Couverture de RFP_735

Article de revue

L'après-coup.

La tentative d'inscrire ce qui tend à disparaître

Pages 1361 à 1441

Notes

  • [1]
    Les limitations éditoriales n’ont pas permis d’intégrer le sommaire détaillé et la bibliographie complète d’origine parus dans le Bulletin de la SPP, no 90, 2008. Des 13 vignettes cliniques présentées, une seule a pu être conservée, celle de C... Tous les autres chapitres ont été remaniés et raccourcis.
  • [2]
    B. Chervet (2006), L’après-coup. Prolégomènes, RFP, t. LXX, no 3, 671-700.
  • [3]
    Deferred understanding, deferred obedience, deferred reaction, deferred comprehension, deferred insight, deferred revision, deferred operation, deferred use, deferred fashion, etc.
  • [4]
    Goethe (1814), Le Divan (notes et dissertations).
  • [5]
    Voir M. Proust, Lettre à Marie Nordlinger, printemps 1904.
  • [6]
    « Son âme se resserre au trou étroit de la molaire » (W. Busch), p. 226.
  • [7]
    Les exigences éditoriales obligent le retrait de 12 de ces moments cliniques, d’où le renvoi du lecteur à mon article de 2006 et à mon Rapport pré-CPLF paru dans le Bulletin no 90 de la SPP où ils sont tous présentés.
  • [8]
    Aphorismes et conseils attribués à Charcot et repris à son compte par Freud.
  • [9]
    « Au commencement était le Verbe » ou « Au principe était la parole » (Jean 1, 1).
  • [10]
    Goethe (1808), Faust I : « Au commencement était l’action ».

L’APRÈS-COUP AU PRÉSENT

1Un souhait s’exprime par le terme d’après-coup, qu’il y ait un après, conjugué à un autre, que l’avenir soit une retrouvaille d’un coup du passé. La quête d’un coup sans après, un coup de rêve, traverse toute la clinique des séances d’analyse. Il s’agit de sauver le coup de toute déception. Un contrecoup s’y oppose et tente d’inscrire ce qui tend à disparaître.

2Dans ce chapitre, après quelques filigranes théoriques, sera abordé le travail de l’après-coup proprement dit, ses moments, ses temps 1 et 2, ses scènes I et II. Une brève vignette clinique illustrera ensuite l’utilisation par la pensée de l’analyste de plusieurs patients successifs afin de réaliser un après-coup propice à l’interprétation.

3La dynamique de l’après-coup s’avère centrale dans toute cure. La parole d’incidence de l’analysant et l’écoute régrédiente de l’analyste en relèvent. Ils créent ensemble un après-coup analytique, moteur de l’effet thérapeutique.

4Les questions concernant la prégnance et l’incertitude de la réalisation de ces après-coups sont laissées pour le chapitre « L’après-coup en abyme et l’opération meurtre » (p. 1432).

Filigranes théoriques

5Le procès de l’après-coup est une théorie en action. Il contient la virtualité des théories de la temporalité, de la causalité, de la générativité, toutes référées à l’ensemble avènement-disparition-résurgence. Il est la matrice des conceptions scientifiques qui tentent d’appréhender le monde et sa genèse, la mentalisation et sa constitution, la vie et sa disparition. S’il est engagé dans tous les grands débats épistémologiques, c’est à cause de sa fonction princeps de mentaliser la réalité traumatique active au sein de la psyché.

6Toutes ces conceptions sont issues de la transposition, sur les réalités perceptibles, des opérations psychiques inconscientes qui constituent ce procès. Ces réalités sont élues et cooptées afin de servir de matériaux aptes à promouvoir la mentalisation. Les diverses mémoires et modalités d’inscription naissent du besoin de matériaux psychiques. Mis d’abord en réserve, ils ont pour destin de fournir les futurs retours nécessaires au traitement de cette réalité traumatique endogène auquel la psyché est contrainte de jour comme de nuit. Cette réalité traumatique se reconnaît elle-même en la perception de tout manque inhérent à toutes différences. Elle s’éprouve et s’exacerbe à la perception du manque.

7Ainsi la psyché est-elle une fabrique de retours dans sa fonction antitraumatique et une fabrique de formations de l’inconscient dans sa fonction générative. Se dessine un besoin de mémoire, un devoir de mémoires multiples, inconscientes. La mémoire se révèle messagère de ce qui la contraint à s’inscrire comme telle et de ce qui la menace d’effacement. Elle se dévoile mémoire des procès psychiques, ceux déjà efficients et ceux empêchés ou restés potentiels. L’après-coup est une réminiscence des procès qui le constituent et des tendances qui le contraignent et l’animent. Il est une mémoire processuelle.

8Freud crée le terme Nachträglichkeit en 1897, puis en 1917 il cesse de l’utiliser quand il perçoit que la notion de traumatisme est liée à une qualité fondamentale de la pulsion. Dans un travail antérieur [2], j’ai souligné cette disparition du seul substantif. Tout analyste est habitué à prêter attention à de tels signes minimes, sachant qu’ils recèlent une significativité latente. Au sein du travail de théorisation de Freud, la création du substantif relève de l’abord phénoménologique, de la genèse temporelle en deux temps des symptômes, sa disparition coïncide avec l’approfondissement métapsychologique de la dimension régressive qui devient une qualité propre à chacune des pulsions constituant la dualité pulsionnelle. L’après-coup s’avère être la forme de l’organisation de la sexualité humaine, avec son biphasisme et ses périodes de latence. Cette disparition s’accompagne de l’extension de l’après-coup à tout procès psychique, qu’il s’agisse de ceux impliqués dans la genèse, dans l’instauration ou le fonctionnement psychique. Il est leur dénominateur et référentiel commun.

9Le terme après-coup désigne le résultat temporel et manifeste d’un travail psychique latent et intemporel, et le procès même de ce travail. Le travail de l’après-coup appartient aux activités psychiques régressives de la passivité. Il est animé par une motion régressive, par un impératif à produire un matériau progrédient et par une référence à un fonctionnement mental idéal dont il est, accompli, le modèle.

10Le travail psychique qui tente de répondre à la tendance extinctive du pulsionnel est une théorie agie du fait que, pour traiter la réalité traumatique, il met en scène une conception de celle-ci ; ainsi de la théorie du père auteur de la castration. La pensée théorisante est ainsi agie bien avant de se formuler. De fait, le rêve est toujours une théorie libidinale du monde, une théorie du complexe de castration, cette dernière devenant alors une conséquence de la libido. L’activité psychique diurne peut agir aussi une telle conception libidinale. Elle poursuit alors le travail de rêve en intégrant et interprétant les discontinuités et déperditions perçues et ressenties. La pensée est alors animiste. Le trauma y est envisagé comme une conséquence d’un événement d’origine externe, provoqué ou fortuit, et cause d’un destin libidinal funeste.

11Un pas reste à faire, celui de la reconnaissance de la nécessité qu’existent, pour le fonctionnement psychique, de telles théories libidinales, les théories infantiles et celles du déni. Ainsi la résolution d’un deuil ne peut-elle s’accomplir que si les activités psychiques régressives sont disponibles. Or celles-ci reposent sur la capacité de dénier momentanément ce qui contraint le deuil. Le mort doit aussi être un disparu dans une scène primitive.

12Le déni a une fonction psychiquement positive quand il est temporaire et réversible. Il permet les activités psychiques régressives de la passivité au contact du refoulé, responsables de la régénération libidinale. Suite à quoi, dans un second temps, il peut et doit être abandonné momentanément. Le travail de l’après-coup intègre ces théories du déni et celles de la résolution.

13Le procès de l’après-coup se définit par deux caractéristiques : sa complexité et son insaisissabilité. Un autre facteur renforce celles-ci, son incertitude qui accompagne son déterminisme ; d’où les multiples vicissitudes cliniques.

14En réaction à cette insaisissabilité, trois écueils se présentent : la complication, voire l’hermétisme ; la simplification, ou propension à aborder l’après-coup par un seul de ses composants ; et l’esthétisation par la création de quelque effet d’après-coup.

15Concrètement, complexité et insaisissabilité sont le reflet des trois « pas » de Freud constituant sa théorie des pulsions ; tout particulièrement de son 3e pas. Freud définit celui-ci en 1920 par une qualité très singulière de la pulsion, son caractère conservateur, c’est-à-dire sa qualité régressive, sa tendance au retour à un état antérieur jusqu’à l’inorganique. Freud rompt alors définitivement avec le positivisme qui dominait encore les deux premiers pas que sont la sexualité infantile et le narcissisme. Preuve en est, l’évolution de sa conception de la régression. En 1900, elle embrasse les retrouvailles sensorielles ; en 1914, elle se love dans le giron fœtal ; en 1920, elle s’abîme en deux extrêmes, l’inerte et l’infini.

16J’ai voulu, clinique à l’appui, prendre très au sérieux ce 3e apport de Freud, pensant que notre référence souvent polémique aux deux topiques tend à l’obérer. J’ai remplacé la longue formule de Freud par celle, plus condensée, de  régressivité extinctive. Pour Freud, elle concerne tant Éros que la pulsion de mort et cette double régressivité extinctive n’invalide en rien leur asymétrie.

17L’insaisissabilité est liée à cette régressivité, dans la mesure où son extinctivité ne peut se transposer sur aucune réalité traçable, donc échappe à tout traçage et toute représentation de chose spécifique. Le manque en soi est hors représentation de chose. La représentation du manquant se saisit toujours du reste et de ce qui fut, avant l’effacement. Elle interprète tout manque comme le résultat d’un retranchement. Par sa métaphore de l’ombilic du rêve, Freud vise déjà cette régressivité extinctive qui ne peut se lier qu’à une perception, ressentie et pensée en tant qu’effroi et disparition ; perception effrayante du manque de pénis, prototype de toutes les différences ; théorie de la castration et de ses raisons d’être.

18La régressivité n’est, de ce fait, représentée qu’indirectement, par ses conséquences ; d’une part, par la contrainte à utiliser les traces perceptives émanant de réalités traçables et à les différencier en représentations de chose aptes à s’opposer à la tendance extinctive ; d’autre part, par les qualités émanant de ce travail, les traces de la processualité, ces traces de frayage que sont les affects.

19Elle contraint ainsi le travail psychique à se réaliser, l’ordre symbolique à s’instituer, l’impératif processuel à s’impliquer.

20Ajoutons encore une particularité ayant de grandes conséquences cliniques, le fait qu’il est possible d’atténuer cette insaisissabilité en octroyant à la régressivité un mot, un signe. Mais celui-ci n’a pas alors le statut de représentation de mot car il n’est pas relié à quelque représentation de chose. Il ne peut donc subir de régression formelle. Tel est le cas du mot castration en psychanalyse, à l’instar du mot, zéro en arithmétique. L’un et l’autre sont liés à des théories venant en lieu et place d’une trace manquante et d’une représentation de chose ne pouvant que manquer.

21La complexité, quant à elle, tient à la réponse à laquelle la psyché est contrainte en termes de mentalisation. Cette réponse repose sur le déni et la reconnaissance de ce qui la contraint. D’où son organisation selon la procédure en deux temps de l’après-coup. Le travail de rêve, le travail de deuil, le travail de séance sont tous des tentatives de réalisation de l’après-coup mues par la nécessité téléologique d’une liaison à la conscience. La coexistence de la régressivité et de l’impératif processuel frappe ce travail du sceau du biphasisme. Ainsi, toute clinique est un après-coup manquant à être accompli. Elle est à penser en référence à ce modèle idéal dont elle n’exprime le plus souvent qu’un moment.

22La différenciation clinique que permet l’extension du modèle de l’après-coup n’est pas à situer entre les productions relevant de l’après-coup et celles n’en relevant pas, mais entre celles relevant de tel ou tel moment de l’après-coup. Cette extension est présente dans la clinique de Freud. La distribution selon les moments fonde les bases de la nosographie psychanalytique.

23L’après-coup est composé de deux moments de travail séparés d’un hiatus. Grâce au saut économique qu’ils réalisent en deux temps, ils participent ensemble au traitement du traumatique.

24Cette troisième qualité de la pulsion est la principale source de l’éprouvé de désarroi et de déplaisir qui s’exprime à travers les impressions de complexité et d’insaisissabilité. En effet, la régressivité extinctive prend à son compte le traumatique attribué auparavant aux divers conflits transgressifs, d’abord interpersonnels puis intrapsychiques, et le place au cœur même de la pulsion. Le fait qu’elle s’oppose à l’objectalité et au narcissisme éclaire leurs vicissitudes. Cette troisième qualité n’est pas de même nature que les deux autres. Elle est responsable de l’existence d’un infantile de l’objectalité et d’un infantile du narcissisme. Il n’y a pas de linéarité entre ce troisième pas et les deux autres. La régressivité tend à l’extinction ; le narcissisme est chargé de la conservation ; la sexualité infantile, des aspirations à la satisfaction.

25Avec ce 3e pas dans la théorie des pulsions, la dimension traumatique se trouve donc inscrite au cœur même de la pulsion, voire de la libido. Elle n’est plus seulement un effet de la pulsion sur une psyché déjà organisée, elle se définit en tant que qualité primordiale de la pulsion pouvant grever l’installation même de cette organisation.

26La complexité trouve sa source dans le fait que cette tendance extinctive oblige à penser nécessairement un autre pôle s’opposant à elle, une contre-contrainte tendant à inscrire psychiquement ce qui tend à disparaître ; ne serait.ce que par la forme ultime d’une mise en abyme. Il s’agit dès lors d’introduire dans la métapsychologie un impératif de réalisation d’opérations psychiques, un impératif processuel, un impératif tiers s’opposant à l’extinction propre aux deux tendances pulsionnelles. Nous reconnaissons là ce qui était déjà pressenti au niveau de la technique, les raisons d’être de la Règle fondamentale, cette contrainte impersonnalisée depuis l’abandon de la suggestion et du forçage d’influence. L’incertitude de l’après-coup relève donc d’une incertitude de la réponse de l’impératif.

27C’est ce couple régressivité extinctive - impératif processuel, qui fonde les bases du procès de l’après-coup, c’est-à-dire de cet ensemble d’opérations, de processus au sens de Vorgang, réalisant le processus de l’après-coup, au sens de Proceβ.

28Certes, il est dès lors aisé d’identifier le coup avec l’effet de cette régressivité extinctive, et le contrecoup avec la réponse émanant de l’impératif processuel. Dans cette conception, la notion d’avant-coup devient une ineptie, sauf à être considérée comme une réalisation de désir, le souhait que quelque chose existe avant même toute existence ; une hégémonie de l’existant. La notion d’avant-coup dit la théorie prototypique du déni.

29Certes le terme de coup est-il ambigu. Il désigne un destin sado-masochique de la haine, avec une transvaluation possible de celle-ci sur le mode d’Un enfant est battu. C’est en défaisant l’amalgame sado-masochisme-haine-traumatisme que Freud a pu reconnaître l’existence de la régressivité extinctive interne à la pulsion. Cela l’a obligé à penser un autre pôle s’opposant à cette extinction, le pôle de l’impératif surmoïque. Le mot coup s’avère donc porteur d’une théorie que la notion de régressivité extinctive ne contient pas. Il est un appel au masochisme là où le sujet est aux prises avec le traumatique. Il co-sexualise le traumatique et affirme une existence là où l’inexistence se laisse deviner.

30Le couple basal régressivité extinctive - impératif processuel agit une retenue qui fonde une tension, donc un masochisme premier, de fonctionnement. Ce masochisme de fonctionnement, sans sadisme, inclut le contrecoup. Il est réminiscence et dissimulation de ce qui a présidé à son avènement, le coup de la tendance extinctive et le contrecoup de l’impératif de retenue.

31C’est par ce masochisme de fonctionnement que le procès de l’après-coup est d’abord à l’origine des motions pulsionnelles constitutives d’un Ça envisagé en tant que grande réserve de libido. D’autres opérations créeront ensuite la pulsion avec sa source, sa poussée, son but et son objet, ainsi que la sexualité infantile utilisant de façon auto-érotique les représentations d’objet. L’après-coup est impliqué à chacune de ces étapes de la théorie des pulsions. Soumis à la contrainte des aspirations à régresser au-delà du principe de plaisir, il réalise les opérations permettant la mutation de ce régime traumatique. Orienté par le principe de résolution, il travaille à l’instauration du principe de plaisir.

32Ainsi étudié de façon éparse par Freud, l’après-coup ne devient intelligible que par la révélation de cette troisième qualité pulsionnelle. C’est celle-ci qui permet d’envisager la fonction transformationnelle du travail psychique. Son organisation en deux temps et sa bipolarité sont liées à la double contrainte qui l’habite, la contrainte régressive jusqu’à l’extinction et la contre-contrainte de l’impératif à réaliser et inscrire des actes processuels. L’un des deux pôles est occupé par un travail envers la tendance à la disparition, un travail de retenue et de double retournement ; le second, par un travail de liaison à la conscience, par une élaboration secondaire, une mise en code.

33Souvent sont nommés après-coups les seuls résultats progrédients de ce procès, les formations psychiques. C’est le sens même de Nachträglichkeit, porter vers l’avant. Pourtant le substantif est né du souci de Freud de rehausser l’en-deux-temps et l’entre-deux-temps. Et son abandon en 1917 s’explique par la valeur qu’il reconnaît à la régressivité dans le procès de l’après-coup, valeur que le terme laisse trop de côté. D’autres raisons viennent expliquer cet abandon, en particulier la complexification de la théorie de la causalité. Le déterminisme ne peut suffire. Le procès de l’après-coup nous apprend que les causes premières doivent être transformées sous l’influence des causes dernières afin d’être mises au service du psychique ; sinon elles sont psychiquement néfastes.

34La double contrainte et le biphasisme qui en découle révèlent une fondamentale discontinuité. Le hiatus se situe entre la contrainte à l’extinction jusqu’à l’inorganique et celle à l’inscription encodée jusqu’à la conscience. Entre les deux prennent place tous les intermédiaires de la réalité psychique. L’hétérogénéité topique, l’oscillation dynamique sont les reflets de ce hiatus ; ainsi que l’intermittence économique de la psyché. Si Psyché ne se sait pas étendue, elle ne se sait pas davantage intermittente.

35Mais d’où vient alors la continuité ? Un autre point de complexité apparaît. Elle est le résultat du travail de la psyché et a deux origines : les théories du déni et, de façon plus inattendue, le processus secondaire. L’élaboration secondaire a, en effet, un dessein que nous avons déjà évoqué, celui de présenter à la conscience des matériaux reliant à celle-ci les économies et fonctionnements les plus régressifs. Elle y parvient en réalisant un encodement. Elle fabrique de la syntaxe qui impose la succession, la chronologie. Elle transmet ainsi un message d’apparente continuité, même quand elle discourt sur la discontinuité. Comme l’accès à la conscience dépend de ce principe du code, l’élaboration secondaire entretient avec le déni des relations inextricables et inévitables. La logique résolutive du processus secondaire contient donc une autre logique qui s’y oppose, celle du déni. Elle agit un déni par son action même, puisqu’elle fait exister par le code ce qui relève de l’inexistence. Où l’on retrouve le zéro et la castration. Parler de la castration s’avère être à l’opposé de sa réalité. D’où la ruse du clivage obligé consistant à en parler et à la dénier dans la même envolée.

36Ces réflexions appellent quelques remarques : l’existence d’une isomorphie entre le code et la nature de la conscience ; celle d’un réseau de relations entre code, conscience et déni.

37Cet aspect de l’après-coup confère à l’interprétation psychanalytique sa subtilité et sa dynamique en deux temps. En effet, prise par sa nature langagière dans la ruse signalée plus haut, elle est toujours double, puisque sa vérité participe au déni. De même, la régressivité extinctive peut être nommée au sein d’une théorie qui l’intègre, comme j’essaie de le faire, mais jamais sa nomination n’abolira son insaisissabilité !

Le travail de l’après-coup, ses moments : les temps 1 et 2, les scènes I et II

38Les travaux postfreudiens nous permettent de repenser les moments devenus classiques de l’après-coup, les temps 1 et 2, les scènes I et II qui font partie de notre corpus commun.

39C’est en 1895, dans le Proton Pseudos du Projet, à propos d’Emma, que Freud décrit, avant de le nommer, l’après-coup et ses moments. Son récit s’appuie fidèlement sur les apports pré-analytiques de ses maîtres, la théorie du symptôme de Charcot et la technique cathartique de Breuer. Charcot décrivit l’organisation temporelle diachronique des symptômes hystériques en deux temps, le temps 1 du choc traumatique et le temps 2 du symptôme après coup ; entre les deux, une période qu’il nomme incubation psychique ou élaboration psychique. Breuer inventa la méthode cathartique par rétrogression remémorative et élaboration associative.

40Freud se différencie de ses prédécesseurs par sa recherche étiologique, par la notion d’attraction régressive du noyau pathogène et par le contenu qu’il lui reconnaît, le facteur sexuel. Sa préoccupation étiologique entre en isomorphie avec la tendance de ses patients à se remémorer selon un cheminement temporel à rebours. Soucieux de libérer les troubles psychiques de l’impasse de la dégénérescence, il conserve ces repères temporels et le mouvement de régression temporelle, mais impose, par un impératif de verbalisation, un lien à la conscience. Cela l’amène à proposer une nouvelle conception du symptôme et du traitement : toute remémoration est un après-coup d’un souvenir inconscient ayant acquis, dans l’après-coup de son refoulement, la valeur de coup traumatique.

