Notes
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[1]
On se souvient de la note des Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique (Freud, 1911b), selon laquelle l’idée d’un fonctionnement originel entièrement dominé par le principe de plaisir est une fiction sauf si on y ajoute les soins de la mère.
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[2]
En particulier l’inversion, qui revient à prendre le contrepied systématique de l’expression du patient, comme le critiquera Anzieu.
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[3]
Concrétude sur laquelle repose l’« expérience agie partagée » décrite par les rapporteurs du CPLF de 2002 (Dispaux, 2002) (Godfrind, Haber, 2002).
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[4]
Du moins quant à son appropriation : cela ne contredit pas le fait que l’enfant est aussi d’emblée baigné de langage, traversé par l’organisation symbolique. Les objets concrets que l’enfant manipule sont inscrits dans le langage, mais leur matérialité est indispensable à son activité psychique.
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[5]
Catherine Chabert (Chabert, 1999) a montré combien c’est à l’articulation, dans le transfert, du fantasme masochiste, du masochisme féminin et du masochisme moral que peut s’ouvrir cette voie vers la passivité et les voies intérieures. Le cas clinique ci-dessous pourrait être relu dans ce sens.
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[6]
Cette articulation rejoint peut-être ce que Green entendait par processus tertiaires, cela a été signalé au cours du congrès.
Introduction
1 À la fin de son itinéraire pour décrire au plus près la vie psychique, Freud laisse très ouverte la question de la pratique. Si chaque étape de son travail permet de déduire les visées de l’interprétation, le « comment faire », encadré institutionnellement par la fondation de l’IPA, reste laissé à la recherche au contact de chaque champ clinique.
2 L’interprétation, en tant que « traversée des apparences » à partir d’un discours manifeste, est le fondement même et le sens de la psychanalyse pour l’analyste et pour le patient. C’est à partir de divers champs cliniques et anthropologiques que Freud décrit les processus psychiques et le travail de la cure, tenant ensemble la prise en compte de structures mentales de plus en plus désorganisées et la prise en compte progressive du plus désorganisé de chaque psyché. Ainsi, comme dans toute son œuvre, l’étude d’une configuration pathologique donne-t-elle accès à une approche d’un mode de fonctionnement généralisable à tout un chacun.
3 Même si dans les écrits techniques de Freud l’interprétation semble appartenir à l’analyste, dans ses récits de cure elle est manifestement partagée, dans le souci de la susciter chez le patient, de l’apprécier et de lui emboîter le pas lorsqu’elle survient… Le récit de la cure de l’Homme aux rats est à ce titre exemplaire.
4 D’où notre titre principal : Patient, et interprète. La parole de l’analyste ouvre des frayages et supporte l’actualisation par laquelle le patient devient interprète de sa conjoncture intime, puis soutient les formulations d’un devenir conscient, par lesquelles se transforme l’économie pulsionnelle.
5 Mais l’interprétation est aussi objection et exigence de travail. Si l’on envisage les conjonctures névrotiques, narcissiques et anti-traumatiques, – et cela n’épuise pas l’hétérogénéité de la clinique – à chacune d’elles correspondra un renversement vis-à-vis de la logique commune, dont l’inconscient se découvre comme un négatif. L’abandon de la neurotica renverse l’innocence névrotique qui tente de nier le désir infantile : « L’inconscient, c’est l’infantile », puis « l’inconscient, c’est le mal », dit Freud à l’Homme aux rats. Au revers du deuil quant à l’objet primitif, c’est un meurtre qui renverse la passivation persécutoire du narcissisme dépressif pour installer l’espace psychique. La découverte de la culpabilité inconsciente renverse la fatalité de la maladie en nécessité d’organisation du masochisme. L’interprétation contiendra toujours ces renversements qui la rendent nécessaire, mais selon les moments devra épouser dans diverses mesures les compromis qui en atténuent le scandale, protègent le patient d’une dénonciation qu’il n’aurait pas les moyens de soutenir.
6 Enfin, si la première démarche de Freud quant au symptôme et au rêve s’attache à défaire les fausses liaisons, c’est-à-dire les liaisons anachroniques, en comptant sur le dynamisme psychique pour que l’investissement ainsi libéré se réorganise plus heureusement, par la suite la prise en compte de la tendance régressive fondamentale qui sous-tend la vie psychique l’amènera à une visée constructive, c’est par l’établissement et l’enrichissement du domaine intermédiaire préconscient que l’investissement trouvera ses voies.
7 Nous commencerons donc par une lecture, orientée et partielle, de quelques étapes de cet itinéraire de Freud quant aux visées de l’interprétation. Nous évoquerons ensuite très subjectivement combien la vivacité du débat en France à son sujet a inspiré et inspire encore la préoccupation du fonctionnement mental de l’analyste au travail : comment l’interprétation vient au psychanalyste.
8 Mais c’est essentiellement par la clinique que nous tenterons une réflexion sur les façons dont la pensée interprétante tente d’être opérante dans la cure, dans différents cas de figure.
9 Une conjoncture purement névrotique n’existe pas, mais nous évoquerons d’abord quelques aspects du travail dans des cas où le régime habituel de la cure l’est, du fait d’une épaisseur suffisante du tissu représentatif pour que les mouvements pulsionnels se traduisent en « petites quantités ». L’analyste peut percevoir des menaces au fil de l’élaboration, mais il ne se sent pas lui-même menacé. Ses fonctions défensives réclament néanmoins un travail de dégagement pour mettre à jour ce qu’elles portent de la réalité psychique du patient qui ne parvient pas à s’actualiser directement.
10 Cet espace de la cure bien tempérée est souvent menacé et, en fait, la cure ne fonctionne pas comme cela. Lorsque la « déformation par transfert » actualise la virulence de l’inconscient, « les motions pulsionnelles ne veulent pas être remémorées, comme la cure le souhaite, mais aspirent à se reproduire… » Le transfert est frayage par la voie motrice. C’est sous l’inspiration, et les contraintes de la clinique qui s’est imposée à nous, que nous nous sommes intéressée à ces frayages de la voie motrice, qui sont multiples, dans une tentative de différenciation progressive de leurs fonctions, et de leur interprétation.
11 Le matériel clinique ici proposé choisit délibérément de suivre l’histoire clinique de façon assez fournie, même s’il s’agit d’une élaboration secondaire qui l’éloigne du foisonnement et de l’obscurité quotidiens. Nous avons dégagé rétrospectivement des moments qui nous ont semblé significatifs, laissant à l’expérience du lecteur la restitution du temps de l’opacité et de l’obtusion qu’il faut supporter tandis que s’inscrivent en latence les composants du monde intermédiaire avant de trouver leur émergence. À cette élaboration secondaire s’ajoutent les modifications liées aux exigences de la confidentialité, exigences que nous rappelons au lecteur quant à l’usage qu’il fera de ce texte.
Visées de l’interprétation chez Freud : une lecture et quelques conséquences
12 Freud découvre la conflictualité psychique à propos du symptôme hystérique (Freud, 1895d) où un désir caché s’exprime en même temps que la défense qui s’y oppose, sur la scène matérielle et relationnelle. Mais c’est sur la scène intrapsychique du rêve qu’il pourra en préciser les mécanismes, et en particulier la déformation (Freud, 1900a, ch. IV) qui rend nécessaire l’interprétation : la différence entre le contenu de rêve manifeste et le contenu latent s’explique par le phénomène de la censure, issu d’un rapport de forces que Freud décrit par analogie avec la vie politique. La force clandestine à l’œuvre dans ce rapport de forces se déduit comme désir inconscient. La description du travail du rêve montre l’indépendance de la réalité psychique vis-à-vis des évènements extérieurs et le rôle particulier du langage en son sein. En effet, le rêve suppose l’installation d’un régime de fonctionnement psychique particulier, la régression formelle, à la faveur d’une mise en latence du lien à la réalité : des images sont créées à partir des pensées inconscientes, verbales en particulier, et se composent de façon complexe. L’interprétation du rêve, qui tente de retrouver les pensées à partir des images et des associations du rêveur, c’est-à-dire du lien qu’il établit avec la vie vigile, est « le précurseur de l’introduction à la technique » (Freud, 1900a).
13 À partir de cette observation fondamentale, qui fonde la démarche interprétative, celle-ci se déclinera dans plusieurs directions, sans cesse évoquée par Freud à travers sa description du travail analytique, mais rarement pour elle-même, à part dans les écrits techniques (1915-1917). On peut cependant déduire au fil de l’œuvre freudienne les visées, les fonctions de l’interprétation, qui sont multiples. En effet, toute intervention de l’analyste est issue de la pensée interprétante qui l’habite tout au long de la cure, en même temps que d’autres modes de pensée. Ce qui caractérise la pensée interprétative est la prise en compte de l’écart entre le manifeste et le non-manifesté, que ce dernier soit refoulé comme dans la première topique ou inconscient sur un autre mode comme par la suite dans l’œuvre de Freud. Commençons par un rapide parcours, qui croise celui des enjeux de la cure.
14 La première acception de l’interprétation chez Freud est donc celle d’un procédé de traduction du sens du symptôme et des productions du patient. Mais dès les premiers écrits techniques, l’idée de traduction se module : « Une série de règles empiriquement acquises sur la façon de construire le matériel inconscient à partir des idées incidentes » (Freud, 1904a).
Exciter, actualiser, figurer
15 Dès l’abandon de l’hypnose, il s’agit d’une recherche dynamique, d’un conflit, d’un rapport de forces : « On doit reprocher à l’hypnose d’avoir recouvert la résistance et d’avoir ainsi empêché le médecin de voir clair dans le jeu des forces psychiques » (Freud, 1904a). Ce jeu est organisé par le refoulement qui « a pour moteur des sentiments de déplaisir ». C’est sous l’égide d’une lutte avec ces sentiments que la recherche commune, offensive, investigatrice, s’engage, entre analyste et patient…
16 Dans le récit de la cure de l’Homme aux rats (Freud, 1909d), les formes essentielles de l’interprétation sont déjà là, découvertes au fil de la clinique…
17 L’obsession aux rats du patient, longtemps inavouée, est le nœud figuratif qui drainera, porté par l’érotisme anal, l’ensemble des fils associatifs du conflit interne. L’intervention de Freud qui force le patient à l’aborder montre combien lui-même est impliqué dans l’actualisation. En effet, le patient vient de raconter avec une vive émotion sa rencontre avec le capitaine cruel qui a éveillé son angoisse, et, tenté de ne pas poursuivre, demande par la négative à être forcé. Freud alors à deux reprises endosse par des dénégations le rôle du capitaine : « Je l’assure que moi-même je n’ai pas la moindre inclination à la cruauté, que je ne voudrais certes pas le torturer, mais que je ne peux naturellement pas lui faire cadeau de quelque chose dont je ne dispose pas » (le dispenser de dire ses associations). Il parle alors la langue de son patient de plusieurs façons : en jouant le rôle attendu dans le scénario de confrontation à la figure paternelle cruelle, en parlant par dénégations, mais aussi en marquant sa participation à l’érotisme anal par le terme « torture » qui va au-delà de celui du patient (punition) dans l’intensité et la concrétude. En effet, son choix au début du traitement sera de dénoncer la résistance par l’atténuation et la phobie du contact, et de respecter le transfert paternel dont la méconnaissance participe de la fécondité. Il touche son patient sans vergogne, par des mots précis, mais il argumente patiemment, ce qui permet à cet homme très défendu contre la pénétration de s’approprier activement ce qu’il lui apporte. En dehors de son interprétation essentielle, répétée tout au long du traitement, sur l’existence d’une haine contre le père, Freud soutiendra sans cesse l’associativité par des questions qui visent frontalement à briser les défenses par l’imprécision ou l’omission.
18 Tout est donc déjà complexe : l’actualisation portée par le mouvement figuratif (la torture aux rats), lui-même soutenu par la dimension libidinale du transfert, est celle de tout un réseau associatif dont Freud cherche une logique « complète » selon la sexualité infantile. L’intervention interprétative qui rend compte de cette logique sera une construction : le patient aurait, à l’âge de six ans, été châtié par son père pour « quelque méfait sexuel en relation avec l’onanisme », ce qui lui aurait laissé une rancune ineffaçable envers ce père par ailleurs tendrement aimé. Cette construction suscite l’évocation de la scène de rage de l’enfant, récit familial plutôt que souvenir personnel, en partie confirmatif de la construction de Freud. On s’aperçoit alors que ce récit amène lui-même l’expression d’une construction particulièrement pertinente du patient lui-même : depuis, il aurait eu peur de sa propre pulsion. Freud résumera plus tard la première théorie de l’angoisse ainsi : « Ce dont on a peur, c’est manifestement de sa propre libido » (Freud, 1933a, 32e conférence). Cependant, la conviction quant à la haine envers le père ne s’installera que par le transfert répété et coupable des sentiments hostiles, « cette école de la souffrance », envers Freud, qui devra autoriser la répétition haineuse du patient envers lui aussi longtemps qu’il faudra pour qu’il puisse supporter de la rapporter à son origine paternelle.
19 L’interprétation sert là surtout à exciter les motions pulsionnelles liées à la configuration œdipienne pour en permettre l’actualisation… La compréhension sert de frayage. À propos de ses discussions avec le patient, Freud note : « De telles discussions n’ont jamais pour intention de susciter la conviction. Elles se proposent seulement d’introduire dans la conscience les complexes refoulés, d’attiser la controverse à leur sujet… et de faciliter l’émergence hors de l’inconscient d’un matériel nouveau. »
20 L’histoire du cas montre aussi déjà à quel point le travail de mise à jour des positions infantiles dans le transfert va de pair avec un deuil de leurs objets. La reconnaissance explicite de la passion envers le père se fonde sur tout un travail qui en réalise le deuil. La traversée topique qui installe la motion inconsciente dans une scène remémorée, organisée selon l’Œdipe, en change le statut, le mode d’investissement, la transforme en souvenir.
21 C’est encore au fil du texte clinique que prend forme et se précise l’idée du transfert sur la personne du médecin, découverte à propos de Dora, ce « gigantesque inconvénient méthodologique » (Freud, 1912b) qui devient « le levier le plus puissant du succès ». Ici, il est clairement décrit par Freud comme le moteur de ce qui sera plus tard appelé perlaboration, cette répétition obstinée dans la cure qui seule change vraiment le patient. L’interprétation selon laquelle le patient revit dans le transfert un lien au père problématique est présente à tout instant, soit endossée par Freud à travers l’actualisation transférentielle, soit formulée de façon répétée, au long cours.
Retenir dans le domaine psychique, rapporter au passé
22 C’est dans « Sur la dynamique du transfert » que Freud précise ce type particulier de frayage de l’inconscient vers la conscience :
Quand quelque chose, quoi que ce soit, issu du matériau du complexe, se prête à être transféré sur la personne du médecin, ce transfert s’instaure, fournissant la première idée incidente […] si cette idée transférentielle a pénétré jusqu’à la conscience avant toutes les autres […], c’est parce qu’elle satisfait aussi la résistance […] C’est d’abord la part du complexe apte au transfert qui se trouve poussée vers la conscience, et qui est défendue avec la plus grande opiniâtreté (Freud, 1912b).
24 Freud décrit la virulence de l’actualisation de l’inconscient à la faveur de la « déformation par transfert ». Cette virulence est liée aux caractères de l’inconscient : son atemporalité et sa capacité hallucinatoire. « Tout comme dans le rêve, le patient attribue au résultat de l’éveil de ses motions inconscientes existence au présent et réalité ; il veut agir ses passions, sans tenir compte de la situation réelle. » D’où le combat « entre médecin et patient, entre intellect et vie pulsionnelle, entre connaître et vouloir-agir… C’est sur ce terrain que doit être remportée la victoire, […] car finalement nul ne peut être abattu in absentia ou in effigie » (ibid.). Je cite volontairement ce passage au ton épique : pas d’atténuation de la gravité des dangers de l’actualisation et des enjeux de l’interprétation. « Les motions pulsionnelles ne veulent pas être remémorées, comme la cure le souhaite, mais aspirent à se reproduire… » Comme le transfert, la répétition, avec son parfum d’Erlebnis, d’expérience vécue, est l’objet d’une grande ambivalence de Freud.
25 L’observation de la répétition de transfert va ensuite s’élargir à une véritable contrainte de répétition généralisée, dans Remémoration, Répétition et Perlaboration (Freud, 1914g) : « Nous remarquons bientôt que le transfert n’est lui-même qu’un fragment de répétition et que la répétition est le transfert du passé oublié, non seulement sur le médecin, mais également sur tous les autres domaines de la situation présente. » Freud fait de cette répétition généralisée une conséquence de la technique de l’association libre opposée à l’hypnose, c’est-à-dire de l’autorisation donnée au patient de suivre dans l’associativité le mouvement de son désir.
26 On peut différencier dans le texte plusieurs modes de la répétition :
- Les expressions adressées à l’analyste dans la séance qui répètent une attitude infantile : « il ne se remémore pas le fait d’être resté arrêté, désemparé et en désaide dans sa recherche sexuelle infantile, mais il apporte tout un tas de rêves et idées incidentes confus, se lamente de ne réussir en rien… » Le discours du patient adressé à l’analyste est imprégné d’une conviction réaliste qui masque ce qu’il répète, dès le début. La pensée interprétante peut s’élargir à tout ce qui est dit.
- Les agirs du patient « dans toutes ses autres activités et relations » qui se développent à la mesure de la résistance à la remémoration. Freud précise que le contenu de cette répétition est l’ensemble de l’organisation mentale du patient, de sa conflictualité interne et de ses traits de caractère. Il s’agit dans la cure de déployer « la vraie maladie », « comme une puissance actuelle ». Le travail thérapeutique « consiste pour une bonne part à ramener les choses au passé ». C’est la deuxième fonction de l’interprétation.
28 Cette « plongée dans le souvenir » rend « l’aggravation dans la cure souvent inéluctable ». L’analyste est contraint de remarquer que c’est la part du transfert hostile ou inavouable du fait de sa valence érotique qui est à l’œuvre, et « il s’organise en vue d’un combat permanent avec le patient afin de retenir dans le domaine psychique toutes les impulsions que celui-ci voudrait orienter vers la motricité ». L’interprétation trouve ici sa troisième fonction essentielle : retenir dans le domaine psychique. Une mise en tension et une exigence adressée au patient avant même que ne soit possible un frayage de sens, et condition de celui-ci : son expression par excellence sera la formulation de la règle fondamentale.
29 Freud décrit donc bien deux espaces du travail du patient : celui qui se dit dans la séance, et celui de la dynamique entière de sa vie qui s’organise en toute méconnaissance autour des retours des contenus du passé.
30 Il faut alors préciser les implications topiques de ce deuxième espace. La vie entière du patient est couverte par la reviviscence de son infantile, en toute conviction, dans l’immédiateté de l’inconscient. La topique est brouillée, le patient agit comme dans un rêve… Cette infiltration par l’acte, la motricité, récuse l’injonction à se tourner vers le pôle régressif et la parole. La régression convoquée n’est plus celle du fonctionnement représentatif en direction du rêve, la régression formelle, mais une régression libidinale et temporelle. C’est ainsi que s’imposera peu après, dans la ressaisie des textes de la Métapsychologie, la description de l’épreuve de réalité, (Freud, 1916-1917f) qui différenciera identité de perception et identité de pensée, et anticipe le remaniement de la topique faisant du moi, auteur de l’acte, maître de la motricité, un être de méconnaissance, conscient et inconscient, soumis à des influences contrastées.
