Notes
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[1]
Citons : la Bulgarie (JOBS), la France (le régime de l’auto-entrepreneur), l’Espagne (LETA), l’Irlande (BTWEA), l’Italie (parasubordinati), la Lettonie (plan de soutien aux micro-entreprises en 2009), l’Autriche (UGP), le Portugal, la Roumanie, etc.
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[2]
Précisément 32 997 400 non-salariés (Eurostat, EU 28, 2013) regroupant les indépendants (92 %) et les aides familiaux (8 %).
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[3]
Le détail de ces deux régimes est présenté dans l’encadré en fin d’article.
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[4]
En 2010, on comptait 1 923 000 indépendants dits « classiques » : commerce, artisanat et professions libérales (Insee, base non-salariés) et 604 000 exploitants agricoles (Agreste).
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[5]
Aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d’entreprise.
-
[6]
Citons : le groupement d’employeurs (1985), le portage salarial (fin 1980), le Fonds de garantie général à l’initiative des femmes (FGIF, 1989), les « couveuses d’activités et d’entreprise » (1993), les « coopératives d’activités et d’emploi » (1995), l’encouragement à la création d’entreprises nouvelles (EDEN, 1999) remplacé par la nouvelle aide à la politique d’entreprise (NACRE en 2008), le CAPE (2003), etc., jusqu’au régime de l’auto-entrepreneur (2008).
-
[7]
Ministerio de Trabajo y Seguridad Social, 1985.
-
[8]
Le Plan de promotion de l’emploi indépendant (Ministerio de Trabajo y Seguridad Social, 1986), le Programme Entreprendre au féminin (Ministerio de Trabajo y Asuntos Sociales, 1996), les différentes mesures urgentes pour promouvoir l’emploi indépendant et l’embauche (Ministerio de la Presidencia, 2008 ; Ministerio de Trabajo e Inmigración, 2009) ou la Stratégie espagnole pour l’emploi, 2012-2014 (Ministerio de Trabajo e Inmigración, 2011a).
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[9]
Elle sera adoptée par 58 % des votants : 321 voix pour et 230 voix contre, tandis que la LETA est instaurée à l’unanimité des voix du Parlement espagnol.
-
[10]
Et ces tendances sont, encore une fois, productrices d’effets sensibles sur les conditions d’exercice du travail.
-
[11]
Ces expressions sont reprises des rapports publics sur le travail indépendant qui préparent, discutent ou évaluent les dispositifs législatifs.
-
[12]
Pour une présentation détaillée de ces réformes, voir Riesco-Sanz [2014].
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[13]
Que le décret de 2008 définit à présent comme occupant moins de 10 personnes avec un chiffre d’affaires inférieur à deux millions d’euros.
-
[14]
Respectivement 217 000 et 360 000, soit une progression d’un tiers qui marque le succès du Régime comme en témoigne la part (60 %) qu’ont prise les auto-entreprises dans la création globale d’entreprises en 2010 [Hagège et Masson, 2011].
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[15]
Par exemple Triomphe [2008].
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[16]
Sans doute aussi, l’Espagne et la France se préoccupent-elles des défauts de cotisations et de taxes que supposerait le travail illégal quand les coûts des risques sociaux progressent.
-
[17]
Malgré l’effort réalisé, les différences persistent toujours entre un statut et un autre. En ce qui concerne la prestation pour retraite, par exemple, les quantités perçues par les travailleurs indépendants par le biais de la Sécurité sociale sont encore très faibles et bien inférieures (38 %) à celles perçues dans le Régime général des salariés [Unión de Profesionales y Trabajadores Autónomos, 2012].
-
[18]
Se reporter à l’encadré pour le détail des mesures.
-
[19]
En effet, le statut concerne officiellement 9 649 personnes [Ministerio de Empleo y Seguridad Social, 2015]. Un chiffre très inférieur au nombre de travailleurs exécutant au moins 75 % de leur production pour un tiers unique que l’on avait estimé, préalablement à la LETA, à 14 % environ des indépendants espagnols, soit 300 000 à 400 000 travailleurs [Asociación de Trabajadores Autónomos, 2006 ; Agut et Nuñez, 2012]. Le principal obstacle semble venir des employeurs, inquiets des « protections renforcées » du statut de TRADE, qui préfèrent signer des contrats classiques avec des travailleurs autonomes « standard ».
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[20]
Ces « Accords d’intérêt professionnel » restent moins larges et moins garantis que les négociations collectives organisées dans l’espace réglé par le contrat salarié. Ils inscrivent malgré tout une dimension collective négociée dans le contrat liant les entreprises qui recourent aux TRADE et les représentants syndicaux ou professionnels de ces derniers. Sur ce point, voir Castro [2011].
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[21]
Les professions libérales restent les moins protégées. La hauteur supposée de leurs revenus et leur conscience des risques réputée plus présente (la « ligne de respectabilité » des cotisations sociales) restent des freins puissants à l’homogénéisation des droits et des leviers tout aussi puissants de privatisation des droits sociaux [voir Algava, Cavalin et Celérier, 2011].
-
[22]
Ce qui ne préjuge pas des situations réelles des auto-entrepreneurs.
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[23]
Nous avons vu que cette intention n’est que partiellement réalisée et que les deux tiers des auto-entrepreneurs en ont fait leur activité principale, parfois dans des situations de dépendance économique de fait.
1 – Introduction
1Dans la prolifération des catégories d’emploi que les analystes commentent depuis longtemps, celles qui hybrident travail salarié et travail indépendant semblent marquer une étape nouvelle. Le gros de cette prolifération s’attache en effet au contrat salarié distingué selon sa durée, le temps de travail ou les acteurs contractants. Or les formes hybrides sortent du périmètre strict de l’entreprise en reconnaissant pour la première fois des formes de subordination dans un espace de libre-échange où cette subordination n’a pas d’existence juridique. Seul le contrat salarié, dans l’entreprise, reconnaît cette subordination comme librement consentie par l’employé dont l’activité est dirigée et coordonnée à d’autres par son employeur ou l’un de ses mandataires. La puissance publique intervient fortement dans ce contrat a priori privé en précisant et en limitant les effets de l’autorité de l’employeur et en le soumettant à des obligations qui constituent autant de droits et protections attachés au statut. Hors de l’entreprise, le droit commercial régule les échanges entre des contractants libres en vérifiant, le cas échéant, la conformité de l’objet, le prix et les délais, tels que définis pour chaque contrat singulier. L’exécution du travail est laissée à la discrétion du prestataire et les obligations commerciales du commanditaire se limitent au versement des sommes dues. Si le pouvoir public intervient, notamment par la fiscalité, il ne cherche pas à prévenir ou contrecarrer un déséquilibre des positions entre contractants. De tels cas sont renvoyés à la jurisprudence qui pourra dénoncer l’employeur sous les traits du donneur d’ordres et requalifier le contrat en contrat salarié. On le voit, les droits et protections accordés aux travailleurs n’ont d’existence juridique que comme contrepartie de la subordination du salarié.
