Notes
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[1]
Nous remercions sincèrement les rapporteurs et le comité de rédaction de la RFSE pour leurs commentaires qui ont permis une amélioration significative de ce travail. Nous remercions également Emmanuelle Besançon (CRIISEA/Institut Godin) pour ses précieuses relectures.
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[2]
Nous utilisons ici le terme « accompagner » et non « provoquer » qui induirait de fait une relation de causalité entre l’effondrement de l’esprit de marché et la crise de cette société. Concernant les déterminants de cette crise, certains des travaux historiques de Polanyi [1933a ; 1933b ; 1934a ; 1934b ; 1934c ; 1944] éclairent le caractère complexe de sa théorie de la faillite du marché autorégulateur.
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[3]
Pour une analyse critique de cette méthodologie, voir Caillé [1993].
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[4]
« On the one hand, Polanyi puts forward a thesis about the impossibility of separating economy from society because all economic systems are embedded in social relations and institutions. On the other hand, he envisions, in numerous places, the market economy as separate from social institutions, functioning according to its own rules; therefore; markets and market economy are disembedded. »
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[5]
« Economy is by definition enmeshed in social relations and institutions. Hence, the demarcation between economy and society is absurd. »
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[6]
Polanyi ne semble pas faire de distinction entre les notions de capitalisme, d’économie de marché et de société de marché. Si le sens qu’il confère au capitalisme est difficile à circonscrire (car son analyse est avant tout centrée sur le marché), ses travaux de 1937 [p. 458-459], 1944 [p. 103-112] et 1977 [p. 197-201] permettent de formaliser trois éléments non exhaustifs caractéristiques du capitalisme : 1) Il s’agit d’un processus de généralisation du mécanisme d’offre-demande-prix sur les lieux de marché, constituant un système faiseur de prix. 2) Ce processus s’accompagne d’une généralisation de la détermination de la valeur par des prix (appelés intérêt, rente, salaire, etc.), en lien avec la création de marchandises fictives. 3) Il s’appuie sur une division entre la sphère économique et la sphère politique. Nous reviendrons sur la distinction entre marché (faiseur de prix) et marché (espace d’échange) dans la dernière partie de cette contribution.
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[7]
Polanyi utilise le terme de market mentality, traduit en français par « esprit de marché ».
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[8]
Ces deux acceptions proviennent de la conjecture de von Neumann. Pour une présentation de celle-ci, voir Dupuy, [1992, p. 213-216].
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[9]
Le terme de bootstrapping synthétise ce phénomène d’autotranscendance. Il fait référence au baron de Münchhausen qui réussit, dit-on, à s’extraire d’un marais en se tirant lui-même par les sangles (strap) de ses bottes (boot).
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[10]
Cette application est de l’ordre des représentations, cela signifie moins que ces institutions sont « économiques » que le fait que la rationalité économique devienne une « grille de lecture » de ces institutions.
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[11]
C’est-à-dire qu’ils « déterminent » cette forme de société, « de même que dans un triangle les côtés ne font pas qu’influencer les angles, ils les déterminent » [Polanyi, 1977, p. 47].
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[12]
Nous remercions Bernard Chavance d’avoir attiré notre attention sur ce point.
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[13]
Les PTCE sont définis comme « un groupement d’acteurs sur un territoire – initiatives, entreprises et réseaux de l’économie sociale et solidaire, petites et moyennes entreprises, collectivités locales, centres de recherche et organismes de formation – qui met en œuvre une stratégie commune et continue de coopération et de mutualisation au service de projets économiques innovants de développement local durable ». Source : http://www.lelabo-ess.org.
1La critique de l’émergence d’une nouvelle forme de société au xixe siècle est l’une des thèses de Karl Polanyi qui a rencontré le plus de succès ces dernières décennies. En formulant sa métaphore de l’encastrement-désencastrement, Polanyi envisage les conditions institutionnelles qui ont favorisé la séparation de l’économie et de la société par l’émergence d’un marché autorégulateur. La crise de cette société qui s’accompagne de l’effondrement de l’esprit de marché et ses conséquences économiques, sociales et politiques, marquerait la « grande transformation » qu’a connue le début du xxe siècle [2]. Parmi les concepts clés de Polanyi, celui de désencastrement est peut-être celui qui a soulevé le plus d’interrogations concernant sa teneur analytique mais aussi sa pertinence empirique [Barber, 1995 ; Gemici, 2008].
2L’objet de cette contribution est de montrer que le processus de désencastrement dans l’œuvre de Polanyi n’est pas uniquement lié à la tentative de généralisation d’un système de marchés autorégulateurs. Selon nous, ce processus tendanciel relève également d’un autre phénomène, plus abstrait, relatif à l’autorégulation d’un marché imaginaire qui s’impose comme institution organisatrice du social. Cette forme d’autorégulation serait liée à l’émergence d’une nouvelle institution qui s’autodistancie des relations sociales sur lesquelles elle rétroagit par un mécanisme autoréférentiel. Dès lors, les concepts de « point fixe », d’« auto-extériorisation » et d’« autoréférence » développés par l’Individualisme méthodologique complexe (IMC [3]) de Dupuy peuvent constituer une grille de lecture pertinente en vue de dessiner les contours de ce processus. Le terme « institution » est employé ici dans un double sens dont la genèse est retracé par Guéry [2003, p. 7-18]. Il s’agit tout à la fois d’une dynamique : le processus de formation du social, ainsi que de l’objectivation de ce processus dans un élément plus statique : le point fixe du social.
3La thèse que nous soutenons tout au long de cette contribution peut s’énoncer de la manière suivante : pour formuler une interprétation de l’encastrement-désencastrement fidèle au sens que Polanyi confère à cette métaphore, le commentateur doit positionner son niveau d’analyse dans la relation existant entre l’économie et l’institution organisatrice du social. Dans cette perspective, nous discutons l’hypothèse selon laquelle le désencastrement serait un processus lié à l’émergence des sociétés modernes de type autonome. Ainsi, nous plaçons notre analyse dans la perspective des travaux d’économie institutionnelle qui montrent que l’émergence d’un marché autorégulateur n’est pas « naturelle », mais inscrite dans une période particulière de l’histoire, tout en étant issue des relations sociales [Chavance, 2011 ; Maucourant, 2004, 2005 ; Maucourant, Plociniczak, 2009 ; 2011 ; Plociniczak, 2007 ; Postel, Sobel, 2010].
