Couverture de RFP_815

Article de revue

L’interprétation analytique : un acte subversif

Pages 1395 à 1444

Notes

  • [1]
    A. Sala, Ravel, Ravel, Unravel, Pavillon allemand, Biennale de Venise, Paris, CNAP, Manuella 2013.
  • [2]
    S. Freud, lettre 112, 6 décembre 1896, Lettres à W. Fliess, Paris, Puf, p. 265. (Les fueros ou survivances dans le psychisme de processus d’excitation selon des lois psychologiques en vigueur à la période psychique précédente).
  • [3]
    Hölderlin, Œdipe le tyran, Théâtre de la ville de Paris, novembre 2015.
  • [4]
    J.-F. Lyotard forge ce concept de figural dans son rapport à la figure et au figuratif. Il rappelle « la connivence radicale de la figure et du désir », et conceptualise les trois figures qui appartiennent à l’espace figural, l’image, la forme, la matrice. Cet espace se singularise par sa fécondité, c’est un espace ouvert au processus à l’œuvre, espace de l’inconscient et de l’expression d’une réalité en excès et en débordement sur l’ordre discursif ou intelligible.
  • [5]
    À paraître, Annuel APF, 2017.
  • [6]
    Entretiens de F. Ponge avec P. Sollers, Paris, Gallimard, 1970.
  • [7]
    F. Ponge, La Rage de l’expression, Paris, Gallimard, 1976, p. 75-95.
  • [8]
    Y. Bonnefoy, Le Lieu d’herbes, Paris, Galilée, 2010.
  • [9]
    W. Mouawad, Une chienne, Arles, Actes Sud-Papiers, 2016.
  • [10]
    A. Lygre, Rien de moi, Paris, L’Arche, 2013.
Nous pouvons laisser libre cours à nos hypothèses, pourvu que nous gardions notre jugement critique et que nous n’allions pas prendre l’échafaudage pour le bâtiment lui-même.
Freud, L’Interprétation des rêves.

Où en est-on avec l’interprétation aujourd’hui ?

1 Annexée à la méthode freudienne, consignée du côté de la technique analytique plus que relevant d’une élaboration théorique, elle porte en elle-même la variabilité ou l’insaisissabilité de son objet. Open to revision : jusqu’où ?

2 Déjà dans l’œuvre freudienne, elle devient plurielle au fur et à mesure de l’évolution métapsychologique qui l’anime, et des différents et successifs paradigmes qui la traversent. Au combat des résistances œuvrant contre la levée du refoulement, débusquant les lacunes de la mémoire et du souvenir, à rebours du travail de rêve pour la première topique. Avec la deuxième topique, elle a partie liée, ou plutôt déliée, avec l’irreprésentable, le transfert comme répétition agie, mise en acte du pulsionnel et de plus en plus avec le contre-transfert comme effet agissant du transfert. Si ceux-ci perdent progressivement leur poids négatif d’obstacles au travail d’historisation et de représentation de la cure, pour devenir alliés obligés du travail analytique, l’interprétation y gagne-t-elle en clarté signifiante et en assurance ?

3 Le mot lui-même recèle cette plurivocité : dans l’usage de la langue allemande, Freud emploie le mot interpretation, d’origine latine, ou celui de Deutung, d’origine germanique, le plus souvent choisi, qui signifie expliquer, mais aussi donner un sens, Bedeutung, tout en mettant l’accent sur la communication entre deux individus et sur un espace entre.

4 L’interprétation, « Voilà un vilain mot ! je n’aime pas vous entendre parler ainsi, vous m’ôtez toute certitude. Si tout dépend de mon interprétation, qui me garantit que j’interprète correctement ? Tout n’est-il pas alors livré à mon arbitraire ? » (Freud, 1926d, p. 44).

5 Soupçonnée d’être l’expression de la suggestivité de l’analyste, sans preuve objective de sa fiabilité, elle navigue entre les écueils de l’herméneutique, de la narrativité, de la significativité trop explicative, de l’intersubjectivisme et de l’interpersonnel.

6 Issue de l’expérience la plus intime de l’analyse, elle est soit immédiatement refoulée, soit l’objet d’une idéalisation problématique.

7 Mais paradoxalement nous pouvons en cerner l’irréductibilité : complémentaire et différente de l’activité de construction dans l’analyse, elle garde son lest d’analogie avec l’inconscient par les forces de déliaison/liaison qui l’animent.

8 La complexité qui la constitue redouble alors : si l’interprétation ne relève pas tant du sens que de la force pulsionnelle, comment se saisit-elle en tant qu’acte de parole de l’Agieren transférentiel pour lui permettre une mise en représentation ?

Ravel, Ravel, Unravel

9 Il y a quelque temps, une œuvre artistique contemporaine me fit impression : il s’agissait d’une installation visuelle et sonore d’Anri Sala [1], artiste vidéaste franco-albanais, reposant sur l’interprétation du concerto en ré majeur pour la main gauche de Maurice Ravel. Ce même morceau musical était joué et enregistré par deux pianistes séparément dans deux lieux différents mais était diffusé simultanément sur deux écrans non symétriques dans un espace anéchoïque. Les deux interprétations, d’abord désynchronisées, se rejoignaient et se séparaient à nouveau, avec des décalages de tempo. Le dispositif s’organisait en trois espaces différents : dans le premier, l’on voyait le visage d’une DJ occupée silencieusement à mixer, le second était celui de la chambre anéchoïque, et le troisième où l’on voyait à nouveau la DJ mixant les deux versions pianistiques sur ses platines en tentant de les réunir en une seule pour redonner une unité au concerto. En vain. Le titre choisi par l’auteur, « Ravel, Ravel, Unravel », jouant sur l’homophonie avec le nom du compositeur et le mot anglais qui peut se traduire par « emmêler, démêler », à la fois donnait sens à l’œuvre visuelle et sonore tout en utilisant sa matérialité sensorielle, jusqu’à traiter le nom propre comme une chose. Dispositif d’art contemporain absolument audacieux dont la composition finale a nécessité plusieurs enregistrements visuels et sonores, et rassemblé le travail de nombreux et différents intervenants.

10 Je fus particulièrement saisie par cet espace créé par Anri Sala, cet espace autre, de « non-lieu », surgissant de ce décalage irrépressible entre deux jeux, de cet intervalle sans cesse renouvelé entre leurs deux tempos. Cet espace se créait à partir de ces écarts se produisant de façon aléatoire mais constituante, dans un mouvement de jonction/disjonction, dans la mise en tension d’une attente de réunion et d’une menace de disparition. Ce n’était pas sans analogie avec ma représentation du mouvement et de l’action interprétatifs dans l’expérience analytique à partir de ces mouvements transférentiels et contre-transférentiels de rapprochement et de dégagement entre ces deux scènes psychiques, celles qui se jouent entre l’analyste et son patient. Mais il y avait autre chose encore qui n’épuisait pas l’impression énigmatique à laquelle me renvoyait cette œuvre. Autre chose que la plongée sensorielle vers laquelle ce dispositif interprétatif, à la fois de spatialisation sonore et de disjonction temporelle, infléchissait ma pensée, préfigurant les mouvements de régrédience lors de l’action interprétative analytique. C’étaient les mains des pianistes. En effet, si le corps était sollicité à travers ses sensations auditives et visuelles, seules leurs deux mains gauches étaient filmées, soit en action, soit au repos, soit animées soit comme mortes. Séparées visuellement du corps des pianistes, elles inspiraient une étrange impression d’animalité sauvage, apportant à la scène sa part d’érotisme primitif, sans doute essentielle à la réalisation de l’œuvre mais aussi à la mise en scène interprétative. Par ailleurs, leurs jeux de redoublements et dédoublements répétés et incessants n’étaient pas sans provoquer ce sentiment d’inquiétant signant, selon l’enseignement issu de l’expérience analytique, le retour à des formes de pensée marquées par le sexuel infantile et par des convictions animistes dès qu’il est question de la relation à l’inanimé et à la mort.

11 Il est essentiel d’évoquer l’histoire en arrière-plan de l’œuvre, puisque le concerto pour la main gauche avait été composé par Maurice Ravel en 1930, à la demande de Paul Wittgenstein, grand pianiste, amputé du bras droit lors de la guerre de 1914-1918 et frère du philosophe avec lequel Freud était en débat à propos de la psychanalyse (Kahn, 2006). Œuvre marquée par les ravages de la guerre dont elle garde une tonalité douloureuse, sur fond de perte et de castration. Si cela permet de saisir l’effet de forte puissance dramatique et émotionnelle qui en découle, ce n’est pas sans être articulé avec la forme-même de sa composition musicale. Construite en triptyque autour de deux tempos, elle enchaîne selon un principe de répétition mouvements lents et vifs, tumultueux et mélodiques, sur un mode très rythmé aux effets de jazz, dont le mot concerto souligne à la fois la lutte et à la fois l’entente. Se concerter pour se concurrencer, entre deux parties, l’orchestre et les solistes, n’est pas sans nous évoquer le combat entre psychanalyste et patient, « entre intellect et vie pulsionnelle, entre connaître et vouloir agir » (Freud, 1912b, p. 116), dans le champ même du transfert.

12 C’est en tant que métaphore musicale, qui dit l’emmêlement et le démêlement entre deux jeux pianistiques que nous l’entendrons pour figurer cet entre-deux transférentiel et langagier où se forme l’interprétation et d’où elle s’énonce sur la scène de l’analyse.

La scène analytique, ouverture à l’expérience

13 La scène analytique est une scène bien étrange. De loin, elle s’apparente à une conversation ordinaire, ils se parlent, et ne font que cela. Mais en l’approchant, le trouble s’installe du fait de cette proximité révélée entre l’acte et la parole, du fait que celle-ci, dès qu’elle est adressée, n’est pas seulement au service du sens et de la pensée, mais aussi, et peut-être surtout, est déterminée par son agir sur l’autre, gouvernée ainsi par des forces échappant à l’ordre représentationnel. « La langue est système commun à tous ; le discours est à la fois porteur d’un message et instrument d’action », affirme Benvéniste (Benéviste, 1956). Action performative du langage conceptualisée par les linguistes contemporains, que Freud devina en l’attribuant au mot lui-même, par sa puissance d’agir hallucinatoire. Il écrit : « Assurément tout au commencement était l’acte, le mot vint plus tard ; ce fut sous bien des rapports un progrès culturel que le moment où l’acte se modéra en devenant mot. Mais après tout le mot à l’origine était un enchantement, une action magique, et il a conservé encore beaucoup de son ancienne force » (Freud, 1926e, p. 10). La scène analytique s’offre ainsi comme paradigme de la relation interhumaine, entre deux êtres parlants, n’ayant que le langage en commun, à condition de l’entendre aussi bien dans sa forme verbale que non verbale. « Par langage, il faut ici comprendre non seulement l’expression des pensées en mots, mais aussi la langue des gestes et tout autre sorte d’expression de l’activité animique, comme l’écriture » (Freud, 1913j). Elle pourrait présenter alors « grandeur nature », « actual size », par l’étude des processus qui la régissent, les formes selon lesquelles la vie psychique a pu s’organiser de façon à la fois déterminée et aléatoire dans et par son rapport à l’autre, dans la mesure où le langage suppose un autre. L’autre en tant que Nebenmensch, « l’être humain proche », et l’autre en tant qu’il se présente comme détenteur à son insu d’un inconscient sexuel source d’altérité pour lui et pour l’autre. Se trouverait ainsi réinstauré, à l’origine, le processus-même de l’hominisation, fondé sur l’acquisition de la capacité langagière selon les hypothèses formulées par Jean Laplanche avec le concept de situation anthropologique fondamentale (Laplanche, 2007, p. 95-108). À ce rapport de double altérité viendrait s’adjoindre le mouvement incessant d’altération agie par la profusion et l’enchevêtrement des formes, verbales ou non, impulsées par le discours associatif de l’analysant sur l’attention flottante de l’analyste. De cette excitation de la surface psychique, témoignant de la reviviscence fragmentaire des souhaits infantiles aussi inaltérables que déformés cherchant leur accomplissement hallucinatoire au contact de l’autre, l’expression graphique fiévreuse, exubérante et fouillie des formes picturales de l’art primitif pariétal en proposerait un modèle figuratif.

La scène freudienne

14 La scène freudienne est une scène où se produit « l’indésirable » (Gribinski, 2007, p. 169-182), où se joue le destin des forces pulsantes, où elles livrent combat contre les forces défensives, refoulantes ou clivantes. Et si « le rideau se lève pour ainsi dire toujours au milieu de la pièce », (Freud, 1942a [1905-1906], p. 319-326), l’action ayant déjà commencé avant et ailleurs, elle nous introduit non seulement à une pensée du tragique, mais à une pensée autre que celle du début et de la fin qui serait celle de l’originaire. En 1905, Freud les incarne à travers des « personnages psychopathiques », véritables « démons à la scène », dont Œdipe, Hamlet, Lady Macbeth, porteurs de ces crimes ou désirs incestueux qui assaillent l’âme humaine en chacun de nous. Certes, la métaphore théâtrale est prégnante, il s’agit de la scène en tant que die Bühne, et pas encore en tant que Schauplatz (scène du rêve) ou Tummelplatz (lieu d’ébats pulsionnels), mais Freud nous donne une précision qui retient notre attention : la motion pulsionnelle, nous dit-il, ne doit pas être nommée distinctement, sous peine d’éveiller l’effroi ou la peur, et aussi pour continuer à nous tenir en éveil ! Si cette recommandation peut s’entendre du côté de la prime de plaisir que l’activité artistique octroie à chacun de nous pour affronter son monde pulsionnel, peut-elle s’appliquer au travail psychanalytique et à l’interprétation ? S’il convient de « laisser chez le malade besoin et désirance en tant que forces poussant au travail et au changement » (Freud, 1915a, p. 205), l’analyste ne doit en effet rien céder sur le combat à mener contre les forces qui s’y opposent, et il ne peut employer des moyens inoffensifs.

15 Au fur et à mesure de ses avancées théoriques et des remaniements qu’elles suscitent, à partir des difficultés cliniques rencontrées, Freud propose des interprétations à cette scène de l’analyse. Celles-ci se présentent comme des paradigmes, concepts issus de l’expérience et de la réflexion cliniques, jalonnant, en se succédant et se chevauchant, en complexifiant la pensée freudienne. La liste n’en est pas exhaustive, mais nous pensons à l’expérience de satisfaction, l’hystérie, le souvenir écran, le rêve (un des paradigmes les plus importants de la première topique par la mise en évidence de son travail), le mot d’esprit, le jeu de l’enfant, le dualisme pulsionnel de la seconde topique avec la contrainte de répétition et la pulsion de mort, le transfert et le contre-transfert, la psychose. Nous proposerions que dans chaque analyse, au cours du travail analytique, l’interprétation se forme en l’un ou l’autre de ces paradigmes, suivant les moments au travail entre patient et analyste. Il serait préférable alors de parler des interprétations, variant suivant la singularité de chaque cure, et suivant les paradigmes et théorisations implicites (Faimberg, 1996) qui se présentent dans l’expérience transférentielle. Cependant, au fur et à mesure de l’œuvre, l’activité interprétative devient partie liée au transfert et au contre-transfert. Il est maintenant acquis que le transfert, d’abord pensé comme obstacle au processus analytique et aussi à l’interprétation en est devenu l’agent de liaison obligé le plus précieux, sauf lorsqu’il s’impose en tant que contrainte de répétition, pour l’accès aux expériences infantiles précoces vécues sans compréhension et le plus souvent sans souvenir. En effet, écrit Freud dès 1914 (Freud, 1914g, p. 190), « l’analysé ne se remémore absolument rien de ce qui est oublié et refoulé, mais il l’agit. Il ne le reproduit pas sous forme de souvenir, mais sous forme d’acte, il répète, naturellement sans savoir qu’il répète » et « le transfert n’est lui-même qu’un fragment de répétition, et la répétition est le transfert du passé oublié, non seulement sur le médecin, mais sur tous les autres domaines de la situation présente ». Il s’agit dès lors d’ouvrir au transfert « le lieu d’ébats » dont il a besoin pour se déployer, pour le traiter comme une puissance actuelle, pour le dompter et le transformer en motif de remémoration. Quant au contre-transfert, qui fait son arrivée dès 1910 (Freud, 1910b, p. 67) sur la scène analytique, Freud le décrit précisément comme « l’influence du patient sur la sensibilité inconsciente du médecin » que celui-ci devra obligatoirement reconnaître en lui-même et maîtriser « en approfondissant continuellement son auto-analyse au fur et à mesure de ses expériences avec le malade », dans les limites toutefois de ses propres résistances et complexes. Il l’évoquera aussi en tant que quadrillage libidinal de l’analyste ou comme sa part d’équation personnelle sollicités par l’action transférentielle. La scène analytique est vraiment devenue la scène du transfert et du contre-transfert, une scène de « transférance », au sens où Pierre Fédida (Fédida, 1986, p. 19-29) le propose, comme champ dynamique et énergétique des productions de contenus de représentations. La répétition agie, l’Agieren de transfert, agissant au sein même de la parole, devient une nouvelle voie royale pour l’investigation de l’inconscient, comme le suggère Jean-Luc Donnet (Donnet, 2016, p. 23-27). L’interprétation ne peut plus être pensée que dans et de cette transférance. Dès 1920, la tonalité théorique freudienne s’était assombrie, avec l’arrivée en masse des forces des motions pulsionnelles, chargées de grandes quantités d’excitation et leur effet de déliaison. Les traces mnésiques des expériences vécues aux temps originaires ne sont pas à l’état lié, agissent compulsivement, inaptes au processus secondaire. Le travail de liaison devient la tâche psychique prioritaire et préalable à l’activité de représentation, sous peine de laisser le terrain occupé par les forces de destructivité. Le maniement du transfert (Séchaud, 2009) et son interprétation s’en trouvent considérablement modifiés, et le contre-transfert d’autant plus et autrement sollicité. Évoquant les controverses qui animent la psychanalyse française contemporaine quant à la question du transfert pouvant être ou non objet d’interprétation, du fait de la difficulté à concilier le sens et la force, Évelyne Séchaud examine les différentes modalités d’interprétation, dans le transfert, du transfert et de transfert. Elle souligne les travaux récents qui situent l’interprétation dans l’entre-deux du couple analytique (Donnet) et qui donnent au contre-transfert une fonction importante quant à l’élaboration de la névrose de transfert (Michel de M’Uzan et la chimère) et quant au lieu dont naîtra l’interprétation (David Widlöcher et la co-pensée).

