Notes
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[1]
Les associations partagent aussi ces caractéristiques, mais elles sont moins spontanément associées aux secteurs coopératifs et mutualistes en dehors de la France, par exemple en Allemagne [Münkner, 2001]. De plus, elles présentent des différences économiques fortes avec les coopératives et mutuelles : elles se situent dans des secteurs (social, éducation, culture) plus proches du secteur public que du secteur privé et ont des tailles moyennes de 10 salariés contre 40 pour les entreprises coopératives et 100 pour les mutuelles.
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[2]
Mais ces interactions existent. Voir par exemple Jaeger et al. [2006], Bataille-Chédotel et Huntzinger [2004].
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[3]
Les nombreux articles sur les coopératives de crédit et de microfinance n’ont pas été intégrés dans la littérature mobilisée, par souci d’homogénéité.
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[4]
Comme évoqué plus haut, il existe également une école coopérative francophone, mais ces travaux fortement marginalisés dans le champ académique n’ont pas été mobilisés ici puisqu’il s’agissait avant tout de procéder à une réinterprétation de la littérature académiquement dominante sur les coopératives. Ce courant est cependant tout à fait propice à un renforcement déjà engagé des échanges entre monde coopératif et économie institutionnaliste (voir conclusion).
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[5]
Trois synthèses à partir de revues des principales littératures sur les coopératives (Doucouliagos [1997], pour les « labor-managed firms » ; Sexton et Iskow [1993] pour les coopératives agricoles ; Fortin et Leclerc [2011] pour les coopératives bancaires) montrent qu’il n’est pas possible de donner de conclusion univoque sur la comparaison des performances des entreprises selon leurs statuts juridiques et ce quelles que soient les mesures de performances adoptées.
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[6]
Dans une perspective institutionnaliste, cette stabilité peut être valorisée positivement. À l’inverse, un cadre d’analyse néoclassique tend à ne voir dans cette stabilité qu’un obstacle à une bonne allocation des ressources, réactive aux évolutions des marchés.
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[7]
En 2006, la France comptait environ 5 000 coopératives d’usagers représentant plus de 300 000 emplois contre 1 700 SCOP représentant 36 000 emplois (données du groupement national de la coopération).
-
[8]
80 % des emplois sont répartis dans trois secteurs sur les 16 qui constituent la nomenclature d’activités française (NAF) : dans cette enquête, 56,9 % des emplois sont dans la finance et l’assurance, 15,9 % dans le commerce et 6,3 % dans l’industrie agro-alimentaire, ce qui est conforme à la répartition mesurée par l’Insee la même année.
-
[9]
À propos de l’impact du syndicalisme, Gerlach et Stephan [2008] trouvent des différences de 2 années.
-
[10]
V de Cramer = 0,037 ; p < 0,001.
-
[11]
Il s’agit ici simplement d’un indicateur supplémentaire de stabilité de l’entreprise coopérative. On pourrait cependant aller plus loin en défendant l’hypothèse que la sous-qualification des salariés est bien due au statut coopératif. Je remercie les rapporteurs pour cette suggestion. Chevallier [2011, chapitre 6] montre, sur la base d’entretiens et d’analyses de documents d’entreprises, que les administrateurs de coopératives sont moins qualifiés par rapport à ceux des sociétés non coopératives, ce qui induit une méfiance quant à l’embauche de cadres très qualifiés, ou encore que les promotions internes sont plus fréquentes et que les individus les plus qualifiés tendent à partir à la concurrence où les rémunérations sont plus élevées. Le phénomène s’auto-entretient alors : la coopérative sélectionne plutôt des individus peu diplômés qui eux-mêmes renforcent la stabilité de la coopérative.
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[12]
La littérature sur les compétences des personnes âgées [Volkoff et al., 2000] a déjà commencé à approfondir cette thématique au niveau empirique : les personnes âgées acquièrent des compétences propres en raison de leur ancienneté dans l’entreprise.
-
[13]
Le lien entre économie sociale et solidaire a fait l’objet d’un colloque en 2005 avec un numéro spécial de la Recma, n° 296 (Colletis, Gianfaldoni, Richez-Battesti) ainsi que de plusieurs programmes de recherche financés par la Délégation interministérielle à l’économie sociale en 2007-2009 sous la direction de Xabier Itçaina et Danièle Demoustier.
