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Article de revue

Religion et marché : du réductionnisme économique à l’intégration du rôle des croyances

Pages 143 à 161

Notes

  • [1]
    En fait, l’attribution de cette thèse à Hume lui-même est objet de controverses. Quoi qu’il en soit, de nombreux lecteurs de Hume semblent avoir penché pour cette interprétation ; voir McNaughton [1988].
  • [2]
    Nous retrouvons bien sûr ici la logique de la philosophie de l’action élaborée depuis Davidson [2001] : intention-action-responsabilité. Sur ce point, voir par exemple aussi Livet [2005].
  • [3]
    Bien sûr, cette thèse se superpose à ce qu’il est convenu d’appeler la guillotine de Hume [Black, 1970], autrement dit, le fait que l’on ne peut déduire « ought to » de « is ».
  • [4]
    Nous utilisons pour toutes les citations l’édition de 1881 mentionnée en référence.
  • [5]
    Nous ne citons pas ici ces passages un peu longs. Ils se trouvent principalement dans le Livre 5, pp. 91 et 92.
  • [6]
    Cette citation de Smith reflète ce point de vue : le clergé de toute Église établie constitue une immense corporation ; les membres de cette corporation peuvent agir de concert et suivre leurs intérêts sur un même plan et avec un même esprit, autant que s’ils étaient sous la direction d’un seul homme, et très souvent aussi y sont-ils [Livre 5, pp. 82-83].
  • [7]
    Contrairement aux quelques études montrant une relation négative entre la religion et la santé mentale. Étant tautologiques, celles-ci ont utilisé le critère de la religion comme une mesure de santé faible.
  • [8]
    Il y a des pratiques et des convictions religieuses qui peuvent encourager les performances économiques. Par exemple, les comportements relatifs à l’honnêteté, l’éthique du travail, l’épargne ou encore l’ouverture d’esprit vis-à-vis des étrangers.
  • [9]
    Il y a des pratiques et des convictions religieuses qui risquent d’être néfastes pour les performances économiques. Par exemple, les comportements se rapportant au crédit, à l’assurance ou bien à la scolarisation.
  • [10]
    Il s’agit d’une hypothèse qui implique une restriction forte sur la façon dont les biens religieux entrent dans la fonction d’utilité des ménages.
  • [11]
    Dans le modèle standard de l’homo economicus, Favereau [2004] affirme que l’humain est dégradé en du non-humain.
  • [12]
    Il s’agit de régimes de coordination.
  • [13]
    Si les schémas d’interprétation sont élaborés à partir de situations passées et relèvent d’abord de la subjectivité des personnes, ceux-ci sont réactualisés et canalisés par l’expérience (épreuve de réalité). Il existe alors un mouvement de va-et-vient et d’adéquation entre interprétations et expériences, autrement dit entre l’abstrait et le réel présent.
  • [14]
    Dénomination usuelle de l’agent économique qui est doté d’une rationalité standard, c’est-à-dire d’une rationalité substantielle, sans considération éthique et morale.
  • [15]
    Akerlof et Kranton [2000] ont souligné l’importance de la prise en compte de la variable identitaire pour l’analyse économique. Ils considèrent l’identité comme un argument de la fonction d’utilité des individus. L’identité est alors relative aux catégories sociales auxquelles appartiennent les individus. Pour chaque catégorie sociale, il y a un ensemble de prescriptions correspondant à une forme idéale-type de représentation. Pour affirmer son identité, l’individu doit alors se conformer au rôle social attendu par la catégorie à laquelle il appartient. Ainsi, dans l’éducation, plus les étudiants sont déviants vis-à-vis du comportement prescrit par la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent, plus le coût, en termes d’utilité, qu’ils subiront sera important. Ils ont donc intérêt à minimiser la distance entre ce que reflètent leurs actions et ce qui est attendu par la catégorie sociale d’appartenance [Akerlof et Kranton 2002]. De manière générale, les individus ont donc intérêt à se plier aux règles des organisations, ce qui tend à influer sur leur rôle identitaire [Akerlof et Kranton 2005].
  • [16]
    Notre traduction de : « the paradox of self-constitution ». Autrement dit, « How can you constitute yourself, create yourself, unless you are already there? And how can you need to constitute yourself if you are already there? »
  • [17]
    Notre traduction de : « Every human being must make himself into someone in particular, in order to have reasons to act and to live. Carving out a personal identity for which we are responsible is one of the inescapable tasks of human life. »
  • [18]
    Le communautarisme oppose souvent au libéralisme l’idée de soi ancré. L’identité est selon ce courant de pensée nécessairement enracinée à l’intérieur de pratiques sociales avec lesquelles la personne ne peut prendre ses distances. En ce sens, les rôles sociaux constituent des préalables à la délibération personnelle sur le genre de vie que la personne désire mener. Pour une première présentation de ce courant de pensée et son opposition au libéralisme, voir Kymlicka [1992].
  • [19]
    Notre traduction de : « The intimate connection between person and actions does not rest in the fact the action is caused by the most essential part of the person, but rather in the fact that the most essential part of the person is constituted by her actions. »
  • [20]
    Les identités multiples peuvent même dans certains cas provoquer une tension sur l’image que les autres se font de la personne.
  • [21]
    Chaque croyant responsable et libre peut avoir sa propre interprétation du licite et de l’illicite.
  • [22]
    Coran, sourate 02 : La vache, verset 286. Dans le même sens : « Tandis que ceux qui ont cru, effectué les œuvres salutaires…– Nous n’imposons une âme qu’à sa capacité… ceux-là sont les compagnons du Jardin et y sont éternels ». In Coran, sourate 07 : Les redans, verset 42.
  • [23]
    Hadith (n° 1) rapporté par ‘Omar Ibn al-Khattâb.
  • [24]
    La question de la conformité du marché aux intentions ouvre une autre réflexion sur les garanties que l’on trouve sur le marché. Cette question est la suite logique de notre propos. Nous la traiterons dans un article à venir.

1 – Introduction

1Selon Hume [1739], la religion relève des passions de l’homme dans un état premier de développement de la société humaine. Cette conception de la religion est partagée par de nombreux philosophes [Stark et al., 1996]. Plus la société humaine se développe, plus elle serait éduquée, rationnelle, scientifique, plus le lien à la religion serait faible. Peut-être pour cette raison, les économistes ont évité l’étude des comportements religieux soi-disant fondés sur une croyance subjective, un endoctrinement obligatoire et une irrationalité complète. Le sujet de la religion a été entièrement cédé à d’autres disciplines moins engagées sur le choix rationnel. Ainsi, malgré son importance politique, sociale et économique évidente [Barro et McCleary, 2003], la religion a été un sujet largement négligé par les économistes.