41L’interprétation du rêve naît de l’intérêt qu’il accorde à l’entre-deux-temps, au travail de la latence dont le travail de rêve, entre deux moments diurnes, est le prototype. Il met ces contraintes à régresser et à porter à la conscience au service du but thérapeutique et les impose en tant que protocole et règle fondamentale.

42Emma présente une agoraphobie des boutiques. Son symptôme se corrèle successivement à deux souvenirs inconscients renvoyant chacun à une scène : une récente, la scène I, des commis : « Le souvenir de la moquerie des commis lors de l’entrée de Emma à 13 ans dans une boutique » ; une ancienne, la scène II, de l’épicier : « Le souvenir refoulé des attouchements subis par Emma dans une autre boutique quand elle avait 8 ans. »

43L’attention que Freud accorde à la temporalité du dire de séance lui fait ajouter, à la voie chronologique de l’histoire de la maladie, la diachronie propre à la remémoration. Il numérote les scènes remémorées selon leur chronologie de verbalisation et inverse le cours du temps. Il nomme donc scène I la première énoncée en séance, qualifiée par Emma de souvenir récent, celui du rire des commis ; scène II, celle dite en second et qualifiée de souvenir ancien, celui du pincement de son bas-ventre par l’épicier.

44La reconstitution chronologique aboutit à un temps 1 décomposé en une scène II précoce et une scène I tardive, puis un temps 2 symptomatique, l’agoraphobie quant à entrer seule dans une boutique. Entre les deux, un temps de latence avec la puberté.

45Freud remplace le choc événementiel de Charcot par un événement choquant, une séduction transgressive par éveil prématuré de la sexualité objectale.

46Pour éviter toute confusion entre la numérotation des temps et des scènes, je nommerai la scène I des commis scène-I-récente, et la scène II de l’épicier, scène-II-ancienne.

47Une difficulté est issue du jeu de ces temporalités croisées et inversées. Le jeu des scènes est beaucoup plus aisé à manier du fait qu’il fait appel à des représentations de chose – l’épicier, sa main, les commis, leur rire. La temporalité exige l’ordonnancement chiffré.

48Dans le discours associatif, les souvenirs se présentent chronologiquement selon un ordre inversé à celui de l’historicité de leurs contenus. Ces qualités de récente et ancienne sont des qualifications associatives, relevant avant tout du dire du patient.

49Plus tard, dans « L’Homme aux loups », Freud décrit une série de scènes remémorées, où se mêlent rêve, phobies d’enfance, souvenirs-écrans. La scène actuelle du transfert devient une énième scène.

50Le déroulement progrédient de la remémoration construit donc la série régrédiente des souvenirs. L’associativité construit la voie régrédiente. L’activité régressive de séance suit en même temps deux axes : progrédient, temps 1 > temps 2 ; régrédient, scène-I-récente > scène-II-ancienne.

51Dès lors, trois temporalités se superposent en séance : celle, chronologique, du dire de l’associativité ; celle, inversée, des contenus de remémoration ; et celle de la reconstruction secondaire d’une chronique de la maladie.

52L’apport essentiel de Freud est sa conception du travail de l’entre-deux-temps basé sur le travail de rêve et sur cette double temporalité de la séance. L’à-rebours de la remémoration est bien plus qu’une inversion temporelle, c’est une régression fonctionnelle. Si la remémoration reprend à son compte la charge traumatique du choc, si le souvenir devient le trauma, c’est que la régression s’ouvre sur le régime traumatique. La remémoration est la voie de l’effet thérapeutique parce qu’elle permet une élaboration de ce régime pathogène. Le souvenir est en fait une réactualisation du choc du temps 1 en même temps qu’il est une production ayant valeur de symptôme, donc de temps 2.

53C’est une conception d’un appareil psychique apte à remonter le temps qui se trouve présentifiée. Remonter le temps au sens où l’on remonte nos montres ; c’est-à-dire laisser s’installer, à partir d’un régime psychique élaboré, une activité psychique régressive de la passivité, condition pour que l’économie régressive soit transformée en libido progrédiente. Ce travail réalisé dans la passivité aboutit à une régénération libidinale de la psyché. Il redonne du temps au temps.

54Entre les deux scènes, récente et ancienne, existe un montant de l’après-coup, c’est-à-dire un gradient de temps venant dire une différence entre deux régimes économiques opposés. L’interaction entre les deux permet le passage d’un régime régressif caractérisé par l’extinction, à un autre régime, le principe de plaisir. Cette mutation se fait sous l’égide du principe de résolution. Celui-ci exigera encore une autre étape, dénommée endeuillement. Mue par une générativité, cette logique progrédiente subit l’influence d’un impératif résolutif qui dessine une fin et en limite l’infini.

55Déjà la communication d’un cas de paranoïa (1915) nous invite à porter attention à la disposition temporelle du dire, à la précession de certains contenus sur d’autres, à leur distribution selon plusieurs séances successives. La différenciation des temporalités de séance permet d’aller plus loin.

56La scène-II-ancienne ne peut exister qu’à partir du moment où la scène-I-récente est trouvée-créée par le patient. Dès lors, la séance devient la tentative de chercher, trouver, créer une scène-I-récente, par laquelle pourra advenir une scène-II-ancienne.

57La scène-II-ancienne ne devient un contenu refoulé qu’à partir du moment où la scène-I-récente a été trouvée. La différenciation de la scène-II-ancienne en représentation de chose-épicier refoulable est rendue possible par la mise en latence de la représentation commis. La scène-II-ancienne change alors de statut. À partir du moment où elle est différenciée en représentation de chose, sa conservation est assurée par son refoulement. Elle accède à l’intemporalité. Auparavant, elle est une trace, un contenu soumis à une régressivité d’effacement, immobilisé par un mécanisme s’opposant à l’effacement et relevant du pare-excitation.

58En 1896, Freud parle d’empreinte pour décrire une trace non différenciée en représentation de chose. D’où l’hypothèse post-1920 que l’économie sise au niveau de la trace-épicier est une économie régressive traumatique, au-delà du principe de plaisir, menacée d’extinction. Son refoulement exige une transformation. Il revient au pare-excitation de l’immobiliser et de dénier tout ce qui éveille sa tendance extinctive. Ce procès d’immobilisation est à l’origine de ce que Freud nomme les impressions précoces (1915, 1938).

59La scène-I-récente sert donc de véhicule à un surinvestissement permettant que la scène-II-ancienne devienne une représentation de chose refoulée et soit soumise au principe de plaisir. Telle est la fonction de la mise en latence de la scène-I-récente, de servir de support à une liaison à la conscience de la scène-II-ancienne, par la production d’un substitut manifeste. Chaque production psychique s’avère bien être un après-coup d’un matériau inconscient ayant acquis, dans l’après-coup de son refoulement, la valeur de coup traumatique.

60Les apports de 1920 permettent aussi d’envisager que la scène-II-ancienne est une étape dans le traitement de la régressivité et la production des motions pulsionnelles. Ainsi la trace épicier est-elle déjà l’objet d’une première transposition de la régressivité extinctive, une 1re retenue s’opposant à celle-ci par immobilisation. La 2e étape est la différenciation et le refoulement de la représentation de chose-épicier, donc la création de l’épicier en tant qu’objet de la pulsion ; la 3e est l’avènement de l’épicier en tant qu’objet perdu. La réalisation de ces étapes se fait sous l’égide du but à atteindre, l’instauration de l’objet perdu ; d’où l’importance pour le déroulement de l’après-coup de l’impératif de résolution.

61Se laisse ainsi déduire l’existence, au sein de la scène-II-ancienne, d’une propension à chercher-trouver-créer une scène-I-récente qui permette cette transformation de régime économique. Le procès de l’après-coup va élire, se saisir et coopter certaines réalités extérieures, les scènes-I-récentes, avec la finalité de permettre une opposition et une retenue envers la régressivité extinctive attachée aux scènes-II-anciennes. Cette quête mutative va se faire grâce au jeu de la répétition, du fort-da. Il existe une préconception de la nécessité d’un tel en-deux-temps.

62Une différenciation importante est à établir entre les modes de répétition. La répétition de la scène traumatique de l’épicier est animée par une compulsion. L’après-coup tente alors de sauvegarder sa potentialité de transformation. En revanche, la répétition propre aux scènes-I-récentes signe un achoppement de l’accomplissement de l’après-coup. Ensemble, elles participent de la perlaboration.

63En résumé, le dire de séance réunit quatre identités. Il est un retour porteur de la dimension traumatique, donc un temps 1. Il est une formation psychique, donc un temps 2. En tant que réminiscence, il est aussi une scène-I-récente permettant l’accès à un matériau inconscient et une scène-II-ancienne actualisée en quête de scène-I-récente.

64Que l’analyste soit tour à tour et en même temps l’épicier choquant du traumatique et le commis de service séducteur par lequel l’économie régressive pourra être modifiée, personne aujourd’hui n’en sera surpris.

65L’après-coup organise donc tout autant la parole d’incidence du patient que la pensée interprétante de l’analyste. Le dire de séance est la seule certitude de l’analyste à condition qu’il prenne en compte l’imprévisibilité et l’incertitude de ses propres après-coups.

66En se piégeant lui-même par son enquête, en essayant de soumettre les dires de l’Homme aux loups au carbone 14 de la chronologie, Freud a poussé sa quête jusqu’à s’en libérer. Il perçoit alors que le transfert est une tentative de reprendre l’accomplissement de l’après-coup là où il s’était interrompu. La suite de son œuvre révèle rétroactivement la nature économique de ce montant de l’après-coup dont la séance est dorénavant un des pôles. La fonction de l’après-coup est de réduire une différence entre plusieurs régimes économiques et de faire de cette réduction une fabrique de temps.

67Le temps humain, c’est l’économie, sa régénération, bien sûr, mais surtout sa disparition, la perte d’une potentialité quand elle est muée en effectivité. Cette mutation ne peut avoir lieu que par la transposition de processus inconscients sur la processualité efficiente d’un autre, par un transfert sur un autre de la processualité.

L’après-coup et l’avènement de l’interprétation

68Centrons-nous sur un aspect de notre travail quotidien : comment l’interprétation peut-elle émerger de l’utilisation d’un patient par la pensée de l’analyste afin de réaliser un après-coup interprétatif concernant un autre patient ?

69Mlle A est une jeune femme qui n’a jamais consulté. Elle est « grande, mince, blonde » avec une ingénuité qui augmente le charme de son âge. Ces propos ne prendront toute leur valeur qu’avec la séance de M. B qui suit immédiatement cette consultation.

70La consultation est dominée par une tonalité hystéro-phobique et un discours manifeste de résistance à l’après-coup. Mlle A s’est prémunie contre l’éventuel excès de ses retours en apportant plusieurs pages qu’elle ne lâche pas durant l’entretien. Toutefois elle ne les lit pas. Pas question pour elle de revisiter son passé : elle est venue pour s’en libérer, alors à quoi servirait de le ressasser ? Elle veut aller de l’avant, sans entendre le double sens du mot « avant » ! Son malaise vient de son effort irrationnel de ne pas déplaire. être aimée, telle est sa quête. La théorie selon laquelle celui qui éveille un quelconque déplaisir ne peut qu’être rejeté, organise son propos. Jeune femme proche de l’adolescence, sa lutte l’aliène autant qu’elle dit son souhait de liberté. Il est aisé de reconnaître là une réminiscence, d’où l’attente d’une remémoration associative. Mais, pour elle, pas question de se retourner sur son passé.

71Tout en l’écoutant, mes réflexions se portent vers les origines d’une telle résistance à la régression temporelle ; ne pas se laisser capter par ses personnages identificatoires, agir à son insu leurs prescriptions, s’identifier au discours conjoncturel d’une jeunesse voulant obtenir un bien-être sans avoir à faire le détour par ce qui détermine le malaise. Quelques années plus tôt, en consultation, se libérer des hypothèques historiques aurait pris une autre forme de résistance, la revisitation systématique du passé. Dans tous les cas, il s’agit d’échapper à la reconnaissance du déroulement passif de l’après-coup.

72Je lui souligne ce silence sur son passé. Elle me répond que ce qui lui importe, c’est d’améliorer sa vie actuelle, son avenir. Puis elle précise que, pour elle, il s’agit de s’adapter à son interlocuteur. Elle se met alors à me parler de son passé. Elle tente d’être conforme à une demande qu’elle transpose sur moi. La dynamique transférentielle engagée devient cernable. Silencieux, je suis celui qui lui demande de ne pas se référer à son passé. En le lui soulignant, je deviens celui qu’elle déçoit, aussi tente-t-elle de s’adapter à mes supposées attentes. Son discours manifeste de refus de l’après-coup est donc bel et bien son propre après-coup de conformité.

73Quelques minutes après son départ, M. B arrive à sa séance. Marié, père de plusieurs enfants, sa demande d’analyse est motivée par son inquiétude envers l’irrésistibilité des corps des jeunes filles nubiles – un accrochage perceptif aux Lolita. Les formes féminines mûres sont sources d’écœurement, de dégoût. Ses tendances pédophiles sont aisées à penser sous l’angle de défenses antitraumatiques, un évitement phobique de la perception de la castration sur le corps de la femme, la jeune fille pubère mettant en scène par ses émergences corporelles la théorie comme quoi cela va pousser.

74Il s’allonge : « Grande, mince, blonde, petits seins, jeune... » « Comme vous les aimez », dis-je. « Comme je les aime, en effet. » Il utilise ma phrase pour soutenir son objectivation, alors qu’elle se voulait être un retour à son monde interne. Il tente de rester avec sa perception du pas de la porte. Il poursuit en disant qu’il viendra régulièrement en avance pour la voir sortir.

75Transférentiellement se dessine l’accès à l’analyste-mère par l’un de ses patients-enfants, le couple mère-fille nubile étant, pour lui, exempt de tout renoncement.

76« C’est donc celle que vous attendiez », dis-je.

77Il se justifie en précisant qu’il était là en avance, par hasard, qu’il ne savait absolument pas que cette patiente serait là, qu’il ne l’a jamais vue sortir de chez moi et qu’il ne pouvait donc pas l’attendre. Tenant compte du travail fait au cours des années d’analyse, je peux lui souligner l’une de ses résistances : « Vous n’aimez que le rationnel. » Sa rationalisation n’a toutefois pas éliminé son ressenti. Il poursuit sur ses attentes, son émotion, son dégoût, etc.

78Mon interprétation est porteuse d’un message implicite ; que son propos de début de séance traduit le transfert d’un perceptif créé par lui sur une perception trouvée et élue à l’orée de la séance. Mais elle porte aussi le message de la dynamique dont elle est issue, le message de la transformation en deux temps, grâce à un substrat commis, du traumatique épicier en représentation épicier.

79Quand M. B actualise en séance le moment épicier en m’impliquant et en utilisant ma patiente, je me saisis de celle-ci et l’utilise comme commis afin de traiter l’attraction régressive de la scène transférentielle épicier. L’interprétation devient alors possible : « C’est celle que vous attendiez. » C’est seulement après celle-ci qu’il est possible de déduire que j’étais moi-même, avant, en attente d’une occurrence commis.

80C’est la résistance à l’après-coup qui fait le lien entre Mlle A, M. B et moi-même. Le rapprochement de Mlle A et M. B est fortuit, alors que l’utilisation de Mlle A par M. B est hautement déterminée. L’analyste est alors contraint à se remettre au travail en utilisant lui aussi Mlle A, mais afin d’atteindre la compulsion traumatique de M. B.

81Cette séquence attire l’attention sur l’interprétation psychanalytique, sur ses deux visées en deux temps. Elle sollicite la différenciation des représentations de chose et tente de briser le déni de la régressivité extinctive. Entre-temps, se déploie l’après-coup analytique, transitionnel, ce Moi - non-Moi propre à la séance, fait de réminiscences croisées.

DESTINS SÉMANTIQUES ET SÉMÉIOLOGIQUES

Nachträglich et ses dérivés dans l’œuvre de S. Freud

82Nachträglich, terme courant de la langue allemande, et ses dérivés sont répertoriés environ 160 fois dans l’œuvre de Freud ; 6 pour le substantif Nachträglichkeit, les autres pour l’adverbe et l’adjectif ; plus 5 utilisations du substantif dans la lettre à Fliess no 146 du 14 novembre 1897, et une autre dans la lettre no 169 du 9 juin 1898. Nachträglich et Nachträglichkeit sont absents des mots clés des Werkkonkordanz.

83Nachträglichkeit articule Nach : après et Tragen : porter, supporter. Son signifié sémiotique est porter vers un après. L’ajout de keit lui confère le genre féminin.

84Sous la plume de Freud, Nachträglich désigne l’agencement diachronique d’un phénomène en deux temps et le lien de causalité et de déterminisme existant entre deux événements externes et mentaux. Le substantif Nachträglichkeit désigne le procès psychique inconscient, l’adjectif et adverbe Nachträglich, sa dynamique et ses résultats phénoménologiques.

85Des équivalents sont aussi utilisés : post-effet, post-action, ex post, ainsi que des expressions déclinant l’adverbe : abréaction, compréhension, élaboration, compulsion, obéissance, action, effet, etc. En insistant sur porter vers un après, ils privilégient la voie progrédiente et suspendent la logique d’inférence régrédiente qui part de cet après.

86Nachträglich, adverbe de temporalité, s’inscrit dans le point de vue génétique de la recherche étiologique de Freud. La notion de retour introduit une dynamique temporelle discontinue sur la voie progrédiente. La tentative de datation de Freud en sera l’apogée, en lien avec l’importance qu’il accorde à la notion de périodes.

87Un net écart est à noter entre l’usage que fait Freud des termes construits à partir de Nachträglich et sa fréquente référence au phénomène. Dans le Projet, seul l’adverbe est utilisé. Avec Emma, il insiste sur la précocité de la déliaison sexuelle et ses conséquences après coup. Puis, en 1896, il parle de l’action posthume d’un trauma infantile. Dans « Le Petit Hans », ses interprétations suivent les logiques de l’après-coup, sans qu’il le nomme ; à nouveau, en 1925, quand il articule les vu et entendu du complexe de castration avec le déni de sa réalité.

88Une remarque déjà évoquée : la disparition du seul Nachträglichkeit dans les textes de Freud après 1917. Cette disparition donne à penser à tout analyste. L’élaboration d’une qualité fondamentale de la pulsion, sa régressivité extinctive, est déterminante dans cette disparition. Le signifié progrédient se complète d’un autre accordant un rôle majeur aux aspirations régressives.

89La notion de retour, adossée à celle de tendance spontanée à devenir conscient, doit être révisée. Ces retours répondent à la régressivité qu’ils limitent et mutent en régression. S’ensuit une réflexion possible sur le coup et sur le travail psychique qui articule la régressivité à un contrecoup promoteur des retenue, mutation et inscription. L’élaboration des notions de régressivité pulsionnelle et d’impératif processuel, sur fond du trio pulsion de vie - pulsion de mort - Surmoi, rend trop approximatif le substantif Nachträglichkeit d’où le renoncement de Freud à l’utiliser.

90

Traductions et tenant-lieux

91En français

92Les premiers traducteurs de Freud en français ont su appliquer, en optant pour le mot après coup, la méthode de traduction idéale préconisée par Goethe, la conjugaison des littéralité et significativité. Le terme choisi ne doit pas « en donner l’idée, mais en tenir lieu ». Lacan, sensible à cette formule, reprend à son compte la notion de tenant-lieu.

93Cette méthode de traduction désigne un référentiel tiers, ici la langue psychanalytique, cette langue étrangère tant pour les langues d’accueil que d’origine.

94Tragen suggère porter et supporter, donc le masochisme. Coup dit le sadomasochisme mais également le traumatique. Nach et après introduisent le futur et l’optatif. Après-coup présentifie donc deux théories par retournement en son contraire du traumatique. L’une explique le manque par un coup (le manque de pénis comme après-coup de l’acte de castration), l’autre affirme une douleur là où il y a un manque (là où ça fait mal, ça existe).

95L’après-coup n’est apparu dans les index des traductions qu’avec les OCF.P. Il est présent dans celui des Écrits de Lacan et dans le Vocabulaire de psychanalyse de Laplanche et Pontalis.

96L’apparent dilettantisme des premiers traducteurs s’appuie sur la souplesse et les variantes de Freud lui-même. Lacan exacerbe ce maniement à sa guise des termes allemands et français. Mais, depuis son insistance, tous les traducteurs rehaussent la valeur conceptuelle du terme après-coup et cherchent à le stabiliser.

97Traduire Freud opte pour après-coup avec un trait d’union pour l’adjectif et l’adverbe, et propose l’effet d’après-coup, avec un trait d’union, pour le substantif. Ce choix s’étaie sur ceux de Strachey qui a retenu les expressions deferred action et deferred effect.

98Mais rapidement dans les tomes successifs des OCF.P sont utilisés, pour le substantif, l’après-coup avec un trait d’union, et, pour l’adjectif et l’adverbe, après coup sans trait d’union. Cet usage suit la démarche de Freud, substantiver un terme courant. Référencé depuis 1650 dans les dictionnaires français sous sa forme sans trait d’union d’adverbe de temps, après-coup avec un trait d’union peut désigner le concept métapsychologique. C’est cet usage qui est suivi dans ce rapport.

99Notons enfin quelques locutions de traduction : l’effet d’après-coup, la voie de l’après-coup (1895), le facteur de l’après-coup (1900), le montant de l’après-coup (1914).

100Dans les autres langues

101La SE va infléchir les choix de toutes les autres langues vers la dimension adverbiale de temporalité. La racine post se trouve privilégiée pour l’adverbe, l’adjectif et le substantif.

