Notes
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[1]
« Toutes les fois où j’essaie de déformer un fait, je commets une erreur ou un autre acte manqué […] qui révèle mon manque de sincérité » (Freud, 1901).
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[2]
Une traduction aussi fidèle que possible : « La pauvreté de son travail prouve que ses prétentions de grande expérience ne sont que mensonge. »
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[3]
Mais bien des années plus tôt, Lacan avait mis l’accent sur l’interprétation du transfert comme leurre utile dans la relance du processus : « […] le transfert n’est rien de réel dans le sujet, sinon l’apparition, dans un moment de stagnation de la dialectique analytique, des modes permanents selon lesquels il constitue ses objets.
« Qu’est-ce alors qu’interpréter le transfert ? Rien d’autre que de remplir par un leurre le vide de ce point mort. Mais ce leurre est utile, car même trompeur il relance le procès » (Lacan, 1951).
Même si certaines allégations de patients étaient mensongères et irréelles, la réalité psychique du mensonge lui-même demeurait un fait irréfutable. Il est difficile d’imaginer ce qu’il fallut de courage, de force, d’opiniâtreté et aussi de dépassement de soi pour traiter froidement de fantasme hystérique la tendance fallacieuse des patients au mensonge, et pour l’estimer digne, à titre de réalité psychique, de faire l’objet d’attention et de recherche.
1Dans un précédent article, j’avais traité de la question du mensonge dans sa relation avec la fin de la cure. Je m’étais appuyé sur la thèse ferenczienne d’après laquelle la découverte des fantasmes hystérique par Freud, « tendance fallacieuse des patients au mensonge », devait être dialectisée avec l’investissement de la réalité auquel elle devait céder la place en fin d’analyse. Plaisir de fantasmatisation inconsciente et mensonges inconscients étaient pratiquement synonymes chez Ferenczi. Hanté par la question du mensonge et de son pendant chez l’analyste (hypocrisie de l’analyste), Ferenczi avait mis un point d’honneur à vouloir percer les noyaux de réalité sur lesquels a pu se construire le fantasme, voulant rétablir la « vérité » traumatique, levant ainsi le mensonge (Khoury, 2008).
2Avec le titre et l’argument de ce numéro, nous pouvons nous rendre compte que la psychanalyse, dans sa découverte, sa théorie et sa clinique, avait évolué autour d’interrogations fondées sur la question du couple vérité/mensonge et ses extensions, dialectisant ainsi les deux termes d’une économie fondée sur le caché/trouvé, oublié/rappelé, refoulé/remémoré…
3Un premier « mensonge » qui commence avec les premières interrogations de Freud face à ses maîtres ; la conviction restée secrète d’un Charcot et d’un Breuer sur la place capitale de l’étiologie sexuelle des névroses, conviction cachée au regard des médecins de leur temps, jusqu’à la thèse, vers la fin de sa vie, de la construction d’un passé chez le patient, construction non fidèle à la réalité matérielle des années oubliées, mais qui aurait le mérite de relancer le processus analytique (Freud, 1937). Entre ces deux époques se situe une foule de théorisations et de positions, ainsi que des règles techniques dont le lien avec le « mensonger » et la vérité déformée surgit avec éclat : le proton pseudos de l’hystérique (scène-mensonge pour commémorer le traumatisme initial), l’acte manqué qui vient rétablir une vérité inconsciente [1], le transfert (comme « leurre » utile), la règle fondamentale, règle de non-omission (tout dire, ne rien cacher), les mensonges d’enfants et leur lien avec le désir œdipien, la vérité psychique, la vérité historique et matérielle.
4Dans la définition même de la psychanalyse, Freud évoque un procédé particulier de recherche pour l’accès à des représentations inconscientes enfouies, cachées et inaccessibles autrement que par une méthode spécifique : celle de la libre association d’idées, mais une libre association qui, fut-elle libre, ne peut qu’utiliser la parole et sa capacité de jugement et de déformation de la réalité, une parole qui dit et qui tait, qui révèle et qui cache, une parole qui lâche et qui retient, mais aussi une parole ouverte au retour du caché-refoulé et au lapsus.
5Dans les critiques touchant à la discipline psychanalytique et aux tendances interprétatives mettant en avant la psychanalyse en tant que « savoir » scientifique, il est souvent question de « fiction », de « charlatanisme », de « mythe », de « pseudo science » (Popper) et de « constructions ad hoc ». Ces critiques tentent d’une certaine manière de dénoncer une sorte de « mensonge psychanalytique », lui-même fondé, dans son esprit heuristique et sa méthode thérapeutique, sur la mise en jeu entremêlée de la déformation et de la vérité, de la réalité et du fantasme, de la personne de l’analyste et de l’analyste objet de transfert, du passé et du présent, dans l’anachronisme du processus analytique et de sa temporalité éclatée (Green, 2000). Le présent ne serait pas le présent, ni le passé, un passé, pris dans un « champ de significations symboliques » après coup (Lacan, 1954) ; plutôt un impassé, une impasse répétitive qui se (re)présente et se (re)crée dans la sphère de l’actuel (Scarfone, 2014).