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[14]
L’analyse des discours des dirigeants coopératifs pourrait constituer un autre prolongement afin d’appréhender leur perception des caractéristiques coopératives. Je remercie les rapporteurs pour cette suggestion.
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[15]
On retrouve largement cet argument dans la littérature initiée par les travaux du sociologue Franz Oppenheimer (1864-1943) et sa « loi d’Oppenheimer » sur la banalisation ou la disparition des coopératives : une coopérative doit se transformer en entreprise à actionnariat ou disparaître.
1 – Introduction
1Selon l’Alliance coopérative internationale, association fondée en 1895 regroupant des coopératives du monde entier, on estime à 3 milliards le nombre de personnes concernées directement par les entreprises coopératives. Quoique très diverses, les coopératives bénéficient d’une définition commune à travers la Déclaration internationale sur l’identité coopérative édictée en 1895 et reformulée en 1995 : « Une coopérative est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement. » La propriété collective se manifeste par l’obligation d’affecter une partie des bénéfices à des réserves qui sont impartageables : comme les parts sociales ne sont pas réévaluables proportionnellement à l’évolution des capitaux propres, la propriété de ces réserves est définitivement collective. Quant à la dimension démocratique, cela signifie que l’accession au pouvoir ne dépend pas du capital détenu, mais de la capacité à se faire accepter par les autres membres de la coopérative dans le cadre d’un processus validé par une élection finale.
2Les mutuelles partagent ces deux principales caractéristiques [1]. De plus, ce qu’on appelle mutuelles en France est parfois appelé coopératives dans d’autres pays à l’exemple des coopératives d’assurances en Suisse et en Allemagne (Versicherungsgenossenschaften). Ensuite, les coopératives et mutuelles présentent le point commun d’être principalement présentes dans des secteurs fortement concurrentiels, dominés par les acteurs privés (agro-alimentaire, commerce en gros, banque, assurance). Enfin, les littératures anglo-saxonnes sur les coopératives et les mutuelles mobilisent souvent un même cadre théorique (voir ci-après, section 2). Nous traitons donc simultanément des coopératives et des mutuelles dans cet article. En France, en 2008, on comptait 7 933 coopératives et 1 190 mutuelles, représentant 2 % de l’emploi salarié total [Rousseau et Braley, 2012].
3Parmi les différentes manières de classer les coopératives et mutuelles [Vienney, 1994], on peut retenir une classification par la nature des membres. Dans la plupart des cas, les membres sont les usagers ou les fournisseurs, qui peuvent être des particuliers (mutuelles d’assurance, mutuelles santé, coopératives de consommateurs, certaines banques coopératives) ou des personnes morales (autres banques coopératives, coopératives agricoles, coopératives d’artisans et de commerçants). Les membres peuvent également être des travailleurs : en France, c’est le cas des SCOP, mais ces dernières ne comptent que 38 000 salariés en 2010 contre 360 000 pour le seul secteur coopératif bancaire. Par la suite, nous privilégions le terme « coopératives », mais notre propos vaut donc avant tout pour les coopératives et mutuelles d’usagers et de fournisseurs.
4En économie, plusieurs littératures traitent des coopératives et mutuelles. Depuis le xixe siècle, une tradition francophone s’est avérée incontournable dans la lignée des travaux fondateurs de Charles Gide (1847-1932). Cette tradition a perduré, notamment dans une perspective socio-économique, avec les travaux de Georges Fauquet (1873-1953) puis Henri Desroche (1914-1994) et Claude Vienney (1929-2001) et se perpétue aujourd’hui encore dans des réseaux tels que le Réseau interuniversitaire d’économie sociale et solidaire en France et l’Alliance de recherche universités-communautés en économie sociale (ARUC-ÉS) au Québec. Cette littérature offre très peu d’interactions [2] avec une littérature anglo-saxonne ancrée dans des références néoclassiques [Alchian et Demsetz, 1972 ; Jensen et Meckling, 1976 ; Vitaliano, 1983 ; Williamson, 1975].
