Notes
-
[1]
Nouveaux développements en psychanalyse. Autour de la pensée de Michel de M’Uzan, Sous la direction de Clarisse Baruch, Sèvres, Éditions EDK, 2011.
-
[2]
Cl. Baruch, C. Chabert, F. Coblence, D. Cupa, S. Faure-Pragier, M. Gagnebin, G. Pragier, D. Scarfone, C. Smadja.
-
[3]
Les italiques sont de Freud
1Cet ouvrage rend compte du colloque organisé à l’initiative de Clarisse Baruch en mars 2009 à l’Université de Nanterre par le Laboratoire de Psychologie Psychanalytique des Atteintes Somatiques et Identitaires, dirigé par Dominique Cupa.
2Il rassemble, autour de l’intervention de Michel de M’Uzan « Reconsidérations et nouveaux développements en psychanalyse », les contributions des collègues invités à discuter l’argument proposé par M. de M’Uzan [2], et sa réponse à chacun.
3Reprenons l’argument présenté en ouverture :
« Il n’est pas facile de mettre en question – dans sa cohérence – le corpus psychanalytique freudien. Imprécisions, contradictions l’exigent néanmoins. Dans cette perspective seront abordés les points suivants :
- réservation de la notion et du terme de pulsion au seul ordre du psychosexuel. Pas de pulsion d’autoconservation ;
- corrélativement, substitution à l’opposition autoconservation/psychosexualité celle du vital identital (« l’être organique » de Freud)/psychosexualité. L’autoconservation n’étant qu’une des fonctions d’un programme d’essence génétique, avec sa finitude ;
- place de la séduction de l’infans (Jean Laplanche) dans “l’invention” de la pulsion et qualification de l’énergie première, sans qualité ;
- ouverture à la psychanalyse d’un champ scientifique nouveau : la science des limites indéfinies. »
5Dans ce compte-rendu, je chercherai à préciser le « nouveau » dans la pensée de M. de M’Uzan, le « nouveau » au regard de la théorie freudienne, des reconsidérations de Freud en 1920, et le « nouveau » au regard de sa propre théorie dont je situe le tournant en 1999 avec le texte inaugural de son troisième ouvrage Le jumeau paraphrénique ou aux confins de l’identité. Sans quitter la ligne du Freud de 1915, M. de M’Uzan a inauguré l’exploration d’un registre théorique et clinique nouveau, qu’il tient à distinguer du registre narcissique sexuel, le registre identitaire non pulsionnel nommé aujourd’hui vital identital.
Nouveautés théoriques
6La nouveauté sur le plan théorique s’enracine dans la stricte définition de la notion de pulsion : la pulsion est pour l’auteur une force dont l’énergie est sexuelle.
7M. de M’Uzan se démarque donc des développements de Freud en 1920 qui, avec la réintroduction du principe d’inertie sous la dénomination de Au-delà du principe de plaisir, introduisait la pulsion de mort comme force dont l’énergie n’est pas sexuelle. Freud a interrogé la corrélation du pulsionnel avec la contrainte de répétition et proposé une nouvelle définition, plus élargie, de la notion de pulsion en introduisant une réflexion sur « l’organique ».
Ainsi une pulsion serait une poussée inhérente à l’organique doué de vie en vue de la réinstauration d’un état antérieur que cet être doué de vie a dû abandonner sous l’influence de forces perturbatrices externes, elle serait une sorte d’élasticité organique ou, si l’on veut, la manifestation de l’inertie dans la vie organique.
9Il poursuivait :
Si donc toutes les pulsions organiques sont conservatrices, acquises historiquement et orientées vers la régression, la réinstauration de l’antérieur, il nous faut alors mettre les succès de l’évolution organique au compte d’influences externes qui la perturbent et la font dévier. L’être vivant élémentaire… n’aurait pas voulu se modifier [3].
11Serait-ce une première occurrence de la notion de « l’être organique » dont il parlera dans Inhibition, symptôme et angoisse en 1926 ?
12Avec ces influences externes, on n’est pas loin de l’intervention du sexuel par le biais de la séduction. Avec cette nouvelle définition élargie de la pulsion, la satisfaction vise l’extinction et relève d’une décharge sans frein d’une énergie déqualifiée ou non qualifiée ; pas d’inhibition interne. Peut-on parler d’un accomplissement pulsionnel quand il s’agit d’une satisfaction de décharge ?