4Notre démonstration se déroulera en trois temps. Nous reviendrons tout d’abord sur les interprétations de la métaphore de l’encastrement-désencastrement de l’économie en distinguant l’encastrement social de l’encastrement politique. Nous serons alors en mesure de montrer que seule l’interprétation politique de l’encastrement situe son niveau d’analyse dans la relation changeante entre l’économie et la société. Nous montrerons ensuite la pertinence des outils conceptuels de l’IMC qui, selon nous, permettent de donner une représentation du désencastrement comme un processus tendanciel de production endogène d’extériorité. Enfin, nous discuterons des apports analytiques de cette interprétation, notamment de la distinction entre les marchés, comme espaces d’échanges, et le marché, comme institution imaginaire pour appréhender l’œuvre de Polanyi. L’ensemble de ces étapes nous semble mettre en lumière une caractéristique non négligeable de la crise actuelle. La crise que connaissent nos sociétés économiques serait tout autant une crise économique qu’une crise politique. Cette dernière serait liée à la résurgence d’un marché imaginaire auto-extériorisé, dont émane une relation problématique entre celui-ci et les exigences d’une réelle auto-organisation démocratique. C’est dans cet interstice que l’économie solidaire comme « démocratisation de l’économie » trouve tout son sens et toute sa pertinence.
1 – Le problème du désencastrement
5Lorsque l’on examine les interprétations de l’encastrement de l’économie, on s’aperçoit rapidement que le sens conféré au désencastrement est intimement lié à l’interprétation du premier versant de la métaphore : celui de l’encastrement [Laville, 2004 ; Le Velly, 2007]. Nous synthétiserons ici la richesse des débats scientifiques en deux positions majeures. La première est proposée par la sociologie économique anglophone, elle rend compte d’une interprétation sociale de l’encastrement. La deuxième est étayée par les travaux de sociologie économique francophone et d’économie institutionnelle, elle propose une interprétation politique de l’encastrement.
1.1 – L’encastrement social des marchés et le désencastrement comme impossibilité logique
6La sociologie économique anglophone ou Nouvelle Sociologie économique s’inscrit dans la volonté de proposer une théorie de l’action en rupture avec les catégories proposées par Talcott Parsons [Granovetter, 2000 ; 2008]. Cette rupture se concrétise par l’investigation d’une nouvelle catégorie d’analyse : celle des réseaux relationnels. Par encastrement, Granovetter va ainsi rendre compte d’un processus d’étayage des marchés sur un terreau relationnel symétrique. Dans son article inaugural, « Economic action and social structure: the problem of embeddedness » [1985], l’auteur défend l’idée selon laquelle la construction des marchés est nécessairement liée à la formation préalable d’échanges de nature non monétaire. L’encastrement social des marchés renvoie à une dynamique produite par l’histoire des relations sociales qui participent à la formation de marchés sous leur forme institutionnalisée. La formation institutionnelle des marchés ne serait alors pas « naturelle » mais le résultat d’un processus social dont les facteurs ne se limitent pas à la recherche de l’efficience. Autrement dit, les marchés sont enracinés dans le monde vécu des individus. Ils sont des institutions sociales de l’économie et ne peuvent être considérés comme ayant un principe de formation et de fonctionnement, indépendant des relations interindividuelles.
7L’encastrement est ici un encastrement social ou encastrement-étayage qui, par cette clé d’entrée, n’accepte pas la possibilité d’un désencastrement : les marchés sont toujours socialement construits et l’existence même d’une économie sans institutions serait une absurdité empirique et logique [Barber, 1995 ; Le Velly, 2007 ; Orléan, 2003].
8À ce propos, Granovetter souligne la valeur heuristique de la métaphore de l’encastrement issue des travaux de Polanyi [1944 ; 1977 ; 2007], mais dénonce par la même occasion une dimension polémique qui leur serait inhérente. Selon l’auteur, l’analyse de la société du xixe siècle élaborée par Polanyi dans La Grande Transformation débouche sur une surestimation accordée au marché en tant que phénomène autonomisé qui présagerait un processus de désencastrement. Ainsi, comment Polanyi peut-il dénoncer l’autonomie des marchés alors que leur genèse est liée aux relations interindividuelles qui font de ceux-ci une construction enracinée dans le vécu des individus ? Dans une perspective similaire à celle de Granovetter, Gemici [2008] dénonce la position contradictoire des travaux de Karl Polanyi. « D’un côté, Polanyi avance une thèse sur l’impossibilité de séparer l’économie de la société, du fait que tous les systèmes économiques sont encastrés dans les relations sociales et les institutions. De l’autre, il envisage, en de nombreux endroits, l’économie de marché séparée des institutions sociales, fonctionnant selon ses propres règles ; par conséquent, les marchés et l’économie de marché sont désencastrés [4]. » [Gemici, 2008, p. 7] Ces deux propositions nous semblent synthétiser le « paradoxe de Polanyi » soulevé par la sociologie économique anglophone. D’une part, l’économie comme activité humaine ne peut se séparer de la société de par son contexte lié aux relations sociales. D’autre part, les marchés comme composante de l’économie seraient capables de se distancier de la société et de ses relations sociales jusqu’à atteindre un certain degré d’autonomie. La première proposition entre parfaitement dans le cadre de l’analyse des réseaux relationnels, la seconde proposition demeure incompréhensible. Gemici [2008, p. 23] conclut : « L’économie est par définition enchâssée dans les relations sociales et les institutions. De ce fait, délimiter l’économie de la société est absurde [5]. » À nouveau, c’est bien l’interprétation et l’existence même d’un désencastrement qui devient problématique.
1.2 – L’encastrement politique de l’économie et le désencastrement comme autonomisation du Marché
9À partir des deux propositions soulevées par Gemici [2008], nous allons montrer ici que ce paradoxe de l’encastrement-désencastrement peut être relativisé par l’interprétation des travaux de Polanyi proposée par les auteurs de la sociologie économique francophone et de l’économie institutionnelle.
