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Article de revue

L'impact de la crise économique sur le travail psychanalytique

Pages 108 à 117

Notes

  • [1]
    Cet article a été traduit par Mario Gioia.

Introduction

1Pour pouvoir parler de crise économique en Amérique latine, il faut rappeler que, d’un côté, les crises économiques sur ce territoire ne représentent qu’un seul type de crise et ne sont pas, loin s’en faut, parmi les plus intenses et les plus douloureuses et, de l’autre, que les crises ne touchent pas toute la société de la même façon. Il est indispensable de tenir compte de certains critères économiques et politiques. Toutes les crises ont touché la pratique psychanalytique. Il va de soi que la société viennoise des années 1900 était différente de la nôtre, de telle sorte que pour rester fidèle à l’esprit et non à la lettre de la psychanalyse, nous devons accepter les changements : ces derniers ont beaucoup plus touché le cadre que le noyau dur de la théorie.

2Ce qui s’est passé dans notre pratique psychanalytique du fait de la répression politique n’a pu être discuté en public qu’avec l’installation de la démocratie. Les réunions en groupe n’étaient pas sûres. Nous avions constitué un groupe de discussion intitulé « Conséquences de la répression politique », dont j’étais la coordinatrice et qui a donné naissance à une publication de travaux issus de nos discussions collectives (Abudara et al., 1986).

3Lors du dernier congrès de l’Association psychanalytique internationale à Chicago (API), j’ai présenté un travail sur ce sujet qui a aussi été publié (Edelman, 2010). Pendant la période de crise que je viens de mentionner, il est évident que le processus psychanalytique n’a pu se maintenir dans le strict respect du cadre orthodoxe auquel nous étions habitués. Nous avons compris également que la tranquillité de notre pratique requiert des garanties constitutionnelles.

4Je citerai les éléments de la synthèse du travail que j’ai présenté à Chicago (« Pratique psychanalytique dans un contexte de terreur »). Du côté du patient, l’association libre s’est trouvée considérablement perturbée, car tout thème abordé qui pût être lié à une critique supposée de l’ordre établi par la dictature était passible d’arrestation, de torture et de mort. Le refoulement n’agissait pas seulement en raison de conflits névrotiques, mais à cause de la peur qu’entraînait l’évocation de questions à risque. Du côté de l’analyste, la neutralité a été gravement atteinte, car il était impossible de ne pas prendre position devant la torture et la mort.

5Parmi les autres perturbations, je citerai la difficulté de discerner entre la réalité et le fantasme dans les sentiments contre-transférentiels. En voici une illustration : dans un groupe de travail surgit un trouble né du soupçon qu’un enfant puisse être le fils de disparus et que ceux qui l’accompagnaient à ses séances d’analyse ne soient pas ses vrais parents. Les inquiétudes étaient suscitées d’un côté par le fait de ne pas savoir si l’on était complice d’un « appropriateur », et de l’autre par le fantasme d’être victime d’une vengeance orchestrée par ce faux père adoptif. Il est tout aussi évident que cette situation a porté atteinte au développement de la pensée théorique. Un analyste qui a peur ne peut pas réfléchir clairement. Un collègue qui travaillait avec des groupes interrompit cette activité, arguant que le dispositif groupal n’était pas approprié.

6Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une difficulté dans l’exercice de la pratique, je voudrais signaler que j’ai eu également à faire l’expérience d’une perturbation dans l’élaboration du deuil. Le silence par rapport au destin des disparus est toujours une cause de douleur. La dénomination même de disparus, une pure invention de la dictature, n’est pas correcte, car elle semble méconnaître l’existence d’un sujet qui a œuvré à cette disparition. Nous savons tous ce que cela signifie : on a fait disparaître ceux qu’on appelle les disparus et on dissimule des données qui pourraient contribuer à l’élaboration du deuil chez leurs proches. On pourrait comparer cela à une cicatrice chéloïde, toujours sensible et douloureuse.

