Couverture de RFP_755

Article de revue

Le maternel, le post-partum et la psychanalyse aujourd'hui

Pages 1443 à 1447

Notes

1Les organisateurs du Congrès m’ont conviée à relancer le débat au sujet du rapport de Patrick Merot et je les remercie de cette opportunité qui m’a été donnée de participer au vxxie Congrès des psychanalystes de langue française. Lorsque Patrick Merot prononce son bel exposé au deuxième jour du Congrès, le débat sur le maternel, et tout ce qu’il évoque, est déjà bien enclenché. Les questions fusent, pressantes, nombreuses, précises. Face à ce débat animé j’ai le plaisir de voir que de relance il n’est pas besoin. Je peux donc restreindre mon intervention comme lorsque dans la cure les associations vont bon train et que l’on veille à n’exercer aucune emprise, aucune suggestion, que l’on s’astreint à ne pas s’immiscer de manière intempestive dans le processus.

2Et c’est maintenant à distance, et dans l’après-coup, que je reviens sur cette question du maternel avec, en particulier, bien en tête la présentation orale de Christine Anzieu-Premmereur, présentation si solide et si ancrée dans la réalité d’aujourd’hui. Elle a sonné de manière très agréablement familière à mes oreilles d’analyste gardant contact avec les réalités institutionnelles. Je reviendrai, au cours de mon exposé, sur deux points essentiels pour moi : d’une part l’élaboration d’un maternel en mouvement, et d’autre part, la fonction maternelle dans la psychanalyse aujourd’hui.

Le maternel et/ou du maternel en mouvement ?

3Patrick Merot nous convie à une (re)lecture de l’Esquisse qui l’amène, suivant en cela Lina Balestrière, à trouver dans ce texte la théorie du moment fondateur du maternel (L. Balestrière, 2008). Il s’agit d’une lecture qui prend le texte à bras-le-corps et le détaille avec minutie. Il en ressort l’idée que Freud fait là une première mise en place d’un système fondé sur des principes de fonctionnement généraux, dans une visée d’inspiration économique. Et Patrick Merot souligne que l’exposition des grands principes énergétiques est immédiatement suivie du descriptif de l’enfant tout petit auprès de sa mère. Ce tout-petit est totalement incapable de trouver la satisfaction à travers une action spécifique. C’est cela, nous dit Patrick Merot, qui fonde l’expérience de « désaide ». (Afin de rester compréhensible pour celles et ceux qui s’intéressent à l’analyse sans être analystes ainsi que pour celles et ceux qui ne sont pas francophones, je resterai à la terminologie « impuissance infantile ».) L’idée n’est pas complètement originale, on la trouve déjà exprimée dans l’excellent Dictionnaire freudien de Claude le Guen : « La psychanalyse a fourni sa contribution à la critique de la vision religieuse, en montrant qu’elle tire son origine de la détresse infantile et son contenu des besoins et désirs infantiles prolongés » [1] (Cl. Le Guen, 2008).

