Couverture de RFP_755

Article de revue

L'ombre du maternel

Extraits réunis par Josette Garon

Pages 1297 à 1335

Notes

  • [1]
    S. Freud, lettre 70, du 3 octobre 1897, Naissance de la psychanalyse, Paris, puf, 1956, p. 194.
  • [2]
    I. Barande (1977), Le maternel singulier, Paris, Aubier.
  • [3]
    S. Freud (1911), Grande est la Diane d’Éphèse, ocf.p, XI, Paris, puf, 1998, p. 52. Voir aussi L. Kahn (1992), Les Immortelles, Nouvelle revue de Psychanalyse, « Les mères », n° 45, p. 195.
  • [4]
    P. Fédida (1980), L’arrière-mère et le destin de la féminité, Psychanalyse à l’Université, n° 18 ; repris dans Mères et filles, la menace de l’identique, Paris, puf, 2003.
  • [5]
    S. Freud (1910), Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, ocf.p, X, Paris, puf, 1993.
  • [6]
    « Primitif » au sens double de primordial, mais aussi d’état de nature, bien que jamais appréhendé comme tel.
  • [7]
    Ibid., p. 141.
  • [8]
    S. Freud (1905), Trois essais sur la vie sexuelle, ocf.p, VI, Paris, puf, p. 160-161.
  • [9]
    S. Freud (1905), Trois essais sur la vie sexuelle, op. cit., p. 146.
  • [10]
    S. Freud (1916), Introduction à la psychanalyse, ocf.p, XIV, Paris, puf, p. 400.
  • [11]
    S. Freud (1925), Autoprésentation, ocf.p, XVII, Prais, puf, p. 108.
  • [12]
    S. Freud (1917), Complément métapsychologique à l’interprétation des rêves, ocf.p, XIII, Paris, puf, p. 247.
  • [13]
    Lou Andreas-Salomé (1921), Le narcissisme comme double direction, L’amour du narcissisme, Paris, Gallimard, 1977.
  • [14]
    S. Freud, lettre 1er avril 1915, Correspondance, Paris, Gallimard, p. 22.
  • [15]
    Lou Andreas-Salomé (1921), Le narcissisme comme double direction, op. cit., p. 147.
  • [16]
    D. Braunschweig et M. Fain (1971), Éros et Antéros, réflexions psychanalytiques sur la sexualité, Paris, Payot, p. 107 (ils se réfèrent au livre de M. Chadourne, Dieu créa d’abord Lilith).
  • [17]
    Ibid., p. 109.
  • [18]
    J. Bril (1981), Lilith ou la mère obscure, Paris, Payot, p. 139.
  • [19]
    C. Baudelaire, « Bénédiction ».
    « Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères,/Où mon ventre a conçu mon expiation !/
    […] Elle ravale ainsi l’écume de sa haine,/et ne comprenant pas les desseins éternels,/
    Elle-même prépare au fond de la Géhenne/Les bûchers consacrés aux crimes maternels. »
    Œuvres complètes, Paris, La Pléiade, 1951, p. 81.
  • [20]
    M. Klein (1932), La psychanalyse des enfants, Paris, puf, 1959.
  • [21]
    S. Freud (1924), Le problème économique du masochisme, ocf.p, XVII, Paris, puf, 1992, p. 14.
  • [22]
    S. Freud (1930), Malaise dans la culture, ocf.p, XVIII, Paris, puf, p. 210.
  • [23]
    S. Freud (1916), Quelques types de caractère dégagés par le travail analytique, ocf.p, XV, Paris, puf, p. 23.
  • [24]
    Ibid., p. 23. Voir aussi S. Faure-Pragier et G. Pragier (1987), Les enjeux d’une recherche psychanalytique sur la stérilité féminine, rfp, t. LI, n° 6.
  • [25]
    S. Freud (1915), L’inconscient, ocf.p, XIII, Paris, puf, p. 220.
  • [26]
    S. Freud (1895), Esquisse d’une psychologie scientifique, La naissance de la psychanalyse, Paris, puf, 1956, p. 336 ; cf. L. Balestrière (2005), Freud et la question des origines, Bruxelles, De Boeck.
  • [27]
    S. Freud (1905), Trois essais sur la vie sexuelle, ocf.p, VI, Paris, puf, p. 161.
  • [28]
    J. Laplanche (2007), Sexual, la sexualité élargie au sens freudien, Paris, puf.
  • [29]
    S. Freud (1911), Un souvenir d’enfance, op. cit., p. 145.
  • [30]
    J. André (1999), Introduction, les baisers, La folie maternelle ordinaire, Paris, puf, 2006 et (1999), La féminité autrement, Paris, puf.
  • [31]
    J. André (1999), Aux origines féminines de la sexualité, Paris, puf, p. 110.
  • [32]
    A. Green (1980), La folie privée, psychanalyse des cas-limites, Paris, Gallimard, 1990, p. 182-183.
  • [33]
    Ibid., p. 154.
  • [34]
    S. Freud (1920), Un cas d’homosexualité féminine, ocf.p, XV, Paris, puf, p. 239.
  • [35]
    S. Freud (1931), Sur la sexualité féminine, La vie sexuelle, Paris, puf, 1969, p. 140.
  • [36]
    S. Freud (1933), La féminité, ocf.p, XIX, Paris, puf, p. 217.
  • [37]
    D. Braunschweig, M. Fain (1971), Éros et Antéros, réflexions psychanalytiques sur la sexualité, op. cit., p. 78.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    F. Bégoin (1999), Maternel ou féminin ? Le « roc d’origine » comme gardien du tabou de l’inceste avec la mère, Clefs pour le féminin, Paris, puf, « Débats de psychanalyse ».
  • [40]
    P. Aulagnier (1975), La violence de l’interprétation, Paris, puf, p. 136.
  • [41]
    E. Kestemberg (1984), Homosexualité, identité, adolescence, L’adolescence à vif, Paris, puf, 1999.
  • [42]
    S. Freud (1892-1893), Un cas de guérison hypnotique avec des remarques sur l’apparition de symptômes hystériques par la « contre-volonté », Résultats, idées, problèmes, Paris, puf, 1984.
  • [43]
    H. Parat (1999), La fougue du lait, la mère et l’érotique de l’allaitement, La Féminité autrement, Paris, puf.
  • [44]
    S. Freud (1892-1893), Un cas de guérison hypnotique avec des remarques sur l’apparition de symptômes hystériques par la « contre-volonté », op. cit., p. 38.
  • [45]
    S. Freud, (1924), Le problème économique du masochisme, ocf.p, XVII, p. 14.
  • [46]
    S. Freud (1910), D’un type particulier de choix d’objet chez l’homme, ocf.p, X, Paris, puf, p. 199.
  • [47]
    W.R. Bion (1977), Entretiens psychanalytiques, Paris, Gallimard, 1980, p. 247.
  • [48]
    S. Faure-Pragier et G. Pragier (1987), Les enjeux d’une recherche psychanalytique sur la stérilité féminine, rfp, t. LI, n° 6 ; S. Faure-Pragier (2003), Défaut de transmission du maternel. Absence de fantasme, absence de conception ?, Mères et filles, la menace de l’identique, Paris, puf.
  • [49]
    H. von Hoffmansthal (1919), La femme sans ombre, Paris, Verdier, 1972, p. 95-97 ; E. Sechaud (2008), Porter une ombre, Bulletin fep, n° 62.
  • [50]
    S. Freud (1911), Un souvenir d’enfance, op. cit., p. 91.
  • [51]
    Ibid., p. 122.
  • [52]
    D. Braunschweig et M. Fain (1975), La nuit, le jour, Paris, puf, p. 86 ; W. Granoff et F. Perrier (2002), Le désir et le féminin, Paris, Flammarion, à la suite de J. Lacan (1966), Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine, Écrits, Le Seuil, p. 730.
  • [53]
    S. Freud (1930), Malaise dans la culture, ocf.p, XVIII, Paris, puf.
  • [54]
    M. Cournut (1998), Féminin et féminité, Paris, puf, 1998, p. 107.
  • [55]
    J. Kristeva (1980), Pouvoirs de l’horreur, Paris, Points Seuil, p. 94.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    S. Freud (1938), L’abrégé de psychanalyse, Paris, puf, 1949, p. 59.
  • [58]
    S. Freud (1938), Résultats, idées, problèmes, 1921-1938, t. II, Paris, puf, 1985, p. 287.
  • [59]
    S. Freud (1920), Au-delà du principe de plaisir, op. cit., p. 285.
  • [60]
    A. Green (1983), La mère morte, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, p. 246.
  • [61]
    Ibid., note p. 248.
  • [62]
    D.W. Winnicott (1960), La théorie de la relation parent-nourrisson, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 240, en note : « J’ai dit un jour : “Cette chose qu’on appelle un nourrisson n’existe pas.” J’entendais par-là que chaque fois qu’il y a un nourrisson, on trouve des soins maternels, et que sans soins maternels, il n’y aurait pas de nourrisson. » (Discussion à la Société britannique de psychanalyse, autour de 1940.)
  • [63]
    D.W. Winnicott (1988), La Nature humaine, Paris, Gallimard, 1990, p. 134.
  • [64]
    F. Gantheret (1983), L’impensable maternel et les fondements maternels du penser, Nouvelle revue de Psychanalyse, « Liens », p. 7-8.
  • [65]
    P. Aulagnier (1975), La violence de l’interprétation, Paris, puf, p. 18.
  • [66]
    Ibid., p. 77.
  • [67]
    P. Aulagnier (1992), Voies d’entrée dans la psychose, Topique, « Penser l’originaire », n° 49, p. 7.
  • [68]
    P. Aulagnier (1984), L’apprenti-historien et le maître-sorcier, Paris, puf, p. 217.
  • [69]
    W.R. Bion (1963), Éléments de psychanalyse, Paris, puf, 1979, p. 63.
  • [70]
    W.R. Bion (1962), Aux sources de l’expérience, Paris, puf, 1979, p. 21.
  • [71]
    Ibid.
  • [72]
    W.R. Bion (1977), Césure, Entretiens psychanalytiques, Paris, Gallimard, 1980, p. 249 et 251.
  • [73]
    P.-C. Racamier (1979), De la psychanalyse en psychiatrie, études psychopathologiques, Paris, Payot.
  • [74]
    S. Freud (1924), Névrose et psychose, Névrose, psychose et perversion, Paris, puf, 1973, p. 286.
  • [75]
    S. Freud (1938), Le clivage du moi dans le processus de défense, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, puf, 1985, p. 284.
  • [76]
    D.W. Winnicott (1974), La crainte de l’effondrement, Paris, Gallimard, p. 19.
  • [77]
    B. Chervet (2009), L’après-coup, la tentative d’inscrire ce qui tend à disparaître, rfp, t. LXXIII, n° 5 ; Présentation de La tentation psychotique de Liliane Abensour, quelques réflexions sur le fonctionnement psychotique, rfp, t. LXXIV, n° 2.
« Tout dans le domaine de cette première liaison à la mère m’est apparu difficile à saisir psychanalytiquement, blanchi par les ans, pareil à une ombre, à peine susceptible d’être rendu à la vie, comme si cela avait succombé à un refoulement inexorable. »
S. Freud

1Au départ, peut-être, l’aveu de Freud dans une lettre à Fliess [1] d’avoir vu sa mère nue. Il avait entre deux ans et deux ans et demi : origine, fragment, ébauche d’une histoire du maternel ? La psychanalyse a bâti sa théorie sur une involution questionnante, un peu à la manière des enfants pour qui la réponse aux pourquoi n’arrête pas la poursuite de l’interrogation et, loin d’y mettre un terme, ne fait que renforcer l’insistante question de la causalité et de ses enchaînements. La psychanalyse, au carrefour donc d’une chaîne questionnante infantile et d’une démarche scientifique, rencontre de la réalité psychique et de la construction théorique qui laisse toujours présente, intouchée l’énigme fondamentale du maternel. Étrangement dispersées, brèves, et significatives par leur brièveté même, sont les références de Freud au maternel, ou plutôt leur émergence, car le fil court tout au long de son œuvre, dans l’ombre. Et si le maternel lui-même n’était qu’une ombre qui dérobe à nos sens son corps véritable ? C’est que du maternel, la nature véritable reste à jamais inconnaissable, si ce n’est à travers l’imaginaire, tant il s’apparente au mystère des origines. C’est à un fond mythologique, religieux ou encore poétique, littéraire, qu’il faut puiser pour dire l’inapprochable, l’insaisissable du maternel. Face idéalisée d’un maternel lointain, dont l’autre face, sauvage, articulée à la féminité, suscitant excitation, peur ou effroi, se tient le plus souvent cachée.

2Le trouble majeur ne provient-il pas de l’attraction du maternel vers l’unité originelle, vers un singulier qui le détacherait de la condition humaine ? Par sa toute-puissance créatrice, le maternel est suspect et fait peur. Mais plus encore, il est instable, malléable, protéiforme et ses différentes transformations et représentations sont autant d’ombres projetées. Le maternel, à la jonction du corporel et du psychique, du sauvage et du civilisé, du pur et de l’impur, de la vie et de la mort, connaît aussi la possession et la dépossession, le plein et le vide, l’étrange et le familier. C’est ainsi que sa position centrale lui permet de s’adapter à l’évolution de la culture, y compris de la culture psychanalytique, où, différemment appréhendé selon les époques et les théories, il se fait tour à tour imago, objet, ou tout simplement mère. Le maternel est une entité, formelle ou fonctionnelle, soumise à différents niveaux et degrés d’abstraction, pour mieux masquer son corps en sa nudité, corps objet du délit, corps fui, sacralisé. Le maternel est difficilement pensable en sa double direction : à la fois tourné vers les origines, jusqu’à un point de fuite insaisissable, et vers un mode de fonctionnement et de relation. Double direction qui l’une comme l’autre, le maternel comme origine et le maternel comme fonction, donne lieu à des modèles théoriques, à des constructions. Pour être accessible à la pensée, le maternel, le plus souvent, s’orne d’un qualificatif, quand il n’est pas réduit à en être un lui-même, appelé à compléter, nuancer, adoucir ou renforcer.

3Car sitôt approché par ce jeu d’ombres et de lumières, et ramené à de plus justes proportions, le maternel est évalué pour l’essentiel de sa fonction, la plus reconnaissable entre toutes, la plus nécessaire, celle de la transmission. Une fois accomplie sa tâche vitale, et délesté du poids de la causalité, le maternel, « substance vivante », créatrice et destructrice, loin d’avoir livré son mystère, s’affadit, se perd devant un nouveau mystère, celui de l’infans, qui en une sorte de retournement, de saut, devient à son tour le tenant des origines.