7Nous avons aussi supporté des crises économiques avec une inflation mensuelle à deux chiffres et même à trois dans certains pays. La psychanalyse a survécu et les psychanalystes aussi.

8Pour revenir à l’intitulé de ce travail, j’avancerai quelques considérations sur ces crises économiques. La crise actuelle est moins intense pour nous, ou peut-être nous sommes-nous déjà habitués.

Honoraires

9Hérodote mentionne que les Lydiens furent les premiers à introduire l’usage de pièces en or et en argent dans la deuxième moitié du septième siècle avant Jésus-Christ. La première monnaie, l’électrum, fut un alliage d’or et d’argent. Cette précision pour rappeler que cet équivalent universel, apparu il y a de cela des siècles, n’a pas toujours été présent comme instrument d’échange.

10L’accord entre analyste et analysant établit un chiffre qui prend en compte l’échange entre le temps et l’argent. Tout autre est l’échange émotionnel qui est au centre de la mise en œuvre du processus analytique. Même si cela paraît évident, l’analyste n’est pas une machine qui ne fonctionnerait qu’avec une seule sorte de combustible. Je mentionne ceci, car nous avons appris à nous sentir rémunérés par d’autres moyens que l’argent. Si l’on remonte dans l’histoire de la profession médicale, nos ancêtres étaient rétribués en nature à une époque où le patient n’avait rien d’autre à donner en échange de l’intervention du médecin. Des aspects tels que la réparation et la curiosité, qui sont des éléments indispensables à l’exercice de la médecine, peuvent constituer une forme très importante de rémunération. Je suis certaine que, dans la société actuelle, la disparition de l’acte médical au profit de la prestation médicale mutualisée laisse peu de place à cette forme de paiement. Mais comme le disait le grand maître, cela n’empêche pas d’exister.

11Je suis tout à fait consciente des différences entre l’intervention souvent ponctuelle et pratique (médicaments, prescriptions générales, chirurgie, etc.) de la clinique médicale et le travail du psychanalyste qui consiste à mettre en œuvre le processus analytique. La notion de placebo montre cependant que c’est la relation entre les personnes impliquées dans toute intervention qui est centrale. On sait que le récit fait par un patient au sujet de l’effet d’un médicament s’inscrit dans la relation transférentielle : cette relation personnelle est incontournable. Il résulte alors que le travail des professionnels de la santé, qu’ils soient psychanalystes, médecins ou psychothérapeutes, doit absolument être rétribué. Les tentatives d’éluder cette rémunération ont des conséquences qui ont fait l’objet de nombreuses études : maternage et toute-puissance de l’analyste, sentiment de culpabilité, vécus paranoïdes de l’analysant, etc. Notre souci a été de parvenir à respecter ce principe dans des situations tout à fait atypiques. Voici quelques vignettes qui illustreront mieux notre propos que des formulations théoriques.

L’exemple de l’ingénieur

12Lorsque l’inflation commença à se faire sentir, l’analyse était en cours depuis deux ans, et le processus d’autoconnaissance de l’analysant avançait bien. Il s’agissait d’un ingénieur dans la force de l’âge, chef de famille, et qui menait une vie aisée. À la suite des aléas de l’économie, son entreprise fait faillite. J’accepte de réduire le nombre de séances, de quatre à trois par semaine, mais il ne peut faire face. Je lui propose de maintenir mes honoraires sans tenir compte de l’inflation. Cette situation ne peut pas durer non plus. Je baisse mes honoraires de 25 % et nous continuons une année encore. Sa situation économique change et nous pouvons à nouveau fixer les honoraires selon mes critères. De toutes les manières, il y a eu un écart important par rapport à ce qu’aurait été le montant de mes honoraires si l’ingénieur n’avait pas fait faillite. On aborde cette question. L’analysant est bien entendu plus habile que moi pour calculer ce qu’il aurait dû payer et me propose que l’on convienne d’une somme qu’il me verserait afin d’équilibrer ce décalage.

