Couverture de RFSE_011

Article de revue

La Responsabilité sociale de l'entreprise comme forme de justification : quels impacts sur le travail ?

Pages 165 à 179

Notes

  • [1]
    Hirschman liant apparition du capitalisme et des activités lucratives avec celle de la pensée laïque des Lumières.
  • [2]
    Weber expliquant l’émergence du capitalisme avec celle de l’éthique protestante.
  • [3]
    Sur ces points, voir les travaux de Bardelli [2006], Hommel [2006], Postel et al. [2006, 2010] et Postel et Rousseau [2008].
  • [4]
    Selon l’axiome 2 de leur modèle, il existe différents états sociaux, le « grand » et le « petit », comme il sera développé plus loin dans cet article.
  • [5]
    « Lorsque les objets, ou leur combinaison dans des dispositifs plus compliqués, sont agencés avec des sujets, dans des situations qui se tiennent, on peut dire qu’ils contribuent à objectiver la grandeur des personnes. Les objets peuvent être tous traités comme des équipements ou appareils de la grandeur, qu’ils soient règlements, diplômes, codes, outils, bâtiments, machines, etc. »

1 – Introduction

1Dès son émergence, le capitalisme (et la firme capitaliste), quelle qu’ait été la forme qu’il prît, a dû justifier son activité au sein de la société et de l’environnement dans lequel il s’insérait. En ce sens, il « exige la mobilisation d’un très grand nombre de personnes dont les chances de profit sont faibles [...] et à chacune desquelles n’est attribuée qu’une responsabilité infime, en tout cas difficile à évaluer, dans le processus global d’accumulation, en sorte qu’elles ne sont pas particulièrement motivées à s’engager dans les pratiques capitalistes, quand elles ne leur sont pas hostiles » [Boltanski & Chiapello, 1999, p. 41]. Ainsi, nous ferons nôtre la thèse d’Albert Hirschman, pour qui l’entreprise capitaliste doit justifier en quoi elle sert le bien commun [1] [Hirschman, 1980]. Cet article a pour objet de montrer les liens possibles qui unissent cette référence à un bien commun, le développement durable, au modèle théorique des cités, et son impact sur le travail.

2Le développement durable, défini par le rapport Brundtland [1987] comme « mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », peut être appréhendé comme le « contenu » de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE, par la suite) qui en serait le « contenant » [Plumecocq, 2010]. Cette RSE sera entendue ici dans la perspective proposée par la Commission européenne, dans son Livre vert de 2001, à savoir comme « concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes sur une base volontaire » [Commission Green Paper, 2001].

3Après avoir postulé que la RSE est une tentative de justification de l’activité de l’entreprise dans son environnement social, celle-ci ne pouvant former un ordre de justification ou s’intégrer dans les mondes existants, nous montrerons en quoi la pluralité des discours des différents acteurs pourra être appréhendée en termes de « compromis » dans l’épreuve, et quels en seront ses effets en termes d’organisation du travail ; sur des nouvelles formes de travail dans un premier temps, sur des modes de travail conventionnels dans un second temps.

4Les rapports de RSE regorgent d’éléments génériques formant une politique qui agit directement sur l’activité et l’organisation du travail, tels que la mise en place de visioconférences, de téléconférences, d’outils de travail collaboratif, ainsi que la généralisation de logiciels. Cette politique engendre ainsi l’installation de dispositifs de télétravail, qui désigne le fait pour un salarié de travailler à distance, le plus souvent à son domicile. Dans cette optique, la seconde section traitera des liens qui unissent formes de justification et télétravail. Enfin, dans un dernier temps, seront mises en exergue les différentes formes que peut avoir ce type de justification écologique sur les mutations du travail.

5Notre propos sera appuyé par dix entretiens semi-directifs qui ont été réalisés auprès de trois types d’enquêtés : auprès de salariés en télétravail, d’une responsable des ressources humaines et de deux membres de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

2 – Responsabilité sociale des entreprises et justification

6Trois formes de justification du capitalisme vont se succéder : la forme « patronage », la forme fordiste, puis la forme RSE. Cette gestion éthique va connaître un double mouvement historique : du microéconomique vers le macroéconomique d’abord, puis du macroéconomique vers le microéconomique ensuite. À chaque période du capitalisme correspond une forme éthique pour justifier l’activité de l’entreprise [Hirschman, 1980 ; Boltanski & Chiapello, 1999] et légitimer son action pour le bien commun au sein de la société. Dans une optique différente, mettant en avant des logiques individuelles, Max Weber [1905] traduisait déjà l’idée que l’accumulation capitaliste nécessite des motifs éthiques et un solide rapport moral, un « esprit », pour se développer [2]. La crise du fordisme marque le début des préoccupations environnementales et de la prise de conscience des effets externes négatifs provoqués par le régime d’accumulation intensive. La RSE émerge ainsi consécutivement à la crise des conditions socio-économiques qui fondaient les formes de gestion éthique, « patronage », et « fordiste ». Elle s’apparente ainsi comme un soutien à une marchandisation du travail, comme forme justificative avec une dimension de type soft law, qui permettrait à l’entreprise de s’autoréguler. La critique du mode d’organisation du travail d’une part, et un nouveau compromis portant sur l’utilisation de la nature d’autre part, ont débouché sur la RSE en tant qu’innovation institutionnelle pour répondre à cette double crise de justification de l’activité de l’entreprise, c’est-à-dire de sa profitabilité, au sein de la société dans laquelle elle s’insère [3].