102Dans la SE, c’est le verbe to defer qui est utilisé pour désigner le phénomène de l’après-coup. Les expressions avec deferred – deferred effect, deferred action, entre autres [3] – rendent compte de sa détermination temporalisée. Des auteurs anglais ont introduit depuis les notions de retrogression et de retroactive attribution afin de compléter l’orientation progrédiente donnée par deferred. Mais la fonction économique primordiale du travail régressif inconscient de l’après-coup, son lien au masochisme, reste évincée par tous ces termes.

103Ces choix terminologiques renseignent sur l’implicite des conceptions du fonctionnement mental et de la méthode thérapeutique. Toutefois, une démarcation d’écoles basée sur le seul critère sémiotique est à pondérer.

Psychopathologie de la traduction quotidienne

104Les différences terminologiques illustrent le fait que ce procès est l’objet et le lieu même d’une tendance au conflit. Celle-ci s’actualise par une séméiologie de la traduction, par une série de lapsus calami.

105Quand Goethe décrit trois méthodes de traduction, il souligne la tendance des Français à privilégier celle qu’il nomme parodique [4]. Freud est lui aussi réservé quant à cette propension à infléchir la métapsychologie vers une psychanalyse à la française. Mais tout traducteur ne tente-t-il pas d’imposer sa langue mère [5] ?

106Une autre remarque : les concordances de traduction sont frappées d’une grande laxité. Pour 160 occurrences dans les GW, 46 dans la SE. Les OCF.P ont le souci d’une stabilisation ; demeure l’écart entre les divers volumes et avec Traduire Freud.

107Le plus significatif est l’existence de lapsus calami portant sur les traductions de Nachträglichkeit. J. Laplanche s’étonne d’une coquille dans le Vocabulaire. La traduction anglaise qui y est donnée pour Nachträglich est differed. Le mot anglais est en fait deferred, de « to defer », signifiant différer dans le sens d’ « ajourner ». Differed renvoie à to differ, different, difference. Il signifie : « différer, être différent, différends ». La prononciation est affaire d’accent tonique et le terme français différer favorise le lapsus. Mais, dans Traduire Freud, le symptôme insiste avec le néologisme : deffered.

108Ces lapsus mêlent écart temporel, différence et conflit. Différer agit le retour de la différence, du traumatique, et fait résonner la tendance au conflit entre le hic et nunc et le en-deux-temps ; entre le principe de plaisir et l’au-delà de ce principe ; entre réaliser ou non le travail de mutation permettant de passer d’un régime économique à l’autre.

Séméiologie de la conceptualisation

109Le cheminement de la conceptualisation de la métapsychologie est déterminé par les trois pas de la théorie des pulsions. Le prototype est perlaboration, concept utilisé à trois seules reprises, à chaque nouveau pas : 1895, 1914 et 1925.

110Nachträglichkeit suit un autre parcours. Substantivé par Freud en 1897, utilisé dans ses travaux à six reprises jusqu’en 1917, il est ensuite abandonné au profit de la métapsychologie du procès. La significativité de ce signe clinique a été abordée plus haut.

RÉTROSPECTION SUR LES CLINIQUES ÉCRITES

La clinique de S. Freud et l’après-coup

111Ni Freud ni ses patients n’étant là pour nous opposer une contrainte et une épreuve de réalité, les éléments cliniques qu’ils ont offerts à la postérité sont libres pour les resignifications et exégèses. Avoir le dernier mot sur un tel matériau malléable, une langue morte, engendre un embarras. D’où la tentation de réanimer les textes anciens et d’en faire des objets cultuels.

112La lettre à Fliess du 14 novembre 1897 et le Projet

113C’est dans cette lettre 146 que Freud forge le substantif Nachträglichkeit. Il évoque alors le Projet de psychologie, le chapitre « Le proton pseudos hystérique » consacré à Emma, où il décrit l’après-coup avec précision et utilise Nachträglich.

114La logique qui domine est celle de la régression temporelle associative, scène I récente - scène II ancienne. Elle s’inscrit dans le procès de remémoration. Seule l’expression manifeste du symptôme est sur la voie progrédiente.

115La remémoration articule l’adolescence à l’enfance, en partant de l’adolescence. C’est la précocité sexuelle du coup traumatique II qui se réactualise en I à l’occasion de l’éveil pulsionnel de la puberté. La communauté sexuelle entre II et I apparaît clairement.

116Le à-rebours mnésique est conçu d’abord comme spontané, puis il se révèle devoir être soutenu par un impératif à se souvenir, d’où l’instauration de la règle fondamentale. L’attraction par le noyau pathogène se trouve ainsi éveillée et contrée en séance.

117Se différencient les définitions des coup et après-coup déductibles des travaux pré-analytiques et de ceux de Freud. Selon la conception du choc, c’est l’apparition du symptôme qui est l’effet d’après-coup. Selon la recherche cathartique, ce sont les souvenirs successifs qui, à partir du symptôme, sont des après-coups ; et, selon la logique psychanalytique, chaque remémoration est un après-coup d’un souvenir inconscient ayant acquis, dans l’après-coup de son refoulement, la valeur de coup traumatique. Dans le premier modèle, le coup est lié à un événement traumatique ; dans le second, au souvenir ; dans le troisième, à la réminiscence, au retour de souvenirs refoulés posthumes.

118Les travaux de Freud et la Nachträglichkeit

119« La sexualité dans l’étiologie des névroses » (1898). — Ce texte est dominé par la préoccupation étiologique de Freud. Impliqué dans la détermination, l’après-coup se trouve en tête des facteurs composant la théorie des psychonévroses et rend concevable une méthode thérapeutique par laquelle les traces psychiques inconscientes peuvent être exhumées.

120L’interprétation du rêve (1900). — Freud utilise Nachträglichkeit une seule fois à propos d’une anecdote humoristique : « Un jeune homme, qui devint un grand admirateur de la beauté féminine, déclara, un jour où l’on en venait à parler de la belle nourrice qui lui avait donné la tétée : “Je regrette de n’avoir pas alors mieux profité de la bonne occasion.” » Freud fait de cette anecdote la référence prototypique de sa conception de l’après-coup.

121L’après-coup n’est donc plus spécifique des psychonévroses. Il appartient désormais à la pensée banale et participe même à l’humour et au mot d’esprit.

122Cette anecdote conjugue déni et reconnaissance de la réalité. L’illusion consiste à considérer que la sexualité infantile et la sexualité adulte sont en continuité, et que le rapport à la castration n’est pas venu révéler un hiatus et inscrire une discontinuité psychique.

123Freud rapporte cette anecdote dans le chapitre V, « Le matériel du rêve ». Dans le sous-chapitre, « Les sources infantiles du rêve », il illustre la participation des souvenirs de l’enfance au travail de rêve, puis montre la congruence des deux premières sources, les souvenirs récents et matériaux indifférents de la veille et les souvenirs d’enfance. Par les jeux de condensation et de déplacement se trouvent mêlés passé récent et passé distant. Leurs économies respectives se transfèrent de l’un à l’autre. Les souvenirs d’enfance sont porteurs de désirs inconscients infantiles relevant du régime du primaire. Ils transfèrent leur intensité sur les souhaits diurnes plus secondarisés. Ce transfert conjugue une attraction régressive et une aspiration élaborative.

124Sous la plume de Freud, l’anecdote apparaît dans un contexte associatif précis, à propos de l’un de ses rêves : « Les Trois Parques » (Knödel). Il n’est pas possible de reprendre ici en détail cette logique associative. Dans les lignes qui précèdent le récit de ce rêve, il est question d’une femme qui se bouscule, pour sortir, faire des courses sur le Graben, célèbre avenue de Vienne sur laquelle elle tombe sur les genoux. Puis Freud présente son rêve « Les Trois Parques » (Knödel). Une pensée incidente lui vient alors à l’esprit. Elle concerne le premier roman qu’il a lu à 13 ans dans lequel un jeune moine sombre dans la folie et crie les trois noms de femmes qui ont signifié, dans sa vie, bonheur et calamité. Freud poursuit : « Voilà qu’émergent, à propos de ces trois femmes, les trois Parques, qui filent la destinée de l’homme... » Sa pensée incidente le mène au destin funèbre de l’homme, et il mélange les Trois Parques avec le thème des trois coffrets et les trois âges de la femme. S’y reconnaît un retour de Graber ( « tombe » ) dissimulé dans « Graben » et une théorie infantile de la conception dans laquelle l’enfant naît de la terre et y retourne. La mère nourricière dissimule la séductrice empoisonneuse et la vie est source de culpabilité et de dette. Freud reprend cette thématique de la dette de vie en 1915 à propos de la guerre et la mort, puis en 1936 avec le sentiment de piété envers les aïeux. Cette dette est une association du rêve « Les Trois Parques » (Knödel) et suit le souvenir de Freud de la démonstration faite par sa mère, selon laquelle les hommes sont faits de terre.

125Se reconnaît là la culpabilité inconsciente, l’amalgame de celle liée aux désirs incestueux avec celle produite par la désexualisation, fondatrice de la part maternelle du narcissisme, vécue comme un meurtre de la mère ; d’où la redevance et l’offrande à la Terre-mère.

126Le complexe de castration reprend à son compte cette culpabilité issue de la désexualisation et promeut les logiques religieuses et expiatoires envers un parent pensé meurtri et à réparer. Se devine aussi le poids des demandes inconscientes aliénantes émanant de chaque parent, de leurs contre-Œdipe. Pour Freud, cette mère chérie, dont il est le fils aîné préoccupé de ne pas la laisser dépourvue de lui, en mourant avant elle ; et ce père auquel est adressé, sur l’Acropole, son sentiment de piété.

127Dans le rêve « Les Trois Parques » (Knödel), apparaît un matériau qui corrobore cette logique coupable. Il y est question de transgression quant à revêtir l’habit d’un autre, une redingote trop grande avec des arabesques turques. Le signifiant turc revient trois fois. Freud n’en dit rien. Mais un après-coup dans sa théorisation, l’oubli du nom Signorelli, implique une culpabilité envers le suicide d’un ancien patient turc. Nous y reviendrons.

128Cette logique coupable est constante dans toutes les interprétations de Freud de ses rêves de cette époque (l’injection faite à Irma, l’oncle à la barbe blonde, les Trois Parques) au nom de sa responsabilité : « C’est la faute à... » Son insistance à lier sa culpabilité et sa responsabilité de médecin paraît trop secondarisée.

129La même culpabilité se devine, sur fond d’humour, dans le regret envers la nourrice, bien que voilée par la douleur du temps qui passe. L’anecdote réalise le désir d’être jeune, façon d’épancher la culpabilité d’avoir fait tant de deuils et de meurtres.

130La construction précédente suit les voies intérieures de ma lecture. Vraisemblable, elle ne peut faire oublier cette remarque de Freud à F. Wittels : « Le vraisemblable n’est pas toujours le vrai » (1923). La littérature et l’art savent cette distinction et l’exploitent. L’après-coup y devient un style, la mise en abyme.

131

132« À partir de l’histoire d’une névrose infantile » (1914-1918). — Dans ce texte, Freud est animé d’une compulsion à la datation. Il veut établir une chronologie des événements psychiques remémorés, des réponses trouvées par l’enfant Sergueï pour traiter l’état de détresse vécue lors de l’éventuelle perception de la scène primitive. Ce faisant, Freud tente d’installer le contre-investissement qui manque à son patient. Il recourt à un croquis, à des représentations diverses, mais surtout à cet acte de chiffrage.

133Le procès de l’après-coup est à l’œuvre. Il se révèle sériel, polymorphe et insaisissable. D’où la tentative de le calculer. Le recours au chiffrage archéologique laisse deviner que la catégorie des représentations de chose ne peut répondre seule à l’attraction de la scène primitive. Mesurer le montant économique existant entre la scène primitive et les productions psychiques, en appeler à des signes abstraits, permet de s’opposer à cette attraction négative. Freud approche le contre-investissement primaire, celui réalisé par la détresse et la sensorialité. Un lien étroit entre scène primitive, affect et mathématiques se révèle.

134L’attraction-séduction laisse deviner l’enjeu : la désorganisation topique du sujet, sa dilution en la scène de jouissance du couple primitif ; d’où cet appel à la mesure et aux garde-temps.

135Une nouvelle conception du coup se dessine en rapport avec la détresse infantile, la régression traumatique et les procès nommés fantasmes originaires. Une asymétrie apparaît entre eux trois. Les deux premiers disent l’attraction par l’objet de la pulsion – en l’occurrence, la Bête à deux dos. Le troisième en désigne la conséquence et fait un appel au père de l’impératif processuel. En figurant les articulations des instances, les formules objectalisées des fantasmes originaires avec leurs représentations d’actions motrices fournissent un contre-investissement à cette attraction.

136Dans ce texte, Freud fait officiellement du transfert un après-coup. L’actualisation par répétition transférentielle fait partie de la perlaboration. S’y articulent dans le transfert l’ancien inconscient, le récent remémoré, l’actuel répété.

137Les résultats manifestes des contrecoups réalisés ainsi sont polymorphes. Le rêve, la phobie des guêpes, les divers souvenirs, le transfert de séance, les croquis et datations sont tous des après-coups, des écrans-couvertures de l’éprouvé de détresse et de l’effroi sous-jacent.

138Après avoir rectifié plusieurs écarts de temporalité, Freud utilise l’expression montant de l’après-coup. Son attention se tourne vers la valeur économique de ce procès, vers les différences de potentiels entre les scènes II et I. L’action qui porte sur l’économie régressive et se traduit par une production d’inscriptions régressives est désignée rétrofantasier. La datation vient ainsi freiner la régression traumatique et cerner les tensions des économies libidinales entre les divers lieux psychiques. Le montant de l’après-coup, en se formulant en écart de temps, traduit un écart d’économie.

139« Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique » (1915). — La sixième occurrence où Freud utilise Nachträglichkeit se trouve dans ce texte. Il y présente les deux entretiens qu’il a eus, à la demande d’un avocat, avec une jeune femme aux prises avec des faillites de ses investissements érogènes et des constructions palliatives. Elle tente de se protéger d’un effroi apparu depuis une scène érotique avec son amant où elle a perçu un bruit, pour elle suspect. Elle est en quête de raisons raisonnantes, de convictions, pouvant contre-investir sa désorganisation et permettre une néo-réorganisation.

140Son amant lui propose une solution phobique. À l’origine du bruit, il désigne le déclic du réveil, lui offre un substitut par déplacement sur une représentation consciente et une perception effective. Il compte ainsi muter son angoisse en peur et permettre un évitement du danger.

141Mais cela ne la convainc pas. Elle poursuit sa quête, faisant d’un paquet emballé rencontré dans l’escalier plus tard un appareil de photo captateur de son corps dénudé, de sa sexualité. Elle a la conviction que cet appareil a été dissimulé derrière les rideaux de la chambre afin de la prendre en photo, conviction qui survient en lieu et place de la pénétration. Ses sensations génitales sont remplacées par sa construction délirante, accusatrice et explicative de son manque et étayée sur ses battements clitoridiens. Elle établit à partir d’indices trouvés-créés une fausse causalité par laquelle elle dit une part de sa vérité, la faillite de sa sensorialité génitale et sa croyance d’avoir été spoliée.

142Son sentiment de réalité effective traduit l’hypothèque historique de ses investissements érogènes. Les battements de son clitoris réveillent ce qui en elle demeure topiquement en extraterritorialité de son Moi corporel (dans la montée d’escalier), et capté par un autre, reconnu en la vieille dame, ses aspirations vaginales de capture du pénis. L’amant et les jeunes hommes de l’escalier en sont les agents. Il lui faut une scène du dehors. Le bruit est, pour elle, celui du retranchement.

143Apparaît une nouvelle conception du coup : ce qui manque est désigné comme coup. Ce qui lui manque à l’intérieur, elle en reconstruit la cause au-dehors. La faillite de ses investissements génitaux lui revient du dehors et non pas sous la forme d’une angoisse-signal transmettant l’origine interne. La transposition phobique banale devient une projection avec retour du dehors.

144L’après-coup se présente sous la forme d’une construction. Il produit une théorie ayant fonction de pallier la faille d’investissement du corps sexuel, donc le défaut du narcissisme primaire issu des investissements sexuels d’organe se traduisant par des impressions sensorielles.

145Un retour vers Schreber permet de préciser ces logiques défensives. Freud y avait décrit quatre modes d’opposition à la formule directe, pulsionnelle : « Moi un homme, je l’aime lui, un homme », agissant toutes une négation ou une négativation. Les trois premières transforment respectivement le verbe, l’objet, le sujet de la formule positive ; d’où les solutions persécutoire ( « Je ne l’aime pas ! Je le hais ! Parce qu’il me persécute » ), érotomane ( « Ce n’est pas lui que j’aime, c’est elle que j’aime parce qu’elle m’aime » ), par jalousie ( « Ce n’est pas moi qui aime l’homme, c’est elle qui l’aime » ). À ces trois solutions, il faut ajouter celle de la négativation absolue : « Je n’aime absolument pas et personne – je n’aime que moi. »

146Les apports de 1920 précisent ce à quoi s’opposent ces logiques défensives ; pourquoi « Je l’aime » n’est pas élaborable. Il signifie une transformation totale du processus primaire, vécue comme une métamorphose du corps réalisée par la voie de la pénétration, agent de la castration, une aspiration au-delà. « Je l’aime » signifie pour Schreber : « Cela ne pouvait qu’être vraiment fort beau d’être une femme qui est soumise à la copulation. » D’où l’obligation d’opposer une objection radicale à ce souhait.

147Ces logiques de l’au-delà articulent déni et transvaluation de la castration. Celle-ci devient la voie permettant l’accès à l’objet de la pulsion sous couvert de l’objet de l’idéal. Tout enfant est confronté à de telles attractions. Il y répond par l’élaboration de ses théories sexuelles infantiles de la castration, le paranoïaque en fait ses tentatives d’autoguérison.

Une autre clinique : le processus de théorisation de S. Freud

148Signorelli et l’écriture en deux temps. — J’ai signalé plus haut que, dans le rêve « Les Trois Parques » (Knödel), le signifiant turc insiste à trois reprises, sans que Freud ne livre aucune association. En 1898, il rédige un premier article sur l’oubli ; puis, en 1901, un second. Dans le premier, il développe une libre concaténation associative. Dans le second, il relie celle-ci à une mise en latence de pensées concernant un événement traumatique récent, la mort d’un ancien patient turc, avec, alors qu’il est sous le coup de cette nouvelle, une répression des affects douloureux.

149Par cette élaboration théorique en deux temps, Freud met en acte l’après-coup, il articule un déni et une prise en compte ultérieure de l’impression première.

150Le déni appartient au premier temps. Il rend possible le travail régressif tant associatif et préconscient que nocturne et inconscient. Le travail d’interprétation ne se termine vraiment que dans un second temps, par la rupture finale de ce déni inaugural. Où l’on perçoit qu’un tel cheminement, régrédient puis progrédient, a une fonction essentielle ne pouvant être remplacée par quelque compréhension intellectuelle. Le temps du déni permet un travail sur le refoulé et le régressif, travail qui rend possible le second temps, la rupture du déni et la reconnaissance de l’existence de la dimension traumatique. L’abandon du déni achève le procès régressif et ne se fait que dans un second temps.

151Ces articles sur Signorelli sont agis par le sentiment d’être coupable de ne pas arriver à réparer la castration d’un autre, susceptible de se l’infliger sous forme irréversible ; là, le suicide (sui caedere).

152L’Acropole, les ruines et le sentiment océanique. — L’événement d’un trouble du souvenir sur l’Acropole a lieu en 1905 ; la lettre à Romain Rolland, en 1936. Plus important que cet en-deux-temps est l’écho existant entre le sentiment de piété que Freud donne comme interprétation de son trouble et la situation où il fut ressenti : face à des ruines.

153Le trouble et la lettre sont des après-coups de l’impression éveillée par la perception des ruines rentrant en écho avec les deuils du père puis de la mère de Freud.

154D’où son interprétation du sentiment océanique, du sentiment religieux et de toutes les croyances groupales et privées que se donnent les humains en tant que solutions anti traumatiques.

155Au-delà, les cliniques de la conviction et le Surmoi. — Aussitôt « Au-delà du principe de plaisir » écrit et la régressivité pulsionnelle reconnue, Freud se préoccupe des solutions antitraumatiques ; d’où sa rédaction de « Psychologie des masses » et son étude des complicités relevant de la télépathie ou de l’adhésion à des Weltangschaung, comme celle, démoniaque, du peintre Haitzmann envers l’Église. Eu égard au complexe paternel, elles ont valeur d’obéissance après coup révélant l’incertitude du Surmoi. Celui-ci trouve sa place dans la métapsychologie en 1923, après l’étude de ces situations où il apparaît sous ses modalités partielles et palliatives.

156S’accentuent les solutions narcissiques de 1914, celle du retrait des investissements libidinaux sur le Moi [6]. En 1921, c’est autour d’un objet porteur d’un idéal sans deuil, élu en lieu et place d’un Surmoi individuel, que des bataillons entiers font masse. Il ne s’agit plus de resserrer le narcissisme autour d’un trou, mais de dénier le manque et de le remplacer par une aspiration vers un idéal.

157La préoccupation de Freud pour les croyances, en tant que moyen anti-traumatique, parcourt la suite de son œuvre. Se dessinent les cliniques de la conviction. Le clivage du Moi fait co-exister un fonctionnement régi par l’impératif de résolution et un autre par la conviction. L’idéal d’endeuillement peut alors servir de voie pour échapper au deuil. Freud se sent trompé par une telle falsification. Il qualifie cette clinique perverse d’hypocrite.