4Patrick Merot tire du texte freudien l’idée que le maternel est à comprendre comme une action spécifique induite par l’impuissance du tout-petit. Le maternel, c’est donc plus et autre chose que la mère en tant qu’objet, plus et autre chose que la fonction maternelle. Le maternel c’est le lien à un autre non reconnu en tant que tel. Irait-on jusqu’à dire que c’est un lien à du vivant, à de l’humain, à un au-delà de la fonction maternelle ? On risquerait alors de retomber dans le vieux débat sur l’originaire avec le risque concomitant de statufier le maternel. Alors qu’au contraire dans la (re)lecture de l’Esquisse que propose Patrick Merot, le maternel c’est un certain type de fonctionnement que la cure met à jour, en fonction d’une écoute transférentielle particulière. On en conclut que le maternel peut apparaître sous des formes variées, variables, transformées, déguisées, déplacées et que le religieux en est une des formes, très transformée. Le religieux serait ainsi le manifeste du maternel qui, loin d’avoir existé à un seul temps donné, serait bien plutôt la résultante complexe d’expériences très diverses : bonnes ou mauvaises, inattendues ou incompréhensibles, traumatiques ou non, durables ou fugaces. Il en serait du maternel comme de tout autre fonctionnement psychique : jamais acquis, jamais fixé, toujours labile, en passe de se transformer et n’étant visible que par la démarche analytique. On sort ainsi de toute idée développementale pour retrouver la dynamique propre au psychisme. Et cette manière de voir amène à répondre à une question posée à propos du maternel : est-ce que cette notion recoupe – ou non – ce qu’à l’époque René Diatkine et Serge Lebovici avaient défini comme hallucination primitive de l’expérience de satisfaction ? Avant toute réponse, on peut dire que pour René Diatkine c’est la notion de mouvement qui est au premier plan de sa théorie. Si le maternel est vu de manière statique, il s’éloigne de toute notion définie par René Diatkine. Mais s’il est vu comme une fonction dynamique liée chez l’enfant tout petit à l’expérience d’impossibilité d’obtenir la satisfaction, elle peut recouper, au moins en partie, la notion d’hallucination primitive de l’expérience de satisfaction. René Diatkine, dans un entretien de 1993, insiste, comme il l’a toujours fait, sur la nécessité de penser le psychisme en termes dynamiques : « L’objet avant que d’être un objet, se constitue, au gré de mouvements […]. La mère, avant même que d’être un objet, n’est pas une figure statique, […] c’est une mère, en mouvement » [2] (R. Diatkine, 1993 ; Fl. Quartier, 1997).