13Pour des raisons que je n’ai pu définir à cette époque, j’ai préféré que nous nous consacrions plutôt aux problèmes familiaux de ses enfants adolescents qu’à ce que j’avais perdu à cause de l’inflation. Je considérais que nous étions tous deux responsables puisque nous appartenions à la même société et que j’avais accepté notre pacte ; plus encore, je le lui avais moi-même proposé en lui expliquant les motifs éthiques qui m’empêchaient d’interrompre une analyse non aboutie. Peut-être qu’une personne qui n’aurait pas vécu les aléas que nous avons subis comprendra mieux ce qui s’est passé en lisant ce récit. Il a été beaucoup plus important pour moi d’honorer ma fonction réparatrice et de satisfaire ma curiosité professionnelle en poursuivant l’analyse de cet ingénieur. Je reçois des nouvelles de lui occasionnellement et il va bien.

L’exemple du conscrit

14Il s’agit d’un jeune homme qui avait demandé à faire son service militaire – obligatoire à l’époque dans notre pays – à 24 ans au lieu de 18, pour pouvoir continuer ses études d’architecture. On se voyait depuis qu’il avait 20 ans et le processus analytique se déroulait de façon satisfaisante. Ce jeune travaillait de manière indépendante pour un cabinet. Pour faire son service militaire, il a dû laisser ce travail et il n’avait pas de soutien familial. Il m’a dit qu’il allait interrompre son traitement parce qu’en plus de la difficulté pour convenir d’un créneau horaire, il n’aurait pas de quoi me payer. Cela me dérangeait beaucoup d’interrompre le processus et je lui ai proposé de lui faire crédit sur le traitement pendant son année de service. Il a réfléchi et a accepté. Ma pensée était que s’il ne pouvait pas me payer ensuite pour quelque motif que ce soit, il était plus important pour moi de poursuivre le traitement que de recevoir ma rétribution en argent. Il faut comprendre que j’accordais plus d’importance à ce que l’analysant accepte à ce moment-là de poursuivre son traitement qu’à ce qui pourrait advenir dans le futur.

15Une fois son service militaire achevé, nous avons repris le rythme habituel des séances, qui avait été modifié durant cette année, et il m’a remboursé ce qu’il me devait au bout de six mois environ. Nous étions tous les deux très satisfaits. Aujourd’hui, c’est un architecte qui gagne bien sa vie et qui a une vie sociale accomplie.

L’exemple de la jeune femme avec laquelle j’ai pleuré

16Cet exemple appartient à l’époque de la répression politique. J’ai alors eu recours sans réfléchir à un système que je n’avais jamais mis en place pendant ma carrière d’analyste, ce qui fut très instructif.

17Ana était une jeune femme de 25 ans, intelligente et travailleuse. Elle était étudiante et ses parents payaient son traitement. Lors de séances antérieures à celle que je désire évoquer ici, elle s’était plainte de ses difficultés à former un couple. Je lui suggère qu’elle me parle de ses relations passées. D’un ton monotone et indifférent, elle me raconte qu’elle a vu son premier ami se faire tirer dessus sur un toit par la police et qu’elle a dû aller à la morgue pour reconnaître le second qui avait été brûlé. Un silence a suivi, je me suis sentie très émue et je n’ai pu trouver les mots appropriés pour pouvoir dépasser le récit. Alertée par mon silence, elle s’est alors tournée vers moi et m’a vu pleurer. Très étonnée, elle m’a dit : « Mais vous êtes en train de pleurer ! » J’ai alors trouvé les mots et lui ai dit : « Devant l’horreur que vous me racontez, quelqu’un doit pleurer. »

18Je ne me souviens pas de la suite du dialogue, et il valait mieux par ailleurs ne pas conserver de notes écrites à cette époque-là. Je suis certaine du changement opéré chez Ana dans sa manière de communiquer, parce qu’en dépit du fait qu’elle savait que je n’étais pas du côté des persécuteurs, elle ne saisissait pas le sens de ma réaction émotionnelle face à des événements subis par un groupe auquel je n’appartenais pas.