158Son attention se porte vers les convictions tant partagées que privées. L’exemple princeps est le fétichisme dont le modèle se prolonge dans les néo-constructions délirantes. Ces croyances et théories ont fonction de saturer la conscience et de renforcer la répression des éprouvés et perceptions de manque.

159C’est dans « Le problème économique du masochisme » que Freud aborde la solution la plus favorable à la vie psychique, la retenue douloureuse, empêchant la régressivité de faire d’un trou un gouffre, d’un idéal une élation. Cette retenue a valeur de reconnaissance de la réalité de la castration. Le déni contourne cette douleur de fonctionnement.

160La télépathie, la divination, l’occulte. — Les quatre textes sur la télépathie sont un bel exemple d’après-coups antitraumatiques. Immédiatement après 1920, Freud accepte de se pencher sur l’idée que des pensées peuvent circuler, dans des conditions particulières, entre des personnes différentes, en dehors de tout substrat perceptif concret et de tout indice tangible. Cette croyance s’oppose à la désobjectalisation et affirme le lien au-delà des séparations, ce que font toutes les sciences occultes qui veulent ignorer les capacités de reconstruction de l’après-coup.

161De telles constructions en deux temps se retrouvent encore dans les canonisations. Le besoin conjuratoire d’assurer une prédictivité antitraumatique et magique s’étaie sur un traumatisme privé, en révèle le sens de message occulte et l’offre au collectif.

162Nous vivons avec les horoscopes, les loteries et les bulletins météorologiques.

Les conceptions de l’après-coup de Sigmund Freud

163Le procès idéal de l’après-coup est formé de trois moments masqués par une phénoménologie manifeste en deux temps : une régrédience figurative, une réduction économique et une production progrédiente.

164Le processus de théorisation de Freud se caractérise aussi par ces trois moments processuels. Il conjugue un cheminement régrédient, une élaboration de constellations régressives selon un ordre déterminé, une réverbération rétroactive de ces élaborations sur celles antérieurement formées et la formulation de nouvelles conceptions.

165La théorie de l’après-coup et du coup est tributaire de l’évolution de Freud quant à la régression. Le mouvement régrédient de la pensée est conçu d’abord selon une triple stratification puis diverses régressions entrecroisées. Freud attribue l’attraction régressive successivement au noyau pathogène (1895), à l’attraction négative de l’inconscient (1915), à la tendance au retour à un état antérieur (1920), à l’attraction des prototypes du Ça (1925). La régression est envisagée en 1900 aboutir à des retrouvailles sensorielles ; en 1914, au giron du narcissisme primaire fœtal ; puis, en 1920, elle s’ouvre sur les abysses d’un au-delà ayant l’inorganicité et l’infini comme horizons.

166C’est cette théorisation régressive que Freud dénomme en 1920 ses trois pas dans la théorie des pulsions, en référence aux trois étapes processuelles fondant le désir, la sexualité infantile, le narcissisme, la libidogenèse – chacune étant concernée par la régressivité sous-jacente.

167Pour définir le coup, Freud établit un véritable bornage, depuis les événements traumatiques externes constitutifs du noyau pathogène jusqu’à la régressivité pulsionnelle endogène. Chemin faisant, il désigne les mésusages de la sexualité actuelle, la neurotica et ses transgressions choquantes, la sexualité infantile, l’amnésie infantile, l’effet posthume du fantasme inconscient, les interférences des instances traduites en termes de fantasmes originaires, l’efficience des inclusions aliénantes, l’ombre portée des identifications narcissiques, les identifications défectives et les failles conséquentes, la culpabilité inconsciente et son besoin de punition et de maladie, le déni de réalité, en particulier celui portant sur la différence des sexes et sur la féminité, le roc du biologique et la question de la réalité de la castration.

168Progressivement, c’est le couple régressivité extinctive - impératif processuel qui définit au mieux le coup. Ce terme offre son double sens : celui de la co-excitation libidinale faste à la croissance et celui d’une solution perverse où les sexualisations adviennent de façon éhontée en lieu et place du travail de désexualisation. Freud étudie cette déviation dans « Un enfant est battu », suite à quoi il peut reconnaître la régressivité traumatique de la pulsion puis la nécessité d’une instance s’y opposant, le Surmoi.

169L’approche de Freud de l’après-coup fait se croiser deux conceptions, l’une restrictive, l’autre extensive.

170Au sein de celle restreinte à la psychopathologie, il réserve d’abord l’après-coup aux psychonévroses de défense, les futures névroses de transfert (1895-1900). Puis il le reconnaît actif dans « L’Homme aux loups » et dans « Un cas de paranoïa » ; d’où une conception élargie à l’ensemble de la psychopathologie. L’après-coup n’est plus réservé à aucune des trois grandes catégories nosographiques. Chacune est envisagée comme un après-coup de la phylogenèse. Ferenczi étend cette proposition à la vie sexuelle.

171Entre-temps, l’anecdote de la Traumdeutung étend aussi l’usage de l’après-coup à la pensée elle-même. La conception extensive considère que toute production psychique est le résultat d’un tel procès où sont engagées les tendances fondamentales, réductrice et extensive, et un conflit entre cette double régressivité extinctive et un impératif de retenue. L’organisation du travail psychique en deux temps et la bivalence de la pensée en sont les conséquences.

172L’après-coup apparaît ainsi sous des formes accomplies, partielles ou distordues. Il peut être élaboratif, régressif, répétitif, voire défectif. Son procès est sériel et graduel. En séance, l’analyste est toujours confronté à un énième temps d’actualisation transférentielle.

173En résumé, l’après-coup devient pour Freud le modèle de référence des procès de pensée. Relié au biphasisme de la sexualité humaine (1925), l’après-coup accède à l’universel. Déterminé par un facteur physiologique, il ne peut s’exprimer que par le truchement du facteur historique. Cette complexité métapsychologique contribue à l’abandon par Freud de Nachträglichkeit. Une incertitude pèse désormais sur la réalisation de ce procès, ce que tend à dénier le substantif. Une fois installé dans la théorie, l’impératif régissant le procès de l’après-coup se découvre fragile. En créant dans un premier temps un substantif contenant l’affirmation d’un avenir, Freud s’opposait d’abord à la régressivité négativante. Dans un second temps, il reconnaît le travail qu’elle exige.

Autres présences de l’après-coup

174Jacques Lacan : être l’après-coup de Freud

175Extraire de l’œuvre de J. Lacan ses conceptions métapsychologiques est une véritable gageure tant il a l’art d’être déroutant par sa capacité à soutenir deux logiques incompatibles de façon concomitante.

176Par son style d’abord, le « mi-dire », il tient à faire ressentir que « la vérité, c’est ce qui manque au savoir », que tout discours se double de la tentative de réaliser hallucinatoirement un désir inconscient, qu’il est un après-coup déterminé par le jeu des signifiants. La définition qu’il donne de ceux-ci n’est pas aisée à saisir. Représentants pulsionnels par excellence, il n’en fait pas des représentations de chose. Ils échappent à la resexualisation mais ne sont pas des représentations de mot. Comme dans la névrose obsessionnelle, ils sont sexualisables, mais possèdent une qualité antitraumatique quasi fétichique. Cette conception l’éloigne des linguistes et de Freud pour qui la part du mot engagée en tant que représentant pulsionnel est minime mais participe au double sens des mots primitifs. Le « mi-dire » de Lacan a pour fonction de transmettre le message selon lequel l’assomption jubilatoire du Moi, dans l’image de soi qu’est le Un, n’est qu’un leurre où choit le sujet de l’inconscient, le sujet divisé. La monosémie est alors envisagée comme étant un leurre.

177De fait, la parole de séance est constituée de ses équivoques. Tout à la fois récit de scène et scène du récit, elle est polysémique et en double sens, lieu d’un transfert rendant erronée toute conception des relations humaines dans les seuls termes de l’intersubjectivité. Ces leurres sont des réalisations d’une aspiration infantile à être un Moi idéal, un Tout, His majesty the baby, le Phallus d’un autre érigé ainsi en tant qu’Autre. Cette identification au pénis totémisé et au pénis fétichisé a une fonction ; classiquement avec Priape, celle d’être apotropaïque, puis, avec le Diable, celle d’être conjuratoire ; pour la psychanalyse, celle de soutenir un déni de la castration ; pour un sujet, d’écarter tout affect de manque.

178Par ce déroutement du style et le jeu avec l’hermétisme, Lacan veut se saisir du procès de l’après-coup. Il affirme ne pas se laisser prendre en ses propres leurres, contrairement à ses interlocuteurs dont il exhibe le ridicule, c’est-à-dire la castration. La dérision de Lacan bat alors son plein. Pour saisir les incidences de son style, il convient d’adjoindre au « mi-dire » ses sarcasmes fléchés de ses sagaies, par lesquels il agit au-delà du sujet divisé, le sujet clivé.

179Néanmoins, ce faisant, il formule des vérités. Le procès de l’après-coup est « toujours à recommencer » (1972). « Tout discours doit être forcé de toujours se reprendre au principe, comme nachträglich, après coup ».

180Le dilemme du sujet se situe donc entre un empêtrement dans des substituts imaginaires, tenant compte sourdement de l’existence de la castration, et un fonctionnement en déni, apparemment libérateur mais reposant sur des pieds d’argile, au risque d’un effondrement colossal. Pour échapper à un tel dilemme, Lacan propose une continuelle extension au nom de l’Idéal du Moi, donc un refus de toute régression autre que celle passant par l’Idéal du Moi. Le Moi idéal est à l’horizon de l’Idéal du Moi, bouclant ce dernier sur le narcissisme.

181Tel est le paradoxe dans lequel la conception de Lacan va être prise. Il extrait mieux que quiconque toutes les données freudiennes concernant l’après-coup et dans la même envolée le stigmatise au seul jeu des signifiants, échappant ainsi à ses implications économiques eu égard au réel du traumatique.

182La célèbre phrase de Lacan selon laquelle l’inconscient est structuré comme un langage est tout à fait recevable dans les moments où l’inconscient dynamique des représentations de chose, celui des pictogrammes-traces, le préconscient latent des rébus et le conscient manifeste des représentations de mot sont articulés en une parole ayant en partie valeur de rejeton, de retour d’un refoulé ainsi transcrit et dissimulé. Lacan s’étaie sur l’article de Freud de 1898 dans lequel ce dernier suit la concaténation langagière exemplaire liée à son oubli du nom de Signorelli, le menant aux substituts Botticelli et Boltraffio. Mais Lacan n’articule pas ce texte à celui de 1901. Cette mise à l’écart de l’un des deux moments élaboratifs et le privilège accordé à l’autre permettent de reconnaître la mission dont s’est revêtu Lacan et qui lui confère la néo-identité inconsciente d’être l’après-coup de Freud, du seul Freud de 1898.

183Plus que tout autre, Lacan est sensible au fait que toute conception théorique se ravale en savoir qui peut à son tour s’affadir et se perdre s’il n’est régulièrement revisité et revigoré libidinalement. Ces tendances négativantes, Lacan les déniche et s’en moque chez les autres. Il s’octroie une identité de sujet pouvant extraire la substantifique moelle de la pensée de Freud, rehausser de la puissance de la vérité les notions freudiennes réduites à un vil savoir ou tombées dans l’oubli, et échapper à leurs lois. C’est ce sarcastisme lacanien qui oblige à penser les rapports de son discours au déni.

184Il fait voler en éclats le savoir freudien, affiche une fidélité à la terminologie de Freud, le lit dans le texte et soutient le mot allemand contre toutes les traductions-trahisons-réductions. En même temps, il n’en fait qu’à sa guise et n’utilise que Nachträglich en le substantifiant : le nachträglich.

185Son retour à Freud se veut être un retour de Freud. Eu égard à celui-ci comme grand Autre, il devient l’après-coup fécondant la communauté analytique, le Saint-Esprit.

186En tant que signifiant pour un autre signifiant, les cinq lettres de Lacan pour les cinq lettres de Freud, il fait un retour à Freud selon le modèle du travail de rêve où une pensée verbale mise en latence fait un retour aux sources pulsionnelles par un cheminement figuratif à rebours. Une régression formelle la fait passer de pensée verbale à un rébus puis à une figure-image apte à rentrer en contact avec les souvenirs du passé infantile et par ceux-ci avec les sources pulsionnelles. Ensuite, celles-ci sont mutées en représentation de chose de la pulsion et promues sur la voie progrédiente en tant qu’images propres à donner un récit secondarisé présentable à la conscience ; voire à d’autres consciences par l’énonciation d’un récit. Telle est la métaphore freudienne de l’architecte et du promoteur dans la production de cet après-coup surdéterminé qu’est le rêve.

187Ce retour à Freud, en tant que source pulsionnelle et qu’idéal, tous deux attracteurs, exige la régression du verbe en figurations de rébus organisées selon une logique de code. Le retour du pulsionnel double cette logique de la fonction de représentance des motions qui, elles, sont hors langue. De la double identité, de code et de motion hors langue, résulte la réalisation hallucinatoire de désir. Cette hétérogénéité se trouve impliquée dans toute parole. Le signifiant seul, étendu aux diverses modalités de représentance psychique, ne peut en rendre compte. À l’extinction s’oppose le code ; à l’inscription, la castration.

188Grâce au rehaussement du Nachträglich, Lacan dénonce le ravalement subi par la psychanalyse dans les années postguerre, marquées par un génétisme psychologisant, une théorie de la temporalité progrédiente, une éviction du point de vue topique, etc.

189L’esprit de la psychanalyse s’en trouve renouvelé. Si la psychanalyse française s’est autant développée dans le demi-siècle dernier, elle le doit en grande partie à l’aiguillonnage de Lacan et au travail que les analystes ont effectué sur son incitation. Lacan réouvre l’analyse « à la critique de ses fondements, faute de quoi elle se dégrade en effets de subornement collectif ». Il cherche à ce que le contact avec l’inconscient reste ouvert, percevant que tout savoir sur l’inconscient a valeur de sa refermeture.

190C’est au nom du dit de séance qu’il va rappeler la découverte freudienne des Études sur l’hystérie, la différenciation entre une parole cathartique et une parole appelant un effet de sens. Lacan s’oppose au risque de confondre le bavardage d’un devenir conscient par substitution infinie et la prise de conscience incluant un jugement de sens, un interprétant.

191Lacan perçoit ce ravalement en la réduction de la notion d’après-coup à sa forme de simple adverbe de temps, et à la détermination linéaire entre deux événements. Cet écrasement est un retour des travaux d’un autre Maître, Charcot.

192S’étayant sur le rôle de l’après-coup dans la genèse du symptôme hystérique, Lacan va s’employer malgré lui à rattacher la psychanalyse à Charcot et à la tradition psychiatrique française. Il remplace les termes de Charcot et ceux de Freud par des expressions privilégiant, comme Charcot, la seule logique temporelle. Ce dernier avait décrit la genèse du symptôme selon trois temps. Lacan les rebaptise : l’instant de voir, le temps de comprendre, le moment de conclure. Où nous retrouvons l’association entre le traumatique et le vu, rejoignant la significativité accordée par Freud à la perception de la différence des sexes. Le temps de comprendre remplace la période de latence, mais tire le procès de l’après-coup vers le processus secondaire. Le moment de conclure correspond aux productions du symptôme, du rêve, de tout discours.

193C’est la théorie du symptôme comme réminiscence que Lacan rappelle ainsi. « La nature de la construction du symptôme est d’être nachträglich » (1956). L’après-coup est une restructuration des événements passés, une resubjectivation d’un passé inconscient qui se transcrit dans une formation de l’inconscient.

194Avec son langage personnel, Lacan rappelle que le « nachträglich ou après-coup, selon lequel le trauma s’implique dans le symptôme, montre une structure temporelle d’un ordre plus élevé que la rétroaction » (1960). Se référant aux deux temps et à la mise en latence, il écrit : « L’après faisait antichambre, pour que l’avant pût prendre rang. » Mais il ne suit pas la significativité de la mise en latence et du travail régrédient eu égard au trauma. Il insiste sur un seul aspect, le rôle de la surdétermination impliquée dans la chaîne verbale « par l’après-coup de sa séquence » (1958). Nous retrouvons ainsi au cœur de la causalité lacanienne une primauté accordée à la temporalité progrédiente.

195La part de vérité de l’insistance de Lacan, c’est le rôle du surinvestissement porté par le langage dans la détermination. L’impératif processuel est transmis par les représentations de mot. L’autorité et la tendresse post-œdipiennes sont portées par la voix. Lacan est sensible à tous ces paramètres. Il qualifie la causalité psychique de l’après-coup de « circulaire et non réciproque », et souligne ainsi la dissymétrie existant entre les deux scènes II et I, de même qu’en séance, entre les deux protagonistes. Freud était parti des symptômes hystériques avant de se centrer sur la parole transférentielle de séance. Lacan privilégie l’après-coup dans la parole associative, alors que Freud propose une conception de la cure où se combinent, en la parole, les transferts sur le corps, sur le langage et sur l’objet.

196Lacan étend la structure de code du langage à tous les niveaux du psychique, ce qui contient une part de vérité. La processualité est en effet engagée aux trois étapes constitutives de la pulsion, et le langage en est le principal médiateur en tant que support du principe du code. C’est ce qui permet la cure par la parole. Ces nœuds de processualité ne sont pas du langage. D’ailleurs Lacan parle de structure et dit « comme ». Mais tous les processus inconscients impliquent un principe de code dont l’expression la plus élaborée est le langage ; d’où leur résistance et leur consistance. Il y a une similitude entre ce que je nomme processualité et le symbolique de Lacan. Le processuel en tant qu’agent de réduction, de désexualisation et d’endeuillement ne peut être issu d’une désexualisation réversible. Il ne peut être renversé par resexualisation. Mais il peut être écarté, éliminé. Ce meurtre correspond au meurtre du père du complexe d’Œdipe. Logique avec sa conception du signifiant, Lacan fait du complexe d’Œdipe une articulation des signifiants père-mère-infans, et introduit dans cette structure ternaire un élément quatrième d’irréversibilité, la mort.

197De cette structure du sujet, Lacan propose une topologie, avec une figuration du procès de l’après-coup, l’image du tore. La parole de séance devient des tours de dire rendus nécessaires par la présence en ce tore d’une coupure, d’une fente, la division du sujet ; ces tours de dire permettent que ce tore se fasse bande de Möbius – pour Lacan, message énonçable.

198Le sujet symbolique est figuré par un tel tore et de tels tours de dire. En revanche, quand le symbolique fait défaut, le trou au centre du tore y aspire le sujet, en particulier des parts du symbolique. Lacan nous fournit ainsi une topologie de notre pratique du dire, l’après-coup étant figuré par les contorsions, renversements et inversions de ces tours de dire. Ces propositions tardives amplifient sa définition optique de la parole en tant que message revenant au sujet sous une forme inversée. Les notions de tores, de boucles et de nœuds constituent une représentation formelle de l’après-coup, le mot devenant dans cette topologie un « nœud dont un trajet se ferme de son redoublement renversé ». Cette imagerie fait incontestablement écho à la conception dynamique de l’après-coup de Freud, aux couples continuité-discontinuité, régrédience-progrédience.

199Ce rôle du trou du tore, lors de la défaillance du symbolique et de la régression à l’imaginaire, a valeur de retour au sein de la théorisation de Lacan. Lui-même le pense en termes de refoulement originaire. « Au commencement était le “trou” », énonce-t-il en 1967. Reviennent là, ce qui apparaît le plus exclu de sa théorie du signifiant, le rôle du traumatique et la fonction économique de l’après-coup. Il rejoint là Freud qui ouvre le psychique sur le somatique par une régression à l’inorganique. Mais Freud reconnaît la présence tout aussi originaire d’un impératif de mutation économique de l’excitation sexuelle somatique en excitation sexuelle psychique. La butée régressive sur le corporel, le risque que, celui-ci se désorganisant, se réalise un mésusage du somatique, vont s’articuler chez Freud au niveau du masochisme primaire érogène, aspect exclu de la conception de Lacan. La douleur morale, comme fond de tous les autres affects, n’est pas présente dans sa théorisation. Le corporel n’articule pas chez lui le soma, le signifiant psychique et l’objet.

200En cohérence avec sa conception du signifiant, il affirme qu’il n’y a pas de rapport sexuel dans la mesure où la jouissance ne peut s’inscrire langagièrement. La jouissance constitue un barrage « à l’avènement du rapport sexuel dans le discours », écrit-il. Dans cette logique, le langage « ne connote, en dernière analyse, que l’impossibilité de symboliser le rapport sexuel chez les êtres qui l’habitent ». Lacan réintroduit ainsi l’hétérogénéité entre le signifiant porteur de processualité et le signifiant représentant pulsionnel. Ce double sens du langage rappelle l’impossibilité de réussir définitivement un déni de la castration et de la régressivité, déni qui assurerait l’inanité du procès de l’après-coup et serait un véritable pacte, non pas avec le signifiant Diable, mais avec son au-delà, le trou. Un tel pacte renverse le signifiant-verbe en désêtre.

201Les auteurs kleiniens et postkleiniens

202Melanie Klein s’est particulièrement intéressée à des patients psychotiques et non névrotiques aux prises avec des éprouvés d’angoisse térébrante et n’ayant comme recours que des solutions de clivage narcissique. La topique naissante et le refoulement primaire s’y présentent éclatés. Dominent alors les logiques du conflit intranarcissique, transposé en luttes et combats dans un monde externe clivé en bons et mauvais objets selon leur valeur défensive. Les éprouvés dissimulant le vécu paranoïde d’anéantissement sont la persécution, la destruction, la réparation.