31 Une dernière remarque à propos du texte de 1914 : dans la lignée des notations anticipatrices, en décalage avec le propos principal du texte, Freud signale avec une grande netteté une différenciation entre deux sortes de processus psychiques remémorables : les expériences vécues dont l’oubli est réalisé par un « barrage » réversible, et un « autre groupe de processus psychiques », qui n’ont pas pu être oubliés car n’ont jamais été conscients auparavant : il s’agit des « actes purement internes », « fantaisies, processus de relation, motions de sentiment, corrélations ». Il nous semble que la poursuite de cette différenciation, essentielle pour comprendre la clinique non-névrotique, pourra être mise en rapport avec le degré de nécessité de la répétition agie dans la vie du patient au sein du processus de sa cure, et des attentes interprétatives alors possibles ; nous y reviendrons. Le remémorable qui n’avait jamais été oublié résonne déjà avec la question de la construction, et celle de l’après-coup.
Saisir en mots
32 La répétition agie trouble les repères, oblige à repenser les frontières entre conscient et inconscient, conscient et préconscient. Le travail de conceptualisation de la Métapsychologie va aboutir à un premier remaniement du point de vue topique qui donne toute leur importance, d’une part à la question de l’investissement, d’autre part à la question du langage : différenciation entre représentation et affect d’une part, entre représentation de chose et de mot d’autre part (Freud, 1915e).
33 La représentation est un investissement stable de traces mnésiques, l’affect est un processus d’éconduction énergétique, expression de la mobilisation de l’investissement. L’accès à la conscience ne peut plus se décrire comme un déplacement de la représentation vers la conscience, mais comme un remaniement de son investissement pulsionnel par ses liens à l’affect. Celui-ci en effet ne peut se déployer sur la scène de la conscience que s’il s’y lie à une représentation substitutive qui lui donne sa qualité : la qualification de l’affect. L’affect est une manifestation de l’actualisation souhaitable dans la cure, puisqu’il permet l’autoperception de l’intensité d’investissement au présent : l’expérience vécue. Par son intensité et son immédiateté, il est porteur de conviction, mais peut mentir car sa liaison à la représentation substitutive permet des déformations comme dans le rêve. La deuxième différenciation qui survient dans ce texte est celle du lien aux représentations de mot : la représentation de chose inconsciente saisie en mots est l’objet d’un surinvestissement qui la rend consciente. « Ce sont ces surinvestissements qui entraînent une organisation psychique supérieure, et qui rendent possible le relai du processus primaire par le processus secondaire régnant dans le Pcs ».
34 Mais, quant à la confusion qu’instaure la répétition en faisant agir l’inconscient par le patient sur la scène de la réalité extérieure, c’est en revenant à la métapsychologie du rêve (Freud, 1916-1917f) que Freud pourra établir cette institution du moi qu’est l’épreuve de réalité : c’est l’action motrice qui différencie la réalité interne de la perception. Le rêve laisse se déployer le processus primaire car le rêveur a désinvesti la conscience, la voie motrice, et par là la réalité extérieure. La répétition agie, elle, trompe l’épreuve de réalité en maintenant la conscience, ses accès à l’affect et à la motricité… On peut envisager que c’est par l’intensité d’investissement de ce « sang-mêlé » qu’est le substitut que l’épreuve de réalité est mise hors-jeu. L’enjeu de l’interprétation se décale : il s’agit de déplier successivement par sa verbalisation la part de répétition de ce qui se présente sous forme agie ou affectivée, non seulement pour le connaître, mais pour le soumettre à l’épreuve de réalité.
35 C’est ainsi que la Métapsychologie s’achève par la description du deuil : le réinvestissement détail par détail de l’objet perdu en réalise la confrontation à l’absence dans la réalité présente (Freud, 1916-1917g). Le sens latent que recherche l’écoute est celui du désir qui cherche à se réaliser in situ dans la séance, à travers sa transposition sur une scène présente, pour le « retenir » sur la scène psychique, c’est-à-dire lui réclamer le deuil de sa réalisation au profit de sa représentation. Le moment dans la séance où le patient « s’entend » est celui où il s’intéresse à sa représentation pour elle-même et non seulement en tant que moyen de réalisation. Sachant que la saisie de cette représentation elle-même est aussi une satisfaction, d’un « registre plus élevé ».
Introduire de nouvelles différences
36 Au-delà du principe de plaisir (Freud, 1920g) développe les dangers de la libération de la contrainte de répétition dans la cure, selon un point de vue économique qui remet en cause le fait jusqu’ici admis que le cours des processus dans la psyché soit automatiquement régulé par le principe de plaisir, c’est-à-dire une tendance à abaisser la tension en liant la libido présente par tous les moyens du travail psychique, primaire et secondaire. En effet, la cure fait revivre « ces expériences vécues du passé qui ne comportent aucune possibilité de plaisir ». Freud donne d’abord pour illustrer ces expériences l’exemple de la névrose traumatique, puis sa description la plus pathétique et la plus affectivée du déclin du complexe d’Œdipe du fait du dédain parental.
37 Notons ici que le texte fait se succéder sans les différencier une notion du déplaisir qualifié en affect, ressenti subjectivement de façon complexe, et une notion « physiologique » en termes de perception d’une tension participant à une régulation automatique, élémentaire, illustrée par l’exemple de la névrose traumatique. Cette condensation nous semble avoir des conséquences importantes du fait de la diversité des compréhensions qu’elle a suscitées, qui ont pu justifier des pratiques interprétatives très différentes dans les conjonctures « au-delà ».
38 On retrouve dans la description du jeu du petit enfant avec la bobine la même juxtaposition de deux ordres de processus différents. Freud considère d’abord l’acte inventé et répété par l’enfant comme tentative de maîtrise active du déplaisir, envisagé comme risque de débordement par l’excitation subie passivement, comme dans la névrose traumatique. On peut envisager que ce déplaisir-là est lié à la disparition du contre-investissement maternel aux excitations exagérées [1], et qu’alors la « grande performance culturelle » de l’invention du jeu dispense l’enfant de l’état de détresse qui aurait dû se manifester au départ de sa mère. L’absence de la mère révèle alors par l’équivalence avec la névrose traumatique ce que recouvre l’état de détresse : le traumatique d’une psyché là où la pulsion est inorganisée. On peut dire alors que par l’installation d’un procès de pensée, l’enfant peut supporter l’élévation de tension liée à l’absence de sa mère. Déjà dans ce texte est évoquée l’idée que cette élévation du niveau de tout le processus d’investissement se fait par liaison aux restes de mot – For, da ! – qui rend la pensée perceptible par la conscience. Le registre est celui, objectif, de l’économie, de la physiologie psychique, dont le texte tire sa force métapsychologique.
39 Dans un deuxième temps, Freud analyse le jeu comme vengeance adressée à l’objet dans un retournement, il s’agit de faire subir ce que l’on a subi, dans le lien objectal, en utilisant les ressources d’une sexualisation sadique. Le registre est très différent, subjectif, une liaison complexe est déjà tissée entre le vécu de détresse et l’image de l’objet, le jeu pulsionnel est organisé, dramatisé, affectivé : « Va-t’en à la guerre ! ».
40 Après avoir montré par les exemples de la névrose traumatique et du jeu comment le déplaisir peut être intégré dans le principe de plaisir par la répétition, Freud revient à des exemples tragiques de répétition dans la cure, et conclut : « Il faut avoir le courage d’admettre qu’il y a effectivement dans la vie d’âme une contrainte de répétition qui passe outre au principe de plaisir. » Ce n’est pas ici le résultat d’une inférence logique, d’un raisonnement, mais la prise en compte d’une sommation d’expériences. La formulation : « Il faut admettre » fait penser à l’installation en lui d’un renoncement quant à la puissance thérapeutique dont il ressent la nécessité pour installer un cadre de pensée plus conforme à la réalité. Le texte déploie à partir de cette constatation deux lignes opposées : celle d’une liaison possible de la compulsion de répétition dans la dynamique psychique, celle d’une puissance de déliaison intrinsèque plus originelle, plus élémentaire, plus pulsionnelle que le principe de plaisir qu’elle met à l’écart, qu’il définit parmi les processus du vivant en général.
41 Freud dégage ainsi une fonction essentielle du psychisme, « préparatoire à la domination du principe de plaisir » : la liaison des motions pulsionnelles, de façon à « transmuer » leur énergie libre, prête à se décharger, en investissement lié, « tonique ». Il lui faut imaginer alors le dispositif du pare-excitation, qui délimite un espace interne protégé où pourront s’inscrire des traces durables de l’expérience, et qui pourra se tenir à un plus haut niveau d’investissement par la liaison de l’excitation à ces traces. Le pare-excitation protège des excitations venues de l’extérieur, mais l’excitation d’origine interne peut aussi être traumatique. Les sensations de plaisir et déplaisir restent l’index des processus internes, le déplaisir est un signal de l’émergence traumatique. La conception de l’angoisse est donc à revoir. La notion de contre-investissement apparaît alors comme désignant le processus économique majeur face à l’excitation traumatique, et la contrainte de répétition trouve une fonction en créant un surinvestissement préparatoire à la liaison.
42 Freud insiste alors sur la dimension démoniaque de la contrainte de répétition, puisqu’elle éveille des traces mnésiques d’expériences vécues des temps originaires qui […] ne sont pas aptes au processus secondaire. Il avance l’idée d’une dynamique foncière de cette puissance pulsionnelle, vers le retour à l’état antérieur. Il passe ensuite par une longue méditation sur les processus du vivant pour aboutir à l’établissement de deux constatations très générales qui modifient le cadre de pensée de l’interprétation : il n’y a pour un organisme vivant aucune tendance pulsionnelle spontanée à l’évolution élaborative (la force et la quantité suivent une attraction entropique), la préservation de la vie est donc liée à une confrontation à des stimuli extérieurs « introduisant pour ainsi dire de nouvelles différences vitales ». La pulsion allant spontanément vers le nivellement et l’indifférenciation, il faut donc une autre influence sur la vie psychique, venue de l’extérieur, pour expliquer l’évolution et le maintien même de la vie. Freud propose donc une solution dans Au-delà à la dimension régressive de la pulsion : l’influence de l’extérieur. Si l’on pense que le patient cherche aussi en s’adressant à un analyste et à travers la répétition une expérience porteuse de nouvelles différences, la gravité du texte d’Au-delà n’est pas seulement un pessimisme vis-à-vis de la cure, mais il donne à celle-ci un sens plus profond, plus fondé ontologiquement, plus empreint du tragique de la condition humaine et de la valeur de la rencontre thérapeutique…
43 Restent des questions : quelle est alors l’influence extérieure qui permet la constitution et la croissance de la psyché humaine ? Comment se fait la « liaison préalable » ? Une double réponse viendra dans Le Moi et le Ça, avec des conséquences décisives quant à la représentation des enjeux de la cure.
44 Un changement s’impose donc dans la pensée de l’analyste : les expressions du patient seront toujours à prendre à la fois en tant qu’émergence de contenus déformés de l’histoire infantile portés vers l’actualisation, et en tant que compromis avec la valence « démoniaque » de celle-ci, voire parfois expression de la poussée destructrice. La pensée interprétante devra rester sur la ligne de crête entre les deux visées, tant sur le plan du sens que sur le plan économique. La préoccupation du contre-investissement vient doubler celle de l’élaboration.
45 Notons au passage ici que l’idée d’influence extérieure peut rappeler celle d’un rôle actif de l’analyste que l’abandon de l’hypnose avait récusé. L’analyse de l’Homme aux loups a anticipé cet aspect et ouvert tout le débat de la technique active. Mais quand et comment s’agit-il d’une fonction, ou d’une tentation de l’analyste ? Le débat entre Freud et Ferenczi a initié ce champ de recherches et de controverses, avec la note affectivée particulière liée au transfert douloureux de Ferenczi et à son plaidoyer pour le patient souffrant. Il se poursuit dans la psychanalyse contemporaine, en particulier sur le thème du rôle de l’objet (Roussillon, 1995). Il se complique de la condensation évoquée plus haut dans Au-delà, dont l’un des pôles met l’accent sur la liaison aux traces verbales, l’autre sur la dimension affective du transfert.
Instaurer des maillons intermédiaires préconscients
46 Le Moi et le Ça (Freud, 1923b) va poursuivre les questions posées par Au-delà, au plus près du travail analytique. La question de l’influence extérieure et celle de la liaison préalable vont déboucher sur deux notions essentielles : les traces mnésiques et l’instauration du surmoi.
47 Puisqu’il faut considérer qu’une part du moi est inconsciente sans être refoulée, la question du « rendre conscient » se pose différemment. Freud reprend de la Métapsychologie ce qui détermine la capacité de devenir conscient : le lien à la représentation de mot. Or la représentation de mot est elle-même un reste mnésique de l’entendu, issu de la perception, des expériences passées, et en particulier des paroles parentales. Freud décrit alors la transposition, qui offre un premier support à l’idée de l’utilisation de ce qui vient de l’extérieur : « En dehors des sentiments, ce qui de l’intérieur veut devenir conscient doit tenter de se transposer en perceptions extérieures. Cela devient possible par le moyen des traces mnésiques. » Les traces mnésiques, c’est-à-dire les restes de l’expérience vécue, où l’image issue de la perception peut se lier aux mots. La liaison se fera alors « en instaurant par le travail analytique de tels maillons intermédiaires préconscients ».
48 Il nous semble que les conséquences sont importantes quant aux processus à l’œuvre dans la cure. Si ce qui est opérant est la liaison par le patient, en lui, de l’investissement des traces et des mots, cela déplace la fonction de l’interprétation quant à ce travail d’inscription : seule la formulation du patient est adéquate économiquement, celle de l’analyste vise à la permettre. Les mots qui seront « trouvés » constitueront par leur lien au sensible la « matière psychique » du patient, le corps de sa psyché… La réserve interprétative trouve là une justification de taille : la verbalisation du patient a une valeur d’inscription, de liaison en soi, qu’une interprétation venue de l’analyste peut interdire. La valeur de cette inscription échappe intrinsèquement à l’analyste qui n’en connaît que ce qui lui est adressé au fil du transfert, c’est-à-dire lorsque quelque chose se fixe, s’arrête, résiste, et du contre-transfert, où certaines expressions ou images font coïncidence, rencontre.
49 Après avoir mis en évidence le rôle des traces mnésiques, Freud aborde la question de l’influence de l’extérieur une deuxième fois, sur un autre mode, à partir de la constatation de l’existence de la culpabilité inconsciente : l’extérieur, ce sont les parents, par lesquels se transpose sur une réalité accessible, historique, la culpabilité inconsciente. Il conceptualise alors le surmoi, par lequel il précise le processus identificatoire à partir des objets parentaux abandonnés, dans une formulation qui insiste sur le modèle d’une relation, d’une articulation : « un précipité dans le moi, lequel consiste en l’instauration de ces deux identifications susceptibles d’être accordées l’une à l’autre de quelque façon » (Freud, 1923b). Comme dans Au-delà, s’élaborent parallèlement le registre économique des conditions élémentaires de la vie psychique et la version objectale, affective de cette vie psychique, dans la névrose infantile.
50 On comprend alors la proximité temporelle qui lie Au-delà et la publication de L’Inquiétante Étrangeté (Freud, 1919h) : l’effacement de l’épreuve de réalité liée à la régression dans la cure permet de retrouver l’animisme de l’enfance, qui réalise une transposition sur le monde extérieur du monde interne en voie de représentation (Chervet B., 2009, 2011). Par ailleurs, la découverte du surmoi en tant qu’identification appelle la description de son échec dans Psychologie des masses et analyse du moi (Freud, 1921c), où la figure parentale tutélaire reste investie à l’extérieur, idéalisée, ce qui décrit aussi une forme du transfert : lorsque celui-ci se fixe sur la personne de l’analyste, l’interprétation devra prendre en compte la dimension meurtrière de l’identification.
Un petit morceau d’analyse du moi…
51 Dès la Métapsychologie, dans Deuil et Mélancolie, Freud entrevoit la possibilité de l’investissement massif d’une identification inconsciente contraignante issue de l’objet, peu ou mal représentée, « l’ombre de l’objet », et d’un conflit entre celle-ci et le reste du moi qui ressemble à une attaque interne de la part de cette identification (Freud, 1916-1917). Dans la mélancolie, une sexualisation de cette identification s’exacerbe sur le mode sadique envers le reste du moi : apparaît une forme du conflit interne différente de celle que suscitent les revendications pulsionnelles, le conflit narcissique, qui donnera accès au modèle de la seconde topique et de l’identification dont procède le surmoi. La difficile question de l’accès aux identifications inconscientes sera développée par Pierre Luquet (Luquet, 1962), Nicolas Abraham et Maria Torok (Abraham, Torok, 1978), Alain de Mijolla (Mijolla de, 1981), Gilbert Diatkine (Diatkine G., 1984) pour ne citer que quelques-uns des plus éminents. Il faudra s’intéresser aux conjonctures transgénérationnelles, c’est-à-dire à la réalité psychique des parents dont l’identification inconsciente reste l’empreinte. Le contexte de son interprétation sera celui d’un conflit interne marqué de sado-masochisme et de culpabilité inconsciente. On peut penser que l’aliénation par des identifications inconscientes est liée à une difficulté du processus qui instaure « ces deux identifications », autrement dit le surmoi en tant qu’instance désexualisée. La manifestation meurtrière extériorisée marque la difficulté du processus meurtrier interne quant à la présence parentale. La formulation de Freud insistant sur l’articulation de deux identifications permet d’envisager un lien entre l’organisation du fantasme de scène primitive et l’instauration du surmoi.
52 Freud ouvre en note une piste thérapeutique dans Le Moi et le Ça : lorsqu’elle est possible, c’est la reviviscence de « l’ancien investissement d’objet » qui permet son intégration. L’actualisation reste la voie royale de l’élaboration psychique que permet la cure.
53 Par la suite, Freud est confronté à l’hétérogénéité du moi sur un autre mode, lorsque celui-ci s’est clivé sous la pression de circonstances traumatiques : « Il sera possible au moi d’éviter la cassure […] en se déformant lui-même, en consentant aux pertes quant à son caractère unitaire, éventuellement même en se fissurant ou se divisant » (Freud, 1924b). Notons qu’il met cette fragmentation au compte des moyens utilisés pour ne pas tomber malade : la « normalité » est compatible avec des amputations et des troubles sévères du moi. Il proposera un modèle du clivage à valeur universelle, œdipien : le traumatisme inaugural est la perception de la castration (Freud, 1940e), le choix de ne rien perdre en déniant et reconnaissant simultanément la réalité de la castration se paye « d’une déchirure dans le moi, déchirure qui ne guérira plus jamais, mais s’agrandira avec le temps » : tout le développement se fera sur deux lignées contradictoires en même temps, non conflictualisées, se renforçant l’une l’autre. Le modèle s’élargira, à partir de Ferenczi, aux clivages intranarcissiques liés à des traumatismes plus précoces.
54 Le transfert aussi se fragmente. Les troubles de la pensée ne seront plus seulement les symptômes de l’association libre par lesquels s’exprimait le refoulé. Ils reflètent l’absence de liaison entre des registres d’expérience qui s’actualisent dans le même temps. C’est souvent par un trouble de sa propre pensée et de sa position affective que l’analyste sera confronté à cette réalité particulière et déstabilisante. Un travail d’élaboration d’un seul des registres de fonctionnement du patient participe à faire de la fracture un précipice… Par quelles voies penser cette organisation aussi stable que délabrante ? Est-il possible de la « défaire » ? Dans Analyse finie et infinie, (Freud, 1937c) Freud tente d’évaluer les chances de l’analyse, il considère la présence de clivages, et plus largement de modifications du moi comme péjorative, sauf lorsqu’on peut accéder à un traumatisme historique, qui permet de modifier le « choix » qui a été fait au temps du traumatisme. Là encore, seule la réactualisation qui permet de reprendre l’investissement « en grandeur réelle » des objets psychiques impliqués est la voie d’un changement possible. Freud conçoit le traumatisme comme un événement, il sera par la suite aussi envisagé comme conjoncture durable : celle de la réalité psychique des parents éprouvée répétitivement au fil du temps.