5À l’inverse de la première, cette seconde littérature donne majoritairement une image négative des coopératives et des mutuelles. À partir du constat théorique et empirique que les coopératives cumulent un certain nombre de handicaps qui les rendent peu attractives dans une économie de marché, les auteurs défavorables aux coopératives en déduisent qu’elles devraient disparaître [Fama et Jensen, 1983 ; Furubotn et Pejovich, 1972 ; Grossman et Hart, 1986] et les auteurs plus favorables suggèrent d’importer des solutions des sociétés de capitaux pour corriger leurs déficiences [Vanek, 1970 ; Doucouliagos, 1997 ; Cook, 1995]. Cet article conserve les constats empiriques et théoriques de ces auteurs, mais renverse leurs conclusions en montrant que ce qu’ils considèrent comme un ensemble de déficiences autour de la notion de rigidité (par opposition à la flexibilité requise dans une économie de marchés) peut en fait être appréhendé comme un avantage autour de la notion de stabilité.
6Dans la section 1, nous nous inscrivons dans une littérature institutionnaliste qui défend l’entreprise comme une institution au sens d’organisation avec une mémoire collective, des règles et des routines assurant son efficacité. L’émergence et la transmission de ces caractéristiques essentiellement informelles prennent du temps et requièrent donc une stabilité, entendue comme capacité d’un état à se maintenir durablement dans le temps. À partir de là, il est possible dans une section 2 de reprendre les principaux résultats de la littérature néo-institutionnaliste en montrant que ce que ces auteurs appréhendent comme des déficiences peut en fait constituer des garde-fous de la stabilité nécessaire à la défense de l’entreprise comme institution. Dans cette littérature, le phénomène de la stabilité est analysé sous plusieurs angles (processus de décision, marché des capitaux, marché des biens et services), mais il est peu développé en ce qui concerne le marché du travail. La mobilisation de données de l’enquête Emploi 2007 de l’Insee permet dans une section 3 de compléter cette littérature en constatant que l’emploi est plus stable dans les coopératives. En conclusion, nous revenons sur la pertinence qu’il y a à mobiliser la littérature sur l’entreprise comme institution pour comprendre la nature de l’entreprise coopérative.
2 – Le rôle de la stabilité dans l’entreprise comme institution
7« La firme comme un tout fait preuve d’un degré suffisant d’unité et de cohésion et est durable et persistante au cours du temps. » [Gindis, 2007, p. 267] Cette cohésion provient notamment des routines, croyances, représentations, identités et objectifs qui sont communs. Or la stabilité des relations sociales est un facteur de production et de transmission de ces éléments communs. En effet, ces éléments ne peuvent que partiellement être transmis formellement [Mangolte, 1997]. Ils doivent largement être vécus pour être produits et transmis, ce qui prend du temps. Plus les passages des individus dans l’entreprise sont courts, moins il est possible de recevoir, renouveler et transmettre cette rationalité vécue, essentielle au bon fonctionnement des entreprises appuyées par la rationalité formelle. La stabilité est donc un facteur de défense de l’entreprise comme institution. Cette approche se distingue de l’approche néoclassique de la firme, selon laquelle l’entreprise est une simple agrégation d’actifs mobiles ou un réseau de contrats flexibles, considérant la stabilité comme une rigidité plutôt que comme un atout.