203L’intérêt porté par le mouvement kleinien au narcissisme primaire bénéficie aux patients et à la théorie. Le travail du psychanalyste s’oriente vers la destructivité et les défenses narcissiques.

204Ces travaux s’originent au carrefour de la détresse revécue en séance en tant que réminiscence. Le postulat kleinien affirme que celle-ci est la position basale de tout bébé. Les interprétations de M. Klein montrent toutefois qu’elle considère que, même avec un très jeune enfant, les contenus pouvant rendre compte de son angoisse sont déjà là. Pour A. Green, l’archaïque est construit après coup ; pour elle, il est déjà-là. Les deux conceptions s’articulent quand on prend en considération que le déjà-là est un potentiel qui va partir en quête de contenus lui permettant par effet rétroactif de transformer sa potentialité en effectivité.

205Les travaux de ses successeurs ouvrent cette détresse sur un conflit et une angoisse de morcellement, une crainte d’effondrement, une angoisse sans nom, voire une agonie primitive. Pour eux, les opérations aptes à mettre en place une retenue masochique primaire ne semblent pas exister en tant que bagage potentiel du bébé. Ces opérations doivent alors venir du dehors, être fournies par une personne secourable, réalisées par la rêverie maternelle. Domine le modèle du commensalisme.

206S’écartant ainsi de M. Klein, Winnicott et Bion emboîtent le pas à un postulat appartenant à la tradition philosophique anglaise, selon laquelle la pensée se développe sur un fond de sensorialité qui n’est pas un acquis de l’histoire individuelle mais une donnée, la catégorie des préconceptions. Pour eux, la transformation de l’angoisse primitive ne se fait pas par l’élaboration d’un contenu régressif potentiel que l’interprétation anticipe, mais par le soutien du développement, de la croissance, de la générativité progrédiente. Il convient de lutter, grâce à cette générativité, contre un éprouvé sensoriel traumatique basal.

207Un tel combat originaire est déjà au centre de la théorie de M. Klein, mais sous la forme d’un conflit symétrique, direct et bruyant, entre les pulsions de vie et de mort. La dynamique en deux temps est supplantée chez elle par le coup sur coup.

208Les auteurs postkleiniens ont des positions diverses quant à ce conflit primordial, mais ils se réfèrent tous à une situation clinique proche de celle de la névrose traumatique, centrée sur la détresse, sur le fait qu’un sujet est plus ou moins démuni des moyens pour traiter la dimension traumatique endogène. Ce carrefour de la détresse, quand il est dépourvu d’angoisse signal d’alarme, donc de la haine et de moyens psychiques de retenue étayés sur la processualité de l’entourage, se retrouve être le lieu d’une angoisse automatique. S’y articulent une névrose actuelle (1916-1917), une névrose traumatique (1919) et toutes sortes de désorganisations, effondrements et agonies. Le terme de Freud d’inorganique résonne avec ces destins ainsi qu’avec les pathologies somatiques, les paliers de désorganisation-réorganisation, de régression-fixation envisagées par Marty.

209Leur réponse à cette détresse consiste à soutenir l’accomplissement, ce qui est en faveur du procès de l’après-coup, de sa mission générative, productive et progrédiente.

210Nous reconnaissons en la méthode du Squiggle l’étayage d’une telle productivité. Ces tracés à deux, Winnicott les utilise aussi pour aborder l’histoire de ses petits patients et tenir compte des liens de détermination. De même, quand Bion envisage les conditions optimales de la croissance psychique, de ce Langage d’accomplissement (Keats) de la séance, il inclut l’expérience de l’analyste, cet état de patience et de sécurité, ce point régressif « 0 » « où n’existe AUCUN souvenir, AUCUN désir, AUCUNE compréhension ». Il ne dit rien de la régression formelle de l’analysant, mais insiste sur la valeur de celle de l’analyste. Cette régression, il la caractérise par une négativité de tout contenu. Il s’agit d’une régression à un idéal absolu, sans contenu, apophatique (Pasche), proche du sentiment océanique. Elle répond à la détresse d’effondrement du patient et à sa régression à la dépendance. Bion place les procès de transformation, instaurateurs de la fonction alpha et des éléments du même nom, dans la rêverie maternelle et dans celle de l’analyste, dans un en-dehors entre-deux. Les notions de secours, d’objet secourable, d’identifications projectives positives et négatives y trouvent leur justification.

211Freud esquisse une autre réponse dans « Le problème économique du masochisme ». Elle a été explorée surtout par les auteurs français, tant à la SPP qu’à l’IPSO. Le masochisme érogène est engagé dans le procès de l’après-coup au niveau de la constitution de la source pulsionnelle et de la mutation économique productrice de libido psychique.

212Les théories kleiniennes exploitent peu cette partie de l’œuvre de Freud. Le rapport à la douleur de fonctionnement et à l’objet perdu est masqué par la régression à la dépendance. Le sujet kleinien est aux prises avec la régressivité extinctive et il est dépourvu de processus gardien de la vie (Rosenberg), de pare-excitation rendant possible une retenue masochique et une co-excitation avec le corps, les objets, le langage. Les logiques kleiniennes attirent bien plus l’attention sur les défauts de congruence entre les potentialités de l’enfant et les réponses et apports d’un entourage favorisant plus ou moins l’émergence de celles-ci. De ce fait, l’attention se porte sur l’après-coup analytique, cette production transitionnelle de séance.

213Présences implicites

214La dynamique d’un tel après-coup englobant les deux protagonistes a fait l’objet de nombreux travaux. Sont concernés l’espace et l’objet transitionnel de Winnicott, la chimère de M. de M’Uzan, l’objet analytique de A. Green, le tiers analytique de T. Ogden. C’est cet objet qui est visé par les travaux sur la transitionnalité et le jeu, sur l’animisme à deux et le travail en double. L’après-coup se déroule chez chacun des protagonistes, et par une répartition distributive de ses pôles fonctionnels sur les deux protagonistes.

215Référé à cette configuration, J.-L. Donnet insiste sur la dimension aléatoire de l’effectuation de l’après-coup. Cet aspect se trouve en conflit avec le déterminisme qui pèse sur ce procès, amenant le sujet à trouver-créer ou non les perceptions dont cette effectuation a besoin pour se réaliser. C’est ce à quoi H. Faimberg propose d’être attentif par l’écoute de l’écoute.

216La querelle qui a tenté de s’installer entre les deux rives de la Manche, à propos d’un après-coup qui existerait sur une rive et non sur l’autre, relève de la tendance au conflit inhérente à ce procès et transposée sur des écoles, la géographie et l’histoire. La différence de tension économique que le procès de l’après-coup est chargé de réduire et muter tend à s’actualiser dans des polémiques d’écoles. De procès de la latence, l’après-coup devient concept manquant (the missing concept) impliqué dans les Controverses. L’après-coup est alors identifié à quelque Schibboleth de reconnaissance et d’exclusion justifiant les anathèmes, expliquant les querelles. Il est utilisé pour contrer ce qui l’exige.

217Toutefois, toutes les différences évoquées entre les diverses écoles tiennent au privilège accordé à tel moment partiel du procès de l’après-coup. Elles évoquent une vérité de Shakespeare :

218« Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons rose

219Par n’importe quel autre nom sentirait aussi bon » (Roméo et Juliette).

220En fait, des échanges, débats et travaux ont lieu et sont publiés, montrant que la rencontre est possible et l’incompatibilité un effet de simplification. Deux faits sont à prendre en considération : d’une part, et cela depuis Freud, le phénomène de l’après-coup est souvent reconnu sans être dénommé ; d’autre part, le terme d’ « après-coup » est fréquemment utilisé par les analystes dans sa signification courante de déplacement temporel et de réflexivité antérograde n’impliquant pas les attractions de l’inconscient au même degré que le concept psychanalytique.

221Tous les travaux psychanalytiques peuvent être envisagés comme des après-coups de ce qui a motivé ceux de Freud. En lui emboîtant le pas, ils développent, affinent et resignifient ses propositions. En s’affrontant à quelque élément resté prisonnier de la régressivité, au sein même de son travail, ils les enrichissent et rectifient. Un retour à la source est alors nécessaire afin qu’une nouvelle parcelle puisse être élaborée.

222Schématiquement, ils suivent deux voies :

223— celle de la resignification d’une nouvelle version. La présentation par Kohut des deux psychanalyses de M. Z... rend parfaitement compte d’une telle démarche. Les modifications de la source pulsionnelle et du fonctionnement psychique n’y sont pas explicitées, la seconde est jugée meilleure que la première ;

224— celle de l’élaboration résolutive d’une nouvelle part du régressif. Dans L’enfant de Ça (Green, Donnet), les auteurs répètent le dispositif de Freud et Breuer qui deviendra le modèle de la supervision. L’enjeu est d’élaborer un point de réalité. J.-L. Donnet en extrait un approfondissement de la méthode. A. Green y puise de nouveaux aspects du négatif, le « blanc » de la pensée.

INSISTANCES ET PERSISTANCES : LA CLINIQUE DES SÉANCES

225Dans ce chapitre, je vais être schématique pour diverses raisons. La première est liée à mon goût pour la théorie et pour les schèmes, mon contre-transfert de précession. La seconde concerne les limites d’utilisation de la clinique, le point de vue éthique : « sincérité totale contre discrétion absolue » (1939). La troisième est une conséquence de ma conception de l’après-coup. Toute la clinique de séance reflète les accomplissements, vicissitudes et avatars du travail de l’après-coup ; depuis l’occurrence où l’après-coup s’est déroulé de façon préconsciente et discrète jusqu’à celle où l’attention a été requise, où le contre-transfert s’est montré plus exigeant du fait des distorsions subies par ce procès. D’où la présentation, dans le rapport initial, de 13 moments cliniques [7]. Les diverses fonctions de l’après-coup s’y révèlent résolutive, élaborative, défensive, palliative, défective.

226Le devoir de discrétion exige d’extraire le plus significatif du point de vue du thème – l’après-coup, le coup et le contre-coup. Se trouve alors masqué tout le travail de passivité, lent, par petites touches, sur fond duquel l’après-coup révèle ses résultats ; et, par eux, l’inconscient, ses contenus et processus. Les moments cliniques ainsi circonscrits sont à recontextualiser au sein de la perlaboration d’ensemble, sinon ne sont retenus que l’apparence, l’aberration rationnelle, la logique saugrenue et délirante, le degré de violence de l’interprétation, l’effet magique et sa recette.

227Les lignes qui suivent portent sur ce qu’il est possible de déduire à propos de l’après-coup en restant au plus près du travail de séance.

Le procès, sa dynamique, ses résultats

228L’après-coup construit de multiples liaisons entre des moments temporels plus ou moins distants, des événements apparemment indépendants, des éléments psychiques hétéroclites. Les composants de l’après-coup peuvent même organiser des styles associatifs.

229Ainsi tel patient qui ne cesse de référer tous les contenus de ses rêves, toutes ses pensées de séance, à tel ou tel aspect de son histoire remémorée, construisant de l’en-deux-temps manifeste. Et tel autre qui cherche à reprendre, à chaque début de séance, ses associations là où il les a laissées à la précédente, supprimant l’entre-séance, forçant la continuité.

230La résistance à l’après-coup, la tentative d’emprise sont évidentes, par la construction artificielle de discontinuité temporelle ou par sa continuelle annulation. Ces styles sont des matériaux associatifs, des réminiscences dissimulées dans quelque néo-règle venant en place de celle énoncée par l’analyste. Faire des liens, suivre un fil, être cohérent, exécuter un travail sont des cryptomnésies de l’éducation des processus secondaires soutenue par le système familial et scolaire.

231Une phénoménologie des liens est donc issue de l’après-coup, alimentée par le travail de rêve, celui de séance, par l’animisme à deux qui s’y déploie. S’y révèle la fonction princeps de celui-ci : traiter la déliaison due à la régressivité extinctive, muter la tendance à la disparition en une discontinuité prenant valeur de continuité.

232C’est de cette mutation qu’émane l’effet de guérison de la cure. L’après-coup, quand il est idéalement accompli, quand il résout la tendance traumatique extinctive, est l’effet thérapeutique même. Un lien entre après-coup et Surmoi apparaît. Tout comme le Surmoi doit être potentiellement déjà là pour réaliser la résolution œdipienne dont il est l’héritier, l’après-coup doit être déjà là pour réaliser la mise en efficience des opérations psychiques qui le constituent et dont dépend l’issue thérapeutique.

233L’après-coup participe à la clinique de l’infantile, celle prenant en compte l’économie régressive traumatique en l’élaborant en économie du principe de plaisir, et aussi à la clinique du déni, clinique de la conviction, des constructions interprétatives et des théories idéologiques niant la tendance traumatique à l’œuvre au sein de la psyché. Il permet de sortir du manichéisme entre déni et reconnaissance, au profit de leur articulation oscillatoire. Dans le meilleur des cas, il œuvre à la résolution des conflits et à l’émergence d’une prime de désir. Mais il participe aussi au déni et à l’imposition des constructions théoriques qui le soutiennent.

234« La théorie, c’est bon, mais ça n’empêche pas d’exister » ; d’où le second conseil : « Il faudrait y revenir et y rester » [8] auprès des patients.

Le perceptif et la perception

235L’insistance et la persistance des faits s’accompagnent aussi d’une propension à imposer une perception créée de l’intérieur par l’hallucinatoire et la théorisation secondaire.

236Est nommé ici perceptif cette catégorie de matériaux élaborés psychiquement et projetés sur la face interne de l’écran de la conscience dans le but de la saturer. Le perceptif est à distinguer de la perception, phénomène passif auquel est soumis l’être humain et contre lequel il dispose d’un mécanisme différencié à partir du pare-stimulus originaire, le déni. Celui-ci se présente selon deux modalités selon que le désinvestissement qu’il agit s’accompagne ou non de régression. Le désinvestissement avec régression correspond au déni du sommeil-rêve et de la parole d’incidence de séance. Le perceptif produit sature la conscience momentanément. Le désinvestissement sans régression correspond au déni de la psychopathologie. Il utilise le perceptif produit par le fonctionnement régressif précédent et l’impose par une saturation stable et continue. Le premier est temporaire et réversible, il est favorable aux activités psychiques régressives. Le second a pour visée le renforcement continu de la saturation. Il aboutit aux distorsions que sont les systèmes de croyance privés ou partagés et génère toutes les Weltanschauung. Le premier s’inscrit dans une oscillation diphasique ; le second, dans un forçage monophasique.

237Par le perceptif, l’hallucination négative se différencie nettement du déni. Elle appartient aux activités psychiques régressives et participe à réaliser les désirs figurés par l’invisibilité, et à produire un perceptif affirmant que ce qui n’est pas perceptible existe dans cette invisibilité. Au contraire, le déni sans régression ne réalise pas de désir, hormis celui de partager le déni d’un autre. Il impose un perceptif progrédient en guise de néoréalité. Le procès de l’après-coup dans sa version idéale diphasique peut ainsi régresser sur le plan structurel et laisser place à des distorsions monophasiques qui ne conservent du procès typique que quelque trait, le déterminisme, la relation de cause à effet, la succession temporelle, l’aspect répétitif sériel.

L’oscillation nuit-jour

238Le système sommeil-rêve montre bien comment le déni est engagé dans un processus dynamique coutumier et banal. Temporaire et réversible, il fait partie des conditions du rêve et il est réclamé, en tant que besoin de dormir, par la nécessité de rêver. Durant la vie vigile, il se réalise par des mises en latence, anticipatrices du sommeil, et rend possible le travail de rêve qui soutient en retour ce déni inaugural pendant le temps de la nuit grâce à ses productions relevant du perceptif.

239Mais l’appel à se réveiller prouve que la réalité interne, qui fut l’objet des mises en latence soutenues par le déni, exige d’être prise en compte grâce à une réouverture aux perceptions et un retour à l’objectalité. Une honte inconsciente est sécrétée par la tendance à se maintenir dans la régression du sommeil, elle appelle le réveil. Ce dernier est renversé à son tour par la culpabilité inconsciente produite par la désexualisation diurne (D. Braunschweig). L’oscillation, abordée par Freud pour la seule culpabilité dans Totem et tabou, est celle de la nuit, le jour. Elle peut se concevoir comme un balancier entre ces deux affects typiques. Leur appréhension exige de les articuler à la douleur inconsciente de fonctionnement. Celle-ci est le lieu d’un conflit entre une quête honteuse visant l’objet de la pulsion et un renoncement coupable, producteur de l’objet perdu. Ces affects inconscients sont les marqueurs cliniques de séance du procès de l’après-coup.

Parole d’incidence et écoute régrédiente

240Pour l’analyste, l’occurrence la plus ordinaire de l’après-coup est l’association libre et ses incidences, ces pensées qui tombent et créent l’effet de surprise sur l’écran de la conscience du couple analysant-analyste. Mieux que l’associativité, c’est la parole d’incidence qui constitue l’activité psychique régressive de la passivité spécifique des séances. L’expression « coq-à-l’âne » met en avant la sexualisation du verbe, en faisant appel à des membres significatifs du bestiaire. Mais un refusement de cette sexualisation est soutenu par la contrainte à maintenir l’investissement du langage. Cet impératif est inscrit au fronton de la cure par la règle fondamentale.

241La libre association et l’attention en égal suspens promeuvent le travail d’incidence dans la parole et dans l’écoute. L’incidence se révèle être aussi un objet Moi - non-Moi de séance en tant que sang-mêlé appartenant à l’analysant et à l’analyste.

242Tout comme le sommeil est nécessaire au rêve, la délégation du pôle processuel à l’analyste est nécessaire à la régression d’incidence. Un système de séance se met en place, en conflit et en complémentarité avec les fonctionnements individuels de chaque protagoniste, l’animisme à deux consistant en une répartition distributive des deux pôles processuels, le pôle régressif de l’incidence et le pôle accompli du jugement de sens. Ces répartitions de fonctions dans la situation analytique vont infléchir la production du discours de séance et l’ensemble du déroulement de la cure.

243Comme exemples d’après-coups de séance, nous pourrions prendre n’importe quelle séance, une seule ou une séquence, une période d’analyse, son intégralité, mais aussi la pensée de l’analyste se servant de plusieurs patients (cf. le 1er chapitre). L’après-coup s’y repère dans toutes les occurrences. Il apparaît selon divers tempos et vitesses de réalisation. Fulgurants parfois, hésitants, voire lénifiants à autres.

244La règle fondamentale dessine les adjacences de la scène de la séance en s’opposant à leur attraction. Elle soutient un contre envers la régression sensorielle, la régression formelle onirique, la régression à une désexualisation idéalisée. La séance est bornée et bordée des scènes sexuelles, oniriques, sociales, sublimatoires. Chacune est présente dans la séance sous la forme d’un discours les concernant et sous celle d’une attraction à sortir transgressivement de la régression d’incidence spécifique des séances.

245La clinique de séance est constituée du côté de l’analysant par la série récit de rêve - libre association - parole d’incidence, qui agit le transfert. S’y présentent plusieurs après-coups imbriqués rendant compte des narcissismes primaires et secondaires. Le rêve est connu en séance, en tant qu’après-coup, par son récit. Le travail de rêve est à situer dans le temps d’élaboration psychique représenté par le trait-d’union du terme « après-coup ». Du récit du rêve est née la libre association, bien avant la psychanalyse, en tant que tendance du rêve à se terminer de jour en utilisant une oreille complaisante et une interprétation au service du refoulement et de l’amnésie de réveil. La psychanalyse est l’héritière des oniromancies et clés des songes.

L’en-deux-temps et la répétition

246Dès qu’un traitement analytique dure, analyste et analysant sont aux prises avec la répétition et la compulsion. Une façon de les éviter est de le raccourcir, d’introduire une mise en acte du type scansion ou changement de protocole. Toutes réalisent une fracture là où le patient a maille à partir avec la mise en place interne de l’en-deux-temps.

247Celui-ci est au principe de la régularité discontinue des séances. Les ruptures cherchent à imposer du dehors ce qui manque au-dedans, à fabriquer un avant et un après dans l’espoir qu’ils servent d’étayage à la création du passé, acte définissant et relevant du Surmoi.

248Les analyses entrecoupées, « en tranches », sont une façon d’inscrire par leur tempo séquentiel cette dynamique de l’après-coup. Une telle interruption volontaire d’analyse, Freud l’a agie avec l’Homme aux loups qui fut le premier à confronter les analystes à la clinique des tranches.

249Le maniement technique de tels actes de rupture est particulièrement délicat. L’arbitraire et les justifications théoriques les prolongent. Agir ainsi, c’est refuser à l’analytique une part notable de la clinique, c’est ne pas laisser aux procès psychiques le temps de s’installer grâce à leur principal outil, la répétition, celle que Freud a repérée positivement à l’œuvre, dans le jeu des enfants.

250La théorie de la séance se réfère donc tout autant à la doctrine du rêve du fait de la production des incidences, qu’à celle du jeu du fait de l’usage de la répétition en tant que moyen de la méthode.

251Le jeu associatif n’est pas enchâssé dans le sommeil et il utilise le langage comme support de la répétition. Celle-ci cherche à installer les procès psychiques, même quand elle répète leurs vicissitudes. De ce double point de vue, il est l’équivalent du jeu des enfants. Le couple langage-analyste y tient lieu de bobine.