La scène contemporaine, Rome et Palmyre

16 La scène analytique contemporaine s’interprète à partir des dernières grandes avancées théoriques de la pensée freudienne, en reprenant les points laissés dans l’ombre, laissés en suspens ou abandonnés, en proposant des compléments ou de nouvelles théorisations. Ainsi pour continuer à penser l’approche de ces expériences très précoces de la vie psychique, celles vécues par l’infans dans le désaide du fait de son inaptitude moïque et langagière. Ainsi pour penser le caractère irrépressible des pulsions de destructivité et de mort, la compulsion de répétition « délétère », selon l’expression d’André Beetschen (Beetschen, 2015, p. 50), le masochisme et le sadisme du surmoi, la réaction thérapeutique négative. Si Freud nous propose une vision hallucinatoire du psychisme inconscient avec la métaphore de la Rome antique (Freud, 1930a, p. 249-333), la scène analytique contemporaine s’apparenterait métaphoriquement à celle de la vision de Palmyre, qui pose la question de la destruction à partir de l’expérience de la ruine. Et si toutes les sociétés humaines en ont fait l’expérience sous la forme d’un cycle infini de destructions et de reconstructions, pour Palmyre, écrit Philippe Dagen, « il s’agit, non pas de dégradations de monuments, mais des ruines de monuments » (Dagen, 2016). L’organisation EI « ruine des ruines ». Il est question là d’un désir de ruines sans limites. La métaphore archéologique utilisée par Freud pour penser le travail analytique se trouve dès lors mise en abîme. Il ne s’agit plus tant de reconstituer l’objet endommagé et de reconstruire le site en fonction de l’original que de se réserver le temps d’établir un état détaillé des lieux des dommages causés, de déterminer l’état des matériaux récupérables ou non, et ensuite de reconstruire là où c’est possible mais laisser aussi une partie détruite pour garder la trace des ravages. La technique choisie utilise les outils contemporains : les ruines étant minées ne peuvent être photographiées que par un drone, et chacun des blocs explosés est numérisé en 3D afin de reconstituer virtuellement l’explosion et la chute des blocs grâce à un programme mathématique permettant ensuite de comparer ces données numérisées à l’état des édifices ou des ruines avant leur destruction. Ces nouvelles donnes archéologiques me suggèrent plusieurs pistes de réflexion. Tout d’abord, le déplacement d’une métaphore à l’autre se double d’un déplacement de point de vue : nous savons en effet que pour Freud, seul un changement de direction du regard ou de place à partir de la scène atemporelle et atopique, dont la vision de Rome est la métaphore, permet de faire surgir l’un ou l’autre des différents sites, les localisant dans l’espace et le temps. Il s’agirait donc là pour l’analyste d’opérer un double déplacement pour interpréter, et en devenant étranger à soi-même pour avoir cette vision hallucinatoire, absurde, et en s’en dégageant pour lui conférer une organisation temporelle. Comme l’opération de la perspective dans le domaine de l’art se dégage d’une spécularité passive, iconique, pour constituer le registre symbolique de la représentation en soumettant les objets à un ordre et à un sens, et en y soumettant l’observateur lui-même. Ensuite, l’activité de reconstruction de ces zones détruites se présente comme second temps par rapport à un temps premier de relevé des données et d’identification de chaque élément ravagé, ce qui se présenterait ainsi comme le temps originaire de l’interprétation. Enfin, c’est une incitation à reprendre la question des traces à partir de la métapsychologie freudienne, selon laquelle la vie psychique s’organise par un système stratifié à partir duquel l’impression perçue se transporte et se remanie en traces mnésiques aptes à la symbolisation en se liant « par vivification hallucinatoire aux représentations de mot » (Freud, 1896, p. 263-273). Le travail analytique, supposé vaincre les forces de résistance et de refoulement repose donc sur cette représentation des traces, comme point de butée, permettant le retour du refoulé et sa saisie par l’expérience transférentielle. La métaphore de Palmyre pose ainsi la question de la destructivité de la manière où seul l’impact d’excitation révèle le tracé de l’impact destructeur. Comment penser la constitution d’une expérience lorsqu’il y a effacement des traces mémorielles ? Quelles en sont les modalités de symbolisation ?

Scène traumatique, scène de séduction ?

17 Le paradigme de la psychose, utilisé par Freud à la fin de son œuvre et mobilisé par les théorisations contemporaines, avec l’établissement des forces de clivage, et les mécanismes de désaveu et de déni, en propose une approche interprétative. Déjà Freud remanie le paradigme du rêve qui, écrit-il, est « une psychose », même si elle est fugitive, inoffensive (Freud, 1940a, p. 265). « Son souhait est halluciné et trouve comme hallucination la croyance à la réalité de son accomplissement » (Freud, 1915, p. 252). Dans la révision qu’il apporte à la doctrine du rêve, Freud est aussi contraint à postuler que « le rêve est la tentative d’un accomplissement de souhait » (Freud, 1933a, p. 110-111) du fait de la fixation inconsciente à un trauma. Il ajoute que les expériences sexuelles vécues de l’enfance détiennent ce caractère traumatique dans la mesure où la violente poussée vers le haut des souhaits pulsionnels inassouvis et impérissables ont entraîné à la surface leur lot d’impressions douloureuses, d’interdictions, de déceptions et d’angoisse. Le paradigme de la névrose s’estompe et se chevauche avec celui de la psychose, entraînant des remaniements techniques affectant la règle fondamentale, l’analysant devant « dire non seulement ce qu’il cache aux autres mais aussi raconter ce qu’il ne sait pas » (Freud, 1940a, p. 267). L’insensé, la mise hors circuit de l’auto critique, la perte de référence à la réalité et sa proximité avec le délire deviennent parties constituantes de la situation analysante. Si « l’absurde devient ainsi condition du pacte analytique » entre l’analysant et l’analyste, ainsi que le propose Dominique Clerc (Clerc, 2012, p. 105-112), celui-ci se trouve dès lors sollicité dans sa capacité hallucinatoire à devoir substituer l’entendre et le vu à l’écouter, la chose valant pour le mot. Ce n’est plus la censure qu’il faut combattre mais il faut aider le moi affaibli à reconquérir ses territoires perdus ou détruits en partie, ce qui nécessite une réflexion accrue sur la régression en particulier la régression topique. Pour Lacan, dans une optique structuraliste, les éléments non névrotiques sont des éléments forclos qui ne pourront faire l’objet d’une symbolisation et pourront reparaître sous forme hallucinatoire. « Ce qui est refusé dans l’ordre symbolique, au sens de la Verwerfung, reparaît dans le réel » (Lacan, 1981, p. 21-22). Pour Jean Laplanche, l’approche clinique de ces zones sinistrées non névrotiques l’amène à théoriser, dans une réflexion menée avec Christophe Dejours « un inconscient enclavé » (Laplanche, 2007, p. 194-214), fondé sur des processus comme le déni et qui, dans sa proximité processuelle avec l’inconscient refoulé, garde une potentialité de traduction du stock d’éléments intraduits. Ceci dans l’optique de son travail sur le réalisme de l’inconscient selon laquelle l’inconscient n’est pas un sens caché, mais au contraire il est constitué « de signifiants privés de leur contexte originel, donc largement privés de sens, et très peu coordonnés entre eux » (ibid.), appelés aussi signifiants désignifiés. Dans cette hypothèse, en tant que morceaux de messages mis de côté, non symbolisés, lors de la communication initiale adulte-enfant, ils peuvent faire l’objet d’un nouveau processus traductif dans la communication analytique. Le traumatisme est pensé en effet comme celui d’une séduction originaire, qui fonde l’expérience humaine, et se trouve potentiellement réinstaurée au cours de la cure analytique.

La régrédience, l’informe, l’action de la forme

18 On peut comprendre dès lors que face à ces remaniements considérables qui affectent la pensée théorique et clinique, les psychanalystes se soient penchés sur l’observation des processus que la méthode analytique permet d’étudier. Ainsi les travaux de René Roussillon (Roussillon, 2012) concernant le travail des processus de symbolisation primaire, ainsi ceux qui viennent complexifier et élargir l’approche du processus de régression découvert par Freud comme opérateur du travail de rêve dans la mesure où il permet un accès privilégié aux couches psychiques primitives. César et Sara Botella (C. et S. Botella, 2007) émettent l’hypothèse d’un travail de figurabilité chez l’analyste, issu de la régrédience de sa pensée, permettant l’ouverture psychique du patient à des affects jusque-là forclos, correspondant à un état de détresse infantile ou à des carences affectives précoces. Cela conduit l’analyste à une figurabilité hallucinatoire lui permettant de toucher les zones inertes de la vie psychique du patient, zones de mémoire sans souvenir, et de pouvoir les révéler et les désigner. Dans ce mouvement de pensée régrédient, partagé avec le patient dans un travail en double, dans un travail de pensée en identité de perception, l’analyste se trouve dans un état d’écoute particulier qui n’est pas celui de l’attention flottante ou de l’empathie. Sa perception est sollicitée par une acuité aiguë à « l’ultra clair », attestant le passage de la régression formelle à la régression matérielle, emportant sa conviction dans la réalité de la représentation devenue image « ultra claire », aboutissant au même résultat que la remémoration. Ils insistent sur le passage de ce double animique au double auto-érotique ou « double matériel narcissique », permettant un travail en identité de pensée garantissant le minimum d’altérité et permettant le recours à l’interprétation. Celle-ci ne pouvant revêtir qu’une forme intuitive permettant par voie régrédiente directe l’accès à l’irreprésentable. Ce fonctionnement régressif en double animique s’enracine à la fois dans l’inconscient du patient et dans la capacité de l’analyste à tolérer ce mouvement de sa pensée, et dans son attitude à un travail de figurabilité ouvrant accès à la représentation.

19 Cette conception de la régrédience est très différente de celle proposée par Fédida (Fédida, 2000, p. 11-27). Celui-ci, en effet, conçoit la régression de l’analyste comme une méthode de l’informe, soit comme une mise en mouvement des formes par le langage jusqu’à la pulvérisation du sens et jusqu’à la destitution d’une forme propre pour chaque chose. C’est une méthode selon laquelle le psychanalyste perçoit et construit les formes de la régression. S’inspirant du dictionnaire de Georges Bataille, il propose une méthode d’écrasement du mot savoir jusqu’au mot dans sa valeur de vocable, jusqu’à être son état de chose, « comme une araignée ou un crachat, faisant voir l’inconscient par le trou de la rétine », comme Freud, à travers le commentaire de Lacan, voit la chair au fond de la gorge d’Irma. L’action du langage est physique, par contact violent entre le signifiant et le signifié, et l’analyste doit écouter « la besogne des mots », leur mise en jeu corporelle et sexuelle. La régression suppose le désistement et l’éclatement du moi en mobilisant la capacité hallucinatoire de l’analyste, lui permettant d’avoir accès à une créativité de formes inédites de la psyché. Se référant aux travaux de Ferenczi, et pour éviter tout psychocentrisme, il propose d’écouter et d’interpréter avec des formes analogiques animales aussi éloignées que possible des représentations conscientes du psychisme humain, en référence aussi à l’animisme de l’enfant. Pour lui, en effet, en présence d’un patient en détresse, c’est un devoir pour l’analyste d’imaginer la scène traumatique, pour que la régression transférentielle du patient puisse être en relation avec les contenus régressifs de la vie psychique de l’analyste. Ce travail qui met au centre l’informe n’est pas sans évoquer celui de Winnicott sur « l’aire de l’informe » (Winnicott, 1971, p. 50-54), quand il souligne la nécessité psychique pour certains patients de pouvoir se permettre d’« être informes », leur environnement d’enfance ne le leur ayant pas permis. Cela peut s’exprimer comme « pouvoir se mettre en colère ou dormir » pendant la séance, sous le regard de l’analyste. Cette aptitude à l’informe est pour Winnicott la source de l’activité rêvante, par opposition au fait de rêver. Dans une approche théorique et pratique différente, cette attention aux formes constitue aussi l’objet des travaux de Laurence Kahn (Kahn, 2001, p. 983-1056 et p. 1057-1075 ; 2007, p. 27-48 ; 2012) en tant qu’elles sont l’expression du travail de déformation sous la pression des forces conflictuelles de la vie psychique. L’écoute de l’analyste est en effet dans une réceptivité à « l’action de la forme » qui se présente à sa surface psychique. C’est à partir des formations auditivement et visuellement perceptives, venant des rêves, symptômes, lapsus du patient, ou des effets de l’agir de transfert, déformées sous l’effet des forces antagonistes, que l’analyste entrera en contact avec les matériaux inconscients de son patient, et que son écoute et ses interprétations permettront une requalification des motions refoulées. La mémoire est dans la forme et c’est par l’action profuse de ses expressions que se présente le recel du refoulé. La parole, dans sa dimension langagière sensorielle, par son effectuation hallucinatoire et par son action performative, à travers ses effets de rythme, de souffle et de prosodie, participe de l’action de la forme qui « ouvre comme une échancrure dans la perception de l’action du transfert » (Kahn, 2016, p. 63-67).

Les refusements et la passibilité

20 De ce fait, la situation analytique, dont l’efficience et l’éthique reposent sur la rigueur de la méthode instituant une essentielle dissymétrie entre l’analyste et l’analysant par l’application de la règle fondamentale de libre association et de l’attention en égal suspens, s’est aussi trouvée remaniée et consolidée par ces différentes recherches issues de la clinique. Ainsi Laplanche (Laplanche, 1994, p. 153-155), pour qui l’inconscient sexuel est l’objet même de la psychanalyse, a-t-il mis en évidence l’importance des refusements de l’analyste, et comme refus à répondre aux sollicitations du patient sur le plan de l’adaptatif, à ses besoins de conseils ou d’explications, et comme refus de savoir pour le patient, et comme refus du savoir pour lui-même, dans une position fermement anti-herméneutique, pour rester le supposé savoir, provocateur de l’énigme de la séduction originaire, garant de ce lieu pulsionnel qu’est la cure analytique. Ce concept de refusement intervenant également dans une reprise de la règle d’abstinence. Ainsi Laurence Kahn et Dominique Scarfone ont-ils développé le concept de passibilité, initié par Jean-François Lyotard (Lyotard, 1988, p. 39) pour mettre l’accent sur cette disposition spécifique de l’analyste lors de son attention en égal suspens. Pour Kahn, la neutralité et l’indifférence de l’analyste sont à la mesure de la passibilité de son écoute, permettant « l’acheminement d’une présentation appréhendable vers la représentation des contenus refoulés », en limitant les effets du « quadrillage libidinal de l’analyste » (Kahn, 2012, p. 159) et permettant son absence de préjugés vis-à-vis de la valeur des investissements du patient. Ceci en écho aux métaphores freudiennes du récepteur téléphonique et du miroir opaque. Pour Scarfone, il s’agit d’une sorte de passivité voulue, fondamentale, lorsque l’analyste s’offre à la prise qu’est le transfert, proche de la passivité de l’infans, passivité requise par la règle fondamentale nécessitant « un décentrement radical par lequel analysant et analyste deviennent pour un temps a centrés », se proposant comme « refus de comprendre pour laisser le passage à de l’inouï » (Scarfone, 2014, p. 1421-1422). L’utilisation de ce concept de passibilité, interprétable différemment, est un éclairage nouveau et complémentaire pour appréhender le travail de l’analyste sous l’effet du transfert de l’analysant, lorsqu’il doit s’approcher des sources infantiles du transfert et que son propre infantile s’en trouve ranimé.

La scène de l’interprétation

1937

21 En 1937, Freud nous en donne cette représentation :

22

Le travail analytique consiste en deux parties entièrement distinctes, il s’effectue sur deux scènes séparées et concerne deux personnes dont chacune est chargée d’une tâche différente […] L’analysé doit être amené à se remémorer quelque chose qu’il a vécu et refoulé, et les conditions dynamiques de ce processus sont si intéressantes qu’en revanche l’autre partie du travail, ce que fait l’analyste, passe à l’arrière-plan. De tout ce dont il s’agit, l’analyste n’a rien vécu et n’a rien refoulé ; sa tâche ne peut pas être de se remémorer quelque chose. Quelle est donc sa tâche ? Il a à deviner l’oublié à partir des indices que celui-ci a laissés derrière lui ou, pour s’exprimer autrement, à le construire. Comment, quand, et assorties de quels commentaires, il communique ses constructions à l’analysé, c’est là ce qui constitue la liaison entre les deux parties du travail analytique, celle de l’analyste et celle de l’analysé (Freud, 1937d, p. 62-63).

23 Il ajoute :

24

L’analyste mène à bien un fragment de construction et le communique à l’analysé pour que cela agisse sur lui ; à l’aide du nouveau matériel qui afflue, il construit un autre fragment et ainsi de suite (idem).