Les deux faces du maternel

Le maternel « singulier » [2]

En quête d’une origine, une généalogie du maternel

4C’est à l’élaboration d’un mythe personnel, à l’échelle de l’humanité, que Freud nous convie dans L’homme Moïse et la religion monothéiste, qui propose une vision du début des temps, d’où émergent les « grandes mères », après le meurtre du père de la horde primitive. Un temps de matriarcat, qui n’est pas un substitut du patriarcat, le père restant présent sous la forme d’un animal puissant, totémique, et qui s’installe, selon Freud, au moment de l’organisation sociale par les fils les plus jeunes, protégés par l’amour des mères. Lorsque, à son tour, le matriarcat est remplacé par un ordre patriarcal restauré, en un point de l’évolution, nous dit Freud, qui n’est pas facile à déterminer – probablement avant les « dieux mâles » –, apparaissent alors les « grandes déesses mères ».

5Ainsi, pour Freud, une double lignée s’inscrit en parallèle : une lignée paternelle où l’évolution se fait de l’un vers le multiple, l’un étant toujours préservé ; une lignée maternelle, issue du matriarcat, qui ne connaît que le multiple, où les grandes mères se trouvent magnifiées, divinisées, neutralisées, précisément pour perdre le pouvoir dont elles commençaient à s’emparer.

6Que cache plus profondément cette transformation ? À quoi touche Freud, sans le développer, ni même le relever ? Évoquer le maternel revient à maintenir le mystère qui l’entoure. Le maternel à l’origine ? Le maternel comme origine ? Comment ne pas relever en effet que le maternel, au moment du meurtre du père, reste flou, quelque chose à préciser, à saisir, un trou, une ombre à incarner, à sexualiser et ne se révèle que par retours du refoulé. Maternel et sexualité sont au cœur du débat.

7À mi-chemin entre le mythique et le religieux, dans Totem et Tabou (1912-1913), l’intérêt de Freud pour les rites représente une remontée vers le « primitif ». Là intervient le passage du maternel au paternel et, avec lui, le mythe personnel de la horde primitive. Là se manifeste au mieux sans doute l’œuvre du refoulé, ce que le psychisme fait du mystère du maternel.

8De la mythologie grecque et de toute sa richesse symbolique, c’est la Diane d’Éphèse [3], qui retient l’attention de Freud. L’intérêt de Freud pour l’ouvrage de Sartiaux, Villes mortes d’Asie Mineure, n’aurait rien de surprenant si ce n’est que sa note révèle l’amorce d’une véritable lignée maternelle qui, d’une déesse à l’autre, au gré des occupants de la ville d’Éphèse, conduit jusqu’à la Vierge Marie. À travers les transformations et substitutions d’un maternel qui serait primordial, une certaine permanence : la déesse sauvage, adorée au cours de rites orgiastiques se transforme en déesse de la chasteté et de cette figure double, composite, ne sera retenue, dans le passage à la chrétienté, que la virginité de la mère. Marie, la mère pure, chaste et fétichisée.

9Ainsi, tout au long d’un temps faussé, étiré, on constate la continuité d’un mouvement qui vise à diviniser, à idéaliser, à civiliser (?) ce qui dans le maternel inspire l’effroi. Le danger n’est-il pas en effet du côté du corps maternel, vivant, excitant, terrifiant, de son ventre, de son sexe, à l’origine de la procréation et de la naissance, par opposition aux froides et immobiles statues de pierre ? N’y aurait-il pas aussi, comme le développe P. Fédida, de la mélancolie dans le goût pour la généalogie, une négation de la mort, un lien avec la face obscure du destin [4] ?

D’un maternel « pur »

10L’évocation d’une « mère unitaire », antérieure à la différenciation sexuée, ou encore d’une mère ambisexuée, se lit dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci[5]. Il s’agit d’un maternel, certes castrateur par absence de père, mais tout empreint de beauté, fortement idéalisé pour mieux, semble-t-il, préserver les non-dits. Un maternel qu’I. Barande, de façon heureuse, a appelé « singulier » parce que privé de la présence paternelle dans la relation à l’enfant. Ne faut-il pas aussi entendre le mot « singulier » au sens d’étrange ? Un maternel singulier, d’où la sexualité est évacuée, car c’est bien la conception charnelle qui se trouve ici transfigurée. « Monothéisme féminin » ? Les termes sonnent comme une étrangeté. Pourtant, au cœur même d’Un souvenir d’enfance, se révèle, en leurs représentations picturales, comme nous le montrent les tableaux de Léonard de Vinci retenus par Freud, une transmission matrilinéaire : la figuration d’une mère vierge dans un rapport fusionnel avec sa propre mère et son enfant. À la lignée patrilinéaire de la Sainte Trinité est substituée une lignée matrilinéaire.

11Œuvre charnière, source de nombreux développements à venir, dans la démonstration de ce que peut être la transformation du primitif [6] et du sensoriel en civilisé à travers l’élaboration de la pensée, Un souvenir d’enfance ouvre la voie à une théorie du narcissisme telle qu’elle est développée, en 1914, dans Pour introduire le narcissisme. En fait, ce « roman psychanalytique », comme le qualifie Freud – « la seule belle chose que j’aie écrite », avoue-t-il dans une lettre à Ferenczi, en 1919 –, appelle un mode de lecture particulier, sans doute différent des exégèses auxquelles il a été livré. À y bien regarder, sous couvert de virginité, l’œuvre allie étonnamment et l’effet excitant de la mère sur le corps de l’enfant, et la curiosité de l’enfant pour le corps de la mère. Une œuvre où apparaît tour à tour un maternel tendre, idéalisé, séducteur et menaçant.

12Transmission indicible, destin indissociable qui vient ici interroger profondément le maternel originel, la fusion des deux mères dont Freud dit, quelques années plus tard dans une note ajoutée, qu’elle est une « image onirique mal condensée » [7]. Figures en emboîtement qui cachent le « secret d’amour entre mère et fille ». Un maternel « pur », lumineux, sans ombre, qui fait oublier l’œuvre de chair de la naissance, ses douleurs et ses sacrifices, qui les transcende. La sexualité, tout comme le processus du devenir mère, est ici sublimée. On songe au Tabou de la virginité (1918), dans lequel Freud énonce que si les fantasmes de l’enfant s’inscrivent dans la négation des rapports sexuels, la virginité de la mère est une représentation qui s’impose, une réponse à l’angoisse devant le corps maternel, ainsi intouché, désincarné. La régression est dirigée vers ce que serait, contrairement à toute réalité biologique, une unité première, inséparable, insécable, d’un temps d’avant le temps : les prémisses, dans ce texte, à la fois du triomphe et de la menace du « un », qui met Freud, alors en désaccord avec Jung, sur la voie du narcissisme.

13Après avoir, dans les Trois Essais sur la théorie sexuelle, montré l’importance de « la trouvaille de l’objet qui est, nous dit-il, à proprement parler, une retrouvaille » [8], Freud ajoute, dans une note de 1915, qu’il est une deuxième voie pour la trouvaille de l’objet, la voie narcissique, qui cherche le moi propre et le trouve dans l’autre. Une représentation qui dit le triomphe du narcissisme primaire, retrouvé au moment de la naissance d’un enfant, aussi bien chez la mère que chez la fille devenue mère à son tour, qui fait corps avec elle. Ainsi l’épreuve du devenir mère est surmontée, l’état de complétude narcissique atteint. Le refoulement a fait son œuvre.

La double voie du narcissisme

14La tentation est grande alors de s’abandonner au fantasme du retour au sein maternel, abondamment développé par Ferenczi et Jones, que l’on retrouve chez Freud, malgré des différences évidentes. Freud suggère un rapprochement avec le sommeil. La question reste essentielle, sans cesse posée, qui parcourt Pour introduire le narcissisme, d’une libido du moi, non seulement distincte mais qui serait coupée de la libido d’objet. Elle est soulevée par l’opposition de Jung à la théorie de la sexualité infantile, notamment dans l’abord de la psychose. Jung conteste la nature sexuelle de la libido et soutient l’idée d’une énergie psychique, d’un élan vital tourné vers soi ou vers l’objet.

15Alors qu’avec la première topique, l’investissement libidinal du moi est premier, originaire, tourné vers l’objet, une partie seulement pouvant éventuellement faire retour sur le moi, avec la deuxième topique, c’est le retrait d’une partie de la libido d’objet sur le moi qui constitue le narcissisme secondaire. Dans Un souvenir d’enfance, Freud énonce l’idée que l’amour porté par la mère au nourrisson est de même nature qu’une relation amoureuse qui « comble non seulement tous les désirs psychiques mais aussi tous les besoins corporels » [9]. Ainsi le narcissisme se nourrit-il de la relation d’objet tout comme la relation d’objet est empreinte de narcissisme. Des deux objets sexuels originels, le moi et l’objet, l’un s’affaiblit au profit de l’autre au point qu’il ne soit plus permis de les opposer. L’effet de miroir joue un rôle double, de développement et d’enfermement.

16Le narcissisme devient précisément, pour Freud, l’obstacle à surmonter dans l’approche des patients psychotiques. En 1916, il écrit : « Nous pouvons tout au plus jeter un coup d’œil de curiosité par-dessus le mur, pour épier ce qui se passe de l’autre côté. » [10] Le mur est celui du narcissisme qui isole les patients psychotiques, rangés ainsi du côté des névroses narcissiques. Filant toujours la métaphore du mur, il reprend dans Autoportrait : « Depuis, les efforts des analystes pour comprendre les psychoses n’ont plus cessé. Surtout depuis qu’on travailla avec le concept de narcissisme, on parvint, tantôt ici tantôt là, à jeter un coup d’œil par-dessus le mur. » [11] Une proposition qui, de nos jours, demande à être reconsidérée.

17Il serait hâtif d’assimiler l’état du sommeil, ce « déshabillage psychique » [12], avec le narcissisme primaire, sans mentionner l’angoisse qu’accompagne le fantasme de retour au sein maternel, aussi bien dans certains rêves de l’Interprétation des rêves (1900) que chez le petit Hans (1905), ou encore dans l’Inquiétant (1919). Le Motif des trois coffrets (1913) ne fait que préciser, par l’évocation des Moires, des Parques ou encore des Nornes de la mythologie allemande, cette angoisse qui préside à la difficulté de penser le maternel unitaire, autrement qu’idéalisé ou mortifère. Il n’est pas impossible que la Vierge en tierce, cette troisième figure qui hante Freud, puisse être une des représentations maternelles, une des deux faces de celle qui, à la fois génitrice et destructrice, préside non seulement à la naissance mais à la mort. Face double du narcissisme, face attirante et néfaste en sa destructivité.

18Il faut pourtant pouvoir penser le sein maternel, comme lieu de création et d’accueil, comme réceptacle passager pour que le corps maternel, délesté de tous ses dangers, laisse entrevoir à travers les fantasmes qui s’y déploient, non pas l’engloutissement et la disparition, non pas la perte dans l’identique, mais la confrontation au même comme étape vers une différenciation. Comment ne pas être sensible à la théorie de Lou Andreas-Salomé sur la double direction du narcissisme [13] ? Un narcissisme tourné vers soi et un narcissisme tourné vers le monde. C’est que Lou Andreas-Salomé, tentée par l’appel du « un », de la totalité, assimile la pensée dualiste de Freud et s’y conforme, d’autant plus aisément qu’elle prend parti pour Freud dans le conflit avec Jung. Sa vision du narcissisme est éclairante qui ne se borne pas à une libido repliée sur soi, mais ouvre sur des possibilités créatrices. Pour autant, Freud ne manque pas de lui faire reproche de son attrait pour ce qu’il nomme « la bouillie originaire » : « Ce qui m’intéresse, lui écrit Freud, c’est la séparation et l’organisation de ce qui, autrement, se perdrait dans une bouillie originaire. » [14]

19Lou Andreas-Salomé, pour qui le maternel est loin de se confondre avec la maternité, dit de la mère : « Elle, la femme, la génitrice, la nourrice, l’éducatrice de l’enfant […], tend en même temps à se développer dans le masculin, atteignant sa part propre d’activité où elle est presque bisexuellement complétée, et pour cette raison ramenée au narcissisme originaire, comme cela n’est jamais possible que dans l’image de la mère qui, en se donnant elle-même, donne à elle-même le sein. » [15] Toute-puissance d’une mère ambisexuée, capable d’engendrer le même et le différent.

20Dans son livre, I. Barande souligne, à plusieurs reprises, l’annonce du narcissisme, dans Un souvenir d’enfance, avec toutes ses nuances et ses impasses. Elle s’attache essentiellement à suivre, à travers la relation à la mère, la marche nécessaire vers l’affirmation d’un dualisme pulsionnel. L’écart revendiqué par I. Barande ne se situerait-il pas, dans les deux tableaux de Léonard de Vinci, dans le flou entre la gestation, la mise au monde et les soins donnés au nourrisson, dans l’inconnu de cet entre-deux ? Là où se sont engouffrées, se sont bâties, les diverses théories postfreudiennes de la relation mère-enfant et de la fonction maternelle dans l’édification de l’appareil psychique de l’infans.

Le maternel sauvage

Lilith l’obscure

21Figures mythiques, figures bibliques ou littéraires : une manière distante, défensive d’approcher le maternel, de lui donner forme. Derrière la figure rassurante, idéalisée de la Vierge, se devine, dissimulé dans l’ombre, un maternel sexué, parfois effrayant, tentaculaire. À l’opposé du maternel lumineux des Madones de Léonard de Vinci, le maternel ne peut être détaché du corps de la femme en son devenir mère, un corps porteur de vie, animal et sauvage.

22Si Freud s’attarde longuement sur le maternel virginal du Nouveau Testament, il ignore étonnamment Ève, la femme séductrice de l’Ancien Testament. Plus absente encore de son œuvre est la « première femme », Lilith, la face cachée, obscure d’Ève. Mentionnée une seule fois dans la Bible, au livre d’Esaïe, Lilith occupe une place très particulière dans la fantasmatisation féminine et maternelle. Elle apparaît dans la Bible, quand se trouve décrit le retour de la Terre au chaos initial. À l’inverse de la Diane d’Éphèse, devenue protectrice des nouveau-nés, Lilith, figure maléfique, dangereuse, nocturne et démoniaque, traditionnellement liée à la naissance, est, comme les démons babyloniens, dévoreuse d’enfants. Elle met les femmes en couches en péril. Démon femelle aux cheveux longs, doté d’ailes, elle s’apparente aux oiseaux nocturnes de proie. Une autre représentation, en sa version terrifiante, du vautour-milan de Léonard de Vinci.