7Dans leur ouvrage De la justification. Les économies de la grandeur, Luc Boltanski et Laurent Thévenot [1991] proposent un cadre d’analyse des différents registres de justification. Une justification du capitalisme est nécessaire pour mobiliser les salariés, notamment les cadres : justification définie comme « acception permettant d’embrasser à la fois des justifications individuelles (en quoi une personne trouve des motifs à s’engager dans l’entreprise capitaliste) et les justifications générales (en quoi l’engagement dans l’entreprise capitaliste sert le bien commun) » [Boltanski & Chiapello, 1999]. Après avoir postulé que la RSE est une forme justificative de l’entreprise et de son activité, il convient de tenter d’appréhender les liens qui unissent ce type de justification écologique au cadre d’analyse des cités proposé par Boltanski et Thévenot.

8Cette question a été traitée par plusieurs auteurs, qui ont montré, chacun, la difficulté de l’insertion totale de la justification verte dans une grammaire issue des Économies de la grandeur, et qu’il s’agit de raisonner en termes de « compromis » au sens de Boltanski et Thévenot.

9Ainsi, la perspective théorique mobilisée est celle de l’École des conventions, et plus particulièrement celle des Économies de la grandeur, issue de l’ouvrage fondateur de Luc Boltanski et Laurent Thévenot [1991]. Pour ces auteurs, un principe supérieur commun est un « principe de coordination, qui caractérise la cité, une convention constituant l’équivalence entre les êtres. Elle stabilise et généralise une forme de rapprochement. Elle assure une qualification des êtres, condition pour prendre la mesure des objets comme des sujets et déterminer la façon dont ils importent, objectivement, et valent au-delà des contingences. On pourra dire que « a » équivaut à « b » sous le rapport de (principe supérieur commun) : « Par rapport à son retentissement dans l’opinion, telle personne importe plus que telle autre. » [Boltanski & Thévenot, 1991, p. 177]

10En ce sens, différents registres de justification sont construits, différentes « cités » ou différents mondes, dans chacun desquels ce qui est « grand » et « petit » [4] varie au regard du registre de justification de chacun des acteurs. Ces divers ordres de justification, fondés sur des grandeurs morales, sont ainsi considérés comme les moteurs de l’action. Construits et tirant leur légitimité de la philosophie politique, chaque cité est caractérisée par son propre mode d’équivalence, outil permettant d’ordonner le juste et le grand au regard de chacune des cités. Ainsi, dans la cité « marchande » issue de la pensée d’Adam Smith, le juste est basé sur le prix, dans la cité « industrielle », l’efficacité, dans la cité domestique, la tradition, dans la cité de renom, l’honneur, dans la cité civique, l’intérêt général, et enfin dans la cité inspirée, le sacré.

11Notre thèse est d’une part que la RSE peut, dans ses discours et ses pratiques, être considérée comme une tentative de justification de la profitabilité de l’entreprise au sein de son environnement, mais que, d’autre part, face à la difficulté de rendre compte de l’argument écologique, en tant que tentative de fonder un principe supérieur commun sur le caractère « durable », dans l’appareil théorique des cités, les acteurs vont être dans une situation de « compromis » entre différents ordres de justification, qui permet de rendre compatibles des justifications issues de différents ordres de grandeurs.

12La RSE, dans sa dimension justificative, peut être associée à l’appareil théorique des cités sous trois formes :

  • La RSE est soluble dans une ou plusieurs des cités construites par Boltanski et Thévenot, ou encore doit être appréhendée comme élément justificatif de la « cité par projet » de Boltanski et Chiapello [1999].
  • La RSE forme une nouvelle cité et serait la justification de l’activité de l’entreprise non pas dans la cité industrielle ou marchande, mais dans une hypothétique nouvelle cité, une « cité verte » ou « cité écologique ».
  • La RSE ne répond pas aux hypothèses nécessaires pour être appréhendée avec la grammaire des cités.
Après la publication de l’ouvrage séminal de Luc Boltanski et Laurent Thévenot mettant en exergue l’existence de cinq cités justificatives et les fondements théoriques du cadre théorique des cités, Lafaye et Thévenot [1993], Latour [1995], Godard [2004a, 2004b] ont tour à tour réalisé des travaux portant sur les liens qui pourraient unir argument écologique et « économies de la grandeur ». Les auteurs arrivent à la même conclusion selon laquelle, si l’on se tient à une définition « orthodoxe » avec un respect strict des conditions formant les ordres de justification, d’une part il n’est pas possible d’intégrer la RSE dans chacune des cités, d’autre part le développement théorique d’une cité environnementale est irréalisable. S’agissant de l’insertion de l’argument écologique dans chacune des cités, Lafaye et Thévenot [1993, p. 510] affirment que « l’argumentation écologique se moule volontiers dans les cadres justificatifs éprouvés et les dispositifs qui leur correspondent. Cependant il est manifeste que ceux-ci ne parviennent pas à la contenir totalement et qu’elle les déborde en permanence ». Latour, deux ans plus tard, dans sa critique de l’écologie politique, arrivera à la même affirmation.