25 Deux remarques s’imposent : la tâche de l’analyste est ici précisée comme construction ou plutôt reconstruction de fragments « perdus » de l’histoire du patient, liés à des expériences de vie infantile si précoces qu’il ne pourra jamais se les remémorer. Si Freud propose une analogie, c’est entre le construire et le deviner, comme le reprend Gribinski (Gribinski, 2004, p. 897-915), mais en se basant toutefois sur trois séries d’indices relevés à partir du matériel psychique produit par le patient : les fragments de souvenirs déformés présentés dans les rêves, les idées incidentes surgies de l’activité de libre association et les manifestations de répétition d’affects ou d’actions dans le transfert, à l’intérieur de la situation analytique mais aussi à l’extérieur. D’autre part, si Freud émet l’hypothèse que le plus souvent ce que nous appelons interprétations sont en fait des constructions, il énonce clairement leur différence : « Interprétation se rapporte à la façon dont on s’occupe d’un élément isolé du matériel, d’une idée incidente, d’une opération manquée, etc. […] Mais il y a construction quand on expose à l’analysé un fragment de sa préhistoire oubliée […] » (Freud, op. cit.).

« En détail et non en masse »

26 Cette définition de l’interprétation vaut comme méthode, déjà affirmée dès l’interprétation du rêve : si le récit du rêve en est la première interprétation par le rêveur, la deuxième se fera en sens inverse, par fragmentation du récit, « en détail et non en masse » (Freud, 1909a, p. 139), mais sans réversibilité, sans pouvoir retrouver l’original des pensées latentes du rêve. En effet, « les associations sur le rêve ne sont pas encore les pensées de rêve latentes, celles-ci sont contenues dans les associations comme dans une eau-mère, mais pas totalement contenues pourtant » (Freud, 1933a, p. 92). C’est la méthode associative d’interprétation du rêve établissant que seules les associations du rêveur valent interprétation de son rêve, suscitant un fourmillement, un foisonnement de pensées, jusqu’à atteindre un point d’ombilic, de « non connu ». Sinon, les risques de pensée herméneutique et symbolique sont encourus, soit que l’analyste se prenne pour l’interprète du rêve, soit qu’il ou le rêveur le traduisent directement en symboles. « C’est le symbolisme qui fait taire les associations », écrit Laplanche (Laplanche, 1999, p. 249-250), citant le rêve de l’homme à la hache en insistant sur le fait que Freud ne l’ait pas interprété comme rêve d’angoisse de castration, laissant au contraire défiler les associations du rêveur. Quelle est alors la tâche de l’analyste ? Laisser les associations du rêveur se déployer, aider à les relancer, désigner l’élément non perçu par le patient « en complétant les indices, tirant des conclusions impossibles à écarter, formulant ce que le patient n’a fait qu’effleurer dans ses associations ? » (Freud, op. cit., p. 93). Et lui faire retrouver « l’enfant de la nuit » (Freud, ibid., p. 98), la seule motion inconsciente déniée parmi toutes les autres pensées préconscientes en forçant la résistance pour « jeter un pont sur le gouffre » (ibid., p. 95) creusé par le conflit entre les forces pulsantes et les forces refoulantes qui l’a rendue méconnaissable ? Déjà nous percevons ce que peut avoir d’inquiétant l’interprétation dans ses effets de déliaison et de foisonnement par rapport à la construction qui donne sens, intelligibilité et cohérence. L’interprétation est mise en pièces détachées de l’ensemble. Détachées ou arrachées, selon le mot qui revient souvent dans le vocabulaire freudien, puisé dans ses sources infantiles comme dans le souvenir de la prairie aux fleurs jaunes. La méthode freudienne a intéressé d’autres disciplines et un exemple nous en est donné par le travail contemporain de la philosophie de l’esthétique. Il s’agit du portrait de Madame Moitessier peint par Ingres entre 1844 et 1856, dont le tableau est exposé à Londres. Ingres a soixante-seize ans, son modèle trente-cinq. Sur sa robe, dissimulée au milieu des bouquets de roses, on y voit une forme grisâtre qui ne peut être une ombre. C’est une tâche que le critique d’art Daniel Arasse interprète comme « la trace de l’éros du peintre présent au sein de la beauté junonesque de son modèle » (Arasse, 1992, p. 328). Dans le tableau, il mentionne en effet le reflet dans le miroir de son profil grec et indique combien le type physique de Madame Moitessier répondait au désir de beauté féminine du peintre. Baudelaire, nous dit-il, « attrapé » lui-même par ce portrait, le qualifiait de « robuste et nourrissant comme l’amour antique ». Ce commentaire, saisissant par l’énigme qui le convoque, nous montre bien comment le désir s’empare de la représentation, et combien la pulsion sexuelle travaille la peinture, de la rencontre érotique du peintre à son modèle jusqu’à ses sources infantiles, en la défigurant ainsi par la « souillure » de la beauté. Le détail, sous son masque d’indifférent et d’anodin, nous amène au plus près de la chose, il en recèle le sexuel refoulé. Comme on le dit, le diable est dans les détails ! Il choque, il disloque, mais il questionne, il ouvre à l’inconnu, il est aussi à la source de la pulsion de représentation et de sublimation. Attirant notre attention sur ce reste inassimilable de la communication, il nous incite à nous pencher sur la complexité de l’expérience analytique, et nous permet alors de comprendre que l’interprétation, opérant élément par élément, détail par détail, relève d’une méthode et d’une attention spécifique !

Palpation et langage

27 Dans de nombreux textes, Freud accorde une grande importance à cette qualité spécifique de la conscience et du moi, l’attention, dans le souci d’assurer la prévalence du principe de réalité sur celui du plaisir, règne du moi-plaisir et de l’halluciné. « Une fonction particulière fut instaurée, qui avait à explorer périodiquement le monde extérieur pour que les données de celui-ci soient connues d’avance au cas où s’installerait un besoin interne impossible à ajourner : l’attention » (Freud, 1911b, p. 15). Il dote le moi d’une fonction perceptive active, fonction de palpation s’exerçant de façon périodique, rythmique et dégustative, à petites doses, selon le principe de l’économie de dépense, en ouverture sur le monde environnant. Dans cette fonction, le moi est comme les organes des sens : « Ils ne procèdent qu’à des échantillonnages du monde extérieur, on peut peut-être les comparer à des palpeurs qui s’approchent du monde extérieur en tâtonnant et ensuite s’en retirent à chaque fois » (Freud, 1920g, p. 299). Il lui attribue plus tard une fonction de jugement lui permettant de distinguer le subjectif ou l’intérieur, de l’autre ou l’objectif, l’extérieur, qui sera suivie de l’apparition d’une fonction intellectuelle, la négation, s’établissant ainsi à partir du jeu des motions pulsionnelles primaires (Freud, 1925h, p. 170). Il est donc possible de penser que cette activité psychique discriminative s’établit d’emblée dans le processus transférentiel, dans une mobilité créatrice d’écarts et rapprochements, de comparaison entre identique et différent, entre pensée de l’un et pensée de l’autre, en tant que support d’une altérité minimum entre les deux psychismes analyste-analysant. Elle constituerait en quelque sorte le régime de base, l’onde porteuse du processus interprétatif, quand il se constitue sur le mode associatif, à partir de la sensorialité des mots, onde porteuse qui permet d’entendre les signaux de détresse. Nous pourrions la penser comme mise en œuvre transférentielle du Nebenmensch dans une fonction primordiale de première liaison en tant qu’objet de satisfaction et aussi d’identification primaire, tout en détenant son potentiel inverse en tant que premier objet hostile. Par sa rythmicité et sa pulsatilité, ce serait l’organisation d’une première temporalité. « Ce mode de travail discontinu du système Pc-Cs est à la base de l’apparition du temps » écrit Freud (Freud, 1925a, p. 143). Et ne conseille-t-il pas à l’analyste de suivre à la trace ce qui se passe à la surface psychique du patient ? Régime de base, donc, relevant de la dynamique du principe de plaisir et déclenché sous l’effet du langage. Mais au plus fort du mouvement régrédient de la cure, lorsque le moi se décompose pour fonctionner sur un mode primaire, il se « désinhibe » et perd sa fonction de liaison, de plus en plus soumis aux revendications du ça. Il perd sa fonction discriminative pour fonctionner en identité de perception, de plus en s’exposant aux risques de la mélancolie. Ce n’est que par la fonction langagière alors, dans sa double fonction perceptive et linguistique, que les formations inconscientes pourront s’acheminer vers la conscience, les représentations-choses se liant aux représentations de mot par leur sensorialité. Jean-Claude Rolland (Rolland, 2006, p. 33-34 ; 1998, p. 275-280) soutient l’hypothèse de la langue fonctionnant alors comme organe sensoriel, en se dédoublant de sa fonction linguistique. Il reprend et remanie l’hypothèse freudienne en la concevant comme une « écorce » et lui attribue une fonction de pare-excitation, participant et aux refoulements des excitations traumatiques, et à leurs retours, en tant qu’instance non réductible à celle du moi, et venant à l’aide de celui-ci, assailli d’excitations. Nous proposerions de penser tout ce déroulement comme une figure métaphorique nous rappelant que le flux des sensations est discontinu et la vie psychique soumise à des rythmicités qui en assurent la temporalité primaire. Et de penser aussi qu’elle souligne l’activité permanente et discrète de l’écoute analytique qui agit par petites touches et maintient la communication. Mais l’altérité intervient radicalement avec la mise en jeu du langage en tant qu’il est porteur de sens et de messages énigmatiques selon les hypothèses de Laplanche. La cure analytique n’est-elle pas fondamentalement écoute de la parole (Clerc, 2007, p. 1285-1340) ? Ne nous met-elle pas en présence de l’altérité de l’autre, de l’autre en tant qu’être-parlant, nous décentrant à chaque fois de notre monde interne, renouvelant nos capacités de réflexivité ?

Interprétation et détraduction

28 La parole en analyse est action de Lösung, de dénouage, et d’Entbindung, de déliaison. Qu’elle soit parole associative, opérant par fragmentation du narratif, et dislocation de la cohésion logique apportée par le sens, ou qu’elle soit écoute ou relance de cette parole associative par l’attention au moindre détail. C’est tout l’édifice langagier qui se trouve ébranlé par l’action des forces pulsionnelles antagonistes agies dans le transfert. Dans le conflit intrapsychique qui oppose l’adulte à l’infans, détenteur de ces territoires étrangers inconnus de lui dont les fueros[2] le laissent dans la détresse et dans la rébellion à les conserver, tant il y va de sa survie, la parole elle-même se déstructure, devient acte manqué, lapsus, mot d’esprit au mieux. L’analysant, en effet, lorsqu’il nous rencontre, est un adulte qui a déjà construit ses propres représentations de son monde interne, à partir de ses propres interprétations et à partir des interprétations qui lui ont été données par les adultes et parents de son enfance. Et il en souffre, n’ayant pu suffisamment interpréter lui-même certains moments de sa vie infantile qui l’aliènent comme autant de points de fixation l’immobilisant dans sa vie sociale, érotique, affective, n’ayant pu se dégager d’interprétations qui l’ont laissé étranger à lui-même et dans le désaide (ou en désirance ?), qu’elles aient été trop sexualisées, trop paradoxales, trop vides de sens ou désaffectées. Face à ce trop d’excitations subies par l’infans en lui, la capacité herméneutique de l’adulte se trouvera en défaut, n’ayant pu établir que de fausses traductions, minées par ses défenses de refoulement ou de clivage. Selon les hypothèses de Laplanche (Laplanche, 1999, p. 219-242), il est alors possible de comprendre comment la situation d’analyse se réinstaure comme situation analogue à la situation originaire, où un infans passif se trouve en présence d’un adulte actif face à la multitude d’énigmes que celui-ci lui impose, par la prégnance d’un sexuel (infantile refoulé/clivé) dans toutes ses interventions à son égard, corporelles et langagières. Sauf que, dans ce mouvement de déliaison et de régression impulsé par la parole transférentielle, cet infans dans l’adulte analysant se trouve confronté à un adulte analyste certes resollicité dans ses propres positions infantiles, un peu comme tout adulte qui vient d’avoir un enfant, mais occupant une fonction de refusement et de passibilité à son égard, sans lui imposer ses propres traductions. Si bien qu’un processus de détraduction va opérer, sans être l’envers d’une traduction, par la réouverture des énigmes face aux scènes originaires et par remaniements de leur traduction, en vue de meilleurs refoulements. Pour Laplanche, l’opération de traduction qui concerne la part compromise du message de l’autre adulte, quand elle échoue, équivaut à celle du refoulement, dans l’inspiration freudienne de la Lettre 112 où Freud écrit : « Le refusement de la traduction, voilà ce qui dans la clinique s’appelle refoulement » (Freud, 1896, p. 263-273). Dans un dialogue avec Walter Benjamin (Laplanche, 1997, p. 287-306), il insiste sur la méthode freudienne du déchiffrage/chiffrage, du mot à mot, morceau par morceau, en rupture de toute tradition herméneutique. Il souligne que « la pulsion à traduire », à entendre sous son aspect d’impératif, ne vient pas du traducteur, mais de l’œuvre elle-même, non du sens mais du plus intraduisible, soit de l’énigme sexuelle ajoutons-nous en prenant part au dialogue. Pour Benjamin en effet, « la traduction est une forme », c’est renoncer à communiquer, se libérer du sens, « c’est une mutation, un renouveau du vivant », c’est faire résonner l’original (Benjamin, 2000, p. 244-262). La traduction d’une œuvre ne porte pas tant sur le visé, qui est traduisible, que sur la visée, le non-sens, la teneur poïétique de la langue, ce reste intouchable. Il est impressionnant d’écouter la tragédie d’« Œdipe le Tyran » dans la traduction d’Hölderlin et dans la mise en scène récente de Romeo Castellucci [3] : le sens du texte explose petit à petit jusqu’à une perte du langage où des formes informes qui n’ont plus rien d’humain disent des mots inintelligibles. Pour Laplanche, s’il n’y a pas de traduction de traduction, si le processus de détraduction vise à « réinjecter du non traduit », soit du refoulé, c’est pour se livrer à un nouveau mouvement par rapport à l’énigme, à une nouvelle traduction, dans un mouvement progrédient/régrédient. Ceci relève de la tâche de l’analysant dans cette aptitude humaine à être son propre herméneute. Ainsi, cette reconquête serait un des buts du processus analytique selon la formulation freudienne Wo Es war soll Ich werden, comparable à l’assèchement du Zuyderzee, tâche culturelle infinie, se constituant sans cesse « à l’épreuve de l’étranger » selon les propos cités d’Antoine Berman, pour laquelle la traduction est mouvement d’aller vers l’autre et non rapprocher l’autre de soi. Quel est alors vraiment l’acte d’interprétation de l’analyste ? Dans cette théorisation, nous comprenons bien son rôle d’aide au processus de détraduction/retraduction soutenu par la fonction de refusement de l’analyste. N’y a-t-il pas aussi un effet de relance des éléments infantiles de l’analysant dans une proximité avec ceux de l’analyste ? Comment concevoir sa prise dans l’effectuation hallucinatoire de la parole transférentielle ?

La scène clinique

29 Je crois entendre Georges me dire au cours d’une séance qu’il est chien. J’interviens alors avec cette question, indiquant ma surprise : « Vous êtes chien ? » S’ensuit un silence, assez long. Je me sens très gênée par cette intervention, troublée par sa résonance dont l’incongruité s’impose alors à moi, avec le sentiment d’un inattendu ayant fait irruption dans ma parole. Puis, Georges interrompt ce silence, et avec un ton de voix que je perçois assez mécontent me dit : « Mais non, je vous ai dit que j’étais “chiant” » ! Effectivement, il le devint et le manifesta par de nombreux actes manqués portant atteinte au cadre et pouvant rendre la situation d’analyse improbable, ceci dans des effets d’après-coup successifs et échelonnés sur un certain temps. Mais aussi, se déployèrent de nouveaux réseaux associatifs relevant d’une forte pulsionnalité anale, où le complexe paternel se présentait dans un rapport d’opposition violente avec le souhait infantile grandiose de posséder toutes les femmes, quels que soient leur âge et lien de parenté. Des rêves sexuels de pénétration anale concernant la figure paternelle furent apportés, associés à des récits de séduction par de multiples femmes qui lui faisaient des avances auxquelles il lui était bien difficile de dire non. Cette activité de fantasmes s’adressait à la figure paternelle, métaphoriquement « pour le faire chier », en s’actualisant puissamment dans le transfert.

30 Que s’était-il passé pour qu’un tel malentendu submerge la scène transférentielle, que mon patient ait dit « chiant » et que j’ai entendu « chien » au point d’intervenir en rupture de son discours associatif et de continuer à penser l’avoir bien entendu ? Quels étaient les enjeux transférentiels et contre-transférentiels ? S’il est possible de penser que cette intervention eut des effets de transformation psychique pour lui, se manifestant dans un redéploiement de son discours associatif, comment penser qu’elle ait valeur interprétative ? Car, effectivement, de chien, il ne fut plus question.

31 Mais revenons au début de cette séquence. Le mot chien serait un mot mal entendu, un lapsus auditif qui met en jeu le langage, à un détail près, une voyelle. Nous ne sommes pas loin du langage poétique avec Jacques Prévert, mais surtout nous pensons au travail de Freud, en appui sur les hypothèses de karl Abel, considérant que dans les langues primitives, les premières différenciations de mots pouvaient s’effectuer dans la matière même du mot, à partir de la phonie des voyelles.

32 Plusieurs séquences précédentes me reviennent en mémoire :

33 Georges est enfant, il voit son père à la maison dresser un chien, qui est terrorisé et tente de se cacher sans y parvenir. La scène se répète, Georges y assiste en riant avec ses cousines.