8De ces éléments sur l’entreprise comme institution, il s’ensuit que celle-ci n’est pas réductible à ses membres et encore moins aux propriétaires des actions de la société, support juridique de l’entreprise. Berle et Means [1932, p. 309] vont jusqu’à dire que l’impossibilité d’établir clairement des droits de propriété dans l’entreprise fait que l’entreprise en tant qu’institution tend à ressembler à l’État : une institution autonome qui n’a plus de propriétaire. Robé [1999, p. 124] fait ainsi un parallèle entre l’évolution de l’État et de l’entreprise : de même que le Prince n’a plus été en mesure de se déclarer propriétaire de l’État, il est légitime de considérer que l’entreprise n’appartiendrait plus à personne, mais serait simplement une institution habitée par une grande diversité de parties prenantes pendant des durées limitées sans être possédée. « C’est lorsque l’État a acquis une autonomie par rapport au Prince que sa progressive soumission au droit, et sa démocratisation ont été possibles. Peut-être sommes-nous arrivés aujourd’hui à l’âge de l’autonomisation de l’entreprise ? »
9L’hypothèse défendue par la suite est que la coopérative peut en effet constituer une préfiguration d’un tel futur : selon l’Alliance coopérative internationale, les deux principales caractéristiques des coopératives sont la propriété collective et le pouvoir démocratique. Or ces deux aspects protègent l’entreprise comme institution contre une mobilité excessive des actifs qui la composent, et donc contre le risque de faire perdre à l’entreprise son histoire, son identité, ses caractéristiques collectives. La propriété collective se traduit notamment dans les réserves coopératives impartageables, dans un souci de continuité de l’entreprise au-delà des motivations individuelles. En outre, cela freine les volontés de mobilité des membres, qui ont moins intérêt à quitter la coopérative pour des raisons financières puisqu’ils ne pourront réaliser de plus-value à la revente de leurs parts. Quant à l’exercice démocratique du pouvoir, il interdit notamment à un acteur extérieur de prendre directement le pouvoir et d’impulser une nouvelle direction : le pouvoir n’est pas proportionnel aux capitaux détenus, mais s’obtient en gagnant la confiance des membres de la coopérative, ce qui confère là aussi une certaine continuité à la coopérative, préservant un fil rouge, une cohérence historique.
10À l’inverse, le modèle de la société de capitaux n’est pas favorable à la stabilité de l’entreprise comme institution. Du point de vue de la théorie des parties prenantes, les actionnaires sont en effet les parties prenantes qui ont le moins intérêt à la durabilité de l’entreprise. L’attachement des différentes catégories de parties prenantes à la pérennisation de l’entreprise est inversement proportionnel à leur degré de mobilité. Les salariés sont faiblement mobiles : leur travail dans l’entreprise représente une part essentielle de leur temps de vie, de sorte que leur éventuel changement d’entreprise et donc de lieu de travail ne peut se faire qu’à l’intérieur d’une zone géographique limitée ou de manière peu fréquente. Plus encore, les travailleurs sont rarement susceptibles de travailler indifféremment dans tous les secteurs d’activité en raison de normes sociales et de compétences propres de sorte que leur mobilité est également contrainte sectoriellement. Quant aux fournisseurs et clients, le changement de partenaire ne peut se faire que dans un cadre sectoriel délimité, alors que les capitaux des actionnaires ont une validité universelle, ce qui procure à ces derniers une forte mobilité et un faible attachement à l’entreprise dans laquelle ils investissent.
11Cette capacité des coopératives à constituer un garde-fou dans un contexte de forte mobilité se traduit par des phénomènes de stabilité, dans un contexte où certains auteurs plaident déjà pour l’introduction de « retardateurs temporels » sur les marchés financiers [Colletis, 2012]. La section 3 passe en revue les phénomènes de stabilité déjà étudiés dans la littérature. La section 4 complète l’étude de ces phénomènes par une analyse statistique de l’emploi, peu étudié dans la littérature consultée, en montrant que l’emploi est plus stable dans les entreprises coopératives que dans les entreprises non coopératives.
3 – Les coopératives comme garde-fou de la stabilité
12180 articles ont été recensés dans les bases de données Econlit et Business Source Complete à partir des mots clés « coop* » et « mutu* ». Ils sont concentrés sur les pays riches (en grosse majorité Europe, Amérique du Nord, avec quelques articles sur Australie, Inde, Israël, Afrique du Sud) et sur la période récente (les trois quarts des articles ont été publiés après 1990). Ces articles couvrent une grande diversité de coopératives (35 concernent les banques coopératives [3], 24 les mutuelles et coopératives d’assurance, 35 des entreprises dirigées par les salariés, 50 des coopératives agricoles, 15 sont généralistes et 15 concernent d’autres coopératives telles que les coopératives de consommateurs, le commerce associé, l’habitat, le transport, l’artisanat, l’industrie, etc. [4]). Quelles que soient les coopératives étudiées, ces articles ont d’importantes références bibliographiques communes issues de la nouvelle économie institutionnelle des années 1970. Alchian et Demsetz [1972], Jensen et Meckling [1976], Fama et Jensen [1983], Furubotn et Pejovich [1972], Grossman et Hart [1986], Vitaliano [1983], Williamson [1975] : ce corpus théorique des années 1970-1980 continue de servir de référence pour la littérature empirique actuelle concernant les coopératives de travailleurs comme les coopératives d’usagers. On retrouve encore aujourd’hui ces références dans les bibliographies de la plupart des articles sur les coopératives [Jossa, 2009].