13Quant à la construction d’une cité écologique, elle achoppe sur les conditions qui fondent le cadre théorique des cités. En effet, un ordre de justification légitime est construit sur six axiomes [Boltanski & Thévenot, 1991, p. 96-102] :

  • Axiome 1. Le principe de commune humanité : distinction entre humains et non-humains. D’une part il s’agit d’identifier les membres de la cité, d’autre part de postuler leur « équivalence fondamentale ». Ce qui exclut des cités de type apartheid ou esclavagistes.
  • Axiome 2. Le principe de dissemblance : il existe au moins deux états différents et donc une pluralité de positions sociales ; d’où l’existence de justifications des actions et d’épreuves pour attribuer les états.
  • Axiome 3. Le principe de commune dignité : chacun peut théoriquement accéder aux différentes positions sociales avec une même « puissance » d’accès aux états.
  • Axiome 4. Le principe d’ordre : l’ordination des états est nécessaire « pour coordonner des actions et justifier des distributions », il existe des « grands » et des « petits », ce qui suppose l’identification d’une échelle de valeur des biens et des bonheurs attachés aux différents états.
  • Axiome 5. Le principe d’investissement : il y a un investissement, un coût à l’accès à la grandeur, principe qui annihile la tension entre les axiomes 1 et 4, qui postulent une commune humanité, mais différents états.
  • Axiome 6. Le principe de bien commun : le « grand » produit un bien commun à tous, qui profite à toute la cité. Ce principe permet d’éviter la remise en cause du coût d’accès à la grandeur par les « petits ».
L’émergence de la prise en compte des générations futures – rappelons que le développement durable est défini par le rapport Brundtland comme « mode de développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » – ne permet pas à l’argument écologique de s’inscrire dans l’axiome de commune humanité, dans la mesure où les différentes générations ne peuvent se mettre d’accord sur un bien commun. Cette limite, invoquée par chacun des auteurs cités, était déjà évoquée par Boltanski et Thévenot dans la construction de leur modèle de cité [Boltanski & Thévenot, 1991, p. 106]. Cette prise en compte des générations futures ne permet pas non plus de répondre au principe de commune dignité, eu égard au fait que les différentes générations n’ont pas accès à un même monde et ne peuvent donc avoir un accès égal à la grandeur.

14Ainsi, l’argumentaire écologique, qui fonde les discours de la RSE, n’étant pas ordre de justification « pur », et ne s’intégrant pleinement dans les cités existantes, doit être appréhendé sous le prisme de compromis entre cités « pures ». C’est cette optique qui est adoptée notamment par Thévenot et al. [2000] dans une comparaison États-Unis/France dans le cas de « dispute » concernant deux projets ayant des impacts environnementaux, ainsi que par Plumecocq [2010].

15Notre objet sera ici de considérer cette intégration du développement durable, et en particulier de la dimension environnementale, la plus cruciale des discours et pratiques de RSE, comme une forme de compromis entre plusieurs ordres de justifications. Les controverses ont lieu d’une part pour justifier le télétravail comme phénomène positif en termes d’environnement, et d’autre part lors de « disputes » environnementales, qui ont lieu au sein des entreprises « dans les murs » et qui nous ont été rapportées par nos interviewés.

16Ainsi, la section suivante met en exergue la pluralité des discours des acteurs vis-à-vis de l’enjeu environnemental, et s’interroge sur sa compatibilité avec le développement durable comme principe supérieur commun.