13La pulsion de mort a donné lieu à de nombreuses interprétations, et de vifs débats. Plusieurs contributeurs à cet ouvrage ont affirmé l’intérêt de cette notion récusée par M. de M’Uzan qui a référé au facteur quantitatif le rôle que nombre d’analystes confèrent à la pulsion de mort, préférant parler « d’un destin spécial de l’instinct plutôt que d’un instinct spécial ». Sa critique de la pulsion de mort s’est faite en deux temps, et sous deux angles. Dans un premier temps au sein de la problématique sexuelle, sous l’angle de l’économique avec la prise en compte d’une énergie sexuelle dégradée qui peut perdre ses qualités pour ne plus être qu’une pure énergie d’excitation, et, dans un deuxième temps, avec la prise en compte du champ auto-conservatif, dont l’énergie sans qualité est régie par le principe d’inertie-décharge, une énergie actuelle qui n’est pas en soi pathologique, mais qui peut être également soumise à la tyrannie de la quantité, et se dégrader en n’étant plus à même de servir un fonctionnement physiologique intégré.
14Il nous a proposé à plusieurs reprises de « démembrer » des notions : celle de répétition, de traumatisme de la naissance, de clivage, de séparation. Il procède aussi au démembrement de l’énergie actuelle : le destin de l’énergie sexuelle dégradée et celui de l’énergie qui anime le vital-identital seraient deux alternatives à la pulsion de mort ainsi démembrée.
15Il récuse ici la notion de pulsion d’autoconservation, qu’il avait jusque-là conservée, en faisant sienne cette remarque de Jones : « Si Freud était mort en 1915, on aurait un tableau complet de la psychanalyse sous sa forme classique ». L’important pour lui est de préserver la première topique pour maintenir bien vivante la découverte de l’inconscient systémique avec ses propriétés propres. Mais il l’a dit lui-même, « il y a toujours un au-delà ou un en-deça aux dernières étapes d’une réflexion ». Dès l’établissement de sa métapsychologie de 1915, Freud remettait sa pensée en chantier pour introduire en 1920 le deuxième dualisme, puis, en 1923, la deuxième topique. Depuis les années 2000, M. de M’Uzan s’est engagé dans ces nouveaux développements, qui, dit-il, se sont comme imposés à lui, et que nous pouvons appréhender comme une alternative aux dualismes freudiens.
16Sylvie Faure-Pragier exprime son désaccord avec cette affirmation de M. de M’Uzan que « le “nouveau” doit s’astreindre à respecter les conditions permettant son agrégation, son intégration organique dans “l’ancien” » avec cette question : « le nouveau doit-il s’agréger à l’ancien ou vient-il bouleverser l’ancien ? ». Il n’est pas si facile d’intégrer le nouveau dans l’ancien ! Pourrait-on dire que c’est ce que fait Jean Laplanche en différenciant en pulsions sexuelles de vie/pulsions sexuelles de mort le pôle sexuel du premier dualisme, opposé au pôle auto-conservatif ? Ce que ne fait pas M. de M’Uzan : en inventant cette notion nouvelle de vital-identital dont l’autoconservation n’est qu’une fonction, il vient bouleverser l’édifice freudien mais affirme sa filiation freudienne en maintenant la référence aux deux topiques, et en précisant que le vital-identital correspond à « l’être organique » freudien.
17Dominique Scarfone souligne la radicalité de M. de M’Uzan et associe radicalité à vitalité : plus de pulsion du moi, plus de pulsion d’autoconservation, plus de premier dualisme donc, mais un principe de fonctionnement au service d’un programme d’essence génétique de développement, de conservation, de finitude, englobant la notion d’autoconservation, sur lequel est prévu le moment-clé de la séduction pour participer à l’engendrement des zones érogènes et au dégagement du pulsionnel sexuel. Le terme de vital-identital vient désigner ce programme également associé à être organique ou filière ou dalle identitaire.