13Malgré ces références théoriques communes, ces littératures échangent peu les unes avec les autres. Pourtant, leurs résultats théoriques et empiriques convergent vers le constat d’une forte stabilité des coopératives, à la fois en raison du processus de décision interne et en raison du défaut d’attractivité des coopératives sur les marchés. D’une part, on constate que les étapes de la prise de décision sont nombreuses en coopérative : le principe « un homme égale une voix », par opposition au pouvoir des actionnaires majoritaires dans les sociétés de capitaux, limite les possibilités de prendre des décisions de manière unilatérale et rapide [Williamson, 1975]. Ce principe se traduit aussi par un pluralisme des objectifs [Cook, 1995] : il est plus difficile d’identifier clairement un critère à maximiser puisque le président de la coopérative ne représente pas légitimement ses seuls intérêts, par opposition au détenteur majoritaire des parts sociales d’une société de capitaux [Jensen et Meckling, 1976]. Pour les individus eux-mêmes, l’identification d’un objectif est délicate en raison du principe de double qualité [Furubotn et Pejovich, 1972] : dans les coopératives, la majorité des investisseurs sont également clients ou travailleurs ou fournisseurs, de sorte que chaque membre peut lui-même avoir plusieurs objectifs, y compris des objectifs politiques comme cela a souvent été le cas dans l’histoire des coopératives [Saxena et Craig, 1990].
14D’autre part, les réallocations de ressources nécessaires à l’application des décisions prises au terme du processus interne, nécessitant des ruptures de liens et créations de nouveaux, sont fortement encadrées par des principes statutaires qui limitent la flexibilité et donc l’accès aux marchés. Tout d’abord, en raison du principe de double qualité, les coopératives peuvent difficilement rompre le contrat avec un client, un fournisseur ou un travailleur lorsque ces membres sont également sociétaires de leur coopérative [Hendrikse et Veerman, 2001 à propos des coopératives agricoles]. La relation est moins flexible qu’une simple relation contractuelle. Inversement, les coopératives peuvent plus difficilement convaincre un acteur extérieur d’entrer en relation si la décision doit à la fois porter sur une relation fonctionnelle et sur une relation de sociétariat. En particulier, les coopératives sont peu attractives sur le marché des capitaux, puisque les avantages liés à la détention de capitaux (lucrativité, pouvoir) sont réduits. Ceci limite la possibilité pour les coopératives de prendre des décisions qui nécessitent de mobiliser des capitaux importants, car cela prend plus de temps dans leur cas que dans le cas des sociétés de capitaux (Vitaliano [1983] pour les coopératives d’usagers, Bonin et Putterman [1993] pour les coopératives de travailleurs). Mais c’est également le cas sur le marché des travailleurs qualifiés : les coopératives manquent généralement de dirigeants qualifiés [Cornforth et Thomas, 1990 ; Spear, 2004], ainsi que pour l’attractivité des meilleurs clients et fournisseurs sur le marché des biens et services. En effet, ces derniers sont susceptibles de recevoir un traitement plus personnalisé dans les entreprises concurrentes que dans les coopératives contraintes de faire porter une partie des coûts des clients et fournisseurs les moins rentables sur les plus rentables (Mauroy [1996] pour les coopératives d’assurance, Fulton et al. [1995] pour les coopératives agricoles].
15L’approche néoclassique, caractérisée par le postulat d’une économie de marché basée sur un degré élevé de flexibilité des relations contractuelles, traite essentiellement ces caractéristiques des coopératives comme des déficiences congénitales qui devraient condamner les entreprises coopératives à disparaître. Pourtant, les différentes analyses empiriques ne confirment pas cette prédisposition à l’échec [5]. À l’inverse, la littérature institutionnaliste est plus à même de comprendre le phénomène coopératif, car elle montre que la moindre flexibilité peut protéger l’entreprise comme institution en favorisant le développement et l’exploitation de dimensions tacites et informelles.