3 – Justification environnementale et télétravail

17Notre travail s’appuiera sur dix entretiens semi-directifs qui ont été réalisés auprès de trois types d’enquêtés : sept salariés, une responsable des ressources humaines et deux membres de l’Ademe. Une première série d’entretiens a été menée auprès de salariés pratiquant le télétravail, au nombre de sept, ces derniers appartiennent à des entreprises de secteurs variés (banque, cabinet de conseil, établissement public). Ils sont tous cadres, volontaires (comme le veut la loi) et en télétravail dit « partiel », c’est-à-dire que leur activité de travail a lieu pour partie au sein de l’entreprise et pour l’autre partie à leur domicile. Pour 5 interviewés, il s’agit d’un ou deux jours par semaine à domicile, pour 2 salariés, la gestion du temps prenant la forme d’une semaine en télétravail/trois semaines en entreprise. Il convient d’évoquer le fait que les télétravailleurs interrogés dans notre recherche le sont devenus volontairement et auront donc une orientation naturelle à valoriser le télétravail (ce qui eût été différent si nous avions pu interroger des ex-télétravailleurs revenus à des formes d’organisation du travail « traditionnelles », ou des salariés refusant le télétravail). Nous avons par ailleurs mené un entretien auprès d’une responsable des ressources humaines, qui gère un dispositif de télétravail au sein d’une grande entreprise cotée. Parallèlement à cet entretien, nous avons eu accès à des documents internes du département des ressources humaines, concernant cette mise en place du télétravail. Enfin, deux entretiens ont été réalisés auprès de responsables de l’Ademe. Nous avons voulu interroger ces derniers qui apparaissent en tant que « prescripteurs » dans la mesure où ils sont à l’initiative du « Bilan Carbone » par la comptabilisation carbone des déplacements domicile-travail, outil tendant à se généraliser au sein des entreprises, et qui incite à la mise en place de dispositifs de télétravail.

18Si l’objectif initial de ces entretiens était de se focaliser sur le travail à distance, il est apparu au fil des interviews que l’argument écologique a un effet crucial sur les modes traditionnels de travail, à savoir ceux qui ont lieu au sein même de l’entreprise.

19La définition officielle du télétravail est celle de l’Accord national interprofessionnel, ANI, signé en 2005 : « Le télétravail est une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière. »

20Les entreprises ont recours au télétravail avec une justification de type « durable », le travail à distance apparaissant dans les rapports de RSE comme un moyen invoqué pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. En effet, celles-ci peuvent réduire leurs émissions de CO2 (du moins celles émises par leurs salariés) avec la baisse des déplacements domicile-travail, comptabilisée par les outils de comptabilité carbone, et la diminution des surfaces de bureaux (induisant une baisse des dépenses de climatisation).

21La forme de justification contemporaine du travail à distance – l’argument durable – est un phénomène nouveau. En effet, à la fin des années 1970, on commence à parler du télétravail pour « faire échec aux engorgements des villes, répondre à l’idée nouvelle de la qualité de la vie et de l’apparition des TIC » [Haicault, 1998]. De même, dans les années 1980 et 1990, c’est en prenant prétexte de l’aménagement du territoire et d’une meilleure répartition spatiale des travailleurs que la DATAR [1998] ou Thierry Breton [1993], quand il fut délégué interministériel auprès du ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, tentent d’impulser – sans succès – une dynamique de développement du télétravail.

22Nos entretiens révèlent que les salariés considèrent le télétravail comme un moyen de réduction des émissions de gaz à effet de serre certes, mais essentiellement en tant qu’élément inclus dans une stratégie globale de développement durable de leur entreprise, élément parmi d’autres souvent cités, comme la réduction des impressions ou la gestion de la climatisation. Par exemple, un interviewé nous a répondu, à la question « Est-ce que des préoccupations environnementales jouent dans la décision de mettre en place du télétravail dans votre entreprise ? », les propos suivants :

23

« Absolument pas. C’est du pipeau. C’est une simple question de gain de productivité, c’est pas lié à des préoccupations environnementales. »

24On peut postuler que ce salarié, bien qu’il la critique, a assimilé et a conscience du fait que la direction incite au télétravail sous une justification « durable ».

25S’il est vrai que les salariés sont conscients de cette justification de nature environnementale dans le cadre de la mise en place du télétravail, ces télétravailleurs mettent surtout en avant des dimensions de confort, d’augmentation du bien-être induites par le fait de ne plus devoir se déplacer pour aller à leur bureau. Ainsi, des arguments du même ordre ont été spontanément évoqués par deux interrogés, à la question posée « qu’est-ce qui a changé fondamentalement dans votre travail ? » – dont l’objet n’est pourtant pas le même, portant sur l’activité de travail en elle-même. À cette question, en effet, ils ont répondu non pas, comme le suggérait celle-ci, sur la nature de leur travail, mais sur le temps gagné à travers la réduction des déplacements :

26[1er interrogé] : « L’abandon du métro/boulot/ dodo ça fait quand même du bien, disons-le ! Enfin dans mon cas, ce serait plutôt auto/boulot/dodo ! Le périphérique de bon matin, c’est pas nécessairement très digeste. Donc moins de temps passé en voiture et plus de temps passé avec la famille, les amis. »

27[2e interrogé] : « Le temps gagné sur le trajet le vendredi. Pour ma part, je faisais 50 minutes aller, 50 minutes retour et sans incident dans le métro, évidemment, sinon j’en parle pas ! Alors évidemment travailler de chez soi de temps en temps, ça a du bon. »