2On comprend dès lors que l’émergence de formes d’emploi à l’interface de ces deux univers inquiète. Une interprétation courante y voit un effet du chômage de masse qui jette les salariés hors des entreprises et les transforme en travailleurs indépendants, obligés à des durées et des intensités de travail extrêmes pour obtenir des commandes et assurer la continuité de leurs revenus. Ces nouveaux travailleurs ne jouissent plus des protections difficilement acquises par les salariés au cours du siècle passé. On craint un retour à des formes de travail éprouvantes et instables, semblables à celles des débuts de l’industrialisation. Certes, le phénomène n’est pas majoritaire et le statut de salarié marque toujours l’essentiel des positions de travail. On compte quelque 10 % d’indépendants en France et 15 % en Europe couvrant des conditions diverses, difficiles à saisir d’un seul mouvement. Certains de ces travailleurs exercent à la périphérie de l’entreprise et contribuent à distance et sans protections à son système. Leur ancien employeur est devenu leur principal client, lequel évite ainsi les coûts du salaire social : c’est désormais aux travailleurs qu’il revient de reproduire leur propre capital, si restreint soit-il. D’autres indépendants exercent dans les murs mêmes de l’entreprise, côtoient ses salariés, participent directement de la coopération productive, bien que l’employeur n’ait envers eux aucune obligation spécifique [Célérier, 2012]. D’autres, enfin, sont plus réellement autonomes.
3Quoi qu’il en soit, partout en Europe, ce travail indépendant est l’objet de refontes ou de réformes [1]. Ces remaniements juridiques qui, toujours, aident, favorisent ou stimulent l’installation des travailleurs à leur propre compte constituent l’expérience commune des 33 millions d’indépendants [2] de l’Union [Observatoire européen de l’emploi, 2010]. Pour comprendre ce mouvement, nous confrontons dans cet article l’auto-entrepreneuriat que la France a rendu disponible en 2009 aux statuts de travailleur autonome et de travailleur autonome économiquement dépendant instaurés en Espagne en 2007 par la Ley del Estatuto del Trabajo Autónomo (LETA) [3]. Porter l’analyse au niveau européen semble nécessaire en effet, et la comparaison de l’Espagne et de la France se justifie dans la mesure où ces deux pays incarnent deux voies de réforme de l’indépendance présentées comme distinctes. La France a élargi et réglementé le statut d’entrepreneur individuel pour instaurer un entrepreneur intuitu personae dans l’espace de l’indépendance auquel elle affecte des éléments essentiels du salaire social, d’où son caractère hybride. Ce nouveau statut a d’ailleurs rencontré un succès immédiat qui ne se dément pas. Un an après, en effet, 12 % des indépendants l’avaient déjà adopté [4] en créant plus de la moitié des nouvelles entreprises. Pour sa part, l’Espagne s’est adossée à l’espace du travail salarié en comprenant l’indépendant comme un travailleur dont elle reconnaît l’éventuelle dépendance économique par la catégorie juridique de travailleur autonome économiquement dépendant. L’Espagne se rapproche ainsi de l’expérience italienne des parasubordinati, mais elle dote ces nouveaux travailleurs de droits et de protections plus larges. Pour cette raison, les dispositions espagnoles sont régulièrement présentées comme innovantes du point de vue du droit et propres à écarter les risques d’une évolution dangereuse pour les autonomes. Bref, un modèle à suivre !
4Deux modèles donc de réforme qui visent l’un et l’autre à doter des travailleurs extérieurs à l’entreprise de droits et protections que l’on est censé ne percevoir qu’en se soumettant à l’autorité patronale. Cette opération juridique n’a rien d’évident cependant. Les travailleurs autonomes, on l’a dit, ne se lient à leur(s) donneur(s) d’ordres que par une convention ponctuelle, de sorte que leurs échanges n’offrent, en principe, pas de prise à une intervention juridique. Il faut en passer par des institutions ad hoc qui fixent les critères et les normes à partir desquels on jugera que ces travailleurs sont assujettis à des contraintes qu’ils ne peuvent lever et qu’ils sont donc assimilables à des salariés. C’est ce qu’organisent les deux dispositifs, notamment l’espagnol.
5Il n’empêche, la « subordination » des nouveaux indépendants ne prend pas la figure d’une tutelle permanente : il faut la découvrir dans la répétition de leurs échanges instantanés avec leurs clients où les mêmes gestes s’exécutent, le même projet se réalise, le même type d’investissement est consenti, etc. Toutes ces difficultés se retrouvent dans l’expression même de travailleur autonome économiquement dépendant : comment, en effet, un travailleur autonome peut-il être subordonné ? Les catégories juridiques ouvrent, on le voit, à bien des dilemmes et l’analyse du mouvement en cours peinerait à s’y limiter. Il faut donc en sortir en adoptant un cadre sociologique plus large que nous reprenons pour notre part de la sociologie du salariat [Naville, 1984 ; Rolle, 1988, 1997]. Dans ce cadre, le travailleur n’est pas défini par son contrat, mais par son inscription dans un dispositif marchand qui conditionne son accès aux échanges sociaux. Le travail, en ce sens, ne couvre pas l’ensemble de ses activités, dont certaines – sans être du travail – satisfont des besoins essentiels. Quand on nomme ces activités comme du travail, c’est que l’on revendique leur (pleine) reconnaissance et, souvent, qu’on prépare leur rémunération ; c’est-à-dire leur inscription, justement, dans le dispositif marchand général.
6De ce point de vue, la distinction fondamentale qu’opère le droit entre travail indépendant et travail salarié n’a guère de raison d’être et les expressions mêmes de travailleur indépendant ou de travailleur autonome deviennent paradoxales. Indépendants ou salariés, tous s’inscrivent dans un dispositif marchand dont ils tirent les moyens de leur subsistance. Ils sont en ce sens des travailleurs et ce commun prime, analytiquement, sur la variété de leurs emplois. Ils portent ainsi la marque d’une subordination qui déborde les frontières de l’entreprise et s’organise dans la reproduction complexe de la société salariale. Cela ne veut pas dire qu’une contrainte constante s’exerce sur eux. Leur liberté existe, même si elle ne peut être totale. À dire vrai, formule du salariat et liberté individuelle sont deux réalités totalement hétérogènes dont la première est de nature collective. Leur articulation ne peut s’espérer qu’au prix d’un colossal effort social, collectif lui aussi, que l’on peut comprendre comme l’essence du politique, mais c’est là une autre question.
7Partant de cette conception élargie du travailleur, les statuts hybrides qu’ont inventés les États français et espagnol s’analysent comme des réponses aux ambiguïtés antérieures de leurs droits nationaux qui recomposent les frontières de la juridiction publique sur le travail. Il est intéressant d’observer ces statuts pour en chercher l’origine, les opérateurs et les effets possibles, notamment en tant qu’indice d’un nouveau mode de gestion d’une main-d’œuvre détachée de son entreprise et soumise à un collectif de donneurs d’ordres. En première étape de ce programme de travail, l’article s’emploie à comprendre le rôle qu’ont joué les deux États dans les réformes en suivant les argumentaires produits à cette occasion. Il explore, dans un second temps, le contenu des deux dispositifs comparés du point de vue des conditions d’accès et des droits sociaux plus ou moins larges auxquels ils ouvrent. Cet examen relativise la distinction apparente des deux voies de réforme que les deux pays sont supposés incarner et montre en revanche que, de part et d’autre des Pyrénées, les nouveaux statuts tentent de placer les travailleurs concernés sous l’égide des institutions nationales du salariat. Ces tentatives demeurent équivoques, toujours révisables, et parviennent mal à surmonter le paradoxe originel du droit du travail qui prétend contenir la subordination des travailleurs dans un contrat spécifique en lui attachant des privilèges.