34 Mais, dans l’après-coup, Georges se souvient avoir eu très peur, peur des colères de son père, aussi imprévisibles que violentes, il en était même terrorisé. Il se souvient aussi de son comportement étrange : pour s’endormir le soir, il se mettait « en chien de fusil » et s’imaginait se cacher dans une cabane du jardin, bien à l’abri, qui, il ne le sut que plus tard, contenait des produits dangereux.

35 Cette première série de souvenirs écrans nous évoque une forte activité de fantasmes sexuels masochistes sur le modèle freudien « on bat un enfant », certainement très agissante dans le transfert, et sur mon écoute. Sur un mode plus secondarisé, Georges associera sur la relation privilégiée de son père avec sa cousine, et de son envie d’être à la place de celle-ci. Bien qu’un souvenir lui soit revenu où celle-ci est maltraitée par cet adulte, comme un animal. Sa demande régressive et inassouvie d’être l’aimé du père prendra la forme manifeste de la plainte et de la détresse d’abandon, exacerbée par les longs déplacements professionnels de ce dernier à l’étranger.

36 Si cette série-là concerne le complexe paternel, une autre, de force pulsionnelle tout aussi puissante s’adresse à la figure maternelle. Georges se souvient qu’on racontait qu’enfant, tout petit, il ne quittait pas les genoux maternels, dans une avidité de câlins insatiable, alors que celle-ci restait dans une forme d’insensibilité, préoccupée par des émois mélancoliques. Il cherchait en vain à la réparer et la rendre joyeuse. Il se souvient aussi qu’on racontait qu’il courait derrière sa voiture quand elle partait, comme un petit chien.

37 Il est possible alors de penser comment, dans cette double série de réseaux associatifs, le mot chien put prendre valeur de signifiant. Néanmoins, comment comprendre qu’il se substitua à un autre signifiant dans mon écoute, si ce n’est qu’il agissait hallucinatoirement entre nous par le transfert ? Et par des actes en séance, où Georges étalait ses objets sur ceux de mon bureau, les répandait par terre, se plaquait collé à la porte quand je l’ouvrais après qu’il eut sonné. Et que c’est au moment même où il fut énoncé comme le désignant dans l’Agieren transférentiel de ses souhaits infantiles faisant écho à mes propres fantaisies inconscientes que de façon fulgurante sa charge pulsionnelle et représentative vola en éclats ? Et que nos deux scènes se re-séparèrent retrouvant leur dissymétrie ? L’inconscient de l’analyste, rappelle Freud, se trouve sous l’influence des fantasmes inconscients du patient. Ce serait un manque à la réserve nécessaire au psychanalyste de dire la richesse des souvenirs d’enfance qui me revinrent à la mémoire, et plus inconsciemment leur lot de fantasmes, de souhaits infantiles, de reviviscence d’émotions et sensations, certes différents de ceux de mon patient mais liés à ce signifiant « chien ». Une liaison par trop d’Éros ?

Décomposition des scènes

La réserve interprétative

38 Il a été beaucoup dit et écrit par les psychanalystes sur le moment de l’interprétation, mais surtout ce fut l’objet de nombreux remaniements chez ces mêmes psychanalystes, Freud en premier. Dans les débuts de sa pratique, pris dans ses propres mouvements pulsionnels dans l’écoute de ses patients et par l’excitation de sa recherche, il prend la figure du voleur violeur de secrets, cherchant à leur « arracher » ce qu’ils n’avaient pas eu le temps de découvrir par eux-mêmes, ou ce qu’ils résistaient à lui dire. Technique plutôt active mue par une compulsion à interpréter sans laisser le temps et l’espace aux jeux du transfert et du contre-transfert. Ses conseils techniques qui font grand usage de la formulation négative : ne pas jeter à la figure du patient, ne pas intervenir tant que le transfert est positif, n’intervenir que lorsqu’il est résistance… disent le chemin parcouru quant au travail de sa pensée et son effet de réflexion et d’inhibition pulsionnelle. « Ripeness is all » ? Espoir donné par Shakespeare à la fin du Roi Lear, lorsque prend fin l’aveuglement passionnel pour faire place « au progrès spirituel après s’être délivré des illusions et des poursuites vaines […] et avoir retrouvé le chemin d’autrui et s’oublier désormais dans la plénitude de cet échange » (Bonnefoy, 1978). N’est-ce pas aussi ce travail de réserve interprétante effectué par Winnicott lorsqu’il réalise que son besoin d’interpréter empêche des changements profonds chez certains patients, ne leur permettant pas cette « régression à la dépendance » et l’accès à leur destructivité, peut-être par crainte de ne pouvoir y survivre, en n’exerçant ni représailles ni retrait ? N’est-ce pas aussi à une disposition de réceptivité à ne pas comprendre tout de suite que Bion s’assigne afin de laisser l’interprétation se former sous la forme d’une rêverie diurne et à en accepter l’intranquillité (De Urtubey et coll., 1999) ? Ou encore Strachey lorsqu’il développe sa conception de l’interprétation mutative, en nous rappelant à la suite de Reich de ne « pas modifier plus qu’il n’est inévitable la disposition en strates » de l’appareil psychique du patient (Strachey, 1934). Tout en temporisant l’éventuelle maladresse de l’analyste comparable à celle d’un archéologue incompétent qui compromettrait la reconstruction historique du site car « le matériel psychique est vivant et se stratifie de nouveau, tel qu’il était, de son propre mouvement, si l’occasion lui en est fournie dans la situation analytique ». Toutefois, si pour lui l’interprétation mutative ne peut être que de transfert, il faut aussi qu’elle puisse avoir lieu « au point d’urgence », dans une exigence d’immédiateté, au moment précis où une représentation pulsionnelle se trouve activement investie. Cette aptitude de l’analyste à « détecter le point d’urgence à tout moment » est très précieuse nous dit Strachey, mais le plus souvent ce moment n’arrive qu’à un stade assez avancé de l’analyse, donc prudence à interpréter trop hâtivement. Il est nécessaire de respecter dans un premier temps que « le patient prenne conscience de petites quantités d’énergie pulsionnelle », le rôle de l’analyste se bornant « à assurer l’écoulement de l’énergie selon telle voie plutôt que telle autre », « le principe des doses minimales » régissant ainsi l’interprétation mutative. Cette conception économique de la réserve interprétative me semble tout à fait essentielle, en écho aux propositions freudiennes fondant l’aptitude contre-transférentielle sur le principe de la moindre dépense. Éloignée de tout psychologisme, elle est proche de celle que je tente de maintenir, en tant que réserve libidinale, pulsionnelle venant en quelque sorte lester l’écoute en lui permettant de recevoir l’afflux des excitations venant du patient et de l’utiliser comme ressource interprétative. Là aussi, non sans un travail de retenue face à l’excitation suscitée par les associations des patients pouvant provoquer en retour celles de l’analyste, dans un registre de co-associativité ludique. Cette réserve interprétative pourrait donc se penser aussi comme une réserve d’associativité, venant inscrire dans le registre économique les refusements auxquels est tenu l’analyste dès l’instauration de « la situation analysante », ainsi nommée par Jean-Luc Donnet (Donnet, 2005). Elle ne se présente donc pas seulement comme aptitude au silence, mais comme activité de constructions silencieuses, nous évoquant le discours intérieur conceptualisé par Jean-Claude Rolland, et comme une réserve d’attente qu’une forme se forme, par réceptivité aux formes profuses engendrées par le processus transférentiel, et comme mémoire transférentielle temporaire. Si une métaphore me venait pour figurer cet emmêlement nutritif de deux psychismes au travail, ce serait celle de transfert placentaire, d’où adviendra forcément une perte, une déperdition.

39 D’une certaine façon, je pourrais dire que Georges m’avait fait sentir la nécessité d’une telle réserve. Ayant tenté à plusieurs reprises d’intervenir en prélevant certains traits relationnels transférentiels qui me semblaient réactualiser ceux vécus avec les figures parentales du passé, ne m’avait-il pas dit sèchement : j’en ai assez que vous me parliez de ma mère ! Alors que je pensais au contraire que celle-ci justement restait si bien à l’abri dans ses associations, hors d’atteinte de mes interventions… Ce n’est qu’après coup, après qu’il eut pu accepter et élaborer cette identification primitive et que sa charge transférentielle s’en soit résorbée, que je pus saisir et me représenter l’effroi ressenti par lui en présence d’une figure maternelle vécue comme une mère sexuelle le rendant fou d’excitations et de désir, et d’impuissance.

Une forme commune

40 Il arrive qu’une forme apparaisse dans le discours associatif du patient et qu’elle agisse sur la sensibilité inconsciente de l’analyste. Dans cette mise en mouvement de formes impulsée par l’action transférentielle sous l’effet du dire et de l’écoute, à travers la variété des expressions verbales, gestuelles et motrices, corporelles et sensorielles, l’une d’elles agit plus que les autres, à l’insu des deux protagonistes. Jusqu’à ce qu’elle puisse être identifiée et saisie dans l’écoute, pour pouvoir se dire, se mettre en mots. Pour cela, il est nécessaire que cette forme soit fortement investie par le patient mais aussi par l’analyste, qu’elle ait sa source dans des motions infantiles refoulées qui cherchent à s’actualiser dans le transfert, en étant coupée de ses contenus représentatifs. Et cela prend du temps tant le conflit fait rage, entre les forces présentantes et les forces refoulantes ! Qu’est-ce qui m’avait fait entendre « chien », l’entendre comme une forme, une forme sans contenus communs, puisque les fantasmes inconscients de mon patient s’exprimaient déformés, avec toute leur singularité ? Cette forme-là, pré-langagière, nous agissait tous deux transférentiellement, une forme commune entre deux psychismes différents, qui ne pouvait apparaître que dans cet entre-deux. Tous deux réunis pour un travail en commun, disait Freud, avec le surplomb métapsychologique nécessaire de l’analyste au travail ; un même morceau musical était présenté par Anri Sala pour deux interprétations qui ne se rapprochaient que pour se disjoindre. De ce lieu-là, où le langage est mu par sa force d’action pulsionnelle, surgit l’énonciation de l’interprétation, à partir de cette prise contre-transférentielle de l’analyste dans l’Agieren transférentiel de son patient pour qu’une déprise interprétative puisse advenir. Ce lieu, je le proposerais comme le lieu d’où jaillit l’interprétation, le moment d’où elle s’énonce, le foyer incandescent pulsionnel dont elle s’extirpe. Lieu atopique, originaire, où de la rencontre de deux psychismes à la fois proches et étrangers l’un à l’autre pourra s’engendrer et se renouveler la fécondité et la mobilité du processus analytique. Moment originaire, évènement transférentiel d’une expérience hallucinatoire partiellement et passagèrement partagée que nous pensons constituante du processus analytique.

41 À condition toutefois que l’analyste ne reste pas sous « emprise contre-transférentielle », « touché au mort et au vif entrelacés » (Pontalis, 1977, p. 223-240) par la violence destructrice des motions pulsionnelles en jeu dans le transfert ou par résistance à admettre les effets produits en lui par son patient. « Pas d’analyse qui “marche”, – à savoir qui opère dans le vif du sujet – sans que ces blessures qui ravivent nos plaies, ces infiltrations imprévues qui traversent et animent notre psyché, ne soient vécues par l’analyste. Mais c’est de bon augure : preuve sensible que tel patient est devenu mon patient (il faut parfois du temps) et, symétriquement, que son analyste a pris, pour lui, corps. » Et J.-B. Pontalis parle des mouvements déclenchés chez l’analyste, corporels et psychiques qui le font associer à partir de ce que tel élément du discours du patient a touché en lui, agissant sur lui comme un reste diurne. Cette référence au paradigme du rêve me semble différente de l’hypothèse formulée par François Gantheret : « L’analyste et le patient sont mus par le fantasme inconscient organisateur du transfert, étranger commun à l’un et à l’autre, même si chacun l’habite et le nourrit de sa singularité », écrit-il, ajoutant qu’il s’agit de « l’impensable d’une forme sans contenu et d’un contenu sans forme à la fois » (Gantheret, 1996, p. 160, 164) qu’il nomme aussi « morphème » (Gantheret, 1989, p. 29-48), en tant que forme élémentaire de la représentation. Cette forme proche d’une conception du figural (Lyotard, 1971, p. 271-279) [4] se réalise sans cesse, nous dit-il, dans l’échange transférentiel, à partir d’« un rythme ternaire : deux pensées hétérogènes, une configuration de pensées identiques, et un dégagement par rapport à l’identité illusoire de contenus » renvoyant au dessin de cette forme commune. Elle est productrice d’une énergie d’excitation qui peut immobiliser l’analyste et son patient aux prises avec le même mode autoérotique de satisfaction. Elle est le « dessin négatif de l’énigme sexuelle », elle porte en son creux, ajouterai-je, cette énigme de la séduction originaire, celle issue de notre première rencontre avec l’autre sexuel nourricier, et qui reste en chacun de nous comme ouverture et désirance à vie. Cette configuration inconsciente commune se présente alors comme forme de réincarnation transférentielle, s’actualisant de façon la plus sensible et pulsionnelle, au présent et en présence.

42 Me revient ainsi le souvenir de la cure d’un jeune enfant que je suivais en institution. C’était un garçon très inhibé, qui parlait peu, jouait peu, et j’étais assez désespérée. J’avais peu d’éléments sur son histoire, si bien que je devais vraiment deviner ou tenter d’imaginer ce qui se passait transférentiellement dans la séance et j’avais le sentiment qu’il se passait peu de chose. Il dessinait cependant, mais rarement et mes tentatives de le faire associer échouaient tristement. Je fus cependant surprise par un motif insolite qui se répétait malgré l’intervalle entre chacun des dessins qu’il réalisait : un vélo qui passait comme sur un fil entre deux montagnes, motif sur lequel aucune association verbale, graphique ou ludique ne lui venait. Jusqu’au moment où je finis par penser et me représenter, après quelques autres constructions, que vélo pouvait aussi s’écrire love. Ainsi me présentait-il sous forme de rébus l’expression de ses souhaits infantiles refoulés et déformés envers l’objet maternel primaire réactualisés par le transfert, et dont son symptôme recelait la part de jouissance. Je ne lui communiquais pas mon interprétation, mais un mouvement nouveau remobilisa la cure.

L’action interprétative

43 C’est donc au plus fort de la prise transférentielle que je dis à Georges : « Vous êtes chien ? » Que je mis en mots ce qui continuait d’agir hallucinatoirement, entre nous, que je le dis en me surprenant moi-même, ce que révélait mon ton interrogatif et incertain. Mais je le lui dis avec le sentiment d’insensé de cet acte de parole, mais aussi un sentiment de libération me faisant éprouver ce mouvement de déprise transférentielle et contre-transférentielle. Certes, sous l’effet régrédient qui anime la parole et fait se réincarner dans le transfert des figures du passé qui prennent place dans les scénarios infantiles, les fantasmes inconscients affleurant sous les souvenirs que Georges retrouvait avaient commencé à se frayer un chemin vers la conscience. Ou tout au moins avaient-ils commencé à l’éveiller par leur clarté, cette qualité particulière (Überdeutlich) donnant aux souvenirs leur caractère de couverture, par la surdétermination du même signifiant, mais surtout par leur action corporelle sensorielle et motrice, contribuant ainsi au processus interprétatif. À travers des séquences aux temporalités anachroniques et dans des lieux décalés, il était question d’un enfant courant comme un petit chien derrière la voiture qui allait faire disparaître sa mère, d’un enfant à la fois terrorisé et en grande excitation alors que son père bat un chien, d’un enfant insécurisé qui n’arrive pas à s’endormir autrement qu’en « chien de fusil » en dehors de sa chambre, d’un enfant encore excité, sidéré, ayant à l’esprit des souvenirs de scènes de maltraitance infligée à une cousine, d’un enfant encore venant se blottir sur les genoux maternels. Courir, replier les jambes, se blottir, ne pas bouger, s’immobiliser, comme autant d’actions motrices, restes mnésiques d’expériences infantiles oubliées se ranimant dans une mise en tension transférentielle. De plus, ces actions motrices verbales se redoublaient d’actions motrices gestuelles agies dans l’espace de la séance, dans mon lieu de travail devenant ainsi un lieu indivis transférentiel, jusqu’à ce que la séance se termine. Georges en arrivant étalait ainsi ses affaires personnelles sur mon bureau en les sortant de ses poches, les faisait tomber parfois sur le tapis, pensant à plusieurs reprises avoir oublié ses clefs qu’il ne retrouvait pas sur le divan. Était-ce d’ailleurs un divan pour lui ? Il lui arrivait en effet de s’y endormir bruyamment sans s’en rendre compte et sans en être gêné, ce que j’illustrais dans ma pensée comme l’accomplissement d’un souhait matriciel.

44 Je pensais que ces actions gestuelles en séances, verbales ou non verbales, actualisaient des traces d’expériences infantiles très précoces, à peine vécues par l’enfant dans la mesure où elles dépassaient ses capacités d’entendement par l’excès d’excitations qu’elles avaient suscité et suscitaient encore. Elles œuvraient dans leur effet de rassemblement par le discours associatif, au processus de dramatisation, ce processus nécessaire à la présentabilité du rêve conceptualisé par Freud juste un an après la Traumdeutung, en tant que processus primaire mettant en tension les forces psychiques antagonistes et l’hétérogénéité de leurs expressions, Ce point de vue a été précisément développé par Laurence Kahn (Khan, 2012, p. 63-83) ainsi que par Dominique Suchet (Suchet, 2015, p. 1434-1502). C’est cette force de mise en tension et de dramatisation de tous ces éléments hétéroclites, et leur effet de co-excitation, qui permet l’action transformatrice interprétative, en opérant une mise en situation par substitution. Par un procédé de dramatisation analogue au travail du rêve, où un élément commun, dénommé « X » par Freud (Freud, 1900a, p. 36-38), agit en représentance de tout le matériel disparate et éparpillé qui s’est entretissé tant de fois entre le contenu du rêve et ses pensées latentes, et vient figurer l’accomplissement infantile refoulé comme « réel et actuel » dans une « vision au présent ».