28Il ressort de ces témoignages que bien que les entreprises aient la volonté de mettre en place du télétravail à travers une justification de type environnemental, cette dimension n’est que secondaire pour les salariés en télétravail, passant après des considérations de bien-être et de gain de temps. Ainsi, la responsable des ressources humaines interrogée, qui gère un dispositif de télétravail, nous a affirmé que le télétravail a été mis en place pour agir en faveur du développement durable :

29

« Dans l’esprit socialement responsable de l’entreprise, et dans le cadre des actions de développement durable, en cohérence avec l’esprit des projets Commercial France. »

30Elle nous affirme par ailleurs que le bénéfice environnemental est mis en avant dans l’argumentation en faveur du télétravail. Les dirigeants et les ressources humaines utilisent ainsi l’argument écologique pour mobiliser les employés autour de l’enjeu de réduction des gaz à effet de serre. L’extrait d’entretien suivant témoigne dans quelle mesure l’argumentaire en faveur de la réduction des émissions de CO2 est lié à la diminution des déplacements :

31

« Nous utilisons des arguments [pour inciter au télétravail] de réduction considérable des déplacements domicile-travail et la réduction des émissions de CO2 par la diminution de ces trajets. »

32Parallèlement à ces propos, l’examen de documents internes du service des ressources humaines de cette entreprise, que nous avons pu nous procurer, ne mettent pourtant que peu en avant la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme le montre cet extrait du document :

  • « Les bénéfices du télétravail pour l’entreprise : proposer un mode de fonctionnement en phase avec l’entreprise de demain (en particulier encourager un mode de management par objectif ; réaliser des économies en termes d’IKV [Indemnités kilométriques] ; améliorer la “fluidité” dans les locaux (plus de place dans les open spaces, cantine, parkings, etc.) ; réduire le nombre d’AT [Accidents du travail] ; diminuer le volume de CO2 émis ;
  • pour les managers : s’appuyer sur des collaborateurs plus efficaces et plus motivés ; remettre en cause le fonctionnement du service vers plus de simplification ; orienter son management vers un management par objectif ;
  • pour les télétravailleurs : diminuer le stress dû aux transports, au bruit… ; profiter d’un lien perçu comme renforcé avec la hiérarchie et les autres télétravailleurs du service (utilisation du « chat » pour s’entraider) ; rééquilibrer vie professionnelle et vie personnelle. »
Ainsi, on observe que l’impératif d’abaissement de l’émission de gaz à effet de serre n’est cité qu’une fois parmi les cinq bénéfices que le télétravail engendre pour l’entreprise et, qui plus est, en dernier, derrière des arguments « économiques » visant à réduire les coûts salariaux. A contrario de la mise en avant permanente de cette réduction dans les rapports de RSE. Cela nous incite à émettre l’hypothèse que la justification environnementale ou durable que donne l’entreprise lorsqu’elle met en place des dispositifs de télétravail n’est pas dédiée aux salariés concernés par le télétravail (qui, rappelons-le, ne le prennent en considération dans le choix de télétravailler que de manière secondaire), mais est consacrée principalement aux « parties prenantes » extérieures à l’entreprise. La mise en exergue de ces dispositifs dans les rapports de RSE, sous une justification durable, convenant aux ONG, agences de notation extra-financière, pouvoirs publics…

33Plus encore, ce document met manifestement en avant le fait que, en interne, il s’agit d’une situation de compromis entre principe supérieur commun de type écologique « diminuer le nombre de CO2 émis », ordre de justification de type industriel « améliorer la fluidité », mais aussi marchand « réaliser des économies », et « par projet » « encourager un management par objectif ».

34Parallèlement à ce phénomène, on observe un écart entre les intentions déclarées dans les rapports et les pratiques réelles sur le terrain : notre hypothèse semble confortée par cette appropriation de la cause environnementale confinée dans les discours, aussi bien dans les rapports externes de RSE, que dans la communication interne, provenant des ressources humaines à destination des employés, mais qui semble inexistante dans les pratiques, aux dires de nos interrogés.

35Toutefois, au-delà de cette dimension purement « communicationnelle », il ressort de ces entretiens qu’une réelle évolution des pratiques en termes de travail émerge en lien avec l’introduction des problématiques environnementales au sein des firmes, autant dans des configurations traditionnelles que dans des formes nouvelles de travail.

4 – Développement durable et évolution des formes de travail

36Nos entretiens permettent de dégager un résultat qui apparaît de prime abord contre-intuitif. On aurait en effet pu penser que le télétravail serait un facteur d’isolement, mais on constate que les télétravailleurs ont les capacités, ou le profil, qui leur permet de ne pas être en proie à l’isolement. Deux d’entre eux affirmant d’ailleurs que le télétravail a amélioré leurs conditions de travail, de par l’éloignement d’avec leurs collègues :

37« Les relations avec vos collègues ont-elles changé ?

38— Ne plus avoir de bureau peut compliquer un peu la chose car on est moins en relation avec ses collègues directs surtout s’ils travaillent sur les mêmes projets. Il faut se concerter. Pour certains aspects, c’est plus compliqué. Mais je trouve que les relations au travail sont meilleures car on se voit moins et cela peut faciliter les choses. »

39« Pourquoi ?