18Notons une légère modification de la notion de pulsion, comme exigence de travail imposé au psychique du fait de l’activité des zones érogènes ; cette définition met l’accent sur l’origine sexuelle de la pulsion, ce que ne précise pas la définition freudienne de « l’exigence de travail imposé au psychique du fait de son lien avec le corporel ».
19Peut-on encore parler d’étayage ? M. de M’Uzan garde encore la notion, mais préfère parler de l’accomplissement d’un programme et de négociation, négociation évolutive entre les deux registres, identitaire et sexuel, qui exprime mieux leur dynamisme de fonctionnement économique et leur perpétuel dialogue, à même de définir des structures selon la prévalence plus ou moins affirmée d’un registre sur l’autre, comme le montrent ses exemples cliniques.
20Il nous propose de nouvelles oppositions en place des dualismes pulsionnels :
- Filière ou ordre identitaire/ordre libidinal
- Être organique/être pulsionnel
- Vital-identital/sexual
21Malgré une équivalence entre ces oppositions, il utilise plusieurs termes pour désigner ce registre du non sexuel, cet en-deça de la séduction et de la qualification sexuelle de l’énergie : le programme, l’ordre identitaire, l’être organique, le vital-identital… Quel serait le gain ou la perte dans le passage d’un terme à l’autre ? Serait-ce l’homophonie entre ces pôles antagonistes qui serait à préserver ? Ce dernier choix de vital-identital qui est un principe de fonctionnement, pourrait-il aussi désigner un lieu, un territoire ? Une réponse à un où ? (D. Scarfone parle de structure d’accueil.)
22Plusieurs contributeurs ont interrogé ces nouvelles dénominations, cherchant justement à les intégrer dans la métapsychologie freudienne et dans leurs propres avancées. Dans ses réponses, M. de M’Uzan a dû chaque fois insister pour maintenir l’ouverture de ses nouveaux développements et rappeler qu’il réservait les notions d’être organique ou de vital-identital à l’en-deça du sexuel, que pour lui la pulsion était strictement sexuelle, et l’énergie primordiale une énergie neutre, sans qualité, qui devient psychique du fait de la séduction de l’infans par l’adulte : monisme énergétique premier, auquel succède un dualisme de différenciation.
23S. Faure-Pragier craint de ce fait la disparition de ce précieux conflit psychique.
24M. de M’Uzan fait état de deux conflictualités : celle qui oppose le vital-identital au sexual, et celle qui se situe au sein du sexual, opposant les investissements pulsionnels narcissiques et objectaux.
25D. Scarfone se pose la question de la qualification de l’énergie : la pulsion emprunte-t-elle son énergie au vital-identital ou au message séducteur de l’adulte ? Il interroge ce moment de la séduction dans le vital-identital en le référant à l’actuel des névroses actuelles, ce noyau de névrose actuelle au service de la construction de toute psychonévrose, à penser non comme défaut d’élaboration, mais comme source vive de création des zones érogènes, ce qui amène M. de M’Uzan à revenir à la nature de la séduction qui, par trop corrompue dans l’inconscient de l’adulte, peut-être effractive et distordre ce sexuel émergent ou qui, par carence de message, peut laisser la voie ouverte aux pathologies somatiques.
26Ne faudrait-il pas coupler séduction maternelle et tendresse maternelle ? Sans séduction, l’extinction serait le destin naturel du vital-identital. Sans amour tendre ou « préoccupation maternelle primaire », l’autoconservation serait en péril, la dalle identitaire fragilisée, et le courant libidinal émergent corrompu.
27Catherine Chabert part de la nécessité de la deuxième topique. Elle interroge la prise en compte de la compulsion de répétition, du refus de guérir, des résistances à aller de l’avant. Elle se demande si la définition du soi donnée par J.-B. Pontalis, comme « représentant du vivant » pourrait résonner avec le vital-identital ? Ce qui oblige à des précisions sémantiques.
28Claude Smadja propose la prise en compte du traumatisme à côté de l’insuffisance de la séduction maternelle, et parle de l’état opératoire comme d’un état anti-traumatique ; il insiste sur la neutralisation des affects, ce qui donne à M. de M’Uzan l’occasion de rappeler que son regard se porte davantage sur le fonctionnement défensif et qu’il a défini la pensée opératoire comme « une défense originale contre le surgissement hallucinatoire d’une représentation d’abord forclose, et à même de resurgir sur le mode hallucinatoire ». Il nous engage aussi à ne pas laisser de côté le facteur génétique ou constitutionnel.
