Couverture de RFP_794

Article de revue

Journal of the American Psychoanalytic Association, vol. 61/6, vol. 62/1, vol. 62/2

Pages 1275 à 1278

English version

1 Il est regrettable que les publications du JAPA ne rencontrent pas l’intérêt qu’elles méritent auprès des psychanalystes français, et que les exemplaires restent trop longtemps à dormir sur les rayons de la bibliothèque Sigmund Freud.

2 Voici pourtant de quoi susciter la réflexion de tout un chacun avec les articles que nous avons choisis d’évoquer, entre autres, dans les trois dernières parutions de cette revue.

3 La presse anglo-saxonne avait fait sensation en dévoilant que l’on avait retrouvé les restes de Richard III, de sinistre mémoire grâce à Shakespeare, sous le béton d’un parking à Leicester. S’en est suivie une contribution passionnante de Irvin C. Rosen intitulée : « Le désir d’être haï : la vilénie de Richard III à la poursuite de l’objet suffisamment mauvais ». Ce roi naquit contrefait et s’instaura dès lors une relation haineuse avec une mère « sévèrement traumatisée et rejetante ». L’enfant développa et entretint une relation d’objet bien particulière : il était l’« enfant de la haine » méprisé et diabolisé par sa génitrice. Ses victimes, essentiellement des femmes, lui servirent de subrogées mères dans cette quête, sa vie durant, pour reproduire son « objet suffisamment mauvais » maternel. Le thème des relations perturbées entre mère et fils est récurrent dans le théâtre de Shakespeare, et Rosen le relierait aux difficultés que connut le dramaturge avec sa propre mère. Notre auteur poursuit en évoquant les difficultés narcissiques qui rendent problématiques les relations des parents ayant un enfant handicapé.

4 Si l’homosexualité n’est plus considérée comme une particularité pouvant être socialement handicapante, la définition de ce que le terme désigne évolue avec le temps. Bertram J. Choler et Robert M. Galatzer-Levy exposent comment « l’histoire change le langage », et comment le sens du désir des hommes pour le même sexe s’est modifié rapidement pendant ces cinquante dernières années. Les différentes appellations traduisent des nuances parfois très déterminantes, certains sujets allant jusqu’à se définir comme « hétérosexuels » en dépit de la non-différence anatomique sexuelle du partenaire. Le travail de l’analyste et de l’analysant se trouve en décalage du fait de la méconnaissance implicite du vrai sens du désir du patient. (À noter que dans certains lycées parisiens il arrive de traiter de « pédé » le garçon par ailleurs très « métal » qui se plaît en compagnie des filles de sa classe. NDLR.)

5 Avec une vivacité de ton inhabituelle qui suscite immédiatement chez le lecteur la curiosité de savoir ce qui provoque ainsi l’humeur de Lawrence Friedman, nous sommes amenés à la suivre dans son entreprise de mise au point, de mise au clair, du terme « perlaboration », celui qui arrive après « remémoration et répétition ». Elle se propose de rectifier une erreur de lecture qu’elle constate partagée par ses collègues à propos de l’ouvrage Papers on Technique (1911-1915) qui n’est pas une application de la théorie. C’est, dit-elle, « comme la chronique d’efforts successifs pour se confronter aux expériences qui l’ont conduit (Freud) à adopter les principes de la technique psychanalytique, ajoutant quelquefois des conclusions qui divergent sans pour autant se dédire, chacune comprise seulement en saisissant une difficulté spécifique avec laquelle il se battait à ce moment-là de sa pratique. ». Cette contribution intitulée : « Le discontinu et le continu dans le texte de Freud : remémoration, répétition et perlaboration » revient sur cette « vision double » que préconisait Freud : « En imaginant et conduisant un traitement nous devons en général penser de deux manières à la fois, comme si on observait les objets discrets à l’intérieur du patient tout en étant confronté à un organisme entier qui se dévoile lui-même selon un processus quelque peu imprévisible. » Il faudrait traduire en entier ce texte précieux qui montre comment le fait de pointer la résistance ne la fait pas cesser pour autant et ne constitue pas cette perlaboration trop vite admise. L’auteur expose à ce propos les erreurs de traduction de Strachey, qui « entraînèrent » nombre de significations arbitraires attribuées ensuite à ce terme. Car pour Lawrence Friedman « Perlaboration » (Working through) ne veut pas dire résoudre une question, pas plus que cela signifie faire disparaître une résistance. Cela veut dire travailler contre la résistance. Le patient doit poursuivre son devoir (duty) analytique en dépit de la résistance. Alors il obtiendra ce quelque chose d’autre qui est nécessaire en plus de l’interprétation de l’analyste. Et ce serait quoi ? Il expérimentera la poussée (impulse) qui est la source de la résistance. Seul le patient peut sentir cette poussée, l’analyste ne peut que la nommer et puis entendre le patient en parler. Qu’est-ce que le patient ressentira ? Je pense que c’est évident quand vous considérez ce qu’est en fait une résistance : le patient sentira les intérêts qui ordinairement le détourneraient de se déclarer. Lire un thermomètre n’est pas la même chose que connaître une chaleur brûlante. La fidélité à la règle fondamentale exige d’un patient qu’il perlabore (work through) sa résistance comme quelqu’un qui traverserait le feu et du coup en sentirait la chaleur ».