23Cette figure de la « première Ève » appelle la question, dans la genèse, de la création de l’homme et de la femme en ses deux versions, selon que la femme, à l’égal de l’homme, ait été créée à l’image de Dieu, ou que, sortie de la côte d’Adam, elle soit subordonnée à l’homme. Or Lilith, première femme d’Adam, est une figure rebelle, toute-puissante, qui refuse la soumission et, oiseau-démon, s’enfuit du Paradis terrestre pour s’envoler dans les airs en une force ascensionnelle. Être contre-nature, Lilith, libérée de sa condition de femme, est mère de nombreux démons, issus de la semence que procure la masturbation. Le passage se fait de Lilith, femme sauvage, vouée seule à la maternité, à Ève à qui est révélée à la fois sa nudité, sa sexualité et son destin maternel.

24Intéressés par la figure de Lilith, D. Braunschweig et M. Fain commentent, dans Éros et Antéros, une version romanesque du mythe et se livrent à une construction interprétative qui met en relief quelques aspects de cette figure « sortie des ténèbres du refoulement […] qui met la loi paternelle en échec » [16].

25Repoussant l’idée dite « psychanalytique » qui ferait de l’attribut de Lilith, sa queue de serpent, soit un phallus représentant la toute-puissance narcissique, soit un pénis, instrument de plaisir objectal, les deux auteurs voient, liée à la terre, une scène primitive où les mouvements de reptation figurent ceux de la femme dans les relations sexuelles. Mais, à partir du récit biblique et de l’image du Dieu androgyne, ils reprennent l’idée selon laquelle Lilith correspond à la partie féminine séparée – le « féminin pur » de Winnicott ? – incarnation d’une sexualité totale féminine, sans empreinte narcissique, tandis qu’Ève est l’image de sa forme châtrée. Pour eux, « le péché originel est refoulé, un lieu tabou et désormais inaccessible est créé, le paradis perdu (symbole de l’époque pendant laquelle la mère investit totalement son bébé, veille à ses besoins et les prévient… or peu à peu la mère devient de plus en plus femme). L’amour maternel de Lilith lui fait facilement abandonner ses attributs qui ne sont qu’apparence » [17]. En une formulation inversée, la censure de l’amante se trouve ici mise en échec au profit d’un maternel qui serait « singulier », monstrueux.

26Si Lilith a inspiré les poètes, ou encore les écrivains féministes des années 1980, elle incarne un personnage, toujours laissé dans l’ombre, libre jusqu’au démoniaque, modèle de révolte contre la féminité autant que contre le maternel.

27Une interprétation kleinienne, celle de J. Bril, situe le mythe de Lilith du côté des fantasmes de l’enfant, « un aspect fort archaïque de la psyché et qui se réfère à un mode de défense très primitif du moi vis-à-vis des motions destructrices dont il est à la fois le siège et la cible première » [18].

28On reconnaît la pensée de M. Klein qui, s’appuyant sur la deuxième théorie des pulsions, voit dans les figures fantasmatiques terrifiantes, « archaïques », autant de projections sur la mère, sous l’effet des pulsions destructrices du moi infantile : monstres et démons vampiriques, dévorateurs, dominateurs sont, en lien avec divers stades du développement, phases ou positions, autant de productions de l’instinct de mort primitif dirigées vers la mère, « première cible » de l’agressivité du petit d’homme. C’est ainsi que se trouve préservé l’objet aimé, puisqu’un clivage préside à la bonne relation mère-enfant, permettant de surmonter la phase schizo-paranoïde.

29Ainsi, les mythes viennent opportunément offrir des représentations de ce que seraient les fantasmes dits « archaïques » de l’enfant, projetés sur la mère. Mais n’est-ce pas là ignorer le ressenti maternel, nécessairement refoulé, qui se révèle pourtant parfois dans sa violence et dans sa sauvagerie ?

« Crimes maternels » [19] et refoulement originaire

30À ce stade, les termes d’« archaïque », de « primitif », d’« originaire », en viennent à se confondre sous la plume de nombreux auteurs et la traduction de Ur induit une confusion. Doit-on entendre, dans un lien au maternel, les traces d’inscriptions originaires, préverbales, au plus près du sensoriel, ou la fixation à une mère primordiale, toute-puissante et phallique avec les phantasmes qui l’accompagnent ? La notion d’archaïque demande à être précisée.

31Pour Freud, l’archaïque est le retour d’un passé. Il relève d’un héritage psychogénétique venu du ça et d’une transmission à travers les générations qui impliquent des strates de la psyché – comme en témoigne le langage archaïque du rêve –, des transformations liées au refoulement. Pour Klein, il renvoie très précisément au début de la vie de l’infans qui possède, dès la naissance, un moi constitué et une activité fantasmatique projective. L’archaïque est alors à penser en termes d’antécédence temporelle. Il se situe avant la mise en mots et correspond aux angoisses de la position schizo-paranoïde [20].

32Or, Winnicott s’interroge sur la capacité d’un nourrisson à éprouver de la haine alors que sa personnalité n’est pas encore intégrée. Il propose plutôt l’idée d’un « amour impitoyable ». Changeant de perspective pour adopter le point de vue maternel, à partir du contre-transfert, il n’hésite pas à affirmer que la mère peut éprouver de la haine à l’égard de son petit enfant pour de multiples raisons, au nombre desquelles on note les exigences de nourriture et de soins sans contreparties, mais aussi le fait que l’enfant peut être perçu comme un danger pendant la grossesse et à l’accouchement, que seul le masochisme de la mère peut supporter. Un écho du masochisme féminin abordé par Freud [21].

33S’il est possible de réserver le terme d’« archaïque » à ces deux acceptions, celle de Freud et de Klein, la confusion entre archaïque et primitif doit être levée, si l’on veut bien entendre par primitif pour la psyché ce qui est primordial, c’est-à-dire instinctuel, à l’état de nature, loin de toute acception d’ordre anthropologique. Car il faut bien renoncer à la fascination illusoire de retrouver, par l’étude des peuples dits sans histoire ou sans écriture, une quelconque concordance avec le commencement de l’histoire de l’être humain, la scène primitive et l’enfant.

34Le terme de « sauvage », préféré ici à celui d’« archaïque », à propos du maternel, trouve alors une définition plus précise : ce qui, dans l’ombre d’un maternel « civilisé », policé, réprimé, est susceptible de se déchaîner dans l’amour comme dans la haine, de s’adonner à la violence. Car il y a du sauvage dans l’être mère qu’il convient de dompter, de refouler. Ce qui fait dire à Freud, dans Malaise dans la civilisation, sans qu’il y mette un contenu clairement énoncé, au point de paraître choquant : « Les femmes entrent bientôt en opposition avec le courant de la culture et déploient leur influence retardatrice et freinatrice, ces mêmes femmes qui au début, par les exigences de leur amour, avaient posé les fondements de la culture (la famille). » [22]

35De quel amour sauvage serait-il question, quand l’on sait que l’amour n’est pas nécessairement l’avers de la haine ? Freud ne le dit pas. Il faut se reporter à ce qu’il nous révèle de la vie pulsionnelle à ses débuts, quand amour et haine ne sont pas à considérer comme des opposés complémentaires, mais se développent séparément. Violence de l’amour, mais aussi violence de la haine, au départ dissociées, la haine étant, selon Freud, au principe même de la constitution de l’objet et du moi, une force pulsionnelle à la fois motion autoconservatrice et destructrice. C’est cette force pulsionnelle des primes origines qu’il décrit dans Pourquoi la guerre ?, avec ses deux pôles : à la fois une force conforme à la nature et biologiquement fondée et une force destructrice, meurtrière à endiguer, à dévier. Mais, la question demeure de savoir pourquoi les femmes seraient davantage porteuses de cette violence primordiale, elles qui sont porteuses de vie. Il y va de la solidité et de la nature du refoulement originaire.

36Prises, selon Freud, dans une contradiction, elles seraient, d’une part, vouées à la protection de la famille, pour la bonne marche de la civilisation, et pour ce faire, condamnées à la névrose par trop de répression de leur pulsion sexuelle, et d’autre part, poussées à s’élever contre cette civilisation qui les restreint dans leurs désirs sexuels, et destinées davantage à la maternité qu’à toute forme de sublimation. On retrouve là le matriarcat et les mères, élevées au rang de déesses pour ne pas avoir accès au pouvoir.

37Dans cette perspective, il n’est pas surprenant que le personnage shakespearien de Lady Macbeth ait forcé l’intérêt de Freud. Une même alternative apparaît au moment de la fameuse imprécation aux esprits : « unsex me », le choix entre l’ambition du pouvoir temporel et la réalité du pouvoir féminin maternel. Freud commente : « Au projet de meurtre, elle veut sacrifier sa féminité, sans mesurer le rôle décisif qui devra revenir à cette féminité quand il s’agira de consolider ce qui était le but de son ambition et avait été atteint par le crime. » [23] L’entrée en maladie de Lady Macbeth, après le crime, serait une réaction à l’absence d’enfant, marque de son impuissance face aux décrets de la nature. Mais ne serait-ce pas attribuer à une figure poétique les caractéristiques d’une femme stérile, dont on chercherait la cause de son infécondité et ses conséquences, alors qu’elle évoque la représentation d’un maternel tout-puissant, cruel, à l’origine à la fois de la vie et de la mort, qui curieusement énonce :

38

« J’ai donné le sein et je sais
combien tendre est d’aimer le bébé qui me tète :
j’aurais, tandis qu’il souriait à ma face,
arraché mon téton à ses gencives sans os, et fait sauter sa cervelle… » [24]

39C’est à ce pouvoir absolu des mères que succombe Lady Macbeth, à la sauvagerie maternelle. Les trois sorcières et leur bestiaire, dès l’ouverture de la pièce, appellent la rupture d’un ordre naturel pour les différents protagonistes du drame, indiquent l’univers irréel de ténèbres et de peur qui entoure, enserre chacun. Lady Macbeth, à la manière de Lilith, décide seule de son pouvoir de mettre au monde ou pas un enfant. Une liberté poétique à entendre comme la face sauvage, cruelle que comportent le maternel, les forces inconscientes qui l’animent dans l’ombre. L’atmosphère de la pièce plonge dans les racines les plus profondes d’une violence primordiale, fondamentale, qu’il convient d’endiguer.

40C’est de cette sauvagerie-là dont il faut parler, celle qui libère les pulsions destructrices, tout particulièrement au moment de la naissance d’un enfant, quand, de façon inquiétante, vie et mort en arrivent à se confondre, quand pulsion de vie et pulsion de destruction se délient ou encore quand s’élève, tel un monstre, un surmoi maternel cruel, persécuteur auquel il faut offrir des sacrifices, pratiquer des actes conjuratoires : le désinvestissement du nouveau-né ou la peur d’impulsions incontrôlables. Combien de femmes n’ont-elles pas perdu un premier-né ou fait des avortements à répétition, peut-être pour sacrifier sur l’autel d’une déesse-mère ? Les dieux et les mythes répondent à la sauvagerie première. Pouvoir exorbitant, en effet, que celui de donner la vie comme la mort, d’être porteuse d’enfants, aussi bien filles que garçons. Il y a là une réalité qui relève de l’impensé.

41À quel refoulement, qui soudain cède, correspond cette sauvagerie toute puissante, cette folie des mères sur leur progéniture ? À quelle haine primordiale ? À quelle violence quand se dénouent les forces pulsionnelles, quand se rompt la succession des générations dans une condamnation de l’acte même de procréation ?

42Postulat, fiction, la notion de refoulement originaire s’inscrit dans la recherche infinie d’un commencement, d’un avant, le contre-investissement, le retrait de l’investissement étant le mécanisme exclusif de ce refoulement. Ainsi se trouverait contre-investi un sadisme fondamental, lié sans doute à la répulsion et à la haine des origines [25]. Comme une brèche à des moments particuliers de fragilité et d’épreuve.

D’un maternel doublement impur

Destins psychosexuels

Excitation, séduction, folie maternelle

43Dès l’Esquisse, où Freud énonce les deux principes initiaux du système neuronal d’inertie et de constance par rapport à l’excitation, se trouve ébauché ce que sera la fonction maternelle en lien avec la construction de l’appareil psychique de l’infans. Si la mère n’est jamais nommée comme telle, elle apparaît sous les termes d’« aide extérieure », à même d’apporter, par « une action spécifique » [26], une modification externe à l’excitation interne. Une formulation qui appelle l’intervention d’un maternel primordial, adapté et protecteur.

44Mais, parler de séduction maternelle situerait la relation mère-enfant à un niveau plus élaboré que le système excitation-décharge-pare-excitation, quand s’instaure l’organisation pulsionnelle, à la limite du corporel et du psychique. Dans les Trois essais sur la vie sexuelle, Freud énonce que « la source de la pulsion est un processus excitateur dans l’organe », et que son but immédiat consiste à supprimer cette stimulation d’organe. Et, plus loin : « Le commerce de l’enfant avec les personnes prenant soin de lui est pour celui-ci une source intarissable d’excitation sexuelle et de satisfaction partant des zones érogènes, d’autant plus que cette dernière personne – qui en règle générale est la mère – considère l’enfant lui-même avec des sentiments provenant de sa propre vie sexuelle, mais prenant ce qu’elle fait pour du “pur amour asexuel”. » [27] Avec l’abandon de la neurotica, la notion de séduction prend des formes diverses qui visent toutes à conforter l’idée d’une continuité, depuis la première satisfaction sexuelle que représente la tétée, à la réalisation de la relation amoureuse génitale. C’est ainsi que le terme de « mère séductrice » est repris dans Un souvenir de Léonard de Vinci, puis réaffirmé encore dans l’Abrégé. De ce constat, les prolongements sont multiples, ouvrant un champ théorique qui s’étend de la « séduction généralisée » à la « folie maternelle ».

45J. Laplanche développe la « théorie de la séduction généralisée » [28], l’idée freudienne de départ d’un infans seul, démuni ou en détresse, perdu dans sa bulle, étant à repousser au profit de celle d’un enfant à la sensorialité en éveil dès le début, dans un contact direct avec l’objet, dans une interrelation qu’il faut aider à organiser, à partir des propriétés d’excitabilité sexuelle du corps, sans pour autant s’enfermer dans le modèle des stades de développement. Un objet présent d’emblée dans la dissymétrie enfant-adulte, qui communique avec l’enfant en envoyant des messages énigmatiques, faits de paroles mais aussi de gestes et de comportements issus de son inconscient. Il convient d’ajouter que, pour Laplanche, la distinction est à faire entre l’instinct autoconservateur et la pulsion sexuelle, l’excitabilité « organique » préexistant à la pulsion et à son développement. La séduction s’entend alors comme le surgissement du sexuel au sein de ce qui est décrit comme la part instinctuelle autoconservatrice, innée, dans un moi en formation. Une telle extension de la notion de séduction coupe court à la confusion trop souvent rencontrée, et à l’exposé de relations de causalité simplificatrices, de ce que serait une mère dans la réalité. Il s’agit pour Laplanche de la séduction, par l’inconscient sexuel des adultes, d’un enfant au départ sans inconscient.