Forme ou signifiant ?

45 Deux grands courants de pensée irréductibles me permettaient d’appréhender l’action interprétative. Celui qui se développe sur la ligne du primat du sens et du champ langagier où d’emblée le signifiant se présente comme première inscription psychique, désignifié par le refoulement. Et celui qui, posant au tout début de l’expérience psychique le signe de perception, avec l’expérience vécue de satisfaction, conduit à appréhender l’acte psychique et sa potentialité hallucinatoire à travers la requalification transférentielle (Kahn, op. cit., p. 170-175). La névrose de transfert étant en effet une névrose recréée par la requalification des motions refoulées par transfert sur l’objet analyste et sur la parole. Ce double aspect du transfert, intrapsychique et interpsychique, dans la mesure où il est adressé à quelqu’un qui parle et à qui l’on parle, mais dont on méconnaît l’identité, concerne ainsi toujours « l’autre de l’objet », souligne André Green (Green, 2011, p. 129-134). Cette présentation concise me semble nécessaire pour tenter d’approcher ce qui continuait d’agir dans l’entre-deux transférentiel de l’analyse avec Georges, et que ne résorbait pas le discours associatif et son écoute. En effet, quelque chose d’une grande efficience hallucinatoire me laissait prise transférentiellement, qui finit par se frayer un chemin jusqu’à la conscience lorsque je pus penser, non sans un certain effroi : « Bas les pattes » ! Cette représentation de l’expérience hallucinatoire partiellement et momentanément partagée venait témoigner du fantasme inconscient qui agissait et qui s’était construit comme fantasme transférentiel masochique, tout en venant signifier la menace de castration, l’interdit de l’inceste et la différence entre l’homme et l’animal.

46 Le premier courant de pensée ne me permettait pas d’identifier cette forme hallucinatoire, même s’il m’était fort précieux pour m’en approcher. Le courant de pensée lacanien en particulier m’aidait à jalonner les méandres du discours associatif et à y repérer le processus de subjectivation qui y opérait, à travers la lignée signifiante : sein-chien-chiant. Nous savons en effet que dans cette théorisation, le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant. « L’interprétation doit essentiellement porter sur le maniement du signifiant, que cela nécessite qu’elle soit brève, que j’insisterai par la suite sur la marque que doit lui donner l’introduction d’un signifiant », conseillait Lacan face au risque d’une intervention « dont le caractère significatif, compréhensionnel, persuasif, consisterait à induire le sujet à vivre précisément la situation analytique comme une simple relation à deux » (Lacan, 1998, p. 445).

47 Georges, en effet, avait retrouvé avec émotion des souvenirs de la sœur de sa mère qui s’était occupée de lui dès son plus jeune âge, et qu’il retournait voir souvent. Il retrouvait le souvenir de son visage exprimant l’amour, de ses yeux rieurs, de ses seins accueillants. Alors qu’il gardait le souvenir d’une mère absente et insensible face à ses demandes d’affection, absorbée par des émois qu’il présentait comme mélancoliques et dont il cherchait continûment le contact en étant tout le temps sur ses genoux. Toutefois, c’était aussi une mère désirante d’un autre enfant que lui, et une femme désirante de l’homme qu’était son père, ce qu’il ne put reconnaître et accepter que longtemps plus tard lorsqu’il mit en relation l’abandon qu’il ressentait dans ces moments-là avec ses crises de colère et de rupture de communication qui le possédèrent dans son enfance et son adolescence. Il fantasmait en séance sur ces parties du corps féminin dont il cherchait à retrouver la jouissance dans ses conquêtes féminines et qu’il tentait de revivre transférentiellement. Fantasme de séduction qui opérait certainement fortement dans le transfert et qui lui faisait prendre la figure du « beau freudien » en écho à « La belle freudienne » dont parle Catherine Chabert lors d’un travail clinique récent (Chabert, 2013, p. 671-681). En nous incitant à penser comment le transfert quand il devient intense se double de résistance dans la mesure où il détient l’arrachement nécessaire et douloureux aux objets originaires, avec la confrontation à l’angoisse de perte. « La déformation par transfert » (Freud, 2012b, p. 112) est alors la meilleure cache pour la réincarnation des investissements narcissiques et objectaux abandonnés sur le nouvel objet analyste.

48 Le travail de Guy Rosolato (Rosolato, 2014, p. 153-170) sur les signifiants « énigmatiques » de démarcation, dénommés ensuite signifiants de démarcation, me permettait aussi de penser et élaborer l’afflux des actions sensorielles motrices verbales et agies dans le transfert sur mon écoute. Selon lui, en effet, s’établit d’emblée une interaction mère-enfant, avant même que celui-ci puisse acquérir le langage, bien qu’il y soit soumis d’emblée par la parole maternelle. Cette communication s’établit à partir de signifiants non verbaux, analogiques, constitués des réactions corporelles, physiologiques et affectives de l’enfant, et que sa mère cherche à comprendre de façon immédiate et intuitive, leur permettant ainsi de prendre sens en tant que représentations au sein de leur communication en les liant aux signifiants digitaux langagiers. Ce sont, nous dit Rosolato, « les traits qui composent toute représentation, mentale ou objective, distincte du langage verbal, qu’elle soit visuelle ou auditive – de communication à distance – olfactive – également avec un écart spatial –, ou de contact, gustatif ou cutané, mais aussi relative à toutes les autres sensations intéro et proprioceptives, à la motricité ». Elle est à l’origine de la pensée, de la structuration de l’image du corps, et permet à l’enfant de dépasser le sentiment de déréliction face à son impuissance pour appréhender la relation d’inconnu. Petit à petit, si les soins maternels sont suffisamment bons, si la mère « interprète » ces formes perceptuelles que sont les signifiants analogiques, énigmatiques pour l’enfant, les oppositions qui les régissent (les cris et le sourire, par exemple) s’organisent en différences en fonction de leur représentation en source de plaisir ou déplaisir, mettant en jeu le refoulement jusqu’au refoulement originaire auquel se rattache l’inconnu. Puis, ces signifiants s’organisent en séries évolutives, actif/passif, dedans/dehors, soi/l’autre, jusqu’à l’identification engageant l’amour et la haine. Sinon, si l’image de la mère est trop négative, l’enfant peut rester aux prises avec la fascination et la dépendance de signifiants le détournant du tiers paternel et du langage digital axé sur le symbolique et la temporalité verbale. Patrick Mérot, un peu malicieusement, propose ainsi de penser que dans le texte sur la Gradiva, Norbert est sous l’emprise d’un signifiant de démarcation avec la fascination de la position verticale du pied et qu’il faudra toute la ruse de l’analyste Zoé pour l’y arracher pour accéder au régime de la parole et de ses représentations (Mérot, 2016, p. 71-74). Georges ne me faisait-il pas éprouver un grand sentiment de dispersion face à tous ces mouvements désordonnés et agités qui l’animaient et m’assaillaient ? N’était-ce pas d’ailleurs une des manifestations symptomatiques dont il se plaignait ? Collant/remuant, replié/éparpillé/ dispersé, étaient-ce ceux des signifiants de démarcation qui organisaient les modalités transférentielles ? Néanmoins, qu’agissait-il ainsi dans le transfert, à travers cette gestualité bruyante et excitante qui prenait d’assaut ma pensée en l’immobilisant, quelle était l’action jouissive de ces formes sensorielles, motrices, gestuelles autant agies que verbales, « déformées par transfert » ?

49 Didier Anzieu (Anzieu, 2014, p. 153-170) engage aussi toute une réflexion à propos de signifiants élémentaires transformationnels, qu’il désigne comme « signifiants formels », constitués d’images kinesthésiques, cénesthésiques, proprioceptives et tactiles comme tentatives de liaison des modes les plus archaïques du fonctionnement corporel, avant toute forme de représentation. Le Moi-peau a valeur de métaphore pour interpréter ces signifiants formels, « qui sont principalement des représentations des contenants psychiques » à partir des neuf fonctions d’enveloppes du moi. Le Moi-peau assure une fonction spécifique de recharge libidinale du fonctionnement psychique, de maintien de la tension énergétique interne et de sa répartition inégale entre les sous-systèmes psychiques. Didier Anzieu ajoute que très souvent ces signifiants formels sont constitutifs d’organisations mentales pathologiques (par exemple un bras s’allonge, l’hymen se troue) amenant le psychanalyste à jouer le rôle de moi auxiliaire pour aider le patient à opérer des synthèses jusqu’à ce que son moi se reconstruise. Celui-ci, en effet, pouvant être terrassé par l’angoisse de l’explosion de l’appareil psychique sous le poids de la surcharge d’excitations ou par l’angoisse de nirvâna devant ce qui serait l’accomplissement du désir d’une réduction de la tension à zéro. Il évoque le personnage de Murphy dans le roman de Samuel Beckett, oscillant pour l’accomplissement de l’un ou l’autre de ces extrêmes. Le travail de Bernard Chervet en permet une approche complexifiée, avec l’attention portée au « présent du traumatique », où l’inflation perceptive tente de juguler l’effroi traumatique face à la menace pulsionnelle (Chervet, 2014).

50 Les signifiants, analogiques ou formels, s’ils cherchent à étendre notre recherche et notre écoute hors du champ purement linguistique, pour approcher les expériences archaïques, sensorielles, corporelles et affectives vécues par l’infans avec la mère et le monde adulte qui l’entoure, peuvent-ils rendre compte des effets de l’Agieren transférentiel sur les dispositions libidinales les plus intimes de l’analyste ? Certes, ce sont des outils précieux pour excentrer notre écoute hors du champ des contenus représentationnels et oser penser un transfert au plus près de l’originaire. Mais n’est-ce pas par la reviviscence hallucinatoire de la réanimation de ses propres expériences infantiles précoces au contact de celles de son patient, et dans son dégagement par un moi plus prompt et apte à faire l’épreuve de la réalité que les mots viendront à l’analyste ? La forme qui émergera alors à travers les mots se révèlera sexuelle, dans toute sa potentialité pulsionnelle. Ce niveau de l’expérience transférentielle en constitue son point nodal, dans le sens donné par Freud au travail du rêve, où les points nodaux se constituent comme nœuds, points de rencontre et de bifurcation des multiples pensées inconscientes (Freud, 1900a, p. 326). Rolland le qualifie de « participation inconsciente, où transfert et contre-transfert se confondent, et où l’analyste, au prix d’une certaine dépersonnalisation, se prête, le temps nécessaire à l’incarnation des objets perdus de l’analysant » (Rolland, 2006, p. 133).

51 Deux autres grands courants de pensée permettent aussi de penser l’interprétation dans le champ de ces toutes premières expériences où le psychisme humain se constitue, dans son rapport à l’autre.

52 Piera Aulagnier distingue le primaire marqué par les scénarisations fantasmatiques inconscientes de l’originaire dont le pictogramme est l’image de la chose corporelle en tant que mise en forme d’un schéma relationnel, de « moules relationnels » où le sujet tentera au cours de son analyse de retrouver l’empreinte qu’ils ont préservé de leurs premiers objets.

53

Empreintes qui gardent le pouvoir d’attirer à elles les objets pouvant s’adapter à leur forme, de les remodeler en faisant croire à leur équivalence, jusqu’au moment où le sujet pourra prendre connaissance de l’objet (érogène) absent mais responsable de leur attraction, et, ce faisant, le désigner par une représentation de mots qui, en se liant à une représentation de choses, donne à cette dernière un autre statut (Aulagnier, 1990, p. 173-185).

54 Dans le travail analytique, la mobilisation d’une représentation pulsionnelle ne peut se faire qu’accompagnée à nouveau d’une charge affective dont l’émotion est comme le délégué et qui sera l’effet de la liaison opérée par les paroles, les gestes, les souvenirs retrouvés des expériences passées non mémorisables par le Je et remobilisées par l’expérience actuelle. « L’interprétation surgit toujours en un moment de surinvestissement de la relation par les deux partenaires », elle répond à chaque fois à une trace mobilisée dans la mémoire de l’analyste par la parole du patient et à l’émotion présente dans la rencontre entre sa pensée et cette parole, mettant ainsi en résonance un moment du présent avec des moments du passé. Cependant Aulagnier souligne combien l’interprétation maternelle du besoin de l’infans est violence primaire, du fait du sexuel qui l’imprègne, assujetti au langage et à la loi, et qui vient toujours en plus ou à côté d’une réponse adéquate au besoin.

55 Cette position d’Aulagnier nous rapproche de la position de Laplanche qui se constitue radicalement avec le primat de l’autre, sans que cet autre soit exclusivement la mère, puisque c’est l’autre en tant qu’adulte qui implante chez l’enfant par les soins corporels qu’il lui prodigue, des messages énigmatiques, car compromis par son sexuel infantile. Dans le souci de mettre en relation l’originaire de la cure et ce qui se trouve à l’origine dans l’existence humaine, Laplanche élabore la théorie de la séduction généralisée, « en reconduisant l’expérience de l’altérité de l’inconscient et l’altérité dans le transfert à l’altérité de la situation originaire de séduction » (Laplanche, 2007, p. 97). Celle-ci fonde la situation à laquelle l’être humain ne peut échapper. « C’est la situation anthropologique fondamentale, c’est la relation adulte-enfant, adulte-infans », l’adulte en tant qu’il a un inconscient sexuel « essentiellement fait de résidus infantiles », face à un enfant passif, récepteur de ces messages qu’il va chercher à comprendre, plus précisément à traduire. Le petit être humain est donc le premier herméneute, cherchant à interpréter et donner sens à ce qui lui arrive. Ce qui n’est pas sans évoquer le « che vuoi ? » lacanien, emprunté au célèbre Cazotte dans le Diable amoureux. Il est confronté très vite aux grandes énigmes du monde adulte : la différence des sexes, la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur, et à bien d’autre messages plus originaires, ceux qui concernent le sein, les soins corporels, mais aussi la mort et toutes les séries de différences. La traduction effectuée sous l’action de la poussée à traduire est toujours imparfaite et en échec du fait de l’insuffisance moïque de l’enfant pour intégrer et lier les éléments sexuels qui infiltrent les messages de l’autre adulte. « Ce qui ne peut être traduit, le résidu de la traduction, constitue le ça inconscient ; celui-ci échappe à la liaison et devient désormais un pôle de déliaison » (Laplanche, 1999, p. 232). Le transfert, dans cette conception, ne peut être pensé comme répétition des relations aux objets infantiles, il est « transfert en creux », réinstauration du transfert originaire, soit réitération du rapport à l’autre comme messager d’énigmes, à charge de l’analyste de le maintenir dans cette ouverture au sexuel. C’est avec la figuration du « baquet » que Laplanche cherche à modéliser la situation analytique pour nous permettre d’y concevoir « les limites entre le dedans et le dehors qui conditionnent la position tangentielle de la position auto-conservatrice avec l’ensemble pulsionnel interne issu du sexuel infantile » (Guégan, 2016, p. 260-263).

56 Au fur et à mesure de ces théorisations contemporaines, la complexité se redouble et la question s’enrichit sans pouvoir se résoudre. Entre signifiant et forme, quels enjeux théoriques et pratiques ? Saussure lui-même a pu préférer l’expression « figure vocale » à celle de signifiant (Green, 2002, p. 278). Laplanche, qui avait d’abord centré son intérêt sur le concept de signifiant énigmatique pour rendre compte du réalisme de l’inconscient, le refoulement aboutissant à la formation de signifiants-désignifiés, en modifia la terminologie avec les « messages énigmatiques », mieux aptes à exprimer l’hétérogénéité des actions en jeu dans la communication analytique. Néanmoins, en continuant de proposer l’interprétation comme une méthode traductive de l’inconscient, quelle place accorde-t-il à l’accomplissement hallucinatoire transférentiel ? Laurence Kahn en soutient le débat avec Dominique Scarfone qui propose la notion de « transduction » pour rendre compte de la charge libidinale de l’action transférentielle et du problème posé par la réincarnation transférentielle (Kahn, 2012, p. 273).

Un acte de parole, un malentendu ?

57 À partir de là, plusieurs points de vue sont envisageables. S’il est acquis par la position freudienne que seules les représentations de mots, par leur aptitude plastique, sensorielle, permettent le faufilage des représentations-choses vers l’accès à la conscience, même si cela se complique par le fait que ces premières peuvent être traitées comme des choses par le travail de déformation comme dans le rêve, des questions se posent à partir du cas de Georges qui restent à examiner.

58 Qu’est-ce qui m’avait fait dire cet insensé : « Vous êtes chien ? » En tant que lapsus d’écoute, « méprise d’audition », je pouvais penser à une certaine résistance à entendre « le chiant » et l’action transférentielle sadique anale qui agissait dans le transfert où se réincarnait le complexe paternel. Était-ce par une sorte de prudence, par refus d’occuper la place qui m’était trop manifestement désignée dans un scénario fantasmatique ? Mais n’était-ce pas lui signifier ce qu’il agissait au plus fort de sa passion infantile en tant que « répétition des réactions issues des tout premiers temps », et mon désir de le lui faire reconnaître ? Dans cette optique, j’avais bien entendu, et cette conviction d’un « bien entendu » ne m’avait pas quittée depuis son énonciation. La stupéfaction et le silence que Georges opposa à ma parole n’indiquaient-ils pas qu’il m’avait entendue et qu’une certaine réflexivité autour de « ce chiant » pouvait commencer à organiser sa pensée ? La formulation de sa déclaration, mettant en jeu la négation et l’épreuve du jugement, « mais non, je vous dis que je suis chiant », n’indiquait-elle pas la levée possible du refoulement engageant le long travail de perlaboration ? L’affect de mécontentement qui accompagna sa déclaration ne venait-il pas signaler qu’il avait été touché au vif/mort de l’actualisation pulsionnelle ? Les agirs qu’il multiplia ensuite en séance, se présentant comme une aggravation symptomatique, n’étaient-ils pas l’indice d’une rébellion infantile venant elle-même réactualiser in petto les traces d’expériences oubliées se présentant comme violente explosion de résistance ? « Nul ne peut être tué in effigie ou in absentia », écrit Freud en nous rappelant que les motions pulsionnelles détiennent une force sauvage qui laisse souvent incertaine l’issue du combat.