2Pourtant, elle a été de façon exceptionnelle considérée comme une production sur le marché des biens dans l’œuvre d’Adam Smith [1776]. Et la pratique religieuse n’est pas un comportement immunisé au calcul rationnel [Stark et al., 1996]. De fait, depuis les années 1970, et spécialement ces dernières années, les économistes (et les sociologues) voient les comportements religieux comme un choix rationnel et non comme une exception à la rationalité. Ils analysent ces comportements au niveau du marché, au niveau collectif (groupes) et au niveau individuel [Iannaccone, 1998].

3À ce titre, l’analyse économique tente, aujourd’hui, d’intégrer la religion et le fait religieux en les considérant comme des phénomènes de marchés dans le marché. Elle évoque la possibilité de l’existence d’un marché de la religion imbriqué dans le marché. L’analyse économique actuelle de la religion est cependant très réductionniste du fait religieux. Cet article vise à dépasser ce réductionnisme en s’appuyant sur l’économie des conventions et la notion d’identité dans la lignée de Ricœur [1990] et Korsgaard [2009].

4Notre propos s’articule en trois sections. Tout d’abord, nous soulignons le réductionnisme du fait religieux en économie (section 2) en rappelant a) le rôle de la pensée de Hume [1739] qui assimile désirs et croyances, ce qui élimine la possibilité de faire jouer un rôle spécifique aux croyances par rapport aux désirs ; b) qu’Adam Smith [1776] pose le cadre qui rend possible l’analyse du fait religieux en économie en réduisant la religion à une production ; c) que conformément aux thèses humienne et smithienne, l’analyse économique contemporaine réintègre la religion via le marché de la religion comme une simple préférence pour un bien religieux.

5Nous défendons ensuite (section 3) que ce réductionnisme peut être dépassé d) en réintégrant la différence entre désirs et croyances, l’enjeu étant alors de souligner que les croyances influencent les comportements ; e) et que la relation entre croyances et comportements s’articule autour des concepts d’intention de l’action. Nous en déduisons une nouvelle analyse du marché des biens religieux qui défend l’idée que f) « les marchés religieux » proposent des biens conformes aux intentions religieuses, de sorte que l’on peut dire qu’ils sont encastrés dans le fait religieux.

6Cette analyse ne nous permet cependant pas de tirer des conclusions sur l’équilibre des marchés religieux ni sur les modes de coordination sur ces marchés ; un travail qui reste à poursuivre au-delà de cet article. Ce dernier pose néanmoins les bases d’une nouvelle grille de lecture des marchés religieux.

2 – Sur l’élimination des croyances

7Précisons d’emblée que notre propos n’est pas de savoir si les commentateurs de Hume et Smith sont restés fidèles aux écrits de ces derniers. Il s’agit ici de considérer la filiation revendiquée par les auteurs que nous évoquons et d’analyser la construction théorique qu’ils ont produite du fait religieux en économie.

2.1 – La tradition humienne et la distinction désirs-croyances

8Comme l’a caractérisé McNaughton [1988], la thèse humienne sur la motivation humaine suppose qu’aucun état cognitif ne peut à lui seul entraîner un processus de motivation rationnelle [1]. Une motivation rationnelle est toujours accompagnée d’un désir de réaliser l’action. Elle scinde la psychologie humaine sur la base de deux catégories : les croyances et les désirs. Elle considère que les croyances sont inertes d’un point de vue motivationnel [Ogien, 1999]. Ainsi, si je crois que telle ou telle personne souffre de manière injustifiée et que je peux y remédier, cela ne suffit pas à me motiver pour agir. Pour agir, il faut que j’aie en plus le désir de changer les choses. Autrement dit, une croyance devient motivationnelle soit quand elle est accompagnée d’un désir, soit quand la croyance est elle-même un désir. Quand je crois que telle ou telle personne souffre de manière injustifiée et que je fais quelque chose pour y remédier ce n’est pas simplement parce que je crois que je peux y remédier, mais parce que j’ai le désir d’y remédier. La thèse humienne est fondamentalement téléologique [Smith, 1987], et Wallace [1990] de noter que viser quelque chose est ipso facto le désirer. Si j’agis avec l’intention de changer la souffrance d’une personne, c’est parce que je désire changer l’état de fait, la souffrance d’une personne. L’intention est le corollaire du désir [2].

9Comme l’a souligné Humberstone [1992], la thèse humienne revient à considérer notre relation au monde comme une relation de direction d’ajustement. Tandis que les croyances sont une représentation de la manière dont nous pensons que le monde est, les désirs sont une représentation de la manière dont nous voudrions qu’il soit [3]. Seuls les désirs visent à modifier le monde. Finalement, la thèse humienne de la motivation humaine revient à abandonner le rôle des croyances pour comprendre le comportement humain. Soit les croyances sont considérées en tant que telles, mais elles ne jouent pas de rôle motivationnel, soit elles sont réduites à des désirs et elles perdent tout sens. Dans un cas comme dans l’autre, cette thèse revient à éliminer les croyances dans l’analyse des comportements.

2.2 – Adam Smith ou la religion comme bien

10Si Hume a posé les bases d’une interprétation opposant les désirs et les croyances, Adam Smith prolonge l’analyse en faisant plus spécifiquement de la religion un bien économique. Pour Adam Smith [1776], la religion est un secteur de l’économie comme n’importe quel autre secteur. L’Église est un producteur comme les autres, motivé par l’intérêt personnel. De ce point de vue, Smith peut d’ailleurs être considéré comme le premier économiste de la religion et donc le fondateur de l’économie de la religion.

11Au moment où Smith écrit ses œuvres majeures, Théorie des sentiments moraux et plus tard La richesse des nations, il vit dans une société à la fois dynamique et stable. C’est dans ce contexte qu’il en est venu au traitement de la question de la religion. Certes, quelques souvenirs de conflits religieux étaient encore persistants, mais les guerres de religion semblaient relever du passé. Les Lumières écossaises ouvraient la voie à une société de progrès économique et de tranquillité publique (paix civile, paix sociale). Smith construit alors son analyse de la religion au regard de sa contribution à la société commerciale dans laquelle il vit. Ces écrits construisent cependant deux pans parallèles. D’un côté, dans Théorie des sentiments moraux, il traite de la manière dont la croyance religieuse peut créer un ordre social approprié pour la liberté et le commerce. D’un autre côté, dans La richesse des nations, il évalue comment l’intérêt personnel rationnel conduit les individus à participer à la religion et à organiser la religion. Il considère la religion comme un marché avec un côté offre et un côté demande ; chacun des deux côtés étant à la merci de la concurrence et du monopole.

12Dans son analyse économique et sociale de la religion, Smith laisse néanmoins un espace ouvert à plusieurs interprétations. Ces interprétations se cristallisant autour du plaidoyer en faveur d’un libre marché de la religion ; un tel marché libre étant considéré comme une situation optimale et efficace pour une bonne société commerciale. Actuellement, trois interprétations de la pensée de Smith s’affrontent.