6Mais dans cette « fausse » science, le « faux » serait inhérent à la méthode de recherche elle-même, méthode instaurée afin de permettre au passé/présent de se faire entendre et à l’appropriation subjective de s’éprouver. Ce que, nous semble-t-il, beaucoup de détracteurs n’ont pas compris.
7Quand des adages comme La fin justifie les moyens ou Prêcher le faux pour savoir le vrai – adages à connotation péjorative et généralement emprunts d’actes préjudiciables et condamnables – peuvent se prêter à la notion de transfert comme situation artificielle qui débouche sur un démenti (Penot, 2004). Ils ont pu être confondus, chez les pourfendeurs de la psychanalyse, avec un esprit d’imposture et de planifications intentionnellement manipulatoires. Si l’analyste arrive à présumer à l’avance les affres du transfert et sa condition de leurre, en essayant de l’accueillir avec le plus de neutralité possible et en évitant dans la mesure du possible les dégâts collatéraux dus à des passages à l’acte transféro-contre-transférentiels, il ne peut en aucun cas en dénoncer et en expliciter au préalable les perspectives de son advenue à l’analysant et sa nature de « fausse relation » ; ce serait priver l’analysant du plus central de l’éthique psychanalytique comme d’une éthique spécifique : celle d’œuvrer à actualiser – parfois en les (re)créant – les processus inconscient en vue de leur appropriation subjective.
8Par ailleurs, ne pas considérer le transfert comme une « fausse relation » et c’est le risque d’une confusion de plans et de registres avec la menace de transgressions diverses (Godley, 2003). La psychanalyse ne peut que travailler avec du semblant, mais un semblant dont émanerait la « vérité inconsciente », ou la vérité comme fruit d’une mesure réalité/fantasme, acquise au décours du processus mais aussi dans son après-coup. J’y reviendrai.
9À partir de ces quelques considérations et dans le texte qui suit, j’aborderai quelques figures de la notion du mensonge en psychanalyse, en essayant d’y apporter quelque éclairage.
Le mensonge « blanc » et le droit au secret
10Dans certains pays, on parle de « mensonge blanc », mensonge qui ne porte pas préjudice à autrui. Commis pour ne pas heurter et faire de la peine aux autres, il vient occuper les espaces vides dans le lien, évitant de ce fait des discontinuités dans la relation à l’objet. Le mensonge blanc jette des ponts et assure des attaches entre des moments plus significativement importants dans le cours d’une relation. Dans sa participation au maintien de la continuité interrelationnelle, il serait moins en rapport avec une vérité refoulée, clivée ou verrouillée, qu’avec une vérité qui n’a pas besoin d’être révélée car participant des frontières moi/non-moi dans sa gestion sociale ; c’est une « coupure vénielle » qui marque symboliquement l’affirmation subjective. Il serait plus dans un certain rapport avec la négation, par son identité intellectuelle, qu’avec le procédé du refoulement, lié au pulsionnel dans son économie intrapsychique ; « Ne pense pas que c’est parce que je n’ai pas envie d’être avec tout ce monde à cette soirée que je ne viendrais pas… j’ai une accumulation de travail que je dois terminer », serait un exemple paradigmatique d’un mensonge blanc, rétablissant quelque limite avec autrui tout en maintenant le prolongement du lien à l’autre. Mensonge inoffensif « blanchi » par le droit à l’intime.
11Ce droit à l’intime nous renvoie à la notion, plus profonde et participant de l’organisation identitaire, du droit au secret ; un autre type de mensonge, blanc, inoffensif, ne fût-ce que par cette toile de fond blanche, surface originaire et nécessaire pour le droit à l’intime et à la constitution du self. Par sa valeur subjectivante et structurante de la psyché, il constituerait, selon Piera Aulagnier, une condition pour pouvoir penser. Dans son article sur le sujet, elle insiste sur la fonction même du secret plutôt que sur son contenu, à partir de ses recherches sur la psychose. Pour elle, il est rare que l’analyste s’intéresse à la fonction du secret « en soi » ; « Se réserver le droit et la possibilité de créer des pensées, et plus simplement de penser, exige que l’on s’arroge celui de choisir les pensées que l’on communique et celles que l’on garde secrètes : c’est là une condition vitale pour la fonction du Je » (Aulagnier, 1976) – fonction désorganisée dans la psychose.
12Dans un autre passage sur la fonction du secret plutôt que sur son contenu – le contenu étant plutôt du ressort du travail avec la névrose –, elle souligne :
« Pouvoir penser secrètement à un nuage rose » : en première phase du fonctionnement du Je et tout au long de certains moments de son activité, l’essentiel de cet énoncé porte sur l’adverbe et non pas sur le complément d’objet. Faute de le savoir, on affirmera au sujet que le « nuage » est là pour le sein, le « rose » pour la cravate de l’analyste, et le « secrètement » pour exprimer sa résistance ou les tendances autistiques de sa pensée.