Surdétermination et topiques éclatées

252La clinique est la grève sur laquelle viennent mourir tous les schématismes théoriques. À l’écoute, elle apparaît plurielle et éclatée. Les expressions de fonctionnements éclatés et de topiques éclatées reprennent à leur compte la condensation propre à celle de surdétermination et la complètent de celle d’amalgames réalisés à partir de fonctionnements incompatibles.

253C’est par le fétichisme, en tant que prototype des constructions des néo-réalités, et par le mécanisme du clivage du moi que Freud reconnaît la co-existence clinique de telles incompatibilités. Il s’agit d’amalgamer des fonctionnements relevant du déni et de la reconnaissance de la castration, et de dissimuler les clivages.

254Dès lors peuvent être masquées des logiques œdipiennes par un tableau manifeste ne l’étant pas, ou peut être arboré un tableau œdipien dans le but de dissimuler des fonctionnements basés sur une élimination de la dynamique œdipienne. Un après-coup peut en cacher un autre. Une gageure pour les analystes, dont les interprétations sont dorénavant à même d’être pertinentes du point de vue d’une logique, et au service du refoulement d’une autre logique, solidaires ainsi d’un déni de réalité.

Déterminisme et réminiscence : la mémoire processuelle

255En 1937, Freud propose une théorie généralisée de la réminiscence regroupant tous les tableaux cliniques. Les retours, les résurgences et émergences se font, non plus comme Freud l’a cru avant 1920, du fait d’une propension spontanée à venir à la conscience, mais sous l’impact de la nécessité de traiter la régressivité traumatique. Un contre-appel antitraumatique convoque des matériaux mnésiques différenciés à partir des traces perceptives. Vont y participer les contenus mais aussi les opérations psychiques jusque-là non disponibles. Existe donc une mémoire processuelle, sans contenu, une mémoire des opérations de pensée et des conditions et aléas de leur émergence. C’est elle que Freud puis Ferenczi font relever de la phylogenèse.

256La réminiscence élémentaire et universelle est celle de la réalité de la régressivité et de tous les moyens dont dispose la psyché pour y répondre, en particulier les opérations psychiques elles-mêmes. Pour devenir efficiente, celles-ci vont se transposer sur des scènes externes successives (les scènes I et II) qui vont fournir des traces. Ces scènes sont ainsi surdéterminées.

257Dans quelles conditions se fait le créer-trouver de telles scènes aptes à être cooptées ? Quel contexte est favorable à ce double transport, la transposition de l’ancien sur le nouveau, et la cooptation du nouveau vers l’ancien ?

258C’est, bien sûr, la scène transférentielle qui sollicite ce double transport élaboratif avec la répétition des solutions anciennes et le recours à d’autres nouvellement sollicitées, jusqu’à ce que le meurtre « in presentia » portant sur la régressivité pulsionnelle et ayant fonction de la réduire puisse avoir lieu.

259Par l’interprétation, l’implication de l’analyste en tant que support identificatoire disposant de l’opération meurtre est patente. Il est impliqué dans la reprise de la dynamique de l’après-coup. Mais la transposition de cette opération de meurtre sur l’objet support du transfert revient in fine au patient. L’analyste se propose, le patient en dispose. Cette transposition crée la fausse liaison transitoire du meurtre de l’objet. L’ambivalence à réaliser sur la pulsion cette opération fondatrice l’oriente dans un premier temps vers l’objet. La dynamique œdipienne en découle.

260La réminiscence d’une opération psychique en souffrance :
une phobie scolaire

261C. est un petit garçon de 7 ans. Je le reçois avec sa mère et son beau-père. Il ne va plus à l’école depuis plus de six mois suite à des crises de panique ayant lieu chaque dimanche après-midi et chaque veille de retour en classe. Même accompagné, son angoisse ne cède pas. Il suit une scolarité par correspondance.

262Il a perdu son père à l’âge de 5 ans, accidentellement. Sa mère vit à nouveau en couple. C. est enfant unique.

263Après les avoir laissés parler spontanément, j’oriente les parents sur leurs deuils respectifs, voulant que C. entende leurs rapports intimes à la douleur morale.

264L’importance de l’angoisse paralysante, l’implication d’un trauma tangible, la disposition transférentielle perceptible durant le premier entretien et le souci des parents sont en faveur d’une potentielle reprise par C. de sa croissance.

265Il s’engage immédiatement dans un discours verbal. Pendant plus d’un an et demi, il me parle à bâtons rompus de thèmes répétitifs : jeux vidéo, provider, téléphone mobile, forfaits, opérateurs, ainsi que trains et locomotives. Il est abonné à La vie du rail ! Il prend le TGV, seul ou accompagné, pour aller dans sa famille grand-paternelle, l’un des seuls lieux où il se sente bien. Il y retrouve oncles, tantes, cousines. Il n’évoque jamais ses difficultés scolaires, ni l’accident de son père. Je l’invite de temps à autre à parler de ce qu’il ressent et souligne son silence sur ses copains, sa scolarité, ses souvenirs. Il semble ne guère prêter attention à mes remarques. Toutefois, il me signale qu’il faudra bien qu’un jour il me parle.

266Lors d’une séance, il évoque son travail scolaire, regrette le temps où il allait en classe avec ses copains et associe immédiatement sur sa mère toujours inquiète de ce qu’il va devenir. Je perçois une crainte coupable envers elle. Lassé de toute cette répétition, tel le lion qui ne bondit qu’une fois, je lui dis : « Si tu retournes à l’école et te mets à travailler, tu vas faire à ta mère ce que tu as déjà fait à ton père, la tuer. » Il s’immobilise puis se révolte. Il me dit en colère et avec chaleur qu’il ne comprend rien à ce que je lui dis, que les psys disent n’importe quoi ; qu’il n’a vraiment rien compris, que je devrais lui expliquer, et il essaie de répéter ma phrase sans y parvenir. Il continue, courroucé, en me disant qu’il faut que je sois complètement dingue pour dire des choses pareilles.

267Pendant plusieurs séances, il reprend ses thèmes répétitifs. Il se méfie, évoque la séance où j’ai dit des « trucs » qu’il n’a pas compris, me surveille, craint et attend une nouvelle intervention de ma part.

268Il en a parlé à sa mère. Celle-ci lui a dit que j’ai sûrement voulu parler de ce qu’il pensait, de ce qui se passait en lui. Il se demande s’il va continuer à venir ici pour entendre des choses aussi dingues.

269Pendant de longs mois, il n’en parle plus. Il reprend ses thèmes répétitifs et je me lasse à nouveau. Je devine incidemment qu’il est en train de réintégrer le circuit scolaire à temps partiel et que, l’année suivante, il est prévu qu’il reprenne à temps complet.

270Il commence à me raconter, de-ci de-là, ses anciennes crises de panique, précise qu’il s’angoisse encore, se réveille parfois la nuit, « mais c’est supportable, et quand je suis à l’école je suis content ».

271De temps en temps, il me jette un regard, me toise et me dit : « Bon, vous n’allez pas recommencer à dire n’importe quoi, comme l’autre fois », « C’est bien des trucs de psy, ça », « Mais où allez-vous chercher des trucs pareils ? »

272De temps en temps : « Il faudra bien un jour que je vous parle. »

273Nous nous rencontrons depuis environ trois ans, il s’assied et me dit : « Bon, il faut que je vous parle. » Il me décrit alors en détail la mort de son père. Sa sortie d’école, sa grand-mère qui l’attend de façon inhabituelle, l’annonce de l’accident, le téléphone, les appels de sa mère, sa mère absente, les allers-retours à l’hôpital, son père dans le coma.

274Puis le prêt, par le frère de sa mère, d’une grosse moto ; l’essai, 200 km/h ; puis l’endroit précis, en pleine ville, l’accident, le bord du trottoir, une 2 CV jaune, les multiples fractures, son père à l’hôpital, le coma, la morgue.

275S’égrènent ainsi tous les substituts répétitifs des séances : téléphone, déplacements, jeux vidéo de courses, d’avion, de camion, surtout de train, la grande vitesse, ainsi que le lien école-mort du père. Tous sont engagés dans son récit de la scène où il a appris l’accident puis la mort de son père. La fixation au traumatisme est patente. Pendant plusieurs séances, il me décrit tous les détails racontés par sa mère : l’accident, l’enterrement, les bougies, la dame au manteau jaune (comme la 2 CV), les gens derrière l’église qui s’amusent, le cimetière, etc.

276Une confidence : « Je n’ai jamais pu y retourner, même avec ma mère. » Sa phobie du cimetière, sa phobie scolaire.

277Quelques mois plus tard, il m’explique qu’après la mort de son père il avait peur de sa mère, il ne supportait pas qu’elle s’approche de lui, qu’elle le touche. Puis il se souvient d’un rêve répétitif de cette époque : « Je suis sur un terrain, un chantier, avec des machines partout. Ma mère essaie de m’attraper ; elle me court après ; je me sauve, je cours, je cours, je cours. J’arrive dans un virage, il y a un mur, je glisse et je m’écrase contre le mur. » De lui-même, il associe spontanément le mur à la 2 CV et au trottoir.

278Six mois plus tard, il réintègre sa classe à temps complet.

279La dilution de sa fixation phobique est évidente. Il peut aller à l’école sans trop s’angoisser et, à l’opposé, ressentir dans la famille de son père, des peurs. Progressivement, elle s’actualise en séance. Face à mon silence et à certains lâchages d’attention, soit par distraction soit par réflexion, il sursaute et me demande pourquoi je le regarde comme cela, qui je regarde. Il se retourne vivement, vérifie derrière son fauteuil, puis transforme son inquiétude en ludisme.

280Un récit d’une scène clé : jouant avec ses cousines dans les arènes de la ville où demeure sa famille paternelle, ils se font interpeller par quelques garnements. Devant la provocation à se battre, il s’angoisse. « J’ai eu peur de leur vengeance », me dit-il en pleine irrationalité ; un retour vengeur, de son père ?

281Son activité onirique redevient officielle. Il me raconte des rêves dans lesquels il est question de meurtres, d’accidents, où il tombe et se dit qu’il est mort, que c’est ça d’être mort.

282Dans l’un d’eux, un père lui demande de tuer son enfant. Il revit ce rêve en séance, de façon quasi hallucinatoire, faisant le geste de saisir l’enfant par le cou. Son père, bien que portant un casque, a eu une fracture des vertèbres cervicales. Il me dit, sous la forme d’une dénégation : « Ne venez pas me dire qu’il s’agit de mon père. » Je lui signale qu’il lui est désormais possible d’y penser, et je lui interprète son rêve : il faut donc tuer l’enfant qui se met à penser à la mort de son père. Attentif : « J’essaie de comprendre comment vous pensez. » Puis : « Ma mère m’a dit de vous parler de mes rêves quand je lui ai dit que j’aimerais bien savoir où ils pourraient me mener. » Sur le pas de la porte : « Qu’est-ce que j’ai bien fait de venir aujourd’hui, hou la la ; bon, on continuera la prochaine fois. »

283Un écart dans la similarité apparaît entre ces séances séparées de deux années. Elles ont valeur de scènes II et I au sein de la thérapie. Dans chacune se retrouvent le meurtre, le détour par la mère, le transfert d’interpellation. Ce dernier est un surinvestissement antitraumatique de l’objet présent. Le soutien d’un travail de censure s’objective par « faire parler » la mère. L’opération meurtre suit une progression. Dans la première scène, elle est agie dans l’immobilisation et verbalisée par l’analyste, dans le but de s’attaquer au déni. Dans la seconde, cette opération est active dans le travail de rêve, présente en tant que contenu, associée par un lieu de mise à mort, l’arène, reliée au père par une dénégation, formulée comme interprétation de la culpabilité.

284Ces séances sont des après-coups de la régressivité immobilisée depuis des années. Elles sont habitées par la réactualisation des mouvements meurtriers paralysés à l’égard du père. L’appropriation de l’opération meurtrière passe par la réaction haineuse, la rencontre évocatrice avec un cherché-trouvé fortuit, le travail de rêve dissimulateur, la dénégation, l’interprétation.

285L’en-deux-temps a permis la libération de cette opération meurtre et son intégration au service des procès psychiques. La fonction de l’interprétation se dessine. Elle a valeur de coup en contrecoup de la régressivité traumatique intensément éveillée par le décès du père. Elle réalise un ébranlement du déni de la temporalité. Par sa violence, elle a brisé l’amalgame meurtre-régressivité, tout en formulant l’opération nécessaire au traitement de celle-ci.

286Se crée ainsi un espace transitionnel, un après-coup analytique présent en chaque séance, au sein de séquences et de l’ensemble de la cure. Le contre-transfert de précession de chaque analyste y est impliqué selon diverses modalités mêlées – émotionnelles, figuratives, théoriques.

287Il fallut à C. un long temps de latence, afin qu’il puisse faire, d’un autre événement évoquant la question du meurtre, une autre scène ressentie de façon traumatique mais favorable à la reprise de la première, bien plus traumatique. Où est perceptible la double connexion entre les deux scènes rendue possible par les séances : la plus récente, celle des arènes, a réveillé l’ancienne, celle de l’accident. Mais l’ancienne a trouvé et coopté la récente afin de poursuivre son élaboration en souffrance. L’analogie entre les deux scènes signe le passage du régime économique de la régressivité à celui du principe de plaisir. Cette fonction définit très précisément le procès de l’après-coup et est initialisée par l’interprétation.

288En début de traitement, les après-coups de séance se réduisent à des réminiscences sans effet thérapeutique. Après l’interprétation apparaissent les remémorations détaillées comme dans un procès de deuil. S’actualisent, en souvenirs, en hallucinations et en actes, les solutions antitraumatiques conçues après l’accident, en particulier sa phobie de sa mère, basée sur la théorie selon laquelle elle est responsable, par son frère, de la disparition du père : une moto, une sœur, une 2 CV jaune, une dame en jaune ; voilà à cause de quoi, de qui, mon père est parti.

289Les vicissitudes du devenir de ce garçon sont loin d’être terminées. Il faudra des détours, des arrêts et reprises de son traitement pour qu’il puisse s’intéresser à la personnalité de son père – « tête brûlée », « casse-cou » – et passer au-delà de l’événement accident, renoncer à en faire un écran, et s’intéresser aux événements de sa mentalisation. Il ne peut toujours pas aller au cimetière. Pour travailler, il lui faut ne pas être seul, surtout dans la maison où il est né. Ses choix d’objet de jeune homme restent hésitants, marqués de sa tentative de maintenir une relation à un père en vie.

LA FRACTALITÉ DE L’APRÈS-COUP ET L’ÉROGÉNÉITÉ

L’en-deux-temps et le facteur physiologique

290Après avoir cessé d’utiliser Nachträglichkeit, Freud recourt à d’autres expressions, en particulier l’en-deux-temps. L’instauration en deux temps, le caractère en deux temps sont déclarés « la condition biologique de la disposition à la névrose ». Freud se réfère d’abord à la formation des symptômes puis à la sexualité humaine. L’après-coup accède alors à l’universalité. Il est le procès même de la sexualité humaine et celui qui préside à son installation, à l’avènement de l’érogénéité.

291Freud met ainsi en relief la contrainte physiologique des procès psychiques dont le sujet cherche à se libérer par le facteur fantasmatique offrant un sentiment de liberté. Le déplaisir lié au principe de réalité promu par le facteur physiologique en tant que butée au principe de plaisir se trouve ainsi atténué. Il est déplacé sur le facteur historique et sur son impact d’aliénation. Le facteur physiologique reste ainsi méconnu. Une tension dialectique apparaît entre ces trois facteurs et avec l’aléatoire du hasard.

292Cela explique pourquoi Freud, dans « Au-delà du principe de plaisir », s’est appuyé sur des données biologiques pour élaborer la troisième qualité de la pulsion, sa régressivité extinctive, et l’existence d’opérations psychiques constituant la processualité. L’élaboration métapsychologique des réalités inconscientes exige le détour par une transposition sur un matériau externe adéquat. Freud formule clairement cette loi psychique en 1922. La transposition acquiert sa fonction de mécanisme indispensable au devenir conscient : « Ce qui provenant de l’intérieur veut devenir conscient doit tenter de se transposer en perceptions externes » ( « Le Moi et le Ça » ). Après avoir permis une première connaissance par méconnaissance métaphorique et déformation, elle participe, dans un second temps, à l’accès à la connaissance par reconnaissance.

293Ce détour de transposition introduit l’historicité, les paramètres des supports de transposition, l’aléatoire et le champ fantasmatique. Le procès de l’après-coup, déterminé par la physiologie des opérations psychiques, n’aboutit à une efficience que par ce cheminement, ce détour par l’autre de la processualité.

294L’infantile du sexuel de 1900-1905 exprime le facteur fantasmatique, le narcissisme de 1914 le point de vue historique, et le processuel de 1920-1923 le point de vue physiologique.

295De nombreux travaux psychanalytiques privilégient le facteur historique avec l’espoir de s’en libérer. En revanche, le réel rebute et le fantasme distrait. Cette mise à l’écart de la contrainte du principe de réalité se retrouve aussi dans le privilège accordé au processus-Proce d’un déroulement temporel, aux dépens du processus-Vorgang des opérations psychiques. Le jeu de traduction de l’allemand vers le français s’avère favorable à la dissimulation des lois contraignantes. Proce participe du principe de plaisir, contrairement à Vorgang.

296Ce déplaisir amène à taxer la prise en compte du facteur physiologique de réification, ce qui contient une part de vérité quand les trois facteurs ne sont pas articulés. Le transitionnel, au contraire, les réunit. La notion de première possession Moi - non-Moi rejoint celle de transposition, de pré-conscient et de sang-mêlé.

297Quand Freud aborde la physiologie de l’angoisse (en 1925, dans Inhibition, symptôme et angoisse), il définit l’affect comme un symbole mnésique d’expériences anciennes. Il envisage alors que les opérations physiologiques basales sont acquises phylogénétiquement. Le symbole d’affect traduit la nécessité biologique de traiter les menaces internes en les transposant sur des situations de danger. L’expression angoisse de castration hérite de cette démarche.

298La transposition précoce pose le problème du refoulement originaire. Celui-ci dépend d’un facteur physiologique, le pare-stimulus, étayé sur et par la rencontre avec un entourage porteur de procès psychiques organisés eux-mêmes par un tel refoulement. L’identification première est une identification au modèle d’un fonctionnement mental.

299L’existence du refoulement originaire impose d’intégrer à la théorie un impératif tout aussi originaire impliqué dans la différenciation des toutes premières opérations psychiques, et articulé au pare-stimulus. L’impératif et le pare-stimulus combinent un déni des perceptions externes avec l’exercice d’opérations primordiales permettant la genèse et la captation dans le Ça des motions pulsionnelles. Cela sous-entend une transposition précocissime des tendances et processus primordiaux sur des perceptions externes et matériaux internes, les traces perceptives, ayant les mêmes qualités de consistance que les perceptions. Cette transposition dès le début s’oppose à la régressivité extinctive qui devient le premier refoulé.

300Se dessine une fonction pour les traces et le traçage, et un modèle de fonctionnement psychique articulant le réel du somatique à celui de la réalité externe et des traces. Il est composé de quatre facteurs : la contrainte de la régressivité extinctive, l’impératif processuel, le procès des opérations élémentaires et la visée de résolution libératrice. Ce modèle est celui de l’après-coup. Il est similaire à tous les niveaux de la processualité, ponctuelle ou globale, régressive ou accomplie ; d’où son caractère fractal.

Qu’appelons-nous castration en psychanalyse ?

301La question de la castration et du traumatique se trouve totalement renouvelée en 1920 par le troisième apport de Freud à sa théorie des pulsions. Cela nous oblige à préciser sa significativité du point de vue métapsychologique et à réviser son identité de menace et punition.

302La nouvelle conception du traumatique, en tant que qualité intrapulsionnelle, rend intelligible l’en-deux-temps du travail psychique de l’après-coup et son oscillation régrédience-progrédience. La transposition de la régressivité extinctive sur la perception externe de la castration confère à celle-ci dans un premier temps sa qualité traumatique ; puis la capacité de dénier cette perception permet de traiter de façon endopsychique, dans un second temps, la régressivité extinctive.

303La notion de complexe de castration, entité totalement élaborée par Freud, condense des éléments aussi divers qu’un fantasme, donc une réalisation de désir, une angoisse, donc un message de menace impliquant un élément négativant, une théorie, donc une interprétation explicative, une perception, donc un réel ayant valeur traumatique.

304Les castration-fantasme, castration-angoisse, castration-causalité, castration-réalité constituent la constellation typique du complexe de castration.

305J’ajoute à ces identités celle de support de transposition de la régressivité extinctive de toute pulsion. Elle a pour particularité de n’offrir aucune matérialité.

306Cette typicité a pour effet que la castration est présente dans de nombreux mythes liée à la valeur fondatrice de l’acte telle qu’énoncée dans la Bible [9], reprise par Goethe [10] puis Freud. Les diverses Genèses impliquent un acte de tranchement d’un état originaire de complétude. Cet acte vise l’ensemble des organes génitaux masculins et se renverse fréquemment en acte de générativité au nom du déni de toute perte propre au mythe. Celui-ci postule en effet un état narcissique primordial auquel il serait possible de revenir par le biais d’un tel retranchement.