10Tout comme la sociologie économique anglophone, la sociologie économique francophone a fait du concept d’encastrement un d’objet d’étude majeur [Nanteuil, 2008 ; Laville, 2004 ; Le Velly, 2007 ; Steiner, 2002]. La thèse défendue par ce courant peut s’énoncer comme suit : le problème du désencastrement n’est pas relatif à la cohérence d’ensemble des travaux de Karl Polanyi mais à la clé d’entrée analytique privilégiée en vue d’en donner une interprétation. Dans cette perspective, il n’existerait pas deux Polanyi, l’un analytique, l’autre polémique, mais deux conceptions distinctes et complémentaires de la métaphore. La deuxième conception est celle de l’encastrement politique de l’économie. Contrairement à l’encastrement social, qui rend compte des liens entre les marchés et les réseaux relationnels, l’interprétation politique de la métaphore aborde le processus d’encastrement de l’économie par la relation existant entre l’économie et les ordres du social [Caillé, 2005 ; Laville, 2004 ; Le Velly, 2007]. L’économie ne se limite alors pas aux marchés. Elle correspond à l’ensemble des conditions qui assurent la subsistance des hommes et qui favorisent l’unité et la stabilité de l’économie [Polanyi, 1957b ; 1977]. Ces conditions sont analysées par Polanyi à partir des formes d’intégration économique que sont l’échange, la redistribution et la réciprocité [Polanyi, 1975b, p. 244-249]. Ces trois formes d’intégration, présentes à divers degrés dans l’ensemble des sociétés humaines, sont insérées dans une institution sociale qui organise l’agencement et la circulation des biens et services. Cela nous semble particulièrement bien mis en lumière par l’analyse de Neale [1957a, p. 221-225] qui montre les relations existant entre l’agencement institutionnel de l’économie d’un village dans la province indienne d’Oudh au xviiie siècle et l’organisation du social sur la base du chef de village et de l’allégeance des villageois au Raja commun. Dans une perspective similaire, Oppenheim [1957, p. 64-65] analyse l’histoire économique de la Mésopotamie et précise que « ces formes d’intégration économique sont en fait profondément incorporées à l’édifice social du pays », telles que la religion ou la royauté. Dans le chapitre « Sociétés et systèmes économiques » de La Grande Transformation, Polanyi s’interroge sur la manière dont la production et la distribution de biens et services sont organisées chez les Trobriandais de Mélanésie occidentale. Production et circulation s’insèrent dans un mécanisme de redistribution dont l’existence et l’organisation sont, in fine, rendues possibles par la structure institutionnelle de l’ordre : les points de centralisation que sont le chef (chief) et les chefs (headmen) du village [Polanyi, 1944, p. 76-77]. Aussi, les travaux de Clastres sur la chefferie indienne [1974, p. 25-42] nous incitent-ils à préciser la teneur du pouvoir établi entre le groupe et le chef. En effet, si ce dernier est un « planificateur des activités économiques et cérémonielles du groupe, le leader ne possède aucun pouvoir décisoire » [Clastres, 1974, p. 34]. Cette relation se fonde alors sur une disjonction entre le pouvoir et la coercition. Le pouvoir du chef est symbolique dans sa fonction de maintien de la paix et de l’harmonie du groupe sans pour autant être de nature coercitive. « Plus qu’un juge qui sanctionne, il est un arbitre qui cherche à réconcilier » [Clastres, 1974, p. 28].
11L’encastrement de l’économie renvoie ici à son insertion au sein d’une institution organisatrice du social et non à l’étayage des marchés sur des réseaux relationnels. « Il ne s’agit plus de partir des contextes sur lesquels s’étayent les activités, mais d’évaluer jusqu’à quel point les différents ordres du social sont autonomes-désinsérés et jusqu’à quel point ils sont subordonnés-insérés les uns aux autres. » [Le Velly, 2007, p. 249]
12Dans cette perspective, le paradoxe soulevé par Gemici peut être relativisé si l’on distingue l’encastrement social des marchés de l’encastrement politique au sein du social. Dans le premier cas, les marchés sont des constructions sociales de par leur étayage (encastrement) sur des réseaux relationnels. Dans le second cas, l’économie est insérée (encastrée) au sein d’une institution sociale qui agit sur le « vivre ensemble ». Ainsi, la clé d’interprétation analytique investie par la sociologie économique francophone représente une véritable montée en généralité. Ce n’est pas la dynamique liée à la construction des marchés qui est ici appréhendée mais une dynamique plus générale, celle du rapport changeant entre économie et société. Ce niveau d’analyse ainsi que l’interprétation de l’encastrement comme « insertion » nous semblent constituer un champ de rencontre entre les travaux de sociologie économique francophone et ceux de l’économie institutionnelle [Chavance, 2007 ; 2011 ; Bugra, 2005 ; Maucourant, 2004 ; 2005 ; Maucourant, Plociniczak, 2009 ; 2011 ; Postel, Sobel, 2010]. Deux éléments majeurs d’interprétation de l’encastrement peuvent être mis en lumière au sein de ces analyses économiques.
13Premièrement, la métaphore de Polanyi renvoie à l’insertion de l’économie au sein d’un système de règles fixées par une institution régulatrice permettant de compenser les effets problématiques du capitalisme [6]. Pour Polanyi, écrivent Postel et Sobel, « dans toutes sociétés humaines jusqu’au xixe siècle, le domaine économique est resté confiné dans un statut social finalement subordonné aux systèmes des besoins. Quelles que soient leurs formes historiques – lesquelles pouvaient donner lieu à des relations de domination et à des inégalités –, ces activités se déployaient sous des formes encadrées et encastrées dans une existence sociale, maîtrisées et régulées par des institutions d’ordre juridique ou politique. » [Postel, Sobel, 2010, p. 7] Ce premier élément d’interprétation porte sur la nécessité d’une intervention régulatrice en vue de compenser les problèmes sociaux induits par le capitalisme [Beckert, 2006 ; Maucourant, Plociniczak, 2011]. Ce système de règles peut alors être institué de manière macro-économique par une institution centrale telle que l’État. Mais il peut aussi être, comme le proposent les travaux sur le commerce équitable d’Alcolea-Bureth [2004, p. 189-244] et de Le Velly [2006], fixé dans une perspective méso-économique par un ensemble d’acteurs économiques situés sur un espace donné.
14Deuxièmement, la métaphore de Polanyi renvoie à l’insertion de l’économie au sein d’un principe organisateur du social tel que la religion ou la politique [Chavance, 2011 ; Maucourant, Plociniczak, 2011 ; Plociniczak, 2007]. Ce second élément d’interprétation possède une teneur plus abstraite que le premier. Il présente l’économie non pas comme un domaine autonome du social, mais comme un élément inséré dans un principe plus vaste, une institution organisatrice du social, comme peut l’être la religion. Cette institution transcende l’économie et ses formes d’intégration, notamment en émettant des règles qui régissent les rapports économiques. Ce second élément d’interprétation s’inscrit donc dans la lignée du premier. Le tableau 1 présente une synthèse des interprétations de l’encastrement de l’économie.