2 – Une régulation étatique
8De façon quasi simultanée, l’Espagne et la France ont remanié une partie des modalités d’exercice de leur travail indépendant. À cette occasion, elles ont produit de nouvelles catégories de travail : les travailleurs autonomes ou économiquement dépendants (TA, TRADE) pour la première, les auto-entrepreneurs (AE) pour la seconde. Comme il est courant dans le domaine du travail, l’action des instances publiques s’est donc d’abord manifestée par un exercice de catégorisation qui enregistre la singularité d’une situation de travail en reconnaissant l’incapacité des codifications juridiques antérieures à la qualifier. La singularité qui est ici reconnue est un chevauchement ou une hybridation de ce qui a longtemps été pensé comme deux façons antinomiques de s’employer : d’un côté le travail dit indépendant, producteur de prestations de service soumises au droit commercial, et de l’autre le travail salarié où l’activité du travailleur est encadrée par un contrat d’entreprise précisément réglé par le droit du travail.
9Dans les deux cas, il s’agit toujours d’échanger du travail, mais les conditions de l’échange diffèrent. Pour l’indépendant, cet échange s’organise dans le cadre de contrats ponctuels dont chacun doit préciser la nature de la prestation à réaliser, ses délais et les conditions de sa rémunération. Tout ce qui relève de l’organisation des tâches ou du temps de travail est laissé à son initiative et doit le rester. S’il en allait autrement, si le commanditaire imposait ses propres règles, leur relation pourrait être requalifiée de salariale et le commanditaire d’employeur. Le contrat salarié accorde en effet cette autorité à l’employeur ; autorité que l’employé accepte quand il signe son contrat de travail et qui inscrit l’échange de travail dans la durée. La subordination juridique, au cœur du contrat salarié, ouvre en effet un « certain droit à la poursuite d’un contrat à exécution successive » [Gaudu, 1986]. L’employeur n’a donc plus à préciser d’avance chacune des tâches qu’il veut faire réaliser. Ses salariés se sont engagés à accepter toutes celles qu’il jugera utile de leur affecter dans le cadre de leur emploi, comme ils doivent accepter l’organisation de ces tâches et, on l’a dit, l’autorité hiérarchique de leur employeur.
10L’émergence des nouvelles formalisations juridiques signale donc que la convergence du droit du travail et du droit commercial soulève des difficultés et que les États leur cherchent des solutions. Au nombre des difficultés, la fragilisation de figures constitutives des deux champs du droit n’est pas des moindres. L’employeur, le commanditaire, l’indépendant, le salarié se distinguent plus difficilement les uns des autres, tout comme se brouillent les contours de la forme entreprise. Aussi peut-on voir l’action de l’Espagne et de la France comme une tentative d’ordonnancement d’un espace juridique dont les balises tendent à devenir floues. Le premier effet est de fractionner un peu plus le groupe des travailleurs déjà partitionnés selon la durée de leur contrat (CDI, CDD), leur temps de travail (complet, partiel), les opérateurs liés par leur contrat (travail temporaire, contrat aidé), etc. Les mesures récentes s’inscrivent donc dans la généalogie des transformations catégorielles que les analystes étudient depuis la fin des années 1970 en lien avec la succession des crises qu’ont connues les pays industrialisés [Puel, 1980 ; Maurin et Dauty, 1992]. Elles complexifient un dédale déjà sophistiqué de situations de travail que le droit a spécifiées et où la norme d’emploi, l’emploi dit standard, se perd chaque fois un peu plus.
11Au-delà de l’évanescence de cette norme, dont l’existence fut finalement très brève [Pessis et al., 2013], la prolifération des catégories du droit rend surtout moins visibles les traits fondamentaux que partagent les travailleurs. Qu’ils soient indépendants ou salariés en effet et quelle que soit la forme de leur emploi tous travaillent. C’est dire, rappelons-le, qu’ils s’inscrivent dans un dispositif marchand dont les buts outrepassent ceux qu’ils leur donnent et par lequel ils accèdent aux échanges sociaux. Reconnaître ce statut fondamental et commun de tout travailleur change radicalement le cadre temporel de la réflexion et la renvoie, précisément, au salariat, c’est-à-dire ce moment où le travail apparaît comme tel, distinct des autres activités sociales, où les échanges entre les agents deviennent ponctuels et aléatoires et se trouvent pour l’essentiel réglés par des marchés, espaces de rencontres contingentes et précaires. Les travailleurs n’y ont de statut que par l’intermédiaire de leur emploi et seulement pour le temps où ils l’occupent. Dans ces sociétés salariales, la subordination ne se cantonne pas à la position du salarié qui n’est qu’une phase où s’explicite sa dépendance première, dépendance qui l’entraîne successivement dans des conditions diverses (apprentissage, différentes formes d’emploi, chômage, etc.) et lui permet de s’inclure dans un dispositif productif où sa capacité de travail joue le rôle d’une ressource.
12La prolifération des catégories juridiques brouille donc ce commun fondamental, mais ce n’est pas là, bien sûr, son but ultime. Elle signale la main de l’État dans l’appariement, devenu complexe, des travailleurs à leurs emplois pour un temps et dans des conditions toujours changeantes. La construction de statuts hybrides entre salariat et indépendance se range ainsi sous le registre de l’action publique sur l’emploi qui voit les États, depuis longtemps, soutenir les marchés, alléger les charges du travail, recycler et trier la main-d’œuvre sur différents critères (femmes, seniors, jeunes, peu qualifiés, etc.) les incitant à l’insertion ou, au contraire, au départ. Le travail indépendant n’y est pas un objet nouveau. Les intérêts en la matière ont d’abord pris la forme de mesures de lutte contre le chômage convertissant les chômeurs en entrepreneurs dont les allocations, perçues globalement, constituaient le capital initial. L’histoire s’ouvre en France en 1979 avec le premier dispositif d’incitation à la création d’entreprises (ACCRE [5]) dont l’accès a été facilité ou restreint au gré de la conjoncture. Ce dispositif fut par la suite complété par bien d’autres de même visée [6]. L’histoire espagnole est un peu plus tardive, mais commence par une initiative de même esprit que l’ACCRE [7] après laquelle les dispositifs prolifèrent en ciblant certaines populations [8]. Notons que, parallèlement à ces initiatives, les États tolèrent des régimes de travail très incertains du point de vue juridique. Citons par exemple le statut d’« entrepreneur salarié » associé en France aux coopératives d’activités et d’emploi [Mouriaux, 2005 ; Darbus, 2008] significatif pour les questions qui nous intéressent ici.
13Inscrits dans cette histoire longue, les dispositifs de l’AE et de la LETA marquent cependant un tournant : ils n’aménagent plus (seulement) des soutiens aux chômeurs en créant ici et là des statuts dérogatoires somme toute marginaux, mais témoignent de l’action large des États qui remanient les conditions d’exercice du travail indépendant. Ces deux dispositifs s’adressent en effet à l’ensemble des actifs – salariés ou indépendants – et plus seulement à quelques populations ciblées. L’action étatique qui les soutient opère une connexion, inédite dans son ampleur, entre la lutte contre le chômage et la régulation économique traditionnelle des États qui, entre autres, agit sur les statuts d’entreprise rendus plus ou moins attractifs, plus ou moins accessibles par les règles fiscales qui leur sont associées. De ce point de vue, les dispositifs de l’AE et de la LETA semblent organiser une participation plus active des travailleurs au dispositif marchand, puisqu’ils deviennent formellement responsables d’une unité économique plus ou moins réelle.