4 – Focalisation sur un phénomène particulier : la relation d’emploi
16L’apport empirique de cet article réside dans l’analyse statistique de la stabilité de la relation d’emploi dans les coopératives, venant compléter l’éventail des phénomènes de stabilité étudiés dans les coopératives. Les données de l’enquête emploi 2007 de l’Insee montrent que dans les coopératives, l’ancienneté des salariés est plus importante [6]. La méthode consiste à réaliser des tests de différence de la moyenne (tests de Student) entre la population des emplois en coopératives et celle des emplois en sociétés de capitaux. Cette question largement étudiée dans les coopératives de travailleurs (Burdin et Dean [2009] ainsi que Basterretxea et Albizu [2010] pour une revue récente) ne l’est que depuis peu sur les autres coopératives (Maisonnasse et al. [2010] pour les coopératives en France). Or les coopératives de travailleurs sont de loin les moins importantes quantitativement [7]. Les données mobilisées ici traduisent donc avant tout les caractéristiques de l’emploi dans les coopératives d’usagers et de fournisseurs, les coopératives de travailleurs étant logiquement très peu présentes dans l’échantillon.
17Tous secteurs confondus [8], la moyenne de l’ancienneté des emplois en coopérative est de 13,9 ans contre 9,8 ans pour les sociétés de capitaux. Un test t pour échantillons indépendants, réalisé pour les 728 emplois coopératifs et les 25 599 emplois de sociétés de capitaux pour lesquels nous disposons de l’ancienneté permet de constater que cette différence est significative : t [759,285] = –10,110 ; p < 0,01. On retrouve ces différences dans deux des trois principaux secteurs dans lesquels les coopératives sont présentes (tableau 1).
Ancienneté moyenne en fonction du statut et du secteur
Ancienneté moyenne en fonction du statut et du secteur
18Les différences de 2 à 3 ans [9] sont significatives selon un test t au seuil de 0,1 % pour l’industrie agro-alimentaire et le commerce en gros, mais pas pour l’assurance et la finance. L’impact du statut coopératif sur la stabilité de l’emploi est d’autant plus significatif que l’on constate que les femmes, dont l’ancienneté est en moyenne inférieure à celle des hommes, sont surreprésentées dans les emplois coopératifs (54 % contre 37 % dans les entreprises à actionnariat), ce qui devrait tirer l’ancienneté moyenne des emplois coopératifs vers le bas.
19L’ancienneté moyenne supérieure des emplois en coopératives est un indicateur d’une culture de la stabilité. Cet indicateur est complété par une analyse de la nature des contrats. La stabilité de l’emploi coopératif est confirmée par un tableau de contingence croisant la nature des contrats avec la nature des entreprises. Il permet de constater que les coopératives sont surreprésentées dans les CDI et sous-représentées pour tous les autres contrats (tableau 2) [10].
Nombre de CDI et autres contrats constatés et attendus
Nombre de CDI et autres contrats constatés et attendus
20Enfin, le niveau de qualification est moindre dans les coopératives (tableau 3), or plus le niveau de qualification est important plus les travailleurs se situent sur un marché du travail gouverné par une forte prime à la mobilité [Colletis, 2008] [11].
Niveau de qualification des cadres en fonction du statut de l’entreprise
Niveau de qualification des cadres en fonction du statut de l’entreprise
21Sur une population de 3 804 cadres en entreprises à actionnariat et 155 en coopératives.