59 Entre le mal et le bien entendu se construisait ainsi un espace transférentiel d’incertitude et de mouvements transformationnels, remobilisé par la mise en action par la parole interprétative d’une forme primitive dont la proximité avec les éléments inconscients refoulés avait gardé leur effet de paradoxalité. À la limite, mon lapsus aurait pu être le sien, et à la limite peu importe que ce fût un lapsus. Se construisait un espace transférentiel comme lieu de transaction des processus primaires « où le vrai n’est plus le contraire du faux, où la vérité se transforme en fausseté, et la fausseté devient à son tour vérité » (Anzieu, 1975, p. 55) vers les processus secondaires ordonnés par la logique du jugement, la recherche de vérité, autorisant l’ambivalence et les compromis.

60 Les réactions du patient à la communication des constructions de l’analyste sont multivoques, nous enseigne Freud, et il est étonnant de constater comment il continue d’assurer l’exactitude de la démarche analytique vers la recherche de vérité avec l’appui d’un surmoi tranquille. « Nous ne tenons la construction isolée pour rien d’autre qu’une supposition qui attend examen, confirmation ou rejet », et il engage l’analyste à ne pas discuter avec le patient s’il conteste, et à attendre que cette supposition se transforme chez lui en conviction assurée de la vérité « en conduisant correctement l’analyse » (Freud, 1937d, p. 69-70). Tenant ce conseil valable pour l’interprétation, j’attendais donc avant de comprendre, avec une certaine vigilance toutefois. Mais les agirs se répétaient de plus en plus, mettant le cadre en péril. Georges oubliait ses séances, demandait des aménagements horaires, arrivait en retard, oubliait son paiement, pensait ne plus avoir assez d’argent pour me payer. En même temps, il racontait ses nombreuses conquêtes féminines pour lesquelles la différence d’âge avait peu d’importance, de toute façon c’étaient les femmes, disait-il, qui lui faisaient des avances. Ce qui me permit de lui dire que c’était la situation dans laquelle il me mettait, lui faire l’avance, lui faire des avances, comme il le souhaitait de la part de toutes les femmes, et comme enfant il le demandait à sa mère. La cure reprit son cours. Je considérais que cette nouvelle interprétation en était une deuxième, venant en quelque sorte compléter la première en forme de lapsus, résorbant sa charge énergétique encore active, permettant le désinvestissement des représentations inconscientes qui agissaient encore. Son mode opératoire était différent de la première, elle mettait en mots et donnait sens à un fantasme sexuel œdipien déjà bien actualisé et secondarisé, sans qu’il ait suscité chez l’analyste cet effet de surprise et de fulgurance, émanant d’un sentiment de nécessité ou « d’urgence » (Séchaud, 1997, p. 1775-1771) à intervenir pour maintenir le processus analytique, et dans une écoute à l’associativité « polymorphique », selon la proposition de René Roussillon (Roussillon, 2009, p. 19-36), mêlant plusieurs types de langages, verbal, corporel, affectif et de l’acte.

61 Cependant, une interprétation n’est pas une construction, et son action mobilise autrement l’économie psychique du patient comme celle de l’analyste ainsi que la dynamique processuelle de la cure.

Un acte opérant entre deux scènes

62 Pour que l’interprétation surgisse, tout au moins dans la conceptualisation que je propose principalement, un rapprochement des scènes psychiques de l’analyste et de son patient s’est effectué à partir de la régrédience induite par le processus analytique et s’est mobilisé dans l’effectuation hallucinatoire d’une forme primitive et étrangère à l’un comme à l’autre, par réactivation des traces du pulsionnel infantile sexuel qu’elle recèle et ravive en chacun d’eux. Je pense qu’il est possible de parler de cette effectuation-là comme de l’interpénétration d’une altérité sensorielle, corporelle, sexuelle-présexuelle, que seules certaines conceptions de l’originaire permettent d’interpréter. Pour que les deux scènes retrouvent leur mobilité d’écart et de dissymétrie, que les processus progrédients et secondaires se remobilisent, une action s’impose, dire ce qui agit et fait à chacun d’eux, et c’est à l’analyste qu’elle revient, tout en sachant que c’est cela qui fait agir son dire. Il est vraiment possible de penser que l’analyste se déprend de la saisie transférentielle plus vite que son patient, autrement et de façon irréversible, sa parole interprétative venant subvertir la charge et l’attraction pulsionnelle qui la retenait et les retenait tous deux. En effet, qu’en est-il du moi de l’analyste à ce moment-là ? Du fait de sa formation composite et mouvante, et sous l’effet de son désarrimage des processus secondaires que lui impose l’écoute flottante, il se désiste de sa fonction de synthèse pour approcher sa propre « inconsciencialité » et aborder des zones psychiques où les processus primaires et leur action de déliaison font la loi. Il n’assure plus ses frontières entre le ça, le surmoi et la réalité, entre lui et l’autre, dans une porosité au jeu des identifications inconscientes dans le transfert. Il est alors possible d’envisager comment il peut revenir à des modes de fonctionnement primitif, non marqués par l’épreuve de réalité, sous emprise de l’hallucinatoire et de l’illusion imaginaire. Mais ce moi de l’analyste au travail n’est pas celui du rêveur puisqu’il n’est pas soumis au désir de dormir mais à celui de mener la cure en fonction de l’observation de la méthode. Donc il continue partiellement d’exercer sa fonction inhibitrice et reste en éveil sensoriel, dans son action de palpation périodique et dégustative, continuant d’examiner ce qui vient de lui et ce qui vient de l’autre, dans une construction pulsatile et rythmée d’une pré-altérité. Il se prête au clivage, il ne se plie que temporairement au naufrage narcissique. Scarfone, dans un travail de recherche avec Marie Leclaire (Leclaire, Scarfone, 2000, p. 885-912), se confronte à la question de l’hallucinatoire et de la distinction « perçu-représenté », à travers un parcours dans les textes freudiens, dans un dialogue avec ceux de Laplanche et de Pontalis. Ils font travailler la différence entre l’épreuve d’actualité, ne relevant que de la fonction inhibitrice du moi, qui opère la distinction du perçu et du représenté, et l’épreuve de réalité, relevant de la fonction de jugement et de l’action motrice du moi, avec la réactivation des images motrices qui lui correspondent, par l’établissement d’un processus de comparaison entre le perçu et le représenté. Seule cette épreuve de réalité sera en mesure d’inhiber le signe d’actualité de la représentation. « Cet actuel, qu’il se manifeste sous forme de l’agir inconscient (perception-motricité) ou d’hallucination (perception sans motricité) s’oppose toujours au temps du moi qui est, lui, temps de retard, de réalité. » Ce travail permet bien de saisir la dissymétrie psychique entre l’analyste et son patient même au plus vif du travail d’interprétation, le premier se ressaisissant sous l’effet de l’épreuve de réalité, l’autre restant aux prises avec l’épreuve d’actualité, dans l’actualisation pulsionnelle, dans un hors temps.

63 D’autre part, il s’agit d’un moi-je, celui du « wo Es war soll Ich werden », là-dessus l’interprétation freudienne reste indécise, c’est un point de la doctrine sans cesse en traduction, comme l’a renouvelé un récent débat à l’APF entre Bernard de La Gorce et Catherine Chabert [5]. Mais c’est le désir qui fait parler le je, et souvent à l’insu de lui-même, c’est-à-dire de son moi. Lorsque la parole interprétative s’empare de l’analyste, qu’elle surgit au point de surprendre son moi, dans ce mouvement de subversion de la fonction moïque par la fonction langagière, est-ce que je est un autre ou est-ce que je suis l’autre (Lavie, 1985) ? Rolland (Rolland, 2006, p. 33) reprenant les hypothèses freudiennes sur la conscience, comme nous l’avons déjà mentionné, les remanie en proposant de penser la langue dans un dédoublement de sa fonction linguistique et de sa fonction sensorielle, et faisant valoir celle-ci dans le travail analytique il rapproche ainsi la langue de l’analyste de la langue poétique, comme langue apte à ressaisir la saveur, l’odeur, la couleur de la chose, ce que la parole de la communication laisse tomber dans le refoulement. Francis Ponge, par son écriture poétique, tente de dire sa démarche de « poésie active » qui est de « saisir la situation présente aussitôt dans sa matérialité [6] » en redonnant au monde verbal sa sensibilité. Son poème « Le Mimosa [7] » s’étire sur vingt pages ; il commence par de la prose,

« Chaque grain n’est aucunement lisse, mais formé de poils soyeux, un astre si l’on veut, étoilé au maximum. »

64 Puis après de multiples variations, au final :

« Floribonds, à tue-tête, à démentir leurs plumes
Déplorant leur bosquet offensé jusqu’au cœur
Par la violente austérité de ta splendeur
Azur ! narines bées inspirant leurs oracles,
Piaillent, ils piaillent d’or les glorieux poussins ! »

65 Comme si le poète parvenait à saisir le cri-même ou la jouissance au creux-même de la langue. « Le poète est le muet de la langue, il est redevenu le primitif à l’arc tendu du muet des mots. Il ravive la primitivité psychique de l’enfant sans parole quand il écoutait muet dans la langue de l’autre », écrit Edmundo Gomez Mango (Gomez Mango, 2009, p. 171-203).

Quels mots pour l’interprétation ?

66 La langue de l’analyste n’est pas celle du poète même si elle y trouve ce gain de plaisir à s’en inspirer pour ne pas perdre le contact avec l’étrangèreté de l’inconscient ; unir la chose au mot juste, en lui gardant sa densité sensorielle, sa force de noces barbares. Et même si la langue du poète détient cette mémoire infiniment fugace des « journées enfantes » comme le dit Arthur Rimbaud et de ces instants de présence au monde que le poète Yves Bonnefoy retrouve en lui et nomme « le lieu d’herbes [8] ». La langue de l’analyste a à se saisir de la pulsionnalité sexuelle infantile, celle qui s’actualise à travers l’Agieren transférentiel et prend au corps et à l’âme psychanalyste et patient en lui donnant parole remémorante. Elle a à retrouver la langue de l’enfance, où les mots sont traités comme des choses, où les mots à la fois font la chose et à la fois permettent de s’approprier l’expérience en y trouvant le gain de plaisir qui neutralise la douleur, l’impuissance ou la rage et aussi l’excès de la passion. C’est retrouver l’enfant qui jette au loin ses objets à la place du rival haï pour exprimer ses motions hostiles et qui jubile dans l’accomplissement de sa vengeance, c’est le « o-o-o-o » de l’enfant à la bobine quand il la fait disparaître et le joyeux « da » quand il la fait revenir, premier interprète de l’énigme à laquelle le confronte l’absence maternelle (Freud, 1920g, p. 284-287). À condition aussi de penser qu’il est aidé dans sa tâche d’interprète par l’adulte qui est là et cherche à comprendre la compulsionnalité du jeu en donnant sens à ces onomatopées en leur ouvrant la voie de la pensée secondarisée. Nous pourrions penser cette place-là comme celle du Nebenmensch, celle de l’humain proche, certes essentielle à toute existence humaine où il est fondamental de s’éprouver comme semblable/dissemblable à l’autre, mais l’analyste ne peut l’occuper qu’en partie dans la mesure où il est lui-même cet objet et ce provocateur de l’énigme, où il est cet absent en personne sur lequel se trouveront réincarnées par le transfert toutes les motions pulsionnelles qui impulsaient le jeu. C’est en effet la mère, cette première séductrice, qui à la fois prend son enfant comme objet sexuel à part entière, et à la fois le fait souffrir en le frustrant de sa présence, en le castrant de son désir de possession exclusive, et qui à la fois l’aide à interpréter ce qui lui arrive en lui donnant les mots pour le dire.

67 C’est dans l’obligation de reconnaître la contrainte de répétition que Freud perd l’illusion de penser la pratique analytique comme un art de l’interprétation où l’analyste devine et communique au malade l’inconscient caché, où il joue de son influence pour lui faire abandonner ses résistances. « Celui-ci est bien plutôt obligé de répéter le refoulé comme expérience vécue présente, au lieu de s’en souvenir comme d’un morceau du passé. Cette reproduction a toujours pour contenu un morceau de la vie sexuelle infantile, donc du complexe d’Œdipe et de ses prolongements, et elle se joue régulièrement dans le domaine du transfert, c’est-à-dire de la relation au médecin » écrit Freud (Freud, ibid., p. 288-289).

68 Certes, la langue de l’analyste a à retrouver-créer les mots du parler primitif, ce langage si pulsionnel de l’infantile, ce petit sauvage, ce langage de la pulsion orale, cannibale, anale, phallique, retrouver dans les mots de l’interprétation ses actions d’images, leur puissance d’action et leur ressource animiste… N’est-ce pas aussi celui que les parents retrouvent avec leurs enfants, avec ces petits mots tendres dont la figurabilité atteste de leur charge pulsionnelle ? Et qui identifient l’enfant sans qu’il puisse se souvenir des gestes de la passion incestueuse qui les impulsaient en fournissant après-coup les matériaux refoulés des phobies infantiles ? Et qui se retrouvent dans le langage amoureux de l’adulte et dans l’écriture des grands écrivains ? Il suffit d’écouter le monologue de Molly dans Ulysse de Joyce (Eoche-Duval, 2012, p. 81-95) ou de lire la nouvelle traduction de Phèdre par Wajdi Mouawad [9]. Comment le petit primitif recelé par le patient pourrait-il retrouver le souvenir de ses passions s’il n’entend pas le mot qui dit l’identification primitive inconsciente dans l’amour incestueux qui s’incarne dans le transfert pour qu’il puisse alors commencer à se l’approprier ? « Entendre l’enfant muet dans les séances est aussi notre tâche » écrit Gomez Mango (Gomez Mango, op. cit., p. 171-203) : « Entendre l’enfant primitif qui se réjouit, effrayé parce que en lui palpite encore la vie, animale, survivante, préservée et non détruite par la morale trop civilisée de l’adulte ».

69 C’est l’Homme aux loups dont Freud reconstruit, pas à pas, fragment par fragment, l’histoire de sa névrose infantile, et dont la cure, approchant de sa fin, fait surgir un nouveau matériel de souvenirs que Freud tient pour essentiel (Freud, 1918, p. 91-93). La scène avec Grouscha a été remémorée et mise en relation avec la menace de castration, confirmée par un rêve riche de sens que le patient sut traduire tout seul, nous dit-il.

70 « J’ai rêvé, un homme arrache les ailes à une Espe.

71 – Espe, ne pus-je que demander, qu’entendez-vous par là ?

72 – Eh bien ! L’insecte avec des rayures jaunes sur les corps qui peut piquer. Ce ne peut être qu’une allusion à la Grouscha, la poire rayée de jaune.

73 – Vous voulez dire une Wespe, pus-je corriger.

74 – Cela s’appelle-t-il Wespe ? poursuivit l’Homme aux loups

75 – Mais Espe, alors c’est moi, SP, (les initiales de son nom). »

76 Freud ajoute que l’Espe est une Wespe mutilée, et que ce rêve signifiait la vengeance sur Grouscha de la menace de castration qu’elle lui avait proférée. L’homme aux loups ne venait-il pas de découvrir à travers cette figure analogique mise en mots dans son discours associatif la réincarnation transférentielle de sa passion infantile refoulée pour son père, et sa traduction linguistique n’en opérerait-elle pas le passage à la conscience en tant qu’identification primaire ?

77 Mais si l’analyste doit retrouver le contact avec les mots de cette langue primitive sans grammaire issue du travail du rêve, « où seul le matériau brut du penser est exprimé » (Freud, 1933a, p. 100), c’est pour en extirper l’élément sexuel indompté qui agit compulsivement ses passions infantiles sur un mode déguisé. Quoi de plus banal qu’un chien ? C’est alors dans la parole adressée, « Vous êtes… », introduisant au processus de subjectivation, avec la matérialité du langage commun, avec des mots formés de la même pâte des choses que ceux du patient – chiant-chien –, que l’indompté non remémoré pourra se scénariser et s’acheminer vers la voie de la représentation. La régression matérielle imposée au langage par les motions pulsionnelles doit aussi emprunter la voie de la régression formelle pour retrouver leur qualification, et que les mots retrouvent leur polysémie à travers leurs jeux d’opposition et de différenciation. Si la régression impulsée aux mots par l’action transférentielle permet d’atteindre leur noyau primitif d’excitabilité, leur matériau sexuel informe, la parole interprétative leur permettra dès lors de retrouver leur aptitude à la communication et la verbalisation secondarisée.

