1Selon la définition de l’inventeur de la psychanalyse, celle-ci est une méthode d’investigation, un mode de traitement et un corpus du savoir.
2Les analystes fidèles à la pratique de Freud écrivent des comptes-rendus d’analyse et certains d’entre eux publient des études de cas venant à l’appui d’un propos théorique.
3L’ensemble des publications constitue le corpus de savoir qui permet aux générations successives de psychanalystes de se former et de nourrir la dialectique nécessaire entre la praxis et la théorie.
4Mais écrire en psychanalyse est un exercice risqué et même périlleux car il y a en apparence une certaine antinomie entre le désir de communiquer son expérience de thérapeute et celui de respecter la vie privée de l’analysant, si privée qu’elle est l’intimité la plus profonde de celui-ci, qui ne peut être jetée en pâture aux lecteurs de l’écriture psychanalytique, même si ceux-ci appartiennent au monde de la psychanalyse.
Le respect de la vie privée est protégé par la loi
5En effet, le respect de la vie privée est un droit fondamental dans tous les états de droit qui ont ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales adoptée en 1950, en référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948.
6L’article 8 de la convention dispose que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
7En droit interne, la Constitution de la Ve république du 4 septembre 1958 proclame dans son préambule son attachement aux droits de l’homme. De manière plus précise, l’article 9 du Code civil dispose que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
8Toute atteinte à la vie privée qui entraîne un préjudice moral ou matériel peut donner lieu à une action en réparation devant la justice qui se traduit par l’allocation de dommages-intérêts.
9De surcroît et indépendamment des textes généraux sus-rappelés, la relation entre l’analyste et l’analysant est liée par le contrat analytique conclu entre le patient et le thérapeute lequel comme tous les contrats entre dans le domaine qu’on appelle le droit des obligations. Chacune des parties s’engage à des obligations réciproques. Le patient paye ses séances au psychanalyste pour que celui-ci écoute sa parole censée être libre dans ses associations, avec l’assurance que son analyste respectera scrupuleusement le caractère confidentiel de cette parole révélant le secret de son inconscient.
10Le non-respect de cette obligation ardente du secret du patient est comparable à ce que serait la révélation d’une confession ou des confidences données par un client à son avocat. Cette atteinte au respect du contrat analytique engagerait la responsabilité professionnelle de l’analyste et se traduirait par une condamnation éventuelle à des dommages-intérêts pour réparer le plus souvent un dommage moral mais qui peut être aussi matériel, par exemple dans le cursus professionnel du patient.
11À cet égard, la spp n’entretient aucune ambiguïté sur l’application de la règle du secret.
12Dans sa plaquette de présentation destinée au public, elle rappelle dans un chapitre consacré à l’éthique que : « La première contrepartie de la règle fondamentale (la libre parole du patient) est, de la part de l’analyste, le respect absolu du secret et de la personne du patient. L’exigence technique se confond ici avec l’impératif éthique. Les membres de la société psychanalytique de Paris s’engagent à respecter le code d’éthique élaboré par la commission de déontologie de la société ».
13Ainsi, la spp a arbitré entre deux exigences contradictoires, celle pour l’analysant d’aller au plus profond de son intimité et de sa vie psychique en se livrant à son analyste et celle de ce dernier lui imposant le respect absolu de son secret professionnel.
14Il faut d’ailleurs rappeler que la violation du secret professionnel est susceptible d’être sanctionnée par une sanction pénale, selon les dispositions de l’article 226-13 du Code pénal, cette sanction pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.
15Cet article est ainsi rédigé : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »
16Le psychanalyste est incontestablement soumis à cette disposition pénale puisqu’il est dépositaire par profession des confidences de ses patients. Bien sûr, pour qu’une action publique soit déclenchée, cela supposerait que le patient qui se prétend victime d’une violation de sa confidence dépose une plainte auprès du Procureur de la république.
17Le délit visé par l’article 226-13 du Code pénal n’est constitué que si trois éléments nécessaires sont réunis : une information à caractère secret, une personne dépositaire d’une telle information et une révélation de cette information. Sur ce dernier point, la jurisprudence considère que l’élément moral du délit implique la conscience qu’a l’auteur de la révélation de violer le secret dont il a connaissance, quel que soit le mobile qui a pu déterminer cette infraction.