40— Si on voit trop ses collègues, surtout quand il y a un peu de tension, on en a marre de les voir tout le temps, du coup ça peut améliorer les relations. »

41Si ce premier interrogé évoque ainsi des contraintes apparues, à la suite de sa mise en télétravail, au niveau de la coopération horizontale, il évoque aussi le bien-être dû au fait de moins voir ses collègues. Si celui-ci a abordé ce phénomène dans une réponse à une question concernant les relations avec ses collègues, un second interviewé l’a exprimé spontanément, à une question portant cette fois-ci sur le temps de travail :

42« Est-ce que votre temps de travail a changé ?

43— Oui ! Quand tu es au bureau et que tu manges avec tes collègues, dès qu’il y en a un qui remonte pour bosser au bout d’une demi-heure parce qu’il a quelque chose sur le feu, les autres se sentent obligés de suivre. Il y a une sorte de culpabilité pour les uns tandis que d’autres ont peur de se faire mal voir. C’est très français ça. »

44Le bénéfice pour l’enquêté relève une nouvelle fois d’une dimension de confort et de bien-être : celui d’avoir le temps de déjeuner. Le mimétisme (le fait de suivre ses collègues pour retourner travailler) étant pour lui une source de « culpabilité » et de stress (« quelque chose sur le feu »). En réduisant les « tensions » et la « culpabilité », moins fréquenter les collègues constitue pour ces deux enquêtés un avantage du télétravail.

45À ce stade, on s’aperçoit que l’argument écologique, qui est certes utilisé par le management pour justifier la mise en place des dispositifs de travail à distance, n’est jamais évoqué par les salariés dans leur discours légitimant le fait qu’ils ont choisi de se mettre en travail à distance.

46Globalement, les discours des managers et de l’entreprise, qui mettent en avant l’argument écologique, révèlent en réalité, de la part des entreprises, une situation de compromis entre monde industriel et ordre de justification écologique. En effet, ceux-ci ont la volonté d’inclure les politiques de développement durable dans une logique industrielle, dans la mesure où l’on cherche à travers des objets [5] [Boltanski & Thévenot, 1991, p. 179] du monde industriel à atteindre l’efficacité, c’est-à-dire le principe supérieur commun propre au monde industriel. Les politiques de développement durable évoquées spontanément, comme l’impression recto-verso, l’impératif à moins imprimer ou à imprimer quatre feuilles en une, à moins consommer d’énergie en fermant les fenêtres… sont autant de moyens de réduction de gâchis, de rebuts – qui caractérisent l’état de petit dans le monde industriel – et s’inscrivent dans une logique de performance, d’optimisation des coûts. Rappelons que le gâchis, « les rebuts, les nuisances sont autant de signes négatifs de la grandeur [industrielle] » [Boltanski & Thévenot, 1991, p. 255].

47Ces « mini-réformes » génériques concernant l’organisation du travail – ou plutôt concernant le rapport du salarié à son espace de travail, imprimante, climatisation – rentrent ainsi dans un « modèle industriel de performance » [du Tertre, 2006]. Ainsi, ce qu’on appelle politique de développement durable, d’un point de vue d’organisation du travail, peut se résumer à une lutte contre le gaspillage, que l’on retrouve dans des formes d’organisation du travail tayloriennes mais aussi toyotistes par exemple. De la sorte, l’entreprise propose une réponse « industrielle » à la contrainte environnementale et sociale, dont l’exemple le plus révélateur est sûrement celui de la gestion des déchets que Latour évoque : « Les déchets domestiques deviennent des matières premières gérées comme les autres par une simple extension de la production. » [Latour, 1995]

48Dans un même temps, un responsable de l’Ademe nous a affirmé que la gestion des déchets est une modalité de réforme dite « durable » qui engendre une modification du travail des salariés, en l’occurrence du surtravail, dans le sens où celle-ci demande une tâche supplémentaire au salarié, qu’il ne réalisait pas auparavant :

49« Un autre exemple, [blanc] on différencie systématiquement les métaux pour valoriser en fin de vie les métaux, y aura une opération supplémentaire de tri pour l’opérateur, avant tout tombait dans la même caisse de tri et voilà on s’embêtait pas, bah voilà, là ça va changer son mode de fonctionnement. »

50« Du coup il aura plus de boulot, entre guillemets…

51— Je sais pas s’il aura plus de boulot mais il aura la possibilité de le faire mieux je verrais ça comme ça, oui… bah oui, c’est plus de boulot [hésitations]…

52— À travers ce changement de comportement c’est aussi un changement du discours, du travail de manager ?

53— Ça leur donne un levier supplémentaire pour accompagner le changement, le CO2 c’est quand même bien perçu.

54— C’est-à-dire ?

55— Bah, si on demande à quelqu’un de faire une action qui l’embête, parce que c’est une action supplémentaire, mais c’est pour la planète, ce n’est pas pareil que si c’est pour son patron.