14La participation des États à une telle évolution interroge en tant que telle, mais aussi relativement aux sensibilités idéologiques des deux partis politiques qui ont alterné au pouvoir en Espagne et en France. La figure de l’entrepreneur cristallise, on le sait, de fortes oppositions idéologiques entre la droite et de la gauche. Si l’on s’attend à ce que la première la promeuve, on s’étonne parfois que ce soit également le cas de la seconde. Or, en Espagne, l’initiative revient au gouvernement socialiste de Rodríguez Zapatero (2004-2011) qui, dès son arrivée au pouvoir, convoque un groupe d’experts (quatre juristes spécialistes en droit du travail et un économiste) pour la rédaction de l’avant-projet de la LETA. Réciproquement, quand elle revient aux affaires en 2012, la gauche française ne remet en cause ni l’AE ni les dispositions générales de « Loi de modernisation de l’économie » (LME) qu’elle avait pourtant âprement discutées lors de son vote au Parlement [9]. Sur le papier pourtant, les conceptions de l’entrepreneur que proposent ces deux options politiques ne sont pas superposables. Pour la droite, traditionnellement, l’entrepreneur incarne l’énergie créatrice affranchie des poids du social, innovant face aux risques, un entrepreneur schumpétérien en quelque sorte [Schumpeter, 1935]. La gauche s’en méfierait plutôt en dénonçant les fragilités des travailleurs isolés, pliant derrière une apparente liberté, sous de multiples subordinations économiques. De fait, les deux alternances politiques sont l’occasion de glissements sémantiques quant à la figure de l’indépendant. La gauche espagnole a pensé le « nouvel » indépendant comme un travailleur à protéger tandis que la droite espagnole, revenue au pouvoir, le lira comme un « entrepreneur » à libérer. En France, si les socialistes reprennent comme on l’a dit les dispositions de la LME sans en modifier le fondement, leurs intérêts se déplacent néanmoins vers la constitution d’un tissu productif plus souple, plus innovant et plus riche en emplois. L’auto-entrepreneur n’est plus au cœur de la stratégie économique socialiste, remplacé par les unités économiques potentiellement créatrices d’emplois dont il faut stimuler la croissance. De là l’intérêt pour une nouvelle catégorie d’entreprises dites de taille intermédiaire (ETI) réputées décider de la création des richesses du pays.
15Ces différentes lectures de l’entrepreneuriat ne sont pas sans effet quant à la façon dont les mesures sont appliquées et n’ont donc rien d’anecdotique. Cependant, l’Espagne et la France témoignent d’une continuité remarquable des dispositifs sous les alternances politiques que chaque parti politique peut lire de façon différenciée, les « tirant » vers tel ou tel pôle d’interprétation [10]. Quoi qu’il en soit, ces dispositifs s’installent et perdurent dans les deux pays. Car, au-delà des différences, ils y sont présentés comme nécessaires et placés sous le registre de la modernisation de l’économie, la stimulation de la création de valeur, d’emplois, d’innovation, de prospérité économique, etc. [11]. Les instances européennes ne sont pas étrangères à ces justifications, elles qui ont fait du soutien de l’emploi indépendant un des axes forts de la Stratégie Europe 2020.
16De fait, la comparaison de l’Espagne et de la France montre bien que les nouvelles formalisations juridiques se sont articulées à des phases d’expansion économique et non de récession. La LETA s’est en effet élaborée avant la crise financière de l’été 2007, comme l’EA l’a été avant que cette crise n’affecte le plus durement l’économie française dans le courant de l’année 2009. Depuis la précédente crise des années 1992-1993, la croissance des deux pays s’était en effet maintenue malgré des hauts et des bas (notamment en 2003-2005). Elle fut même tout à fait remarquable en Espagne avec une augmentation moyenne du PIB supérieure à celle de la zone euro (3,8 % avec des pointes à 5 % contre 2,3 %). Les deux taux de chômage tendaient également à décroître sur la période : 8 % en 2007 en Espagne (contre 11 % en 2002 et 21 % en 1997) et 7 % en France en 2008 (contre 8,5 % en 2003 et 12 % en 1998). Enfin, les deux populations actives avaient nettement augmenté, là encore, de façon spectaculaire en Espagne où elle avait quasiment doublé.
17La comparaison des deux pays montre encore – fait plus intéressant – que ces quelque dix ans de croissance ont vu la stabilisation, voire la progression, de l’emploi indépendant après un mouvement historique de repli au profit du salariat en lien avec les mutations de l’après-guerre évoquées plus haut (voir graphique ci-dessous). En somme, les deux dispositifs réorganisent l’emploi indépendant alors que celui-ci est déjà en transformation. Les deux États ont donc accompagné un dynamisme préalable qu’ils contribuent sans doute à alimenter, mais qu’ils n’initient pas. Autrement dit, l’adoption de la LETA en Espagne n’est pas une « invention » du gouvernement socialiste. De même, l’AE ne rencontre le succès que parce que les auto-entrepreneurs étaient déjà, d’une certaine façon, produits. Produits par des mesures publiques de stimulation de l’emploi et de lutte contre le chômage, telles que l’ACCRE, mais également par des mouvements propres au système productif. Si les États sont à coup sûr parties prenantes de l’hybridation des formes de mobilisation de la main-d’œuvre, leur rôle paraît cependant confus, comme l’est la régulation qu’ils opèrent. On est donc loin des actions énergiques des élites dirigeantes d’après-guerre scandant les formidables mutations de la société par une idéologie de progrès sans faille [Pessis et al., 2013]. Peut-être, les États contemporains sont-ils (plus ou moins) convertis aux vertus néolibérales [Abdelnour, 2014], mais s’en tenir à cette seule dimension idéologique escamote bien des questions intéressantes.
Évolution du travail non salarié en France et en Espagne entre 1986 et 2013
Évolution du travail non salarié en France et en Espagne entre 1986 et 2013
Données : nombre annuel moyen de travailleurs non salariés âgés de 15 à 64 ans.3 – Des réformes équivoques
18Que font précisément ces nouvelles formalisations en matière de travail indépendant et à quels problèmes tentent-elles de porter remède ? Voilà deux de ces intéressantes questions que la comparaison Espagne-France oblige immédiatement à recadrer dans deux voies de réforme a priori distinctes.
19La première voie qu’illustre l’Espagne reconnaît les situations de dépendance économique des travailleurs indépendants appelés travailleurs autonomes économiquement dépendants (TRADE) : ceux dont, au moins, 75 % des revenus de travail dépendent d’un tiers unique, personne physique ou juridique, appelé client [12]. La LETA est également l’occasion d’une définition positive de la catégorie générique de travail autonome qui n’est donc plus le simple négatif du travail salarié. Le travail autonome répond aujourd’hui à trois conditions majeures et simultanées : l’activité des travailleurs doit être explicitement économique, i.e. orientée vers la recherche de profit, régulière et autonome dans sa direction et son organisation. La perte ou l’absence de l’un ou l’autre de ces critères interdit l’accès au statut.