Toujours selon la jurisprudence, l’infraction existe dès que la révélation a été faite avec connaissance, malgré l’absence de toute intention de nuire.
On peut donc affirmer qu’aujourd’hui le praticien de la psychanalyse est, comme toute autre personne dépositaire d’un secret par profession, tenu au respect absolu du secret dû à son patient.
Écrire en psychanalyse exige une grande prudence quant à l’exposé de cas cliniques tirés de la pratique de l’analyste
18Il n’est pas vain de rappeler que le code d’éthique de la spp qui figure à l’annexe 1 de son règlement intérieur dispose justement en son article II, A, 3 que : « Le psychanalyste doit assurer le secret absolu à son patient ».
19L’article II, B, 6 précise, pour sa part, que : « Dans leurs communications scientifiques, les analystes doivent s’exprimer avec une extrême prudence et éviter tout risque de connaissance par autrui malgré l’anonymat. Ils doivent mesurer les répercussions, en toute occurrence, sur le patient lui-même, de la lecture de son cas. En aucun cas, l’intérêt scientifique ne doit prévaloir sur les intérêts de la cure ».
20Peut-on mieux inciter les membres de la spp à la prudence qui doit présider à l’élaboration d’une communication scientifique dont les éléments sont extraits d’une cure.
21Une décision assez récente, rendue le 24 mai 2006 par la Première chambre du Tribunal de grande instance de Paris, est sans doute la première du genre concernant la profession de psychanalyste. Elle constitue la première jurisprudence appliquant les grands principes concernant le secret à cette profession. Le tribunal avait en effet été saisi par un patient qui reprochait à son analyste dans le cadre d’un ouvrage de librairie publié, d’avoir décrit son cas de telle manière qu’il s’était reconnu en raison de détails précis évoqués, et que certaines personnes de son entourage l’avaient également reconnu, lui causant un trouble moral grave puisqu’il estimait que son analyste l’aurait présenté comme « border line ».
22Le tribunal, dans ses attendus pour justifier la réparation du préjudice moral qu’il a accordé au patient demandeur à la condamnation, a jugé « qu’eu égard à la vulnérabilité de l’analysant qui s’expose en livrant en séance ce qu’il a de plus intime, X. aurait dû prendre davantage de précautions pour travestir, de manière plus conforme aux exigences de rédaction d’une étude de cas, la narration de la cure de son patient, sans se contenter de changer son prénom ».
23Il apparaît donc que « l’analyste qui fait la relation d’un cas clinique, ne peut se contenter de changer les éléments de l’identité du patient concerné. Le tribunal exige que l’analyste ne peut, sans risquer d’engager sa responsabilité professionnelle, se dispenser, dans une étude de cas, de modifier substantiellement certains éléments du récit, dès lors qu’il ne nuisent pas à la démonstration qu’il veut faire, de manière à éviter la violation de son devoir de confidentialité ».
24Le tribunal a conclu : « Tout en publiant des informations concernant tant l’intimité que l’organisation psychique supposée de cet ancien patient, X. a violé la règle du secret professionnel et de la confidentialité ».
25Cette décision de justice, pour l’instant isolée, peut être néanmoins considérée comme une décision de principe créant ainsi un précédent qui doit être pris comme un avertissement à l’égard des psychanalystes qui feraient prévaloir leur désir de publier des cas vécus par des analysants au mépris du respect de la vie privée, droit fondamental reconnu comme un des droits de l’homme qui comme d’autres droits de la personnalité, tels que le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sûreté ou encore la liberté de pensée, de conscience et de religion ou la liberté d’expression, transcende des droits plus relatifs, destinés à organiser les relations humaines dans le cadre d’une société développée et moderne et qui peuvent donner lieu dans leur interprétation à moins de rigueur que les droits fondamentaux qui protègent l’intégrité physique, morale et intellectuelle de l’être humain.
26Jean-Michel Braunschweig
15 rue Mechain
75014 Paris
Mots-clés éditeurs : code d’éthique, contrat analytique, délit pénal, dommage, cas clinique, compte-rendu d’analyse, confidentialité, droit fondamental
Date de mise en ligne : 29/06/2010
https://doi.org/10.3917/rfp.742.0483