Les interprétations de l’encastrement de l’économie
Les interprétations de l’encastrement de l’économie
15À partir de cela, le désencastrement ne témoigne pas d’une économie sans institution. Il ne renvoie pas non plus à une économie dissociée de ses réseaux relationnels. Le désencastrement de Polanyi est interprété comme un processus d’autonomisation de l’économie [Chavance, 2011 ; Maucourant, 2005 ; Postel, Sobel, 2010 ; Laville, 2004]. Tout comme l’interprétation de l’encastrement, le désencastrement est envisagé par ces auteurs comme un processus qui s’inscrit dans la relation établie entre l’économie et l’institution organisatrice du social. Le désencastrement est une métaphore qui renvoie à la transformation de cette institution. Jadis de nature extraéconomique, cette institution tend désormais à prendre une forme économique : celle du marché autorégulateur. « La naissance du marché autorégulateur signifierait donc ni plus ni moins que le certificat de décès de l’“encastrement” […] dans le tissu social, politique et religieux des relations de production, d’échange et de financement. » [Plociniczak, 2007, p. 208] Comme le souligne Maucourant [2005, p. 130], l’une des thèses majeures de Polanyi porte sur le rôle structurant des représentations dans le processus de formation des sociétés humaines. L’institution qui organise le social, c’est-à-dire qui participe à l’édifice de la société en favorisant l’unité d’une multitude d’individus, « renvoie précisément à ce rôle des représentations collectives » [ibid., p. 130]. Dans le cadre des sociétés prémodernes, l’une des représentations collectives qui assure l’unité du social tout en organisant la production et la circulation de biens et services s’objective dans la figure du chef de village. Le chef, même s’il est dépourvu d’un pouvoir coercitif, est « l’opérateur de la totalisation du collectif, ou plutôt son point fixe » [Dupuy, 1985, p. 116]. Dans la monarchie, écrit Lefort, « le pouvoir était incorporé dans la personne du prince. Cela ne veut pas dire qu’il détenait une puissance sans limites. […] Le prince était un médiateur entre les hommes et les dieux, ou bien […] un médiateur entre les hommes et ces instances transcendantes que figuraient la souveraine Justice et la souveraine Raison. […] Son pouvoir faisait signe vers un pôle inconditionné, extramondain, en même temps qu’il se faisait, dans sa personne, le garant et le représentant de l’unité du royaume. » [Lefort, 1986, p. 26]
16Plus qu’un élément de la totalité du social, le chef est l’expression même de cette totalité. Or, selon Polanyi, le xixe siècle est le théâtre d’un profond bouleversement hérité de la révolution industrielle qui engendra « des gens instruits par l’effet corrosif d’un utilitarisme grossier, allié à une confiance sans discernement dans les prétendues vertus d’autocicatrisation de la croissance aveugle » [Polanyi, 1944, p. 60]. Ce bouleversement serait relatif à une transformation progressive de la structure du social. L’économie comme procès institutionnalisé composé des trois formes d’intégration ne serait plus insérée dans une représentation collective de nature extra-économique, mais entièrement insérée dans une nouvelle création institutionnelle organisatrice du social : le marché autorégulateur ou « l’esprit de marché [7] » [Polanyi, 1977, p. 37]. Cette interprétation du désencastrement appelle alors deux remarques complémentaires :
17– Paradoxalement, le désencastrement peut être présenté comme une forme particulière d’encastrement [Maucourant, Plociniczak, 2009]. En effet, que ce soit pour les sociétés prémodernes ou modernes, l’édifice de la société se construit toujours sur des ordres qui transcendent les individus et l’activité économique. Le désencastrement est dans ce cas une métaphore qui souligne l’émergence d’un ordre nouveau, issu et agissant sur la modernité, l’ordre du marché autorégulateur. Ce paradoxe nous semble formulé par Polanyi lorsqu’il écrit : « Le modèle du marché […] est capable de créer une institution spécifique, à savoir, le marché. C’est, en fin de compte, la raison pour laquelle la maîtrise du système économique par le marché a des effets irrésistibles sur l’organisation tout entière de la société : elle signifie tout bonnement que la société est gérée en tant qu’auxiliaire du marché. Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique. » [Polanyi, 1944, p. 88]
18– D’une manière logique, si le marché autorégulateur est un principe organisateur du social, il relève davantage de la représentation collective que des espaces concrets d’échanges. Le Marché devrait alors être distingué des marchés. Cette distinction apparaît clairement chez Maucourant lorsqu’il précise que le Marché chez Polanyi doit être conçu comme une « fiction organisatrice du social » ou une « institution imaginaire » [Maucourant, 2004].
19La métaphore du désencastrement exprime ainsi le processus de séparation de l’économie et de la société par l’émergence d’un marché autorégulateur qui se place comme institution imaginaire organisatrice du social. Les outils conceptuels de « point fixe » et de « production endogène d’extériorité » issus des travaux de Dupuy [1985 ; 1988 ; 1989a ; 1989b ; 1992 ; 2004], rassemblés sous l’Individualisme méthodologique complexe, nous semblent alors pertinents en vue d’expliquer, dans le cadre d’une analyse systémique, comment cette séparation pourrait se former.
2 – Le désencastrement comme processus tendanciel de production endogène d’extériorité
20Dans cette partie, la notion d’institution sera employée dans son double sens. En effet, l’institution est tout à la fois « ce point fixe qui justifie un développement, une action continue, fondatrice dont il est le but. Et c’est ce point fixe, cet arrêt, qui fournit une image lisible, image qui permet de désigner le phénomène, le processus dans son ensemble qui, s’y trouvant figuré, se perçoit au moment où il s’achève et se fige. Il en résulte ce caractère double, que très vite, prend le mot institution : il renvoie à une dynamique, à une action continue, ou à la mise en œuvre d’une idée, pour lui donner une forme finale fixe, figée, statique, laquelle prend vite le nom, également d’institution. » [Guéry, 2003, p. 9] Sur cette base, nous proposons ici de développer le lien entre le concept d’institution organisatrice du social, le processus de séparation de l’économie et de la société et la métaphore du désencastrement de Polanyi.
2.1 – L’imaginaire social comme « point fixe » de la société
21Qu’elles soient prémodernes ou modernes, les sociétés humaines, malgré leur hétérogénéité et leurs aspects conflictuels, se formeraient sur la base d’une représentation qu’elles se donnent d’elles-mêmes. Cela sous-entend qu’il serait possible d’envisager un espace conceptuel et abstrait au sein duquel la multitude d’individus composant une société « s’uniraient » autour d’une représentation collective. C’est la place de cette représentation collective dans le social considéré qui peut nous permettre de qualifier une société de pré-moderne ou moderne. Sur cette base, l’IMC aborde le concept d’imaginaire social par l’imaginaire exogène et l’imaginaire endogène [Dupuy, 1992 ; 2004].
22Dans le cas des sociétés pré-modernes, leur formation s’appuie sur une représentation collective qui se pose au dehors du social. Ces sociétés sont alors qualifiables d’« hétéronomes » dans le sens où l’imaginaire social, cette représentation collective qui institue une société, se positionne à l’extérieur de la société. Tel est le cas des ordres du Sacré ou du Monarchique qui peuvent être représentés ainsi :
L’ordre du Sacré comme imaginaire social exogène
L’ordre du Sacré comme imaginaire social exogène
L’ordre du Monarchique comme imaginaire social exogène
L’ordre du Monarchique comme imaginaire social exogène
23Les sociétés humaines, écrit Dupuy, « ont toujours trouvé le moyen d’agir sur elles-mêmes par le truchement d’une extériorité » [2008, p. 8]. L’imaginaire social exogène formerait ce détour qui permet une mise à distance d’une multitude d’individus par rapport à elle-même. Cet imaginaire social peut être objectivé par la personnification du chef comme nous l’avons vu dans la première partie de cette contribution. La figure 2 propose ici une représentation du mécanisme de cet ordre. Le chef se positionne de manière tangente à la société. Il est un individu de celle-ci mais un individu particulier investi d’un pouvoir Sacré qui lui assure sa position d’extériorité. « Le roi absolu […] est un souverain au pouvoir qui n’a de limite que d’ordre religieux […]. Si d’autres limites existaient, elles supposeraient des institutions extérieures à lui, sur lesquelles viendrait buter son pouvoir. […] Élu de Dieu dont il est le lieutenant – le tenant lieu – sur terre, le roi absolu est un roi sans lien, chargé de reproduire du mieux qu’il le peut l’harmonie du royaume céleste dans son royaume terrestre. Il n’est en rien compris comme un souverain humainement institué. » [Guéry, 2003, p. 11, l’italique est dans le texte] D’un point de vue politique, le chef est l’élément du tout qui assure l’unité des individus, en d’autres termes le chef est l’institution organisatrice du social ou son « point fixe » [Dupuy, 1992, p. 36 ; 2004, p. 315]. Les relations sociales en général, et les relations économiques en particulier, sont alors insérées dans un imaginaire social exogène qui transcende les individus. Il nous semble que cela peut être un élément qui explique pourquoi dans l’ouvrage Les systèmes économiques dans l’histoire et dans la théorie [1957a], Polanyi, Arensberg, Neale, mais aussi Oppemheim, privilégient les sociétés prémodernes pour leurs analyses économiques. Ces formes de sociétés contiennent les trois formes d’intégration économique que sont l’échange, la réciprocité et la redistribution tout en les insérant au sein d’une institution organisatrice du social exogène. Autrement dit, la structure systémique de la société encastre nécessairement, de par sa position exogène, les échanges et mouvements économiques.