13La première interprétation fait de Smith le partisan d’un anarchisme de marché [Anderson, 1988]. Cette interprétation s’appuie sur le désaccord entre Smith et Hume. Selon Hume, une religion d’État est la meilleure situation, car l’État serait en mesure d’amoindrir l’enthousiasme religieux dangereux et de produire la paix sociale. Au contraire, Smith fait valoir qu’une religion fanatique au service du gouvernement est la plus dangereuse, alors qu’une multiplicité de sectes zélées réduirait l’impact des unes par rapport aux autres. Une telle interprétation s’appuie généralement sur le passage suivant de Smith : « Les maîtres dans chaque secte, se voyant entourés de toutes parts de plus d’adversaires que d’amis, se trouveront bientôt obligés de prendre des manières franches et un esprit de modération, vertus si rares parmi les maîtres ou profès de ces grandes sectes dont la doctrine, étant soutenue par le magistrat civil, est un objet de vénération pour la presque totalité des habitants de grands et puissants empires, et qui ne voient autour d’eux, par conséquent, que des sectateurs, des disciples et d’humbles admirateurs » [Livre 5, p. 79 [4]].

14La deuxième interprétation [Leathers et al., 2008] fait au contraire valoir la convergence de points de vue entre Hume et Smith. Elle insiste sur le fait qu’en accord avec Hume, Smith admet que dans certaines circonstances, une Église réglementée par l’État correspond à la meilleure situation. La preuve en serait que Smith fait l’éloge de l’Église presbytérienne et de l’Église anglicane pour leur capacité à contrôler le clergé et donc à éviter le fanatisme. Ici, Smith ne semble pas approuver le marché libre de la religion de type anarchiste, mais semble plutôt favoriser les Églises d’État. Cette position de Smith correspond à un « marché concurrentiel contraint » [Leathers et al., 2008]. Cette interprétation s’appuie elle aussi sur des passages du Livre 5 vantant les mérites des différentes Églises [5].

15L’opposition entre les deux thèses mentionnées découle de la tentative de Smith de concilier à la fois le désir d’un ordre social et la nécessaire existence d’assez de variété religieuse pour correspondre à deux morales sociales, une pour la classe sociale supérieure et l’autre pour la classe sociale inférieure. En fait, en raison de la nature complexe du comportement religieux et de la structure de classe de la société, à l’époque, différents arrangements institutionnels fonctionnaient raisonnablement bien et dans des situations différentes [Leathers et al., 2008].

16Une troisième interprétation [Ekelund et al. 2005] présente à la fois des caractéristiques de la première et de la seconde interprétation. D’un côté, Smith serait en faveur d’un marché religieux libre de toute entrave produite par la réglementation de l’État. Le libre marché de la religion augmente le choix des consommateurs face aux nombreuses sectes qui existaient au xviiie siècle en Écosse. D’un autre côté, Smith félicite néanmoins le système presbytérien et l’Église d’Angleterre. Il n’approuverait pas pour autant la situation de monopole de la religion. Il insisterait surtout sur le fait que certains aspects de ces deux Églises donnent aux consommateurs un large choix. Il s’agit d’une seconde meilleure option (second best option) et non d’un renoncement au libre marché.

17Le plébiscite en faveur du second best se comprend si on n’oublie pas que chez Smith le raisonnement se situe à deux niveaux. À un premier niveau, il porte sur le marché interne à l’organisation religieuse qu’est l’Église. Smith raisonne donc comme s’il s’agissait de l’intérieur d’une entreprise. À un second niveau, Smith raisonne sur le marché externe de l’Église, sur le marché de la religion dans la société en général. Or, s’il se prononce favorablement vis-à-vis du système presbytérien, c’est en raison de son organisation qui repose sur le choix et la démocratie, et offre la forme optimale du choix religieux (en respectant la souveraineté du consommateur). Cette optimalité étant rendue possible en raison du droit à l’élection [Ekelund et al., 2005]. Mais en même temps, cette faveur ne concerne que l’intérieur de l’Église en tant qu’entreprise. Quand il analyse la société en dehors de l’Église, il exprime son soutien complet à la libre concurrence sur tout type de monopole. Cela se justifie par ses commentaires sur les avantages d’avoir de nombreuses sectes concurrentes et sur les inconvénients de la situation de monopole. On peut lire ainsi chez Smith : « Le zèle des maîtres en fait de religion ne peut être dangereux et inquiétant que dans le cas où il n’y aurait qu’une seule secte tolérée dans la société, ou que la totalité d’une immense société serait divisée en deux ou trois grandes sectes, les maîtres dans chaque secte agissant alors de concert et sous l’influence d’une subordination et d’une discipline régulières. Mais ce zèle ne peut être de la moindre conséquence quand toute la société est partagée en deux ou trois centaines, ou peut être en autant de milliers de petites sectes, dont aucune ne peut être assez considérable pour troubler la tranquillité publique » [Livre 5, p. 79].

18Le point clé dans cette troisième interprétation de la pensée de Smith est son principe de souveraineté du consommateur. Smith affirme sans équivoque qu’une société efficace doit permettre à chaque homme de choisir son propre prêtre et sa propre religion comme il le pense bon.

19C’est évidemment cette troisième interprétation qui nous intéresse plus particulièrement ici. Elle insiste en effet sur le comportement des individus en tant que consommateurs de religion.

20Dans La Richesse des nations, Smith ne s’intéresse pas à la question théologique ni même à la question de la nature de la croyance religieuse. Il se préoccupe plutôt de deux problèmes de base : (1) les incitations économiques qui sont impliquées dans la décision d’une personne de pratiquer une religion et (2) les effets économiques des différents systèmes de croyances religieuses, comme en témoignent les comportements individuels. Smith ne tente pas de développer une théorie économique de l’émergence des croyances religieuses [Anderson, 1988]. De ce point de vue, nous retrouvons l’imbrication usuelle entre La richesse des nations et Théorie des sentiments moraux. Dans Théorie des sentiments moraux, Smith explique que la notion d’un être suprême sert de mécanisme d’application pour la conduite morale des croyants [Anderson, 1988]. Ce mécanisme d’application venant compléter les efforts de contrôle des autorités laïques tout en incitant les individus à contrôler leurs propres comportements. La croyance en Dieu constitue une sorte de mécanisme interne d’application morale. Sachant que le coût de surveillance externe des comportements de chaque individu, à plein temps, est extrêmement élevé, la religion constitue la base d’un système de surveillance intériorisé qui permet une adaptation efficiente à la résolution de ce problème. Si les croyances religieuses agissent comme un élément important dans l’autosurveillance des individus par eux-mêmes, Smith suggère également que les hommes érigent des barrières contre leurs propres passions. Les croyances religieuses ne sont donc pas étrangères à la rationalité [Anderson, 1988]. Il donne toute son ampleur à la rationalité dans La richesse des nations. Pour comprendre les deux problèmes de base (1 et 2), Smith considère les comportements comme étant rationnels. Ces comportements obéissent au principe clé de l’intérêt personnel (self-interest) et par extension à l’effet de réputation avec la théorie du capital humain [Anderson, 1988].