5 – Conclusion
22Les données mobilisées sont conformes aux principaux résultats de la littérature standard présente dans les bases de données Econlit et Business Source Complete. Mais nous avons montré tout au long de cet article qu’il est important d’en donner une lecture alternative. Le défaut de réactivité peut en fait être considéré comme un atout de stabilité pour conserver les caractéristiques de l’entreprise comme institution : les routines, la mémoire collective constituent une source d’efficacité pour les coopératives et leur caractère informel fait que leur émergence et leur transmission requièrent un temps long. Le cadre d’analyse de l’institutionnalisme hétérodoxe permet de montrer que la moindre flexibilité peut protéger l’entreprise comme institution en favorisant notamment le développement et l’exploitation de dimensions tacites et informelles et en permettant à des processus d’apprentissage de s’enclencher. Pourtant, les interactions entre économie hétérodoxe et économie sociale et solidaire sont encore peu fréquentes (voir par exemple Demoustier [1980] autour de la théorie de la régulation ; Colletis, Gianfaldoni, Richez-Battesti [2005] autour de l’école des proximités ; Barreto [2011] dans un cadre d’économie des conventions). Il s’agissait donc ici de plaider pour un renforcement des interactions entre institutionnalisme hétérodoxe et économie coopérative.
23Cette analyse appelle plusieurs prolongements. Au niveau quantitatif, il serait possible de distinguer différents types de sociétés de capitaux parmi les 26 000 données individuelles dont nous disposons sur les emplois dans ces entreprises (mais les données de l’enquête Emploi ne permettent pas de distinguer par exemple entre les PME et les sociétés cotées). Ensuite, l’analyse en termes de stabilité serait renforcée par la mobilisation de données sur plusieurs années. Au niveau qualitatif, des enquêtes de terrain permettraient de comprendre comment la stabilité débouche sur des ressources tacites et informelles [12] et comment la culture de la stabilité se manifeste concrètement. Notamment, les salariés ne sont sociétaires de leurs coopératives que dans les coopératives de travailleurs. Dans de telles coopératives, on comprend aisément que les travailleurs aient plus d’ancienneté que dans les sociétés de capitaux. Mais les coopératives étudiées ici concernent des salariés qui ne sont pas nécessairement sociétaires. Le fait que l’ancienneté de l’emploi y soit néanmoins significativement différente de celle des sociétés de capitaux suggère qu’il existe dans les coopératives une culture de la stabilité qui se transmet à l’ensemble des acteurs au-delà des seules contraintes statutaires. Enfin, les très nombreux apports de la littérature francophone sur les coopératives, et plus généralement sur l’économie sociale et solidaire, pourraient être plus activement mobilisés, notamment à partir du lien entre économie sociale et solidaire et territoire [13].
24La construction d’un cadre d’analyse alternatif paraît d’autant plus importante que l’idée que la société de capitaux est le seul horizon pour les coopératives n’est pas sans effet sur les dynamiques de banalisation en cours depuis plus de 30 ans [Alix et Chomel, 2005] : cette lecture défavorable aux coopératives a un pouvoir normatif réel. La majorité des auteurs qui se préoccupent de la survie des coopératives considèrent en effet que les solutions doivent passer par un plus grand respect de ces principes de réactivité et d’attractivité [14]. Or cette croyance tend à nier l’entreprise coopérative dans ce qui la caractérise et à faire de la société de capitaux, structurellement plus conforme à ces principes, l’horizon ultime de la coopérative, ce qui va dans le sens de la « loi d’Oppenheimer » [15]. De nombreuses normes issues du modèle des sociétés de capitaux sont en effet introduites dans les entreprises coopératives, venant diluer le modèle coopératif [Chomel et Vienney, 1995]. L’analyse des coopératives dans un cadre institutionnaliste, ne croyant pas a priori à l’efficience du marché, pourrait permettre d’élaborer et d’accompagner des dynamiques coopératives plus conformes aux spécificités de ces entreprises.
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Mots-clés éditeurs : représentations, économie institutionnaliste, connaissances tacites, stabilité, coopérative
Date de mise en ligne : 24/12/2013
https://doi.org/10.3917/rfse.012.0231Notes
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[1]
Les associations partagent aussi ces caractéristiques, mais elles sont moins spontanément associées aux secteurs coopératifs et mutualistes en dehors de la France, par exemple en Allemagne [Münkner, 2001]. De plus, elles présentent des différences économiques fortes avec les coopératives et mutuelles : elles se situent dans des secteurs (social, éducation, culture) plus proches du secteur public que du secteur privé et ont des tailles moyennes de 10 salariés contre 40 pour les entreprises coopératives et 100 pour les mutuelles.
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[2]
Mais ces interactions existent. Voir par exemple Jaeger et al. [2006], Bataille-Chédotel et Huntzinger [2004].