24En vue de ne pas tomber dans le piège de l’irénisme, les sociétés prémodernes appellent à deux remarques. Tout d’abord, ce principe de formation des sociétés n’est pas sans poser un problème lié à la liberté d’action des individus, de par les relations de domination et d’inégalité qu’il induit [Postel, Sobel, 2010]. En effet, ces imaginaires exogènes favorisent l’insertion de l’économie en leur sein, mais engendrent par la même occasion des systèmes de codes et de réglementations qui s’imposent aux individus. Ensuite, leur position d’exogénéité prive toute possibilité de débats et de remise en cause de la part des individus insérés dans ce processus de formation des sociétés. En d’autres termes, l’imaginaire exogène participe à l’unité politique d’une société tout en étant particulièrement aliénant pour les individus. L’ordre des sociétés prémodernes est alors paradoxal dans le sens où ce qui fait société est justement ce qui ne fait pas partie intégrante de la société (divinités ou chefs).
25Ne pas tenir compte de ces deux remarques nous conduirait à occulter tous les efforts intellectuels produits par la philosophie des Lumières en vue de déjouer le paradoxe des sociétés prémodernes. En effet, si l’on aborde les métaphores proposées par Rousseau, Locke, Hobbes ou Smith dans une perspective de philosophie politique, il est possible de repérer une certaine régularité malgré des contextes et prérequis différents [Dupuy, 1988 ; 1992 ; 2004 ; Gautier, 1993]. Le Contrat social, la Propriété sociale, le Léviathan, la Main invisible constituent tous des tentatives de réponse face à la question redoutable posée par la modernité : de quelles manières une société peut-elle être Une sans passer par un détour exogène ? Nous allons à présent montrer que cette interrogation s’inscrit pleinement dans la problématique du désencastrement.
2.2 – Le Marché comme point fixe auto-extériorisé et autoréférent
26La modernité se construit sur la base de l’homme libre, détaché des schémas traditionnels de pensée et des imaginaires sociaux exogènes qui leur sont liés. « Comment, partant de tels individus, concevoir l’ordre social ? L’ordre, c’est l’unité dans la multiplicité. La question ne relève pas uniquement de la méthodologie des sciences sociales, elle est avant tout politique : comment construire quelque chose qui ressemble à un corps politique Un avec des individus séparés, indépendants sans lien commun qui les unisse ? » [Dupuy, 2004a, p. 313] La modernité apparaît avec le lent processus de désacralisation. Le Sacré, mais aussi ses formes personnifiées, occupaient jusqu’ici la position d’institution organisatrice du social. Son pouvoir instituant décroissant laisse alors progressivement la place aux « sociétés des individus » selon une expression empruntée à Gauchet [1979, p. 452], que Gautier [1993, p. 162] problématise comme le « passage de l’individu à l’ordre de la société civile ». La structure systémique de ces sociétés est d’une tout autre nature que les sociétés prémodernes. Leur formation ne s’appuie plus sur un imaginaire social exogène mais sur un élément qui leur est endogène [Dupuy, 1989a ; 2004]. Dans une perspective systémique, ce type de formation est problématique dans le sens où il convient d’expliquer de quelles manières un système est capable de s’auto-organiser, en toute autonomie, sans recours à un élément extérieur. La formation des sociétés modernes autonomes peut alors être représentée ainsi :
L’ordre endogène des sociétés modernes
L’ordre endogène des sociétés modernes
27Ce qui caractérise cette période charnière, ce n’est pas tant l’absence de relations sociales au sein des sociétés qu’une lente disparition du « point fixe exogène » qui favorisait jusqu’ici le maintien de la structure sociale. En vue de proposer une représentation de la formation des sociétés modernes, l’IMC s’appuie sur deux acceptions [8] [Dupuy, 1989b, p. 252] :
- premièrement, dans le cadre des sociétés d’individus, ce sont les hommes qui font leur société ;
- deuxièmement, la société dépasse les individus en ce qu’elle est plus complexe qu’eux.
28Cette deuxième acception fait référence à la transcendance exercée par l’institution organisatrice du social sur les individus d’une société. Cette institution n’est plus exogène mais endogène. Les sociétés modernes ne doivent alors plus être abordées à partir d’une logique transcendante mais autotranscendante. « Cette expression désigne le mouvement d’auto-extériorisation par lequel une structure produit, de façon purement endogène, cela même qui la dépasse infiniment, une extériorité qui n’en est pas une puisqu’elle est toujours déjà présupposée dans la constitution même de la structure. » [Dupuy, 1989b, p. 248] Autrement dit, les sociétés prémodernes et modernes ont ce point commun de s’instituer sur une représentation collective. Néanmoins, dans le cas des sociétés modernes, cette représentation ne suit pas une logique descendante, elle est une émergence issue des relations sociales. « La philosophie politique moderne a répondu de diverses manières à ce défi […] de localiser le point fixe de la société, son principe de cohésion, une fois que celui-ci, d’exogène est devenu endogène […]. Ce point fixe est, respectivement, situé en un élément singulier de la totalité sociale, coextensif à cette totalité ou enfin – et c’est la solution « économique » de la société de marché, peut être la plus paradoxale – une nouvelle fois soustrait à la prise des hommes. » [Dupuy, 1985, p. 126] Dans cette perspective où le point fixe est auto-extériorisé, deux choses méritent être soulignées :
29– Tout d’abord, le marché autorégulateur n’émergerait pas de lui-même de manière naturelle. Il serait une représentation collective qui s’auto-extériorise progressivement, par un processus de bootstrapping [9], des relations sociales entretenues par les individus.