21Il part du principe que les croyances religieuses ne sont pas directement observables. Il en conclut que la nature et les paramètres des croyances religieuses, en tant que contraintes, restent soumis à des spéculations invérifiables. Tout en reconnaissant le caractère très limité de l’observabilité des croyances religieuses, Smith tente de définir les conséquences économiques logiques des croyances religieuses (par exemple, les types d’effets comportementaux susceptibles de résulter de la croyance d’un individu à l’existence de Dieu) [Anderson, 1988 ; Iannaccone, 1998]. Les croyances sont réduites à l’observation a posteriori au travers des comportements. Autrement dit, les croyances religieuses sont elles-mêmes vues comme des états cognitifs a posteriori qui se concrétisent au travers des comportements. Ce qui compte, ce sont les conséquences économiques des comportements religieux, c’est-à-dire des pratiques religieuses. Les coûts et les avantages des pratiques religieuses, comme les coûts et les avantages d’autres formes de comportements publiquement observables, peuvent être au moins identifiés et peut-être mesurés. Pour cette raison, les mêmes principes de l’économie que ceux appliqués pour la compréhension de transactions commerciales ordinaires peuvent être utilisés. Son analyse revient à traiter le bien religieux comme un autre bien.

22Cela réduit donc totalement à néant l’idée que les croyances auraient une spécificité par rapport aux désirs. Smith ne s’arrête certes pas à ce problème, puisqu’il situe son analyse à un autre niveau, celui des comportements et non plus celui des motivations. Mais, en traitant la consommation de biens religieux comme toute autre forme de consommation, il rejette implicitement la spécificité des croyances. Si seuls les désirs ont un rôle motivationnel, les croyances religieuses sont aussi des désirs de consommer un bien religieux. Les croyances, ici les croyances religieuses, ne sont que des désirs de croire et de consommer les biens de croyance. Smith ouvre ainsi la voie à une économie de la religion débarrassée de toute spécificité des croyances.

2.3 – L’économie de la religion

23À travers ses analyses, Smith a offert deux grandes pistes à l’économie de la religion. La première concerne le comportement des producteurs (a) et des consommateurs (b) de biens religieux. La seconde renvoie à l’efficience du marché (c). Ce sont ces mêmes pistes qui ont été poursuivies par les économistes s’intéressant à la religion.

24(a) Concernant l’analyse des comportements des producteurs, l’Église est perçue comme un producteur comme les autres, motivé par l’intérêt personnel. Dans La richesse des nations, Smith indique que le clergé de chaque Église établie constitue une grande entreprise [Anderson, 1988]. Le clergé agit de concert et poursuit son intérêt, suivant le même plan et avec le même esprit, comme s’il était sous la direction d’un seul homme [6]. Le clergé est une entreprise comme n’importe quelle autre entreprise engagée dans des activités banales. Smith rend compte de la complexité de l’organisation financière et fiscale de l’Église romaine. Cette organisation est similaire à celle d’une grande entreprise moderne. L’organisation fiscale et financière de l’Église médiévale ressemble beaucoup à celle d’un grand système de franchises d’entreprises [Anderson, 1988]. En effet, les prêtres payaient un loyer au Vatican pour conserver le privilège de la poursuite des bénéfices d’exploitation. Les clercs étaient les franchisés du réseau qui comprenait les paroisses, les évêchés, les fondations ecclésiastiques et les monastères. Au sein du réseau, ceux qui ne payaient pas étaient remplacés par d’autres. Ces franchises obtenaient des revenus par les opérations normales issues des ressources productives à leur disposition (par exemple la vente de la production agricole et la réception du loyer dans le cas des successions), par les contributions volontaires des fidèles ou encore par la vente des indulgences. L’organisation de l’Église a longtemps maintenu un système complexe et élaboré de distribution de la rente économique. Cette organisation étant dirigée par le pape, dont le rôle financier pourrait être assimilé, aujourd’hui, à celui du président du conseil d’administration d’une entreprise moderne [Anderson, 1988].

25Cette analyse d’Adam Smith a fait l’objet de nombreux prolongements actuels. Des modèles attirent l’attention sur les différents rôles des membres du clergé et des laïcs. Regardant les Églises comme des entreprises dont la fonction-objectif est la maximisation des profits, il devient possible d’analyser le développement de la doctrine religieuse, la structure organisationnelle des institutions religieuses, et l’évolution des pratiques religieuses. Par exemple, Stark et Bainbridge [1985] ont souligné le rôle de l’entrepreneuriat individuel dans la formation de nouvelles religions. Richard et al. [1989] comparent la structure de confessions contemporaines à celle de franchises standards en suggérant que les théories économiques de la franchise peuvent améliorer la compréhension de la croissance des Églises. S’appuyant sur une série de sources historiques, Finke et Stark [1992] soutiennent que la croissance explosive des confessions méthodistes et baptistes, au xixe siècle, en Amérique, était due à un marketing plus efficace du clergé et à des incitations supérieures à celles des anciennes congrégations presbytériennes et épiscopales. Ekelund et al. [1989] traitent de la doctrine de l’usure pratiquée par l’Église. Ici, la recherche de rente est considérée comme la principale motivation pour le maintien d’une doctrine particulière. La position de monopole de l’Église centrale lui a permis d’extraire les loyers des producteurs en aval (le clergé) et des fournisseurs d’inputs (banques) en contrôlant l’emprunt et le taux d’intérêt des prêts. Les auteurs soutiennent que les règles d’usure ont permis à l’Église d’emprunter à faibles taux et de prêter, via les banquiers pontificaux, à des taux beaucoup plus élevés. Ils citent de nombreuses sources couvrant plusieurs siècles pour défendre leurs affirmations. D’autres travaux récents offrent des explications économiques à une gamme beaucoup plus large de phénomènes religieux : la doctrine calviniste de la prédestination [Glaeser et Glendon, 1998 ; Glaeser et Scheinkman, 1998], l’émergence du monothéisme judaïque [Raskovich, 1996], le caractère distinctif des textes religieux [Miller, 1994], la variation interculturelle et intertemporelle dans les croyances en l’au-delà [Hull et al., 1989, 1994], et la relation entre les différents styles de théologie et les différents modes d’organisation religieuse [Allen, 1995]. Les articles de ces auteurs illustrent les manières dont les économistes peuvent modéliser les doctrines et (parfois) arriver à des prédictions vérifiables non évidentes.