56On revient sur la morale, le bien et le mal…

57— Non, c’est que chacun est plus ou moins sensible, c’est une cause qui est partagée majoritairement. Si on dit “on va travailler ensemble pour modifier les comportements au poste” pour réduire les impacts environnementaux, pour réduire les émissions de gaz à effets de serre, c’est quand même bien mieux perçu que de dire “on va travailler ensemble pour modifier votre comportement au poste pour faire du chiffre d’affaires”. »

58Cet extrait d’entretien est révélateur des différentes logiques mises en œuvre. Cette nouvelle charge de travail est justifiée par le concepteur de l’Ademe, mal à l’aise à l’idée d’avoir provoqué une surcharge de travail pour le salarié, par l’instauration d’un Bilan Carbone usant d’un argument environnemental, l’opposant à une justification industrielle. Il ressort que chacun des groupes sociaux emploie l’argument écologique pour justifier ses intérêts : l’Ademe pour justifier le bien-fondé de la démarche environnementale et le Bilan Carbone, la direction pour justifier les économies de matières premières, mais aussi les salariés qui s’approprient l’argument durable, le retournent contre la direction, comme le montre le verbatim suivant, tiré d’un entretien réalisé auprès d’un télétravailleur :

59« Quelle est la politique de développement durable de votre entreprise ?

60— Utiliser du papier recyclable et n’imprimer qu’en cas de nécessité. Utiliser également les deux faces des feuilles. Y a aussi la clim : l’été il faut garder les fenêtres fermées pour garder le froid, et l’hiver faut aussi les garder fermées pour cette fois garder le chaud. »

61« Qui est-ce qui a dit de laisser les fenêtres fermées ?

62— En fait, on s’est plaint aux services généraux parce qu’on avait trop chaud et on trouvait qu’il y avait pas assez de clim. Quelqu’un des services généraux est venu, il a dit qu’on était à 22° et qu’on pouvait pas faire moins, à cause de la politique de consommation énergétique. Du coup c’était pervers, vu qu’on branchait des ventilateurs… Y a autre chose, au niveau de l’éclairage, y a quatre boutons pour quatre rangées de lumière et je suis obligé d’allumer une rangée de lumière juste pour moi, et la rangée doit bien faire 30 mètres de long ! Du coup on a demandé que ce soit individualisé, parce qu’il y en a toujours qui ne veulent pas de lumière, d’autres qui en veulent tout le temps. On a dit aux services généraux que ça gâchait de l’énergie et lui a dit que c’était le circuit électrique, que ça coûtait trop cher de le changer. »

63Ce cas illustre les contraintes matérielles qui pèsent et déterminent l’action des salariés en entreprise. Il est remarquable qu’une nouvelle fois il est question de confort, avec la volonté d’avoir une température adaptée aux chaleurs de l’été. La question du confort se transformant et se justifiant via l’argument environnemental.

64Il apparaît donc qu’à travers l’organisation ou le cadre du travail, c’est aussi le travail du manager qui s’en trouve transformé. Le développement durable, et son introduction au sein de la firme, implique ainsi « un changement de comportement » pérenne. Le verbatim suivant, tiré d’un entretien avec un responsable de l’Ademe, témoigne de ce phénomène :

65« Quelles sont les conséquences du Bilan Carbone sur l’activité de travail des salariés ?

66— Ça va dépendre des actions, mais si on est sur des actions à faible investissement comportemental ce sera très fort.

67Action à fort investissement comportemental ?

68— En fait, on a trois niveaux d’action, on a des “actions à coût zéro” où on dit “de management” ou ce sera de la sensibilisation ou un nouveau mode de fonctionnement, on a des actions à faible investissement et des actions à fort investissement.

69— C’est-à-dire ?

70— Bah, grosso modo, ça me coûte rien, mon taux de retour est inférieur à trois ans, mon taux de retour est supérieur à trois ans, l’entreprise, elle, fait un choix déjà par rapport à ça, via le Bilan Carbone. Après coût zéro matériel, après quand on est sur du changement de comportement, c’est pas coût zéro temps. Attention on parle d’investissement matériel, pas de temps.

71Si elle choisit de l’investissement faible, du coup l’activité de travail des salariés va être fortement modifiée ?

72— Si c’est du faible investissement, on sera sur du managérial, sur du changement de comportement ou alors sur un réglage, si c’est un réglage machine mais qui entraîne pas un autre mode de fonctionnement sur la machine, juste un réglage, bah parce que y avait une vanne qui était trop ouverte, bah ça c’est coût zéro, c’est l’idéal. Si on est sur des actions à coût zéro qui sont plutôt de l’ordre du comportement, c’est-à-dire par exemple on utilise plus les soufflettes à air comprimé pour nettoyer les pièces, mais on prend un chiffon, c’est-à-dire qu’on économise de l’air comprimé, là ça va directement impacter le travail au poste. »

73Les discours de type « c’est bon pour la planète » ou « c’est pour réduire les émissions de CO2 », sont ainsi fréquemment invoqués par les managers au sein de la firme, selon nos entretiens réalisés auprès de responsables de l’Ademe (qui supervisent la réalisation de Bilan Carbone au sein des entreprises), pour justifier les réorganisations du travail. On en revient, dans une optique conventionnaliste, à l’invocation du principe supérieur commun de type « patrimoine naturel » proposé par Godard [2004b].