55 Quelles que soient les formes du moi, l’analyse devra osciller constamment « d’un petit morceau d’analyse du ça à un petit morceau d’analyse du moi ». Le ça ne cherche qu’à se manifester par toutes les voies possibles, mais le moi se défend, attaché à des résistances inconscientes qu’il ressent comme faisant partie de son intégrité : l’analyste devient « un étranger » dans ce conflit identitaire. Si l’angoisse est le risque et le passage obligé de l’analyse du refoulé, la haine est celui de l’analyse du moi, jusqu’au transfert négatif. La pensée kleinienne sera particulièrement attentive à l’interprétation de ce transfert dont elle fait un essentiel de la cure.
Corriger après-coup le refoulement originel
56 Dans Analyse finie et infinie (Freud 1937c), la visée de l’analyse s’élargit encore : « La correction après-coup du processus de refoulement originel, laquelle met fin à la puissance excessive du facteur quantitatif, serait donc l’opération proprement dite de la thérapie analytique. » Il s’agit donc de mieux installer le refoulement originaire. La préoccupation d’Au-delà quant au pare-excitation, à la quantité traumatique, et à l’élévation nécessaire de l’investissement énergétique lié pour faire de l’appareil psychique un espace suffisamment protégé se poursuit.
57 « Le problème économique du masochisme » (Freud, 1924c) donne avec la coexcitation libidinale un exemple princeps des processus de cette consolidation après-coup : effet marginal de tout processus d’investissement significatif, elle permet de lier la dimension pulsionnelle destructrice, en constituant le masochisme érogène. Au carrefour somatopsychique, le masochisme érogène supporte la forme passive et réfléchie des fantasmes et constitue le socle de l’investissement de l’espace psychique. Son fonctionnement permet que la vie psychique supporte la mise en tension, et puisse tolérer des évènements psychiques intenses. Il est ainsi une condition de la cure, et l’interprétation devra mesurer l’excitation qu’elle suscite selon ses capacités. Mais sa consolidation est aussi un fruit de la cure, dont une autre butée sera le refus de la féminité, de la réceptivité.
58 Ainsi Freud conclut-il dans Analyse finie, modestement, à un but limité de l’analyse : « L’analyse doit instaurer les conditions psychologiques les plus favorables aux fonctions du moi. » On entrevoit à travers les contradictions du texte l’immense complexité et le paradoxe du travail analytique, puisque son seul outil reste la parole, c’est-à-dire un accès par les petites quantités à cette réalité psychique qui la déborde de toutes parts, que ce soit sur un mode organisé ou chaotique… Son champ reste bien « l’instauration de maillons intermédiaires préconscients ». En effet, dans le même temps qu’Analyse finie, Freud écrit Constructions dans l’analyse (Freud, 1937d), qui reprend la question de la méthode interprétative dans ce champ de la pensée et du préconscient.
Construire
59 La construction, que Freud définit tardivement (Freud, 1937d), est un raisonnement qui articule une temporalité et une causalité. C’est une hypothèse quant à la réalité psychique du patient en tant qu’elle s’est organisée selon la diachronie, en deux temps, des évènements psychiques historiques. La causalité qu’elle met en jeu est ainsi différente de la logique des théories sexuelles infantiles, elle dit la prise en compte de la réalité traumatique et ses conséquences. La construction-type que Freud évoque met en lien le temps de l’illusion narcissique et œdipienne de l’enfant avec le temps de la déception exigée par la réalité, ici celle de la naissance du puîné. Elle se dit en des termes analogues à celle du clivage du moi, mais contrairement à celle-ci elle articule les modes de fonctionnement psychique hétérogènes qui sont restés témoins du temps traumatique, l’un qui le refuse et conserve l’illusion, l’autre qui l’admet et s’organise par un deuil. Elle tente un frayage entre les deux, au profit du second. L’affect de déception et ses variantes est une voie possible de ce frayage (Suchet, 2015).
60 Le texte de « Constructions » récapitule la question de l’interprétation en décrivant le travail analytique comme un processus en trois temps, quel que soit le mode de retour du matériel historique : l’analyste construit une hypothèse du passé et la communique au patient, cette hypothèse produit des effets chez celui-ci, une prise de position quant à ces effets, et l’apparition de nouveau matériel qui permet une construction élargie, et ainsi de suite. Dans le compromis entre retour des contenus et résistance, la construction de l’analyste est ainsi une force d’appoint à la poussée vers le haut du contenu historique. C’est à ce propos aussi que Freud précise fermement que « le travail analytique consiste en deux parties entièrement distinctes, qu’il s’effectue sur deux scènes séparées et concerne deux personnes dont chacune est chargée d’une tâche différente ».
Comment l’interprétation vient au psychanalyste
61 L’article de référence de James Strachey (Strachey, 1934), traduit en 1970 par Christian David, met en évidence ce qui a été retenu de Freud quant à la pratique par la première génération d’analystes : une lecture des articles techniques des années 1915-1917 très orientés vers le savoir-faire de l’analyste en fonction du transfert, et de la partie de la deuxième topique assimilable, selon les propres termes de Freud, à une « psychologie du moi » : la différenciation ça/moi/surmoi. Le surmoi y est représenté, en lien avec la théorisation contemporaine de Melanie Klein, comme un objet introjecté, fait d’imagos anachroniques de différentes époques, et susceptible de se modifier au cours de la cure par un jeu de projection/introjection. Le but de l’analyse est une modification du surmoi permettant au moi une meilleure appréciation de la réalité, plus bienveillante, marquée de génitalité. La conception du transfert s’organise autour de l’idée que l’analyste est l’objet des pulsions du patient, et que le point d’urgence qui rend l’interprétation pertinente, « mutative », est lié à une mise en tension pulsionnelle par le patient, en petite quantité, à propos d’un contenu précis, qui sera signalé par l’analyste. Dans un deuxième temps, c’est un travail de discernement du moi du patient qui permet la différenciation entre le contenu anachronique et la réalité. L’interprétation peut être implicite, l’analyste se bornant alors à faciliter ce processus pour le patient.
62 Cette conception datée contient cependant avec la notion de point d’urgence une position essentielle qui reste la condition de toute interprétation : c’est l’investissement pulsionnel du patient, son mouvement transférentiel, qui inaugure et autorise l’interprétation. C’est l’actualisation, avec sa force de mobilisation pulsionnelle, qui est le moteur dynamique de la cure.
63 Le rapport de Didier Anzieu au congrès des langues romanes de 1970 marque un premier écart avec cette conception de l’interprétation. Il différencie l’interprétation au sens de L’Interprétation du rêve, la Deutung, théorisée dans les textes précoces de Freud, du travail de modification de l’économie pulsionnelle actualisée dans le transfert à laquelle il rattache l’interprétation mutative de Strachey. Il envisage déjà que l’interprétation inspirée par les mécanismes du rêve fasse appel à la régression formelle de l’analyste, sans en ouvrir la description. Mais il insiste sur le fait que l’agent de la cure est la conscience, le terme de « clarification » revient souvent sous sa plume. L’interprétation visera une mutation des investissements d’objets drainés par les identifications imaginaires.
64 Sa sensibilité d’analyste traverse cette théorisation pour nous donner des formulations dont deux sont restées dans notre patrimoine commun : l’idée de l’analyste interprète de la réalité psychique au sens musical ou théâtral : l’interprétation cherche à faire résonner ce que le patient ne connaît pas de lui-même pour le lui faire entendre. Et l’idée proche que l’interprétation est d’abord un accusé de réception de ce que l’analyste a entendu : l’interprétation qui reçoit, plutôt que de chercher à fournir un sens.
65 Par la suite, en France, une préoccupation quant à la voie régrédiente s’impose, vigoureusement, à partir de Lacan. Dans le même mouvement qu’il fustige la confusion entre la scène de la réalité psychique dans la cure et celle des représentations réalistes de la vie du patient, celui-ci affirme en réouvrant le texte de L’Interprétation du rêve le rôle du langage et de la régression formelle (Lacan, 1953, 1954). Ainsi seront liées pour longtemps l’exigence de complexité de la pensée analytique et de réouverture du texte freudien, et la question du langage qu’il rendra exclusive.
L’interprétation est un rejeton de l’inconscient
Un processus en trois temps : Lacan
66 Nous devons à l’influence de Lacan la mise en évidence d’un processus interprétatif chez l’analyste en voies longues, et en trois temps, régrédient et progrédient séparés par un hiatus, ouvrant à la nouveauté d’un après-coup. Sa description du parcours du refoulé à travers l’appareil psychique de l’analyste oppose un argument décisif à une attitude interprétative communément répandue alors. Le débat est encore d’actualité puisqu’il s’agit de la conception de l’interprétation envisagée dans le champ intersubjectif (Kahn, 2014), et d’une pratique de l’interprétation du transfert inspirée de certaines des indications techniques de Freud, mais appauvrie par une décontextualisation de l’ensemble de sa pensée, et amputée du plus vif de L’Interprétation du rêve. Il s’agit surtout de sa limitation à un hic et nunc entre patient et analyste qui rapporterait les expressions transférentielles du patient à une position fantasmatique qu’il s’agirait de confronter à la « réalité ». La séance est alors considérée comme une scène intersubjective où l’analyste est un objet pour le patient : « Une interprétation d’égo à égo, ou d’égal à égal, c’est-à-dire dont le fondement et le mécanisme ne peuvent être distingués en rien de celui de la projection » (Lacan, 1954).
67 Il met alors en valeur la dimension d’expérience de la Parole dans l’analyse, qui « se porte tout entière sur le versant où elle s’accroche à l’autre » au moment où se manifeste la résistance, c’est-à-dire le refus du sens du symptôme. Il reprend en cela la remarque de Freud en 1912 sur la survenue du transfert comme résistance. Le but de l’analyse sera alors l’assomption de ce sens, c’est-à-dire son acceptation au sein du moi : c’est sa traduction elle-même dans la parole qui en modifie le statut. La parole de séance est révélation du sujet à lui-même, plus qu’expression pour un autre, intégration symbolique du refoulé plutôt que reconnaissance imaginaire.
68 Cela modifie radicalement la conception de l’interprétation : ce qu’entend l’analyste de l’expression du patient est alors une forme inversée du contenu inconscient que celui-ci rejette, qui peut y donner accès par le travail du langage qu’elle présente, mais en aucun cas par une compréhension sur le mode identificatoire. L’interprétation se fait dans la ligne de l’interprétation du rêve comme rébus, et non comme scénario directement accessible. La place de l’analyste dans le dispositif est alors celle de l’image virtuelle, ce qui met en évidence, même si on ne suit pas Lacan dans la prévalence accordée au registre spéculaire [2], la nécessaire discrétion subjective de celui-ci.
69 Le débat de 1976 dont les actes ont été publiés sous le titre Comment l’interprétation vient au psychanalyste (Major, 1977) est empreint de la terminologie de ce moment lacanien, mais les deux rapports qui l’inaugurent différencient à propos du travail préconscient de l’analyste deux accents qui n’ont rien perdu de leur pertinence pour décrire une démarche interne entièrement compromise dans le processus : la voie régrédiente au contact de l’inconscient et du perceptif avec René Major, la voie progrédiente élaborant une pensée avec Piera Aulagnier. Dans les deux cas, le processus interprétatif se déroule en deux temps séparés par un hiatus, une crise.
70 Major s’inspire du modèle de Lacan. Attentif au processus primaire partagé entre analyste et patient, il décrit l’interprétation comme un processus fondé sur les pensées de liaison qu’élabore l’analyste au contact de ses perceptions (corporelles en particulier), éveillées par la représentation inconsciente qui manque au discours du patient. Par l’effet du transfert, cette représentation de désir se manifeste chez l’analyste sous forme d’un fantasme inconscient où il est lui-même impliqué. Selon une voie réfléchie, ce fantasme apparaît sous forme de représentations visuelles chez l’analyste, son implication est devenue indéterminée. Surgit alors, à la faveur d’un pont verbal, d’une métaphorisation, son rejeton interprétatif adressé au patient.
71 Major insiste sur le temps suspensif que réclame ce processus, où il s’agit pour l’analyste de parcourir la voie régrédiente, « sans aller toutefois jusqu’à la reviviscence hallucinatoire », de laisser s’installer un « investissement narcissique du fantasme dramatisé en une scène visuelle », avant que s’amorce le « mouvement progrédient ». Il s’agit d’un « inter-prêt » psychique supposant de « quitter la place illusoire de sujet de l’énonciation », soit une disponibilité au processus primaire. Cet inter-prêt intègre les images cénesthésiques et motrices du lieu intermédiaire ainsi créé, s’écartant ainsi du registre spéculaire.
72 L’année 1976 fut féconde : les textes rassemblés dans la Rfp la même année sur le contre-transfert enrichissent les lignées de réflexion sur le fonctionnement mental de l’analyste au plus près de ce débat. On verra combien ces ouvertures se sont par la suite développées dans plusieurs voies pour penser la clinique non-névrotique et la dimension non-névrotique de toute clinique. Commençons par celles qui s’intéressent à la voie régrédiente.
La voie régrédiente… jusqu’au trauma ?
73 Michel de M’Uzan (M’Uzan de, 1976) décrit des états de séance où la régression formelle chez l’analyste s’accentue jusqu’à permettre l’irruption d’images sur le mode hallucinatoire, dotées de conviction en identité de perception. Cette régression jusqu’à l’hallucinatoire, et qui s’y arrête, permet d’aborder un contenu que l’auteur considère comme appartenant au patient. Un travail de liaison donne ensuite accès au souvenir historique qui lui correspond, développant ainsi l’idée d’inter-prêt psychique.
74 Sára et César Botella (Botella, 2001 ; 2007) poursuivront cette voie d’exploration de l’hallucinatoire en séance. L’ouverture de la voie régrédiente jusqu’à l’hallucinatoire suppose une régression chez l’analyste à un fonctionnement où les zones érogènes et la différenciation moi non-moi ne sont pas opérantes, s’il supporte ce trouble de ses limites. La mise à l’écart de l’épreuve de réalité, comme dans le sommeil, favorise une conviction en identité de perception quant à la vérité historique du contenu ainsi figuré. Suivant la remarque de Freud selon laquelle le rêve permet l’accès à des contenus antérieurs à l’acquisition du langage, inaccessibles par le souvenir, l’analyste rêve la « mémoire sans souvenirs » du patient. C’est par l’analyse de son rêve qu’il pourra formuler une interprétation destinée au patient. Il permet ainsi à une réalité traumatique de s’inscrire dans l’espace représentatif de la séance sans le menacer.
75 L’arrêt de la régression par la survenue hallucinatoire est protecteur du fonctionnement de la séance dont elle ne remet pas en cause le mouvement « à rebours ». La satisfaction hallucinatoire étaye en retour la régression formelle de l’analyste dont elle est issue, l’événement psychique reste sur la scène mentalisée d’une séance qui fonctionne comme le rêve. On peut penser que dans d’autres cas, c’est aussi lorsque la régression s’accentue en direction du traumatique que survient l’agir, rétablissement par la voie motrice, disruptive, plus proche de la répétition traumatique (Donnet, 2002).
Désir et identification hystérique
76 Avec des présupposés très différents quant à la distinction des deux scènes de la cure, Denise Braunschweig et Michel Fain (Braunschweig, Fain, 1976) développent la notion déjà avancée par Braunschweig (Braunschweig, 1971) de l’identification hystérique de l’analyste à son patient, identification hystérique qui constitue l’origine même de la formulation de l’interprétation : celle-ci est issue d’un mouvement inconscient de l’analyste lié à ses propres traces mnésiques et mettant en jeu son désir. En effet, l’énoncé de la règle fondamentale suppose d’emblée qu’un fantasme originaire de séduction de l’enfant par l’adulte prend forme et conditionne le cadre du traitement, autant chez l’analyste que chez le patient. La névrose de transfert du patient se forme autour de l’inclusion dans l’inconscient de la représentation de chose « psychanalyste » liée au fantasme de séduction, qui attire à elle la production de rejetons du refoulé, détournant ainsi ceux-ci de la névrose originaire. Cela suppose de revenir sur la question de la double inscription qui définit le mode de fonctionnement névrotique (Freud, 1915e), telle que l’ont développée ces auteurs.
77 Tout phénomène psychique, du fait du refoulement secondaire, est l’objet d’une double inscription, d’une part une inscription préconsciente liée à des éléments verbaux monosémiques, qui historiquement procède du message de menace de castration de la mère, et représente l’élément de la psyché qui admet la perception de la castration et la différence des sexes. Cette partie de la psyché est en harmonie avec le groupe, le socius. D’autre part, l’inscription inconsciente, conflictuelle avec celle-ci, est liée aux traces mnésiques constituées lors du déni de la castration qui organise l’auto-érotisme et la pensée animiste, origine du double sens des mots. Cette double inscription fonctionne aussi chez l’analyste et produit des rejetons de l’inconscient secondaire qui lui sont propres. « Le choix par l’analyste, et l’agencement dans une nouvelle version des rejetons apparus dans le discours du patient témoignent de l’efficience du fantasme inconscient propre à l’analyste, ce qui contraint celui-ci à estimer l’influence dans ce choix des effets de sa sexualisation personnelle. » Michel Fain insistera souvent par la suite sur la valeur de l’interprétation dont la formulation reste dominée par l’animisme du processus primaire, où mots et choses sont associés par déplacement et condensation.
78 Par ailleurs dans La Nuit, le Jour (Braunschweig, Fain 1975) les auteurs avaient observé que l’accession à l’unicité du sens des mots par le refoulement secondaire donne lieu à une reviviscence de culpabilité inconsciente, comme lors de toute désexualisation. Cette culpabilité inconsciente, éveillée chez l’analyste par le travail d’interprétation même si sa formulation utilise le primaire, nourrit chez lui la persistance de l’identification hystérique au patient par laquelle des éléments restent méconnus mais investis. Il oscillera ainsi entre des mouvements de dégagement vis-à-vis de cette identification, qui le font interpréter, et sa renaissance par laquelle il se prête à l’accueil de la réalité psychique du patient.
79 La conception de Brauschweig et Fain, d’une façon différente de celle de Lacan, met au centre du travail de l’analyste la question de son désir et des modes d’élaboration de celui-ci au contact du patient. Michel Neyraut (Neyraut, 1974) les rejoindra avec la notion de précession du contre-transfert : l’analyste a désiré être analyste avant de rencontrer son patient, et la rencontre est inaugurée par sa démarche qui intègre les influences successives de son apprentissage et l’organisation de sa théorie au cours de sa propre analyse. Ainsi pour eux la question du contre-transfert se confond-elle avec celle du fonctionnement mental de l’analyste.
L’interprétation est une pensée de liaison complexe
80 Une interprétation rejeton de l’inconscient secondaire suppose un univers de représentations organisé selon la topique du refoulement. Mais au-delà de ce fonctionnement, si les rejetons manquent, il faut envisager une interprétation issue essentiellement d’un travail de pensée de l’analyste. Elle a sa place dans tous les cas, mais les configurations cliniques hétérogènes où seule une part limitée de la vie psychique s’organise en lien avec le sexuel infantile sur le mode du principe de plaisir la rendent indispensable. Ce travail fait appel chez l’analyste à d’autres fonctionnements que la régression formelle, même si celle-ci reste son outil optimal : ce qui ne se métaphorise pas en lien aux représentations de choses ne peut être formulé que par la pensée.