26(b) Du côté des comportements des consommateurs, la posture irrationaliste est tombée après s’être imposée pendant près de trois siècles grâce à des preuves contraires. La consommation de biens religieux n’est pas le fruit d’un acte relevant de personnes souffrant de pathologies. En effet, il existe une relation positive entre les comportements religieux (religiosité) et la santé mentale et physique [Bergin, 1983 ; Ellison, 1993]. Plusieurs études empiriques concluant alors que la croyance religieuse et la pratique améliorent le respect de soi (self-esteem), la satisfaction de la vie et l’habileté à résister aux tensions sociales majeures, tout en en améliorant la santé physique [7]. Ainsi, la religion apparaît comme un stimulant pour les individus. En fonction de leurs croyances, de leurs pratiques et de leurs valeurs religieuses, les individus développent des traits de caractère [Ferguson, 2004] c’est-à-dire des comportements susceptibles d’affecter positivement [8] ou négativement [9] les résultats économiques.

27Comme la pratique religieuse n’est pas un comportement immunisé au calcul rationnel [Stark et al., 1996], il existe une fonction de production religieuse des ménages [Azzi et al., 1975] avec un modèle de production religieuse des ménages qui repose sur la fréquentation de l’église et sur les contributions. Dans ce modèle provocant, les individus partagent leur temps et leurs biens entre des biens religieux et des biens laïcs de façon à maximiser leur utilité de vie (durée de vie) et leur utilité d’après-vie (afterlife). La consommation d’au-delà (afterlife consumption) étant l’objectif principal de la participation religieuse [10].

28Par extension à ce modèle, la religion peut aussi être comprise à travers une approche en termes de capital humain religieux [Iannaccone, 1990]. Intuitivement, la capacité d’une personne à produire ou apprécier les biens religieux dépend non seulement des inputs en temps et en biens, mais aussi du savoir religieux, de la familiarité avec les rituels et la doctrine de l’Église, et de l’amitié avec d’autres fidèles. De tels facteurs conduisant naturellement à l’intégration du capital humain religieux dans la modélisation économique.

29(c) Enfin, l’analyse économique étend la théorie des marchés concurrentiels à l’offre de religion. Pour ce faire, les effets économiques de la situation de monopole, dans laquelle l’Église, en tant qu’entreprise, se trouvait au Moyen Âge constituent la base de l’analyse. L’Église catholique romaine, à la période antérieure à la Réforme, était le producteur de religion qui était en situation de monopole en Europe. Tous les nouveaux concurrents entrants sur le marché, pour l’offre de religion, ont été définis comme des hérétiques et systématiquement persécutés. Sinon, les concurrents ont été tout simplement brûlés sur le bûcher ou autrement empêchés de commercialiser leurs services aux consommateurs.

30L’analyse de Smith fait valoir que le monopole entraîne l’effet combiné de l’augmentation des prix, des restrictions sur la production ou la baisse de la qualité. Une telle situation étant nuisible aux consommateurs [Anderson et Tollison, 1982]. Les consommateurs connaissent une diminution de leur bien-être en conséquence. Smith attribue cette réduction de la qualité au comportement du clergé qui est motivé par l’intérêt personnel. Le clergé tirant sa rente de monopole de ses fidèles par la promulgation irrationnelle de doctrines qui servent ses propres intérêts. Les consommateurs de religion sont donc mal servis par le monopoleur dans la guidance spirituelle, tout comme dans le cas de monopoleurs dans la fourniture de la plus banale marchandise.

31Dans La richesse des nations, Smith fait donc valoir que c’est l’intérêt personnel qui motive le clergé comme il le fait pour tout producteur laïc, que les forces du marché contraignent les Églises comme elles contraignent les entreprises laïques, et que les avantages de la concurrence, les charges de monopole, et les dangers de la réglementation du gouvernement sont aussi réels pour la religion que pour n’importe quel autre secteur de l’économie.

32Pendant près de 200 ans, les déclarations de Smith ont constitué presque tout ce qui a été dit par les économistes sur le sujet de la religion [Boulding, 1970]. Mais, depuis les années 1970, et surtout au cours des dernières années, les économistes et les sociologues sont retournés aux idées de Smith. En regardant les comportements religieux comme une instance de choix rationnel, plutôt qu’une exception à la rationalité, ils ont analysé le comportement religieux au niveau de l’individu, du groupe (collectif) et du marché [Iannaccone, 1998].

33Conformément aux thèses humienne et smithienne, l’analyse économique contemporaine réintègre la religion via le marché de la religion comme une simple préférence pour un bien religieux. En ce sens, l’économie de la religion peut éventuellement mettre un terme à deux mythes fondateurs de la science économique : celui d’un homo economicus qui serait une « créature froide sans besoin de piété ni même de capacité à la piété », et celui d’un homo religiosus qui correspondrait à un retour vers l’obscurantisme des temps prérationnels [Iannaccone, 1998].

34Le renouvellement de l’économie de la religion a indéniablement produit des résultats pertinents. Néanmoins, en éludant la discussion sur les hypothèses de base que sont la dichotomie entre croyances et désirs et la rationalité instrumentale, les nouvelles approches ont aussi limité leur capacité d’analyse. Dans la section suivante, nous tentons précisément d’en élargir le champ à travers une réinterprétation de ces hypothèses.

3 – Dépasser la dichotomie entre croyances et désirs

35Plusieurs tentatives de dépasser la thèse humienne ont été produites ces 20 dernières années. Mais, elles semblent toutes fragiles [voir Lenman, 1996]. Elles ont pour l’essentiel consisté à vouloir redonner un rôle motivationnel aux croyances, sans pour autant remettre en cause la rationalité instrumentale ou causale. Or, il nous semble que c’est dans cet oubli que pêchent ces tentatives. Pour redonner un pouvoir motivationnel aux croyances, il faut refonder l’ensemble de l’analyse, y compris le rôle de la rationalité. Notre proposition vise à articuler croyances et rationalité interprétative. La rationalité interprétative se comprend dans une logique d’identité de la personne.

3.1 – Croyances et rationalité interprétative

36S’appuyant sur le courant de l’économie des conventions, Eymard-Duvernay [2006] a souligné l’importance des croyances et des valeurs dans les comportements des agents économiques sur les marchés.

37Dans son projet initial [Dupuy et al., 1989), l’économie des conventions a généralement porté ses analyses sur l’incomplétude de l’échange marchand. Dans son insatisfaction à l’égard de l’analyse économique, elle a longtemps maintenu une position critique sur l’homo economicus et sa rationalité. Pour justifier sa position, elle a opéré un mouvement conceptuel remarquable : celui d’un agent économique rationnel et maximisateur devenant acteur face à l’incertitude du social. Les comportements des agents économiques devenus acteurs sur les marchés ne sont plus appréhendés sous l’angle d’une rationalité substantielle et calculatrice, mais en fonction d’une rationalité cognitive.