307Cette logique se prolonge dans l’étymologie du mot « sexe ». Secare et sexion associent les signifiés de la coupure et de la jouissance. La butée finale de l’orgasme se boucle sur la coupure inaugurale du mythe. Le sentiment d’un manque à jouir est expliqué par le mythe et compensé par la générativité. Par les mots est donc transmis le message selon lequel la sexualité contient quelque chose qui la coupe. Le passage à coupable est d’autant plus aisé qu’il réalise le désir d’une sexualité échappant à toute coupure. La méconnaissance du fait que la pulsion contient ce qui travaille à sa propre disparition est ainsi soutenue. La réalité de la négativation transmise par le langage (la petite mort) est alors repoussée par une idéalisation de la sexualité.

308Pour échapper à cette épreuve de réalité et soutenir une telle idéalisation, il convient soit de suspendre toute sexualité terrestre, soit de la compléter de toutes sortes d’adjuvants préparant les réveils douloureux des lendemains qui déchantent, soit d’orienter son destin vers la seule procréation.

309Freud n’a pas échappé à ce mythe d’un état originaire narcissique absolu. En 1915, il projette d’écrire une métapsychologie synthétique centrée sur une topique ternaire solipsiste. La régression est alors dominée par l’aspiration à retrouver l’état narcissique fœtal. Il rectifie presque aussitôt sa position puis la récuse par son étude de la mélancolie. En 1919, il fait du refoulement une névrose traumatique élémentaire et réintroduit dans sa topique ternaire non plus la visée d’une unité, mais un conflit, celui de la dualité pulsionnelle. L’après-coup retrouve sa source traumatique, cette fois en la régressivité extinctive des pulsions transposée sur la castration des organes génitaux et sur tous ses substituts.

310L’usage psychanalytique du terme de « castration » se distingue ainsi de tout autre. Les castrations animalières, médicales, anthropologiques offrent des déplacements à celle du complexe de castration portant sur le désir.

311Pour l’inconscient, la castration n’existe pas, elle a les valeurs du disparaître. Le manque propre à toute différence peut donc être utilisée par la dynamique de l’hallucination négative. Le complexe se porte sur le pénis du fait que la représentation de chose-pénis est le représentant par excellence de toutes les autres représentations de chose et des investissements libidinaux, sexuels, narcissiques, objectaux, donc de tout désir. Il est, dans l’ordre du sexuel d’organe, le lieu visible et représentable de sensations ne pouvant subir de désexualisation achevée. C’est ce que Freud pressent quand il affirme que la libido est d’essence masculine, formule dont se sont emparés les mouvements féministes et les reproches bâtis sur un je sais bien mais quand même. Ces résistances refusent la démarche d’abstraction consistant à concevoir le pénis comme la partie réelle du corps élue de façon privilégiée en tant que support de transposition de l’émergence des investissements. Le support est pris par ces résistances pour la motion elle-même. Le pénis est tout à la fois un organe de conversion de cette émergence et le vu représentable sur lequel se transpose l’effectivité de cette dernière ; l’érection comme preuve. Cette double fonction lui confère une sensibilité différente des autres parties du corps, plus ouverte sur la régression sensorielle, car plus marquée de régressivité. De ce fait, son disparaître lui ouvre les voies de la jouissance et de l’idéalisation suprêmes.

312La castration-fantasme est pleine de l’espoir schrebérien de pouvoir atteindre une jouissance idéale, infinie, celle prêtée au sexe féminin, et aussi, par la voie désexualisée, un amour idéal, déique ; espoir d’être le lieu narcissique auto-érotique d’une jouissance infinie et d’une générativité de démiurge. Ces veines de l’idéalité sont envisagées réalisables par le retranchement du pénis. La castration acquiert une valeur mystique (Abélard et Éloïse).

313La castration-angoisse conjugue une sensation de menace, de danger imminent sans objet défini, un message et un signal. Elle apparaît en tant que visée de la menace et est désignée comme la conséquence d’un mésusage, d’une transgression, d’une aliénation, d’un pacte démoniaque travaillant à la perte de celui qu’il hante, d’une compulsion qui de répétition se fait compulsion de réduction. La castration-angoisse participe à un avertissement et un appel à modifier une orientation néfaste de l’activité psychique.

314La castration-causalité est celle de toutes les théories sexuelles infantiles. Celles-ci interprètent l’absence de pénis sur le bas-ventre féminin comme une castration, une conséquence d’un acte précis. Elle est intégrée dans une conception qui la dénie en tant que réalité en soi. Les théories sexuelles infantiles nourrissent l’espoir d’échapper à ce destin. Il suffit d’éviter la cause pour ne pas subir les effets. Dans ces théories, la castration, cause de la théorisation, devient conséquence.

315La castration-réalité apparaît dans l’irréductibilité de sa valeur de réel traumatique perceptible. Elle redevient cause. Il convient de lui appliquer les logiques phobiques, de l’éviter et de s’en protéger par des mesures préservatrices, conjuratoires. Elle est l’objet du retrait d’investissement définissant le déni, mécanisme puisant ses origines dans le pare-stimulus originaire tourné vers l’extérieur, actif lors de l’endormissement. De façon plus banale, ce retrait consiste en une mise en latence des matériaux entrant en connexion avec la castration-réalité et qui seront l’objet du travail de rêve.

316Cette valeur traumatique est vraiment accessible par les effets que la perception de la castration a sur le fonctionnement mental, par la contrainte exigeant le déroulement d’un travail psychique, et par les avatars symptomatiques de celui-ci, les indices de castration. Les réalités morbides sont des modalités d’inscription de la castration au sein du travail psychique et des tentatives de reprise du travail selon des modes évitant l’irréversibilité. Elles essaient de la soumettre au principe de plaisir en l’intégrant dans le champ du réversible. Malheureusement existent toutes sortes d’amputations venant réaffirmer la catégorie de l’irréversible.

La castration déjà-là et la régressivité pulsionnelle

317Le complexe de castration s’oppose à l’avènement du sujet désirant et limite les effets de désorganisation liés à l’attraction de la régressivité extinctive. Au mieux, ce conflit se solde par la régression aux auto-érotismes. Cette solution est celle du désinvestissement de l’endormissement au profit du pôle régressif hallucinatoire avec pour finalité une régénération libidinale réorientée vers une objectalité de réveil.

318Ce phénomène en deux temps s’inscrit dans le cycle nycthéméral et dans l’oscillation nuit-jour de l’activité mentale non plus en termes de complexe mais en termes de procès assurant le traitement de la dimension traumatique interne à la psyché.

319La corrélation du complexe de castration avec les phobies banales de l’enfance rend compte des enjeux conflictuels du complexe d’Œdipe occupant ce procès. Le message de menace de castration a pour fonction d’empêcher les régressions transgressives, les resexualisations des narcissismes primaire et secondaire (inceste). Il ne s’oppose pas à la régression, mais soutient le travail de régrédience qui permet de côtoyer la régressivité pulsionnelle tout en la maintenant contre-investie. Cette tâche éthique incombe au Surmoi, à la censure du rêve et au pare-excitation.

320Dans le champ de l’objectalité, cette conflictualité s’exprime par l’oscillation objectalité infantile - objectalité mature. C’est l’impératif d’endeuillement et de résolution, donc le futur Surmoi qui en est l’objet.

321Au niveau du narcissisme, le complexe de castration se traduit par les angoisses de perte et de séparation propres aux relations d’objet narcissiques. La clinique est alors celle des inhibitions dépressives, des dépressions d’infériorité, des troubles du caractère et de la tonicité, etc. Les enjeux conflictuels de la castration sont encore perceptibles au niveau de la libidogenèse par ses vicissitudes. Apparaissent les défauts de dynamisme et de vitalité psychique, les diverses qualités libidinales. Se dessine une conception généralisée de la castration avec, pour conflit central, celui entre les logiques du déni et celles de la résolution.

322Toutes les activités psychiques régressives normales, dont le prototype est le travail de rêve, s’amorcent par une mise en latence de l’impératif de résolution, d’où un réinvestissement d’un fonctionnement régressif délié, en contact avec le processus primaire et par celui-ci avec la régressivité. Cette régression côtoie la resexualisation potentielle du narcissisme ; d’où une phobie fréquente en séance quant à se laisser aller à laisser venir.

323Le complexe d’Œdipe articule cette élimination de l’impératif (meurtre du père) et cette resexualisation du narcissisme (inceste). La castration devient la conséquence de la liquidation de l’impératif et de la resexualisation du narcissisme. Elle dit la perte et la butée.

324Dans le meilleur des cas, le Surmoi mis en latence régresse à l’état de censure qui assure le travail à réaliser. L’éveil de la dimension traumatique exige parfois la régression au pare-excitation. La qualité des liens entre pare-excitation, censure et Surmoi sont essentiels. Ils s’expriment par la clinique de l’après-coup. Quand ces liens se défont, le procès de l’après-coup se désorganise en coup sur coup et en à-coups répétitifs.

325Le complexe de castration articule une menace ayant valeur de limitation et d’exigence de travail, un fantasme permettant un degré de réalisation hallucinatoire de désir et une causalité correspondant à une transgression des lois psychiques.

326L’interdit et la transgression révèlent les lois biologiques du fonctionnement de l’appareil psychique, transposées dans l’organisation de toute éducation et transmises par les personnes supports de ces transpositions, en tant que messages de prudence et de croissance. Les enjeux de transgression se traduisent par les théories sexuelles infantiles, mais l’interdit lui-même est issu de la téléologie de la matière psychique dont la transgression a pour conséquence l’éprouvé et la formulation de tels interdits.

327Cette transgression porte sur les rapports des instances tels que formulés par les expressions des fantasmes originaires ; celui de séduction, de l’enfant par l’adulte, du Moi par le Ça ; celui de scène primitive, l’enfant-rejeton redevenant un Ça pulsionnel des parents. Le troisième fantasme originaire énonce les conséquences néfastes des deux premiers, présente la solution d’une perte d’une partie pour sauver le reste et s’oppose à l’attraction négativante. Ce fantasme, en désignant le père comme auteur de la castration, le restitue en tant que support du Surmoi. Il exprime un appel au père et une butée.

328L’apport de 1920 éclaire une dimension présente au sein des identifications, la dimension défective. Ce terme souligne le fait que les identifications peuvent œuvrer aux défaites de la mentalisation. Elles imposent une castration déjà là. Le sujet se trouve, dès lors que le déni qui les occupe vacille, aux prises directes avec une réduction de ses fonctions mentales, avec une mise en acte d’une castration se réalisant au sein de sa psyché, sur son économie, sa dynamique, son organisation topique, sur son champ d’investissement.

329De telles identifications défectives sont à l’œuvre dans le contre-Œdipe banal, dans les névroses de destinée, les tableaux dominés par la réaction thérapeutique négative, par la compulsion de réduction. Ce sont les cliniques des scissions, clivages, éclatements, celles de la dégradation.

330La question de la castration en psychanalyse concerne donc sa significativité eu égard à la régressivité extinctive. Les indices de castration expriment les vicissitudes du travail psychique requis pour traiter celle-ci. Le coup qui détermine l’après-coup concerne donc le pouvoir traumatique de la régressivité, les atteintes des processus constitutifs du travail psychique, et l’effet des perceptions dénommées castration servant de transposition.

331La régressivité extinctive procède de l’angoisse. Selon des modalités diverses, elle est toujours angoisse de castration. Le rôle de l’interprétation est de renforcer, par la formulation verbale des contenus, fonctions et processus inconscients, le contre-investissement de cette régressivité vide de tout contenu représentatif direct, mais néanmoins verbalisable. Nous avons déjà signalé que l’absence de contenu représentatif spécifique de la régressivité, la trace manquante, pousse à utiliser le verbe qui la formule à des fins de dénégation. Je sais bien mais quand même en est l’expression la plus courante.

La transposition des impressions processuelles : les vu et entendu

332Freud a remarqué qu’il ne trouvait pas dans l’inconscient de contenu représentatif spécifique de la névrose traumatique. Privée des logiques substitutives, elle a un impact traumatique sur la métapsychologie de 1900.

333La dimension mnésique n’est toutefois pas absente. Existe une similarité entre les effets de vu impliquant des perceptions de manque actuelles et d’autres de l’enfance, en particulier celle de manque de pénis sur le bas-ventre féminin ; de même entre deux effets d’entendu reliant des impressions internes et des messages maternels de prudence et paternels d’appel à la croissance. Les affects d’effroi, de détresse et les appels à recours et secours se font écho, au-delà de la temporalité.

334Cet entendu est né de la transposition sur le discours verbal de la valeur de message de menace de certaines impressions endogènes précoces. Celles-ci sont des conversions des tendances et conflits primordiaux affectant les opérations psychiques élémentaires génératrices de l’économie pulsionnelle. Les frayeurs, détresses et élations qui en émanent sont reliées aux messages parentaux invitant à la croissance et au renoncement aux solutions inachevées des auto-érotismes et idéalisations.

335Par ces opérations se dessine une préconception des scènes primitive et originaire, et de la future scène érotique. Celle-ci sera pensée selon de nombreux scenarii traduisant les diverses combinaisons des opérations génératrices du sexuel du Ça.

336Les résultats et vicissitudes de ces opérations se composent de ces productions et impressions. Ils se transposent sur le vu de la double différence des sexes – masculin-féminin, nanti-châtré –, sur les deux catégories de l’existant – le visible et l’invisible –, et sur la catégorie de l’inexistant.

337Vu et entendu sont ainsi des après-coups construits à partir des impressions précoces grâce au mécanisme de la transposition. Ils articulent les opérations mentales premières, les messages verbaux des parents et les perceptions sensorielles de la double différence des sexes.

Ni vu ni entendu

338Selon la configuration du complexe de castration, sa forme positive ou inversée, les vu et entendu n’auront pas le même sens. Ils s’articulent de deux façons, au nom de la référence résolutive et de celle consistant à se faire aimer d’un parent par le biais du soutien défensif qui lui est procuré. Cette conflictualité s’exprime par toutes sortes de disjonctions entre les messages résolutifs et négativants, entre ceux issus du vu et ceux issus de l’entendu.

339Une hésitation se retrouve dans les travaux de Freud, quant à savoir si l’entendu précède le vu ou l’inverse. La question de la précession, de la précocité et de la prématurité, des rétroactions de l’un sur l’autre s’y trouve soulevée.

340Ces contradictions sont liées au fait que Freud articule une dynamique résolutive avec une autre dominée par le déni. Ce dernier porte soit sur l’entendu, le message, sur le vu, la constatation, voire sur les deux. Dans tous les cas, il s’agit de réprimer les ressentis d’une menace interne reconnue dans les messages verbaux, et d’un constat d’échec interne, manques reconnus en une réalité perçue.

341L’aspect confusionnant de la contradiction de Freud vient d’une association inconstante entre garçon et résolution, fille et déni.

342En séance, le conflit entre l’impératif de résolution et l’imposition de non-résolution se traduit par l’utilisation de la haine au service de la non-résolution. Se produit une véritable transvaluation des messages liés aux affects. La culpabilité accompagne les tentatives de construire une indépendance, et la honte émane de l’orientation non incestueuse de la sexualité. La haine s’oriente vers tout ce qui rappelle l’impératif de résolution. L’analyse peut en faire les frais. Il en est de même avec la douleur quand elle devient la voie vouée à rendre présent l’objet perdu, ou qu’elle est associée à sexualiser la haine comme dans « Un enfant est battu ».

343Le double sens du transfert négatif s’y retrouve, celui utilisant positivement la haine à la construction de l’objet (l’objet naît dans la haine) et celui négativant qui recoupe le transfert d’énamouration (Lacan). Culpabilité, doute, haine et douleur se montrent alors favorables à la destruction et la mortification.

344Cette double ambivalence se porte sur le parent et l’analyste. D’un côté, le parent support de messages de résolution est positivement haï ; de l’autre, celui utilisant son enfant pour ses besoins défensifs est négativement aimé.

Prise en compte de la régressivité et théories sexuelles infantiles

345Intellectuellement, le complexe de castration est une aberration ; psychiquement, une nécessité. Il est le prototype de l’irrationnel. Nous avons déjà signalé qu’il est présent à chacun des trois nœuds organisateurs de la pulsion (la sexualité infantile, le narcissisme, la libidogenèse) et exprime les vicissitudes du travail psychique les affectant.

346La contradiction entre le non-sens intellectuel et la significativité pour le fonctionnement psychique se traduit par la formule d’entrée dans la perversion : Je sais bien mais quand même. Reconnaissance et déni de la castration y coexistent. Plusieurs vérités s’y côtoient : la castration existe ; la castration est un fantasme ; la castration n’a jamais été réalisée sur les filles ; l’absence de pénis n’est pas une castration mais un fait. L’affirmation selon laquelle la femme est châtrée est donc vraie et fausse. La femme présente par son corps un manque de pénis et ce pénis ne lui a pas été enlevé.

347Le traitement de la dimension traumatique liée à ce manque oblige à concevoir une théorie l’interprétant, selon laquelle ce qui manque devrait être là, a été là, a été enlevé, a été déplacé en un autre lieu invisible (en haut, en bas, devant, derrière, dedans, dehors), qu’il va réapparaître, revenir, repousser, etc. Ces théories postulent qu’il est possible de le faire apparaître, réapparaître, qu’il suffit de trouver la méthode adéquate. Le coup de la disparition est suivi d’un après-coup de résurgence. Nos aspirations thérapeutiques et réparatrices sont empreintes de telles théories.

348La fonction antitraumatique de cette théorisation permet de réunir les deux vérités apparemment incompatibles. Le dilemme vrai-faux s’y dissout. Une théorie sexuelle infantile est fausse en tant que contenu, mais vraie en tant que procès de théorisation répondant à une nécessité. L’après-coup transmet l’existence d’une discontinuité en même temps qu’il produit une continuité. En tant que théorie agie, il révèle et affirme ce qu’il dénie.

349L’installation de la sexualité féminine, mais aussi de celle masculine, va suivre cette double logique propre à l’après-coup. Le premier moment de résolution du complexe d’Œdipe, l’entrée dans la latence, articule les deux temps du complexe de castration au pénis et à l’érogénéité du visible ; le second, celui de la postpuberté, concerne le couple vagin-pénis et l’érogénéité du couple visible-invisible. Chaque étape résolutive se fait elle-même en deux temps articulant visible et invisible au couple châtré-nanti.

350La régressivité pulsionnelle est liée par transposition au manque perçu sur le corps de la femme, donc à la sexualité de celle-ci. Dépourvue de pénis, elle est pensée sans désir. Quand ce dernier apparaît, il est vécu comme la voie de la disparition du pénis. Le refoulement prolongé du vagin permet cet amalgame érogénéité intérieure - castration. Les autres orifices en bénéficient, d’où les nombreuses injures et formules populaires liant leurs revendications pulsionnelles à la castration.

351L’association féminité-castration renforce le refoulement d’une pulsion vaginale envisagée dangereuse et contagieuse. Il faut du temps pour que cette théorie devienne contre-investissante et libère l’accès pour les deux sexes, au féminin. La liaison régressivité-érogénéité vaginale va produire tous les fantasmes de disparition dans le corps féminin, que cette disparition concerne la partie ou le tout. Le désir et la jouissance de la femme sont ressentis comme une avidité sans fond au pouvoir attracteur incommensurable. Ils trouvent comme images de figuration les tourbillons, gouffres et autres aspirations par le vide, le néant mais aussi l’infini.

352Cette association castration-féminité produit encore d’autres théories, en particulier celle considérant que le désir féminin est libéré de tout danger de castration puisque ayant déjà eu lieu. Après la théorie d’une castration contagieuse, se présente celle d’une castration une fois pour toutes, libératrice. En psychanalyse a été soutenu un tel après-coup théorique issu d’un déni : l’absence de complexe de castration chez la femme, et son absence de Surmoi. Cliniquement, cette théorie est à la base d’après-coups identitaires, de néo-identités féminines mêlant défi et effronterie, se vouant à une cause masculine et défiant tous les dangers et les interdits au nom de leur invulnérabilité.

353L’installation en deux temps du couple masculin-féminin est due à la régressivité à laquelle chaque pôle se trouve confronté par le doublet nanti-châtré. Le nanti va s’appliquer successivement à chacun des pôles du couple masculin-féminin puis être indexé qualitativement du facteur de renoncement et désindexé du phallisme infantile. La castration ne devient un éprouvé de manque qu’à partir du moment où ce couple masculin-féminin est construit.

Déni de la castration

354En 1937, Freud s’étonne du fait que les êtres humains ne sont pas tous bisexuels. Il renvoie la nécessité de faire un choix de genre à la dualité pulsionnelle et à une fondamentale tendance au conflit. Le choix d’objet bisexuel est une tentative d’atteindre une complétude narcissique, donc un déni du fait que chaque élément du bipôle a à se confronter à la castration selon la classique répartition distributive du couple nanti-châtré sur celui masculin-féminin.

355D’autres constellations impliquent aussi le déni ; bien sûr, celles relevant du narcissisme phallique, la masculinité phallique (le rouleur de mécaniques) et la féminité phallique (la vamp, la virago). Du côté de la femme, nous trouvons encore l’attente du don d’enfant avec la condensation de l’enfant du père et du pénis perdu. Freud a aussi décrit la conviction de la petite fille face à ce qu’elle interprète comme une injustice qu’elle pense avoir subie, avec sa décision redoutable de consacrer sa vie à une quête de réparation et de vengeance, quand elle ne s’enferme pas dans un statut d’infériorité. Parallèlement, il soutient que l’investissement d’une mère pour son fils est le seul à être pur de toute ambivalence. Le fils-héros fournit à sa reine-mère ce qui lui manque, et elle le lui rend en le protégeant de toutes menaces de castration.