30– Ensuite, le marché auto-extériorisé est dans ce cadre une institution imaginaire, autrement dit la création humaine d’une représentation collective qui participe à la formation des sociétés modernes. Le marché autorégulateur objective dans ce sens ce que Gautier nomme l’« espace d’invisibilité qui s’interpose entre les hommes et leur société » [1993, p. 30].
31La société se mettrait à nouveau à distance d’elle-même en objectivant cette distance dans une représentation collective auto-extériorisée. La séparation de l’économie et de la société serait dans ce cadre une séparation imaginaire tout comme le marché qui favorise cette séparation. Selon Maucourant, Polanyi avait l’ambition de « faire la théorie d’une institution imaginaire du marché qui n’a pas de précédent » [2004, p. 2]. En tant que point fixe auto-extériorisé, le marché imaginaire est en effet une nouveauté de la modernité. Il nous semble que c’est à cette acception du marché que Polanyi fait référence lorsqu’il le qualifie d’« esprit » [Polanyi, 1977, p. 37]. Si La Grande Transformation est avant tout une analyse de l’émergence et des conséquences empiriques du marché autorégulateur, d’autres travaux de Polanyi tels que l’article « La mentalité de marché est obsolète ! » de 1947 mais aussi le chapitre consacré au « Sophisme économiste » de l’ouvrage La subsistance de l’homme [1977, p. 37-54] présentent l’articulation existant entre l’idée d’un marché autorégulateur et les représentations individuelles et collectives qu’il contient. En tant que point fixe, le marché autorégulateur est un idéal qui véhicule une représentation étroitement liée aux mobiles d’action individuelle et à l’organisation de la société. La thèse de Polanyi relative à cette émergence nous semble pouvoir être synthétisée en quatre points.
32– Premièrement, l’assignation des seuls mobiles de gain et d’intérêt à l’activité productive d’une société. Cette activité est essentielle car elle participe directement à la subsistance des individus. Sur cette base, l’ensemble des autres mobiles (religieux, politiques ou affectifs) revêtent un caractère secondaire. « Le sens de l’honneur et de la fierté, le sens civique et le devoir moral, même le respect de soi et le sens des convenances, furent désormais considérés comme ne relevant pas de la production. » [Polanyi, 1947b, p. 513]
33– Deuxièmement, l’attribution de la « catégorie économique » aux deux facteurs de production que sont le travail et la terre faisant de ces deux éléments des « marchandises ». Le travail et la terre ne sont alors plus des propriétés sociales mais deviennent des biens privés. Or « le travail n’est rien d’autre que les êtres humains eux-mêmes dont chaque société est faite, et la terre, que le milieu naturel dans lequel chaque société existe » [Polanyi, 1944, p. 106].
34– Troisièmement, l’attribution du caractère rationnel à ces deux seuls mobiles d’action (gain et intérêt) par le courant utilitariste fait non seulement des autres mobiles d’action des catégories non rationnelles, mais aussi de ces deux catégories les seules à rendre compte d’un comportement humain rationnel. « Ainsi, celui qui aurait refusé de reconnaître qu’il agissait seulement par amour du gain serait passé non seulement pour un être immoral mais aussi pour un fou. » [Polanyi, 1947b, p. 513]
35– Quatrièmement, l’application de cette rationalité à l’ensemble des institutions humaines [10] telles que le mariage, l’éducation, l’État, l’enseignement, les arts, de sorte que « tout devait se conformer au système utilitariste, ou tout au moins ne pas interférer avec le fonctionnement du mécanisme de marché. […] les effets indirects du marché aboutirent à déterminer la presque totalité de la société. Il devint pratiquement impossible d’éviter la conclusion fallacieuse que, puisque l’homme “économique” était l’homme “réel”, de la même façon le système économique constituait “réellement” la société. » [Polanyi, 1977, p. 47]
36Ces quatre éléments forment les jalons [11] d’un nouveau modèle de société, celui de l’économie de marché. Sur ce point, Guéry indique que « la pensée économique naissante, celle qui donne forme, de la seconde moitié du xviie siècle à la première moitié du xixe siècle, à la catégorie économique d’analyse et de pensée, est bien une pensée de “l’institution de la société”, telle que l’entendaient les philosophes des Lumières » [2003, p. 15]. Le marché imaginaire ne représente alors pas seulement une (prétendue) réalité, il rétroagit sur la réalité [Maucourant, Plociniczak, 2009 ; Plociniczak, 2007]. Les quatre éléments ci-dessus furent la source d’un changement institutionnel qui porte à son tour tout autant sur la transformation des représentations individuelles et collectives que sur l’organisation des sociétés modernes. Le changement des représentations porte sur l’homme mais aussi sur la société. Concernant l’homme, l’hypothèse d’homo œconomicus institue le gain et l’intérêt comme principes fondamentaux des motivations humaines. Concernant la société, sa « structure de base », c’est-à-dire la formation du social, s’établit à partir d’une représentation d’elle-même par l’intermédiaire d’un marché autorégulateur comme création institutionnelle imaginaire. Ces deux changements institutionnels favorisent ainsi un autre changement : la tentative d’organiser la société par la généralisation d’un système de marchés autorégulateurs. Il nous semble que ces changements institutionnels sont clairement formulés par Polanyi lorsqu’il écrit : « C’est dire à quel point l’esprit de marché contenait les germes de toute une culture – avec l’ensemble de ses possibilités et de ses limites ; la représentation de l’homme dans ce qu’il a de plus profond, et de la société qu’engendrait la vie dans une économie de marché, résulta inévitablement de la structure de base de la communauté humaine organisée par l’intermédiaire du marché. La constitution de cette structure a représenté une rupture violente avec les conditions antérieures. Ce qui n’était auparavant qu’une mince couche de marchés isolés était désormais métamorphosé en un système autorégulé de marchés. » [Polanyi, 1977, p. 44 ; nous soulignons.] Ainsi, marchés autorégulateurs (créateurs de prix) et marché autorégulateur (auto-extériorisé et autoréférent) ne seraient pas sans entretenir une relation de causalité circulaire.
37Cette analyse du désencastrement abordée sous l’angle de l’Individualisme méthodologique complexe nous conduit, tout comme le propose Plociniczak [2007], à penser que la teneur critique des propos de Polanyi concerne tout autant la tentative de généraliser un système de marchés autorégulateurs faiseurs de prix, que l’influence du marché imaginaire sur les représentations collectives liées à l’économie et à ses relations avec la société. S’il y a bien eu la tentative d’instaurer la Grande Société au xixe siècle, cela ne pouvait se faire sans la généralisation d’un système de marchés faiseurs de prix, ni sans un système de représentations collectives, objectivées dans une institution imaginaire de marché, au sein de laquelle s’encastrent les relations sociales économiques et extra-économiques.