78 « Vous êtes chien ? » N’était-ce pas à la fois retrouver dans le dire la représentation de la détresse à la dépendance infantile, la violence corporelle primitive de l’inceste maternel, la fantasmatisation sexuelle masochiste envers le père, la séduction masculine érotisée actualisée dans le transfert, « avoir du chien », mais aussi la menace de castration, « bas les pattes » ? Et de même l’hostilité, le mot comme une injure sexuelle (Barazer, 2007, p. 127-145 ; Freud, 1930a, p. 286-287 [note de bas de page]), comme une injure sur la féminité actualisée par la fantasmatisation transférentielle, « chienne », l’attrait de la mélancolie comme le chante Jacques Brel, comme l’écriture théâtrale d’Arne Lygre [10] la met en scène, comme la déploie l’écriture analytique de Catherine Chabert (Chabert, 2003) ? Ce passage à l’expression figurée du « chiant au chien » se présenterait ainsi comme processus de métaphorisation, dans une oscillation avec les processus métonymiques (Rosolato, 1978), dans la substitution d’un signifiant de la chaîne inconsciente à un signifiant de l’énoncé manifeste, en permettant l’articulation à une multitude des réseaux inconscients, dans un mouvement d’ouverture infinie, l’origine étant inatteignable et la fin toujours à venir. L’effet immédiat de non-sens deviendrait dans l’après-coup création de sens. C’est sans doute la violence de ces représentations refoulées suscitées en moi par tous les agirs transférentiels de la parole et des gestes de mon patient, par la résonance de la répétition de ce signifiant « chien » qui, à mon insu, n’avait pu se dire que sous la forme d’un lapsus (Margueritat, 2012). Lapsus comme acte de parole témoignant d’un côté du travail de l’inconscient, où le mot de l’énoncé manifeste « chiant » est chassé pour faire apparaître une forme signifiante latente, « chien » au travail dans l’entre-deux transférentiel depuis longtemps. Et qui, d’un autre côté, par son adresse transférentielle permettait la liaison de l’actuel et de l’infantile oral et anal réactivé et activant le transfert, en permettant à cet homme de se retrouver acteur sur des scènes qui le passivaient et dont il s’ignorait désirant. Mais l’interprétation de l’analyste, en tant qu’acte de parole, c’est comme un coup porté qui aura des effets d’après-coup. L’interprétation délie la construction du discours, défait les refoulements, elle opère une rupture dans le cours associatif de l’analysant, ou s’immisce dans ses fissures. Elle détraduit les constructions et interprétations qu’il a pu élaborer à partir de ses expériences infantiles. N’agit-elle pas comme message énigmatique pour l’analysant, en reconvoquant sa pulsion à traduire des fragments d’expériences infantiles refoulées, non encore traduites ?

79 Sans doute nous est-il nécessaire de faire appel à la double valence de la fonction langagière, dans ses modalités régrédientes et progrédientes. À la fois, fonction linguistique de sémantisation des contenus, à la fois fonction sensorielle, au service de l’effectuation hallucinatoire et de la présentation déformée. C’est dans la matérialité du vu et de l’entendu de l’écoute aux mots de l’analysant que les mots de l’interprétation trouvent leur poids de réel et leur pouvoir de dire l’incarnation transférentielle. Sinon, celle-ci n’encourt-elle pas le risque du mot d’esprit en folie ou à l’inverse celui de l’herméneutisme ou de la narrativité ?

Une mise en crise, un moment critique

80 L’interprétation, au moment où elle s’énonce et s’adresse, met en crise la psyché de l’analyste et celle de l’analysant, ainsi que le processus analytique. C’est un moment clinique critique qui opère comme un séisme sur la scène d’ébats pulsionnels, comme acte de subversion, de dégagement des rets hallucinatoires de l’Agieren. Comme un moment de révélation qui met en crise un fonctionnement transférentiel en identité de perception pour une reprise en identité de pensée. Cette interprétation-lapsus n’était-elle pas le signe de la sortie d’un moment de confusion de pensée à partir de laquelle patient et analyste prenaient conscience de leur différence pour se réapproprier chacun sa propre pensée ? Le silence de Georges juste après n’était-il pas l’indice de son potentiel de réflexivité, se ressaisissant de sa propre pensée, prenant conscience de son propre espace psychique ? Et si se trouvaient convoqués des mouvements de résistance pour ne pas lâcher prise sur ses objets incestueux, n’était-ce pas aussi un mouvement de libération nouveau ou non vécu par rapport à l’emprise de la pensée maternelle ? Il l’avait en effet souvent vécue comme attaquant sa propre pensée par les affects dépressifs qu’elle lui opposait face à ses souhaits de lui faire partager ses activités scolaires ou culturelles. L’action interprétative redistribue les cartes entre chacun des protagonistes, remobilisant l’écart entre leurs deux scènes psychiques, redifférenciant les tâches, cassant toute illusion de compréhension et d’harmonie partagée. Elle est, comme l’écrit Patrick Guyomard, à propos de la psychanalyse « épreuve de l’incompréhension, celle de soi-même, du transfert et aussi de l’autre » (Guyomard, 2012, p. 131-141), devant avant tout être portée par le désir d’être entendu, et de retrouver une capacité de désirance. Il rappelle les mots de Lacan : « Gardez-vous de comprendre ! » Elle est l’épreuve du malentendu, ainsi que le souligne aussi Jacques André (André, 2006, p. 11-21). Chacun des protagonistes se trouve aux prises avec cette mise en crise qui affecte leur fonctionnement psychique, à différents niveaux et différemment pour chacun et à un niveau intersubjectif, entre les deux.

81 En remaniant les investissements objectaux et narcissiques, l’action interprétative provoque un processus de « désidentification » (Mannoni, 1988, p. 119-136), qui permet de prendre conscience des identifications inconscientes en jeu dans le transfert et de les remobiliser autrement en rétablissant l’écart dissymétrique entre les protagonistes. Travail de transformation topique qui affecte le moi de chacun d’eux, dans la mesure où le moi s’est construit par identifications aux objets perdus ou abandonnés. Celui de l’analyste qui se trouve sollicité dans ses identifications inconscientes au patient, en l’occurrence dans la cure de Georges, dans une extrême condensation de leurs strates, des plus primaires aux plus érotisées. Et celui du patient, dans ses identifications à travers leurs modalités primaires et secondaires, qu’elles soient narcissiques, hystériques ou mélancoliques (Szwec, 2017).

82 Si l’action interprétative s’effectue ainsi par un désistement du moi de chacun et laisse surgir une parole échappant à la pensée secondarisée portant la marque des processus primaires dans son approche des représentations choses inconscientes, il est en effet souhaitable de penser que d’une part le moi de l’analyste se ressaisit plus vite et que, d’autre part, il est plus critique. Sans doute l’est-il par une sorte de discipline dans l’exercice de la réflexivité nécessaire à sa pratique (Coblence, Donnet, 2012, p. 645-648) par l’appréhension des effets du psychisme de ses patients sur son propre psychisme, à leur résonance, dans une vigilance sensorielle qui n’est pas sans évoquer cette nécessité de surplomb à laquelle Freud exhortait les analystes, en souhaitant qu’elle le fut aussi pour l’analysant afin d’éviter qu’il ne plonge dans le transfert en ne reconnaissant plus dans la réalité présentée le reflet du passée oublié. Exigence de surplomb qui peut s’entendre comme le surmoi de l’analyste au travail, garant de la neutralité de son écoute, avec cette touche d’humour qui lui revient face aux incartades du ça et aux défaillances du moi et à leurs conflits incessants, allant jusqu’à tout déformer sur leur passage, y compris les mots.

83 Mais je ne pense pas que ce soit à lui que revienne le moteur de l’action transformatrice de l’interprétation, à la différence de la position de Strachey pour lequel le ressort de l’interprétation mutative relève de l’aptitude du patient à différencier son surmoi imprégné d’archaïsme de celui de l’analyste pour le mobiliser autrement. Le propos que je tente de dérouler ici désigne comme essentiel au travail analytique confronté à l’approche des zones psychiques où les processus de remémoration et de représentation n’ont pas cours l’aptitude du psychanalyste à la régressivité transférentielle, l’incitant à régresser dans son écoute sous l’effet d’Agieren de la parole associative « jusqu’aux couches sourdes muettes du langage » (Fédida, 2007, p. 165-199), tout en gardant une mobilité psychique nécessaire par son aptitude à la réflexivité. Nous pouvons penser aussi que pour chacun des protagonistes ayant approché, certes différemment, la jouissance hallucinatoire des souhaits primitifs infantiles, le principe de plaisir accordé à la réalité reprenne ses droits, ne serait-ce que par le plaisir de retrouver un fonctionnement psychique différencié et libre d’entraves. Mais nous savons aussi que les résistances se remobilisent vite, pour le patient, et peut-être dans une moindre mesure, pour l’analyste ! Ne faut-il pas y discerner parfois nos résistances à interpréter sous couvert de motifs souvent bien raisonnés ? L’effroi ressenti et dit par les analystes face à leur acte de parole ne relève-t-il pas de l’action même de la levée de refoulement qu’il opère en faisant resurgir et les vouant à l’anéantissement les souhaits infantiles les plus indomptés ? L’acte interprétatif est une violence faite au psychisme, il rouvre les blessures infantiles narcissiques et objectales, mais ne doit-il pas combattre les forces sauvages qui prennent forme dans le transfert et qui cherchent à faire emprise, et souvent de façon tellement déformée, comme sous ce déguisement du chien. Le seul remède est sans doute de l’habiller de tact, de mots qui font mouche sans attaquer, d’humour quand c’est possible. C’est sans doute à ce niveau que « la psychanalyse est avant tout un art de l’interprétation », comme le commente Jean-Yves Tamet (Tamet, 2013), ou plus exactement qu’elle engage un style, celui de l’analyste « portant l’estampille de son inconscient », ainsi que l’écrit Victor Smirnoff (Smirnoff, 1990, p. 159-180).

Un temps d’actualisation

84 Il ne faut pas aller trop vite vers l’épreuve de réalité et la prise de conscience. Quel est le temps constitutif de l’interprétation ? Si ce n’est le temps de l’actualisation, le temps de l’épreuve d’actualité, où une forme se présente « grandeur nature », où elle s’impose en étant là, dans toute sa force d’action hallucinatoire sur la scène transférentielle. Par ce procédé de dramatisation que nous avons déjà évoqué, c‘est en tant qu’élément de remplacement, en tant que substitut agissant en représentance d’éléments éparpillés, que cette forme vient figurer et actualiser l’accomplissement des souhaits infantiles refoulés au présent et dans une présence réelle. Comme cette figure primitive d’animalité dans la cure de Georges, comme la figure de l’oculus dans la scène de l’annonciation explorée par Dominique Scarfone (Scarfone, 2012), comme la figure d’emmêlement dans la configuration clinique proposée par Christian Delourmel (Delourmel, 2013, p. 1283-1353). Tout d’un coup, de façon fulgurante, une figure s’impose comme étant là, une forme sexuelle primitive, dont la sensorialité hallucinatoire capte l’attention, venant rompre toute narrativité. L’acte de parole de l’analyste, quand il s’en saisit l’introduit comme évènement dans une temporalité. Le présent hyper-présent passe au passé, l’hallucinatoire et son hors temps se trouvent instantanément dissous, l’épreuve d’actualité pourra être inhibée pour faire place à l’épreuve de réalité. C’est en tant qu’évènement de pensée introduit dans un mouvement de réflexivité qu’il pourra alors participer au mouvement d’historicisation de la cure, permettant à l’analysant de s’approprier son histoire infantile et au processus interprétatif de la cure de se réinscrire dans une temporalité ordonnée en présent, passé, futur. Temporalité dont les travaux de Rolland (Rolland, 2006, p. 39-68) nous rappellent l’importance de l’interprétation analogique qui réarticule des séquences anachroniques du discours associatif au sein d’une même séance conçue comme un espace temporel. Comme peut-être ce fragment de cure avec Georges tente de l’explorer, le moi-je de l’analysant ne conquiert-il pas un petit morceau de territoire occupé en le libérant d’un élément aliénant et surexcitant qui prit après-coup la forme de cette identification primitive non humaine ? Sans aucun doute une des figures de l’infans, celui qui n’a pas encore la parole et devra renoncer à « cette part animale » pour y accéder.

85 Le travail interprétatif opère avec et entre chacun des protagonistes, c’est leur travail en commun. Il est remarquable de constater comment, fragment par fragment, que ce soit dans la cure de l’Homme aux loups ou dans celle de Georges, par opérations successives de déliaison sous l’effet de la parole associative et de l’écoute régrédiente et des constructions de l’analyste, par le travail qui prend à rebours celui de la déformation, tout à coup un élément se présente, une forme se constitue dans toute la force de son action, qui introduit sur le champ cette vision au présent. Ce travail psychique avant tout est celui du patient, c’est lui qui doit dire et associer, et l’analyste n’a pas à le déposséder de son conflit, de ce différend qui opère en lui entre l’infans et l’adolescens, cet être de parole en devenir, écrit Rolland (Rolland, 1998, p. 150). À condition, me semble-t-il, qu’il n’y ait pas rupture brutale dans ce passage processuel et conflictuel.

86 Je pense ainsi à Florence dont la communication entre elle et sa propre mère fut très perturbée au début de son adolescence, à la suite de raisons traumatiques. Sa mère eut un grave accident de voiture la laissant handicapée, avec des atteintes neurologiques majeures, entraînant sa mort quelques années plus tard, alors que Florence terminait son adolescence. Elle eut à supporter l’effondrement psychique de son père, ce qui l’éprouva beaucoup et eut des conséquences dans sa vie sociale et affective. Après plusieurs années de cure, je fus surprise de l’entendre me parler des concerts musicaux qu’elle donnait, seule et souvent aussi avec une amie, à travers une figure stylistique qui certes relevait de sa discipline musicale mais qui tout à coup se mit à résonner étrangement à mon écoute, et donner forme et présence à la force pulsionnelle agissante dans le transfert. Cette figure platonicienne de jeu « à quatre mains quatre pieds », que j’entendis comme une figure sexuelle d’indifférenciation très primitive et jouissive, s’accomplissait au présent entre nous, jusqu’à ce que je l’entende et que je puisse m’entendre le lui dire dans le transfert. Florence continua un bon moment à jouer avec cette figure qui était pour elle trouvée-crée dans la mesure où elle était le produit d’un long travail pour se dégager de l’attraction mélancolique exercée par la perte de sa mère. Mais au-delà de ce traumatisme réel s’en cachait un autre, psychiquement et douloureusement éprouvé, en référence à une figure maternelle dont le seul souvenir qu’elle en gardait était celui d’un effacement ne pouvant lui permettre de refléter sa féminité. Après un temps assez long et de façon inattendue, cette figure transférentielle resurgit sous une forme nouvelle, démultipliée, me laissant penser à un lent travail de perlaboration, pour se transformer dans l’investissement individualisé d’une autre expression musicale et vocale, avec un professeur apprécié. J’avais donc dû ajouter « l’inconstante dernière parcelle d’élaboration interprétative » (Freud, 1901a, p. 47), celle qui revient à la tâche de l’analyste au travail avec son patient, dans toute cure, dans sa fonction interprétative de tiers analytique. Cette situation clinique met bien en relief les potentialités sublimatoires de l’action interprétative lorsqu’elle permet l’accès à cette primitivité psychique et sa créativité de figures et de formes qui met en jeu l’originaire. Elle est source, objet source non plus de refoulement mais d’ouverture tellement créative, sublimation à l’origine, ce destin pulsionnel qui a nécessité tant de travail de transformation. La scène transférentielle, si elle est ce lieu d’ébats pulsionnels conflictuels, n’est-elle pas aussi le lieu langagier d’où surgissent, dans un mouvement progrédient, pulsion à traduire, compulsion de représentation, pulsion du chercheur, sollicitation à interpréter, et, pourquoi pas, pulsion à interpréter ?