19Au travers des exemples précédents, nous avons appris que la neutralité n’équivaut pas à l’indifférence mais au respect, et que réduire le paiement des honoraires à l’argent est une simplification lamentable. Un aspect fondamental à prendre en compte en ce qui concerne le maintien et la réduction du prix des honoraires, c’est que l’analysant doit comprendre dans quelles circonstances l’analyste peut se sentir rémunéré quand bien même les règles habituelles du paiement des honoraires en argent ne sont pas appliquées.

20Il s’ensuit que la neutralité est une condition importante de la relation analytique et tout particulièrement pendant la répression politique. Il aurait été alors impossible de se fier à quelqu’un qui était favorable à l’oppresseur. Cet aspect ponctuel ne concerne pas les crises, disons, uniquement économiques. Cependant, dans ces périodes de fluctuations économiques, pour que les raisons pour lesquelles nous pouvions prolonger un traitement soient claires, nous avons dû donner des explications sur notre façon de travailler et sur la forme de la gratification. Dans l’exemple de l’ingénieur, il a été nécessaire de préciser que l’éthique professionnelle serait altérée si le processus analytique était interrompu. On peut penser aussi qu’un chirurgien qui apprend au milieu d’une opération qu’on ne le paiera pas n’interrompra pas pour autant son travail à moitié commencé, ni ne renoncera à effectuer des points de suture. Par ailleurs, on ne prend pas toujours en compte la situation opposée à celle de ne pas pouvoir payer les honoraires fixés en temps de crise. Je parle d’analysants économiquement si aisés que le prix des honoraires s’apparente à de la petite monnaie, de telle manière que c’est la secrétaire qui fait un chèque, ou que son paiement est inclus dans les dépenses générales de son entreprise. Il devient alors impossible d’agir équitablement si nos honoraires standards sont payés à la fois par un professeur qui vit de son salaire et par un chef d’entreprise qui gagne des millions. Un analyste de notre institution, qui est décédé, Mauricio Abadi, disait que nous autres, les psychanalystes, nous ressemblons à des domestiques de luxe.

21S’il est vrai qu’on ne peut pas demander un certificat de revenus pour établir des honoraires, certaines situations n’en sont pas moins inéquitables. Cela paraît évident dans des villes comme Buenos Aires, où circule cette question-blague : « Tu consultes chez un psychiatre ou chez un psychanalyste ? » Il est sous-entendu que les traitements psychiatriques sont des interventions médicales pour les « fous », alors que les psychanalystes suivent des personnes « normales » qui considèrent le processus d’autoconnaissance bénéfique.

22Le fait que l’analysant considère que l’argent est tout-puissant dénature la symétrie de l’échange temps-argent. Un exemple illustre ce que j’expose par rapport à ces difficultés : un chef d’entreprise, que j’appellerai Juan, fait appel à nous car « peut-être qu’il y a des choses qui ne vont pas bien dans sa vie ». En principe, cette demande peut être pertinente lors des premiers entretiens où l’on ne s’attend pas à une explication très détaillée, car la confiance n’est pas encore établie. Cette personne appartient à un groupe socio-culturel-économique où le fait « d’entreprendre une analyse » est une sorte de marque d’intelligence, de maturité, de modestie, de savoir-faire, pour ne mentionner que quelques-uns de ces traits.

23J’apprends que des employés de l’une de ses entreprises consultent auprès d’étudiants de médecine spécialisés en psychiatrie dont j’ai la charge. Comme il estime intellectuellement deux de ces employés, il entretient avec eux des conversations qui dépassent le cadre strictement formel du travail. Il leur demande quel professeur dirige leurs études et s’ils savent quels sont ses honoraires. Il vient ensuite me voir après s’être enquis de la différence d’honoraires. Je suis consciente qu’il y a ici un enchevêtrement de causalités et d’objectifs qui président à sa recherche. Ma situation de domestique de luxe était de toutes les façons évidente. Ce qui était évident aussi, c’est que Juan avait un réel besoin d’autoconnaissance qui dépassait l’explication vague fournie lors de notre première séance. Il avait des problèmes qu’il n’aurait pas pu résoudre hors du transfert. Cette clarification a été utile pour pouvoir établir une demande réelle et pas seulement une marque de position sociale.