38Elle ne s’est cependant pas limitée à ce déplacement conceptuel (aussi important soit-il), puisqu’elle a rapidement développé des considérations de justice, de bien commun et de démocratie [voir notamment Boltanski et al., 1991]. Poursuivant cette logique, l’économie des conventions admet, aujourd’hui, l’existence d’un sujet moral qui a une capacité de jugement éthique. L’idée d’une rationalité cognitive laissant sa place à celle d’une rationalité interprétative des valeurs [Favereau, 2004]. Cette rationalité interprétative prend tout son sens dans le passage d’un jeu contre la nature à une situation d’interactions avec un alter ego. La rationalité dans les interactions avec autrui n’est pas équivalente à la rationalité dans les jeux contre la nature, l’introduction de l’éthique et du religieux dans les interactions entre l’homo economicus et ses semblables apparaît inévitable pour repenser la réalité économique et sociale. Une réhabilitation de l’humain [11] étant alors nécessaire pour analyser les problèmes de coordination des agents économiques autour des biens, les problèmes de relations interpersonnelles et de coopération et les problèmes d’organisation socio-économique des activités marchandes. Pour y parvenir, il est nécessaire de concevoir l’agent économique comme une personne à part entière qui a ses spécificités propres et qui est influencée par son appartenance sociale. Il convient aussi de garder à l’esprit qu’elle s’identifie aux groupes auxquels elle appartient tout en les influençant.

39À la différence de la rationalité instrumentale, la rationalité interprétative ne s’impose pas à l’individu de manière exogène. La personne s’identifie à des groupes sociaux qui influencent les choix qu’elle fait et ce qu’elle est. La personne choisit les valeurs et les règles qui sont issues de ces groupes distincts pour motiver ses décisions [Bessis et al., 2006]. La personne attribue une importance plus ou moins grande à ses appartenances sociales multiples de manière intentionnelle. La multi-appartenance permet d’expliquer la coopération, qui est le résultat des relations interpersonnelles dans l’organisation socio-économique des activités marchandes, des agents issus de milieux sociaux différents. C’est d’ailleurs cette même pluri-appartenance qui favorise l’élaboration et le respect volontaire de normes et de règles issues de valeurs partagées par toutes les personnes membres des groupes sociaux.

40On parle ainsi de rationalité interprétative [Batifoulier et al., 2001], puisqu’en fonction de la manière dont les personnes se représentent elles-mêmes les situations, elles s’inscrivent dans différents régimes d’action [12] et mobilisent différents principes de comportements [Boltanski et al., 1991]. À côté des capacités calculatoires de l’homo economicus doté d’une rationalité standard, instrumentale, les processus de qualification des biens et d’identification des personnes, nécessaires à l’adoption de ces régimes ont pour conséquence de reconnaître l’existence de capacités interprétatives [13].

41Dans le monde de la rationalité interprétative où le sens donné aux actions de chacun dépend de la représentation collective des relations interindividuelles, la coopération est alors initiée par les signaux que les personnes émettent, reçoivent et échangent pour signifier leurs intentions. L’agent économique n’est pas seulement un être impersonnel [14] mais aussi un sujet moral capable d’exprimer des valeurs éthiques et morales à travers ses préférences sur les biens.

42Cependant, pour donner une place à part entière aux croyances, il faut pouvoir ancrer la rationalité interprétative dans le sujet, c’est-à-dire concevoir le sujet de manière élargie par rapport au sujet économique usuel, l’homo economicus. Cet élargissement, nous proposons de le produire à travers la notion d’identité du sujet.

3.2 – Rationalité interprétative et identité

43L’analyse économique a fait récemment valoir l’influence de l’identité sur le comportement, en particulier la conformité aux attentes sociales et aux rôles sociaux [15]. Ces approches considèrent l’identité de manière statique. Or, comme le souligne Ricœur [1990, p. 217], « ce qui fait problème, c’est le simple fait que la personne n’existe que sous un régime d’une vie qui se déroule de la naissance à la mort ». La temporalité de la vie même soulève la question de la continuité de l’identité. Ricœur résout cette difficulté en distinguant le concept de mêmeté et celui d’ipséité. La mêmeté renvoie à la permanence d’une substance dans le temps. L’ipséité soulève au contraire le problème du maintien d’un soi en dépit des changements. Ces deux concepts forment selon Ricœur la dialectique de l’identité personnelle. Ils impliquent l’imbrication de la question qui suis-je ?, au cœur de l’ipséité, et de ce que je suis ?, pour la mêmeté, car on ne saurait se poser la question qui suis-je ?, sans en même temps s’interroger sur ce que je suis ?

44Pour formuler une proposition sur cette imbrication, nous pouvons dire que la mêmeté est attachée à la notion de personne, sui generis, par définition, tandis que l’ipséité est relative à la manière dont la personne personnalise le monde, à l’exercice de son identité en contexte. Nous pouvons trouver une piste de réflexion sur l’articulation des deux concepts chez Christine Korsgaard. En effet Korsgaard, dans Self-constitution, part de ce qu’elle nomme « le paradoxe de l’autoconstitution ». Autrement dit : « Comment pouvez-vous vous constituer vous-même, vous créer vous-même, à moins que vous ne soyez déjà là ? » [2009, p. 35] [16]. Sa réponse réside dans la distinction entre la personne au sens générique et la personne que chacun est puisque « Chaque être humain doit se réaliser en quelqu’un de particulier, afin d’avoir des raisons d’agir et de vivre. Se tailler une identité personnelle dont nous sommes responsables est l’une des tâches incontournables de la vie humaine » [ibid., p. 24] [17]. La personne générique et la personne particulière, ou la mêmeté et l’ipséité, pour reprendre les termes de Paul Ricœur, se combinent par le biais de l’identité, de sorte qu’il n’est plus possible de distinguer la personne générique de la personne particulière. La personne personnalise le monde en même temps qu’elle se personnalise. Si la personne est conceptuellement différente de la personnalité, cette dernière est ce qui donne sens concrètement à la personne. L’une et l’autre ne sont que deux facettes de la même entité, l’une abstraite, l’autre concrète. L’identité est alors la clé de compréhension de l’incarnation de la personne.

45L’identité n’est ni un choix de nulle part ni une adhésion automatique aux règles d’une société [18]. Elle est ce que nous sommes dans l’action de nous constituer en tant que personne. « L’action est autoconstitution » [ibid., p. 25]. L’action ne découle pas de manière causale de l’identité, elle est concomitante à celle-ci. Il n’est pas possible de séparer identité et action. « Le lien étroit entre la personne et les actions ne repose pas dans le fait que l’action est causée par la partie la plus essentielle de la personne, mais plutôt dans le fait que la partie la plus essentielle de la personne est constituée par ses actions » [ibid., p. 100] [19]. Cette perspective nous permet de nous passer de la rationalité instrumentale ou causale pour donner un rôle motivationnel aux croyances. En effet, si la personne se constitue à travers ses actions, elles-mêmes concomitantes de son identité, ses croyances peuvent tout à fait faire partie de son identité. Elles sont donc elles aussi concomitantes des actions.

