience vécue des individus et des communautés. Nous partageons l’opinion de J. Türk [2009, p. 85] quand il évoque la nécessité pour l’analyse économique de prendre comme « données » les narrations issues, par exemple, d’entretiens qualitatifs pour retrouver une « traction sur le monde ». La méthode proposée par le CoE nous semble permettre d’accéder à un univers de données sensibles de « première main », contrairement aux méthodologies usuelles fondées sur des données de « seconde main », dénuées d’inscription dans des situations vécues, privées de l’historicité, des cheminements, des négociations et des compromis qui en constituent la chair et l’épaisseur concrète.
37Cependant, quantifier les qualités n’est pas sans poser de questions. En effet, une fois le processus achevé, une fois des indicateurs définis, qu’en est-il de leur mise en révision permanente comme le suggérerait une épistémologie pragmatique ? Les processus de généralisation, d’un ensemble de groupes à un territoire dans notre cas, d’un ensemble de communes à la Wallonie tout entière, ne font-ils pas perdre une grande partie de cet univers différencié en l’homogénéisant par des métriques communes ? Il y a là un écart qui mérite d’être pensé, surtout si la finalité est le « bien-être des populations ». De plus, les effets de structuration affectant les procédures participatives tendent à être sous-estimés [Ottaviani, 2015 ; Renault, 2016]. On peut également se demander si la tendance dénoncée par Dewey à considérer les valeurs comme intrinsèques, et donc à oublier les relations avec les humains qu’elles incarnent, ne se manifeste pas de nouveau une fois la phase « participative » achevée… Cela peut se traduire par l’oubli des dimensions narratives liées à la participation, les mécanismes calculatoires utilisés et/ou les modalités du rendre compte finissant par ne laisser à la participation qu’une part limitée. La focalisation sur des mesures quantitatives ne fait-elle alors pas perdre le sens initial des démarches ? Comme l’évoquait J. Dewey [1993 (1938), p. 281], « insister sur la mesure numérique, quand elle n’est pas requise en soi par la conséquence à produire, est une marque de respect pour le rituel de la pratique scientifique aux dépens de sa substance ».
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Mots-clés éditeurs : indicateurs, pragmatisme, bien-être, qualification, quantification, approche transactionnelle, démocratie participative
Date de mise en ligne : 04/12/2017.
https://doi.org/10.3917/rfse.019.0047Notes
-
[1]
Nous tenons à remercier les rapporteurs de cet article pour leurs lectures approfondies et argumentées. Leurs remarques très constructives ont permis d’améliorer profondément ce travail.
-
[2]
Les propos et opinions exprimées dans cet article n’engagent que les auteurs.
-
[3]
Forum pour d’autres indicateurs de richesse.
-
[4]
2005 pour la première édition de l’ouvrage.
-
[5]
Ce terme est issu des travaux de J. Dewey, nous l’explicitons par la suite.
-
[6]
Valuation studies : http://valuationstudies.liu.se/.
-
[7]
Tous les documents afférents à ce projet de recherche peuvent être consultés sur le site de l’ONG PEKEA : http://www.pekea-fr.org/isbet.html.
-
[8]
Voir Combe [2012, p. 23]. Par exemple en Wallonie une 4e question pour définir le bien-être a été ajoutée : qu’êtes-vous prêt(e) à faire pour garantir le bien-être des générations futures ? De même nous avions initié le recours à une enquête pour renseigner les indicateurs, jusque-là on recherchait des indicateurs déjà existants se rapprochant des indicateurs de situation (des « proxys »).
-
[9]
Sur un territoire, des groupes (une dizaine de personnes) ont été constitués, à la fois sur la base de réunions publiques ouvertes à tous organisées en différents lieux et sur la base de groupes « homogènes » (personnes âgées en maison de retraite, chefs d’entreprises, jeunes en insertion, etc.) pour éviter de trop forts biais participatifs. Chaque groupe traite séparément des trois questions posées, puis les groupes (ou des porte-parole de ceux-ci) sont rassemblés pour définir des « dimensions partagées » au niveau d’un territoire (ou d’un lieu de vie comme un collège, une entreprise…).
-
[10]
Entendu ici comme « sans intermédiaire », sans médiation.
-
[11]
Des participants ont souligné la charge émotionnelle suscitée par la réponse aux trois questions [Combe, 2012, p. 25].
-
[12]
L’expression est empruntée à J. Dewey [1993 (1938)].
-
[13]
Institut wallon d’études prospectives et statistiques.
-
[14]
Analyse de similitude, réalisée avec le logiciel libre IRaMuTeQ.
-
[15]
L’économiste J.R. Commons envisageait une transaction comme un « processus d’évaluation conjointe ». On peut définir une transaction comme une relation au cours de laquelle les acteurs impliqués sont amenés à mobiliser et à (re)définir leur identité, à définir une situation, à échanger et créer de la valeur, à négocier, à générer des compromis et des formes d’accommodation mutuelles et à s’inscrire dans des réseaux de réciprocités et d’engagements mutuels [Renault, 2009].
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[16]
Hutter et Stark distinguent situation et setting, qui peut être traduit par contexte, cadre, environnement, entendu au sens de quelque chose de « donné ».
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[17]
Cette délibération peut être initialement « intérieure », sans forcément qu’il y ait un dialogue au sens strict avec les autres, l’individu pouvant intérieurement « jouer des rôles » en interprétant la situation (notion de « répétition théâtrale » (dramatic rehearsal)) [Dewey, 1922, p. 190].
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[18]
Pour J. Zask : « Un public est l’ensemble des gens ayant un plein accès aux données concernant les affaires qui les concernent, formant des jugements communs quant à la conduite à tenir sur la base de ces données et jouissant de la possibilité de manifester ouvertement ses jugements » [Zask, 2008a, p. 177]. Pour Dewey, parlant du public : « […] ceux qui sont indirectement et sérieusement affectés en bien ou en mal forment un groupe suffisamment distinctif pour requérir une reconnaissance et un nom » [2003b (1927), p. 76].
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[19]
Dans notre expérience, nous avons transformé les indicateurs de situations en un questionnaire qui a été administré sur les territoires, nous avons abouti ainsi à une forme de « mesure ».