24Enfin, un autre problème se pose lorsque l’on augmente les honoraires en suivant l’indice officiel de l’inflation : il devient alors difficile de procéder à une augmentation réelle en dehors de l’inflation. Analystes et analysants expérimentent ensemble en ce moment l’appauvrissement du pays, et sont soumis à des lois perturbatrices à plus d’un titre.

Cadre et processus

25On sait que Freud a établi des liens thérapeutiques en dehors de l’orthodoxie qui est devenue par la suite partie intégrante du traitement ; or il n’est pas toujours reconnu que le processus et le cadre, alors même qu’ils sont fortement liés, ne sont pas pour autant indissociables. On a entendu parler plusieurs fois de traitements qui respectent l’orthodoxie du cadre et qui demeurent des thérapies de soutien, de mise au point, voire même comportementalistes, ayant comme visée de fournir des conseils ou même d’indiquer des conduites. Il n’est pas nécessaire de préciser à quel point ces procédés mettent en péril l’autonomie de la pensée et conspirent contre le développement salutaire de la personnalité. C’est ainsi que la psychanalyse semble être labellisée sous la marque 4D50 (quatre séances de 50 minutes sur le divan) ; tout ce qui porte cette marque pourrait s’appeler ainsi.

26En outre, il convient de préciser que le processus psychanalytique se définit par l’intervention médiatrice – le plus souvent, mais pas uniquement – de la parole, selon la métapsychologie freudienne. On sait bien que le cadre fut proposé par Freud, non seulement par rapport aux caractéristiques du processus en lui-même, mais aussi en réponse à ce qui lui paraissait convenir le mieux aux caractéristiques de la société de son époque.

27La marque déposée de la psychanalyse met en évidence, comme pour n’importe quel produit, que des marques non déposées peuvent avoir des résultats similaires ou de meilleure qualité. Cela est particulièrement visible au travers de notre pratique, lorsque l’on travaille avec le modèle psychanalytique dans des structures d’aide complexes, comme les hôpitaux de jour. Dans ces endroits, on comprend que la « fonction analytique » traverse l’ensemble des espaces thérapeutiques qui, au sein de l’institution où je travaille, sont tous groupaux.

28Les interventions qui provoquent le changement, qui éclairent la face cachée d’un conflit, n’ont pas lieu seulement lors des séances groupales ou des ateliers organisés pendant les quatre heures de permanence quotidienne, mais peuvent aussi surgir au travers d’actes ou de paroles, et dans n’importe quel espace. On doit aussi comprendre ici que pour les psychothérapeutes, et en particulier pour les analystes, la sacralisation du mot conduit à méconnaître la valeur de pratiques corporelles (expression corporelle, eutonie, gymnastique, yoga, etc.) et sociales (loisirs, lectures de journaux, projets, cuisine, peinture). Grâce au travail en équipe, cette circulation de la fonction analytique permet que l’irruption de « ce qui permet l’autoconnaissance et le changement » soit provoquée par n’importe quel membre de l’équipe d’aide. C’est pour cela que nous accordons beaucoup d’importance à la formation de toute l’équipe, personnel d’entretien et techniciens inclus. On peut dire que l’on défait le jour ce que l’on a tissé la nuit, lorsque tous les comportements ne sont pas évalués soigneusement. Il résulte alors qu’il est important de comprendre le processus en dehors du cadre.

29Il me paraît important de souligner que ce type de situations n’a pas seulement lieu dans notre travail. Le terme d’arte povera, qui a surgi en Italie à la fin des années 1960, traduit aussi l’idée que l’on ne peut pas confondre l’art avec le prix des matériaux utilisés. Le design en tant que tel ne tient pas compte de la valeur monétaire des éléments utilisés. On peut percevoir de la même façon le bijou constitué de pierres précieuses qui ont coûté de nombreuses vies ou celui fait à partir d’autres matériaux d’aspect semblable, de valeur esthétique équivalente, mais de moindre coût. Il apparaît alors peu salutaire d’opposer « l’or pur de la psychanalyse » à d’autres métaux si l’on considère la souffrance et les vies sacrifiées au service de l’or. Cherchons la pureté au travers du processus et non au travers du cadre.