46Nous pourrions certes soutenir avec la thèse humienne que le désir de se constituer comme personne est la motivation ultime, et qu’en ce sens le désir reste le mécanisme motivationnel par excellence, mais cela n’enlève rien au rôle des croyances comme élément de l’identité. Nous pourrions ainsi maintenir une rationalité causale au premier niveau, celui du désir de se construire comme personne, mais au second niveau, celui de l’identité, les croyances ne nécessitent pas une rationalité causale. Elles s’imbriquent à l’action dans une rationalité interprétative.

47À ce stade, la distinction qu’opère Korsgaard entre identité personnelle et identité pratique nous permet d’y voir plus clair. Il faut comprendre par identité personnelle ce qui différencie la personne d’autres êtres vivants et qui finalement nous permet de dire « c’est une personne responsable ». Par identités pratiques, il faut comprendre l’ensemble des identités constitutives des rôles sociaux que nous assumons, mais aussi la manière dont nous les assumons. Nous avons ainsi des identités pratiques multiples, en tant que citoyen d’un pays, en tant que père ou mère de famille, en tant qu’ouvrier, employé, dirigeant d’entreprise, etc., en tant qu’ami ou ennemi… La manière dont nous assumons ces rôles à travers nos actions participe à la constitution d’identités multiples. Ces dernières peuvent être à l’origine de tensions parce qu’elles ne sont pas toujours compatibles les unes avec les autres. Comment par exemple puis-je être un dirigeant d’entreprise catholique investi de charité et de solidarité quand la conjoncture me pousse au licenciement d’une partie de mon personnel ? [20] Bien que les identités pratiques soient multiples et source de tensions potentielles, elles se résolvent dans l’identité personnelle qui fait que, quelles que soient mes actions, je reste une personne responsable ; et qu’en tant que telle, je ne peux échapper à ma responsabilité. Je peux seulement choisir les formes qu’elle prendra à travers mes actions. Autrement dit, si le désir de se constituer en tant que personne est motivationnel, il correspond fondamentalement à l’identité personnelle, tandis que les croyances associées aux identités pratiques relèvent de la rationalité interprétative, et sont donc non causales, mais concomitantes aux actions. Cependant, tout en étant concomitantes, elles jouent un rôle motivationnel puisqu’elles s’immiscent dans l’action.

48La rationalité interprétative des valeurs religieuses se comprenant alors dans une logique d’identité de l’agent économique qui est une personne. Nous entendons par personne un sujet moral capable d’accomplir volontairement sa propre obligation par un motif intérieur et subjectif, autrement dit d’agir par devoir envers ses croyances et par intentionnalité.

3.3 – Marché et intention

49Avec cette rationalité, l’agent économique devient un sujet religieux, un homo religiosus capable d’exprimer des croyances religieuses et possédant des valeurs religieuses. Avec sa capacité de jugement religieux, l’agent économique n’est plus un être impersonnel sans visage. Si l’agent économique est un sujet religieux, cela suppose qu’il se comporte de manière responsable. Cette responsabilité traduit l’existence de devoirs en lien avec des croyances philosophiques, morales, religieuses. Dans la logique d’identité, l’agent économique est donc une personne qui respecte des devoirs en réponse à ses croyances. C’est précisément cette logique d’identité qui remet en cause la rationalité causale et la séquence analytique désir-motivation, puisque ce sont les croyances, et par là les croyances religieuses, qui influencent les comportements des personnes sur les marchés.

50Par intégration du devoir moral dans le champ analytique de la science économique, l’agent rationnel et maximisateur devient une personne inscrite dans un faisceau d’obligations. En se situant dans la sphère des jugements de valeur, le cognitif cède sa place à l’éthique et au spirituel. Si l’agent économique est un sujet religieux capable de se référer à un certain nombre de valeurs religieuses et de les interpréter, cela suppose également de reconnaître qu’il a des obligations, autrement dit des devoirs moraux associés à son identité. Cette identité s’exprime alors sur le marché par les actes d’achat et de production. Ces actes sont porteurs d’intentions correspondant à l’identité des personnes.

51Dans le monothéisme, les croyants sont des personnes qui sont jugées par leur Créateur sur la base de leurs intentions et de leurs actes à la fin de leur vie. En évitant l’illicite, l’illégal et en se permettant le licite, le légal, chaque personne [21] se trouve dans une situation qui lui est sienne puisqu’elle est uniquement responsable de ce qu’elle a accompli et acquis durant son passage éphémère sur terre [22] [Berque, 2000, p. 68] : « Dieu n’impose à une âme que selon sa capacité. En sa faveur ce qu’elle aura acquis, à sa charge ce qu’elle aura commis. »

52L’intention se présente comme une condition forte de validité de l’acte. Chaque acte est pesé à la balance de l’intention [23] [Benjelloun, 2005, p. 52] : « J’ai entendu le Messager de Dieu déclarer que : Les actes ne sont évalués que selon les intentions qui les inspirent. Chacun n’obtient de son œuvre que la valeur de son intention. »

53L’intention est un principe clé de la philosophie religieuse monothéiste qui s’associe à la responsabilité religieuse. Dans la relation entre les valeurs sacrées et les marchés, il n’y a pas faute si des événements extérieurs font que les résultats de l’action ne sont pas conformes à l’intention. Autrement dit, la responsabilité religieuse est dégagée quand des événements extérieurs contrarient la bonne intention.

54Si le marché délivre des biens qui répondent à une demande d’intentions religieuses, il est aussi encastré dans un faisceau d’intentions religieuses. Là où l’analyse économique tente de faire de la religion un bien comme un autre, la réinsertion des croyances dans le comportement des personnes souligne surtout que le marché n’est pas dissocié des croyances. L’économie moderne de marché n’élimine pas les croyances et la religion, elle ne fait que s’insérer dans un faisceau de croyances qui restent bien vivantes et s’expriment par des actes sur le marché. Mais le marché est de ce fait contraint par cet ensemble d’intentions, puisqu’il doit s’y conformer, ou au moins y répondre [24].

4 – Conclusion

55Si la théorie économique s’est emparée du fait religieux, c’est avec les outils traditionnels de l’économie standard. Cette appropriation a été rendue possible sur la base de la thèse humienne de la motivation humaine selon laquelle seuls les désirs sont motivationnels pour l’action. Les croyances sont de ce fait évincées de l’analyse ; soit elles n’ont aucune spécificité par rapport aux désirs, soit elles ne jouent pas de rôle motivationnel dans le comportement humain. Nous avons souligné que cette interprétation du rôle des croyances pouvait être remise en cause en même temps que la rationalité instrumentale. En associant les croyances à l’identité des personnes et en intégrant la rationalité interprétative à l’analyse, nous avons réhabilité le rôle des croyances dans l’analyse motivationnelle. Il en découle alors une tout autre analyse des biens et du marché religieux. Ce dernier est encastré dans le fait religieux. Bien sûr, une analyse plus poussée des biens religieux et des marchés associés reste à faire. Mais ils le peuvent dans une optique plus fine que ce que propose jusqu’à présent l’analyse économique standard. Cette démarche permettrait en particulier une analyse de la coordination sur les marchés religieux.