46La distinction qu’il propose différemment de Freud, entre instinct et pulsion, s’appuie, entre autres, sur ce qui oppose la recherche de l’excitation, dans le cas de la pulsion, et la recherche de l’apaisement dans le cas de l’instinct, permettant qu’un certain écart ait lieu entre excitation et apaisement. Ainsi, l’attachement, issu de l’instinct, et le sexuel ne sont pas sans rappeler la théorie des deux courants décrits par Freud, que l’on trouve aussi chez Ferenczi, le courant tendre et le courant sensuel. Mais l’on retiendra comment la part faite à l’instinct par Laplanche permet peut-être qu’une place soit accordée à ce sur quoi la psychanalyse fait largement silence : ce qui s’inscrit dans la transmission programmée de l’espèce et pose la question du passage, qui n’est pas si aisé à se représenter, du physiologique au fantasmatique, et du travail psychique qu’il implique.

47Dans une même réflexion, pourrait-on dire, M. de M’Uzan, fidèle à la première topique, instaure une distinction entre ce qui relève de l’identital, en lien avec l’autoconservation, et du sexual, qui inclut le narcissisme.

48On se souvient combien la sensorialité était l’une des composantes que Freud, de son propre aveu, redoutait tout particulièrement chez les mères. Dans Un souvenir, il note que la tendresse à son tour peut dévier et par son excès devenir nocive. Le « charme démonique » du sourire de Mona Lisa, à propos de l’évocation de la mère de Léonard de Vinci, condense toute « l’énigme indéchiffrable », « promesse de tendresse sans bornes et menace annonciatrice de malheurs » [29]. Dans l’Abrégé, en 1938, l’écart entre tendresse et sexualité se resserre : « Le sein nourricier de sa mère, écrit Freud, est pour l’enfant le premier objet érotique […]. Grâce aux soins qu’elle lui prodigue, elle devient sa première séductrice […]. » Ainsi se trouve ouvertement confirmée la révélation scandaleuse des désirs maternels et de la séduction ressentie par l’enfant.

49Dans le sillage de Laplanche, faisant référence plus particulièrement aux débordements sensuels de la mère, et non pas des adultes en général, J. André voit dans la mère de Léonard, avec son désir d’enfermer l’enfant dans les rets d’une sexualité en l’occurrence frustrée, la figure privilégiée de la « folie maternelle ». Il radicalise ainsi la théorie freudienne, pousse jusqu’à l’extrême ses conséquences fantasmatiques et métapsychologiques, insiste sur le corps. « L’élément féminin impur », écrit-il, par référence et en opposition à ce que Winnicott nomme « l’élément féminin pur », au sens d’un féminin et d’un masculin qui seraient clivés, sans mélange, correspond au « sexuel très impur d’une féminité primitive » [30].

50J. André va plus loin et propose, à titre d’hypothèse, l’idée d’une analogie entre la position de l’infans et celle de la position féminine passive. « La conjonction que nous proposons de l’enfant séduit et de la position féminine trouve à cet endroit son point d’ancrage le plus archaïque : l’enfant séduit est un enfant cavité, un enfant orificiel. » [31] Enfant sacrificiel, dirait-on plutôt, enfant pénétré, coïté, car malgré la reprise du terme winnicottien d’impingement, d’empiétement de l’objet sur l’enfant, J. André utilise le terme, plus marqué sexuellement, d’effraction.

51« Préoccupation maternelle primaire », « folie maternelle ordinaire », « folie privée » : autant d’expressions qui, loin de se recouper, rendent compte de réalités différentes. Ne s’agit-il pas d’un rapprochement, peut-être même d’une confusion entre la séduction maternelle et l’état particulier de ce que l’on dénomme la psychose puerpérale ? Ce que Winnicott décrit comme le repli nécessaire de la mère avec son nourrisson, ou encore ce que Green définit dans « Passions et destins des passions » [32], comme une « courte folie ». On songe à Freud pour qui le rêve est une « psychose de courte durée ». Une qualification cependant qui demande que soient mieux cernés les termes de folie et de psychose, que soit faite la distinction de l’une et de l’autre. Celle proposée par Green reprend une utilisation ancienne, plus courante de la folie, qu’il place du côté de la névrose ou des états limite. Une folie que, de tout temps, les hommes ont reconnue et que « Freud a su lier à la sexualité et à Éros » [33]. Mais il y a là une difficulté, une ambiguïté dans le terme qui pourrait bien établir une confusion. Ne masque-t-il pas, dans cette utilisation, la distinction que la langue anglaise permet de faire, et que l’on trouve chez Winnicott entre insanity et madness ? La psychose n’est-elle pas, toujours par rapport à la menace de la sexualité, une défense contre la folie avérée, désorganisante, celle qui précisément est décrite dans « la crainte de la folie » (The psychology of madness), et qui fait peur ?

Le maternel féminin

52Substituer le terme d’initiatrice à celui de séductrice conviendrait sans doute mieux, tant il paraît indispensable au petit être humain, dès la première rencontre avec l’autre, de découvrir et d’affronter les diverses composantes de sa vie sexuelle naissante. Initiatrice aussi, à travers les émergences de sa propre vie sexuelle passée, présente ou refoulée, pour que le destin psychosexuel du petit enfant s’accomplisse. Contrairement aux affirmations de Freud, il est possible de penser que la différence sexuée intervient très précocement, dans la mesure où fille et garçon n’éveillent pas chez la mère les mêmes affects ni les mêmes fantasmes. Comment alors aborder la relation trouble entre le maternel et le féminin, dont l’articulation n’est pas toujours évidente ?

53La primauté accordée par Freud au pénis, combinée à la vision d’un maternel phallique, paré de toutes les perfections, devait nécessairement faire de la mère un être bisexué, dans la tradition mythologique ou platonicienne. À l’autre extrême, ceci dissimulant cela, et suscitant l’effroi, la castration représentée par la figure de la Méduse. Or, le scandale ne provient-il pas de ce que l’imago maternelle, dépouillée des attributs qui l’apparentent à la divinité, n’est rien d’autre qu’un être sexué féminin ? Que l’on songe au tableau caché de L’origine du monde, de Courbet. Doublement « impur » est alors le maternel, à la fois indissociablement lié au sexuel féminin, plus précisément encore, au sexe féminin, à la fois lieu de jouissance et lieu du devenir mère.

54Ainsi, à l’opposé d’une problématique qui voudrait que le maternel soit commun aux deux sexes, la question n’est-elle pas essentiellement celle qui touche au corps maternel, à l’articulation du maternel et du féminin. À partir des théories sexuelles infantiles et des nombreuses interrogations laissées en suspens, le schéma freudien est assez simple, remis en question par la plupart des auteurs. Pour lui, du fait de l’affirmation du caractère masculin de la première phase de la vie sexuelle, les deux sexes traversent de la même façon les phases précoces du développement libidinal et ce n’est qu’à la puberté, moment tournant du positionnement œdipien, qu’intervient une dissymétrie entre le garçon et la fille, une différence dans le choix d’objet et la découverte de la castration, à partir des deux voies ouvertes par la fonction bisexuelle. Une logique sous-tendue par l’idée, développée dans Un cas d’homosexualité féminine, selon laquelle, il y aurait tout au long de la vie, à partir d’un balancement de la libido entre objet masculin et objet féminin, un « instinct naturel » à opposer aux « penchants non naturels » qui surviennent quand la voie vers l’autre sexe est barrée [34]. La découverte tardive « de la civilisation minéomycénienne derrière celle des Grecs » [35], l’amène à considérer plus tard et différemment la période préœdipienne de la fille et son lien exclusif à la mère.

55« Seul le rapport au fils apporte à la mère une satisfaction sans restriction ; c’est de toutes les relations humaines celle qui est la plus parfaite, la plus exempte d’ambivalence » [36], écrit Freud, exprimant par-là, en 1933, l’importance de la différence sexuée pour la mère, renvoyée avec le garçon à la loi du père, alors qu’elle serait plus en danger avec la fille, qui la renverrait à elle-même et à un seul sexe.

56Si la première proposition, celle d’une identité de destin psychosexuel pour les deux sexes au départ de la vie libidinale, se trouve vivement combattue, la deuxième, celle d’un destin spécifique de la fille fait l’objet d’approfondissements théoriques importants, à différents niveaux, qui s’appuient précisément sur l’articulation, tantôt affirmée, tantôt niée, tantôt plus modulée, du maternel et du féminin. Comment en effet séparer, si ce n’est artificiellement et dans une position défensive évidente, la mère de la femme ? Comment nier le destin maternel précoce de la fille, trop longtemps occulté par Freud, ou ignorer la difficulté pour elle comme pour le garçon, mais différemment, à penser un maternel sexué ?

57Le maternel féminin à un niveau œdipien est au premier plan dans la notion de « censure de l’amante » introduite par M. Fain. Dans l’un des chapitres d’Éros et Antéros, intitulé « L’ombre phallique », Braunschweig et Fain dénoncent le « besoin universel, d’essence narcissique, de projeter une ombre phallique sur les organes génitaux féminins » [37], entraînant une méconnaissance du plaisir sexuel féminin. En contrepoint, comme une réponse apportée au maternel singulier exposé dans Un souvenir d’enfance et à ses dangers, les auteurs insistent sur les mouvements qui poussent la mère vers sa vie amoureuse avec le père de l’enfant, lui font prendre ses distances par rapport à l’enfant, de sorte qu’en maintenant une triangulation, elle modère pour l’enfant et pour elle-même, l’effet séducteur, assurant ainsi un rôle de pare-excitation. « La censure de l’amante » renforce l’idée d’une impossibilité d’accès direct au maternel sans que la loi du père intervienne. Une loi qui, selon les auteurs, se manifeste à trois niveaux « la négation et l’affirmation simultanées de la sexualité féminine, la valorisation séparée du clitoris et la subordination de la maternité à la paternité » [38]. Ainsi, du même coup, se trouvent définis le rôle et la nature même du maternel. Difficilement dissociable, en effet, le lien qui unit le maternel et la féminité, et qui à partir d’une conception essentiellement œdipienne d’un maternel sexué, féminin, soumis à la loi paternelle, situe au cœur même de leur réflexion, le vagin et son refoulement.

58À l’opposé, contrairement à l’idée d’une concomitance dans l’affirmation et la négation de la sexualité féminine, F. Bégoin [39] est conduite, par rapport à l’interdit de l’inceste, à faire la distinction entre ce qui appartient au maternel et ce qui relève du féminin. Elle propose la notion d’alternance entre maternel et féminin. Toute articulation entre les deux serait pour elle un leurre puisque la localisation n’est pas la même, les organes de jouissance sexuelle, (vagin, clitoris…) se différenciant des organes de reproduction (utérus), aussi bien du fait de leur investissement pulsionnel que de leur représentation psychique. Une différence placée également sous le signe de la culpabilité entre le désir sexuel et le désir d’enfant. C’est autour de l’utérus maternel que se joueraient les destins de la fille et du garçon, la fille devant se l’approprier alors que le garçon a recours à des défenses anales, unisexes. Il faut ajouter que, répondant à une représentation fantasmatique de contenu-contenant, dans les théories tant kleinienne que bionienne, le père est soit contenu dans la mère soit la contient.

59Mais comment ne pas considérer ce qui relève du refoulé maternel, tel qu’il est lui-même transmis aussi bien à la fille qu’au garçon, et dont on s’aperçoit qu’il est reçu et vécu très différemment par l’un comme par l’autre ? C’est P. Aulagnier qui sans doute trouve le mieux les mots pour le dire : « […] tout ce qui dans le discours maternel parle le langage de la libido et de l’amour est dédié à l’ombre » [40]. Ce qu’elle appelle l’« ombre parlée », projetée sur le corps de l’infans, qui renvoie au désir tenu caché, refoulé et que rappelle le corps de l’enfant, d’avoir un enfant du père, et plus anciennement, et difficilement dicible, d’avoir un enfant de la mère.

60C’est à un niveau très précoce que se situe la notion d’homosexualité primaire, développée par E. Kestemberg [41], qui s’inscrit dans une différenciation plus identitaire ou identitale – pour reprendre la terminologie de M. de M’Uzan – que sexuée. Elle représente l’aboutissement de l’identification primaire freudienne, identification à la mère avant la différenciation sexuée, soubassement des identifications ultérieures. L’imago maternelle est alors plus idéalisée que sexualisée ou féminisée et, d’un point de vue économique, aide à passer de l’identique, au même, sur la voie de l’altérité et de la différence des sexes, pour que se réalise, dans le jeu des identifications à l’objet maternel et paternel, le destin psychosexuel différencié du garçon et de la fille.

Le pouvoir du don de vie

61Alors qu’il pratiquait l’hypnose, Freud ne révèle rien des raisons profondes de sa patiente qui ne pouvait ni allaiter son nouveau-né ni s’alimenter. Elle déplace son aversion [42] sur la pratique même de l’hypnose. Le rejet de l’enfant, la dépression, tous les symptômes se répètent à la naissance de chacun des trois enfants et, à partir du tableau psychiatrique tracé par Freud, se dégagent essentiellement – c’est l’objet de son article – des traits de conversion hystérique « d’occasion ». Or, on sait du corps de la mère combien le sein est non seulement nourricier, mais correspond à une zone érogène particulièrement sollicitée pendant la lactation, dans un rapport d’intimité avec le nourrisson [43]. De l’accouchement, Freud dit qu’il ne se déroula pas différemment qu’il n’est habituel et fut achevé au forceps ! « Comme cause occasionnelle, écrit-il, on peut ici admettre l’excitation de la première délivrance ou l’épuisement après celle-ci, s’il est vrai que la première délivrance correspond au plus grand ébranlement auquel est exposé l’organisme féminin, à la suite duquel également la femme produit en général tous les symptômes névrotiques pour lesquels sommeille en elle une disposition constitutionnelle. » [44]

62Retenons « l’ébranlement de l’organisme », tiré par Freud du côté de l’hystérie et qui, en fait, à des degrés divers, pour un temps plus ou moins long, correspond chez les mères à un ébranlement psychique, d’ordre identitaire. Peut-on en effet ramener cette traversée à une élaboration psychique symbolisable, à la série « être castrée, être coïté, ou enfanter » [45] qui définit, quelques années plus tard, le masochisme féminin ?

63Dans le texte de 1910, D’un type particulier de choix d’objet chez l’homme, la mère apparaît non seulement comme celle qui « vous a fait cadeau d’une vie », mais comme salvatrice, car l’acte de la naissance est « précisément le danger dont on fut sauvé par l’effort de la mère » [46]. Sur cet effort, Freud ne s’attarde pas, mais le danger de la naissance devient le modèle même de tous les dangers à venir dans le lien avec l’angoisse. Pour lui, le danger vient d’un état d’excitation de haute tension chez le nourrisson et par conséquent de déplaisir, le prototype d’un état d’angoisse né du traumatisme créé par l’échec du principe de plaisir. Ce n’est qu’en 1933, dans Conférence sur angoisse et vie pulsionnelle, qu’il insiste sur l’idée de la séparation d’avec la mère et du danger de la perte d’objet.