30Les crises, de même que la corruption et l’iniquité, ont un impact sur l’ensemble d’un groupe social. Comme un miasme qui se répandrait et auquel on ne saurait comment échapper. Nous devons rester très vigilants, et cela affecte bien entendu notre pensée et notre autonomie. Lorsque, nous autres, Argentins, avons pu discuter de nos expériences et les partager en groupe, nous avons ressenti un grand soulagement, et cela nous a aussi permis de réfléchir. Notre mémoire s’est réactivée, de nombreux événements que l’on croyait perdus ou enterrés par la répression ont resurgi.

La tentation de mettre en place d’autres traitements

31Je voudrais parler ici en particulier des psychothérapies qui supposent moins de séances et moins de temps par séance. On sait bien que le symptôme est un épiphénomène de conflits que les autres modèles théoriques résolvent très peu souvent au travers d’un changement en grande partie cosmétique. Il faut alors différencier l’efficience de l’efficacité, d’une part, et d’autre part prendre en compte les enjeux des besoins financiers des thérapeutes. Même si ce n’est pas l’objectif de ce travail, j’aimerais préciser que si nous privilégions le soulagement de la souffrance de ceux qui nous consultent, nous pouvons aussi parfois avoir recours à des traitements symptomatiques, lorsque c’est la seule possibilité. Il est alors important de bien saisir la portée de ces traitements. On ne soigne pas une fracture avec un analgésique, mais on soulage la douleur de celui qui en souffre.

32En ce qui concerne la différence entre l’efficience et l’efficacité, il n’est pas rare dans notre milieu de rencontrer des patients qui aspirent à un changement réel de la structure qui produit le symptôme et non pas à une aide pour le soulager. Le concept lévi-straussien d’efficacité symbolique paraît ici particulièrement opératoire. Dans mon travail d’enseignante, j’insiste tout particulièrement sur la nécessité d’être conscients que dès lors que nous nous voyons obligés d’adopter un autre modèle théorique et technique, il ne faut pas perdre de vue que nous nous adaptons alors à une exigence qui nous dépasse. Il est impératif de ne pas adopter de mécanismes d’identification à l’agresseur qui s’apparente le plus souvent au système médical du tiers payant qui a transformé l’acte médical en une prestation.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Abudara O. et al. (1986), Argentina, Psicoanálisis y Represión Política, Buenos Aires, Kargieman.
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  • Edelman L. (2010), Sur, dictadura y después…, Buenos Aires, Paidós, « Psicolibros ».
  • Freud S. (1937 d), Constructions dans l’analyse, Résultats, Idées, Problèmes, II, Paris, Puf, 1985.
  • Kordon D., Edelman L. (y otros) (1986), Efectos psicológicos de la represión política. Sudamericana, Buenos Aires, Planeta.
  • Levi-Strauss C., Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958.
  • Lira E., Becker D., Castillo M. (1986), Psicoterapia de víctimas de represión política bajo dictadura : un desafío terapéutico, teórico y político. En Lira E. y otros, Derechos humanos : todo es según el dolor con que se mira, Santiago de Chile, ILAS.
  • Ricon L. (2002), El psicoanálisis y la Salud Mental en tiempos de inequidad, Desafíos al psicoanálisis en el siglo XXI, Comp. Ferrari H. y Zac de Filc, S. Buenos Aires, Polemos.

Mots-clés éditeurs : honoraires, crises économiques et politiques, variations du cadre

Mise en ligne 11/04/2013

https://doi.org/10.3917/rfp.771.0108

Notes

  • [1]
    Cet article a été traduit par Mario Gioia.
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