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[3]
Les nombreux articles sur les coopératives de crédit et de microfinance n’ont pas été intégrés dans la littérature mobilisée, par souci d’homogénéité.
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[4]
Comme évoqué plus haut, il existe également une école coopérative francophone, mais ces travaux fortement marginalisés dans le champ académique n’ont pas été mobilisés ici puisqu’il s’agissait avant tout de procéder à une réinterprétation de la littérature académiquement dominante sur les coopératives. Ce courant est cependant tout à fait propice à un renforcement déjà engagé des échanges entre monde coopératif et économie institutionnaliste (voir conclusion).
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[5]
Trois synthèses à partir de revues des principales littératures sur les coopératives (Doucouliagos [1997], pour les « labor-managed firms » ; Sexton et Iskow [1993] pour les coopératives agricoles ; Fortin et Leclerc [2011] pour les coopératives bancaires) montrent qu’il n’est pas possible de donner de conclusion univoque sur la comparaison des performances des entreprises selon leurs statuts juridiques et ce quelles que soient les mesures de performances adoptées.
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[6]
Dans une perspective institutionnaliste, cette stabilité peut être valorisée positivement. À l’inverse, un cadre d’analyse néoclassique tend à ne voir dans cette stabilité qu’un obstacle à une bonne allocation des ressources, réactive aux évolutions des marchés.
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[7]
En 2006, la France comptait environ 5 000 coopératives d’usagers représentant plus de 300 000 emplois contre 1 700 SCOP représentant 36 000 emplois (données du groupement national de la coopération).
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[8]
80 % des emplois sont répartis dans trois secteurs sur les 16 qui constituent la nomenclature d’activités française (NAF) : dans cette enquête, 56,9 % des emplois sont dans la finance et l’assurance, 15,9 % dans le commerce et 6,3 % dans l’industrie agro-alimentaire, ce qui est conforme à la répartition mesurée par l’Insee la même année.
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[9]
À propos de l’impact du syndicalisme, Gerlach et Stephan [2008] trouvent des différences de 2 années.
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[10]
V de Cramer = 0,037 ; p < 0,001.
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[11]
Il s’agit ici simplement d’un indicateur supplémentaire de stabilité de l’entreprise coopérative. On pourrait cependant aller plus loin en défendant l’hypothèse que la sous-qualification des salariés est bien due au statut coopératif. Je remercie les rapporteurs pour cette suggestion. Chevallier [2011, chapitre 6] montre, sur la base d’entretiens et d’analyses de documents d’entreprises, que les administrateurs de coopératives sont moins qualifiés par rapport à ceux des sociétés non coopératives, ce qui induit une méfiance quant à l’embauche de cadres très qualifiés, ou encore que les promotions internes sont plus fréquentes et que les individus les plus qualifiés tendent à partir à la concurrence où les rémunérations sont plus élevées. Le phénomène s’auto-entretient alors : la coopérative sélectionne plutôt des individus peu diplômés qui eux-mêmes renforcent la stabilité de la coopérative.
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[12]
La littérature sur les compétences des personnes âgées [Volkoff et al., 2000] a déjà commencé à approfondir cette thématique au niveau empirique : les personnes âgées acquièrent des compétences propres en raison de leur ancienneté dans l’entreprise.
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[13]
Le lien entre économie sociale et solidaire a fait l’objet d’un colloque en 2005 avec un numéro spécial de la Recma, n° 296 (Colletis, Gianfaldoni, Richez-Battesti) ainsi que de plusieurs programmes de recherche financés par la Délégation interministérielle à l’économie sociale en 2007-2009 sous la direction de Xabier Itçaina et Danièle Demoustier.
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[14]
L’analyse des discours des dirigeants coopératifs pourrait constituer un autre prolongement afin d’appréhender leur perception des caractéristiques coopératives. Je remercie les rapporteurs pour cette suggestion.
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[15]
On retrouve largement cet argument dans la littérature initiée par les travaux du sociologue Franz Oppenheimer (1864-1943) et sa « loi d’Oppenheimer » sur la banalisation ou la disparition des coopératives : une coopérative doit se transformer en entreprise à actionnariat ou disparaître.