La brillance interprétative du contenu manifeste vient masquer la totale ignorance de ce qui se joue sur le fond : ce type d’interprétation, pour peu qu’elle soit appliquée sans discernement et de manière généralisée, ne fait, dans un certain nombre de cas, que répéter une même violence abusive déjà imposée au sujet et prouve qu’on n’a rien compris sur ce que ce dernier souhaitait pouvoir enfin retrouver dans la situation analytique.
14Nous voyons combien la fonction même du secret et de certaines figures du mensonge participe de la structuration identitaire et de la délimitation subjective qui peuvent être bafouées, violentées abusivement, faute de considérer le « mensonge » comme inhérent à la constitution du psychisme et de la pensée, ainsi qu’à leur développement. Dans la situation analytique, le leurre que constitue la relation transféro-contre-transférentielle se jouerait sur la toile de fond que constitue la mesure de la situation analysante et ce qui s’y joue sur le juste rapport entre l’entendu, le reconnu du discours de l’analysant et ce qui pourrait en être communiqué ou tu. Quoi entendre ? À quel moment ? Comment pouvoir « fermer l’œil » (dans ce cas, fermer l’oreille) sur ce qu’on a vu, entendu ? Comment ignorer les représentations-buts, éviter les interprétations de contenu prématurées et donner le temps à l’analysant de se forger son secret et se donner le temps de se dire, de leurrer et de choisir la couleur et la forme de son objet transférentiel ?
15Comment concilier ce « droit » avec la règle fondamentale de la cure, celle de tout dire ? Autre paradoxe de la méthode analytique, car se rappelle-t-on de la réaction célèbre de Freud face à l’homme aux rats qui, lors d’une séance, lui demandait de lui épargner les détails du « supplice aux rats », voulant ainsi échapper aux impératifs de la règle fondamentale. Freud avait alors répondu qu’il ne pouvait « le dispenser de choses dont il ne dispose pas » (Freud, 1909).
16Mais quelques années plus tard et considérant la dynamique transférentielle comme une « déformation par le transfert » et une « résistance de transfert » inhérentes au processus analytique, Freud se penche sur cette « transgression » de la règle fondamentale : si le patient « s’arroge le droit d’enfreindre la règle fondamentale de l’analyse (suivant laquelle il doit, sans discrimination, révéler tout ce qui lui passe par l’esprit) [en oubliant] toutes les résolutions qu’il avait prises au début du traitement et accueille avec indifférence tous les rapports et toutes les conclusions qui lui avaient jusqu’alors produit grand effet », c’est parce que « ces facteurs sont dus à la situation psychologique où l’analyse [l’] a placé […] » (Freud, 1912).
17Mais déjà, en deçà du transfert-résistance et de sa nature « transgressive », le seul énoncé de cette règle donnerait consistance à la possibilité de sa transgression (Guyomard, 2009). La règle de non-discrimination fait dire à Guyomard que « ne rien omettre n’est pas tout dire » et que « tout dire est impossible » en se demandant, face à cette impossibilité, comment « ne pas transformer la règle en Surmoi, un Surmoi renforcé des manquements même qu’il provoque ».
18Jacques André parle, de son côté, d’une sorte de déconstruction de l’identité du parler avec celle de l’avouer : « Lorsque la dynamique de l’analyse l’emporte, cela suppose toujours qu’a pu être défaite l’identité de parler avec avouer » (André, 2009).
19Le paradoxe que constitue le droit au secret et l’invitation à tout dire est donc intrinsèque de la situation analytique et ne peut être résolu que par la prise en compte de la dialectique parole/silence, déploiement des représentations inconscientes/résistances, ainsi que par la double inscription inhérente au discours tout au long de l’analyse : celle de dire tout en niant. Celle de dire et d’omettre. Car que fait-on d’autre dans notre écoute que respecter les détours du discours, la symbolique des mots, les silences, les résistances inconscientes, la temporalité des processus psychiques, occurrences portées par le processus transférentiel ?
20Que fait-on d’autre que respecter chez l’analysant ce droit (temporaire) au secret, ce droit au mensonge ? Est-ce bien un droit temporaire ? Freud écrit bien dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne que plus le sujet avance dans son analyse, moins il est capable de mentir (Freud, 1901).
21Avant d’examiner la question du processus analytique comme se fondant sur un leurre transférentiel, son développement et son aboutissement, voyons ce qu’il en est d’autres types de mensonge.