20La France incarne une seconde voie qui remanie l’espace du contrat de droit privé sans créer de nouvelles instances juridiques à mi-chemin de l’espace réglé par le contrat salarié. Le nouveau statut de l’AE saisit les indépendants comme des entrepreneurs et leur applique une version simplifiée du régime de la micro-entreprise, dit encore régime micro-social [13], défini à l’occasion d’un remaniement antérieur des conditions de création des entreprises. Ces auto-entrepreneurs sont donc des micro-entrepreneurs, mais d’un genre particulier en ce qu’ils s’engagent, en tant que personnes physiques, dans une activité économique qui peut être exercée à titre principal ou à titre complémentaire. Cette possibilité de cumul de statuts n’est pas nouvelle, nous l’avons évoquée plus haut avec le statut d’employeur-salarié associé aux pépinières d’entreprises. L’AE stabilise juridiquement la formule et l’ouvre – voire y incite – par une simplification des procédures de création (dispense de déclaration au Registre du commerce par exemple) et par des cotisations sociales avantageuses. Un tiers des immatriculations enregistrées en 2009 et 2010 [14] sont ainsi le fait de salariés du public ou du privé, de retraités et remplacer par d’étudiants trouvant là un moyen d’augmenter leurs revenus [Barruel et al., 2014].
21De part et d’autre des Pyrénées, de nouveaux travailleurs et entrepreneurs sont donc apparus pour répondre aux difficultés nées de la progression du nombre de travailleurs placés sur des statuts incertains, dont plusieurs années de lutte contre le chômage avaient favorisé l’expérimentation. La réponse espagnole a globalement la faveur des analystes [15] pour les plus larges protections qu’elle offrirait aux TRADE qui seraient dès lors les mieux armés des indépendants européens pour lutter contre les incertitudes des marchés, parce que plus proches, au fond, des garanties et protections des salariés. Est-ce si sûr et les différences d’approche entre la France et l’Espagne sont-elles si nettes ? Sémantiquement, les différences sont subtiles : les nouveaux travailleurs autonomes espagnols doivent se consacrer exclusivement à une activité économique qui retrouve bien des traits de l’entrepreneuriat, tandis que les nouveaux entrepreneurs français sont, pour une part non négligeable, des salariés ou d’anciens salariés. Le brouillage s’accentue quand on considère les droits et les protections attachés aux deux statuts. Dans les deux cas, il s’agit de concéder ces prérogatives à des travailleurs que leur situation légale de libre échangiste (plus ou moins complet) ne leur assurait pas [16].
22Ces prérogatives et protections, l’Espagne les organise par un rapprochement entre travail indépendant et travail salarié, même si le rapprochement n’est pas total [17]. La LETA institue en effet quelques droits fondamentaux typiques du salariat comme le droit d’association, de représentation, le congé maternité/paternité, etc. [18]. La proximité avec les salariés est plus nette encore pour la sous-catégorie des TRADE, principale nouveauté de la LETA, mais dont le succès reste cependant modéré [19]. Parmi les droits accordés aux TRADE, on note quelques caractéristiques cardinales du contrat d’entreprise, par exemple l’obligation de signer un contrat de travail spécifique, l’assurance chômage et une forme de « négociation collective » sur les conditions de travail débouchant sur des « accords d’intérêt professionnel » qui s’imposent aux organisations syndicales ou professionnelles des travailleurs et aux entreprises où la prestation de travail s’applique [20]. Notons encore la compétence reconnue de la juridiction sociale qui statue sur les conflits du travail ainsi que l’amélioration de la réparation des risques professionnels.
23Au final, quelles différences entre les TRADE et les salariés espagnols ? Du point de vue de l’activité, les premiers disposent d’une autonomie (formelle) dans l’organisation de leur journée de travail et la possibilité de contracter avec d’autres pour 25 % de leur production. Ils se distinguent encore – et le point est d’importance – par leur système fiscal de référence et surtout leur régime de Sécurité sociale. Les travailleurs autonomes relèvent en effet du Régimen Especial del Trabajo Autónomo (RETA) créé en 1970 qui, sur la base de cotisations basses et malgré bien des transformations, offre des prestations moindres et des protections plus restreintes que celles dont bénéficient les salariés. Le rapprochement statutaire des TRADE et des salariés n’équivaut donc pas à une égalité de leurs droits sociaux. La remarque vaut également pour les négociations collectives que la loi a rendues possibles et dont les observateurs doutent de la mise en œuvre effective [Castro, 2011 ; Cairós, 2008 ; Aparicio et al., 2007).
24La loi espagnole organise finalement la délégation, hors de l’entreprise, de tâches partielles du système productif qui orientent l’essentiel de l’activité de travailleurs, détachés de l’entreprise et déclarés autonomes, contractant avec des clients qui sont en réalité leur donneur d’ordres. Leur subordination n’est plus aussi directe que dans l’entreprise où l’activité était dirigée et coordonnée à celle des autres employés par l’autorité directe de l’employeur ou de l’un de ses mandataires, mais elle reste économique. L’État intervient en invitant les partenaires à un cadrage minimal de leurs échanges et concède quelques droits, larges dans le texte de loi mais restreints dans la réalité des régimes. Il revient aux travailleurs autonomes de construire leur activité dans la durée sans que leur « client » ne subventionne les éventuelles ruptures qu’il pourra occasionner. Le collectif des travailleurs indépendants devra y pourvoir, pour un coût moindre que pour les salariés et pour des prestations restreintes. Le modèle espagnol, érigé par certains comme modèle à suivre, mérite donc un examen plus attentif. Pour l’heure, il témoigne surtout de l’extension d’un mode singulier de gestion d’une main-d’œuvre externalisée que l’on dote, vaille que vaille, de droits sociaux.
25Passons au modèle français qui reconnaît l’AE, d’abord, par l’activité économique qu’il crée – que le droit interprète comme « entreprise » – et par laquelle il prend le nom d’entrepreneur. Cet AE est donc a priori distinct du salarié. À mieux y regarder cependant, cet entrepreneur paraît bien singulier. D’abord – on l’a dit – il peut être salarié et indépendant, ce cumul de statuts ne lui fait rien perdre de son statut initial de salarié ni de ses avantages. Les revenus que le tiers des AE-salariés tire de l’entrepreneuriat sont considérés comme des ressources complémentaires et, à ce titre, soumis à l’impôt et aux cotisations sociales selon les règles qui prévalent pour le revenu principal (salaire ou pension) [Omalek et Rioux, 2015, p. 93]. Ceux dont l’activité indépendante est principale cotisent en revanche au régime social des indépendants (RSI) qui gère les indépendants dits « traditionnels » : artisans, commerçants et professions libérales. Le législateur n’a pas jugé bon en effet de créer une unité de gestion spécifique pour ces travailleurs particuliers qui bénéficient de cotisations forfaitaires et de procédures simplifiées leur garantissant des droits sociaux relativement favorables pour le régime. Globalement, le RSI offre des prestations moins avantageuses que celles du régime salarié, bien que l’uniformisation des différents régimes se soit accélérée depuis les années 2000 [Tabuteau, 2010]. Les écarts dans les prestations s’atténuent donc [21], notamment pour ce qui concerne les AE. La loi Madelin de 1994 a par ailleurs facilité – par des déductions de charges – la couverture complémentaire « santé » qui, de fait, était un peu moins fréquente pour les indépendants que pour les salariés [Perronnin et al., 2011]. Sous l’angle (décisif) des protections sociales, les auto-entrepreneurs ne peuvent strictement être vus comme de moindres salariés. Comme ces derniers, ils perçoivent des rémunérations, certes variables, mais dont la nature est identique : financières et sociales, qui préparent et tendent à organiser la totalité de leur vie de travail (maternité, retraite, maladie, etc.).