56Cette démarche ouvre aussi la voie à deux interrogations. Premièrement, les croyances religieuses telles que nous les avons intégrées ne se distinguent pas fondamentalement de toute autre forme de croyance. Doit-on établir une distinction au sein des croyances ? Il s’agit là d’un travail de réflexion que nous aurons à poursuivre. Deuxièmement, le fait que les marchés religieux ne soient pas dissociés des croyances interroge sur les effets des croyances sur les déterminants de l’offre et de la demande sur ce type de marché. Les analyses économiques standard mentionnées en première partie de cet article sont-elles invalidées ou sont-elles compatibles avec notre interprétation du rôle des croyances ? Il s’agit là aussi d’un enjeu à creuser. Toutefois, sans apporter de réponse définitive, il apparaît nettement que l’offre et la demande ne peuvent être interprétées comme découlant simplement de comportements motivés par un simple intérêt personnel.

57Cet article ne prétend donc pas apporter une réflexion aboutie à l’analyse des marchés religieux. Il présente plutôt une nouvelle perspective qui reste largement à développer.

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Notes

  • [1]
    En fait, l’attribution de cette thèse à Hume lui-même est objet de controverses. Quoi qu’il en soit, de nombreux lecteurs de Hume semblent avoir penché pour cette interprétation ; voir McNaughton [1988].
  • [2]
    Nous retrouvons bien sûr ici la logique de la philosophie de l’action élaborée depuis Davidson [2001] : intention-action-responsabilité. Sur ce point, voir par exemple aussi Livet [2005].
  • [3]
    Bien sûr, cette thèse se superpose à ce qu’il est convenu d’appeler la guillotine de Hume [Black, 1970], autrement dit, le fait que l’on ne peut déduire « ought to » de « is ».
  • [4]
    Nous utilisons pour toutes les citations l’édition de 1881 mentionnée en référence.
  • [5]
    Nous ne citons pas ici ces passages un peu longs. Ils se trouvent principalement dans le Livre 5, pp. 91 et 92.
  • [6]
    Cette citation de Smith reflète ce point de vue : le clergé de toute Église établie constitue une immense corporation ; les membres de cette corporation peuvent agir de concert et suivre leurs intérêts sur un même plan et avec un même esprit, autant que s’ils étaient sous la direction d’un seul homme, et très souvent aussi y sont-ils [Livre 5, pp. 82-83].
  • [7]
    Contrairement aux quelques études montrant une relation négative entre la religion et la santé mentale. Étant tautologiques, celles-ci ont utilisé le critère de la religion comme une mesure de santé faible.
  • [8]
    Il y a des pratiques et des convictions religieuses qui peuvent encourager les performances économiques. Par exemple, les comportements relatifs à l’honnêteté, l’éthique du travail, l’épargne ou encore l’ouverture d’esprit vis-à-vis des étrangers.
  • [9]
    Il y a des pratiques et des convictions religieuses qui risquent d’être néfastes pour les performances économiques. Par exemple, les comportements se rapportant au crédit, à l’assurance ou bien à la scolarisation.
  • [10]
    Il s’agit d’une hypothèse qui implique une restriction forte sur la façon dont les biens religieux entrent dans la fonction d’utilité des ménages.
  • [11]
    Dans le modèle standard de l’homo economicus, Favereau [2004] affirme que l’humain est dégradé en du non-humain.
  • [12]
    Il s’agit de régimes de coordination.
  • [13]
    Si les schémas d’interprétation sont élaborés à partir de situations passées et relèvent d’abord de la subjectivité des personnes, ceux-ci sont réactualisés et canalisés par l’expérience (épreuve de réalité). Il existe alors un mouvement de va-et-vient et d’adéquation entre interprétations et expériences, autrement dit entre l’abstrait et le réel présent.
  • [14]
    Dénomination usuelle de l’agent économique qui est doté d’une rationalité standard, c’est-à-dire d’une rationalité substantielle, sans considération éthique et morale.
  • [15]
    Akerlof et Kranton [2000] ont souligné l’importance de la prise en compte de la variable identitaire pour l’analyse économique. Ils considèrent l’identité comme un argument de la fonction d’utilité des individus. L’identité est alors relative aux catégories sociales auxquelles appartiennent les individus. Pour chaque catégorie sociale, il y a un ensemble de prescriptions correspondant à une forme idéale-type de représentation. Pour affirmer son identité, l’individu doit alors se conformer au rôle social attendu par la catégorie à laquelle il appartient. Ainsi, dans l’éducation, plus les étudiants sont déviants vis-à-vis du comportement prescrit par la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent, plus le coût, en termes d’utilité, qu’ils subiront sera important. Ils ont donc intérêt à minimiser la distance entre ce que reflètent leurs actions et ce qui est attendu par la catégorie sociale d’appartenance [Akerlof et Kranton 2002]. De manière générale, les individus ont donc intérêt à se plier aux règles des organisations, ce qui tend à influer sur leur rôle identitaire [Akerlof et Kranton 2005].
  • [16]
    Notre traduction de : « the paradox of self-constitution ». Autrement dit, « How can you constitute yourself, create yourself, unless you are already there? And how can you need to constitute yourself if you are already there? »
  • [17]
    Notre traduction de : « Every human being must make himself into someone in particular, in order to have reasons to act and to live. Carving out a personal identity for which we are responsible is one of the inescapable tasks of human life. »
  • [18]
    Le communautarisme oppose souvent au libéralisme l’idée de soi ancré. L’identité est selon ce courant de pensée nécessairement enracinée à l’intérieur de pratiques sociales avec lesquelles la personne ne peut prendre ses distances. En ce sens, les rôles sociaux constituent des préalables à la délibération personnelle sur le genre de vie que la personne désire mener. Pour une première présentation de ce courant de pensée et son opposition au libéralisme, voir Kymlicka [1992].
  • [19]
    Notre traduction de : « The intimate connection between person and actions does not rest in the fact the action is caused by the most essential part of the person, but rather in the fact that the most essential part of the person is constituted by her actions. »
  • [20]
    Les identités multiples peuvent même dans certains cas provoquer une tension sur l’image que les autres se font de la personne.
  • [21]
    Chaque croyant responsable et libre peut avoir sa propre interprétation du licite et de l’illicite.
  • [22]
    Coran, sourate 02 : La vache, verset 286. Dans le même sens : « Tandis que ceux qui ont cru, effectué les œuvres salutaires…– Nous n’imposons une âme qu’à sa capacité… ceux-là sont les compagnons du Jardin et y sont éternels ». In Coran, sourate 07 : Les redans, verset 42.
  • [23]
    Hadith (n° 1) rapporté par ‘Omar Ibn al-Khattâb.
  • [24]
    La question de la conformité du marché aux intentions ouvre une autre réflexion sur les garanties que l’on trouve sur le marché. Cette question est la suite logique de notre propos. Nous la traiterons dans un article à venir.
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