Mensonge d’enfant
Un paradigme : The Hunt (La Chasse)
22C’est un film (2012) qui illustre la réédition sans cesse renouvelée de la dialectique théorie de la séduction/théorie du fantasme, dialectique ayant taraudé Freud tout au long de sa vie, en dépit des remaniements doctrinaux sur le sujet, remaniements initiés en 1897. Contrairement au tollé qui évolue depuis quelques décennies sur les scandales pédophiliques, ce film montre comment un mensonge d’enfant, construit sur la frustration liée à aux désirs œdipiens d’une jeune fille, alimente un fantasme collectif qui détruit la vie d’un adulte innocent. Thomas Vinterberg, directeur et réalisateur danois, réussit un coup de maître en montrant dans son film la subtilité d’un tel enjeu : le mensonge de l’enfant, sa culpabilité œdipienne devant la condamnation impitoyable du supposé abuseur par le proche environnement, ainsi que l’alimentation progressive et auto-générée du fantasme de suspicion et de condamnation de la part de la collectivité, même quand l’enfant décide de revenir sur son mensonge. Sur les mensonges d’enfant, nous connaissons le rapport évoqué par Freud entre le mensonge et les désirs œdipiens, notamment vis-à-vis du père, en montrant comment le mensonge vient désavouer le désir œdipien de la fillette, tout en le présentifiant (Freud, 1913). Quelques années plus tard et dans On bat un enfant, un pas de plus est effectué : le mensonge lié au désir œdipien est puni et rattrapé par le masochisme dont Freud nous retrace la genèse dans ses trois temps (Freud, 1919).
23Nous voyons bien en le réalisateur de The Hunt, le même réalisateur du film Festen (Festin) dans lequel un fils, lors d’un dîner familial à l’occasion du soixantième anniversaire du père, dénonce solennellement en portant un toast à sa santé, l’abus sexuel dont il a été l’objet avec sa sœur jumelle, par ce même père ; acte incestueux qu’un mensonge bien « verrouillé » avait bien enfermé dans les oubliettes de la vie familiale. Communauté de déni dans Festen, fantasme incestueux auto-généré dans The Hunt et dans les deux réalisations, une extrême déformation de la réalité que l’imaginaire n’arrive pas à réfréner : fantasme d’un père idéalisé et irréprochable dans le premier et fantasme pédophilique auto-alimenté dans le second.
24En-deçà du mensonge lié au fantasme œdipien, Piera Aulagnier évoque le mensonge de l’enfant comme répondant au mensonge parental lié à sa question sur l’origine. L’enfant serait alors conduit à une découverte fondamentale pour sa structuration psychique : « La possibilité de pouvoir lui-même mentir, c’est-à-dire de pouvoir cacher à l’Autre et aux autres une partie de ses pensées, de pouvoir penser ce que l’Autre ne sait pas qu’on pense et ce qu’il ne voudrait pas qu’on pense. » Premier coup décisif porté à la croyance en la toute-puissance parentale, la découverte que le discours peut dire le vrai ou le faux devenant aussi essentielle que la découverte de la différence des sexes et de la mortalité. Face à la dépendance affective, l’enfant réalise qu’il est en son pouvoir de créer des « objets » – des pensées –, qu’il peut être seul à connaître et sur lesquels il réussit à nier à l’Autre tout droit de regard (Aulagnier, 1976).
25Bien que d’un autre ordre par rapport au fantasme œdipien, le mensonge à la base de la capacité de l’enfant à se différencier, à s’affirmer dans son espace interne, et créer des objets-pensées, va être constamment rattrapé par la psychosexualité dans l’ensemble – nourrie par les fantasmes originaires – et la sexualité œdipienne en particulier ; car cet intime, délimité par un contenant, un espace à penser les pensées et à se représenter les représentations, va être conjointement ravitaillé par le règne de la pulsionnalité sexuelle, qu’elle trouve son origine dans la « séduction généralisée » de l’adulte (Laplanche, 1987), ou la « disposition perverse polymorphe » (Freud, 1905) dont l’enfant se fait très tôt objet et sujet, ou encore, dans l’effet précieux de l’après-coup. Une belle citation de J. André vient rendre compte du traitement sexuel après-coup du trauma, quelle que soit sa nature :
Le trauma, celui auquel l’expérience psychanalytique est confrontée, n’est pas toujours sexuel, ou pas seulement. Mais son traitement, lui, est sexuel, toujours ; que le sexuel (l’infantile), sa polymorphie, sa plasticité libidinale échoue à s’immiscer, à imposer son exigence de transformation et c’est le traitement psychique lui-même qui est compromis (André, 2009).
27Sur la question du mensonge de l’enfant comme répondant au mensonge de l’adulte sur son origine, nous voyons là se déployer toute la problématique de la scène primitive comme fantasme structurant, justement quand la « scène » devient la cible de l’interrogation sans réponse concernant son statut réel ou imaginaire : L’Homme aux loups en aurait-il été réellement témoin ou l’a-t-il imaginée et mise en scène par sa célèbre production onirique ? Était-ce une vérité matérielle ou un fantasme-mensonge de la vie adulte (Freud, 1918), ou encore, une construction-mensonge de Freud lui-même ?
28Dans ces interrogations et ces va-et-vient sans réponse, Serge Viderman semble dire sa compréhension de voir un Freud pris dans sa théorie de la séduction, ce postulat ayant « au moins le mérite de la cohérence d’une théorie traumatique intelligible » ; mais aussi, que « ce n’est pas par hasard que Freud commit l’erreur de prendre les récits mensongers de ses premières patientes pour l’indice de traumatismes précoces responsables de l’étiologie de la névrose » (Viderman, 1977).