Le maternel, la fonction maternelle et la psychanalyse aujourd’hui

5Soit une femme en analyse aux prises avec une violente crise dans laquelle surgit du religieux au sens que Patrick Merot donne à ce terme. Cette crise survient au moment où elle devient mère. Cette crise est un douloureux mélange fait d’une histoire passée et présente, dans laquelle la religion a tenu et tient encore une place envahissante, où la fonction maternelle a été probablement en partie défaillante. Cette crise toute pleine de religieux envahit cette femme, envahit le transfert, envahit l’analyste et elle se produit au moment du post-partum. Et nous voilà à toucher du doigt la réalité : qu’elle soit ou non en analyse, une femme qui devient mère doit sans tarder créer, fabriquer, de la fonction maternelle. Elle doit capter l’envie de vivre de l’infans, se laisser capter par lui, le faire exister dans son histoire à elle et dans celle d’un tiers en même temps qu’il lui faut le nourrir avec toutes les composantes affectives et sensorielles que cela doit absolument comporter. Il en va de l’avenir de l’enfant (D. Knauer, E. Palacio E., 2010). C’est pourquoi on peut aujourd’hui veiller à ce qu’une femme dans cette difficile situation puisse établir des liens avec des objets reconnus en tant que tels, des liens en dehors du transfert, susceptibles de l’aider à construire sa fonction maternelle (en d’autres termes, qu’elle puisse bénéficier d’une aide thérapeutique en vue de dépasser sa difficulté à devenir mère ; N. Nanzer, 2009). Cela ne doit pas interrompre son analyse, bien au contraire, puisque c’est là, qu’au gré du transfert, elle pourra transformer et élaborer ce que le religieux désorganise en elle. Nous avons évidemment à défendre l’importance de la psychanalyse pour une femme aux prises avec une problématique venant des tréfonds de son histoire. Qu’elle puisse avoir accès à l’analyse, à cette « action thérapeutique spécifique » qu’est l’analyse est de grande importance. (Je condense ici le terme de Patrick Merot qui parle du maternel comme d’une « action spécifique » et j’ose le terme « thérapeutique » en écho à Piera Aulagnier (1984) qui en son temps osait encore en souligner toute l’importance.) Mais, simultanément, pourquoi ne pas intégrer des connaissances acquises dans des domaines adjacents ? Le bébé d’une mère en souffrance a besoin d’une aide immédiate et urgente, bien différente de l’aide interprétative que sa mère nécessite de recevoir. À chacun son « action spécifique ». Cette proposition ne nous fait pas choir dans le social, elle ne plombe pas l’analyse par un recours indu à la banale réalité, elle n’enlève rien à l’or de l’interprétation. Elle admet simplement de composer avec les divers éléments en présence. On sait depuis longtemps déjà que l’on peut procéder de cette manière sans que l’analyse n’y perde rien. Jean-Luc Donnet a donné de nombreux exemples de cet alliage subtil qui doit parfois se faire entre analyse versus interprétation et intervention aux alentours de l’analyse. Il a montré comment l’analyste, s’il est capable d’être un vrai gardien du cadre, peut – et même doit – articuler travail sur le cadre et travail interprétatif. Bien sûr, on ne peut pas se risquer à faire le « travail de méninges » décrit par Jean-Luc Donnet dans l’exemple du Psychophobe, sans grande expérience (J.-L. Donnet, 2009). Mais un tel exemple donne le courage de penser comment articuler l’analyse avec le monde environnant tout en gardant chevillé au corps l’esprit analytique. Ce travail analytique, à la fois si rigoureux et si aventureux proposé par J.-L. Donnet, nous semble définir ce pourquoi nous sommes là aujourd’hui comme analystes : ouvrir, créer de nouveaux chemins de pensées, donner le désir d’emprunter ces chemins à celles et ceux qui s’intéressent à la complexité de la démarche analytique. On peut le voir comme une nouvelle variante du « travail de civilisation » auquel Freud se réfère en 1933. En effet, à reprendre le débat si riche et complexe qui existait alors au sujet de l’assèchement du Zuyderzée, il est sûr que l’on ne peut se cantonner à notre seul domaine, aussi riche soit-il. Assécher le psychisme de ce qui le noie comme assécher les polders a toutes sortes de conséquences très diverses les unes par rapport aux autres : il s’agit de rendre les terrains arables et fertiles, de penser l’économie du fonctionnement, de faire que ces terres nouvellement conquises donnent envie d’y vivre. Tout cela à l’époque de Freud constituait un vif débat et rien jamais n’était définitivement gagné pour ceux qui souhaitaient civiliser les polders (S. Freud, 1933 ; S. Groenman, 1952). De même, rien n’est-il jamais définitivement gagné en psychanalyse.

Références bibliographiques

  • Aulagnier P. (1984), L’apprenti-historien et le maître-sorcier. Du discours identifiant au discours délirant, Paris, puf.
  • Balestrière L. (2008), Freud et la question des origines, Bruxelles, De Boeck.
  • Diatkine R. (1993), Entretien avec J.-J. Baranes et M. Gibeault, rfp, t. LVII, n° 4, p. 1017-1028.
  • Donnet J.-L. (2009), Le psychophobe, L’humour et la honte, Paris, puf, p. 81.
  • Freud S. (1933), XXXIe conférence, Les nouvelles conférences, Paris, Gallimard, p. 110.
  • Groenman S. (1952), L’assèchement du Zuyderzée et le problème de la population aux Pays-Bas, Population, 7e année, n° 4, p. 661-674.
  • Knauer D., Palacio Espasa F. (2010), La destinée des bébés peut-elle changer ? Études cliniques longitudinales du bébé à l’adulte, Paris, puf.
  • Le Guen Cl. (2008), Dictionnaire freudien, Paris, puf, p. 1675.
  • Nanzer N. (2009), La dépression postnatale, sortir du silence, Suisse, Favre.
  • Quartier-Frings Fl. (1997), René Diatkine, Paris, puf.

Mots-clés éditeurs : maternel, post-partum, psychanalyse, fonction maternelle

Date de mise en ligne : 02/02/2012

https://doi.org/10.3917/rfp.755.1443

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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