26Reste l’activité économique pour laquelle l’AE, contrairement aux travailleurs espagnols autonomes, ne distingue pas de situations de dépendance économique en dotant les travailleurs concernés de protections plus larges. Néanmoins, il faut tenir compte de l’intense activité jurisprudentielle par laquelle les juges français requalifient régulièrement en salariat des situations données comme indépendantes. Ces juges rectifient à cette occasion ce qu’ils considèrent comme une subordination abusive et sans contrepartie qu’ils corrigent au bénéfice du travailleur en le transformant en salarié. Autre différence avec les salariés, les auto-entrepreneurs ne peuvent prétendre à l’allocation-chômage et doivent assurer, seuls, les conséquences des ruptures d’activité : un défaut logique si on le rapporte à l’esprit de la loi (LME) qui l’encadre dont l’exposé des motifs souligne clairement le caractère provisoire souhaité de ce nouveau statut. Trois objectifs lui sont affectés : encourager et banaliser l’entrée dans l’indépendance – le cumul jouant là un rôle central –, réduire les risques économiques, patrimoniaux et sociaux de cette expérience et faciliter autant que possible les mouvements entre les statuts tout au long de la vie professionnelle en rendant possibles des durées d’indépendance très brèves. L’AE a donc été clairement pensé [22] comme un statut transitoire entre indépendance et salariat, favorisant les circulations entre ces deux statuts en minimisant les coûts de la transition et en protégeant les expérimentations entrepreneuriales des salariés. Les limites fixées au volume de l’activité selon le domaine considéré (voir encadré) vont dans le même sens : une expérience entrepreneuriale complémentaire à d’autres situations et éventuellement appelée à se développer sous d’autres statuts d’indépendant.
27En résumé, le statut pensé comme provisoire de l’AE contient donc l’activité économique dans certaines limites, organise le prélèvement des cotisations sociales, garantit un accès aux droits sociaux et structure les mobilités entre statuts ou leur cumul. En ce sens, il participe d’une certaine homogénéisation – notamment du point de vue des droits sociaux – des espaces de travail indépendant et salarié et jette un nouveau pont entre ces deux espaces jusqu’alors considérés comme nettement distincts.
4 – Conclusion
28L’Espagne et la France ont donc favorisé des montages juridiques qui, par des voies a priori distinctes, instaurent un statut équivalent et paradoxal d’indépendant-dépendant. La première inscrit la dépendance économique d’une partie des indépendants dans la loi, tandis que la seconde organise le cumul ou le passage entre deux statuts que son droit s’était jusqu’alors employé à distinguer [23]. Ces réformes répondent, ou tentent de répondre, à une dynamique sensible depuis le début du siècle de création d’emplois aux frontières de l’emploi salarié et indépendant dont les statuts restaient incertains sans pour autant être illégaux. La lutte contre le chômage a occasionné dans les deux pays des expérimentations parfois dérogatoires qui ont rendu possibles ces formes juridiquement incertaines. Leur extension appelait cependant des constructions plus robustes, notamment du point de vue des prérogatives et des protections que la situation légale de libres échangistes de ces travailleurs ne leur conférait pas. Le TRADE et l’AE leur concèdent donc ces droits en laissant leur activité économique au gré du « libre échange ». Des droits variables selon les pays et plus ou moins effectifs, mais qui ont en commun de se référer au même modèle salarial et à ses institutions qui protègent contre les risques sociaux et gèrent l’ensemble des vies de travail.
29Il est dès lors difficile de comprendre ces nouveaux dispositifs comme un « simple » démantèlement du salariat. D’un point de vue logique, c’est plutôt à une nouvelle extension que l’on assiste ou, pour être plus précis, à une atténuation des ambiguïtés des droits du travail nationaux qui ont jusqu’alors réduit la subordination des travailleurs au contrat salarié en la dissimulant sous les contreparties sociales accordées et sans penser les subordinations hors de ce contrat. Les deux dispositifs comparés témoignent que les États se préoccupent aujourd’hui de ces subordinations ignorées et, mieux, qu’ils tentent de les organiser. Sans doute répondent-ils ainsi à des besoins que l’on peut voir comme éminemment politiques. Mais leurs objectifs sont aussi pratiques. D’une façon ou d’une autre, il faut bien que ces travailleurs participent à la gestion aujourd’hui collective de la main-d’œuvre et à son renouvellement, garantissent leurs revenus à venir, contribuent au maintien de leur santé, éduquent leurs enfants, etc. Quoi qu’on fasse, le collectif doit se procurer les ressources de ses besoins collectifs croissants. Cette nécessité, la comparaison des deux pays, nous apprend qu’elle est ressentie par tous les gouvernements, quelle que soit leur orientation politique du moment.
30Ces réponses étatiques rendent donc les « travailleurs hybrides » éligibles aux droits propres des salariés, « privilèges » qu’ont obtenus les membres des entreprises. Mais, dans les deux pays, cet accès se réalise sous conditions, produisant des rôles sociaux circonstanciels, tout hérissés de seuils et de critères qui encadrent strictement l’activité et les droits. Surtout, ces règles sont chaque fois révisables, encourageant les candidats quand elles sont assouplies ou les décourageant quand elles sont durcies. Sorti de l’autorité de l’entreprise, voici le travailleur indépendant soumis à des normes et des jugements d’un organisme collectif à têtes multiples, discrétionnaire, agissant selon des logiques et des contraintes multiples parfois fort éloignées de l’emploi et de la situation des travailleurs. Ce levier d’action publique connaît pourtant des limites en raison des multiples contradictions qu’il suscite. Par exemple, l’économie que réalisent les employeurs individuels en matière de contributions aux assurances sociales avec ces nouveaux statuts, comment l’assurer si ce n’est de façon indirecte par l’impôt ? Mais l’impôt a également des limites que les contraintes politiques imposent de ne pas frôler de trop près. De même, jusqu’où les États peuvent-ils laisser ces travailleurs indépendants exercer aux frontières de professions réglementées sans leur imposer leurs contraintes ? Ou encore, comment les organismes gestionnaires des droits sociaux des indépendants parviendront-ils à absorber la charge de nouveaux bénéficiaires, souvent faiblement contributeurs ?