29Est-ce bien le « mensonge originaire » de l’adulte qui prépare l’espace à penser que l’enfant remplira au gré de ses interrogations infinies ? Ce « peut-être bien que si… peut-être bien que non… » qui aura pour fonction d’alimenter un lieu interne délimité par les frontières qui lui permettront d?’y forger et d’y développer son jugement d’attribution et d’existence (Freud, 1925) ainsi que son ouverture au doute ; ainsi prendra place la fonction fondamentale de l’économie psychique et de son travail, celle de statuer par un affirmatif ou un négatif sur les motions pulsionnelles, les représentations et les perceptions, définition même du travail du négatif. Je reprends ici l’une des définitions d’André Green du travail du négatif qui serait :
L’ensemble des défenses primaires (refoulement, désaveu, forclusion, négation) qui ont en commun leur obligation de statuer par oui ou par non sur un quelconque élément de l’activité psychique, pulsion, représentation de chose ou de mot, perception, qui sont les instruments et les processus par lesquels le jugement psychique est prononcé (Green, 1995).
31Cette fonction de jugement – nous le constatons sans cesse dans l’expérience –, opère à différents niveaux et de différentes manières, selon le type de mécanisme et d’organisation psychique à l’œuvre. Nous la voyons opérer dans la vie quotidienne et dans la pratique et c’est d’elle que dépend la « constance » de l’économie psychique ainsi que la marche du processus analytique.
Le mensonge comme attaque aux liens
32Comme extension de la notion de mensonge, se pose la question du clivage du moi – ou celui de parties du moi – comme mécanisme, avec le déni comme procédé accompagnant. Le célèbre « Je sais bien que cela existe mais je ne veux pas le savoir, le voir ou l’entendre » vient rendre compte de ce procédé.
33D’abord, une histoire personnelle pour illustrer cette idée.
34Derrière mon cabinet, au rez-de-chaussée d’un immeuble, se situe un petit jardin attenant à mon lieu de travail, jardin que je fréquente souvent, quand j’ai un moment libre. J’en profite pour lire, écrire, réfléchir. Des chats de passage le fréquentent aussi ; nous nous côtoyons souvent mais sans sympathie mutuelle. Ils passent, nous nous considérons avec méfiance, sans plus ; ils continuent leur chemin, je continue ma lecture. Leurs miaulements qui changent de style dépendamment des saisons m’agacent souvent, surtout quand je suis en séance, flottant dans mon écoute. Jusque-là, ça allait. Leur lieu de rencontre se situait un immeuble plus loin, ce qui me convenait parfaitement.
35Un jour, cet équilibre précaire bascula.
36Leurs assemblées commençaient à se passer chez moi, dans le jardin, sous ma fenêtre. Leur présence quotidienne se régularisait, leur nombre se multipliait, leur miaulements aussi, mon écoute était interceptée les premiers temps ; ce changement de lieu m’intriguait, mais je ne tardai pas à être fixé sur cette question.
37Une voisine avait décidé de les nourrir chez moi, les plus jeunes, les chatons, ne pouvant grimper le mur pour aller chez elle. La première fois que je m’étais adressé à elle pour lui demander d’arrêter de leur jeter de la nourriture sous ma fenêtre – leur mère étant parfaitement disponible et nourricière, ce que cette voisine avait du mal à accepter –, je me retrouvais devant une femme, la quarantaine, gentille, apparemment sensible aux animaux quémandeurs.
38Réflexion commune. Elle m’avait demandé si je pouvais les attraper et les lui passer, de l’autre côté du mur pour qu’elle puisse les restaurer sans m’infliger restes de nourriture et saleté dans mon jardin. Ce à quoi je me suis essayé : je grimpais pour les lui passer un par un, quand je pouvais les attraper. Mais ils revenaient aussitôt, chassés par un voisin à elle, gros moustachu avec un bâton. Ils restaient donc chez moi, je savais que les plus jeunes pouvaient compter sur leur mère qui les allaitait. Je continuais de demander à la femme d’arrêter de jeter de la nourriture, pensant que compte tenu des données que nous avions jusque-là, elle finirait bien par comprendre.
39Rien n’y fait, elle continuait. Je décidai alors de monter chez elle afin d’avoir une conversation civilisée mais plus formelle, avec la perspective d’un ton un peu plus ferme :
Moi : Je viens pour régler cette question. S’il vous plait, arrêtez de jeter de la nourriture dans mon jardin ; cela attire insectes de tout genre, les derniers venus étant des puces acharnées qui envahissent l’endroit.
Elle : Ces chats me font pitié ; ce sont eux qui m’appellent. Vous savez, les chats ont une montre : ils viennent à 19h30 et commencent à miauler… au moment où vous avez déjà quitté. Parfois, vous restez au-delà de cette heure et cela me pose problème…
M : Mais vous les appelez aussi par votre nourriture… vous ne comprenez pas ! Le jardin est infesté. Vous m’enfermez dans mon bureau, je n’arrive plus à sortir à cause des puces.