38Le processus de désencastrement politique de l’économie peut être représenté de la manière suivante :
La séparation (désencastrement) de l’économie et de la société
La séparation (désencastrement) de l’économie et de la société
39Ainsi, comme nous l’avons mentionné dans la première partie de cette contribution, le désencastrement de Polanyi est paradoxal dans le sens où il s’agirait d’une forme particulière d’encastrement. Néanmoins, nous ne pensons pas que ce paradoxe soit lié à un aspect polémique de l’œuvre de Polanyi ou encore à un manque de rigueur dans son analyse comme le proposent les analyses de la Nouvelle sociologie anglophone. En effet, ce paradoxe nous paraît lié à la nature même du marché imaginaire ainsi qu’au mécanisme de formation des sociétés humaines. La « société de marché » au sens de Polanyi se forme sur la base d’une représentation paradoxale d’elle-même : issue des relations humaines mais objectivée dans une institution « une nouvelle fois soustraite à la prise des hommes » [Dupuy, 1985, p. 126]. Le marché imaginaire autorégulateur serait le produit des hommes, auto-extériorisé de leurs relations. C’est donc une institution endogène, mais qui rétroagit par autoréférence comme le fait une institution exogène. C’est en cela que le désencastrement de Polanyi nous semble être un processus tendanciel de production endogène d’extériorité. Il est un produit de la modernité, qui a en quelque sorte favorisé cette modernité, tout en étant objectivé dans une institution qui n’est pas tout à fait éloignée des schémas traditionnels dont émanent les institutions exogènes.
3 – Le Marché comme création institutionnelle imaginaire
40Cette interprétation du désencastrement ouvre selon nous sur quatre perspectives analytiques.
41Premièrement, le marché imaginaire doit nécessairement être distingué des marchés comme espaces de rencontres. Cette distinction n’est pas explicitement présente dans l’œuvre de Polanyi [12]. Néanmoins, elle apparaît clairement dans l’analyse proposée par Maucourant lorsqu’il écrit que le « Marché est un principe d’organisation de la vie économique et sociale selon lequel un ensemble suffisant de marchés, liés entre eux, est à même de régler la reproduction sociale. Ces marchés sont dits “autorégulateurs” alors, qu’en réalité, cette autorégulation figure plus l’idéal social qui légitime ces marchés que la réalité d’une autorégulation qui est souvent chaotique ou catastrophique. Le Marché doit être conçu comme une fiction organisatrice du social. » [Maucourant, 2004, p. 3] Nous retrouvons ici le lien de causalité circulaire entre le Marché comme institution imaginaire et les marchés comme espaces de rencontre régis par un système autorégulateur faiseur de prix. Cette distinction nous semble être importante en vue de saisir la critique formulée par les économistes substantivistes à l’encontre des représentations économiques modernes appliquées aux sociétés prémodernes. « On introduit une économie moderne de marché dans les organisations sociales de nombreuses sociétés historiques et primitives où il n’existe aucun indice qui confirme l’existence d’un système semblable au nôtre, si ce n’est la présence de quelque forme de marché. » [Neale, 1957b, p. 331] La présence de marchés comme espaces d’échanges n’implique pas forcément l’existence d’un marché imaginaire organisateur du social. Au moins trois types de marchés sont discernables dans l’analyse élaborée par Neale [1957b] :
- le marché imaginaire autorégulateur comme idéal et comme principe d’organisation des sociétés modernes ;
- les marchés reliés en un système de marchés autorégulateurs créateurs de prix par le mécanisme offre – demande – prix. Ce système, indique l’auteur, a existé entre la dernière partie du xixe et la première partie du xxe siècle tout en précisant qu’« aucune institution sociale n’est la copie parfaite de son modèle idéal » [Neale, 1957b, p. 339] ;
- les marchés comme espaces de rencontres et d’échanges de biens et services dont l’organisation est régie par une institution extérieure au système économique.
42Il nous faut donc non seulement distinguer le marché imaginaire comme idéal des marchés autorégulateurs créateurs de prix, mais il convient également de ne pas assimiler l’ensemble des marchés comme espaces de rencontre aux marchés autorégulateurs.
43Deuxièmement, cette représentation du désencastrement nous conduit à penser que le marché imaginaire constitue un problème démocratique. Cela nous semble être mis en avant dans l’analyse proposée par Laville [2004]. En assimilant société et économie mais aussi économie et marchés, la présence d’un marché imaginaire aboutit à un réductionnisme économique. La pluralité des échanges, mouvements et structures est ramenée aux seuls marchés autorégulateurs ainsi qu’à la rationalité économique liée au gain et à l’intérêt. Les marchés sont la forme concrète et véritable de l’économie et l’entreprise à capitaux est perçue comme la norme d’efficacité que toutes les organisations devraient suivre. Le marché imaginaire induit donc un réductionnisme qui est problématique face à l’exigence démocratique liée à la reconnaissance de la pluralité. À l’instar de ce problème, le désencastrement comme résurgence d’un marché imaginaire auto-extériorisé témoigne également d’une relation problématique entre ce dernier et les exigences d’une réelle auto-organisation démocratique. Ce problème ne renvoie pas à la formation d’une représentation issue de la société en vue de sa structuration, en un sens, toutes les sociétés humaines se formeraient sur ce principe. Le problème du marché imaginaire comme principe organisateur du social renvoie à sa perception exogène, ce qui n’est pas sans rapport avec le phénomène d’auto-occultation de l’institution imaginaire de la société envisagé par Castoriadis [1975]. En objectivant cette institution dans un marché extériorisé, le débat et la remise en cause même de cette institution deviennent particulièrement délicats, ce qui, encore une fois, est difficilement conciliable avec les exigences d’une démocratie.
44Troisièmement, le processus d’encastrement ou de ré-encastrement ne devrait pas uniquement être retenu comme l’insertion de l’économie dans un système de règles, mais il devrait aussi être envisagé comme l’insertion de l’économie dans une représentation partagée [Chochoy, 2012]. Comme le montrent les analyses d’Alcolea-Bureth [2004] et de Le Velly [2006], l’insertion au sein d’un système de règles est une condition majeure du ré-encastrement opéré par une activité comme le commerce équitable. Néanmoins, il nous semble que cette inscription doit s’accompagner d’une insertion dans une représentation collective, forgée dans le temps et par les acteurs, comme pourrait l’être le territoire par exemple, qui permettrait de relativiser le pouvoir instituant du marché imaginaire. En outre, cela offre une perspective de ré-encastrement démocratique, une forme de contre-mouvement, qui montre qu’une sortie de crise liée au désencastrement ne se limite pas aux formes politiques structurées autour d’un pouvoir personnifié puissant tel que le fascisme [Maucourant, 2005, p. 82].
45Quatrièmement, il semble que, dans la perspective ouverte par le troisième point, les initiatives d’économie solidaire peuvent être porteuses d’un processus de ré-encastrement. En insérant la construction de l’activité économique au sein d’un « espace public de proximité », ces initiatives favorisent l’ouverture d’un espace politique au sein duquel le débat, les désaccords et les ententes participent à l’émergence d’une économie de proximité [Laville, 2007 ; Eme, 2006]. Construction de l’activité économique et construction du territoire suivent alors une même trajectoire dont l’aboutissement peut conduire à une stratégie économique de proximité, au sein de laquelle le territoire est à la fois un point d’appui, un projet partagé et une représentation collective qui encastre l’activité économique [Chochoy, 2012, p. 305-342].