64Il nous faut, à notre tour, envisager ce que l’acte de la naissance représente du côté maternel comme participation active à l’acte de séparation d’avec l’enfant imaginé, imaginaire, et la rencontre avec l’enfant de la réalité, distinct du corps d’où il est issu. Comment ne pas y voir principalement une question identitaire ? Plus que le terme de séparation, celui de césure, que l’on trouve sous la plume de Bion, qui parle de « la césure dramatique de la naissance » [47], conviendrait davantage à ce temps vécu du côté maternel. On n’a sans doute pas suffisamment pris en compte la temporalité propre à la fille dans son devenir femme, qui vit au rythme de son corps sexué. On s’est intéressé à des objets partiels (sein, clitoris, vagin, utérus), à leur mode d’excitabilité, de sensibilité et de représentation psychique, mais pas au rythme séquentiel marqué par les césures qui affectent et scandent sa continuité-discontinuité psychique. Que la femme devienne mère ou pas, elle est soumise très tôt à une suite ordonnée, indissociablement liée au devenir mère, au rythme cyclique de l’ovulation et des règles, fait de pauses jusqu’à la ménopause, de césures, dans une alternance de vide et de plein. Nombreuses sont les causes d’aménorrhée, de stérilité, de refus du maternel [48]. Entre autres, bien sûr, le rapport à la mère et le refus du féminin. Mais ne doit-on pas y ajouter le besoin d’être une totalité, le refus parfois d’un rythme non maîtrisable, par peur d’un ébranlement psychique jusqu’aux racines mêmes de l’identité ?

La loi des mères

Désir, refus du devenir mère

65« Il est temps que je parle à ma mère, dit un des personnages féminins d’Hoffmansthal dans La femme sans ombre, et que je me libère de ce qu’elle m’a imposé, car je ne puis l’endurer plus longtemps. » Et à sa nourrice, elle annonce : « Je viens de rejeter le joug, et de me défaire d’une ancienne loi ! » [49] La loi qui oblige à accéder au statut de mère, sous le joug d’une union bestiale, animale, qu’il faut transfigurer, sous la pression et l’attente d’enfants à naître, les « indésirés ».

66Mais quelle est cette loi de l’espèce, plus spécifiquement maternelle, quel est ce savoir transmis inexorablement, attaché à une ombre, qu’il faille magnifier ou sanctifier ? N’est-ce pas celui d’un maternel terrible, pour la femme comme pour l’homme, qui, fait de chair et de sang, délie de la virginité et de la transparence, pour que soit payé le tribut à la vie reçue, en donnant à son tour vie à un être de chair ? Le savoir des mères, qu’elles redoutent de transmettre, et que l’enfant des deux sexes, même très jeune, ne peut totalement ignorer, que confusément il pressent, devine, épie. Un savoir dissimulé, refoulé, ou tu. Celui-là même que Freud passe sous silence, précisément parce qu’il est objet de tabou : la réalité du corps maternel sexué qui, à travers les transformations de la puberté, conduit la fille à la menstruation, à la défloration, à la procréation, à la déformation du corps par la grossesse, aux douleurs de l’accouchement, autant de sang versé dans la fierté et la douleur, dans le silence et la honte, pour être enfin transfiguré en gloire de la féminité, de la maternité, en plaisir de la relation à l’homme et à l’enfant nouveau-né.

67C’est bien ce savoir-là que les êtres refoulent, comme la mère est appelée à le faire pour ce qu’il est difficile de penser et de transmettre, à travers les générations, un sexuel « impur », à la fois proche et coupé du libidinal, qui rejoint l’état de nature, et que la passivité ou le masochisme ne suffisent pas à faire accepter. S’il est possible d’admettre une élaboration de ce qui se lie au plaisir de la maternité et de la relation à l’enfant, il est une part qui touche au corporel, difficilement transmissible, et même honteuse.

68Dans Totem et Tabou, Freud insiste sur l’ambivalence présente dans les sociétés primitives, où le sacré et l’impur ne s’opposeraient pas encore. Tabou et totémisme représenteraient un stade intermédiaire entre l’état de l’homme primitif et l’âge des héros et des dieux. Mais la note ajoutée vient tempérer, nuancer une vision par trop phylogénétique. D’une part, les peuples primitifs, remarque-t-il, sont aussi anciens que les peuples civilisés, avec un mode de pensée différent, d’autre part, l’état originel est affaire de construction.

69Le tabou, selon la définition retenue par Freud, est une réponse à une force mystérieuse, dangereuse, que possèdent certaines personnes et choses, comme une charge électrique, une force terrible qui se communique par le contact et qu’il faut empêcher, les objets de vénération devenant des objets d’exécration. On ne peut s’empêcher de songer à l’excitation décrite dans l’Esquisse. Mais, curieusement, des trois catégories que Freud dénombre : le tabou des seigneurs, des chefs et des rois, le tabou des morts et celui qui concerne les « états d’exception », comme les états corporels de la menstruation, de la puberté, des femmes en couches, de la naissance, de cette troisième catégorie, Freud ne dit rien, ou très peu. Pourtant, la double appartenance du tabou à la fois à l’ordre du sacré et à l’ordre de l’impur, instauré par les hommes et auquel les femmes sont soumises, renvoie à la situation de l’être humain, au carrefour du corporel et du psychique. C’est ce qui ressort du Tabou de la virginité (1918), où Freud souligne la dissociation en deux temps qui fait de la défloration chez les peuples « primitifs », un acte à part, différent de celui des rapports sexuels. Un acte de séparation qui viendrait affirmer, confirmer la différence entre l’homme et la femme, la femme comme être étranger à l’homme. Que ce soit par l’exigence d’interdits alimentaires ou d’interdits sexuels, il s’agit toujours de respecter la séparation entre le monde animal et le monde humain, entre l’homme et la femme, entre la vie et la mort. Cette fois, apparaît plus clairement l’intentionnalité qui s’attache aux interdits à différents niveaux, non plus expression d’ambivalence mais, au contraire, lutte contre le démonique et la confusion.

70Refus ou mise à l’écart à plusieurs niveaux du devenir femme, du devenir mère, car le danger est double : se perdre ou transgresser. Le risque de se perdre dans l’Un, dans la création elle-même, dans l’identique, et le refus du corps, du sang maternel comme dangereux ou étranger, comme mortel ou mortifère : le tabou de l’inceste répond à ces deux dangers, à ces deux refus.

71S’il est vrai que « le moi est corporel », Freud note, dans les Trois Essais, pour la fille, à la puberté, la crainte de la jouissance, la pudeur, le dégoût. Mais, il y a plus que cela. Comment toute la traversée des transformations corporelles qu’a connues la mère n’aurait-elle pas d’incidence sur ce qu’elle transmet inconsciemment à l’enfant des deux sexes, bien que différemment pour chacun d’eux ? Comme on l’a vu, angoisse de castration pour le garçon et mise à distance, angoisse de séparation pour la fille et identification au corps de la mère.

Corps de la mère et refoulement « organique »

72Peut-on penser le maternel et la séduction originaire et faire l’économie, non seulement de la haine, mais du dégoût et de la répulsion ? N’y a-t-il pas un maternel « impur », masqué, mais présent comme une ombre derrière toutes les figures de mères ? Il faut penser le primitif, et l’horreur suscitée par ce maternel-là, que la marche civilisatrice tente d’étouffer et continue de le faire, du fait même paradoxalement des progrès en biologie qui finissent par œuvrer dans le sens d’une « désexualisation » de la procréation.

73Dans Un souvenir d’enfance, on ne peut sous-estimer la curiosité sexuelle de Léonard de Vinci. Freud s’étonne : « En un temps qui vit s’opposer une sensualité sans bornes avec un farouche ascétisme, Léonard donna l’exemple d’une froide récusation du sexuel, qu’on n’attendrait pas d’un artiste et d’un peintre de la beauté féminine. » [50] Et de relever dans la biographie traduite de l’italien par Solmi en 1908, une phrase attribuée à Léonard : « L’acte de procréation, et tout ce qui s’y relie, est si répugnant que les humains finiraient bientôt par s’éteindre, s’il ne s’agissait là d’une coutume transmise de tout temps et s’il n’y avait pas encore de jolis visages et des prédispositions sensuelles. » Suit la remarque presque incidente de Freud, comme pour atténuer les propos attribués à Léonard : « De Léonard, nous ne possédons que quelques dessins anatomiques concernant les organes génitaux internes de la femme, la position du fœtus dans le ventre maternel, etc. » Comme une quête, en effet, en sa représentation réaliste, de ce que peuvent être le coït et la procréation, qui mène, en sa réflexion finale, à l’énigme du maternel. Ce qui est relevé par Freud plus loin, sous une forme plus générale : « Pour nous, les organes génitaux sont, depuis une longue série de générations déjà, les pudenda, objets de honte et, en cas de refoulement plus poussé, même de dégoût… C’est seulement à contrecœur que, dans leur grande majorité, ceux qui vivent aujourd’hui se soumettent aux commandements de la reproduction et, ce faisant, ils se sentent vexés et rabaissés dans leur dignité humaine. » [51] La pudeur : sur ce point il faut revenir sur la notion de refoulement organique reprise ensuite dans Malaise dans la culture. Et Freud ajoute : « Nous nous plaisons ainsi à oublier qu’à vrai dire, tout dans notre vie est hasard, à partir de notre commencement, par la rencontre du spermatozoïde et de l’ovule, hasard qui participe certes aux lois et à la nécessité de la nature, mais qui est sans rapport avec nos désirs et nos illusions. » Le biologique, en somme, opposé à un psychique, expression de désirs.

74Le maternel en sa nudité, en sa crudité, cette énigme faite de chair et de sang, est bien un des aspects intolérables et incompréhensibles à l’être humain, poussé à l’habiller de mythes, de fantasmes, de symboles pour tenter de l’approcher. La notion d’instinct ne fait-elle pas alors retour à distinguer de la pulsion ? Braunschweig et Fain, non sans provocation, notent dans La nuit, le jour : « Il a bien fallu que joue un certain instinct femelle pour qu’il y ait eu quelques survivants. » [52]

75La vie instinctuelle qui ne nous différencie pas des animaux, sauf à la laisser dans l’ombre, à la transformer, à la transcender pour la tenir à distance, et le plus possible s’en séparer. Car mystérieux et terrifiant est le sang menstruel, de même que le sexe qui s’ouvre pour laisser sortir le petit être de chair quand il se détache de sa mère. S’il est vrai que nous naissons « inter urinas et faeces », le processus de procréation est tu le plus souvent, y compris de la part des mères qui l’ont traversé. Les mères ne sont ni bonnes ni mauvaises, elles sont sauvages, elles sont primitives.

76Dans la lettre 75, Freud décrivait le passage de l’instinct animal à la vie pulsionnelle de l’être humain, ce qu’il reprend bien des années plus tard dans Malaise dans la civilisation : « Le tabou de la menstruation résulte de ce refoulement organique (l’effacement du sens de l’odorat) en tant que mesure contre le retour à une phase surmontée du développement. » [53]

77De ce maternel primitif-là, le primitif de l’état de nature, qui ne se situe pas dans une antériorité, mais dans une quotidienneté, la psychanalyse n’en parle que de façon déjà très élaborée ou contournée. Ce n’est que récemment, depuis les années 1970-1980, qu’il se trouve pris en compte.

78Tournée vers le désir et le plaisir, la psychanalyse a préféré à la procréation le fantasme de la scène primitive, à la grossesse celui de la mère séductrice et de l’amour (ou de la haine) maternel, au sexe maternel, à « l’origine du monde », elle a privilégié l’envie du pénis et l’angoisse de castration.

79Que devient tout ce qui de la femme est et reste tabou pour une grande part ? N’y a-t-il pas là, transmis chez l’enfant par la mère, en son silence même, la source d’un refoulement ? Pour ce qui a trait au sexe maternel, en lien avec ce que Freud range dans les « états d’exception », il faut revenir à la notion freudienne de « refoulé organique ». Un refoulé, dominé par le dégoût ou même la répulsion, qui fait résurgence au moment de la puberté, quand pour les filles, à leur tour, dans le plus grand des mystères, l’écoulement menstruel du sang les inscrit dans la lignée maternelle. Pour les garçons, dans certaines pratiques, la circoncision dont on pourrait penser qu’il est un acte conjuratoire contre la castration, mais aussi peut-être, contre le sang maternel, est affirmation de leur appartenance à la lignée masculine. Destin de fille et destin de garçon. Scellé bien avant la puberté. On notera cependant des approches récentes, défensives peut-être, plus valorisantes pour la fille, du « sang vécu comme promesse de vie, de fécondité, de proximité avec le mystère de la vie » [54]. Une manière de ne pas mettre sur le même plan le vaginal et l’anal. On connaît la formule de L. Andreas-Salomé du « vagin loué à l’anus ».

80Totem et Tabou est, à juste titre, un des textes clés qui, pour le psychanalyste, permet au mieux d’approcher la notion d’abject développée par J. Kristeva. L’abject serait, dans une vision d’ensemble de l’être humain, au départ même de son évolution, non pas du côté du désir et de l’inconscient mais dans un en deçà. Il trouverait sa place, comme limite extrême, avant le surgissement du moi, de ses objets, de ses représentations. Une notion à la fois centrale comme serait la phobie dans la théorie freudienne et périphérique dès lors qu’elle se situe à la limite du refoulement originaire.

81Si tant est qu’il est possible d’enserrer cette notion d’abject dans une définition qui, au fur et à mesure des développements de Kristeva, va en s’élargissant, il s’agit de cerner ce qui dans l’innommable relève du dégoût, de la répulsion : « Il y a, dans l’abjection, une de ces violentes et obscures révoltes de l’être contre ce qui le menace et qui lui paraît venir d’un dehors ou d’un dedans exorbitant, jeté à côté du possible, du tolérable, du pensable… » [55] Important est le lien, fortement exprimé par Kristeva, et puisé à la source reconsidérée de Totem et Tabou, entre l’abjection et le maternel, un maternel désirant et objet de désir, mais aussi un maternel procréateur. Non pas réduit à la problématique de la castration, mais plus vraisemblablement la dépassant sur un double versant, d’indifférenciation et de séparation, de souillure et de sacré.