29Dominique Cupa s’interroge sur l’identital comme contenant du vital qui pourrait exprimer le vif de la perception. Clarisse Baruch reprend la question du lien entre vital et identital. Françoise Coblence introduit le rôle de la perception dans le passage du vital-identital au sexual et dans l’interaction entre individus. Elle souligne aussi son intérêt pour la deuxième topique qui permet d’inscrire l’ancrage corporel du moi dans le ça, et la continuité psyché-soma. Elle revient sur les conséquences de cette nouvelle définition de la pulsion.
30Je regrette de ne pouvoir ici rendre compte de la richesse de toutes les contributions et de la précision des réponses de M. de M’Uzan.
31La difficulté à penser le vital-identital peut rejoindre la difficulté à penser la prise en compte du non sexuel avec le pôle auto-conservatif du premier dualisme, et le pôle de la pulsion de mort du deuxième dualisme, c’est pourquoi je fais un parallèle entre la démarche théorique de M. de M’Uzan et celle de Freud. Ils ont l’un et l’autre porté d’abord leur attention sur le registre du sexuel avant de chercher à approfondir le registre du non sexuel. Alors que la référence à la pulsion de mort peut apparaître comme une réponse explicative aux difficultés rencontrées dans la clinique, avec la référence à la négociation des registres vital-identital/sexual dans l’écoute analytique, M. de M’Uzan soulève des questions techniques nouvelles, ce que je vais maintenant aborder.
Le nouveau sur le plan clinique
32La référence au vital-identital permet une écoute fondée sur la nécessité pour l’analyste d’adapter sa prise de parole dans sa forme et dans son contenu au statut identitaire de son analysant, selon que la psycho-sexualité est suffisamment engagée, ou que le vital-identital retient davantage l’attention. Je ne reprendrai pas ici, faute de place, les prises de parole en tant qu’objet transférentiel plus ou moins explicite, plus classiques, qui nous épatent toujours par leur concision énigmatique, pour me centrer sur les deux exemples en liaison avec ces nouveaux développements, qui ont amené plus de résistances et d’interrogations.
- Un moment de déroute identitaire chez le patient, où, dans la négociation entre le vital-identital et le sexual, il choisit de porter son attention au sexual : une patiente, engagée dans une analyse divan-fauteuil vit des épisodes de dépersonnalisations affolantes. Dans une séance où tout semble se désintégrer, éclate une frénésie de haine, d’elle-même, de l’autre, de l’analyste, avec une puissante envie de le déchiqueter, ou (plus rassurant ?), de le dévorer ; M. de M’Uzan lui replique : « me déchiqueter à l’intérieur de moi, là où je vous découperai en morceaux » (un futur, non un conditionnel). Le « oui » de la patiente l’engage à poursuivre : « question d’appétit ! » Malgré la désintégration, la haine de soi et de l’autre, l’objet est présent, et le dialogue possible. Je note que ce vécu est verbalisé, au sein de la cure, sans véritable attaque du cadre. Peut-on dire que la haine à l’œuvre dans le psychisme de la patiente serait l’expression d’une lutte contre la désintégration et que cette deuxième intervention participe à une requalification de l’énergie, en relançant ainsi la trajectoire du psychosexuel ? Un moment-clé de séduction ?
- Le deuxième exemple est différent puisqu’il est qualifié d’incident de cure ; il lui est rapporté par une collègue : sur le pas de la porte, la patiente embrasse brusquement son analyste. C’est pour M. de M’Uzan un événement qui doit nous engager à porter pleinement notre attention au vital-identital. Dans ce cas, il propose de laisser momentanément sur la touche le registre pulsionnel, la dimension affective et érotique, pour porter l’accent sur le registre de l’être, de l’identitaire. Pas d’appel à la séduction, mais un appel à la perception : reconnaître ce moment comme actuel, asseoir la construction préalable de la dalle identitaire.
33Y aurait-il risque de désorganisation par ce pulsionnel régressif au moment de la séparation ? Est-ce qu’interpréter au niveau pulsionnel pourrait fragiliser la dalle identitaire ?