E : Ils n’arrêtent pas de miauler, ils alertent le quartier. Et puis, cela commence à prendre de grandes proportions pour moi… Je n’arrive plus à dormir en pensant à eux. Je viens d’annuler un voyage d’affaires pour leur donner à manger. Enfin… je l’ai reporté plusieurs fois…
(Je commence à m’inquiéter de la tournure que prennent les choses – à la limite, je m’inquiète pour elle – mais je continue sur ma lancée).
M : S’il vous plait, arrêtez de jeter pain, viande et saucisses dans mon jardin.
E : J’enduis souvent le pain de pâté ; ils en raffolent.
M : Promettez de ne plus en jeter (elle hoche la tête sans me regarder)… Regardez-moi dans les yeux et promettez-moi que vous n’allez plus en jeter.
Elle me regarde obliquement et finit par lâcher : « D’accord. »
41Je quittai l’endroit, tout content d’avoir obtenu une promesse (parole de voisine). Elle n’allait plus le faire, les chats allaient élire domicile ailleurs. Je continue tranquillement ma journée. Avant de quitter le cabinet, je balayai les restes de nourriture et m’en allai, ravi d’avoir réussi les négociations.
42Le lendemain, plein d’espoir et m’apprêtant à commencer ma journée, je rentre au bureau et jette un coup d’œil par la fenêtre pour me rendre compte… du retour des restes de nourriture.
43J’étais très irrité, en colère, et me demandais ce que je pouvais encore faire. Elle m’avait menti et j’avais du mal à l’accepter. Interrogeant le gardien de l’immeuble qui a, lui aussi, de l’autre côté de la clôture un morceau de jardin également atteint par le drame, ce dernier répond : « Oui… il y a cette dame qui donne de la nourriture aux chats, qui salit et qui infeste toute la région. Je passe ma journée à me gratter à cause des puces… quand je la rencontre dans la rue, j’ai envie de l’attraper au cou et de l’étrangler ! »
44Je me dis alors que j’ai certainement dû ressentir la même chose sans me l’avouer. Je me dis aussi qu’heureusement que je suis en train d’écrire sur le sujet, que j’arrive à trouver d’autres voies de frayage pour cette haine qui monte. Je pensais aussi à ce que disait Ferenczi en se demandant comment Freud avait pu transformer la tendance fallacieuse des patients au mensonge en réalité psychique digne d’attention et de recherche. Je voulais comprendre.
45En repensant à ce voyage d’affaires qu’elle a annulé, je me disais que pour elle, c’était sacrément sérieux cette affaire de nourrissage de chats. Elle ne pouvait entendre autre chose, un argument qui puisse la dissuader, l’aider à chercher, trouver une autre voie que celle de réveiller autant de rage chez le(s) voisin(s). Elle ne voulait rien savoir, elle ne pouvait pas entendre ; rien ne devait la dévier de sa mission… c’était peut-être pour elle une question de vie et de mort. Peut-être qu’elle pensait que si elle acceptait, elle tomberait du coup sous l’emprise de l’autre (un autre maternel dévorant ?), en serait carrément incorporée, dévorée jusqu’à l’étouffement ; son obstination serait alors un rempart contre cette emprise, et le mensonge qui l’appuie et la soutient, une sorte de barrage contre un lien possible, une attaque aux liens (Bion, 1959). Un lien qui aurait permis une continuité communicative qui nous aurait aidés à réfléchir ensemble pour trouver mais qui aurait été en même temps menaçant pour elle. Je pensais à des fantasmes d’abandon, des fantasmes d’abandon liés au nourrissage… une mère chatte au lait asséché… une mère chatte point considérée par elle et qui ne produit rien ; une mère chatte qui tombe sous le coup du déni. Je pense à elle comme un nourrisson qui pend au sein, qui ne le lâche plus, avec une mère au sein négativé ou, renversement-détournement, une mère qui gave son enfant jusqu’à le rendre haineux, plutôt que paisiblement rassasié.
46Bien d’accord avec ces hypothèses… mais comment en finir ? Mes associations sur un possible dégagement se poursuivaient ; comment la dissuader ? Accumuler les restes du festin et les lui rendre ? Les mettre devant sa porte ? Je m’attriste d’avoir à penser de la sorte, rentrant dans un jeu imaginaire de haine réciproque qui risque de s’accroître ; et puis dans quoi je m’embarquais ? Peut-être faire appel à un tiers… porter plainte.
47En en discutant avec une amie, elle me dit : « Mais qu’est-ce que tu attends ? Il faut porter plainte : la Police ! » Je m’entends alors lui dire : « Mais tu te rends compte ? Au temps des voitures piégées, des combattants extrémistes qui se font exploser en ville, semant la terreur, le désarroi et mettant l’armée et les éléments de force de sécurité intérieure en position d’alerte extrême, appeler le 112 et leur dire que ma voisine est en train de restaurer les chats dans mon jardin ? » Il fallait penser à autre chose.
48J’estime que relater ces faits dans leurs détails est à la mesure de l’affect d’étonnement et de haine qui m’avait saisi et qui aurait été occasionné, non par le contenu de son acte ou par celui de mes fantasmes, mais par le sentiment qu’il y avait là quelqu’un, devant vous, à qui vous vous adressez et qui répond « à côté », comme si vous n’existiez pas, dans une communication qui fait rupture et un lien qui s’interrompt à chaque fois qu’il s’agit de produire de la continuité. Quelque chose ne passait pas. Mes paroles faisaient l’objet d’un déni du style : je sais bien que vous parlez, mais cela ne fait aucun effet en moi… je vois bien que quelque chose se passe, mais je fais comme si cela n’existait pas (Freud, 1938).
49Ferenczi a repris ce mécanisme en développant son concept de trauma avec l’exemple qu’il donne de l’enfant traumatisé par le mensonge des parents, doublé de leur incompréhension et de leur difficulté à l’entendre. Ces enfants finissent par se construire une armature imperméable avec une sorte d’enclave bien verrouillée, néanmoins gardienne de la vie psychique, ou ce qu’il en reste.
50Dans cette enclave, sera bien conservé un contenu traumatique de mensonge-déni, inaccessible et qui ne se lit que par ses effets : l’atmosphère d’inaccessibilité dans le lien avec la femme en question en témoigne ; l’on pourrait en saisir les contours, en deviner approximativement la thématique, comme la problématique générale liée au lien/non lien dans l’expérience de nourrissage déjà citée. Le désir intraitable et sans appel de nourrir les chats, lien nourricier en apparence, s’enclave dans une zone résistant à toute négociation, à tout lien possible qui engendrerait une entente commune. Ce que décrit Bion sur l’attaque sadique contre le lien au premier objet, le sein, se jouerait ici dans une pathologie du nourrissage, encapsulée et verrouillée, coupant toute amarre avec l’extérieur : une attaque contre la liaison (Bion, 1959).
Le processus transférentiel et son « démenti »
51Un démenti suppose une déclaration qui dément, conteste ou nie des informations antérieures. C’est l’action de nier la véracité de ce que quelqu’un a auparavant affirmé. Dans les différentes définitions de l’Académie française du terme démenti, aucune, après 1835, ne fait mention de mensonge. Il est alors question de contester, contredire, nier, désavouer, infirmer, récuser, réfuter ou s’opposer à une information, mais non lever un mensonge, ou considérer une situation préalablement établie comme mensongère. Ce qui reste du sens demeure souvent la rectification ou la négation d’une affirmation ou d’un acte. Au fil du temps, le terme fait les frais de ses définitions.
52En anglais, démentir est traduit par to give the lie to (Chambers’s Twentieth Century Dictionary) ce qui veut dire : considérer comme mensonge ou donner le statut de mensonge à une chose préalablement dite ou réalisée, car contredite par une nouvelle information. La notion de mensonge y est maintenue. Un exemple : «His poor work gives the lie to his claims of experience.» [2] Ici, la prétendue expérience passe comme mensonge au regard de la pauvreté du travail réalisé.
53L’intérêt de l’expression anglaise revient d’abord au maintien du terme mensonge, faisant fi des nuances atténuantes mettant en valeur la contestation et la remise en cause d’un propos antérieur. Ensuite, et avec l’utilisation du verbe to give, la voie s’ouvre sur des sens comme celui de donner, attribuer, placer, replacer, déplacer, transférer. L’acte considéré comme une réalité « vraie » serait replacé et restitué à sa vraie place, à sa valeur « mensongère ».
54Quand on parle de « démenti » au regard du transfert, on comprend mieux alors comment, à la fin de l’analyse et au-delà, l’on redonne aux émois transférentiels leur vraie valeur, celle d’affects vécus dans l’actuel « mensonger » par rapport au destinataire ; entre le destinataire actuel et celui d’autrefois, s’ouvre une histoire enrichie par la prise en compte de la temporalité psychique et le déclin de la répétition. En appliquant la formule anglaise énoncée comme exemple sur la situation transférentielle de l’analyse, l’on obtient : « La fin de l’analyse donne ou apporte un démenti aux émois transférentiels éprouvés dans la situation analytique ».
55Je retiens ici, parallèlement à l’idée de donner la valeur de mensonge à… propre à la définition anglaise, la notion de don, don offert par l’analyste avec son attitude et ses interventions, afin d’œuvrer à relativiser et restituer à sa vraie valeur, la place de la relation imaginaire – le transfert. Le démenti serait un don offert et son absence, un manque majeur dans la marche du processus car précipitant la relation imaginaire dans une dimension réelle et une confusion de plans compromettant la progression de la cure.
Le « démenti » analytique serait une réponse naturelle au « mensonge blanc » transférentiel mis en œuvre aux fins d’une appropriation subjective
56La notion de démenti est évoquée par Lacan dans son séminaire de juin 1968, L’acte psychanalytique. Elle est rediscutée par Bernard Penot dans son article Action du psychanalyste sur le processus, levant une certaine ambiguïté dans l’utilisation du terme (Penot, 2004).