82Plus explicite encore est la mention de ce qui du corporel en ses « déchets » (le sang menstruel et l’excrément) « représente en une “métaphore incarnée” – cette fragilité objective de l’ordre symbolique. […] Deux souillures qui relèvent du maternel et/ou du féminin dont le maternel est le support réel ». Des termes qui renvoient à un fond de culture religieuse, d’où émerge la saisissante formulation : « La peur de la mère procréatrice incontrôlable, me repousse du corps. » [56] Alors que l’envie du pénis marque un temps évident chez la fille, n’est-elle pas à comprendre comme une défense contre ce que représente le corps sexué du devenir mère ?

83Autant de questions à réinterroger quand se pose, essentiellement par rapport à la notion d’abject, celle du principe et de la forme d’une transmission de ce qui peut être appréhendé comme « l’horreur du maternel ». Autant d’échos d’un maternel terrifiant, comme soubassement obscur aux théories et pratiques psychanalytiques appelant nécessairement à son tour un maternel structurant, rassurant, tourné vers la vie.

Penser le maternel

Le maternel comme fonction

Présence, absence de l’objet

84Dans l’Esquisse, où Freud tente de penser le début de l’appareil psychique, il n’est pas explicitement fait mention de la mère, mais d’un principe maternel, qui se devine, se dessine, sous des euphémismes. La notion de satisfaction amorcée dans l’Esquisse, reprise et développée dans les Trois Essais, associe explicitement le sein maternel à l’expérience de plaisir, « première activité de l’enfant et la plus importante pour la vie », qu’il cherchera à renouveler. Ainsi, le modèle adopté pour évoquer ce début – qui sera repris dans les différentes théories postfreudiennes sous divers aspects – privilégie le sein, qui répond à la fois au besoin de nourriture et à l’appel de ce que Freud nomme « une action spécifique », intervenant aux stades très précoces du nourrisson. Les deux temps instaurés, satisfaction du besoin de nourriture et satisfaction érotique, en viennent à se confondre dans la démonstration retenue par Freud. La formulation qui veut, dans les Trois Essais, que « la découverte de l’objet soit à vrai dire une redécouverte », trouve son ancrage dans le modèle – et Freud insiste sur la notion de modèle – de l’enfant qui tète le sein de sa mère. Dans une note ajoutée en 1915, Freud s’appuie sur les phénomènes très précoces et introduit le narcissisme primaire qui retrouve le moi propre dans l’autre.

85C’est dire combien, dans son approche de l’expérience primordiale du nourrisson, le prototype du sein a une valeur métonymique bien plus que celle d’un objet qui serait partiel. La partie pour le tout, une mère en sa présence, mal dessinée, confusément perceptible, et pourtant pourvue dans sa totalité de toute la force pulsionnelle qui l’habite. Bien plus, c’est à un fondement phylogénétique que Freud se réfère, lorsqu’il précise combien importent peu les conditions réelles de l’enfant qui « restera convaincu d’avoir tété trop peu, pendant un temps trop court » [57].

86Les quelques notes, classées sous le titre Résultats, idées, problèmes, apportent, en fin de parcours, en 1938, en un raccourci saisissant, un éclairage nouveau au modèle du sein et à l’identification précoce à l’objet. Une véritable percée : « Modèle : sein. Le sein est un morceau de moi, je suis le sein. Plus tard seulement : je l’ai, c’est-à-dire je ne le suis pas […]. L’avoir est la relation ultérieure, retombe dans l’être après la perte d’objet. » [58] De fait, il y a dans « je suis le sein », bien plus qu’une fonction maternelle assurée, mais l’ouverture d’un mode de penser où le principe maternel demeure, où présence et absence, difficilement représentées, vont bien au-delà de la fonction maternelle. Avec les notions d’identification et de perte d’objet, il y va d’une théorie de l’identité et de l’être.

87C’est ainsi que la présence maternelle se constitue dans le psychisme, en son absence même. Il faut revenir au jeu du fort-da, observé par Freud [59], à deux moments différents du développement de l’enfant, et se souvenir de ses multiples prolongements théoriques. Retenons comment l’hallucination négative permet à l’enfant de supporter l’absence de la mère, de s’en abstraire et donne accès au symbolique.

88Suivre l’évolution de la pensée d’A. Green permet d’appréhender, sous plusieurs angles, la question de l’absence de la mère, depuis l’hallucination négative et la nécessité de la perte d’objet, jusqu’au désinvestissement de l’enfant par la mère qui conduit au développement de la problématique du négatif. S’appuyant sur la conception de l’hallucination négative énoncée par Freud, Green propose « le destin de l’objet primaire comme structure encadrante du moi abritant l’hallucination négative de la mère » [60]. Une structure, et non pas une fonction, la différence a son importance dans la mesure où une structure implique une construction stable, durable, un ensemble d’une cohésion telle que chaque élément ne peut être modifié sans avoir un effet sur tous les autres.

89C’est en parcourant ces aires-là que Green élabore ce qu’il nomme le « complexe de la mère morte », un ensemble de caractéristiques décelables dans et par le transfert, où le maternel comme structure encadrante perd sa fonction essentielle. Un maternel en négatif que caractérise un deuil inexplicable. C’est plus généralement à partir de la présence de l’absence de l’objet – c’est-à-dire une absence douloureusement éprouvée comme telle dans le cours de l’analyse – que Green développe ce qu’il appelle « la clinique du négatif, du vide », où l’absence devient le noyau.

90Absence, séparation, deuil. Autant de problématiques à différencier et qui pourtant ne sont pas sans interrelations. Dans une note, Green précise qu’il se distingue de N. Abraham et de M. Torok, en ce que, moins porté vers la maladie du deuil, il se livre à une approche à la fois clinique et métapsychologique des états de vide [61]. Il s’agit, pour lui, d’une théorie et d’une clinique de ce que l’on nomme « états-limites », aux limites de l’analysabilité. Reste la question de la psychose dont on a pu penser qu’elle était liée aux défaillances de l’objet primaire. En abordant la pathologie du deuil, Abraham et Torok, tentent un lien entre psychose et perte d’objet. Ils établissent une distinction entre l’introjection qui correspond à un processus primaire, organisateur de la psyché, et l’incorporation, fantasme cannibalique au départ du mécanisme d’introjection. C’est ce terme d’incorporation, en lien avec la mélancolie, que les deux auteurs reprennent pour tenter d’approcher la psychose maniaco-dépressive comme réponse à la perte de l’objet. Mais, la psychose ne serait-elle pas moins liée aux défaillances de l’objet primaire qu’aux failles du moi et, de ce fait, plus difficile à cerner et à traiter ?

L’invention de l’infans

91Si la sexualité infantile est la grande découverte freudienne, l’infans est l’invention relativement récente de la psychanalyse, qui opère dans la théorie freudienne un changement radical de perspective, plus encore qu’un prolongement ou un approfondissement. Un saut qui n’est pas exempt de risques par rapport à l’insaisissable du maternel. Le danger, on le pressent, et il arrive que le travail clinique s’en ressente, serait soit du côté de la réification de concepts soit, à l’opposé, du côté de la dilution, de la dissolution de la théorie. Entre les deux, des écarts nécessaires, des zones à hypothéquer, à explorer, à déplacer.

92On s’accorde très généralement à penser que l’infans, comme le déclare Winnicott [62], qui ne pouvait envisager que la dyade mère-enfant et, sur ce point, rejoint Freud, n’existe que dans une relation à l’autre. C’est là affirmer qu’il y a création réciproque, découverte de l’un par l’autre. « Le bébé est prêt à créer et la mère lui rend possible l’illusion que le sein, et ce qu’il signifie, ont été créés par la poussée du besoin vers le dehors. » [63] L’infans, en effet, crée-trouve l’objet qui, à son tour, l’aide à se constituer comme sujet.

93La conception que chacun a de l’infans détermine le mode de relation et la fonction attribuée au maternel, qu’elle soit contenante, encadrante, transformationnelle… Un maternel qui, selon les différentes théories psychanalytiques, ne se limite pas à la personne de la mère, ou à son substitut, comme objet primaire, interne, mais peut s’étendre à l’environnement, à la cellule familiale, le père y étant toujours inclus. Alors que M. Klein adopte la deuxième théorie des pulsions de Freud et développe sa conception d’un moi qui se construit d’emblée dans son lien à l’objet, Winnicott repousse la notion de destructivité et soutient que le moi de l’infans n’ayant pas d’unité première, un travail d’intégration est à faire pour que le moi advienne. La fonction maternelle est alors une fonction contenante, dans une identification nécessaire au nourrisson.

94Le terme même de « fonction » pourrait prêter à confusion, selon qu’on le tire vers un déterminisme, une finalité, avec l’idée d’une tâche, d’une mission à remplir, ou, comme le fait Winnicott, que l’on y voie le rôle maternel dans un ensemble, et essentiellement la capacité à tisser, à intégrer les différents matériaux à partir de la non-intégration première des noyaux du moi. L’erreur serait de s’en tenir à une vision développementale qui conduirait à faire de la cure analytique un simple analogon de la relation mère-enfant en son devenir.

95Paradoxalement, ce pourrait être Winnicott pourtant, avec son vocabulaire concret et sa notion d’environnement, qui a le plus contribué à induire l’idée d’une mère et de son enfant dans la réalité externe. Il n’est pas rare en effet de voir la relation analytique détournée au profit d’une vision réductrice de ce que les termes de sein et d’objet véhiculent, rabaissée, pourrait-on dire, à une relation mère-bébé plus réaliste.

96Que ce soit dans ses premiers textes ou dans son livre posthume, La nature humaine, Winnicott, s’adressant souvent à un public non analyste passe sans embarras du maternage au maternel, de la description de la mère réelle, dans sa quotidienneté et sa tâche de mère, porteuse d’enfants et nourricière, dans sa nécessité à rencontrer les besoins de l’enfant et de s’y adapter, à la construction d’un modèle de développement de l’infans d’où se dégage une certaine définition du maternel.

97Il est cependant une autre lecture de Winnicott qui montre combien nous sommes confrontés, en tant qu’analystes, à l’idée non seulement de l’invention d’un infans psychanalytique sur laquelle repose un certain nombre d’avancées dans la compréhension du trouvé-créé de l’objet par l’infans, mais aussi de l’accession de l’infans au statut de sujet, à partir de son potentiel créatif. N’est-ce pas plutôt l’invention d’une aire moi/non-moi, aire d’illusion et de créativité, là où se jouent la fusion et l’écart, qui autorise Winnicott à pouvoir passer aussi librement du concret au théorique, du physique au psychique, de l’extérieur à l’intérieur ? L’insistance sur l’environnement qui, de façon diffuse inclut le père, s’entend comme une extension du maternel et montre à l’évidence qu’il s’agit plus du maternel que de la mère. Plus encore, un continuum d’existence dans un monde devenu création personnelle. C’est sans doute ainsi que se conçoit la relation analytique qui ne peut simplement être ramenée à une relation mère-enfant à retrouver par la régression.

98Le titre adopté par F. Gantheret, « L’Impensable maternel et les fondements maternels du penser », dit éloquemment le paradoxe inclus dans la notion même de maternel chez Winnicott. Ou, dit autrement, à la fois, pas de penser sans maternel et un maternel impensable. C’est que le maternel est plus fondamental et plus insaisissable qu’une simple entité formelle ou fonctionnelle, ce qui assurément conduirait à une réduction de la relation psychanalytique. Il est substance première, c’est ainsi que l’entend Winnicott, ce qu’il y a de permanent dans les choses qui changent et se créent. « Une substance qualitative inévocable […] parce qu’elle pénètre, infiltre et soutient tout le discours. » [64]

La matrice de l’originaire

99Comment penser le maternel, entre matière et pensée, si ce n’est en délimitant un espace, un lieu, un temps comme tentative d’interrogation et d’explicitation de ce qui reste dans l’ombre ou de ce qui de l’ombre surgit, à l’aide d’un changement de vertex, d’angle de vue, qui met l’infans et l’origine de l’appareil psychique au premier plan ?

100La notion d’un ordre originaire, création postfreudienne, tente de répondre à la question énigmatique du début de la vie somatopsychique et de sa nature. Monde interne des phantasmes avec Klein, monde sensoriel des éléments bêta, selon Bion, ou monde non différencié des sens et des objets externes, selon Aulagnier. Ce que ces théories ont en commun, malgré l’originalité de chacune d’elles, est de penser l’origine de la pensée. L’originaire comme catégorie de pensée ne fait que renforcer la question insistante de l’avant et il n’est peut-être pas impossible d’y voir l’équivalent d’un mythe fondateur.

101Ce n’est pas un hasard si ce sont particulièrement les psychanalystes qui se sont intéressés à la psychose qui ont le plus œuvré à la construction d’un originaire. Pour nombre d’auteurs, l’originaire est inféré à partir de la psychose sans pour autant se confondre avec elle. Ne faut-il pas se garder de vouloir faire coïncider l’énigme de la psychose et l’énigme de l’originaire, d’assimiler le mystère de l’une à l’autre et, ce faisant, de réduire la complexité de tout ce qui les sépare, notamment dans le lien avec le maternel ? Mères séductrices, mères honnies, mères absentes, mères dysharmoniques, les mères toujours incriminées, qui seraient à l’origine des dysfonctionnements et des mauvais départs à rectifier, à transformer. Temps privilégié d’éventuelles déviations, détournements ou manques, l’originaire contiendrait les germes de ce que serait la pathologie psychotique. Une position sur ce point que la clinique invite cependant à nuancer, à réinterroger.

102Avec une grande lucidité – et sa démonstration nous est précieuse –, Aulagnier expose la démarche qui l’a conduite à tenir compte du mode de fonctionnement psychotique comme lieu d’émergence ou traces de ce qu’a dû être un avant inaccessible, et à proposer comme postulat d’un ordre originaire, « le modèle d’une étape préexistante, de manière à redonner accès à ce qui était resté hors champ » [65]. Pour Aulagnier, l’originaire a sa logique propre d’autoengendrement, et de production de pictogrammes, qui émane du travail que le corps impose à l’appareil psychique. Une théorie selon laquelle il n’y aurait, au départ, pour le sujet pensant d’autre réalité que lui-même, un sujet qui, dans la rencontre sujet-existant, fait l’expérience de « son pouvoir d’engendrer les objets sources d’excitation » [66]. Aulagnier pose ainsi le postulat d’un autoengendrement, de même que le déjà là de la haine, toute rupture étant une souffrance.

103Dans la construction d’Aulagnier, il faut que cet avant du Je soit vécu par le Je maternel sous la forme d’un Je anticipé qui va interpréter et transformer les manifestations pictographiques. On pense à la fonction alpha de Bion dans son travail de transformation des impressions sensorielles, traduites en éléments mnésiques puis en éléments alpha.