6 Après cette présentation serrée de L. Friedman dont nous n’avons donné qu’un bref aperçu, un texte d’Alessandra Lemma, « Du divan aux toilettes », nous plonge dans le concret du cabinet de l’analyste, puisque l’auteur nous montre comment, avec la salle d’attente, les toilettes font partie chez elle du dispositif du traitement analytique. Ceci suppose, évidemment, ce qui n’est pas toujours le cas, l’accord du psychanalyste pour que les patients utilisent cet endroit « privé ». Cette contribution très vivante, voire amusante, s’avère riche en matériaux d’observation bruts et en déductions très intéressantes. Ce sujet, abordé facilement pour les enfants, l’est avec plus de retenue pour les adultes ! L’auteur a pu constater deux « manières qualitativement différentes de se servir des toilettes dans le contexte de la relation analytique. Il y a un usage pervers pour mettre en acte une dynamique sexualisée, hostile, intrusive en lien avec l’analyste. Le patient oscille alors entre être le voyeur, fantasmant l’analyste dans les toilettes, et être dans les toilettes celui qui est regardé par l’analyste ». La deuxième manière, d’abord phobique, implique les angoisses concernant les dommages fantasmés que pourrait infliger le patient à l’objet « en exposant des parties de son self sales et inacceptables ». Ce type de patient d’ailleurs ne peut pas d’emblée se servir des toilettes de l’analyste, ce n’est qu’après avoir pu exprimer des sentiments réprimés dangereux dans le « sein-toilettes » de l’analyste qu’il pourra y accéder enfin.

7 Signalons que dans ce volume 62/1 une très importante partie de l’ouvrage est consacrée aux travaux de Julia Kristeva, avec, après une introduction de Bonnie E. Litowitz et un texte de Julia Kristeva, des contributions de Rachel Widawsky, Rosemary H. Balsam, Mitchell Wilson concernant son œuvre. Saluons la petite note très brève de Bonnie E. Litowitz annonçant que désormais certains textes du JAPA seront choisis pour être traduits en coréen et en mandarin, encourageant ainsi le dialogue entre les cultures sur la théorie et la pratique psychanalytiques.

8 Le volume 62/2 propose d’abord un texte de Rona Knight qui s’intéresse à la période de latence, à l’origine de ce concept et à son évolution jusqu’à aujourd’hui. « Un centrage sur la phase de latence est utilisé pour illustrer comment la théorie et la recherche développementale ont influencé nos perspectives psychanalytiques du développement pendant ces cent dernières années ».

9 Si les deux textes proposés ensuite présentent un intérêt certain, l’un concernant la façon dont Lacan envisageait et traitait l’attaque de panique, l’autre s’attachant à cerner ce que le terme de vérité recouvre, il nous est apparu utile de faire ressortir le texte de Bonnie E. Litowitz : « Trouver un arrangement avec l’intersubjectivité : garder le langage à l’esprit » (Coming to terms with intersubjectivity : keeping language in mind). « Mon sujet est l’intersubjectivité : les différentes façons dont nous sommes arrivés à le penser et à en parler et comment je le pense. Ma perspective est que l’intersubjectivité dépend des systèmes sémiotiques partagés, dont le principal est le langage. Étant donné que nous naissons dans un monde d’activités linguistiquement saturées, il s’ensuit que les conditions pour l’intersubjectivité sont présentes dès le début. » Un linguiste ne sera pas dépaysé par les constatations de Litowitz et les apports qu’elle fait pour réfléchir à cette question, en ayant en mémoire que le terme « intersubjectivité » a été utilisé par Husserl pour désigner la relation réciproque des consciences les unes avec les autres. L’éloge de la tromperie (deception) que notre auteur entend comme « une adaptation pour assurer la survie » retient l’attention, car elle ne l’entend pas comme une contradiction œuvrant au sein de l’intersubjectivité, mais bien plutôt comme une nécessité.

10 Dans la section « Revue des livres » de ce numéro, comment ne pas s’attarder sur « Courtship letters of Freud and Martha Bernays » que nous présente Rita K. Teusch ? Le premier volume des lettres non éditées qu’échangèrent Freud et sa fiancée a été publié en Allemagne en 1911. Il comporte deux cent trente lettres écrites pendant la première année de leur engagement. Le second volume a été publié l’année dernière, il comprend deux cent soixante-dix-sept lettres et couvre les premiers six mois de la seconde année de leurs fiançailles. Trois autres volumes doivent être publiés dans les années prochaines. Le père de Martha appartenait à l’une des illustres familles intellectuelles juives allemandes, il était le fils de l’Orthodox Chief Rabbi de la communauté juive de Hambourg et avait Heinrich Heine pour ami. Le décalage social avec la famille de Freud freina un temps l’annonce des fiançailles de Sigmund et Martha. Mais il faut lire la présentation de ces lettres échangées entre une jeune fille de vingt-et-un ans et son amoureux qui en avait vingt-six. L’éditrice (Grubrich-Simitis) de cette volumineuse correspondance (mille cinq cents lettres en tout) souligne la place décisive que celle-ci occupe pour la connaissance de la préhistoire de la psychanalyse, avant la correspondance Freud-Fliess. Un livre passionnant qu’il est difficile de lâcher une fois qu’on l’a en mains, nous assure Rita K. Teusch.

11 Marie-Claire Durieux
4 place de Breteuil
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