31Bref, ces nouveaux statuts de travailleurs rebrassent les cartes et percutent bien des aménagements antérieurs. Si, dans les deux pays, les États sont bien à la manœuvre, leur marche reste hésitante, oscillante au gré des problèmes qui surgissent comme la dénonciation, en France, des concurrences déloyales et des cotisations jugées trop lourdes de la part des « indépendants traditionnels ». La régulation qu’opèrent ces États pourrait aussi bien se lire comme une dérégulation. Quoi qu’il en soit, leurs actions restent fondamentalement confuses sous l’apparente clarté des motifs énoncés. En répondant aux ambiguïtés antérieures et présentes du droit, les nouveaux montages juridiques ouvrent de nouvelles formes de détachement des travailleurs de l’entreprise ou de toute autre institution de travail. Ils peuvent plus facilement aujourd’hui contribuer à leur processus productif bien que se tenant à sa périphérie, ou former une activité productive plus ou moins pérenne et plus ou moins rémunératrice. Si l’hypothèse est juste, les situations de travail que nous commençons à observer sont appelées à se multiplier, et exigeront des solutions juridiques plus radicales que les procédures équivoques mises en œuvre aujourd’hui. Est-ce ce qui se dessine aussi derrière les appels insistants à la révision de notre droit du travail ? L’examen de ces formes hybrides doit donc se poursuivre, non plus sous l’angle de la seule action publique comme on l’a fait ici, mais sous celui de la dynamique productive et des transformations productives concomitantes.
Le statut du travailleur autonome en Espagne (12/10/2007)
Le statut du travail autonome (Jefatura de Estado, 2007) a été instauré par la loi 20/2007 du 28 juin 2007 (appliqué le 12 octobre). Celle-ci a connu depuis des aménagements : le Décret royal 1997/2009 du 23 février sur les dimensions liées aux « travailleurs autonomes économiquement dépendants » (TRADE) (Ministerio de Trabajo e Inmigración, 2009a) et la Loi 32/2010 du 5 août (Jefatura del Estado, 2010) pour les protections spécifiques d’arrêt d’activité.
Conditions d’accès et modalités de sortie
Le statut s’applique automatiquement à toutes les personnes réalisant – de façon régulière, personnelle, directe, à leur compte et en dehors du champ de direction et d’organisation d’une autre personne – une activité économique à but lucratif et indépendante, que ces personnes engagent ou non des salariés. La perte ou la non-existence de ces caractéristiques excluent du statut.
Les TRADE « réalisent une activité économique ou professionnelle à titre lucratif et de façon habituelle, personnelle, directe et prédominante pour une personne physique ou juridique, appelée client, de qui ils dépendent économiquement pour au moins 75 % de leurs revenus de travail, d’activités économiques ou professionnelles ». Les TRADE :
- sont obligés de signer un contrat écrit (déposé au registre de l’administration concernée) reconnaissant ce type de travailleur indépendant et les parties engagées, l’objet du contrat, le temps de travail et de repos hebdomadaires et annuels (au moins 18 jours de vacances par an), les clauses de réalisation du contrat et les éventuelles indemnités dérivées ;
- ne peuvent employer un autre salarié, ni sous-traiter les activités commandées ;
- doivent exécuter leur travail de façon distincte du reste de travailleurs (salariés ou indépendants) engagés par le client ;
- disposent de leur propre infrastructure productive et des matériaux suffisants (indépendants de ceux du client) pour réaliser l’activité demandée ;
- organisent leur activité selon leurs propres critères organisationnels, au-delà des indications techniques fournies par le client ;
- perçoivent une contrepartie financière selon le résultat de leur activité et dans les termes négociés préalablement avec le client, tout étant responsables du risque économique de sa mise en œuvre.
- Droits individuels à l’égalité et à la non-discrimination ; de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; protection des mineurs de 16 ans et possibilité d’engager comme travailleurs salariés de l’entreprise familiale les enfants de moins de 30 ans ; droits à la santé et à la sécurité au travail ; prévention des risques au travail ; garanties économiques (caractéristiques et durée du contrat ; droits à percevoir une rétribution en échange de son activité ; une meilleure protection du logement de l’indépendant en cas de pertes financières de l’activité professionnelle…).
- Droits collectifs d’association et de défense collective des intérêts professionnels ; à la participation à la définition et la gestion des politiques publiques liées au collectif de travailleurs indépendants (reconnaissance des associations de travailleurs indépendants majoritaires comme interlocutrices avec l’administration publique) ; création du Conseil du travail autonome (avec présence des organisations majoritaires des indépendants, les organisations syndicales et patronales, ainsi que l’administration publique) en tant qu’organe de consultation et de promotion du dialogue.
- Assurance maladie-maternité, réparation plus favorable pour les risques professionnels (TRADE).
- Droit à la retraite et à une préretraite en cas de dangerosité de l’activité (même supposée).
- Assurance chômage.
- Réduction et bonifications dans les cotisations à la Sécurité sociale (Régime spécial du travail autonome-RETA) pour : les travailleurs cotisant à plusieurs régimes de la Sécurité sociale (salariés et indépendants) et dépassant les plafonds ; les jeunes débutants de moins de 30 ans (35 ans dans le cas des femmes) (réduction du 30 % des cotisations pendant 30 mois) ; les femmes qui décident, après une maternité et pendant deux ans, de reprendre leur activité indépendante (réduction du 100 % des cotisations pendant 12 mois) ; les travailleurs handicapés décidant de s’installer à leur compte (réduction du 50 % des cotisations pendant 5 ans), etc.
- Capitalisation possible de l’allocation chômage pour 40 % du montant perçu (les 60 % restants étant réservés pour les paiements des cotisations sociales). En 2008, la part de capital passe 60 % et 80 % en 2009 pour les moins de 30 et les femmes de moins de 35 ans).
- Subventions pour l’auto-emploi de 5 000 € et 6 000 € pour les moins de 30 ans, 7 000 € pour les femmes, 8 000 € pour les personnes handicapées, 10 000 € les femmes handicapées avec un bonus systématique de 10 % pour les femmes victimes de violence conjugale.
- Financement de projets d’investissement, aides pour les intérêts sur les investissements (au moins 75 % des immobilisations) avec une réduction jusqu’à 4 points dans les taux d’intérêt pour un montant maximal de 5 000 à 10 000 € selon les situations.
- Subventions technologiques et organisationnelles pour l’innovation (gérées par les organisations représentatives des travailleurs indépendants couvrant jusqu’à 75 % du coût du service et un maximum de 2 000 €) lors de la création de l’auto-emploi.
- Formation professionnelle de la prise en charge à hauteur de 75 % du coût total et un maximum de 3 000 €.
La France et le régime de l’auto-entrepreneur (mis en œuvre au 01/01/2009)
Le régime de l’auto-entrepreneuriat a été créé par la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 août 2008 et repose sur une extension du régime micro-social permettant de calculer et de payer des cotisations de protection sociale obligatoire et (au choix) un impôt libératoire. Les cotisations sociales couvrent : l’assurance maladie-maternité, les indemnités journalières (sauf pour les professions libérales), la CSG/CRDS, les allocations familiales, de retraite et de retraite complémentaire obligatoire, le régime d’invalidité et de décès et la cotisation de formation professionnelle.
Les activités indépendantes rattachées au régime général de la Sécurité sociale (artistes auteurs par exemple relevant de la maison des artistes) ou de la MSA ne peuvent bénéficier de ce régime.
Conditions d’accès
- Toute personne physique (à l’exclusion des sociétés et des personnes morales) exerçant à titre individuel et de façon principale ou complémentaire (fonctionnaire, salarié, retraité, étudiant).