81 Revenons à la proposition d’Aulagnier en 1976. Elle a publié peu avant La Violence de l’interprétation (Aulagnier, 1975), ouvrage inspiré par la clinique de la psychose. Malgré son vocabulaire personnel, ses formulations sont très proches de celles d’Au-delà. Pour elle, l’activité de pensée relie image de chose et image de mot, dans une relation au « hors-je », c’est-à-dire non seulement aux processus primaires, mais aussi aux processus originaires, que l’on peut rapprocher de ce que Freud appelle liaisons préalables à l’établissement du principe de plaisir. L’interprétation réalise par un surinvestissement une élaboration psychique de la situation conflictuelle éveillée chez l’analyste par l’entendu venant du patient. Aulagnier insiste sur le plaisir lié à cette activité et la nécessité de ce plaisir pour rétablir l’équilibre de l’écoute de l’analyste. Elle vise toujours, au-delà de son contenu particulier, le processus dans son ensemble. Comme le dit Freud à propos de la construction, lorsque manque l’accès au souvenir sensible qui permettrait une conviction en identité de perception, la part inconnaissable de l’inconscient n’est accessible que par la construction, un travail de pensée.
Construction et conviction
82 La construction est un récit historique. L’article de 1937 se conclut sur une analogie entre la construction de l’analyste et la construction délirante, restauratrice d’un contenu infantile dénié, ce qui ouvre une réflexion sur la conviction : celle-ci tirerait sa force du contact avec la source infantile que la construction suscite. Ainsi revient ce qui fut un temps un but de l’analyse, et qui reste l’expression d’un désir qui l’anime : retrouver le « noyau de vérité historique ». Le débat suscité par Serge Viderman (Viderman, 1970), devenu partie intégrante de notre pensée de la cure, a incité à approfondir cette question de la vérité historique, et élargi l’idée de la construction à l’ensemble de la cure, qui vise à construire un espace psychique nouveau. Les formulations de la réalité historique ont valeur de contenus psychiques, quel que soit leur rapport avec ce qui s’est passé historiquement, qui reste inconnaissable. Le travail de construction du passé devient une création.
83 Les oppositions que son livre a suscitées, en particulier l’affirmation par Francis Pasche (Pasche, 1974) de l’importance pour le patient d’une recherche d’un contact avec ses traces perceptives personnelles, gardent une pertinence. En effet, la prise en compte exclusive de la dimension générative de la cure ne différencierait plus ses processus de ceux de la suggestion. Le débat s’ouvre dans plusieurs directions (Bertrand, 2008 ; Press, 2008). Celle du tiers d’abord, que l’on peut aussi entendre comme nécessité, entre patient et analyste, d’un référent : référent de l’expérience perceptive pour Pasche, référent de la structure névrotique achevée pour Fain (Fain, 1993). Il inaugure aussi le déploiement de toute une réflexion sur la trace mnésique et son élaboration dans la cure, et en particulier une reprise de la question de l’après-coup (Chervet B., 2009).
84 Revenons à la formulation de la construction. Comme l’interprétation ponctuelle, elle cherche une coïncidence avec un objet psychique encore informulé chez le patient. Il ne s’agit pas ici d’une ressemblance par le jeu des processus primaires, mais d’une similitude de pensée. Cela oblige à penser que ce qu’elle cherche à évoquer chez le patient comporte cette structure de pensée, au moins de façon inchoative… En effet, si le lien logique a pu être remarqué par l’analyste, c’est que la présentation du patient l’a suggéré, ou du moins ne l’a pas interdit… La fonction de prise de conscience appartient à l’analyste, à partir d’un matériel préparé préconsciemment par le patient, par exemple par une succession temporelle qui apparaît dans son discours après avoir été longtemps dissimulée… On se souvient que la construction de Freud adressée à l’Homme aux rats suscite l’expression de la scène confirmative, dont le récit était en latence, mais aussi d’une construction personnelle (« depuis, il a eu peur de sa propre pulsion ») dont on peut penser qu’elle était présente en lui depuis longtemps.
85 Dans la mesure où la construction saisit une hypothèse d’ensemble de l’évolution historique du patient, elle est issue d’un long travail de retenue en latence et de composition des matériaux que l’analyste a entendus comme significatifs.
Représentations d’attente
86 Dès la déconvenue de l’interruption de la cure de Dora (Freud, 1905e), Freud prête attention à la configuration transférentielle qui fait que la cure « se déroule plus lentement et devient moins claire ». Il met alors en valeur les représentations d’attente de l’analyste qui deviennent le terreau de son rythme au long cours. Elles rendent l’analyste capable de supporter la virulence pulsionnelle qui s’y exerce et de laisser se composer peu à peu en lui ce qui deviendra son « domaine intermédiaire » préconscient, la partie qui lui sera accessible de la configuration inconsciente de la cure.
87 En effet, l’attention de l’analyste n’est « en égal suspens » que vis-à-vis des logiques manifestes du discours du patient et par son retrait quant à l’intentionnalité volontaire : elle est en permanence et de façon différenciée attirée, excitée par des perceptions éveillées en lui par ce discours, qui orientent sa pensée et ses mouvements d’affect, et témoignent de sa valeur évocatrice. L’installation des voies longues de sa pensée suppose que l’organisation de ses auto-érotismes puisse accueillir cette charge pulsionnelle.
88 Mais c’est aussi sur les contenus que l’analyste a pu investir et retenir selon son mouvement épistémophile, son désir quant à l’appréhension de la réalité psychique, qu’il étaye sa présence. Ce processus de pensée, largement préconscient, très partiellement verbalisé, se manifeste par la mémorisation différentielle de certains contenus, et leur mise en lien qui reste en latence. C’est l’un des bénéfices que l’on peut attendre de l’analyse et de la formation de l’analyste que le développement de cette aptitude à une mémorisation significative, qui garde en latence des liens dans différents ordres de logiques, et sous diverses formes d’images.
89 Dans la séance, et parfois après si les remous de l’excitation au contact des expressions du patient n’ont pu s’élaborer sur le moment, l’analyste investit tour à tour divers modes de présence et d’évocations intérieures, plus proches de la régression formelle ou plus empreints de pensée secondaire, plus libres ou plus contraints, de façon à la fois attentive et passive, attentive à ce qui se passe en lui comme à ce qu’il entend. Il en garde une part qu’il porte en lui tout au long de la cure, dans une incessante recomposition. Cela se distingue donc du fonctionnement hallucinatoire élaboratif au long cours décrit par Bion (la fonction alpha), tout en s’en rapprochant par le portage que ce travail opère (Coblence, 2010).
Conflictualité interne de l’analyste
90 L’analyste n’est pas tenu à l’association libre, c’est-à-dire à capter sur le moment par des mots ses évènements intérieurs pour les dire à voix haute. Cependant, ses désirs et ses représentations d’attente ne se déploient pas dans un espace seulement en suspens. Il est aussi contraint par sa fonction de représentant du surmoi que le patient met en latence. La conflictualité entre l’identification au patient et la nécessité de s’en déprendre oblige à une tension vers la prise de conscience. Une associativité particulière s’installe qui recompose tout ce qui se manifeste sous diverses formes : émotions, réflexions, visions imaginaires, scénarios, évocations de souvenirs, appels au patrimoine culturel, pensées incidentes… La description de Jean-Claude Rolland du « discours intérieur » (Rolland, 2002) rend bien compte de son élaboration par étapes, à travers un grand polymorphisme, jalonnée par des formulations verbales qui cristallisent un devenir conscient de l’analyste. Il existe des modes de pensée non langagiers qui ne relèvent pas du processus primaire, et qui établissent des liens entre des ensembles représentationnels eux-mêmes complexes, maintenus en latence. La logique qui les organise est celle de la structure œdipienne et des fantasmes originaires, telle qu’elle s’est formulée pour l’analyste dans son histoire, son histoire analytique et sa formation.
91 Ici le transfert de l’analyste sur l’analyse et les représentants de celle-ci dans son histoire s’articule conflictuellement avec le registre de l’identification hystérique au patient. Sur le versant désexualisé, sa théorie informe sa mémorisation et sa pensée. Sur le versant qui peut se resexualiser, le fantasme de séduction de l’analyste est aussi tourné vers ses pères et ses pairs. Cette conflictualité peut ainsi être l’objet d’une analyse dans un cadre de parole adressée à ces tiers, voie par excellence de l’analyse du contre-transfert lorsque l’auto-analyse ne suffit pas (Donnet, 1976 ; 2005).
Sensations internes
92 Nous avons évoqué l’absence de contrainte à verbaliser pour l’analyste. La mise en tension liée à sa conflictualité interne nous semble réclamer pour autant, parallèlement à sa disponibilité régressive, un processus de pensée rigoureux mais ouvert à l’informulé, qui lui permet de tenir à proximité, investies même si elles sont latentes, les traces des émergences significatives du patient qu’il a conservées. Cet investissement particulier, attentif à ce qui est en latence, utilise largement des endoperceptions qui ne sont ni verbales ni imagées, les sensations internes. Celles-ci sont nécessaires à la dynamique d’une pensée qui met en lien des territoires psychiques précis, mais encore fermés à une traduction verbale ou figurée, en attente. La conviction fragile qu’il existe là un sens va de pair avec l’inaccessibilité de celui-ci, à de faibles indices près. La nécessité de pouvoir porter, le temps qu’il faudra, ce « domaine intermédiaire » encore inconnu dont la présence n’est que « ressentie comme significative » évoque la métaphore de la grossesse par laquelle Freud incite à respecter le processus global de développement de la cure (Freud, 1913c), dans son inconscience, sans précipiter des compréhensions partielles…
93 La part des sensations psychiques dans le « cours des évènements psychiques » mérite en effet d’être réévaluée, comme le signale Marilia Aisenstein à propos du contre-transfert inconscient de l’analyste (Aisenstein, 2011). Marginales vis-à-vis du langage et des images, elles sont partie intégrante de toute représentance même si elles ne se développent pas en affect. Conscientes ou non, elles participent à l’inflexion des mouvements processuels, et à leur endoperception. Freud y fait référence presque toujours incidemment, mais souvent, dans plusieurs registres que nous avons tenté de différencier (Chervet E., 2016). Ces sensations, qu’il faut distinguer de la sensorialité, sont douées comme l’ensemble de la vie psychique d’une matérialité liée à l’excitation qu’elles portent, mais leur occasion d’émergence à la conscience est le mouvement d’évocation psychique lui-même, qu’il soit celui de la pensée silencieuse ou de la parole associative.
94 Certaines d’entre elles rendent perceptibles les processus de refoulement ou de mise en latence à la frontière du préconscient où se trame et se recompose la liaison des images de choses à celle de mots, comme des indices de proximité d’un contenu ou de sa présence barrée (la sensation d’un oubli…). Freud appelle sensation intellectuelle la « force d’avertissement » qui accompagne l’endoperception de relations ou de processus de pensée refoulés. Cette « force », d’intensité minime mais qui attire l’attention, est un signal, auquel est sensible l’attention de l’analyste. Il perçoit ainsi l’éveil en lui de souvenirs préconscients des communications du patient, déjà organisés conceptuellement au fil de la cure, les représentations d’attente auxquelles la communication présente correspond, dans un rapport d’analogie formelle ou de logique causale. Les contenus mis en latence par l’analyste restent l’objet d’un certain degré de surinvestissement du fait d’une ébauche de signification, non explicitée, ouverte à l’inconnu et qui attend néanmoins un complément spécifique.
95 Une remarque : dans la traduction des OCF-P, la sensation intellectuelle qui signale la présence du sens est souvent désignée par « significativité », là où des traductions précédentes employaient « importance », ce qui suppose un glissement entre le registre du sens (Deutung) et celui de l’investissement (Wichtigkeit). C’est dire combien pour le préconscient attentif l’investi et le sens sont proches : une trace est accessible à la mesure de sa liaison par une pensée, de son insertion dans un sens, de son importance pour le sujet.
96 On peut évoquer aussi parmi ces sensations internes les sensations de processus dont Freud signale l’importance dans Le Moi et le Ça, en particulier les sensations de plaisir-déplaisir. Les sensations de déplaisir, indices de proximité de l’émergence traumatique, ont de ce fait une fonction de signal d’alarme, même si elles ne se développent pas en angoisse. Lorsqu’elles sont inconscientes, on peut penser qu’elles déterminent la mise en action des défenses anti traumatiques, comme Green l’a décrit à propos de ce qui suscite l’associativité buissonnante de la phobie centrale (Green, 2000). Dans une autre conjoncture, elles peuvent donner lieu au déni. Chez l’analyste, elles pourraient être à l’œuvre dans le déclenchement de l’hallucination décrite par S. et C. Botella, dans celui de l’agir, ou encore d’une inhibition psychique protectrice de l’effroi au contact des communications du patient. Elles pourraient aussi participer à déterminer les surinvestissements de certains modes de présentation du patient, et leur inscription pour un destin à venir.
Élaboration secondaire
97 Il y a aussi toujours une élaboration secondaire de l’interprétation lorsqu’elle est formulée au patient, c’est-à-dire une prise en compte de ce qu’il peut entendre. Cette élaboration secondaire se fait nécessairement, même si sa formulation est exprimée dans le primaire, ne serait-ce que pour l’impersonnaliser vis-à-vis des idiosyncrasies personnelles de l’analyste, exigence minimale de la méthode analytique qu’exprime tant bien que mal la deuxième règle fondamentale. Idéalement, il s’agirait de dire ce qui s’est manifesté et élaboré chez l’analyste avec les mots et les références du patient, porteurs de leur cortège d’évocations pour lui. Cette élaboration secondaire peut se faire instantanément et inconsciemment comme lors du récit d’un rêve, ou par les longs détours d’un conflit interne. Elle est le lieu de symptômes qui inciteront à l’autoanalyse.
98 En effet, la perception interne par l’analyste d’une contrainte contre-transférentielle, par définition inconsciente, n’est pas toujours une raison de retenir l’interprétation : c’est parfois en courant le risque de sa manifestation dans des attitudes insatisfaisantes, voire symptomatiques, que le contre-transfert s’achemine vers un éclaircissement. Dans certaines conjonctures c’est la seule voie possible. Il y a alors aussi un travail interprétatif à faire de l’analyste à l’analyste, souvent dans le sens d’une déprise, d’une désidentification. La conflictualité œdipienne se joue chez l’analyste, et lui permet l’accès secondairement à celle du patient.
99 Cette adaptation aux exigences de la « recevabilité » se fait aussi quant au degré d’excitation que porte la formulation, depuis la secondarité ou les formes impersonnelles de la sagesse des nations nécessaires dans une atmosphère de désorganisation anxieuse jusqu’à la provocation capable de déranger des eaux qui dorment trop. Le « tact » invoqué par Freud est perception de la densité du masochisme érogène du patient et de ses attentes quant à la séduction.
Clinique : « Providence »
100 Il s’agit d’une patiente pour laquelle un traitement déjà long a permis d’approcher les traces d’une enfance organisée par un événement majeur : à l’âge de quatre ans, elle a été placée chez une nourrice pendant une hospitalisation de sa mère qui présentait des absences et des malaises. On a découvert chez celle-ci une tumeur cérébrale dont elle est décédée quelque temps après. La patiente est alors restée toute son enfance chez cette nourrice qui gardait de nombreux enfants, dans une ambiance assez joyeuse ; elle ne revoyait son père que de temps en temps. Depuis quelque temps, cette patiente s’acharne à vendre l’appartement dans lequel elle vit, sans pour autant faire aucun projet de se loger ailleurs. Elle a commencé à parler avec insistance de ce thème après une période où s’ouvrait devant elle la possibilité d’une vie enfin libérée de grosses contraintes. Elle a alors été confrontée à son impossibilité de se projeter dans l’avenir. Sa réflexion sur d’éventuels projets a tourné court au profit de l’expression de ce désir urgent de vendre son appartement.
101 Au début de cette séance, la patiente revient à ce projet de façon quasi provocatrice. Elle n’est pas sans avoir perçu dans mon silence ma réserve quant au danger pour elle de cette tentation d’agir ; elle me décrit les visites, la discussion du prix de l’appartement, etc. Au détour de ses récits qui m’agacent quelque peu et qui me font chercher mentalement une issue, elle évoque sur un mode légèrement différent un petit épisode qui me fait visualiser une scène en décalage : alors qu’elle regardait des maisons qu’elle longeait en voiture, en s’imaginant rêveusement y vivre, la patiente voit au dernier moment une jeune fille qui traverse. Elle s’aperçoit que cette jeune fille, très attentive, s’est arrêtée à temps. Elle est très mécontente d’elle-même. Curieusement, ce petit épisode me transmet l’image précise d’une rencontre au moment de traverser la rue, qui reste inscrite comme significative, investie de façon particulière.
102 Je repense aux interventions que j’ai déjà tentées pour relier ce désir de vente de l’appartement à des épisodes du passé, interventions qui n’ont pas eu grand retentissement. Inquiète, je reste avec le sentiment qu’il faut intervenir. Au bout d’un moment, j’interroge simplement : comment imagine-t-elle ce qu’elle fera lorsqu’elle aura vendu l’appartement ? Elle n’en a aucune idée, sauf peut-être trouver quelques amis qui pourraient l’héberger une semaine ou deux. J’ai alors l’image d’un saut dans le vide, elle habite au huitième étage. La dimension insouciante et quasi effrontée avec laquelle elle envisage que tout se passera bien lorsqu’elle n’aura plus de maison me fait penser que la providence règne. Au moment où j’envisage d’intervenir en utilisant ce mot de « providence », je prends conscience à travers sa résonance féminine d’une dimension maternelle en jeu, ma vision de la chute du huitième étage se complète et je dis : « Vous pensez donc que la providence va vous recueillir dans ses bras ? » La patiente fait une pause, puis continue : une des maisons qu’elle regardait ressemble exactement à la maison de ses rêves, c’est une petite maison carrée, symétrique, avec un perron et un petit jardin autour. Je pense à un dessin d’enfant, cela renforce mon sentiment d’une scène infantile en cours. Ensuite, elle m’explique que si elle veut quitter son appartement, c’est parce qu’elle est dans un grand immeuble, elle n’en peut plus de ce collectif. Elle thématise cette question du collectif et le mot « collectif » se répète. Ce mot me fait enfin penser au moment de son arrivée chez sa nourrice. Je lui dis alors : « Vous débarrasser de cet appartement pour essayer de remonter le temps jusqu’au moment où vous avez été enlevée de chez vos parents et installée chez votre nourrice, dans un collectif ? Comment sortir de ce collectif alors que vous ne pouvez plus rentrer chez vos parents ? »
103 Dans les séances qui suivent les petites vacances que précédait cette séance, une efflorescence d’affects de détresse et d’abandon lui permettra d’établir une conviction quant à cette construction, et de la compléter par le souvenir des sentiments de rivalité réciproques entre elle et les enfants légitimes de sa nourrice, qui nourrissaient le sentiment aigu de n’être pas chez soi. Elle reviendra elle-même à la question de la providence : « D’ailleurs la providence avait joué puisque normalement j’aurais dû aller à la Dass au moment de l’hospitalisation de ma mère. C’est le jour où cela devait se décider que mon père, en traversant la rue pour aller chercher son pain, est tombé sur ma nourrice qu’il connaissait en tant que voisine. » Lorsqu’il lui a parlé du problème de la garde de sa fille, cette voisine lui a proposé très simplement ses services. C’est ainsi que le destin de la patiente s’est noué au milieu d’une rue que le père était en train de traverser, grâce à une rencontre de hasard.
104 Dans la séance, c’est par cette image formelle que la scène de la rencontre du père et de la nourrice, déjà racontée et oubliée, s’est glissée pour moi à travers celle récente de la jeune fille qui traversait la rue devant des maisons où l’on pourrait habiter. Le souvenir que j’en avais gardé en latence a résonné sous la forme du « sentiment de significativité » de la scène racontée, et éveillé le mot de providence qu’elle avait prononcé lors du premier récit.
105 Auparavant, la dimension provocatrice de son projet de quitter son logement m’a convoquée à intervenir sans pouvoir me représenter sur le moment son désir inconscient, en me contentant d’une question qui exprimait a minima mon inquiétude. La poursuite de sa désinvolture et l’absence, le « vide » de représentations accessibles a suscité d’une part le mot providence, d’autre part la scène visuelle où elle tombe du huitième étage. Ce sont ensuite les diverses connotations et la dimension féminine du mot « providence » qui ont permis le retour d’une figuration maternelle : la scène de la chute se complète, je la rattrape dans mes bras, ce qui me suggère la formulation interprétative. Ses associations qui se rapprochent alors du souvenir en cause, le collectif insupportable, me donnent un accès à la construction.
106 La nécessité que j’ai ressentie à intervenir était aussi liée à l’absence d’angoisse suspecte de la patiente, qui m’inquiétait. J’imagine alors à propos de la scène de la jeune fille qui traverse la rue une injonction parentale : « Fais attention en traversant la rue ! », injonction que je peux supposer présente dans les souvenirs de la première enfance de la patiente : la maison de ses parents donnait sur un dangereux boulevard à quatre voies. Il s’agit alors de sa mère d’avant la catastrophe, avant ses absences, qui pouvait être « très attentive » pour elle. En arrière-fond de la scène de rencontre entre son père et sa nourrice qui lui a été racontée se profile une scène quotidienne antérieure, qui raconte en creux sa perception des troubles de l’attention de sa mère avant la séparation. C’est quelque temps après qu’apparaîtra cette figure maternelle, sous la forme d’un fantôme, dans des rêves.
107 Une fois de plus, les voies longues récusent l’intérêt de l’interprétation explicite du transfert, même si celle-ci restée silencieuse rend compte de l’étayage du processus sur le transfert lié à la personne de l’analyste, d’autant plus dynamique qu’il reste silencieux et méconnu. En effet, mon cabinet est installé dans une petite maison, à côté d’un grand immeuble.
Frayages de l’affect
108 Le plus souvent, l’analyste déduit les thèmes de ce transfert sur sa personne à partir des contenus apportés en toute inconscience par le patient. Il en utilise les voies de frayage, dans les mots ou dans l’implicite de ses formulations (l’interprétation « dans » le transfert). Parfois, ce transfert s’impose à la conscience du patient, en particulier sous la forme de l’affect amoureux, devenu image d’Épinal de l’idée de transfert. Sauf lorsque cet affect tend à immobiliser le mouvement associatif, il est voie de frayage en direction des contenus propres du patient.
109 M. V est venu en analyse pour des symptômes de conversion envahissants, il se plaint amèrement d’impuissance à associer. Il se décrit comme délaissé et méprisé par son père au profit de son frère aîné, petit dernier proche de sa mère, relégué avec elle loin des activités masculines. Il est resté longtemps dernier de la fratrie, puis est arrivé un autre enfant. Pendant des années, je ne saurai pas quel âge il avait lors de cette naissance tardive. Il y a un contraste entre le côté fastidieux des séances où il « n’arrive pas à associer » et la survenue inopinée d’expressions originales et évocatrices, ou encore de rêves marqués d’une élaboration secondaire qui me séduit par des expressions verbales condensées, poétiques. Mais très vite le thème de l’indifférence paternelle et de la rivalité fraternelle referme l’éclosion.
110 Séance à deux ans de cure : il commence la séance en faisant discrètement et avec des détours état de son transfert amoureux ici ; cela l’inquiète, dit-il ; puis il évoque sa conversation récente avec un ami qui vient d’interrompre son analyse après avoir « compris l’Œdipe ». Il ajoute : « il est fortiche, lui, ce n’est pas comme moi ! », puis se tait.
111 Analyste : « Fortiche ou… inquiet ? »
112 Il dit ne pas comprendre, puis se tait, puis se rappelle un souvenir qui avait déjà été évoqué comme une scène isolée, très vive affectivement, mais dont le contexte restait inaccessible : « Attendre ses parents à la fenêtre, triste et inquiet ». Le contexte vient de lui revenir : il se revoit buvant un verre d’eau de Javel posé sur le rebord de la baignoire à côté de sa mère affairée au ménage dans la salle de bain. Affolement familial, hospitalisation, mais pas de lésions. C’est au cours de ce bref séjour hospitalier que prend place la scène de la fenêtre. Il ne dit pas l’époque de ce souvenir, je l’imagine sur le moment comme un geste de dépit lié à l’arrivée du puîné.
113 L’aveu de l’émoi amoureux est nouveau, c’est par une scène latérale que le patient évoque son interprétation personnelle de ce transfert amoureux, (l’Œdipe), la menace de rupture que cela comporte quant à la cure, et la tentation d’une répression brutale (fortiche), de l’émoi et de son risque. L’émoi, le trouble, puis la pause associative laissent un espace, une attente. L’accès au souvenir passe par le versant banalisé de son inquiétude enfantine, la scène à la fenêtre qui évoque à distance la présence d’une scène primitive. Émerge alors du refoulement une expression de son versant infantile passionnel : le souvenir de son geste dont la cause restera inconnue. Le sentiment amoureux était « apte au transfert », le compromis laisse dans l’ombre, abrité par l’incuriosité du patient à son endroit, le mobile de son impulsion infantile.
114 Je me contente de désigner l’angoisse liée à l’aveu œdipien, avec un mot atténué (inquiet) qui reprend le sien. Ce choix du terme « inquiet » a été l’objet d’un débat intérieur par lequel j’ai successivement renoncé à une série de termes plus caustiques envers l’homme qui veut arrêter sa cure, puis plus précis pour désigner l’affect (angoisse…), ce renoncement m’ayant permis de m’incliner devant l’évidence que le terme du patient était le meilleur : respectant sa défense, mais aussi plus riche en liens avec des éléments latents.
115 Dans ce début d’analyse, l’intervention de l’analyste a surtout un rôle de frayage favorisant l’expression de l’infantile. Le renversement de la neurotica permettant une appropriation du désir s’ébauche, mais celui-ci est surtout pris en charge par un certain degré de réalisation dans le transfert. Ce qui vient est l’intensité d’affect des traces évoquées, le geste impulsif infantile, et l’accès à l’angoisse qui oriente la « quantité indésirée » (l’expression pulsionnelle) sur la scène psychique plutôt que vers la conversion corporelle. La cure ne trouvera pas un sens aux symptômes de conversion, mais ceux-ci disparaîtront progressivement au fur et à mesure que le monde interne sera investi, et la pulsion représentée à travers les avatars de la bisexualité.
Le transfert : une voie motrice
116 La pensée de l’interprétation qui développe les voies longues, la figurabilité et l’après-coup chez l’analyste suppose un régime de séances où la régression formelle est possible le plus souvent, c’est-à-dire où le principe de plaisir est suffisamment assuré, au risque de moments critiques, les temps d’émergence élaborative, dont la répétition tente d’assurer la perlaboration. Déliaison et liaison se font sur des matériaux liés, l’investissement dégagé par la « lyse » des fausses liaisons, ou plus exactement des liaisons anachroniques, trouve instantanément des voies pour se réorganiser.
117 Les conjonctures où la mise à l’écart du principe de plaisir est le régime dominant ont imposé d’autres lignées de réflexion, à Freud à partir de 1920, et à nous tous depuis. Lorsque « les motions pulsionnelles ne veulent pas être remémorées, comme la cure le souhaite, mais aspirent à se reproduire… », la parole du patient s’imprègne d’une conviction réaliste, qui masque ce qu’il répète, et résiste à tout décalage de sens, à toute métaphorisation. Déjà, dans « Providence », l’insistance de la patiente dans son projet l’engage sur la voie motrice, et tend à y entraîner l’analyste. La régression convoquée n’est plus la régression formelle en direction du rêve, de l’intériorité, mais une régression libidinale et temporelle, voire matérielle, qui cherche des perceptions et une réalisation pulsionnelle à l’extérieur. Il faut alors penser autrement l’articulation entre la scène de la séance et celle de la réalité, entre hallucinatoire et perception.
118 Cet engagement dans la voie motrice qui définit le transfert réclame une résistance de l’analyste : « Il s’organise en vue d’un combat permanent avec le patient afin de retenir dans le domaine psychique toutes les impulsions que celui-ci voudrait orienter vers la motricité. » Comme nous l’avons déjà signalé, retenir dans le domaine psychique suppose dans le même temps l’exercice d’une force de refus à l’égard de la voie motrice, et le respect des frayages que cette voie initie, puisque c’est là que s’est porté l’investissement du patient, là que se forge la figuration…
119 Parmi ces frayages, nous avons tenté une différenciation que les échanges avec les séminaires de préparation au congrès nous ont permis de poursuivre. Nous distinguerons donc ici :
120 – La nécessité de l’étayage sur l’expérience concrète pour établir les liaisons préalables à l’instauration du principe de plaisir.
121 – La figuration agie en tant que mode de présentation, d’expression organisée en partie par le processus primaire.
122 – L’agir de transfert enfin, comme moment privilégié d’une reprise identificatoire.
Liaisons préalables et transferts latéraux
123 Il s’agit de tenter de formuler les processus de « liaison préalable » à l’installation du principe de plaisir. On peut ainsi différencier deux formes de processus selon le type de traces réinvesties : les traces refoulées sont réactualisables en tant que rejetons à travers l’associativité, mais c’est le plus souvent par la répétition agie que tentent de se lier les traces « qui ne sont pas aptes au processus secondaire », et par là fauteuses de grandes quantités, de traumatique. On se souvient que la répétition peut s’effectuer dans la cure ou « dans tous les domaines de la situation présente ». Ces traces-là chercheraient une expérience perceptive pour se manifester. La cure leur donnerait une chance d’être éprouvées et liées au langage, pour ensuite refouler ou lier l’intensité que cette dramatisation leur a permise. Le patient investira alors des expériences qui comportent une dimension destructrice, mais pour la cure, en conservant dans le temps même où il les vit un lien préconscient à la situation analysante et à l’analyste. Parce qu’il sait qu’il en parlera, le surinvestissement des mots est en latence, même si la pulsionnalité s’affole vers une réalisation concrète. En séance, son récit pourra être provocation, plaidoyer pour la réalisation pulsionnelle, attaque, mais aussi espoir d’être arrêté en chemin si un transfert positif est encore actif.
124 Il nous semble qu’une contrainte importante alors est de rendre justice à l’expérience du patient au fil de la cure pour installer les « liaisons préalables », comme nous l’avons évoqué à propos de Le Moi et le Ça. L’approche des traces empreintes de traumatique que l’instauration de la cure suscite réactive une excitation délabrante, et la répétition des modes de réponse drastiques qui ont fait leurs preuves quant à permettre une survie. Lorsque les liaisons préalables manquent, l’expérience significative est rivée à la réalité, « inapte au processus secondaire », la dynamique est dominée par la décharge plutôt que par l’inscription. D’où un paradoxe : comment un travail de séance qui ne peut qu’être inscrit dans la verbalisation et l’abstinence peut-il participer à faire advenir une expérience qui réclame l’étayage d’une réalisation concrète, à la lisière des risques de la destructivité ?
Transfert et expérience
125 La théorisation kleinienne ne se pose pas cette question ainsi : elle repose sur le postulat implicite d’une puissance effective de la symbolisation de l’analyste pour faire advenir celle du patient, le noyau d’expérience concrète étant représenté par la réalisation transférentielle affective envers la personne de l’analyste et son dispositif, ce qui justifie la fréquence des séances. L’interprétation du transfert est la voie royale. Nous en retiendrons en particulier l’attention extrême portée au transfert négatif, qui réclame l’interprétation pour limiter sa réalisation et le risque de rupture du traitement.
126 C’est en revanche à ce paradoxe que s’est confronté Ferenczi, rassemblant sur sa personne l’adresse des mouvements les plus régressifs, dont il a expérimenté douloureusement la dangerosité. La question de la réalité de l’expérience traverse son travail sans trouver d’issue, mais pose la question à laquelle s’est attachée depuis toute une lignée de recherche et de pratiques (Bokanowski, 2015).
127 La découverte par Winnicott de l’aire transitionnelle comme aire d’expérience constitutive de la réalité psychique réalise à ce titre un tournant de la pensée clinique communément partagée, en condensant divers processus dans une description phénoménologique, concrète elle aussi (Winnicott, 1971). Sa description fait rupture, mais il nous semble qu’elle poursuit la pensée de Freud des années 1920-1923, et reste très proche de ses implicites : ceux du jeu de la bobine d’Au-delà bien sûr, mais aussi les notations sur la transposition de Le Moi et le Ça, qui permet la constitution de traces mnésiques à partir de l’investissement de l’expérience. Winnicott précise que c’est d’abord par un étayage sur la concrétude perceptive [3] de l’objet transitionnel que l’investissement pourra se déplacer de l’objet de la satisfaction et du corps propre vers le monde. L’objet transitionnel manifeste les processus de déplacement en tant qu’ils préexistent à l’appropriation du code, quel qu’il soit. Les processus primaires décrits par Freud à propos du travail de rêve vont s’installer d’abord par une transposition sur les objets concrets : le jeu déplace, condense, met en situation… Rappelons les caractéristiques communes du processus primaire décrit par Freud et des activités transitionnelles : toute-puissance de la pensée, activité psychique dominée par la recherche du plaisir, équivalence choses-mots. La transposition sur le langage est seconde [4], constitutive des ébauches du surmoi, de l’élaboration des traces auditives, et du renoncement à la réalisation matérielle.
128 Contrairement à ce qu’une utilisation banalisante peut parfois en laisser croire, les descriptions de Winnicott justifient avec force la dissymétrie de la situation analytique, la séparation des deux scènes de la cure : dans sa découverte de l’aire transitionnelle, l’enfant n’est pas avec la mère mais en présence d’elle. La théorisation de Green développera ce qui est en germe : la catégorie de l’absence. L’objet de l’enfant n’est pas alors sa mère, utilisée comme environnement (ou objet subjectif), mais le jeu, l’ébauche d’expérience culturelle, c’est-à-dire un investissement du monde comme support de ses processus internes en voie d’émergence. La capacité de la mère à supporter cette absentation est indispensable. C’est sur cette topique fondamentale, et dans un second temps, Winnicott y insiste, que les mouvements d’utilisation de l’objet (au sens de l’objet maternel), qui en feront progressivement un objet objectif appartenant à la réalité extérieure, se déploieront.
129 Le travail de René Roussillon (Roussillon, 1995, 2008) est lui aussi inspiré par le souci de créer les conditions de la représentation dans les cliniques qu’il appelle identitaires-narcissiques, insistant ainsi sur la détresse d’un moi dont la processualité ne permet pas de faire face à un afflux traumatique qui répète des liens premiers défaillants. Il envisage que la cure peut permettre la liaison préalable et les formes primaires de la symbolisation par une reconstitution des jeux premiers avec l’objet, au cours desquels l’accordage d’affect est essentiel. L’instauration des symbolisations primitives se fait alors à travers un jeu, élaboré en termes de qualification affective, grâce aux réponses de l’objet, essentiellement par un transfert sur la personne de l’analyste. Le transfert par retournement en est un pivot, dans la lignée de la lecture affectivée du jeu de la bobine évoquée plus haut (voir supra).
Transferts latéraux
130 Cependant, très souvent, la quantité d’excitation qui réclame une réalisation concrète déborde de toutes parts la situation analytique, et le patient est contraint à investir dans la réalité extérieure une expérience qui la supporte. De plus, aux défauts de l’organisation psychique rendant les processus primaires inopérants s’ajoutent des identifications inconscientes aux modes de fonctionnement des parents qui peuvent faire du manque d’intermédiaires, de la décharge, un modèle identifiant. Le transfert négatif, qui se définit par sa charge haineuse ou érotique inassimilable, risque de s’installer de façon disruptive si une part des investissements sollicités par la cure ne peut se diriger sur des voies latérales capables d’y répondre, sous des formes éventuellement peu symbolisées (Duparc, 1988 ; Denis, 2010). Le patient investit donc alors des expériences qui comportent nécessairement une dimension catastrophique, du fait de la cure, mais pour la cure. Cette distribution de ses investissements entre l’espace de la séance et la réalité est partie intégrante de son transfert : c’est le transfert répétition « dans tous les domaines de la situation présente ». Il nous semble en effet qu’au-delà de leur fonction économique de protection de l’espace de la cure, les investissements latéraux sont indispensables au travail d’instauration des liaisons préalables, en tant qu’elles ont besoin d’une expérience concrète, support de l’élaboration psychique élémentaire qu’est l’organisation pulsionnelle.
131 De plus, souvent pour le patient s’impose d’abord et pour longtemps un évitement de l’évocation dans la séance de tout objet significatif tant que l’excitation traumatique n’a pu trouver progressivement des voies de réalisation pulsionnelle et des intermédiaires. Les déplacements commenceront par la plus lointaine évocation possible avant de se rapprocher, la constitution de frayages commence à propos de tenant-lieux maîtrisables, peu significatifs. C’est après un long travail que les faisceaux du transfert pourront se rassembler et s’inscrire dans la scène de la séance.
132 Ainsi, dans les situations où le quantitatif domine, le transfert latéral est une nécessité. Cela a été élaboré largement à propos de la psychose par les propositions de soins multifocaux organisés par les soignants. Dans cet esprit, pour la cure des états-limites, la pensée d’un espace possible de « soin » auto-organisé par le patient dans sa vie, éventuellement peu symbolisé, régressif, sous l’égide du transfert, me paraît modifier subrepticement mais notablement la réflexion technique sur l’interprétation. Elle autorise une position de réserve quant à la demande de quantité que représente l’expression de la détresse. Les patients savent souvent, à partir du moment où le cadre est posé de ce qui est possible dans la cure et de ce qui ne l’est pas, et si une logique de destruction ne domine pas la situation, se donner des soins proximaux, par leur entourage ou d’autres moyens, en transfert latéral. Cela permet d’envisager une cure avec des aménagements limités, le face-à-face en particulier, si le patient est en mesure d’installer cette topique sous l’égide d’un surmoi suffisamment fonctionnel, qui reste la condition de l’analysabilité.
Hystérie primaire
133 Notons cependant que la concrétude de l’expérience est d’abord celle du corps. C’est ainsi que les modèles de l’instauration des liaisons préalables ne peuvent faire l’économie d’un modèle des soins primaires, comme Freud l’a fait à plusieurs reprises, même si dans la cure les liaisons préalables ne se restaurent qu’à travers les modes d’expression infiniment complexes des organisations ultérieures. Green a proposé celui du montage pulsionnel dont la boucle passe par la réponse de l’objet, encadré par l’hallucination négative de la mère. Le double retournement sur lequel il insiste met en valeur la nécessité d’installer une passivité propice aux inscriptions psychiques.
134 La description de l’hystérie primaire (Fain et Braunschweig, 1975) donne aussi un modèle suffisamment complexe de l’instauration des liaisons préalables pour fournir un modèle de la cure. L’oscillation entre une mère attentive aux frayages corporels initiateurs de la sensualité, et une mère s’absentant de plusieurs façons, vers l’homme érotique, vers le père, et vers ses propres objets œdipiens, permet l’organisation des auto-érotismes. Ceux-ci articulent la satisfaction hallucinatoire avec les encodages non langagiers et langagiers qui permettront de faire des perceptions sensorielles et corporelles, en deux temps, des représentations de choses, ou pour le dire en termes de deuxième topique, des traces mnésiques. Le registre secondaire est déjà là de par les expressions du complexe de castration de la mère et ses messages de prudence. Ce résumé trop condensé vise seulement à donner une idée du paysage mental de l’analyste lorsque s’instaure la cure, qui articule indissociablement les registres primaires et secondaires, la parole et les expressions non-verbales. Les fonctions de l’interprétation dépendront de la place de l’analyste dans cette configuration, et en particulier de la nécessité de messages de prudence rappelant la nécessité d’inscrire, de retenir, sous peine de laisser la culpabilité inconsciente maître du terrain, pousser vers la décharge et la surexcitation.
Une dimension progrédiente de l’interprétation
135 On peut déduire les visées du travail interprétatif alors : favoriser l’inscription verbale, le refoulement, l’investissement de la représentation et le deuil de la quantité d’excitation. C’est ainsi que le « retour du passé » pourra produire de nouveaux après-coups en contact avec des traces dont la virulence sera en partie civilisée.
136 La réserve s’impose d’abord. Winnicott le dit et le redit : la retenue de la part de l’analyste quant à formuler des interprétations, surtout intelligentes, est nécessaire au développement de l’expérience, seule susceptible de créer une conviction quant à la réalité propre du patient. La pensée interprétante de l’analyste anticipe silencieusement celle du patient, se forme des constructions qui lui permettront des interventions destinées à soutenir l’expérience en cours pour le laisser lui-même trouver-créer le sens. Ses interventions visent d’abord à soutenir et à valoriser l’investissement des objets du monde interne du patient.
137 Michel Ody (Ody, 1988 ; 2013) a proposé un modèle devenu classique de l’interprétation avec l’enfant chez qui les processus associatifs sont particulièrement marqués par un polymorphisme de la présentation, l’associativité utilisant tour à tour langage verbal, dessin, jeu, agirs… Ce polymorphisme lui-même est lié au fait que le surmoi post-œdipien n’est pas encore installé, la concrétude des supports autres que la parole manifeste combien la pulsion reste en continuité avec l’objet, le corps. Une interprétation possible, dans ce transfert non explicité, ne vise pas la formulation de l’inconscient, mais la mise en place de termes intermédiaires préconscients, utilisant la forme de langage de l’enfant. Ody précise que son but est progrédient, prenant en compte le mouvement sublimatoire de l’enfant, destiné à participer à l’installation des processus de pensée en cours de dégagement. « Le sens surgit du processus, il ne le précède pas ». Cette mise en place favorise le refoulement en cours, et le développement de significations qui contiennent le sens latent sexuel en en protégeant la méconnaissance. Cela tient compte du fait qu’un deuxième temps à venir leur permettra d’accueillir le mouvement pulsionnel. Il nous semble que ce modèle est aussi précieux dans les conjonctures limites, où un sexuel infantile peu organisé réalise une conjoncture analogue en certains points à celle décrite ici, ou souvent le double sens des mots est inaccessible, malgré la présence simultanée d’expressions du temps post-pubertaire.
138 Les mouvements destructeurs à l’œuvre éveillent une inquiétude légitime chez l’analyste dans le registre manifeste. Leur interprétation consiste à restituer au patient sa responsabilité dans son malheur : c’est la culpabilité inconsciente qui nourrit l’autodestruction. La détresse est toujours aussi une traumatophilie (Barande, 2009). Il est la plupart du temps hors de question, surtout en début de cure, de formuler cette interprétation, souvent du fait qu’elle confirmerait le désaveu des éprouvés douloureux du patient qui est souvent à l’œuvre. Elle serait alors scandaleuse. La reconnaissance de la réalité des traumatismes historiques est souvent nécessaire pendant longtemps. Mais le fait de la penser limite l’identification aux récits douloureux à ce qui est nécessaire à la bienveillance due au patient, et entretient des représentations d’attente qui permettront de reconnaître les voies de dégagement dès que possible.
139 En attendant, l’expression par l’analyste d’une reconnaissance de la réalité du danger présent nous semble souvent utile. Elle favorise une différenciation au sein de l’angoisse du patient de ce qui est signal, favorable à la retenue et à l’élaboration psychique, et de ce qui relève d’une extension en nappe de l’éprouvé traumatique (Freud 1933a, 32e conférence). Elle réalise en elle-même une articulation entre le registre traumatique et le registre névrotique, puisque chez l’analyste elle équivaut à un message maternel de menace de castration. C’est une forme d’interprétation qui atteste de l’existence de l’épreuve de réalité.
Présentations agies
140 Au-delà des liaisons primaires, le registre non-verbal des manifestations du patient réalise une scénarisation, une dramatisation souvent complexe. L’influence de Lacan en France a longtemps rendu difficile la prise en compte de ce polymorphisme, que Green a pu affirmer sous le terme de polymorphisme de la représentance.
141 La « situation présente » que le patient agit offre en effet un écran perceptif qui limite la régression et permet une composition de matériaux figuratifs, sur un mode qui n’est pas sans analogies avec celui du rêve. On peut y reconnaître condensation, déplacement, dramatisation, régression formelle de formulations verbales, de pensées, non pas en images visuelles, mais en expressions corporelles ou en scénarios relationnels. On se souvient ici de la dramatisation définie dans Du rêve (Freud, 1901a). Ainsi l’agir qui s’organise dans la cure est-il une présentation (Kahn, 2012) complexe qui résulte d’un travail analogue au moins partiellement au travail du rêve, dans le choix de ses éléments et leur composition évènementielle.
142 Ces déformations secondaires s’associent aux émergences figurées que créent les liaisons primaires au contact de la perception. Mode de présentation pour la cure, ces agirs sont aussi et d’abord réalisations d’après-coups utilisant conjointement les traces traumatiques, des ébauches figuratives refoulées ou désinvesties, et des traces verbales mises en latence, mais en restant sous la dépendance de la voie motrice. Ce mode de figuration empreint de réalisme qui peut apparaître comme comportement réclame pour pouvoir s’élaborer une présence incitatrice de la part de l’analyste en faveur du rétablissement de la voie régrédiente. Nous en décrirons quelques occurrences à travers le récit d’une clinique, au décours de laquelle se succèdent et s’associent les divers modes d’agir.
Agir de transfert et identification
143 L’inconscient que décrit Le Moi et le Ça comporte les traces traumatiques en mal d’inscription, mais aussi des identifications inconscientes, qui interdisent l’émergence de l’identification secondaire décrite par la seconde topique. Si l’approche des traces traumatiques suscite excitation et pression vers l’agir, les identifications inconscientes sont facteur d’immobilisation, de prise en masse silencieuse du fonctionnement psychique. C’est après un long travail que les faisceaux du transfert pourront se rassembler et s’inscrire dans la scène de la séance pour y actualiser ces objets de l’enfance en tant que tels, et chercher en l’analyste un objet susceptible de soutenir un travail d’identification.
144 Lorsqu’ils pourront être approchés en effet, ces objets peuvent aussi se comporter comme « inaptes au processus secondaire », en tant qu’identification inconsciente contraignante, sur le modèle de la mélancolie, et d’un conflit entre celle-ci et le reste du moi sur le mode d’une attaque interne de la part de cette identification (voir supra). Il faudra s’intéresser à la réalité psychique des parents dont l’identification inconsciente reste l’empreinte. Le contexte de son analyse sera celui d’un conflit interne marqué de sado-masochisme. Si l’angoisse est le risque et le passage obligé de l’analyse du refoulé, la confusion et le débordement ceux de l’analyse du traumatique, la haine est celui de l’analyse du moi.
145 C’est là encore la reviviscence de « l’ancien investissement d’objet », son actualisation qui reste la voie royale de l’élaboration psychique. L’actualisation transférentielle se fait dans la séance cette fois et engage l’analyste. Elle peut rester longtemps immobile et silencieuse, dans une part agie du transfert qui reste méconnue. Le plus souvent, le dégagement ne s’effectue que par une répétition inlassable et douloureuse de l’agir de transfert, qu’il faut pouvoir soutenir. C’est alors un processus essentiellement économique, peu représenté. Mais parfois, au cours de cette laborieuse perlaboration, l’interprétation permet le surgissement d’une figuration ou d’une représentation de l’identification inconsciente, sur le mode plus haut décrit de la présentation agie, et un dégagement de l’aliénation qu’elle déterminait, dans le temps même où elle est figurée.
146 Dans tous les cas, cette mise en jeu passe par une mise en tension pulsionnelle, un passage par l’acte, à différencier de la présentation agie. On retrouve l’agir transférentiel au sens classique, adressé à l’analyste dans la séance, et dans lequel il est impliqué. C’est alors un acte risqué, par lequel le patient crée la situation qui lui rendra sensible la nécessité d’un mouvement de déprise, dans le mouvement même d’une tentative de maîtrise. Déprise envers un objet interne contraignant, déprise vis-à-vis de la tentative de s’assurer la maîtrise de cet objet transféré dans la situation interactive avec l’analyste. Mais ce mouvement de deuil est aussi l’accomplissement d’un meurtre, qui produit l’accession à une identification au sens de la seconde topique, c’est-à-dire l’instauration du surmoi, qui dégage de la dépendance à l’objet, et permet l’intégration de la culpabilité inconsciente, dont le potentiel destructeur est alors endigué dans une conflictualité interne.
147 On peut rapprocher ce travail sur l’identification de celui de Winnicott dans « L’utilisation de l’objet et le mode de relation à l’objet au travers des identifications » (Winnicott, 1969), où il décrit un autre processus que celui de la transitionnalité, celui du passage de l’objet subjectif à l’objet objectif, un processus d’établissement d’une épreuve de réalité passant par les identifications et non par la motricité. C’est un processus de meurtre, de destruction utilisant l’objet investi (dans la cure il s’agit de l’analyste), qui, s’il survit, le fait émerger de la subjectivité pour appartenir au monde extérieur : ici plus d’ambiguïté, plus de paradoxe… L’objet devient non-moi radicalement. « Ici s’inaugure le fantasme chez l’individu » (Winnicott, 1969, p. 169). Fantasme, et non plus animisme investissant le monde concret.
148 Un autre modèle rend compte de cette articulation complexe entre la déprise des identifications aliénantes et le travail d’identification qui passe par un renoncement, c’est celui du déni. C’est l’identification à un mode de fonctionnement parental réclamant un déni qui y tient lieu d’identification inconsciente. Dans Le Désir de l’interprète, Michel Fain (Fain, 1982) décrit une configuration du déni qui apparaît fréquemment dans la cure : l’articulation d’un fonctionnement en première topique nourri par les représentations inconscientes et d’un fonctionnement lié à la part du moi qui s’est organisée prématurément en réponse à l’environnement dans des processus de maîtrise : les mots n’y résonnent pas avec les auto-érotismes, ils tentent de dire sans écho subjectif ce que cette organisation prématurée a dû dénier. La part de la réalité extérieure qui risquerait d’évoquer la part déniée doit être écartée de l’expérience, appauvrie d’autant, et revient de l’extérieur sur un mode traumatique. L’interprétation lorsqu’elle sera possible devra d’abord tenter d’approcher la configuration parentale qui a imposé ce déni. Le travail de Bernard Penot (Penot, 1989) sur le déni précise en particulier dans le cadre de la thérapie institutionnelle de la psychose combien c’est par une dramatisation actualisée que cette configuration parentale peut être approchée et interprétée.
Voie motrice, voie régrédiente
149 Pour Freud, le geste actif de la répétition permet un surinvestissement protecteur de l’effraction de l’excitation, et une maîtrise à la fois rétrospective et anticipatrice de l’événement traumatique. Il faut alors comparer ce mode de fonctionnement psychique actif avec celui de la régression formelle décrit dans L’Interprétation du rêve (Freud, 1900a, chap. VII), par lequel l’excitation suit une voie rétrograde, vers le pôle perceptif. Le mouvement de l’actualisation transférentielle vers la réalisation motrice, très sollicité dans les états où le traumatique est proche, est le mouvement inverse de celui qui s’oriente vers l’hallucinatoire que Freud désigne par le terme « régrédient ». C’est en cela que le transfert est résistance. La régression libidinale qui est à l’œuvre dans l’agir est incompatible avec la régression formelle, comme la conscience l’est avec la mémoire.
150 On peut rappeler à ce propos la remarque de S. et C. Botella, qui notent la seule occurrence où Freud a envisagé une régression « matérielle » (Freud, 1916-1917a, XIIIe conférence) par laquelle une recherche d’accomplissement pourrait se faire dans une indistinction des registres perceptif et hallucinatoire. Cette régression serait dominée par la nécessité de réalisation pulsionnelle impliquant l’objet dans sa concrétude.
151 Lorsque cette régression « matérielle » s’exerce dans la séance, la parole devient compulsive (Danon-Boileau, 2007), adressée à l’analyste pour exercer une influence sur lui, sous-tendue par l’investissement de l’image verbale motrice, opposée à la parole associative qui investit préférentiellement les traces verbales auditives et la pensée. Mais la parole reste dans la séance un carrefour entre les voies motrice et régrédiente. Jean-Luc Donnet évoque ainsi l’Agieren parlé, l’agir de parole, comme nouvelle voie royale d’élaboration, entre décharge et hallucinatoire (Donnet, 2005).
152 L’hallucinatoire au contraire se définit par l’évocation ou la production d’images à la faveur d’une passivité et d’un désinvestissement de la voie motrice. Il me semble que l’essentiel du travail de l’analyste lorsque le patient s’engage dans l’agir est de favoriser la restauration d’un fonctionnement d’ouverture à la régrédience, qui permettra secondairement d’identifier les perceptions actuelles investies à leur correspondant du passé, comme une nouvelle forme élaborée après-coup. Il s’agit d’inverser le sens du cours des évènements psychiques tel qu’il est décrit dans le schéma du chapitre VII de L’Interprétation du rêve.
153 L’agir organise ainsi une situation qui, si un renversement peut s’opérer vers la passivité [5], permettra à la faveur du mouvement régrédient, non pas une régression vers la réalisation hallucinatoire comme dans le rêve, mais vers l’inscription mémorielle et ses recompositions. Le mouvement de déprise, s’il peut survenir, parfois initié par celui de l’analyste, réinstalle une passivité, à la faveur de laquelle l’investissement retiré se retourne vers la voie hallucinatoire, où il peut produire des rejetons… par exemple la remémoration qui peut survenir après un moment interprétatif.
154 Le rôle de l’analyste serait alors de permettre ce renversement, s’il parvient à être garant d’une part du fait que l’espace de la séance est protégé de la réalité extérieure, un pare-excitation efficace, et d’autre part de la présence d’un surmoi qui appelle à la retenue, à l’inscription. L’analyste s’arrête à la valeur des contenus internes qui se manifestent, à leur qualification affective. La séance devient un lieu où expérimenter un double retournement. À cette condition, le récit même du patient, liaison par les mots des traces de l’expérience, est liaison, inscription. Une part des quantités d’investissement engagées sera alors l’objet d’un refoulement, une autre part d’un renoncement à la quantité, enjeu essentiel de l’élaboration dans ces cures.
Clinique : formes agies de la présentation
155 C’est souvent la perception, même fugace, de la présence d’un registre de névrose infantile, qui permet l’engagement dans un traitement analytique : la présence du désir peut sous-tendre le régime pulsionnel des séances et celle d’un surmoi fonctionnel, étayer la contenance de la frustration qu’il comporte. Cet engagement devra ensuite survivre, si c’est le cas, à la demande massive de contre-investissement d’un état traumatique, ce qui est sans doute préférable aux états dominés par le désinvestissement, l’appauvrissement ou le déni qui clôturent mieux l’excitation. C’est peut-être pour cela que la clinique qui va suivre s’est imposée à nous ici.
156 La cure de madame B. verra se succéder plusieurs formes de « présentation » agie, parallèlement à des moments où une associativité est possible. Nous assisterons pendant sa cure successivement à un agir délabrant la réalité de sa vie, à une forme particulière de dramatisation agie par l’attitude corporelle, à un agir de transfert caractérisé enfin. L’ensemble sur un fond de détresse qui réclame en permanence un effort à l’analyste pour offrir le contre-investissement minimal qui rende la séance supportable. Dans ce contexte, l’interprétation de fond est une représentation d’attente quant à l’existence d’un sens historique aux agirs, et les interventions de l’analyste – dont sa contenance comportementale – tentent surtout de « retenir dans le domaine psychique », de soutenir le lien au langage de l’actualisation qui s’impose, et d’affirmer d’abord, contre toute apparence, le « lien au passé » des manifestations actuelles.
Un délai
157 Lorsque je rencontre Mme B., son avidité et son débordement anxieux m’inquiètent. L’exagération de sa mimique et de son attitude de petite fille suppliante et éplorée suscite chez moi une interrogation et un rejet, tandis que la fermeté de sa demande de poursuivre un traitement analytique, dont elle a l’expérience dans une autre ville, force le respect. Elle évoque ses sentiments d’abandon, elle se débat contre la solitude depuis toujours. Je suis dos au mur face à la désorganisation et à l’intensité dramatique de son expression… J’ai une grande difficulté à suivre ses propos, allusifs, hachés, multipliant des lignes associatives interrompues… Le diagnostic de « bipolaire » qu’elle s’attribue décrit assez bien l’alternance qu’elle présente entre une associativité bien installée, et des moments de dépendance, en quête de réassurances immédiates qui me font violence. L’ambivalence quant à lui faire une place inaugure la rencontre. Cela prendra un an.
158 L’installation du dispositif porte d’emblée une répétition, une valeur historique, mais celle-ci est illisible à ce moment, il n’est possible que de soutenir les indices que donne la situation, d’en prendre en compte à travers le contre-transfert toute la valeur, dans le brouillard. « Quand les transferts peuvent être inclus très tôt dans l’analyse, le déroulement de celle-ci s’en trouve obscurci et ralenti, mais son existence est mieux assurée contre de soudaines et irrésistibles résistances » (Freud, 1905e).
159 Les images éparses qu’elle donne alors de son histoire font imaginer une surcharge d’excitation effractive dès l’enfance : un père impulsif et transgressif, dans le registre délictueux autant que de la violence conjugale, une mère désorganisée, projective et explosive, qui l’envahit. Elle insiste sur le fait qu’elle n’avait pas de chambre à elle où échapper à ses intrusions. Une scène de violence entre les parents où, dit-elle, sa mère dut peut-être la vie à son intervention : elle avait six ans, elle s’est interposée impétueusement alors que son père tentait d’étrangler sa mère. Cette scène mit fin définitivement à une vie commune instable et les enfants furent placés quelques mois avec la mère dans un foyer avant que celle-ci ne réorganise sa vie.
160 Elle évoque cependant à plusieurs reprises une scène de registre différent, qui m’évoque la névrose infantile (le dédain parental…) : punie, elle doit finir son assiette dehors sur le palier, par terre comme un chien… mais non, même le chien on le ferait rentrer à la maison. Je pense alors qu’en la laissant dehors je répète avec elle cette scène douloureuse – au-delà du dédain, le sadisme des parents – mais peut-être moins dangereuse que celle de l’engagement dans les scènes parentales. Il vaut mieux être une petite fille malheureuse, voire une vilaine petite fille, que d’avoir à sauver sa mère en s’infiltrant dans la bête à deux dos. Je lui dirai alors que je pense qu’un cadre de séances fixes lui serait nécessaire, mais qu’un délai est imposé par la réalité de mon emploi du temps. Mon mouvement phobique vis-à-vis de la demande massive de la patiente s’est différencié d’une crainte quant à l’anticipation d’un transfert passionnel : une évaluation de ce qui est possible, entre elle et moi, au sens du site analytique (Donnet, 1995) : je lui refuse l’assurance préalable d’amour inconditionnel qu’elle réclame, à différencier de la bienveillance, puisqu’il serait sans limites et sans organisation auto-érotique. Je ne peux l’adopter sans délai… selon une formulation qui s’impose à moi, et que je garde en réserve.
Le couple parental
161 Un récit de rêve, isolé, survient alors ; elle l’annonce avec une grande gêne liée à l’homosexualité explicite qu’il met en jeu :
162 Je suis dans la maison de Gainsbourg avec Jane Birkin. Elle me regarde fixement, s’approche de moi et me touche le clitoris. Cela m’excite tellement que cela me fait mal. La mère de Jane fait irruption, Jane se détourne, coupable, pleure. Je me dis à regret qu’il va falloir que je quitte sa robe pour partir, car elle y tient et je veux laisser une bonne image. Lorsque je suis dehors je regrette, j’aimerais la revoir. Je l’appelle au téléphone et je tombe sur le joueur de foot dont j’étais amoureuse enfant, dont la photo était sur les boîtes de chocolat. Il me dit qu’elle est occupée mais que je peux rappeler le lendemain.
163 Je suis moi aussi dérangée par la crudité de cette scène qui me désigne comme fauteuse d’excitation, adressée en face à face, et avant même l’installation d’un cadre de traitement. Mais la référence à Gainsbourg atténue l’homosexualité directe par l’évocation du couple célèbre. La question du délai, du renoncement, est représentée de plusieurs façons successives, et surtout le repli possible à la fin sur les auto-érotismes personnels de l’enfance, les fantaisies amoureuses envers le joueur de foot, les souvenirs de chocolat… me rassurent.
164 La première association va dans ce sens : Gainsbourg me fait penser à mon père : un homme qui excite les gens, n’apaise pas. Puis des associations sur les intrusions maternelles, la chambre commune avec elle après le départ du père. Elle finit la séance par une demande insistante de ce que j’en pense. Je reste saisie d’une certaine perplexité. Je choisis de lui dire qu’elle s’est intéressée à Jane Birkin, une femme capable d’aimer Gainsbourg, un homme excitant, comme son père. Dérobade quant à la figuration érotique homosexuelle au profit du couple parental ; j’ai insisté sur le mot « capable » à cause du vol de la robe, pour souligner sans l’interpréter son désir d’appropriation, son désir de devenir une femme capable. De même que j’ai réclamé qu’elle soit capable de différer, je fais appel aux parents, je fais celle qui n’a rien vu de l’agir sexuel du rêve, comme on peut le faire d’une masturbation infantile. Je ne peux pas endosser directement l’homosexualité, que ce soit sur son versant érotique ou sur son versant maternel interdicteur. L’intervention est surmoïque et secondarisée, mais le surmoi que j’ai en tête est celui de « deux identifications accordées… ».
165 Pourrait-on dire que mon intervention n’interprète pas le contenu du rêve, mais utilise ses figurations pour affirmer une représentation du couple parental, en contre-investissement (pour moi surtout ?) de la scène primitive traumatique qu’elle m’a transmise ? C’est dans ce cadre mental que je pourrai alors envisager une thérapie en face à face, deux fois par semaine, sans impression trop aventureuse, et qu’elle trouve place naturellement dans mon emploi du temps.
166 Je peux m’interroger rétrospectivement sur le destin qu’aurait eu l’excitation si j’avais été en état que me vienne une formulation moins défensive au début à propos du rêve. J’ai tendance à penser qu’elle serait restée isolée vis-à-vis des forces de répétition qui se sont déployées ensuite, que les registres représentatifs et traumatiques étaient alors clivés, et qu’au-delà de mon incapacité personnelle c’est ce clivage qui m’a imposé de revenir à une interrogation sur le couple parental. Peut-être aurait-il été possible d’établir un lien entre les deux ?
Figurations corporelles
167 J’oublierai ce rêve inaugural longtemps, comme un premier temps dont le destin est d’être d’abord mis en latence… En effet, à partir du moment où la patiente peut compter sur son traitement, s’installe l’agir, dans sa vie. J’apprends qu’elle a décidé de transformer son appartement, faisant appel à un soi-disant artisan qui s’avère être un escroc. Elle se retrouve avec un intérieur inhabitable et un budget en grand danger. Elle parvient à peine, et en différé, à parler des affrontements avec cet homme, qui la font devenir folle. À ce moment ne peut trouver place qu’une interprétation générique de la question de la répétition, rien d’autre ne peut être entendu : « Je suis obligée de penser que ce qui se passe répète quelque chose de votre histoire… », voire lorsque l’excitation refuse de décroître, appeler à la patience : « Tout cela trouvera son sens petit à petit… ». Le « Au cours des évènements tout deviendra clair » de Nestroy (Freud, 1937d), une confiance dans la processualité à venir étayée sur l’expérience et la théorie de l’analyste, sur une antériorité.
168 J’écoute les descriptions des trous dans les cloisons, des écoulements et des fuites d’eau, des boiseries abîmées, du carrelage qu’il va falloir arracher… comme autant de plaintes corporelles, de tentatives de mise en image de l’effraction. Je suis requise explicitement comme témoin, garde-fou, mais dois aussi supporter l’accusation implicite que l’exhibition de cette détresse exprime. L’intensité d’investissement d’un objet matériel dit aussi sa précarité, le risque d’un investissement direct du corps de l’analyste (Pasche, 1971), dans une perte de tout quant à soi. La durée de ce cycle de l’appartement m’apparaît comme un temps d’investissement de la figuration tout autant que de tentatives de la détruire. Je reprendrai parfois sans l’expliciter un mot du registre corporel, pour un double sens à venir. Un moment important sera celui où elle reconnaîtra dans les adjectifs qui lui viennent à propos du pseudo-artisan des images de son père, qu’elle pourra évoquer ; je me rends alors compte de l’idéalisation dont celui-ci est l’objet. On peut noter que lorsqu’auparavant j’avais tenté ce lien elle n’avait pas entendu.
169 Au bout de ce temps, la figuration corporelle pourra se rapprocher, elle me dit un jour : Je deviens folle, en ce moment je ne cesse de perdre ce qui est dans mon sac, je ne retrouve plus rien… Je pense alors à son rituel d’arrivée en séance, depuis le début : ranger soigneusement son sac, et s’y reprendre à deux ou trois fois pour parfaire sa position, sa fermeture… Je lui dis, toujours de façon très secondarisée, que le sac peut représenter le corps féminin, elle a raison de s’en inquiéter. Elle reste songeuse un long moment. La question de l’appartement dès lors se dédramatise au profit d’un thème nouveau : sa relation maternelle avec une jeune adolescente, qui lui rappelle son adolescence à elle, dont elle peut alors parler. Je découvre qu’elle a établi une relation avec un homme, le père de cette enfant, relation qu’elle présente comme peu satisfaisante. L’interprétation de la valeur de l’angoisse à propos des pertes a permis un dégagement de la dimension régressive de cette angoisse. Elle peut alors manifester sa capacité à jouer ce rôle de mère inquiète, réinvestir ses propres identifications jusqu’ici noyées dans la nécessité d’évocation de la désorganisation maternelle.
170 La réserve interprétative m’a semblé justifiée par le temps nécessaire à la patiente pour investir par la réalité un espace de figuration, en explorer les possibilités de résonance historique, en élaborer les quantités d’excitation éveillées, et forger des traces narratives liées à des représentations de choses, petit à petit. Cette réserve a d’ailleurs été imposée par le fait que la patiente ne supportait pas le décalage qu’impose le registre interprétatif, le double sens.
Transfert et dramatisation
171 Peu à peu, la patiente va pouvoir resserrer les faisceaux de son expression à l’espace de la séance. Apparaît une dramatisation de la relation avec son ami ; elle raconte des scènes où le refus de celui-ci devant ses demandes de réassurance infinies suscite chez elle une grande violence. À la fin des séances, elle me sollicite anxieusement, répétitivement, à énoncer un jugement sur ces scènes, réclamant que je la justifie contre son ami. L’enjeu est délicat de maintenir un refus, mais sans la fin de non-recevoir qui la rend folle. Il me semblera alors nécessaire de résister en m’astreignant à lui redire le même contenu, avec des petites différences : reconnaître la légitimité de son désir d’une relation plus accordée affectivement (le désir de ne pas répéter le couple de ses parents), mais ne pas l’innocenter de sa responsabilité dans la violence à l’œuvre… Inventer une formulation pour elle, à chaque séance, rester donc vivante et en mesure de penser devant la pression de ses exigences, mais tenir face à la rage et à l’angoisse que déclenche la moindre réticence à son innocentation, ressentie comme accusation sadique, voire répétition d’une insulte maternelle. Je peux penser aussi qu’elle me demande un déni en commun, dont je ne perçois pas pour l’instant l’enjeu.
172 Répétition, semaine après semaine… Permettre que se rapatrie dans la séance le transfert haineux progressivement. Cela, jusqu’au jour où elle pourra engager la prise de risque d’une demande d’amour/demande de refus directement. Elle arrive alors avec une composition florale blanche, toute gauche de l’autoperception de la virulence de son agir, et me la tend brusquement, dans une expression composite, à la fois suppliante et offensive. Préparée à des adresses directes, je suis néanmoins si surprise que mon attitude de fermeture s’impose à elle avant que j’aie pu articuler un refus. Instant qu’elle met à profit pour dire : Je le savais !…, furieuse, honteuse et déjà boudeuse. Je lui dis qu’effectivement je ne peux pas accepter son cadeau, et lui demande de m’en parler, indiquant d’un geste qu’elle peut poser les fleurs sur la table basse à côté de nous pour s’en désencombrer. En effet, si je ne peux pas l’accepter, je ne peux pas le laisser tomber.
173 Mon refus qui prend valeur d’interprétation est plus une attitude de toute la personne qu’une formulation verbale. Le cadeau de la patiente était, tel un chant du cygne, une dernière tentative de se dispenser de prendre conscience de sa haine à mon égard, et dans le même temps d’être acculée à effectuer, sous la contrainte de la réalité, une intégration de cette haine. C’est peu après qu’elle racontera un souvenir qui figure exactement l’impression que j’avais depuis la première séance devant ses attitudes à la fois suppliantes et charmeuses : Dès la maternelle, je savais que ma mère était trop désemparée avec moi les week-ends ; on me disait que j’avais un vrai génie pour charmer les mères des autres enfants et me faire inviter… Sa présence en séance se détend, l’attitude disparaît.
174 Joseph Sandler (Sandler, 1976) a décrit parmi les formes de la répétition cette incarnation d’un personnage tentant d’induire chez l’analyste le rôle complémentaire. On peut penser qu’il s’agit d’une forme de présentation agie par l’expression corporelle, dont ici le cheminement n’est pas étranger à la régression formelle du rêve : si on en croit la sensation d’exacte superposition que j’ai ressentie entre l’image qu’elle me suggérait et la formulation de son souvenir, on peut penser que cette attitude envers moi était de sa part traduction scénique, mime de cette formulation verbale, entendue et investie par elle comme renvoi spéculaire de la part de ces autres parents de l’époque. Une dramatisation. Exemple aussi de ce que j’appellerai la figuration agie dans la situation présente, fréquente chez les états-limites, transition entre l’Agieren et l’expressivité… On pense à l’Homme aux loups (Freud, 1918b) jouant le chevreau qui cherche à se cacher dans l’horloge…
175 Cependant, le mouvement de rage lui est difficile à endiguer, elle prend rendez-vous avec sa thérapeute antérieure pour s’entendre dire que le transfert négatif est compatible avec la poursuite du traitement. Mais l’amorce d’intégration de son ambivalence lui donne une tenue et une consistance qui modifient notablement l’ambiance des séances et leur niveau d’anxiété. Elle pourra désormais souvent exprimer des critiques envers moi, atténuées ou plus directes. J’apprendrai par exemple que depuis quelque temps ce qui l’aide vraiment est un site de psychoéducation dédié aux bipolaires, qui donne des conseils d’hygiène de vie destinés à la bonne gestion de l’excitation, enfin précis et adaptés, et qu’elle ne comprend pas qu’on ne lui en ait pas parlé plus tôt… Le transfert latéral a changé de camp : au lieu d’un artisan destructeur, une association soignante. Cette évolution des transferts latéraux dont le titrage haineux et destructeur se dissout progressivement me paraît souvent témoigner de l’avancée d’une cure non-névrotique lorsque l’ambivalence peut se dire dans le transfert. Ne pourrait-on rapprocher cette observation de ce que Klein entend par la constitution d’un bon objet interne ?
176 Dans la période qui suit, survient le récit de deux rêves de la même nuit :
177 – Je sors d’un sac à fond rose de gros rats à poils noirs. C’est tout.
178 – Rêve gênant à dire. Un espace à trois niveaux, souterrain. Je ne me rappelle plus du premier. Je descends au deuxième, trois jeunes hommes s’apprêtent à me violer, mais curieusement je ne suis pas inquiète. C’est au troisième niveau, en dessous, que c’est difficile : il y avait une grosse Noire, monstrueuse comme une folle qui m’avait agressée un jour, énorme. Bizarrement, elle avait les seins aplatis sur une table, et je désirais ses seins…
179 Elle se souvient : non seulement à l’adolescence elle n’avait pas de chambre, mais elle dormait dans le lit de sa mère…
180 L’utilisation de l’image du sac pose la question du rôle de mon intervention précédente utilisant cette image, déjà lointaine. Après refoulement et dans le régime de séance plus empreint de latence qui s’est installé, la métaphore du sac revient en rêve mais ne tient pas longtemps au profit d’une figuration sexuelle d’une grande intensité. Mais l’écart entre la figuration du rêve et la scène du transfert s’est modifié. Pourrait-on dire que l’ambivalence de la scène du transfert contient maintenant, en voie de refoulement, les représentations de choses liées au corps maternel, incestueux, attirant, menaçant, au troisième sous-sol ?
Dramatisation et scène primitive
181 Deux années ont encore passé. Une élaboration des raptus abandonniques s’est faite jour, accompagnée d’une intense douleur morale. La tension reviendra cependant dans les séances, sur le thème de son affirmation d’un véritable destin psychiatrique lié aux aspects catastrophiques de son enfance. Je prends conscience progressivement de la tonalité de cette plainte, catégorique, revendiquant une incapacité définitive, qui me fait alors penser avec effroi à la mélancolie. Elle me questionne alors dans une formulation répétitive, quand approche la fin des séances : « Qu’est-ce que vous en pensez ? ». Une imploration qui s’accompagne parfois d’une sorte de grimace de souffrance aiguë, assez effrayante, qui s’accentue. Un jour, je l’entends dire qu’elle se voit, face aux gens, la bouche ouverte, figée, accentuant encore sa mimique. Elle répète l’expression, s’y arrête, épinglée dans l’horreur qu’elle lui inspire.
182 Je cherche silencieusement un sens à cette image et je l’invite à associer. Mais elle reprend sa revendication d’incapacité jusqu’à m’inspirer un malaise. Mon attention se déplace alors sur le fait que ce mode d’expression pathétique tranche désormais sur son expressivité habituelle. Je pense au clivage. Je ressens un soulagement à pouvoir penser qu’une partie d’elle seulement serait habitée par le mode d’identification mélancolique. Je lui fais alors remarquer que lorsqu’elle est dans cet état de désespoir, elle ne s’exprime pas comme aux autres moments, et qu’elle insiste alors sur l’impossibilité de trouver une issue comme s’il ne fallait pas qu’elle s’en sorte : à quoi faudrait-il qu’elle soit fidèle, avec qui veut-elle rester ?
183 Après un moment où elle ne comprend rien à ce que je dis, elle se souvient d’une scène où elle a éprouvé ce sentiment de trahison : il y a quelques années, elle avait un jour consulté une conseillère en image et acheté de beaux vêtements. Rentrée chez elle, elle a étalé ses emplettes sur le canapé, d’abord satisfaite, puis s’est sentie triste et coupable en pensant aux personnes du foyer où elle avait été placée après la scène entre ses parents, qui furent pour elle de meilleures mères que la sienne… Revient alors brutalement le souvenir précis de la scène : le visage de sa mère que le père tentait d’étrangler, la bouche ouverte…
184 L’intensité de la dramatisation dénotait ici un contact avec une représentation traumatique ; le cheminement du souvenir s’est d’abord arrêté (Freud, 1927e) sur la conseillère en image, puis les personnes trahies, et à travers elles l’identification inconsciente à la mère, avant de parvenir à la scène traumatique qui la représente. Ainsi le souvenir survient-il sur le mode de l’après-coup, selon la belle formule de Marie Moscovici (Moscovici, 1991), « un meurtre construit par les produits de son oubli ». À la faveur de la latence installée dans les séances, la petite fille qui servait de contre-investissement à sa mère, en m’adressant « comme elle » cette réclamation de contre-investissement, construit le souvenir de la scène où elle est aussi, « comme elle », avec le père, en plusieurs positions réalisant des désirs infantiles incestueux dont l’affect d’horreur exprimait la présence. Dans le même temps, elle commence à « en finir » avec le père surexcitant et meurtrier convoqué par cette scène. L’affect de trahison signale par la culpabilité le deuil en cours de ces objets du passé. C’est d’abord par la nomination de cet affect que la patiente a accédé au souvenir de ces objets.
185 C’est bien sûr invérifiable, mais je tendrais à penser que la conviction de coïncidence entre la scène remémorée et la scène historique repose sur un accès à une trace perceptive « réelle », qui trouve maintenant place dans une topique qui lui donne sens, tout autant que la description « la bouche ouverte » était un pont entre une image visuelle et une représentation infantile de sa mère, dont elle a souvent évoqué les cris, lesquels disaient bien une avidité affective sans fond, et l’image d’une effroyable féminité en forme de gouffre qui cherchait son contre-investissement… Au-delà de la détresse, l’effroi.
186 Green (Green, 2006) évoquait dans les pathologies limites l’importance des troubles de la pensée liés aux difficultés d’organisation du fantasme de scène primitive. L’approche de ce fondement de l’organisation psychique par le patient est violente, agie, en rapport avec l’envahissement par une excitation qui présentifie trop les traces d’objets parentaux surexcitants par leur intrusion ou leur absence.
187 Le travail de perlaboration, ici on pourrait aussi dire de désidentification de la « mère », est encore à faire, mais l’identification inconsciente a pu retrouver sa racine objectale, vivante, sexualisée.
188 À la relecture de cette séquence, nous retrouvons le mouvement des précédentes. La figuration qui recompose par étapes les traces traumatiques en souvenir endigue au fur et à mesure dans les rets du langage, de l’affect et des formations intermédiaires, le mouvement régrédient, au moment où celui-ci risque de basculer « au-delà ». Pour que s’installe ce mouvement régrédient, pulsionnel, du transfert, ne faut-il pas que le patient ait désiré, et perçu au fondement de la pensée interprétative de l’analyste un désir progrédient, une conviction intime de la valeur du travail qui s’oppose à la culpabilité inconsciente ? Son plaisir à ce travail mais aussi la résistance de l’analyste seraient des conditions pour que le patient puisse se risquer à l’intensité. N’est-ce pas cette intensité qui fait de la cure l’occasion d’évènements traumatiques au sens du traumatisme sexuel organisateur ?
Étayages mutuels
189 Nous avons constaté combien les processus de figuration et de dégagement identificatoire s’opèrent dans un entrecroisement complexe à travers la polymorphie des présentations dans la cure. Les descriptions de l’interprétation en dégagent souvent, avec diverses nuances, deux versants, souvent en deux temps : le premier accompagnant le mouvement associatif du patient, visant à favoriser sa générativité, le deuxième s’opposant à lui, signalant la nécessité du renoncement. Ces deux versants sont évoqués par Freud à diverses reprises, aux différents temps de son œuvre. Dans les écrits initiaux, l’un vise à favoriser l’émergence des contenus inconscients, l’autre à combattre la résistance. Plus tard, le premier recherche la construction des intermédiaires préconscients, le second s’oppose aux tendances à l’agir du patient. Enfin, l’interprétation oscille entre « un petit morceau d’analyse du ça, un petit morceau d’analyse du moi », le moi inconscient ayant assumé l’essentiel du rôle de la résistance. Cette différenciation soutient aussi deux tons très différents tout au long des écrits freudiens, l’un s’émerveillant de la complexité et de la richesse des processus d’élaboration psychique, « la précieuse matière psychique », l’autre évoquant un combat sans merci dans « l’arène » du transfert, « entre l’analyste et le patient, l’intellect et les forces pulsionnelles, le connaître et le besoin de décharge », jusqu’à l’Abrégé.
Deux versants de l’interprétation, deux versants du transfert
190 Pour Jean-Claude Rolland, ces deux temps sont confondus : c’est la verbalisation elle-même qui réalise le deuil, par le lien au langage de la motion pulsionnelle qui actualise l’objet inconscient. Dans ses textes sur le langage (Rolland, 2006) l’interprétation analogique est rendue possible par la dynamique associative du patient qui a « produit » l’analogie. « Ce qui, du refoulé, fait retour par la production d’analogies, tend à arracher l’esprit au “charme” de l’infantile et de l’inceste, à troquer le principe de plaisir contre le principe de réalité. » Il s’agit donc d’une poussée vers la représentation de la part du patient. L’interprétation analogique surgit de la rencontre entre ce mouvement vers la représentance et l’écoute de l’analyste. Dans un premier temps, Rolland désigne comme partage hallucinatoire l’identification de l’analyste à l’attachement du patient à ses objets inconscients. Dans ses textes plus orientés sur la difficulté du travail de renoncement, il invoquera une mélancolie partagée. Il s’agit alors des cliniques dites difficiles, pour lesquelles ce détachement est une épreuve de patience sur le long cours. Rolland pense la thérapie de la psychose sur le même modèle lorsqu’elle est possible : il faut une longue endurance de l’analyste pour donner une chance de se manifester à des objets inconscients dont l’actualisation est infiniment difficile et risquée pour le patient. Sa position cerne ainsi dans un même espace la cure de différentes pathologies, et soutient la conviction de la possibilité de cure dans la psychose.
191 Jean-Louis Baldacci (Baldacci, 2012 ; 2015), inspiré par la situation de consultation et la vivacité de l’engagement qu’elle demande, différencie l’interprétation « pour » le transfert, contournant la résistance pour favoriser le déplacement, l’associativité, et l’interprétation « contre » le transfert, qui le dénonce en tant que fixation à l’objet, dans une oscillation entre séduction et deuil, déplacement et renoncement. Différenciation qui précise les formulations classiques d’interprétation « dans le transfert » et « du transfert ». L’analyste est ainsi un véritable protagoniste du conflit interinstanciel du patient, tantôt auxiliaire de l’émergence du désir, tantôt allié pour déjouer la violence aliénante des imagos.
192 Bernard Chervet a soutenu cette différenciation sous les termes d’interprétation de substitution et interprétation de résolution (Chervet B., 2012). Au cours de la cure, les premières soutiennent la réalisation hallucinatoire en participant à la formation de substituts à la faveur de l’illusion qui fonde le processus primaire. Elles supposent un premier degré de renoncement par le lien au langage, mais sollicitent aussi l’aspiration à la réalisation hallucinatoire : idéalement le rêve entre deux séances, mais aussi toute la gamme des transferts latéraux. C’est dans un second temps que le patient pourra s’intéresser à ce qui manque, et entendre alors les interprétations de résolution qui réclament un renoncement à la réalisation hallucinatoire. Ces interprétations de résolution sont issues, elles, de la pensée secondaire de l’analyste qui met en lien les contenus de la scène de la réalisation du désir avec le reste des associations du patient où s’inscrit la réalité traumatique qui a provoqué la production de substituts. Elles sont alors monosémiques, en identité de pensée, issues du modèle de la construction. Il existe une stratégie interprétative entre ces deux pôles, mais c’est souvent après-coup que se différencient les effets de l’interprétation.
193 L’interprétation sur le premier versant reste ainsi dans la continuité de l’expérience de satisfaction. Elle soutient l’illusion d’un moi-plaisir dont les mouvements n’iraient que dans le sens du développement, de l’introjection pulsionnelle, du désir et de la vie. Mais elle suppose un espace psychique borné, sécurisé par le principe de plaisir. Elle désigne donc ses limites. La première de ces limites, phénoménologique, serait que le développement indéfini de la représentation dans la cure la rendrait interminable, voire substitut de la vie réelle.
194 D’un point de vue métapsychologique, cette limite nous semble représentée par la structure double du transfert quant à l’épreuve de réalité. La part qui s’exprime dans l’univers représentatif et figuratif se prête à une désexualisation progressive, à un deuil, dans le premier registre élaboratif plus haut décrit ; il s’agit des manifestations de l’inconscient secondaire qui, à travers la névrose infantile, a déjà connu l’épreuve de réalité et y a réagi par le refoulement et l’organisation autoérotique. La désillusion réclamée par la cure éveillera des échos diversement métaphorisés de cette épreuve de réalité historique. Dans le même temps, une autre part du transfert s’investit dans la situation analytique sans aucun accès à ce registre représentatif, dans une actualisation immobile et silencieuse. Pour se dégager, elle devra trouver sa confrontation à l’épreuve de réalité sur un mode plus immédiat.
Figurations de l’infantile et actualisation transférentielle
195 Nous nous sommes intéressée ici aux articulations de ces deux modes d’élaboration chez le patient. Le processus de figuration, de symbolisation, de développement du préconscient, est lié au langage selon les mécanismes décrits par Freud à propos du travail du rêve. Le renoncement est un mouvement de déprise qui ne passe pas par l’enrichissement représentatif, c’est une mutation économique, un déplacement d’investissement qui ne se manifeste que par ses effets. La figuration se fait dans l’espace de la régression formelle, du principe de plaisir, le deuil relève de l’acte, voire réclame l’acte, avec son enjeu d’irréversibilité, de confrontation au trauma. La découverte de la valeur agissante du transfert trouve là sa pertinence : « Nul ne peut être abattu in absentia ou in effigie »… L’interprétation de l’analyste n’opère bien sûr pas ces processus, elle les anticipe chez le patient, les reconnaît lorsqu’ils s’ébauchent, et vise à les soutenir. Au cours de la cure, ils se font souvent dans une succession temporelle, la figuration précédant le deuil, sachant que l’ensemble se répète inlassablement au long d’une cure sur divers thèmes, en divers moments.
196 Nous avions déjà tenté de décrire l’évolution possible en parallèle et dans une certaine indépendance de la figuration du sexuel infantile et de l’élaboration de la répétition traumatique au long d’une cure (Chervet E., 2008). Il nous semble ici intéressant de tenter de repérer comment ces processus peuvent s’étayer l’un sur l’autre, que ce soit au cours d’une séquence ou au long terme : l’étayage sur la figuration et la réalisation hallucinatoire qu’elle porte, permet un second temps de mise en jeu agie dans le transfert, de renoncement et de désidentification au cours d’une séquence (Janin, 1993). À plus long terme, c’est lorsqu’il sera suffisamment assuré du développement préconscient d’un trésor d’objets représentés que le patient pourra se risquer à perdre ses attaches à des objets inconscients, au profit du surgissement de nouvelles représentations…
197 L’histoire de l’Homme aux rats se déroule ainsi : le travail d’élaboration qui s’organise autour de la figuration du supplice aux rats et des déplacements géographiques au cours de la manœuvre militaire construit un tissu associatif d’images et de mots qui familiarise le patient avec les contenus refoulés et les inscrit dans un registre assumable par le moi. Des interprétations ponctuelles favorisent ce travail. Mais la conviction du patient quant à ce qui sous-tend cet univers préconscient, à savoir sa passion déçue pour son père, qui immobilise tous ses investissements dans l’oscillation de son ambivalence à son égard, ne s’effectuera que par le deuil de l’intensité d’investissement de cet objet, par la répétition inlassable et douloureuse de l’agir de transfert envers Freud. La construction de Freud qui éclaire la déception historique ne suffit pas.
Clinique : « Plongeon »
198 C’est par une courte séquence que nous illustrerons cette articulation. Depuis plusieurs années, l’analyse de Mme S. décline l’enfermement de sa vie où des situations extérieures délabrantes confirment sans cesse l’impossibilité de toute réalisation, féminine en particulier, réexcitant indéfiniment un désespoir qui ferme en retour toute issue. Elle reste en présence de sa responsabilité dans cet état des choses, à côté de la réalité implacable où elle se sent prise. Mais cela ne fait que raviver sa détestation d’elle-même. Régulièrement, elle esquisse des allégations allusives : « Si un jour je vois qu’il n’y a vraiment pas d’autre possibilité, je pourrai tout arrêter. » J’entends la menace douloureusement, mais je la prends en compte comme une sorte d’objection de conscience face au destin dans lequel elle se sent prisonnière, le dernier recours d’une représentation impossible de son désir. Je me tais, respectant ce sanctuaire malgré, et à cause du sentiment de danger. Parallèlement, son fonctionnement associatif de séance est riche, névrotique, avec des rêves auxquels elle s’intéresse. Je m’inquiète que l’analyse et ses satisfactions ne lui tiennent durablement lieu de vie.
199 Il y a quelques semaines, elle a factuellement évoqué une opportunité de changement favorable dans sa réalité professionnelle, puis n’en a plus parlé. Elle apporte alors un rêve :
200 « Je marchais dans un espace où il y avait de l’eau, en bord de mer. À un moment, vous êtes là. Je me change et garde dans les bras maladroitement mes vêtements que je ne sais où poser, je porte un costume de bain pas adapté, comme un jeune garçon à l’ancienne, et j’aimerais que vous m’aidiez. Mais vous entrez dans l’eau par un plongeon élégant. Je me retrouve alors en voiture, sur une route qui monte en tournant et je pense que je vais pouvoir rejoindre ma direction. Je m’aperçois alors qu’elle emprunte une sorte de passerelle au-dessus de l’eau, comme un viaduc, mais qui n’est pas fini et s’interrompt brusquement dans le vide. J’accélère cependant et je me réveille. Je n’y comprends rien. » Elle se tait, interrogative.
201 Je lui dis alors : « Comme si vous me disiez : vous ne voulez pas m’aider à plonger au féminin, eh bien vous allez voir le plongeon que je vais me payer ! » L’idée de se jeter à l’eau avait été formulée, il y a longtemps, à propos de rencontres impossibles avec les hommes.
202 Elle : « Oui… d’ailleurs je me souviens que lorsque j’accélérais, j’y mettais de la force, j’y allais vraiment ! »
203 Ce rêve reste parallèle à sa plainte qui se poursuit. Mais un registre nouveau s’installe, une colère virulente contre sa mère, liée à ses souvenirs d’adolescence « séquestrée ». J’apprends que dans le cadre d’une idéologie familiale contraignante elle n’a pas été scolarisée au lycée, et a passé son bac par correspondance, son père était son professeur. « Tu as tout ce qu’il te faut à la maison »… L’opportunité de changement professionnel réapparaît, dans une ambivalence entre le désir de tenter sa chance et l’anticipation d’un échec. J’interprète son besoin de punition et le cercle vicieux des confirmations qu’elle en cherche. Elle s’en saisit et se met à se préparer, affrontant ce qui lui apparaît alors comme une lourde inhibition.
204 La séance qui précède l’entretien crucial, elle est au désespoir, confuse, inaudible, jusqu’à ce que j’entende le « si… je pourrai tout arrêter », de façon légèrement plus appuyée, plus dirigée vers moi que d’habitude. Je suis alors convaincue qu’il est temps de lui livrer à ce propos la formulation que je réserve depuis longtemps. Je lui dis avec gravité, en pesant chaque mot : « Vous voulez que je me représente cette éventualité… que je supporte de me la représenter. » En partie dans un automatisme chez cette femme pleine d’égards envers autrui, elle réplique : « Je suis désolée de vous infliger cela. » Puis se reprend : « C’est vrai, c’est très sérieux. »
205 La séance suivante a lieu après l’entretien professionnel. Elle commence par en dire quelques mots, modulant sa satisfaction : « Si cela ne marche pas, je n’aurai pas honte de moi, j’ai senti que cela reste ouvert. » Récemment était apparue l’idée que cette ouverture professionnelle éventuelle ne la dispenserait pas du travail à faire d’ouverture du féminin en elle… Elle poursuit : depuis la dernière séance, j’ai senti que ce que je dis du suicide (c’est la première fois qu’elle prononce ce mot) parle de vengeance. « Leur » infliger la pire souffrance… Il s’agit de ses parents : le destin mauvais a retrouvé sa figure objectale.
206 Ainsi l’interprétation manie-t-elle une économie : longtemps, je n’ai « pas touché » à ce signifiant suicide qui me semblait le refuge d’un investissement privé d’issue représentative. Je pensais aussi à mon expérience de consultation avec des adolescents chez qui parfois cette idée de suicide représente le seul endroit où les parents n’aient pas accès. C’est lorsque la patiente a pu s’intéresser à une possibilité de déplacement viable dans sa réalité, porteuse de désir dans la lignée « après le bac », qu’a pu apparaître en rêve une représentation pulsionnelle, un substitut figuré de sa revendication, lisible pour l’analyste en termes de sexuel infantile. À l’écoute de ce rêve, un soulagement : l’accélération sur la passerelle après la déception à mon égard offre enfin un contenu pulsionnel et objectal qui fait de la représentation suicidaire un rejeton, un substitut. Celle-ci se décline en plongeon, dans une bisexualité et un double sens des mots qui m’évoque immédiatement la formulation d’une provocation. On remarque que mon association sur l’adolescence rejoint le souvenir que l’interprétation du rêve suscite.
207 L’interprétation a aussi été un choix : l’ajout de l’expression « au féminin » dans ma formulation, qui ne me satisfait guère, marque un regret vis-à-vis d’une autre ligne présente dans le rêve : l’allusion au costume de bain de « jeune garçon à l’ancienne » offre dans toute la fraîcheur de l’infantile une théorie de son malheur, que je garde en réserve : autrefois, elle était un garçon… Pour l’instant, dans l’ambiance de colère et de revanche qui est à l’ordre du jour, il faut toute la phallicité de la représentation pulsionnelle du plongeon et de l’accélérateur pour dire la rage nécessaire, la dénonciation de la situation d’enfermement à laquelle elle était identifiée…
208 Dans le premier temps du rêve, l’interprétation est amorcée par la patiente, achevée par l’analyste. La clarté de la figurabilité du rêve témoigne d’une élaboration secondaire orientée par le transfert déjà très engagée dans l’interprétation. Le sens affleure sous un déguisement minime et, comme le plongeon, élégant… Dans le deuxième temps, sans écran figuratif, l’attraction régressive est à l’œuvre, mais tente de se formuler confusément. La figuration en rêve était partagée dans le principe de plaisir, l’agir de parole est menace d’acte sans retour, il actualise l’éprouvé traumatique pour moi aussi. Je choisis cette fois d’accuser réception de l’adresse à mon égard de façon un peu dramatisée, « pour de vrai », c’est-à-dire signifiant l’intensité, la quantité de l’investissement engagé. Je pointe aussi sans le dire le mouvement hostile à mon égard de la menace suicidaire que je m’étais interdit de nommer depuis longtemps. Elle y répond en se prêtant, dans une passivité retrouvée, à l’autoperception de son mouvement de menace, qui fait surgir les objets parentaux, figurés par ceux de son adolescence.
209 L’étayage se fait aussi, dans l’autre sens, sur la réalité en tant qu’elle offre des issues représentatives à l’investissement : c’est au nom de l’ouverture d’une nouvelle voie d’élaboration pulsionnelle à venir dans son travail qu’il m’a semblé possible de remettre en cause le refuge suicidaire. L’élaboration silencieuse de la culpabilité inconsciente depuis le début de la cure ayant elle-même permis à la patiente de se donner cette opportunité.
210 Cette deuxième intervention qui lui signale ma capacité à supporter des expressions pénibles de sa part ouvrira un registre nouveau : désormais elle s’autorise à parler sans égards envers moi lorsque sa colère ou sa revendication s’actualisent. Peu à peu, elle se rend compte de ce que cachait l’idée de suicide : plutôt disparaître que d’être « pénible » pour ses parents. Elle pourra employer parfois un ton imprécatoire pour dire par exemple « je ne VEUX plus continuer comme ça ! » Mais il s’agit aussi d’une affirmation infantile : Je veux ! Non !
211 Ce qui s’actualise ici par la retrouvaille de la pulsionnalité en rêve soutient le dégagement d’une position infantile de répression adaptative à une conjoncture parentale. Une construction partielle s’est ébauchée chez la patiente quant à l’installation de son obéissance. Elle remarque alors que le pire dans sa vie, ce sont tous les moments où « elle n’est pas là », toujours efficace et responsable, mais absente à elle-même. Un clivage intranarcissique. Apparaissent dans les séances des moments difficiles où elle éprouve cet état, ne parvient plus à dire ce qu’elle ressent, ralentit sa parole jusqu’à risquer de me perdre en route… C’est par le « je ne veux pas ! » que reviennent les larmes et la sensation de soi, accompagnée du retour de sensations corporelles qui la rassurent quant à l’existence de sa féminité. Les affres de la névrose infantile sont encore à venir.
Conclusion
212 Au terme de ce parcours, il nous semble qu’une constante de ce travail a été la préoccupation de rendre compte de la multiplicité des registres impliqués à tous moments dans la cure, et de la nécessité pour la pensée interprétante de se situer toujours sur plusieurs plans : celui de la narrativité qui inscrit les traces et celui de la déduction des forces inconscientes à l’œuvre, celui de la transposition sur le monde et le corps, premiers tiers entre analyste et patient, et celui de l’adresse transférentielle envers sa personne, celui de la résonance du sexuel infantile et celui du tragique du traumatisme, celui du primaire et celui du secondaire [6]. Nous n’avons qu’ébauché quelques exemples de ces articulations de la pensée interprétante. Il faut y ajouter l’articulation des expressions verbales et non verbales dans la séance : dans quelle mesure celle-ci est-elle partageable ? Il nous semble que même si ce n’est que rétrospectivement que l’analyste peut analyser la stratégie qu’il a suivie, et par laquelle il a été contraint, c’est tout l’intérêt de l’échange inter-analytique que de tenter d’en rendre compte, ce qui justifie d’en passer par un récit clinique subjectif et suffisamment étoffé, malgré la part d’élaboration secondaire qui l’anime.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : Réserve interprétative, Interprétation, Représentations d’attente, Domaine intermédiaire préconscient, Actualisation
Mise en ligne 09/01/2018
https://doi.org/10.3917/rfp.815.1301Notes
-
[1]
On se souvient de la note des Formulations sur les deux principes de l’advenir psychique (Freud, 1911b), selon laquelle l’idée d’un fonctionnement originel entièrement dominé par le principe de plaisir est une fiction sauf si on y ajoute les soins de la mère.
-
[2]
En particulier l’inversion, qui revient à prendre le contrepied systématique de l’expression du patient, comme le critiquera Anzieu.
-
[3]
Concrétude sur laquelle repose l’« expérience agie partagée » décrite par les rapporteurs du CPLF de 2002 (Dispaux, 2002) (Godfrind, Haber, 2002).
-
[4]
Du moins quant à son appropriation : cela ne contredit pas le fait que l’enfant est aussi d’emblée baigné de langage, traversé par l’organisation symbolique. Les objets concrets que l’enfant manipule sont inscrits dans le langage, mais leur matérialité est indispensable à son activité psychique.
-
[5]
Catherine Chabert (Chabert, 1999) a montré combien c’est à l’articulation, dans le transfert, du fantasme masochiste, du masochisme féminin et du masochisme moral que peut s’ouvrir cette voie vers la passivité et les voies intérieures. Le cas clinique ci-dessous pourrait être relu dans ce sens.
-
[6]
Cette articulation rejoint peut-être ce que Green entendait par processus tertiaires, cela a été signalé au cours du congrès.