34Clarisse Baruch questionne la relation patient-analyste quand elle engage autre chose qu’une relation transféro-transférentielle et qu’il s’agit d’abord d’asseoir la dalle identitaire : est-ce de l’énergie neutre, sans qualité, qui nourrit cette relation ? Peut-on penser une relation sans imbrication du pulsionnel et de l’identitaire ? Retenons cette proposition que, pour participer à la construction de la dalle identitaire (en-deça du registre du pulsionnel), l’analyste ne devrait pas parler en première personne, mais garder l’indétermination du « on » (référé au chœur antique). N’est-ce pas un peu ce que fait intuitivement l’analyste de la patiente en l’invitant à retourner dans son bureau pour lui dire que « n’importe qui peut être gagné par un émoi » ? En banalisant intuitivement ce mouvement, elle le désexualise pour elle-même et pour la patiente ; on retrouve l’impersonnel. La patiente pourrait accueillir cette intervention dans le registre identitaire, sans que ce soit pour autant la visée consciente de l’analyste, et ne pas être blessée narcissiquement. On ne mesure pas toujours la portée de nos paroles.
35Revenons à ce choix de porter l’accent sur le perceptif. M. de M’Uzan suggère de dire à la patiente : « devant la porte, toutes deux nous nous trouvions debout ». Suspension de l’activité herméneutique, distinction entre les deux personnes en présence, devant la porte, debout. (Un appel à la figure du Nebenmensch introduite par Freud dans l’Esquisse ?). Peut-être un appel à ce dégagement premier d’avec soi-même ? Un dégagement de l’être primordial préalable à la distinction sujet-objet théorisé avec le jumeau paraphrénique ?
36Je pense important de reprendre, dans ces nouveaux développements, cette idée de la nécessité de la création du double jumeau identitaire, comme condition préalable à la réussite de la séduction et de l’engagement relationnel. Rappelons que M. de M’Uzan nous proposait ainsi une double mise au monde du sujet : la naissance n’y suffit pas, il doit aussi se dégager d’avec lui-même, se mettre lui-même au monde en quelque sorte, dans la nécessité de faire front à soi-même par la création du double jumeau identitaire, rendant les quantités physiologiquement tolérables pour permettre la rencontre, sans quoi le déferlement énergétique entraînerait sa perte. Ce clivage premier est un instrument au service de la vie, au service de l’accomplissement du programme pour permettre l’opération de la séduction. Peut-il y avoir défaut d’accueil du message maternel donné à déchiffrer du fait de l’échec premier de ce dégagement d’avec soi-même ? En citant Biély ou Artaud, M. de M’Uzan cherche à nous faire entendre le statut de l’être organique premier et le langage qui a cours quand l’être organique est dépourvu de frontières suffisantes pour entrer en relation ; ce langage qu’il a appelé idiome identitaire.
37Sa conférence se conclut avec l’évocation de ce qu’il nomme « la science des limites indéfinies », là où les frontières sont instables et incertaines et donnent accès à « l’inquiétude permanente ».
38Rappelons son renversement de l’aphorisme freudien : Wo Ich ist, soll Es werden. C’est un point de rencontre avec Sylvie Faure-Pragier et Georges Pragier qui se sont aventurés sur ces territoires de l’incertitude et de l’indétermination dès 1990 avec leur rapport au Congrès des langues romanes : « Nouvelles métaphores, métaphores du nouveau ? ». Ils se démarquaient de Freud, fidèle à la logique déterministe de l’époque, en se référant aux travaux des physiciens et des biologistes contemporains, aux données en provenance de la physique quantique et des sciences du chaos qui opposent la non-linéarité aux systèmes linéaires de la physique classique. Ils craignent le retour à une logique déterministe avec l’idée de développement du programme génétique.