57Alors que Lacan l’utilise comme équivalent du concept freudien de Verleugnung (Déni-désaveu) et sa levée par l’épreuve de la réalité et l’attitude non interprétative de l’analyste, Penot s’attache à l’expliquer à partir de deux temps : celui de la suspension du jugement – d’attribution – que se doit l’analyste, le temps de s’éprouver comme « support » et objet de transfert, avant de se voir démentir cette « fausse liaison » (Freud) par son attitude et ses interventions au fil du processus ; « Si le temps premier, en effet, celui de la communauté du déni, maintient une complicité silencieuse pour suspendre un jugement attributif, c’est seulement la levée de ce déni qui va pouvoir constituer un démenti – pour autant que dé-mentir, c’est littéralement lever un mensonge. » Le processus analytique participerait selon lui d’un « porte-à-faux particulier qui en conditionne la dynamique » et qu’il s’agit de manier le mieux possible.
58Il semble que la position des deux auteurs diffère essentiellement par l’utilisation et le sens donné au concept de déni dans le type d’implication de l’analyste dans la cure, sur ce qui se joue de la relation transférentielle comme leurre. Si Lacan entend rapprocher l’activité de l’analyste de la position « perverse » que Freud a spécifiée par ce concept (je sais bien que c’est une fausse relation mais je ne veux pas le savoir, je suspens l’opération même de mon jugement), Penot entend lui donner dans ses développements le sens d’un cadrage d’ensemble dans la direction de la cure : celui d’endosser, de « supporter » le transfert (Lacan) – dans les deux sens d’en être le support mais aussi d’en supporter les tenants et aboutissants –, mais aussi d’œuvrer à sa démystification par une attitude spécifique et une parole interprétative.
59Le concept de déni-démenti selon Lacan impliquerait des conséquences particulières sur la technique : l’abstention « de formuler quelque interprétation, notamment du transfert, et […] se contenter de «scander» le discours du patient, [ce qui] aboutit visiblement, dans de tels cas, à ce que le transfert ne soit jamais… démenti… ». Pour lui, la levée du Verleugnung (déni-désaveu) surviendrait par un « démenti-apporté-par-les-faits – par l’épreuve de la réalité [3] » alors que pour Penot, ce retour au réel ne peut advenir que « pour autant que ce dernier aura été fait réalité, c’est-à-dire que sa charge latente de signifiance aura été explicitée, symbolisée ». C’est par l’implication du psychanalyste – aussi bien par son silence (suspension du jugement) que par son interprétation – que peut se révéler le démenti, en fonction de la reconnaissance d’une signification du symptôme.
60Sur le mensonge-démenti, la « fausse liaison » transférentielle serait une sorte de mensonge blanc, du côté de l’analyste comme de celui du patient, dans leur vécu processuel. Ce potentiel mensonge blanc, outil précieux chez l’analyste, constituerait un habitacle, un cadrage premier, une toile de fond en « négatif » dans le sens donné par Green et sur laquelle sera construite, créée, recréée et éprouvée la relation transférentielle. Le mensonge blanc de l’attente non déclarée du processus transférentiel rejoindrait d’une certaine manière la « série blanche » à partir de laquelle un travail du négatif va œuvrer.
61Le mensonge blanc, un « négatif » sur lequel se construirait l’histoire dans son appropriation subjective…
Pour conclure
62Le mensonge blanc serait ce « négatif », cette toile blanche sur laquelle se serait construite l’histoire même de la psychanalyse dans ses idées, sa théorie et sa technique. Se demande-on alors si les théories-constructions et les enjeux de la pratique psychanalytique auraient été fondés sur du « mensonge »…
63Peut-être… si l’on songe aux théories tant remaniées mais qui ont fait avancer la psychanalyse, au symptôme dans ses fausses liaisons mais comme seule issue laissée au Moi, au droit au secret à la base de la création d’un espace à penser ou encore, au transfert comme « leurre » indispensable patiemment démenti et sans lequel un processus analytique et une appropriation subjective de sa propre histoire ne seraient pas possible.
64Ces « mensonges blancs » donnent la mesure des vertus de la dialectique mensonge-vérité et participeraient des fondements mêmes qui ont fait de la psychanalyse un outil de recherche, une méthode thérapeutique et un édifice théorique.
Bibliographie
Références bibliographiques
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- Viderman S., Retour à « L’Homme aux loups », Le Céleste et le Sublunaire, Paris, Puf, 1977.
Notes
-
[1]
« Toutes les fois où j’essaie de déformer un fait, je commets une erreur ou un autre acte manqué […] qui révèle mon manque de sincérité » (Freud, 1901).
-
[2]
Une traduction aussi fidèle que possible : « La pauvreté de son travail prouve que ses prétentions de grande expérience ne sont que mensonge. »
-
[3]
Mais bien des années plus tôt, Lacan avait mis l’accent sur l’interprétation du transfert comme leurre utile dans la relance du processus : « […] le transfert n’est rien de réel dans le sujet, sinon l’apparition, dans un moment de stagnation de la dialectique analytique, des modes permanents selon lesquels il constitue ses objets.
« Qu’est-ce alors qu’interpréter le transfert ? Rien d’autre que de remplir par un leurre le vide de ce point mort. Mais ce leurre est utile, car même trompeur il relance le procès » (Lacan, 1951).