104Avec l’invention de l’ordre de l’originaire, le maternel chez Aulagnier apparaît comme une matrice, un lieu, un espace délimité à l’intérieur de l’ensemble corps-psyché. Dans les ordres primaire et secondaire, il s’impose ensuite essentiellement par le discours, contribuant à une triple découverte pour l’infans – l’accès au corps, à la psyché et à la culture – dans une configuration où la rencontre mère-infans est porteuse de potentialités de développement autant que d’aliénation. La mère est doublement porte-parole, du discours de l’enfant et du discours couramment admis qu’il lui faut interpréter et transmettre. C’est là qu’intervient une violence nécessaire, non indemne de dangers, soulevant la difficile question de la violence de tout rapprocher et de la distance à maintenir. Une interrogation qui se retrouve en effet avec les patients psychotiques.

105Que la familiarité avec les patients psychotiques ait permis l’invention et l’élaboration de la notion d’originaire, n’implique pas pour corollaire qu’il y ait un rapport direct possible avec la période de l’infans ni même que la trace puisse en être retrouvée ou traitée comme telle. N’y aurait-il pas même un risque de confusion dans la démarche qui préside et à l’invention de l’originaire et au mode de pensée psychotique ? Une démarche solipsiste, qui inclut son propre objet. Aulagnier a bien senti le danger et reconnaît : « […] Je me demande parfois si ma pensée a réussi à renoncer à l’illusion de découvrir sa propre origine et si ce n’est pas cela que je poursuis indéfiniment. » [67] Il est vrai que la psychose porte aussi en elle, face au chaos et au vide auxquels les patients sont confrontés, l’interrogation fondamentale, qui n’a jamais quitté Freud et l’a guidé tout au long de sa découverte : « Qu’est-ce qu’il y a avant ce qui était avant ? » La même démarche qui se trouve au départ de l’invention de l’originaire. Mais l’édifice identificatoire décrit par Aulagnier, implique la cohésion et la solidité des fondations. Sinon, « quelle que soit l’histoire du constructeur, écrit-elle, histoire qui décide du premier assemblage et quel que soit le contour des pièces qu’il empruntera aux autres, se présenteront toujours des risques de déboîtement, des lignes de fragilité, la potentialité psychotique qui se manifestera par un conflit entre les deux composantes du Je lui-même » [68]. Formulation essentielle que celle de potentialité, qui énonce la notion d’aléatoire et d’effet de rencontre, de préférence à celle d’une causalité qui serait réductrice ou erronée.

L’énigme du maternel

« Une mère, cela n’existe pas »

106Alors que le maternel comme entité est au-delà de l’objet, prendre en compte le terme d’objet, de préférence à celui de mère, permet d’éviter bien des difficultés. Ce pourrait être, d’une certaine manière, mettre à distance, effacer ou contourner l’identité des mères, le fait des mères. C’est lever une ambiguïté et privilégier la relation maternelle dans son lien avec la pulsion. De plus, le recours au terme d’objet convient à une conception plus ouverte de la position de l’analyste dans l’expérience analytique qui ne saurait être limitée à une reproduction, une transposition, une traduction de la mère réelle qui, elle, contrairement à ce qui parfois se pense, reste à jamais inapprochable, inconnaissable.

107Alors que Winnicott opère des glissements de la réalité de la relation mère-enfant à une élaboration psychique, Bion, à partir de l’expérience analytique, en une démarche que l’on pourrait dire inverse, érige en abstractions les fantasmes et les mécanismes d’identification projective décrits par Klein. Rares sont, en effet, chez Bion, les exemples qui n’aient pas valeur de modèles théoriques. On peut s’interroger sur son recours à une formulation abstraite de sa pensée, inspirée de la linguistique ou des mathématiques. Un besoin de rendre abstrait, ou de s’abstraire, de ce qui touche le plus au maternel, libéré de toute confusion possible avec la mère. Ce qui n’est pas sans rappeler les formulations de Freud, notamment dans l’Esquisse. L’expérience clinique de Bion et son utilisation de la théorie des fonctions se trouvent intimement liées, venant tour à tour confirmer ou infirmer les hypothèses de départ. Ainsi, la relation mère-enfant ne vient qu’à titre d’illustration de ce qui se présente comme une construction théorique globalisante. « J’arrivais parfois à mieux visualiser la situation en cours : le patient était le fœtus auquel étaient communiquées les émotions de la mère mais le ressort ou la source lui demeuraient inconnues », lit-on dans Éléments de la psychanalyse[69]. Ce n’est pas, en effet, sans une certaine simplification que l’on en arriverait à privilégier, dans sa théorie, ce qui relèverait du maternel et à assimiler hâtivement, peut-être trop directement, la fonction alpha et le travail-fonction-alpha du rêve à l’accomplissement par la mère de la transformation des éléments sensoriels bruts bêta en éléments alpha. La « capacité de rêverie » de la mère reste une abstraction. Il s’agit en fait, commente Bion, par le recours à une formulation abstraite, « de pouvoir parler sans être limité, comme je le serais si j’utilisais un terme plus chargé de sens, par une pénombre d’associations déjà existantes » [70]. Une volonté de clarté, de généralité nettement énoncée, à opposer à l’obscurité, à la pénombre qui entoure, qui nimbe la figure maternelle, mise à distance et devenue fonction. La fonction, selon Bion, inspirée du langage mathématique, « désigne une activité mentale propre à un certain nombre de facteurs opérant de concert […]. Ils peuvent être des théories ou les réalités que ces théories représentent » [71]. L’exemple de son utilisation du terme « sein » est révélateur à cet égard : le sein est, en fait, le nom de l’hypothèse sein.

108Telle apparaît la pensée bionienne, qui procède à des modélisations, sur la base d’hypothèses, selon une méthode déductive, c’est-à-dire d’enchaînements de causalité, à partir de prémisses. Une construction théorique toujours susceptible, comme chez Freud, d’être remise en question, et qui repose sur la capacité, à l’instar du psychanalyste, de recevoir, de contenir, de transformer les données sensorielles en données émotionnelles. La capacité de rêverie est alors à la périphérie, le psychanalyste se trouvant décrit à juste titre dans la non-connaissance. Là réside sans nul doute la force de la pensée de Bion, de pouvoir nommer la difficulté de l’être psychanalyste et l’accepter.

109Le maternel s’y révèle comme insaisissable, toujours fuyant, précisément en raison du risque d’être trop familier, trop proche, incestuel. Seule la familiarité avec la psychose et la tentative de formaliser les mécanismes à l’œuvre dans la relation aux patients psychotiques pouvaient susciter une telle position. Penser le maternel sans le nommer comme tel, penser la possibilité de pensées non pensées, ou encore de pensées sans penseur. Pouvoir penser un maternel désincarné, désexualisé, pour insister sur la défaillance, non pas de la mère, mais d’une fonction première, d’un système de pensée à l’origine de la pensée.

110C’est peut-être son texte posthume, « Césure », qui s’offre le plus au renouvellement d’une pensée, à une ouverture, comme si longtemps elle n’avait pu être dite ou admise. « On ne peut pas revenir à l’enfance ou à la prime enfance. C’est dans le présent que nous devons avoir une méthode de formulation qui puisse pénétrer l’obstacle […]. Le patient a un break up (cassure) ou un break-down (effondrement) plutôt qu’un break through (percée). Bien des façades ont été sauvées par un malheur qui en a fait des ruines réussies. » [72]

La psychose, un au-delà du maternel

111L’obstacle mentionné par Bion n’est-il pas précisément le lien causal que beaucoup ont tenté entre psychose et originaire ou primaire, le rattachement direct d’un mode de défense à un passé précoce, en fait inaccessible, qui ferait au premier chef intervenir le maternel et le mettrait en cause ? Or l’articulation entre maternel et psychose est loin d’être évidente. Dans la marche régrédiente à laquelle la psychanalyse invite, il n’est pas surprenant que l’on puisse situer les fragilités, les failles, les manques, à l’origine même de la constitution de l’appareil psychique, dès la relation première à la mère. Mais, si l’originaire comme postulat, on l’a vu, s’inspire de l’étude des manifestations et du mode de fonctionnement psychotique, la question de l’origine de la psychose continue d’être posée.

112Si l’on veut bien ne pas confondre, comme c’est souvent le cas, autisme et psychose, et si la question du lien entre la psychose infantile et la psychose adulte reste encore ouverte, on notera que l’entrée dans la psychose adulte suscite des interrogations d’ordre à la fois théorique et clinique. Selon que l’on s’emploie à retracer les phénomènes psychotiques dans l’originaire et la relation précoce au maternel, ou à considérer dans l’actuel le mode de défenses mis en place par les patients psychotiques, l’abord clinique s’en trouve, en effet, modifié puisqu’il s’agit soit de donner la priorité au temps de l’infans dont les traces seraient à retrouver, soit à privilégier le temps présent de la rencontre psychanalytique.

113On a longtemps voulu voir les patients psychotiques comme des êtres régressés, « primaires » dans tous les sens du terme, et mettre en cause le rôle maternel, ce qui a souvent incité à des techniques de maternage et de réparation. La psychose dite « puerpérale », prise comme modèle, a peut-être contribué à la méprise. Ainsi pour P.-C. Racamier qui décrit comme phase du développement psychoaffectif de la femme, ce qu’il nomme la « maternalité » [73], pour traduire le terme anglais « motherhood », le post-partum correspond pour lui, sous sa forme pathologique, à une régression. Pourtant, Racamier fait un rapprochement pertinent avec l’adolescence : même moment de crise au cours du développement psychique et corporel, même ébranlement identitaire. L’adolescence n’est-elle pas, en effet, avec la transformation pubertaire et la sexualité génitale agissante, la période la plus vulnérable susceptible d’une entrée dans la psychose ? Un moment d’excitation maximale et de risque d’effondrement ou de cassure, quand les assises ne s’avèrent pas suffisamment solides. Faille des autoérotismes ? Défaillance du refoulement originaire qui laisserait passer des représentations dites « archaïques » ? Peut-on assimiler désorganisation et régression ?

114Ce qui porte à cette illusion, à cette équivoque, d’une reviviscence possible, par la régression, d’un temps de l’infans et de ses traces, n’est-il pas le fait que l’on en arrive à confondre non-organisation et désorganisation ou chaos, fusion et confusion, clivage et rupture, à passer outre l’inaccessibilité d’un passé, du fait de l’effacement des traces mnésiques ou même de leur non-inscription ? N’y aurait-il pas là, face à une énigme, la volonté de concilier la recherche éperdue d’une origine avec l’affirmation d’une causalité et d’une continuité rassurante ? Or, toute tentative de relation causale se brouille et échoue, dès lors que l’on a affaire à un excès pulsionnel, à une violence primordiale entraînant un effondrement subit, une perte, une destruction. N’est-ce pas l’échec même de la causalité psychique, quand les traces restent inaccessibles, ce qui, de façon défensive face à l’énigme de la situation, fait porter à la mère la responsabilité de ses propres faiblesses et des failles et défaillances du moi de l’infans ? Ne doit-on pas penser la psychose au contraire comme un au-delà du maternel, au sens d’un hors-champ ?

115Alors que dans Au-delà du principe de plaisir, Freud réaffirme la tendance à la répétition et à la reproduction du passé, à partir de ce qu’il appelle les primes origines, y compris pour les non-névrotiques, en 1924, dans Névrose et psychose, il insiste sur l’idée de rupture : « Il sera possible au moi d’éviter la rupture de tel ou tel côté en se déformant lui-même, en acceptant de faire amende de son unité, éventuellement même en se crevassant ou en se morcelant. De la sorte, on mettrait les inconséquences, les extravagances et les folies des hommes sous le même jour que leurs perversions sexuelles, dont l’adoption leur épargne bien des refoulements. » [74] Une rupture, une déchirure, dit Freud plus tard, qui lorsqu’elle a lieu, ajoute-t-il, pessimiste, « ne guérira jamais, mais grandira avec le temps » [75].

116S’il est vrai que pour l’analyste, l’expérience de la névrose reste et doit rester la référence princeps, ne serait-ce que pour ne pas se laisser entraîner vers des dérives subjectivistes, le paradoxe de la psychose veut qu’une dissociation soit faite entre ce que nous percevons ou construisons comme théorie de l’appareil psychique et la pratique possible avec les patients psychotiques. Il s’agit d’intégrer à la pratique même la dissociation qui est la leur parfois jusqu’à la fracture, quand agissent des forces et des violences libérées. Le danger ressenti, la crainte de la cassure ou de l’effondrement met le patient hors temporalité, hors relation à l’autre, dans une perte des repères jusqu’au chaos et au vide. Le gouffre est d’autant plus infranchissable que l’espace derrière lui se dérobe. Il lui faut inventer de nouveaux repères, un nouvel espace, une nouvelle histoire, dans le meilleur des cas, celle qui s’instaure à la longue avec l’analyste.

117Dans son texte posthume, La crainte de l’effondrement, Winnicott tente une mise en rapport entre le vécu du patient et l’expérience originelle qui aurait eu lieu mais qui n’a pu être éprouvée à un moment de non-intégration du moi, en un temps impensable, inaccessible précédant l’ancrage spatiotemporel. Deux temps séparés qui ne se relient que dans la pensée du psychanalyste. Dire que l’expérience a eu lieu, c’est affirmer la complexité d’une temporalité discontinue, faite d’effacement, de ruptures, de non encore advenu. C’est aussi ne pas compter sur la possibilité d’un mouvement régrédient, et reconnaître un deuxième temps qui ne se relie pas au premier temps, marqué par l’immaturité du moi. « L’expérience originelle de l’agonie primitive ne peut être mise au passé que si le moi peut d’abord la faire entrer dans sa propre expérience du temps présent et dans la maîtrise toute-puissante actuelle. » [76]

118Contrairement à la névrose et à l’importance de l’après-coup, la psychose donne la mesure de la scission, parfois irréversible, qui sépare les deux temps et de l’impossibilité qu’un processus psychique puisse s’engager d’emblée, dans un sens à la fois régrédient et progrédient [77]. C’est précisément la difficulté, voire l’impossibilité, d’une corrélation entre les deux temps, qui, avec les patients psychotiques, se trouve au cœur de la problématique du maternel dans la psychose. On sait combien les patients psychotiques sont coupés de leur histoire et sont contraints de vivre dans l’actuel. Le plus souvent, il n’est d’autre issue pour ces patients que la création de néoréalités. L’identité ébranlée provoque une suractivité de la pensée, une interrogation permanente, une quête de sens qui fige ou exalte, une pensée qui, privée de butée, tourne sur elle-même ou se perd dans l’illimité. Un mot d’enfant, trois ans et demi, permet d’éclairer la différence entre ce que peut être une interrogation sur l’origine de la vie et ce que représente le trouble, le vertige d’une quête qui serait sans repères : « Je ne me rappelle pas quand j’existais pas », dit-il, sans insister. Telle est bien la réflexion angoissante, abyssale, qui hante les patients psychotiques, très vite supplantée chez cet enfant par une pensée heureuse, rassurante, qui le renvoie immédiatement à la relation maternelle : « Mais […] je ne me rappelle pas quand j’étais bébé. » Avec les patients psychotiques, contrairement à un processus régressif, le maternel semble voler en éclats, en une sorte d’explosion non dépourvue de haine, où le sensoriel n’est pas toléré, encore moins le sexuel. Si l’on retient l’idée qu’il existe, pour ces patients, un effet de rupture ou de menace de rupture, et non pas, comme il est dit couramment, de clivage – la constitution du moi se faisant par une série de clivages –, comment en effet, peut-il y avoir une corrélation avec l’en deçà de la fracture ou de la déchirure, sans un long et fructueux travail de construction ou de remise en route des connexions ?