Pour conclure

87 Qu’est-ce qui fait interprétation ? La question ouvre un champ de complexités. Nous proposerions que chaque séance d’analyse détient des potentialités interprétatives, et qu’entre l’analyste et son patient œuvre à petites doses un processus interprétatif sous l’égide du régime de l’associativité qui réanime des formes primitives langagières jusqu’au moment où il arrive quelque chose. Sous l’effet de la régrédience provoquée par le processus analytique, une forme commune peut s’actualiser entre les deux qui fait surgir chez l’analyste un acte de parole dont la forme énonciatrice recèle les traces de cette traversée psychique primitive. Au point que celui-ci, surpris et inquiet par l’insensé de sa parole, pourrait penser : ceci n’est pas une interprétation. Tant les mots qui l’énoncent mettent en présence l’Agieren transférentiel et sa potentialité hallucinatoire, au plus près de l’originaire. Cette « dernière inconstante parcelle d’élaboration interprétative » détient toutefois une portée subversive, non seulement celle d’opérer une transvaluation des valeurs psychiques en donnant toute son intensité au détail, l’inaperçu, l’indifférent, mais aussi celle de transposer instantanément toutes les valences d’actions transférentielles dans l’ordre langagier, provoquant une mise en crise psychique et un moment critique dans le déroulement de la cure, pour l’offrir au lent travail de perlaboration. Si cet acte de parole opère en sapant les résistances de transfert qui abritaient les éléments inconscients des complexes infantiles, s’il a un effet libérateur des rets hallucinatoires de l’Agieren, c’est par son appartenance à la fonction interprétative de l’analyste et à ses potentialités subversives dégagées par le travail analytique. L’acte de parole qui interprète ne tiendrait pas tant son efficience du dévoilement ou de la construction d’un fragment du passé. Il le tiendrait de son pouvoir de subversion d’une expérience d’actualisation transférentielle vécue conjointement au présent de la cure, « en étayage sur un présent réel », lui conférant valeur référentielle de réalité psychique, et de potentialité historisante. L’élément sexuel indompté, vécu sous une forme hallucinatoire par l’analyste et son patient, pourrait alors, en tant que morceau de vérité historique, engager la cure dans un travail de pensée et de perlaboration.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • André J., Le malentendu, La Psychanalyse à l’épreuve du malentendu, Paris, Puf, « Petite bibliothèque de psychanalyse », 2006.
  • André J., L’Imprévu en séance, Paris, Gallimard, 2004.
  • Abel-Prot V., Cave canem, Nouvelle revue de psychanalyse, no 42, 1990.
  • Arasse D., Le tableau disloqué, Le Détail, Paris, Flammarion, 1992.
  • Agamben G., Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages, « Rivages poche, Petite Bibliothèque », 2008.
  • Anzieu A. et D., Entre passé et présent : l’interprétation du contenant, Bulletin de la FEP, no 24, p. 37-51.
  • Anzieu D., Les signifiant formels et le Moi-peau, « Le langage malgré tout », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2014.
  • Anzieu D., Le transfert paradoxal, Nouvelle revue de psychanalyse, n° 12, Gallimard, automne 1975, p. 49-72.
  • Aulagnier P., Le temps de l’interprétation, Topique, no 46, 1990, p. 173-185.
  • Aulagnier P., La Violence de l’interprétation, Paris, Puf, 2003.
  • Castoriadis-Aulagnier P., Le travail de l’interprétation, Comment l’interprétation vient au psychanalyste, Journées Confrontation, Paris, Aubier Montaigne, 1977.
  • Baldacci J.-L., Dès le début… l’interprétation, in Chervet B. (dir.), L’Interprétation, Paris, Puf, « Monographies et Débats de psychanalyse », 2012.
  • Barazer C., Injure et transfert : à propos de la notion de régression de l’acte à la pensée dans la névrose de contrainte, « Le primitif », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2007.
  • Beetschen A., Un accomplissement dans la pensée, « La conviction », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2015.
  • Beetschen A., Ruptures et sexualité infantile : la condition du fantasme, Bulletin de la FEP, no 68, 2014.
  • Beetschen A., Quels buts pour l’interprétation du rêve, Libres Cahiers, 2013.
  • Benjamin W., La tâche du traducteur, Œuvres, I, Paris, Gallimard, « Folio », 2000.
  • Benveniste E. (1956), Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne, La Psychanalyse, 1, Paris, Tchou, 2001.
  • Bonnefoy Y., Préface à Hamlet, Le Roi Lear, Paris, Gallimard, « Folio », 1978, p. 20.
  • Bonnefoy Y., Le Lieu d’herbes, Paris, Galilée, 2010.
  • Botella S. et C., Figurabilité et régrédience, Revue française de psychanalyse, t. LXV, no 5, 2001.
  • Botella C., La Figurabilité psychique, Paris, In Press, 2007.
  • Chabert C., La belle freudienne. Le transfert : croyance, tentation ou trahison ?, Revue française de psychanalyse, t. LXXVII, no 3, 2013.
  • Chabert C., Féminin mélancolique, Paris, Puf, 2003.
  • Chauvel P., Interprétation dans le rêve et dans la cure, in Le Guen C. (dir.), Dictionnaire freudien, Paris, Puf, 2008.
  • Chervet B., Le présent, une qualité psychique : éléments pour une métapsychologie de la conscience, Revue française de psychanalyse, t. LXXVIII, no 4, 2014.
  • Clerc D., L’écoute de la parole, Revue française de psychanalyse, t. LXXI, no 5, 2007.
  • Clerc D., L’absurde, condition du pacte, « Le fil d’Œdipe », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2012, p. 105-112.
  • Coblence F., Donnet J.-L., Argument. La psychanalyse et la réflexivité, Revue française de psychanalyse, t. LXXVI, no 3, 2012.
  • Dagen P., Bonjour les dégâts, Le Monde, 21 mai 2016.
  • Danon-Boileau L., Tamet J.-Y. (dir.), Des psychanalystes en séance. Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine, Paris, Gallimard, « Folio », 2016.
  • Urtubey L. (de), Pragier G., Wainrib S. (dir.), Interprétation I, Paris, Puf, « Monographies de psychanalyse », 1999.
  • Urtubey L. (de), Interprétation II, Paris, Puf, « Monographies de psychanalyse », 1999.
  • Delourmel C., De la fonction du père au principe paternel, Revue française de psychanalyse, t. LXXVII, no 5, 2012.
  • Didi-Huberman G., Sortir du Noir, Paris, Minuit, 2015.
  • Donnet J.-L., La Situation analysante, Paris, Puf, 2005.
  • Donnet J.-L., Dire ce qui vient, Paris, Puf, 2016.
  • Donnet J.-L., L’agir de parole, Des psychanalystes en séance. Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine, Paris, Gallimard, « Folio », 2016.
  • Eoche-Duval B., L’analyste et son acte de parole, Bulletin de la SPP, no 65, 2003.
  • Eoche-Duval B., Le « langage » des fleurs, Revue française de psychanalyse, t. LXXI, n° 5, 2007.
  • Eoche-Duval B., Vies amoureuses, Libres cahiers, no 25, 2012.
  • Faimberg H., Listening to Listening, IJPA, vol. 77, no 4, 1996.
  • Fédida P., Une part maudite, Comment l’interprétation vient au psychanalyste, Paris, Aubier Montaigne, Journées Confrontation, 1977, p. 77-81.
  • Fédida P., Le contre-transfert en question, Psychanalyse à l’université, vol. 11, no 41, 1986.
  • Fédida P., Crise et Contre-transfert, Paris, Puf, 1992.
  • Fédida P., Par où commence le corps humain. Retour sur la régression, Paris, Puf, « Petite bibliothèque de psychanalyse », 2000.
  • Fédida P., Du rêve au langage, Psychanalyse à l’université, vol. 10, no 35, 1985, p. 5-34 ; Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2007.
  • Fédida P., La sollicitation à interpréter, L’Écrit du temps, no 4, 1983, p. 5-19 ; Ouvrir la parole, Paris, Mjw Fédition, 2014.
  • Freud S. (1900a), L’interprétation du rêve, OCF-P, IV, Paris, Puf, 2003.
  • Freud S. (1901a), Du rêve, OCF-P, V, Paris, Puf, 2012.
  • Freud S. (1910b), Les chances d’avenir de la thérapie psychanalytique, OCF-P, X, Paris, Puf, 1993.
  • Freud S. (1910e), Du sens opposé des mots originaires, OCF-P, X, Paris, Puf, 1993, p. 165-176.
  • Freud S. (1910k), De la psychanalyse sauvage, OCF-P, X, Paris, Puf, 1993, p. 205-213.
  • Freud S. (1911b), Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique, OCF-P, XI, Paris, Puf, 1998.
  • Freud S. (1912b), Sur la dynamique du transfert, OCF-P, XI, Paris, Puf, 1998.
  • Freud S. (1912e), Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique, OCF-P, XI, Paris, Puf, 1998, p. 143-155.
  • Freud S. (1913c), Sur l’engagement du traitement, OCF-P, XII, Paris, Puf, 2005.
  • Freud S. (1913j), L’intérêt que présente la psychanalyse, OCF-P, XII, Paris, Puf, 2005.
  • Freud S. (1914g), Remémoration, répétition et perlaboration, OCF-P, XII, Paris, Puf, 2005.
  • Freud S. (1915a), Remarques sur l’amour de transfert, OCF-P, XII, Paris, Puf, 2005.
  • Freud S. (1917d [1915]), Complément métapsychologique à la doctrine du rêve, OCF-P, XIII, Paris, Puf, 1988.
  • Freud S. (1918b [1914]), À partir de l’histoire d’une névrose infantile, OCF-P, XIII, Paris, Puf, 1988.
  • Freud S. (1920g), Au-delà du principe de plaisir, OCF-P, XV, Paris, Puf, 1996.
  • Freud S. (1923b), Le Moi et le Ça, OCF-P, XVI, Paris, Puf, 1991.
  • Freud S. (1925a), Note sur le Bloc magique, OCF-P, XVII, Paris, Puf 1992.
  • Freud S. (1925h), La négation, OCF-P, XVII, Paris, Puf, 1992.
  • Freud S. (1927a), La question de l’analyse profane, entretien avec un homme impartial, OCF-P, XVIII, Paris, Puf, 1994.
  • Freud S. (1930a), Le malaise dans la culture, OCF-P, XVIII, Paris, Puf, 1994.
  • Freud S. (1933a [1932]), Révision à la doctrine du rêve, Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, OCF-P, XIX, Paris, Puf, 1995.
  • Freud S. (1937d), Constructions dans l’analyse, OCF-P, XX, Paris, Puf, 2010.
  • Freud S. (1940a [1938]), Abrégé de psychanalyse, OCF-P, XX, Paris, Puf, 2010.
  • Freud S. (1942a [1905-1906]), Personnages psychopathiques à la scène, OCF-P, VI, Paris, Puf, 2006.
  • Freud S. (1950c [1895]), Lettre 112, 6 décembre 1896, Lettres à Wilhelm Fliess : 1887-1904, Paris, Puf, 2006.
  • Foucault M., Ceci n’est pas une pipe, Paris, Fata Morgana, 1986.
  • Gantheret F., Incertitude d’Éros, Paris, Gallimard, 1984.
  • Gantheret F., L’originaire : la métaphore inaccomplie, Psychanalyse à l’université, vol. 14, no 55, 1989.
  • Gantheret F., Moi, Monde, Mots, Paris, Gallimard, 1996.
  • Gomez Mango E., Un muet dans la langue, Paris, Gallimard, 2009.
  • Green A., Que sont les formes ? Revue française de psychanalyse, t. LXV, no 5, 2001, p. 1121-1127.
  • Green A., Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, Paris, Puf, 2002.
  • Green A., Psychanalyse et théories du langage : hésitations et conclusions, Du signe au discours, Paris, Ithaque, 2011, p. 129-134.
  • Gribinski M., Les scènes indésirables, Humain/déshumain, Pierre Fédida, la parole de l’œuvre, Paris, Puf, 2007.
  • Gribinski M., Les Scènes indésirables, Paris, L’Olivier, 2009.
  • Gribinski M., Deviner à peu près, Revue française de psychanalyse, t. LXVIII, no 3, 2004.
  • Guégan J.-H., Le baquet, Des psychanalystes en séance. Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine, Paris, Gallimard, « Folio », 2016.
  • Guyomard P., Je vous ai compris !, Comprendre en psychanalyse, Paris, Puf, 2012.
  • Hirt J.-M., Roso/Artaud : L’envers du psychanalyste, « Guy Rosolato », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2016.
  • Kahn L., L’action de la forme, et L’hallucinatoire, la forme, la référence, Revue française de psychanalyse, t. LXV, no 5, 2001.
  • Kahn L., La première forme, « Le Primitif », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2007.
  • Kahn L., L’Écoute de l’analyste. De l’acte à la forme, Paris, Puf, 2012.
  • Kahn L., L’inconscient, un concept limite, Cahiers philosophiques, 2006.
  • Lacan J., La signification du phallus dans la cure, « Les formations de l’inconscient », Le Séminaire livre V, Paris, Le Seuil, 1998.
  • Lacan J., Le Séminaire. Les Psychoses, Paris, Le Seuil, 1981.
  • La Gorce B. (de), J’ai choisi la liberté, discussion par C. Chabert, Un serviteur en quête de liberté, Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2017, (à paraître).
  • Laplanche J., Pontalis J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Puf, 1967.
  • Laplanche J., La tâche pratique, Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, Puf, « Quadrige », 1994.
  • Laplanche J., Le Primat de l’autre en psychanalyse, Paris, Champ Flammarion, 1997.
  • Laplanche J., L’interprétation entre déterminisme et herméneutique – une nouvelle position de la question, Le Primat de l’autre en psychanalyse, Paris, Champ Flammarion, 1997.
  • Laplanche J., Entre séduction et inspiration : l’homme, Paris, Puf, « Quadrige », 1999.
  • Laplanche J., Sexual, Paris, Puf, « Quadrige », 2007.
  • Lavie J.-C., Qui-je ?, Paris, Gallimard, 1985.
  • Leclaire M., Scarfone D., Vers une conception unitaire de l’épreuve de réalité, Revue française de psychanalyse, t. LXIV, no 3, 2000.
  • Lygre A., Rien de moi, Paris, l’Arche, 2013.
  • Lyotard J.-F., Réécrire la modernité, L’Inhumain, Paris, Galilée, 1988.
  • Lyotard J.-F., Discours, Figure, Paris, Klincksiek, 1971.
  • Mannoni O., La désidentification, Un si vif étonnement, Paris, Le Seuil, 1988, p. 119-136.
  • Margueritat D., Actes en scène, « L’acte », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2012.
  • Michaud P.-A., Aby Warburg et l’image en mouvement. Préface de G. Didi-Huberman, Paris, Macula, 1998.
  • Mérot P., Le signifiant de démarcation, Des psychanalystes en séance. Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine, Paris, Gallimard, « Folio », 2016.
  • Mouawad W., Une chienne, Arles, Actes Sud-Papiers, 2016.
  • M’Uzan M. (de), La bouche de l’inconscient, Nouvelle revue de psychanalyse, no 17, 1978.
  • Parsons M., La désidentification œdipienne : au nom du fils, au nom de la fille, « Le fil d’Œdipe », Paris, Puf, p. 53-67, Annuel de l’APF, 2012.
  • Ponge F., La Rage de l’expression, Paris, Gallimard, 1976.
  • Entretiens de F. Ponge avec P. Sollers, Paris, Gallimard-Seuil, 1970.
  • Pontalis J.-B, Interpréter en analyse, Bulletin de l’Association psychanalytique de France, no 5, 1969.
  • Pontalis J.-B, Entre le rêve et la douleur, Paris, Gallimard, 1977.
  • Pontalis J.-B., La Force d’attraction, Paris, Le Seuil, 1990.
  • Rolland J.-C., Différend, conversion, interprétation, Guérir du mal d’aimer, Paris, Gallimard, 1998.
  • Rolland J.-C., Du rêve au mot d’esprit, la fabrique de la langue, Guérir du mal d’aimer, Paris, Gallimard, 1998.
  • Rolland J.-C., Charmes de l’analogie, Avant d’être celui qui parle, Paris, Gallimard, 2006.
  • Rolland J.-C., Image, Avant d’être celui qui parle, Paris, Gallimard, 2006.
  • Rolland J.-C., Quatre essais sur la vie de l’âme, Paris, Gallimard, 2015.
  • Rosolato G., Comment s’isolent les signifiants de démarcation, « Le langage malgré tout », Paris, Puf, Annuel de l’APF, 2014.
  • Rosolato G., L’oscillation métaphoro-métonymique, La Relation d’inconnu, Paris, Gallimard, 1978.
  • Roussillon R., Colloque du CRPPC, 2012.
  • Roussillon R., L’associativité, Clinique de la psychanalyse, Libres cahiers pour la psychanalyse, no 20, 2009.
  • Sala A., Ravel, Ravel, Unravel, Paris, Manuella éditions, 2013.
  • Scarfone D., L’Impassé, actualité de l’inconscient, Revue française de psychanalyse, t. LXXVIII, no 5, 2014,
  • Scarfone D., Quartiers aux rues sans nom, Paris, L’Olivier, 2012.
  • Séchaud E., L’urgence interprétative, Revue française de psychanalyse, t. LXI, no 5, 1997.
  • Séchaud E., Le maniement du transfert dans la psychanalyse française, L’Année psychanalytique internationale, no 1, 2009.
  • Smirnoff V., Du style dans l’interprétation, Un Promeneur analytique, Paris, Calmann-Lévy, 1990.
  • Szweg G., Les identifications à l’œuvre dans l’interprétation, Discussion du rapport de Brigitte Eoche-Duval, Revue française de psychanalyse, t. LXXXI, no 5, 2017.
  • Strachey J. (1934), La nature de l’action thérapeutique de la psychanalyse, Interprétation I, Paris, Puf, « Monographies de psychanalyse », 1999.
  • Suchet D., Un commencement sexuel, Revue française de psychanalyse, t. LXXIX, no 5, 2015.
  • Tamet J.-Y., La psychanalyse est avant tout un art de l’interprétation, Libres cahiers pour la psychanalyse, no 27, 2013.
  • Troisier H., Piera Aulagnier, Paris, Puf, 1998.
  • Widlöcher D., Les Nouvelles Cartes de la psychanalyse, Paris, Odile Jacob, 1996.
  • Winnicott D.W., Jeu et Réalité, Paris, Gallimard, 1971.

Notes

  • [1]
    A. Sala, Ravel, Ravel, Unravel, Pavillon allemand, Biennale de Venise, Paris, CNAP, Manuella 2013.
  • [2]
    S. Freud, lettre 112, 6 décembre 1896, Lettres à W. Fliess, Paris, Puf, p. 265. (Les fueros ou survivances dans le psychisme de processus d’excitation selon des lois psychologiques en vigueur à la période psychique précédente).
  • [3]
    Hölderlin, Œdipe le tyran, Théâtre de la ville de Paris, novembre 2015.
  • [4]
    J.-F. Lyotard forge ce concept de figural dans son rapport à la figure et au figuratif. Il rappelle « la connivence radicale de la figure et du désir », et conceptualise les trois figures qui appartiennent à l’espace figural, l’image, la forme, la matrice. Cet espace se singularise par sa fécondité, c’est un espace ouvert au processus à l’œuvre, espace de l’inconscient et de l’expression d’une réalité en excès et en débordement sur l’ordre discursif ou intelligible.
  • [5]
    À paraître, Annuel APF, 2017.
  • [6]
    Entretiens de F. Ponge avec P. Sollers, Paris, Gallimard, 1970.
  • [7]
    F. Ponge, La Rage de l’expression, Paris, Gallimard, 1976, p. 75-95.
  • [8]
    Y. Bonnefoy, Le Lieu d’herbes, Paris, Galilée, 2010.
  • [9]
    W. Mouawad, Une chienne, Arles, Actes Sud-Papiers, 2016.
  • [10]
    A. Lygre, Rien de moi, Paris, L’Arche, 2013.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions