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Article de revue

Rêve contre-transférentiel et moi inconscient

Pages 1474 à 1477

1 À la fin de son rapport (p. 175), Michèle Van Lysebeth décrit une longue période de surdité contre-transférentielle liée à son cas « Alice ». En connivence avec les défenses de l’analysante, elle ressentait un malaise diffus qui se convertit, en fin de compte, en un agir contre-transférentiel. Se libérant de l’identification projective dont elle était prisonnière, son agir la sortit de l’impasse dans laquelle elle était piégée. Et, la nuit venue, le moi inconscient de la patiente fut à l’origine d’un rêve pointant l’inadéquation de son attitude. En l’occurrence, la pensée inconsciente de l’analysante se révélait plus performante que celle de l’analyste ! Sa fonction demeurait néanmoins cruciale. Il lui fallait comprendre et expliciter les figurations oniriques qui lui étaient adressées. Vu l’approche de l’interruption estivale, Alice s’avéra incapable de les comprendre. Mais, dès son retour, elle put progressivement les intégrer.

2 En étudiant de plus près ce qu’elle écrit, on pourrait supposer que l’analyste semble être hantée par un rêve qui lui révèle sa propre manière de travailler ou une thématique du patient dont il n’est pas encore conscient. Un tel rêve offre l’opportunité d’examiner sous un autre angle le matériel apporté par l’analysante. Souvent ces rêves donnent une direction et ils renforcent le sentiment de sécurité interne de l’analyste (Hebbrecht, 2013). Par conséquent, un rêve peut lui signaler l’effet causé par un changement de cadre sur le patient. En outre, le rêve peut l’aider à voir plus clair dans le déroulement du processus psychanalytique ; un rêve peut également mettre en lumière le contre-transfert ; le rêve peut donner des indices quant à la conduite du traitement. On pourrait poser que le rêve joue parfois le rôle de superviseur interne pour l’analyste (Hebbrecht, 2016).

3 Certains rêves indiquent quelle attitude l’analyste doit adopter : ils l’invitent, en quelque sorte, à intervenir de façon plus active, à se montrer plus attentif à l’ambiance de la séance ou bien à explorer l’importance d’un objet interne (Hebbrecht, 2014).

4 Les assises de cette constatation renvoient à la conception du moi inconscient dont la dimension élaborative se révèle d’une importance capitale. Elles renvoient également à l’œuvre de Bion – bien commentée dans le rapport de Van Lysebeth – qui suppose que l’élaboration psychique n’est pas possible hors d’une relation intersubjective.

5 Chez Alice le malaise contre-transférentiel de l’analyste a trouvé une solution grâce au rêve du patient. Un rêve contre-transférentiel – un rêve de l’analyste lui-même – permet parfois de comprendre le dysfonctionnement temporaire de l’analyste après un certain temps de souffrance nécessaire pour ce dernier. Ce que je veux illustrer par un cas clinique.

Bea

6 Dans le cas que je vous présente ici, le rêve de contre-transfert est le résultat d’une interaction par laquelle une patiente, que je nommerai Béa, exprime de manière distante ses rêveries comme si elle observait ses expériences intérieures comme un observateur objectif tout en me mettant en position de témoin neutre. Je me sentais comme paralysé par cette neutralité distante et cet ennui. Voici précisément le problème du contre-transfert préalable au développement du rêve. Le rêve m’indique clairement que je dois surtout me concentrer sur le climat et l’atmosphère de la séance et que je dois donner à Béa le temps de reconstruire l’histoire de sa mère. Après le rêve, l’histoire de sa mère devient un nouveau vertex dans son analyse. J’étais étonné que Béa, qui rêve si peu, éveille en moi un rêve si clair. Je me souviens bien d’un bref rêve qu’elle m’avait raconté au cours de sa première année d’analyse : elle se voit au sommet d’une montagne, elle tente de passer au sommet d’en face en sautant, mais elle tombe dans le ravin. Ce premier rêve n’évoque chez elle aucune association. Chez moi non plus d’ailleurs. Or, au fur et à mesure de l’avancement de son processus psychanalytique, je comprends qu’elle a du mal à « sauter », pour ainsi dire, vers moi et m’accorder de l’importance. Elle n’ose pas se détacher de son propre style narratif. C’est quelqu’un qui sait bien relater ses propres expériences et ses souvenirs, mais qui a beaucoup plus de difficultés avec une interaction spontanée et directe.

7 Après quatre ans de psychanalyse, à raison de quatre séances par semaine, Béa évolue de manière positive. Elle se fait traiter pour un syndrome de fatigue chronique et un état de dépersonnalisation suite à une rupture relationnelle. Au cours de l’analyse, il devient clair à quel point elle a dû apprendre à ne compter que sur elle-même parce que ses parents étaient tellement peu disponibles sur le plan émotionnel. Il apparaît nettement qu’elle a introjecté le traumatisme de sa mère qui, enfant, a longtemps été expatriée. Il me semble que nous entrons dans la phase finale de son analyse ; il est dommage que la patiente n’en parle pas. La patiente a une meilleure vision de son fonctionnement psychique et peut reprendre son travail.

8 Au début de la trêve estivale, je fais un rêve clair : Béa habite dans une chambre chez moi. Elle se rétablit mais n’est pas encore tout à fait guérie ; elle perd connaissance plusieurs fois par jour. Alors, je la ramasse, je la prends dans mes bras et je la pose sur le divan. Je veille à bien régler l’éclairage de la pièce de sorte qu’elle peut profiter d’une lumière du soleil bien dosée, ni trop, ni trop peu. Je lui achète un journal intime à la librairie et apporte également un exemplaire pour sa mère, l’un étant plus grand et plus beau que l’autre. Ce rêve m’apprend clairement que son analyse ne peut pas encore être clôturée. Il y a un travail analytique à faire autour de sa problématique narcissique : le rêve m’éclaire sur l’importance du holding et du climat (l’éclairage parfait). Avant que l’enfant « parentifié » ne puisse se défaire de la charge de materner sa propre mère, il doit avoir la possibilité de développer suffisamment longtemps le transfert en miroir. Ceci lui permettra de « régresser » et de renouer ensuite avec son vrai soi. En outre, il faut encore plus travailler la guérison de l’objet mère intérieur et endommagé. Mon rêve démontre le risque d’accès de jalousie provenant de l’objet mère interne et qui peut engendrer des réactions thérapeutiques négatives.

9 Il va de soi que je n’ai pas raconté mon rêve à Béa. Mon propre rêve donne lieu à un processus de réflexion interne et à mes propres associations libres. Mon rêve me guide et renforce ma conviction que je dois continuer à travailler avec elle. Il dévoile quelques thèmes qui devraient encore être travaillés. Après une période de doute, ce rêve de contre-transfert m’offre la certitude, comme si un fait sélectionné dans ma psyché prenait forme et m’apportait un sentiment de conviction intérieure. Cependant, mon rêve est bien plus qu’une inspiration triée sur le volet. Ce rêve a la qualité d’un message élucidant venu, pour ainsi dire, de l’extérieur. C’est comme si mon rêve m’interpelait. Suite à ce rêve, je me sens plus ouvert et plus réceptif à de nouvelles significations et développements imprévus. Je renonce à ce sentiment de conviction intérieure pour m’établir dans un état de doute, de confusion et d’incertitude, dans l’attente de moments de clarté qui surgiront de manière intuitive et par le biais de rêves. Mon rêve n’est certes pas une évacuation, mais plutôt le résultat d’un processus de transformation que nous avons subi ensemble.

Conclusion

10 Actuellement, nous considérons un rêve fait au cours de l’analyse – que ce soit par l’analysant ou par l’analyste – comme une création qui se produit dans un champ relationnel et émotionnel (Hebbrecht, 2012). Dès lors, le rêve ne sera plus considéré comme le résultat de l’action de la psyché, mais bien comme un film de ce qui se passe à un niveau inférieur au sein du couple analytique. Les rêves peuvent être considérés comme une sorte de représentation théâtrale porteuse de sens et qui constituent le début de nouvelles histoires qui ont été mûrement réfléchies et transformées. Le travail onirique du moi inconscient me semble intimement entremêlé avec l’intersubjectivité de la relation analytique.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Hebbrecht M., Rêver dans le champ bi-personnel, Revue Belge de Psychanalyse, t. 61, 2012, p. 105-120.
  • Hebbrecht M., The dream as a picture of the psychoanalytic process, Revue Roumaine de Psychanalyse, t. 2, 2013, p. 123-142.
  • Hebbrecht M., Les interprétations des rêves : de Freud à Bion, Cahiers de Psychologie Clinique, t. 42, 2014, p. 27-44.
  • Hebbrecht M., Vers une nouvelle interprétation du rêve en l’an 2016 ? Considérations sur la technique analytique, Revue Belge de Psychanalyse, 2016-1, t. 68, 2016, p. 75-92.
  • Van Lysebeth-Ledent M., Le travail onirique du Moi inconscient, Bulletin de la Société Psychanalytique de Paris, 2016-1, p. 113-189. 

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