5 – Conclusion

74Au-delà des simples injonctions managériales, on s’aperçoit que c’est l’argument durable qui s’est introduit au sein de la firme, dans le sens où il est employé par chacun des sous-groupes qui la composent – salariés, direction – ou qui sont à sa périphérie – Ademe – pour faire valoir son intérêt. Par-delà les discours, la RSE agit sur le travail, sous plusieurs formes : elle incite au télétravail d’une part, peut être facteur de surtravail d’autre part, dans le cas de la gestion des déchets. Dans les deux cas, ces transformations sont justifiées avec un argument écologique. La croyance en un principe supérieur durable n’est pas pour autant avérée, comme le montre la plupart des salariés qui l’invoquent seulement comme argument, avec le but inavoué d’améliorer leur confort, et non de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

75Plus encore, un phénomène de traduction du travail en carbone s’opère, se généralisant sous l’impulsion des différentes comptabilités carbone, comme le Bilan Carbone. Le fait même de comptabiliser les déplacements domicile-travail dans celui-ci a pour corollaire l’incitation à la mise en place du télétravail, qui permettra d’éviter ces déplacements et donc de répondre aux exigences de baisse d’émissions de gaz à effet de serre. On peut émettre l’hypothèse que cette traduction en carbone du travail (mais aussi d’à peu près tout, de la production d’un sachet de thé à une feuille de papier) est un instrument de « mise en équivalence », qui faisait défaut alors, pour Lafaye et Thévenot [1993], à la construction d’une cité écologique.

76D’une manière générale, on peut observer, en filigrane des « faits de vie au travail » proposés ici par les interrogés, deux phénomènes. D’une part, la volonté de la direction d’intégrer l’argument durable dans une logique industrielle. D’autre part, une appropriation de l’argument durable par les salariés et un renversement de celui-ci dans le rapport à l’employeur.

77L’introduction des problématiques environnementales au sein de la firme, au-delà des discours, a un réel impact sur l’activité de travail, sur la mise en place de formes de travail alternatives mais aussi en modifiant les modes de travail traditionnels, notamment dans le cas de la gestion de déchets. L’appropriation par les acteurs de l’enjeu environnemental met en avant des situations manifestes – et diverses – de « compromis » entre différents ordres de justification. L’argument écologique est ainsi mobilisé dans l’entreprise par chacun des groupes sociaux qui la composent. Les managers justifient les économies de matières premières et les changements d’organisation du travail, par le biais d’un compromis entre ordres de justifications industriel et écologique. Les ressources humaines justifient ces mutations du travail par un compromis entre ordres marchand, industriel, écologique, dans le sens du « nouvel esprit du capitalisme », associé à des formes de management par projet. Quant aux salariés, s’ils sont conscients que l’argument écologique est invoqué dans l’optique de peser sur leur activité de travail, ils se l’approprient pour le retourner dans leur intérêt contre la direction. Parallèlement, l’étude montre le rôle du carbone comme mode d’équivalence en émergence, à même de fonder une cité écologique, par l’introduction de l’outil du Bilan Carbone, qui comptabilise et traduit l’activité de travail en « unité » carbone. Ainsi, cette émergence du carbone comme mode d’évaluation et de mise en équivalence pourrait déboucher sur une cité écologique en voie de construction, mais qui ne serait pas encore stabilisée faute d’épreuves institutionnalisées.

Bibliographie

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  • Weber M. (1905), Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus, traduction française, Éthique protestante et esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.

Notes

  • [1]
    Hirschman liant apparition du capitalisme et des activités lucratives avec celle de la pensée laïque des Lumières.
  • [2]
    Weber expliquant l’émergence du capitalisme avec celle de l’éthique protestante.
  • [3]
    Sur ces points, voir les travaux de Bardelli [2006], Hommel [2006], Postel et al. [2006, 2010] et Postel et Rousseau [2008].
  • [4]
    Selon l’axiome 2 de leur modèle, il existe différents états sociaux, le « grand » et le « petit », comme il sera développé plus loin dans cet article.
  • [5]
    « Lorsque les objets, ou leur combinaison dans des dispositifs plus compliqués, sont agencés avec des sujets, dans des situations qui se tiennent, on peut dire qu’ils contribuent à objectiver la grandeur des personnes. Les objets peuvent être tous traités comme des équipements ou appareils de la grandeur, qu’ils soient règlements, diplômes, codes, outils, bâtiments, machines, etc. »
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