119Le risque cependant est soit un investissement massif dans l’actuel, qui ne se soutient que d’une présence dans l’immédiat, qui absorbe l’autre, l’englobe, le phagocyte dans une non-différenciation, soit toujours sous la menace d’une rupture, d’une attraction vers un vide terrifiant qu’un délire au mieux vient habiter. Penser le maternel sous sa forme la plus abstraite permet de déjouer les forces de violence et de haine libérées qui entravent tout processus, le paralysent. Il faut accepter de renoncer à la notion de transfert maternel (ou paternel), inventer de nouveaux repères, s’aventurer vers des zones instables, insécures, à l’instar du patient plongé dans l’inconnu, l’incompréhensible et la peur. Pour le patient, la peur est celle de l’autre et du monde qui l’entoure, peuplé d’ombres menaçantes, malfaisantes, à repousser qui, comme la création d’une néoréalité et la constitution d’un délire, visent à ne pas laisser le patient seul, démuni face au gouffre. L’analyste qui ne peut s’identifier à ces ombres tutélaires a pour tâche de créer les possibilités d’une relation encore inédite, d’une rencontre encore non advenue où seul du nouveau, de l’inattendu peut se créer, où le moi du patient puisse être apprivoisé et trouver une figure identificatoire stable, apaisante, approchable, qui le conduise à l’altérité. En cela le patient se crée, devient sujet, en créant l’autre. Rien de préétabli, de structural, mais l’aléatoire d’une rencontre, d’une relation dont on pourrait dire qu’elle se situe au-delà du maternel, si l’on entend par là une référence à la mère avec ses affects et ses mouvements inconscients, mais qui correspond au tissage, à la mise en jeu d’un maternel, substance vitale, rassurante. C’est que le mode d’être psychotique est un mode d’organisation défensif à la fois contre un pulsionnel trop excitant et désorganisant et contre la crainte de la folie, le chaos de la pensée et de l’être, contre la déraison et le non-sens.

Conclusion

120Il faudrait pouvoir parler plus précisément de la situation psychanalytique elle-même dans le lien au maternel ? Mais n’est-ce pas revenir à l’énigme même du maternel : métaphore, fonction, entité, substance… ? Le maternel est tout à la fois créateur et création, origine et fabrique, essence et existence. Ainsi, l’énigme du maternel demeure, résiste même, et comment ne pas s’en réjouir, si le maternel ne peut être réduit à un concept, à un principe, à une fonction ?

121Pour autant, s’il est possible de passer de la métaphore de l’ombre furtive, évanescente, à la pierre solide, durable, présente dans sa réalité matérielle, maternelle, c’est une sculpture d’Henry Moore qui paraît le plus à même d’évoquer le maternel : celle qui, destinée à être exposée en plein air laisse apparaître, dans le corps plein, massif, du corps maternel, une ouverture circulaire où vient s’inscrire une portion de paysage qui se découpe à l’intérieur du cercle, sur fond de nature mouvante. C’est dire qu’il n’y a là rien de définitif, mais la révélation d’une potentialité changeante. Comme d’une matrice qui accueille et donne forme.


Mots-clés éditeurs : violence, origine, psychose, refoulement, au-delà du maternel, folie maternelle, maternel sauvage, ombre du maternel, refoulement organique, originaire

Mise en ligne 02/02/2012

https://doi.org/10.3917/rfp.755.1297

Notes

  • [1]
    S. Freud, lettre 70, du 3 octobre 1897, Naissance de la psychanalyse, Paris, puf, 1956, p. 194.
  • [2]
    I. Barande (1977), Le maternel singulier, Paris, Aubier.
  • [3]
    S. Freud (1911), Grande est la Diane d’Éphèse, ocf.p, XI, Paris, puf, 1998, p. 52. Voir aussi L. Kahn (1992), Les Immortelles, Nouvelle revue de Psychanalyse, « Les mères », n° 45, p. 195.
  • [4]
    P. Fédida (1980), L’arrière-mère et le destin de la féminité, Psychanalyse à l’Université, n° 18 ; repris dans Mères et filles, la menace de l’identique, Paris, puf, 2003.
  • [5]
    S. Freud (1910), Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, ocf.p, X, Paris, puf, 1993.
  • [6]
    « Primitif » au sens double de primordial, mais aussi d’état de nature, bien que jamais appréhendé comme tel.
  • [7]
    Ibid., p. 141.
  • [8]
    S. Freud (1905), Trois essais sur la vie sexuelle, ocf.p, VI, Paris, puf, p. 160-161.
  • [9]
    S. Freud (1905), Trois essais sur la vie sexuelle, op. cit., p. 146.
  • [10]
    S. Freud (1916), Introduction à la psychanalyse, ocf.p, XIV, Paris, puf, p. 400.
  • [11]
    S. Freud (1925), Autoprésentation, ocf.p, XVII, Prais, puf, p. 108.
  • [12]
    S. Freud (1917), Complément métapsychologique à l’interprétation des rêves, ocf.p, XIII, Paris, puf, p. 247.
  • [13]
    Lou Andreas-Salomé (1921), Le narcissisme comme double direction, L’amour du narcissisme, Paris, Gallimard, 1977.
  • [14]
    S. Freud, lettre 1er avril 1915, Correspondance, Paris, Gallimard, p. 22.
  • [15]
    Lou Andreas-Salomé (1921), Le narcissisme comme double direction, op. cit., p. 147.
  • [16]
    D. Braunschweig et M. Fain (1971), Éros et Antéros, réflexions psychanalytiques sur la sexualité, Paris, Payot, p. 107 (ils se réfèrent au livre de M. Chadourne, Dieu créa d’abord Lilith).
  • [17]
    Ibid., p. 109.
  • [18]
    J. Bril (1981), Lilith ou la mère obscure, Paris, Payot, p. 139.
  • [19]
    C. Baudelaire, « Bénédiction ».
    « Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères,/Où mon ventre a conçu mon expiation !/
    […] Elle ravale ainsi l’écume de sa haine,/et ne comprenant pas les desseins éternels,/
    Elle-même prépare au fond de la Géhenne/Les bûchers consacrés aux crimes maternels. »
    Œuvres complètes, Paris, La Pléiade, 1951, p. 81.
  • [20]
    M. Klein (1932), La psychanalyse des enfants, Paris, puf, 1959.
  • [21]
    S. Freud (1924), Le problème économique du masochisme, ocf.p, XVII, Paris, puf, 1992, p. 14.
  • [22]
    S. Freud (1930), Malaise dans la culture, ocf.p, XVIII, Paris, puf, p. 210.
  • [23]
    S. Freud (1916), Quelques types de caractère dégagés par le travail analytique, ocf.p, XV, Paris, puf, p. 23.
  • [24]
    Ibid., p. 23. Voir aussi S. Faure-Pragier et G. Pragier (1987), Les enjeux d’une recherche psychanalytique sur la stérilité féminine, rfp, t. LI, n° 6.
  • [25]
    S. Freud (1915), L’inconscient, ocf.p, XIII, Paris, puf, p. 220.
  • [26]
    S. Freud (1895), Esquisse d’une psychologie scientifique, La naissance de la psychanalyse, Paris, puf, 1956, p. 336 ; cf. L. Balestrière (2005), Freud et la question des origines, Bruxelles, De Boeck.
  • [27]
    S. Freud (1905), Trois essais sur la vie sexuelle, ocf.p, VI, Paris, puf, p. 161.
  • [28]
    J. Laplanche (2007), Sexual, la sexualité élargie au sens freudien, Paris, puf.
  • [29]
    S. Freud (1911), Un souvenir d’enfance, op. cit., p. 145.
  • [30]
    J. André (1999), Introduction, les baisers, La folie maternelle ordinaire, Paris, puf, 2006 et (1999), La féminité autrement, Paris, puf.
  • [31]
    J. André (1999), Aux origines féminines de la sexualité, Paris, puf, p. 110.
  • [32]
    A. Green (1980), La folie privée, psychanalyse des cas-limites, Paris, Gallimard, 1990, p. 182-183.
  • [33]
    Ibid., p. 154.
  • [34]
    S. Freud (1920), Un cas d’homosexualité féminine, ocf.p, XV, Paris, puf, p. 239.
  • [35]
    S. Freud (1931), Sur la sexualité féminine, La vie sexuelle, Paris, puf, 1969, p. 140.
  • [36]
    S. Freud (1933), La féminité, ocf.p, XIX, Paris, puf, p. 217.
  • [37]
    D. Braunschweig, M. Fain (1971), Éros et Antéros, réflexions psychanalytiques sur la sexualité, op. cit., p. 78.
  • [38]
    Ibid.
  • [39]
    F. Bégoin (1999), Maternel ou féminin ? Le « roc d’origine » comme gardien du tabou de l’inceste avec la mère, Clefs pour le féminin, Paris, puf, « Débats de psychanalyse ».
  • [40]
    P. Aulagnier (1975), La violence de l’interprétation, Paris, puf, p. 136.
  • [41]
    E. Kestemberg (1984), Homosexualité, identité, adolescence, L’adolescence à vif, Paris, puf, 1999.
  • [42]
    S. Freud (1892-1893), Un cas de guérison hypnotique avec des remarques sur l’apparition de symptômes hystériques par la « contre-volonté », Résultats, idées, problèmes, Paris, puf, 1984.
  • [43]
    H. Parat (1999), La fougue du lait, la mère et l’érotique de l’allaitement, La Féminité autrement, Paris, puf.
  • [44]
    S. Freud (1892-1893), Un cas de guérison hypnotique avec des remarques sur l’apparition de symptômes hystériques par la « contre-volonté », op. cit., p. 38.
  • [45]
    S. Freud, (1924), Le problème économique du masochisme, ocf.p, XVII, p. 14.
  • [46]
    S. Freud (1910), D’un type particulier de choix d’objet chez l’homme, ocf.p, X, Paris, puf, p. 199.
  • [47]
    W.R. Bion (1977), Entretiens psychanalytiques, Paris, Gallimard, 1980, p. 247.
  • [48]
    S. Faure-Pragier et G. Pragier (1987), Les enjeux d’une recherche psychanalytique sur la stérilité féminine, rfp, t. LI, n° 6 ; S. Faure-Pragier (2003), Défaut de transmission du maternel. Absence de fantasme, absence de conception ?, Mères et filles, la menace de l’identique, Paris, puf.
  • [49]
    H. von Hoffmansthal (1919), La femme sans ombre, Paris, Verdier, 1972, p. 95-97 ; E. Sechaud (2008), Porter une ombre, Bulletin fep, n° 62.
  • [50]
    S. Freud (1911), Un souvenir d’enfance, op. cit., p. 91.
  • [51]
    Ibid., p. 122.
  • [52]
    D. Braunschweig et M. Fain (1975), La nuit, le jour, Paris, puf, p. 86 ; W. Granoff et F. Perrier (2002), Le désir et le féminin, Paris, Flammarion, à la suite de J. Lacan (1966), Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine, Écrits, Le Seuil, p. 730.
  • [53]
    S. Freud (1930), Malaise dans la culture, ocf.p, XVIII, Paris, puf.
  • [54]
    M. Cournut (1998), Féminin et féminité, Paris, puf, 1998, p. 107.
  • [55]
    J. Kristeva (1980), Pouvoirs de l’horreur, Paris, Points Seuil, p. 94.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    S. Freud (1938), L’abrégé de psychanalyse, Paris, puf, 1949, p. 59.
  • [58]
    S. Freud (1938), Résultats, idées, problèmes, 1921-1938, t. II, Paris, puf, 1985, p. 287.
  • [59]
    S. Freud (1920), Au-delà du principe de plaisir, op. cit., p. 285.
  • [60]
    A. Green (1983), La mère morte, Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, p. 246.
  • [61]
    Ibid., note p. 248.
  • [62]
    D.W. Winnicott (1960), La théorie de la relation parent-nourrisson, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 240, en note : « J’ai dit un jour : “Cette chose qu’on appelle un nourrisson n’existe pas.” J’entendais par-là que chaque fois qu’il y a un nourrisson, on trouve des soins maternels, et que sans soins maternels, il n’y aurait pas de nourrisson. » (Discussion à la Société britannique de psychanalyse, autour de 1940.)
  • [63]
    D.W. Winnicott (1988), La Nature humaine, Paris, Gallimard, 1990, p. 134.
  • [64]
    F. Gantheret (1983), L’impensable maternel et les fondements maternels du penser, Nouvelle revue de Psychanalyse, « Liens », p. 7-8.
  • [65]
    P. Aulagnier (1975), La violence de l’interprétation, Paris, puf, p. 18.
  • [66]
    Ibid., p. 77.
  • [67]
    P. Aulagnier (1992), Voies d’entrée dans la psychose, Topique, « Penser l’originaire », n° 49, p. 7.
  • [68]
    P. Aulagnier (1984), L’apprenti-historien et le maître-sorcier, Paris, puf, p. 217.
  • [69]
    W.R. Bion (1963), Éléments de psychanalyse, Paris, puf, 1979, p. 63.
  • [70]
    W.R. Bion (1962), Aux sources de l’expérience, Paris, puf, 1979, p. 21.
  • [71]
    Ibid.
  • [72]
    W.R. Bion (1977), Césure, Entretiens psychanalytiques, Paris, Gallimard, 1980, p. 249 et 251.
  • [73]
    P.-C. Racamier (1979), De la psychanalyse en psychiatrie, études psychopathologiques, Paris, Payot.
  • [74]
    S. Freud (1924), Névrose et psychose, Névrose, psychose et perversion, Paris, puf, 1973, p. 286.
  • [75]
    S. Freud (1938), Le clivage du moi dans le processus de défense, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, puf, 1985, p. 284.
  • [76]
    D.W. Winnicott (1974), La crainte de l’effondrement, Paris, Gallimard, p. 19.
  • [77]
    B. Chervet (2009), L’après-coup, la tentative d’inscrire ce qui tend à disparaître, rfp, t. LXXIII, n° 5 ; Présentation de La tentation psychotique de Liliane Abensour, quelques réflexions sur le fonctionnement psychotique, rfp, t. LXXIV, n° 2.
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