- Depuis le 1er janvier 2015, inscription obligatoire au Registre du commerce et des sociétés pour les commerçants et au répertoire des métiers pour les artisans (disposition de la Loi 18 juin 2014, dite Loi Pinel). Les professions libérales sont dispensées.
- Depuis le 1er janvier 2015 (Loi Pinel), obligation pour les auto-entrepreneurs-artisans de suivre un stage de 30 heures (180 euros) dispensés par les chambres des métiers.
- Automatique si le CA dépasse le seuil de CA autorisé l’année de création. Les années suivantes, en cas de dépassement des seuils de CA deux années de suite, mais dans une certaine limite.
- En cas d’absence de CA pendant 24 mois.
- Franchise de TVA (pas de facturation ni de récupération).
- Déclaration simplifiée des cotisations sociales sur la base d’un taux forfaitaire appliqué au CA (14,1 % pour la vente, 23,3 % pour les professions libérales, 24,6 % pour les services).
- Possibilité de versement libératoire de l’impôt sur le revenu sous réserve de seuil de revenu du foyer fiscal (de 1 à 2,2 points supplémentaires sur les cotisations). Si bénéfice de l’Accre (aide aux chômeurs) cotisation réduite.
Couverture (si l’activité est complémentaire, le régime de l’activité principale reste la référence)
- Assurance maladie-maternité identique à celle des salariés (prestations et taux de remboursement).
- Prestations maternité et paternité.
- Droits à indemnités journalières (sauf pour les professions libérales) calculées selon le CA avec un abattement forfaitaire (71 % pour les activités de vente, 50 % pour les prestations BIC et 34 % pour les prestations BNC).
- Retraite de base et complémentaire en fonction du CA, les trimestres étant validés si le CA trimestriel dépasse des seuils fixés (à peu près 30 % du seuil maximal).
- Prestations d’allocations familiales identiques à celles des salariés.
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Mots-clés éditeurs : subordination, travail indépendant, protection sociale, statut du travail, action publique
Date de mise en ligne : 28/11/2016
https://doi.org/10.3917/rfse.017.0021Notes
-
[1]
Citons : la Bulgarie (JOBS), la France (le régime de l’auto-entrepreneur), l’Espagne (LETA), l’Irlande (BTWEA), l’Italie (parasubordinati), la Lettonie (plan de soutien aux micro-entreprises en 2009), l’Autriche (UGP), le Portugal, la Roumanie, etc.
-
[2]
Précisément 32 997 400 non-salariés (Eurostat, EU 28, 2013) regroupant les indépendants (92 %) et les aides familiaux (8 %).
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[3]
Le détail de ces deux régimes est présenté dans l’encadré en fin d’article.
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[4]
En 2010, on comptait 1 923 000 indépendants dits « classiques » : commerce, artisanat et professions libérales (Insee, base non-salariés) et 604 000 exploitants agricoles (Agreste).
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[5]
Aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d’entreprise.
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[6]
Citons : le groupement d’employeurs (1985), le portage salarial (fin 1980), le Fonds de garantie général à l’initiative des femmes (FGIF, 1989), les « couveuses d’activités et d’entreprise » (1993), les « coopératives d’activités et d’emploi » (1995), l’encouragement à la création d’entreprises nouvelles (EDEN, 1999) remplacé par la nouvelle aide à la politique d’entreprise (NACRE en 2008), le CAPE (2003), etc., jusqu’au régime de l’auto-entrepreneur (2008).
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[7]
Ministerio de Trabajo y Seguridad Social, 1985.
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[8]
Le Plan de promotion de l’emploi indépendant (Ministerio de Trabajo y Seguridad Social, 1986), le Programme Entreprendre au féminin (Ministerio de Trabajo y Asuntos Sociales, 1996), les différentes mesures urgentes pour promouvoir l’emploi indépendant et l’embauche (Ministerio de la Presidencia, 2008 ; Ministerio de Trabajo e Inmigración, 2009) ou la Stratégie espagnole pour l’emploi, 2012-2014 (Ministerio de Trabajo e Inmigración, 2011a).
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[9]
Elle sera adoptée par 58 % des votants : 321 voix pour et 230 voix contre, tandis que la LETA est instaurée à l’unanimité des voix du Parlement espagnol.
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[10]
Et ces tendances sont, encore une fois, productrices d’effets sensibles sur les conditions d’exercice du travail.
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[11]
Ces expressions sont reprises des rapports publics sur le travail indépendant qui préparent, discutent ou évaluent les dispositifs législatifs.
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[12]
Pour une présentation détaillée de ces réformes, voir Riesco-Sanz [2014].
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[13]
Que le décret de 2008 définit à présent comme occupant moins de 10 personnes avec un chiffre d’affaires inférieur à deux millions d’euros.
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[14]
Respectivement 217 000 et 360 000, soit une progression d’un tiers qui marque le succès du Régime comme en témoigne la part (60 %) qu’ont prise les auto-entreprises dans la création globale d’entreprises en 2010 [Hagège et Masson, 2011].
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[15]
Par exemple Triomphe [2008].
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[16]
Sans doute aussi, l’Espagne et la France se préoccupent-elles des défauts de cotisations et de taxes que supposerait le travail illégal quand les coûts des risques sociaux progressent.
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[17]
Malgré l’effort réalisé, les différences persistent toujours entre un statut et un autre. En ce qui concerne la prestation pour retraite, par exemple, les quantités perçues par les travailleurs indépendants par le biais de la Sécurité sociale sont encore très faibles et bien inférieures (38 %) à celles perçues dans le Régime général des salariés [Unión de Profesionales y Trabajadores Autónomos, 2012].
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[18]
Se reporter à l’encadré pour le détail des mesures.
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[19]
En effet, le statut concerne officiellement 9 649 personnes [Ministerio de Empleo y Seguridad Social, 2015]. Un chiffre très inférieur au nombre de travailleurs exécutant au moins 75 % de leur production pour un tiers unique que l’on avait estimé, préalablement à la LETA, à 14 % environ des indépendants espagnols, soit 300 000 à 400 000 travailleurs [Asociación de Trabajadores Autónomos, 2006 ; Agut et Nuñez, 2012]. Le principal obstacle semble venir des employeurs, inquiets des « protections renforcées » du statut de TRADE, qui préfèrent signer des contrats classiques avec des travailleurs autonomes « standard ».
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[20]
Ces « Accords d’intérêt professionnel » restent moins larges et moins garantis que les négociations collectives organisées dans l’espace réglé par le contrat salarié. Ils inscrivent malgré tout une dimension collective négociée dans le contrat liant les entreprises qui recourent aux TRADE et les représentants syndicaux ou professionnels de ces derniers. Sur ce point, voir Castro [2011].
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[21]
Les professions libérales restent les moins protégées. La hauteur supposée de leurs revenus et leur conscience des risques réputée plus présente (la « ligne de respectabilité » des cotisations sociales) restent des freins puissants à l’homogénéisation des droits et des leviers tout aussi puissants de privatisation des droits sociaux [voir Algava, Cavalin et Celérier, 2011].
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[22]
Ce qui ne préjuge pas des situations réelles des auto-entrepreneurs.
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[23]
Nous avons vu que cette intention n’est que partiellement réalisée et que les deux tiers des auto-entrepreneurs en ont fait leur activité principale, parfois dans des situations de dépendance économique de fait.