4 – Conclusion
46Dans cette contribution, nous avons proposé de placer le débat relatif à la métaphore de l’encastrement politique de l’économie dans la relation existant entre l’économie et l’institution organisatrice du social. Dans cette perspective, la modernité apparaît avec le processus d’auto-institution de la société. Analysé sous l’angle de l’IMC, celui-ci peut prendre forme à partir d’un processus paradoxal : l’émergence, l’autodistanciation et l’autoréférence du marché autorégulateur accompagné de « l’esprit de marché ». Dans ce sens, le marché est un point fixe auto-extériorisé, une création institutionnelle imaginaire qui n’est pas sans poser un problème démocratique de par sa perception exogène. À partir de ce processus tendanciel de production endogène d’extériorité, l’enjeu d’une économie solidaire nous semble être de créer les conditions d’une réelle auto-organisation démocratique.
47Ce processus de ré-encastrement, qui pourrait s’opérer dans une construction territorialisée, peut éventuellement trouver une voie de réalisation à travers la récente initiative française des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) [13]. Tout en reconnaissant la pluralité des acteurs et des mécanismes économiques, ces pôles pourraient initier ou renforcer sur les territoires des espaces de dialogues et de décisions qui médiatiseraient les conflits et les ententes entre acteurs. En s’appuyant sur un travail commun lancé sur la base d’une proximité géographique, le territoire deviendrait progressivement un point d’appui qui favorise la coordination entre acteurs prenant forme à travers un projet commun. L’enjeu majeur de ces pôles serait alors de favoriser l’émergence d’une représentation collective issue et partagée par les acteurs, faisant du territoire une production endogène d’extériorité et par cela un vecteur d’encastrement politique de l’économie. Cette hypothèse ouvre alors sur au moins deux interrogations. Premièrement, les acteurs mobilisés dans les PTCE ont-ils la capacité de faire émerger une représentation collective du territoire ? Deuxièmement, cette représentation peut-elle durablement relativiser l’esprit de marché ? Par ailleurs, cela nécessite une perception du territoire comme construction collective et non pas uniquement comme un instrument de compétitivité et de production d’emplois.
48C’est pourquoi, dans une période caractérisée par la résurgence d’un marché autorégulateur comme idéal [Bugra, 2005], cet enjeu de démocratisation est une nécessité à la fois économique et politique. En effet, si des mesures dites « économiques » doivent être prises au regard de la crise actuelle, il apparaît que deux voies complémentaires devront tôt ou tard être envisagées. La première est relative à une déconstruction collective de ce que l’on appelle « économie », pour en terminer avec cette représentation particulièrement réductrice de la réalité économique qui assigne les marchés comme structures dominantes des échanges et mouvements économiques, et qui restreint les déterminants de l’action au gain et à l’intérêt. La seconde sera d’envisager un projet politique commun qui ne se limite pas à « économiser » les ressources. Il nous semble que c’était ce que proposait déjà Polanyi, à une autre époque, lorsqu’il écrivait : « Si nous devons surmonter la crise, il nous faut en revenir à une vision plus réaliste de notre monde et définir un dessein commun à la lumière de ce nouveau point de vue. » [Polanyi, 1947b, p. 505]
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Notes
-
[1]
Nous remercions sincèrement les rapporteurs et le comité de rédaction de la RFSE pour leurs commentaires qui ont permis une amélioration significative de ce travail. Nous remercions également Emmanuelle Besançon (CRIISEA/Institut Godin) pour ses précieuses relectures.
-
[2]
Nous utilisons ici le terme « accompagner » et non « provoquer » qui induirait de fait une relation de causalité entre l’effondrement de l’esprit de marché et la crise de cette société. Concernant les déterminants de cette crise, certains des travaux historiques de Polanyi [1933a ; 1933b ; 1934a ; 1934b ; 1934c ; 1944] éclairent le caractère complexe de sa théorie de la faillite du marché autorégulateur.
-
[3]
Pour une analyse critique de cette méthodologie, voir Caillé [1993].
-
[4]
« On the one hand, Polanyi puts forward a thesis about the impossibility of separating economy from society because all economic systems are embedded in social relations and institutions. On the other hand, he envisions, in numerous places, the market economy as separate from social institutions, functioning according to its own rules; therefore; markets and market economy are disembedded. »
-
[5]
« Economy is by definition enmeshed in social relations and institutions. Hence, the demarcation between economy and society is absurd. »
-
[6]
Polanyi ne semble pas faire de distinction entre les notions de capitalisme, d’économie de marché et de société de marché. Si le sens qu’il confère au capitalisme est difficile à circonscrire (car son analyse est avant tout centrée sur le marché), ses travaux de 1937 [p. 458-459], 1944 [p. 103-112] et 1977 [p. 197-201] permettent de formaliser trois éléments non exhaustifs caractéristiques du capitalisme : 1) Il s’agit d’un processus de généralisation du mécanisme d’offre-demande-prix sur les lieux de marché, constituant un système faiseur de prix. 2) Ce processus s’accompagne d’une généralisation de la détermination de la valeur par des prix (appelés intérêt, rente, salaire, etc.), en lien avec la création de marchandises fictives. 3) Il s’appuie sur une division entre la sphère économique et la sphère politique. Nous reviendrons sur la distinction entre marché (faiseur de prix) et marché (espace d’échange) dans la dernière partie de cette contribution.
-
[7]
Polanyi utilise le terme de market mentality, traduit en français par « esprit de marché ».
-
[8]
Ces deux acceptions proviennent de la conjecture de von Neumann. Pour une présentation de celle-ci, voir Dupuy, [1992, p. 213-216].
-
[9]
Le terme de bootstrapping synthétise ce phénomène d’autotranscendance. Il fait référence au baron de Münchhausen qui réussit, dit-on, à s’extraire d’un marais en se tirant lui-même par les sangles (strap) de ses bottes (boot).
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[10]
Cette application est de l’ordre des représentations, cela signifie moins que ces institutions sont « économiques » que le fait que la rationalité économique devienne une « grille de lecture » de ces institutions.
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[11]
C’est-à-dire qu’ils « déterminent » cette forme de société, « de même que dans un triangle les côtés ne font pas qu’influencer les angles, ils les déterminent » [Polanyi, 1977, p. 47].
-
[12]
Nous remercions Bernard Chavance d’avoir attiré notre attention sur ce point.
-
[13]
Les PTCE sont définis comme « un groupement d’acteurs sur un territoire – initiatives, entreprises et réseaux de l’économie sociale et solidaire, petites et moyennes entreprises, collectivités locales, centres de recherche et organismes de formation – qui met en œuvre une stratégie commune et continue de coopération et de mutualisation au service de projets économiques innovants de développement local durable ». Source : http://www.lelabo-ess.org.