39G. Pragier nous rappelle combien le concept d’après-coup venait déjà modifier la compréhension déterministe du fonctionnement psychique, car, en affirmant que ce n’est pas l’événement en soi qui est traumatique mais son souvenir, Freud introduisait un flottement dans le repérage de l’inaugural (qui n’est plus ce qui est premier dans le temps). G. Pragier souligne la proximité des notions de bruit, de désorganisation, d’auto-organisation avec cette nouvelle métapsychologie et nous propose une belle illustration clinique où une fluctuation mineure dans l’écoute de l’analyste va provoquer un désordre chez le patient, et le dévoilement d’un pan tenu secret de l’histoire familiale. Il nous rappelle ce bel intitulé d’un texte de Christian David : « Un rien qui bouge et tout est changé ». Je pourrais aussi évoquer le texte de 1991 « Du dérangement au changement », ou les recherches de Michel Neyraut sur les logiques de l’Inconscient.
Une proximité clinique n’entraîne pas un accord théorique
40C’est pourquoi la contribution de Sylvie Faure-Pragier retiendra maintenant mon attention puisqu’elle soutient avec fermeté l’utilité du deuxième dualisme. Elle s’appuie sur les découvertes de Jean-Claude Ameisen sur la mort cellulaire programmée comme partie intégrante d’un processus d’auto-organisation constamment à l’œuvre, qui vient battre en brèche l’idée d’un chemin linéaire de la vie vers la mort par dégradation progressive, puisque « la vie n’existe que lorsque sont neutralisés les signaux qui commandent la mort cellulaire » ; ce à quoi M. de M’Uzan répond que « la vie n’existe que lorsque sont actifs les signaux qui commandent la mort cellulaire » et que l’autodestruction cellulaire est génétiquement programmée et mise au service de l’accomplissement d’un programme de vie. Cette formulation pourrait laisser entendre une évolution linéaire vers la mort où tout serait conforme au programme génétique, laissant peu de place à l’aléatoire. Pour S. Faure-Pragier, « l’aléatoire impose ses incertitudes ». Elle ajoute : « les dynamismes auto-conservateurs et le programme ne suffisent pas à rendre compte de la violence et de l’autodestruction dans la cure et dans le socius ».
41Pour M. de M’Uzan, la destructivité est l’expression de l’énergie sans qualité à l’œuvre dans le vital-identital.
42Est-il suffisant de se référer au dualisme énergétique et au couple vital-identital/sexual, à l’échec de leur négociation, pour rendre compte de la violence et de la destructivité ? Quand la pleine satisfaction est cherchée et trouvée dans la décharge, pourrait-il s’agir d’une violence sexuelle de mort ? D’une violence identitaire ? Détruire ou s’autodétruire comme l’unique façon d’être ? (Je pense au poème d’Artaud cité par M. de M’Uzan où sont fichés les mots JE MOI RIEN écrits avec des majuscules). S’anéantir pour exister ?
43M. de M’Uzan récuse la notion de « violence sexuelle de mort ». Il retient la notion de violence comme instrument de dégagement identitaire. Le chapitre de la violence, du meurtre, de la destructivité n’est pas clos, plusieurs contributeurs l’ont interrogé à ce sujet.
44Pour terminer, nous est présentée l’application de cette notion de vital-identital à l’interprétation de l’art contemporain. Dominique Cupa prend l’exemple de Bacon pour penser les modalités de négociation du vital-identital avec le sexual. Murielle Gagnebin engage le débat à ce propos et évoque des artistes qui se situeraient uniquement dans le vital-identital ; elle prend des exemples dans différents courants, d’un vital a minima avec les minimalistes américains, les artistes français du mouvement supports/surfaces des années 60 ou a maxima avec les actions des premiers performers du Body Art ou les nouveaux réalistes qui jouent sur l’esthétique du rebut ; la liste est longue. Ces œuvres ont aujourd’hui leur place dans nos musées, dans des expositions temporaires et sont très recherchées par les grands collectionneurs.
45Ce livre est un bel hommage à la pensée de Michel de M’Uzan, si riche et stimulante, qui nous apporte des outils nouveaux pour penser notre « ordinaire » de psychanalyste.
Notes
-
[1]
Nouveaux développements en psychanalyse. Autour de la pensée de Michel de M’Uzan, Sous la direction de Clarisse Baruch, Sèvres, Éditions EDK, 2011.
-
[2]
Cl. Baruch, C. Chabert, F. Coblence, D. Cupa, S. Faure-Pragier, M. Gagnebin, G. Pragier, D. Scarfone, C. Smadja.
-
[3]
Les italiques sont de Freud