356Existe une autre occurrence, dérivée de la précédente : la gestion par la femme de son propre complexe de castration en le délégant à un homme qu’elle aide à réaliser ses idéaux. Tour à tour, elle peut éveiller chez lui l’angoisse, les vécus de menace, ou au contraire se présenter comme celle qui détient un élixir magique de protection. Elle réalise ainsi le souhait d’être indispensable à un autre.

357Ces constellations cliniques se révèlent fréquemment en cours de cure, en tant que néo-identités restées jusque-là latentes. Ce sont des après-coups typiques du rapport à la castration authentifiée en tant qu’événement traumatique – en fait, support de la régressivité interne.

Résolution, déni et opération de meurtre

358L’irrationalité de l’après-coup tient au fait que ce procès est soumis à des tendances incompatibles, la régressivité négativante et un impératif élaboratif référé à un idéal de fonctionnement mental. Son achèvement dépend de l’impératif de résolution propre au Surmoi. Il s’agit de la résolution du complexe d’Œdipe et plus précisément de l’ambivalence portant sur la réalisation de l’opération de meurtre promotrice de cette résolution.

359Selon que ce meurtre se fait sous l’égide de l’impératif et concerne la pulsion, ou qu’elle se porte sur l’impératif lui-même et laisse alors libre cours à la régressivité pulsionnelle, se dessinent plusieurs destins. Le premier est celui de la fondation et de la croissance du psychique ; le second, celui de sa négativation à sa source.

360Une troisième solution concerne le meurtre de l’objet-support de transposition. Un cycle réparateur s’installe avec, au premier plan, le réérigement de l’objet. Cela a des conséquences sur la place accordée à l’objet dans le travail de cure et dans la théorie, qui subissent alors un excès d’objectalisation avec le risque intersubjectiviste qui s’ensuit. Le support de transposition est pris pour la motion à intégrer et pour le procès à installer.

361Une autre solution, celle du déni, porte sur la valeur de la castration. Le travail régrédient n’a alors pas lieu. Les productions utilisées par le déni sont des matériaux régressifs, donc des réminiscences investies en permanence sur la voie progrédiente. Elles ont pour principal but de soutenir la seule orientation progrédiente et non de modifier l’économie régressive à sa source. L’opération de meurtre se met au service de cette continuité de déni. L’après-coup devient monophasique par ses productions progrédientes qui saturent la conscience de telle façon qu’aucune perception de l’attraction régressive n’est ressentie.

362L’accomplissement achevé de l’après-coup signe l’authentique prise en compte psychique de la castration et de sa corrélation avec la régressivité. Ni le déterminisme, ni l’en-deux-temps ne témoignent de cet accomplissement ; mais l’oscillation résolutive du travail psychique, c’est-à-dire l’effectivité du meurtre promoteur de la réduction libidinalisante, de la désexualisation narcissisante et de l’endeuillement objectalisant.

363Chaque parent est un support de transposition de l’ambivalence de résolution. Il endosse la double identité de support de l’impératif processuel et de support de sa liquidation. L’acte meurtrier fondateur est en conflit avec le meurtre œdipien, chaque parent devenant tour à tour un séducteur de la resexualisation transgressive et un parent tendre et ferme. La castration y trouve sa place en tant que conséquence du doublet meurtre-resexualisation, et la menace de castration sa valeur en tant qu’appel à réinvestir les commandements de l’impératif. L’appel au père du fantasme originaire de castration par le père se retrouve ici.

364Ainsi la résolution se définit-elle par une oscillation qui ne se réduit ni au tout ou rien, ni au partiel et à l’achevé. L’impératif qui préside à son déroulement se présente selon deux modalités : un impératif de progrédience menant à l’objectalité endeuillée et un impératif de régression rendant possible la générativité économique et les activités psychiques régressives du pôle hallucinatoire et du pôle sensoriel. Ce doublet en contient un autre qui lui est indispensable mais peut lui être fatal, celui de la prise en compte et celui du déni de la régressivité.

L’érogénéité et le point de vue génétique

365Les identités de la castration décrites plus haut rendent compte du rapport de la psyché à la réalité pulsionnelle négativante qui produit des variations de tension et des différences qualitatives au sein de la sensitivité proprioceptive. La régressivité extinctive se saisit de toutes ces différences ressenties au contact ou non des objets, en lien ou non avec le langage. Ces perceptions de manques ne peuvent donner lieu à des traces directes. Elles ont lieu en même temps que des perceptions relevant d’une autre catégorie, celles directement traçables. Eu égard à celles-ci, les perceptions sans trace prennent valeur de manque à tracer.

366Un double écart occupe toutes les différences, entre les perceptions avec trace et les perceptions sans trace, entre le manque à tracer et le traçage effectif. Manque à tracer et recherche de traçage se trouvent imbriqués.

367La plus belle illustration d’un tangible sollicité par un ressenti de manque nous est donnée par la main de l’enfant qui se porte à son bas-ventre au cours de ses activités, qu’il soit fille ou garçon. Son geste témoigne d’une excitation dominée par le ressenti de la régressivité. Il a valeur de vérification et de contre. L’intervention des adultes renforce ce dernier. Alors que, de façon erronée, ils prêtent à l’enfant une maturation qu’il n’a pas en interprétant son geste en termes d’auto-érotisme et d’échappement sphinctérien, ils soutiennent positivement l’appel vécu par l’enfant à une réalisation processuelle.

368La transposition, sur les deux catégories de perceptions, avec et sans trace, des tendances extinctives élémentaires et des opérations primordiales d’inscription fournit des préconceptions de la future scène érotique. Leur conversion corporelle participe à fonder les zones érogènes.

369Ces opérations primordiales doivent dompter-réduire les tendances pulsionnelles élémentaires et les muter en motions pulsionnelles captées dans le Ça. Une voie d’investissement est alors nécessaire afin de s’opposer à la régressivité toujours active en leur sein. La co-excitation avec le corps et les objets externes va fabriquer de telles voies. Les perceptions et les traces qui en sont issues les constituent.

370Les contraintes extinctives et élaboratives aboutissent à la double inscription des traces en figures-rébus et en représentants-représentations pulsionnelles. Chacun de ces deux pôles est soumis à la régressivité pulsionnelle et au principe du code, mais l’un est plus étroitement relié au langage, l’autre, à la pulsion.

371Pour se produire, ces diverses opérations exigent des conditions précises, celles transmises par les soins précoces, par le code qui les organise en langage de soin et les relie au langage verbal. Le code est le principe de toute processualité. Par les processus de pensée, il a valeur de cadre. Les traces des soins maternels appartiennent à l’histoire de la mise en place de la processualité. Leur principal message concerne l’impératif à maintenir un lien au principe du code et à l’établir selon le détour régrédient, la voie longue permettant la liaison au pulsionnel.

372Par ces soins, la processualité d’un autre se propose, introduisant une potentielle objectalité et offrant aux transpositions le temps d’utiliser cet autre en tant que support de constitution des procès psychiques. Idéalement, la régressivité ne se révèle complètement par l’orgasme dans l’érotisme, qu’après un long parcours de co-excitation, de sexualisation et de désexualisation tant du corps que des objets, après que soient instaurés les narcissismes, primaire corporel et secondaire objectal.

373Le rôle de cet objet-support de la processualité est essentiel dans la mutation du sexuel d’organe et de la sensorialité primaire en érogénéité. Ils constituent les premiers refoulés refoulant la régressivité et permettent son premier retournement en une poussée pulsionnelle. Celle-ci reste soumise à une puissante attraction régressive vers le sexuel d’organe. Son haut degré de réversibilité trouvera des possibilités de réactualisation en la régression sensorielle de la vie érotique et de ses préliminaires. Cette transposition sur le corps participe à fonder une carte de l’érogène avec ses zones, à partir du sexuel d’organe.

374Au cours des cures, la géographie de l’érogène se modifie considérablement. Seules les zones érogènes, et tout particulièrement celles génitales, conservent la potentialité de régresser sensoriellement au sexuel d’organe. Ces zones témoignent des limites de la désexualisation fondatrice du narcissisme primaire et de la resexualisation au-delà du sexuel d’organe.

375Ces opérations constituent la source pulsionnelle elle-même, lui donnent ses caractéristiques, ses variations de rythme et d’intensité. La contrainte liée à la régressivité explique la discontinuité de l’excitation et de la poussée, de même que les différences d’intensité et d’excitabilité des zones investies, les seuils et périodes réfractaires. D’où la reconnaissance d’une discontinuité des objets et de leurs genres.

376L’érotisme réunit les deux supports des narcissismes primaire et secondaire, le corps propre et l’objet, et articule une régression sensorielle à un investissement d’objet.

377L’intégration des sexuels d’organe et d’objet dans une sexualité objectale se réalise en deux temps. Elle nécessite des opérations inaugurales qui se déroulent aussi en deux temps pour chacune des zones du corps et pour chacun des objets servant de support ; puis une seconde opération les réunit et les place sous un même impératif d’objectalisation. De nombreuses vicissitudes portent sur chacune des érogénéisations ponctuelles et au niveau de leur mise en constellation globale. Une fois la génitalité atteinte, le ponctuel et le global se combinent dans les préliminaires.

378La future scène érotique est déjà-là, par les sensations et préconceptions impliquant chacune des parties du corps. Ce déjà-là est en attente de l’après-coup adolescent dont émerge la constellation finale avec l’identification à l’érogénéité de l’autre sexe.

379L’actualisation de la régressivité, typique de l’adolescence, contraint l’émergence de l’érogénéisation du vagin et du désir féminin. Les diverses précurrences sensitives, celles liées à la tétée, à la défécation, à chaque partie du corps – se reformulent dès lors en des termes évoquant les rapports des corps masculins et féminins. L’érogénéité des diverses parties du corps durant l’enfance trouve sa pleine significativité érotique suite à l’après-coup de l’adolescence.

380Les résultats du procès d’érogénéisation sont identifiés aux zones sexuelles spécifiant l’homme et la femme, et les manques à érogénéiser associés à leurs différences. La présence de l’investissement est identifiée après coup à la présence visible du pénis, la présence des sensations, à celle non visible, des orifices, et in fine celle du vagin.

381Toute la conflictualité – les menaces et manques à réussir ces opérations – est transposée sur l’autre différence de la différence des sexes, la présence et l’absence de pénis pensées en termes de castration. Le pénis est l’objet de menaces et d’atteintes, le vagin aussi. Les vu et entendu s’appliquent aux deux zones érogènes de la génitalité, dans leurs rapports à une menace portant pour l’un sur sa visibilité, pour l’autre sur ses ressentis invisibles.

382Cette transposition des sensations liées à l’exercice de la processualité a lieu sur l’ensemble du corps et sur le couple corps propre - corps de l’autre. Ils s’associent dans la sensorialité émergée au contact de l’autre. Se dessine un double chiasme des sensations, mêlant celles liées aux résultats des procès, à la bisexualité psychique, et celles liées à la conflictualité de la réalisation de ces procès, en rapport à la castration. Chacune des parties du corps est donc bisexuelle et concernée par la castration.

La fractalité de l’érogène

383La dynamique en deux temps de l’après-coup se réalise au niveau de chacun des nœuds organisationnels de la pulsion qui qualifie de sa spécificité chaque élément pris isolément ainsi qu’en leur ensemble. Chaque investissement de chaque partie du corps et de chaque objet les rend porteurs de l’infantile, du narcissisme et du traumatique. Vont ainsi s’inscrire les procès d’érogénéisation de la bouche avec en après-coup le fantasme de fellation ; de l’anus, avec la sodomie ; du pénis avec la pénétration ; du vagin avec l’intromission. La conflictualité propre au procès de l’après-coup fait que chaque zone est porteuse de la bisexualité de ces fantasmes et des théories de la castration – orale, anale, génitale externe et interne.

384Toutes vont s’accompagner de scenarii d’exécution de trous et de retranchements divers. La castration de la logique œdipienne est réalisée par un acte – oral, anal, de pénétration, d’absorption, etc. Les revendications et avidité pulsionnelles se lient encore à la castration-disparition, soutenant leurs aspirations à des réalisations suprêmes hors représentation.

385L’après-coup fonde donc les zones érogènes isolément puis les rassemble et les fait converger grâce à la résolution du complexe d’Œdipe. La dynamique globale de l’après-coup se révèle fractale. Elle articule le ponctuel et le global.

386L’après-coup crée la sensorialité première et son orientation vers l’objet. Les conflits qui l’occupent sont à l’origine de l’oscillation entre le partiel et le résolutif. Nous y retrouvons les prémisses du Surmoi sous le mode de divers impératifs actifs au sein des premiers après-coups.

387La structure du procès qui met en place l’érogénéité au niveau de chaque zone est similaire à celle qui reprend l’ensemble du corps pour fonder l’érogénéité objectale sous l’égide du Surmoi. Toute régression retrouve les après-coups ponctuels, mais aussi ceux qui ont été objets de vicissitudes. Les jeux de disparition et de résurgence inhérents à l’après-coup s’appliquent à lui-même dans des circonstances particulièrement traumatiques. En découle le destin du terme qui le désigne et l’une de ses formes, sa mise en abyme. Plus il y a péril en la demeure, plus cette forme devient perceptible. Le rêve dans le rêve en est la parfaite illustration. La mise en abyme est la forme régressive de la fractalité.

388Se dessine ainsi une génétique basée sur le déroulement de ces procès organisateurs au niveau de chaque partie du corps et de chaque élément du monde des objets. Cette génétique est avant tout processuelle, elle subsume celle des stades et des phases. Son achèvement est la reprise de toutes les résolutions ponctuelles ayant eu lieu, par un principe de résolution les réunissant et les orientant vers l’objet. La régression à un fonctionnement ponctuel reste alors ouverte, l’ensemble se trouvant en latence. Elle se traduit par toutes les variations des préliminaires jusqu’aux mises en abyme formelles.

UNE IMPLICATION MÉTAPSYCHOLOGIQUE : LA TRACE MANQUANTE

389Le travail de l’après-coup articule deux réalités incompatibles. Il transforme un hiatus en une discontinuité ayant valeur de continuité. Son élaboration métapsychologique procède de la construction théorique. Elle mêle la stricte inférence et la liberté imaginative.

390La discontinuité entre le moment régrédient de composition des figures-rébus et celui progrédient de production de formations représentatives implique ces deux dimensions de la pensée tant dans la conception de l’interprétation que dans celle de la théorie. Cette rupture de logique fonde l’irrationnel et les écarts association-interprétation, clinique-théorie, en même temps qu’interprétation et théorie relèvent de la clinique.

391Deux attitudes envers l’imagination spéculative se dessinent. La première affirme, méfiante, que l’imagination est la folle du logis (N. de Malebranche) ; la seconde, narquoise, que l’imagination est plus importante que le savoir (A. Einstein).

392Ce saut de nature concerne la régressivité inductrice de la mise en latence et des diverses formes de régression, et l’impératif promoteur sur la voie progrédiente des formations relevant du principe du code et aptes à devenir conscientes – la nécessité et la finalité.

393C’est cet écart qui est à l’origine du procès de l’après-coup, de sa forme en-deux-temps avec un troisième intermédiaire, régressif et bivalent. Son déploiement exige une identification précossissime au modèle processuel d’un autre, l’autre de la processualité. L’identification processuelle est modélique.

Le modèle de la mentalisation

394La régressivité pulsionnelle extinctive n’a pas posé à Freud les mêmes difficultés pour Éros et la pulsion de mort. La régressivité extinctive jusqu’à l’inorganique relève d’une pulsion de mort travaillant en silence à la réduction et à l’extinction de tout ce qui vit. Avec Éros, Freud ressent un embarras que les solutions des poètes (Platon) ne lui permettent pas de résoudre. La qualité conservatrice dans son œuvre désigne tour à tour la sauvegarde des acquis puis le retour à un état antérieur. Il octroie ainsi deux qualités à Éros, une tendance extensive et une autre de liaison, impliquées dans la formation d’ensembles de plus en plus vastes. La dynamique propre à l’idéalité plaide pour la qualité extensive, celle de liaison requiert une retenue issue d’un effet de la pulsion de mort sur Éros, et vice versa. Dès lors, la régressivité d’Éros peut être envisagée comme une propension à échapper à toute retenue et à retrouver une extensivité infinie. L’idéal est alors une voie régressive.

395La régressivité extinctive est donc double, par réduction jusqu’à l’inorganique pour la pulsion de mort, par extension à l’infini pour Éros, toutes deux qualifiables de traumatiques et impliquées dans l’angoisse. Inorganicité et infini se conjuguent dans toute théorie de l’angoisse et constituent les deux tendances aux limites de l’inconscient dont toutes les représentations de chose sont investies : épuiser le sujet, le dissoudre par idéalité.

396Mais qu’est-ce qui préside à cette liaison-déliaison par intrication-désintrication des pulsions ? L’existence d’un travail de la psyché permet d’inférer que ces deux régressivités asymétriques – l’une silencieuse, l’autre bruyante – ne font pas que s’opposer l’une à l’autre selon un principe d’homéostasie, mais qu’elles sont placées toutes deux sous l’égide d’un troisième terme, un impératif de retenue qui s’y oppose. La double retenue qui en découle fonde les tensions psychiques et le masochisme primaire, un masochisme de fonctionnement. Cet impératif a, comme perspective de résolution de ces tensions, le désir érotique objectal.

397Se dessine une double hétérogénéité, entre les deux régressivités extinctives et entre leur commune tendance à l’extinction et la visée de l’impératif processuel à inscrire cette économie dans la psyché et à l’orienter vers la conscience. C’est cette double différence qui se transpose sur la différence des sexes.

398La réflexion se porte alors sur ce qui favorise et s’oppose à l’efficience de cet impératif, sur ce qui promeut les opérations psychiques ayant valeur de meurtre sur chacune des deux tendances extinctives. L’acte de meurtre peut promouvoir le psychique ou, au contraire, porter sur l’impératif et libérer les régressivités. Se trouvent ainsi formulées de façon abstraite et élargie les assertions du complexe d’Œdipe et de sa résolution. Reste la question de l’origine de ce meurtre qui définit au mieux le sujet en tant qu’il est l’auteur de ce qui le fonde mais aussi l’agent de ce qui tend à le faire disparaître.

399La notion de résolution est consubstantielle du complexe d’Œdipe et désigne le déclin de ce dernier et l’installation du Surmoi, instance qui regroupe tous les impératifs ponctuels et veille à ce que tout travail psychique soit réalisé en lien avec le contexte d’ensemble. Tous les résultats de l’après-coup sont référés à son aune. Elle implique une finalité du travail psychique. Ce dernier doit réduire la double régressivité et orienter l’économie psychique sur la voie progrédiente jusqu’à la conscience. Cette réduction consiste à extraire les qualités extinctives des tendances pulsionnelles élémentaires. L’impératif s’en trouve doté et les utilise au service du traçage et de la différenciation des traces en inscriptions mnésiques. Intervient là l’économie spécifique de la processualité dont l’impératif a la responsabilité. Freud l’a dénommée surinvestissement et l’a qualifiée de neutre, déplaçable, propre au Surmoi et spécifique du langage. De nature libidinale, elle est impliquée dans les trois nœuds processuels organisateurs de la pulsion. Il s’agit d’une libido processuelle. Les sauts et mutations d’une économie extinctive en une économie du principe de plaisir et une économie de résolution sont réalisés grâce à de tels apports de libido processuelle. Celle-ci est liée au principe du code représenté par tous les langages, ceux des affects inclus. Seule sa présence rend possible le devenir conscient. Une hypothèse en découle : la nature du code serait une qualité de la conscience.

400Cette contrainte à établir et soutenir un lien avec la conscience, via le code du langage, est reprise à son compte par la règle fondamentale et participe à l’effet thérapeutique de tous les traitements psychanalytiques.

401En résumé, le procès de mentalisation qu’est l’après-coup est composé de deux tendances opposées ayant une même finalité, l’extinction, et d’un impératif de résolution utilisant cette opposition afin de réduire la double régressivité en un résultat de vie. Son moyen d’action est l’acte de meurtre, sa visée idéale, la résolution en un désir érotique.

Traces mnésiques, traçage et point de vue économique

402Le modèle ainsi dessiné a une fonction économique essentielle. La prégnance des régressivités menace les opérations qui la réalisent. D’où un recours au mécanisme antitraumatique de l’accrochage à une matérialité tangible, celle du corps propre et celle du monde externe. D’où aussi la production de matériaux psychiques utilisables à discrétion.

403La perception offre une telle matérialité par les traces qu’elle permet. Mais cette solution antitraumatique se double d’un éveil traumatique du fait de l’existence de perceptions sans trace, les perceptions de toutes différences desquelles émane une trace manquante.

404Les différences ne donnent pas lieu à un traçage, mais à un travail direct sur l’économie, donc à des frayages, des ressentis et impressions précoces, ou à un déni immobilisateur. L’usage de la tangibilité matérielle des traces se complète de celle du pare-stimulus et du déni qui en est issu. Le rapport à la perception se trouve oscillatoire.

405Du fait que les zones érogènes génitales restent les plus frappées par la régressivité, la transposition de celle-ci se réalise électivement sur la double différence des sexes, celle des genres et celle de la castration. Se trouvent réunies des perceptions avec traces, le couple masculin-féminin, et des perceptions sans trace, leurs différences étant subsumées par celle nanti-châtré.

406A déjà été souligné dans un chapitre précédent que parmi les perceptions avec traces sont à distinguer celles en rapport avec le visible, transformables en images et représentations, et celles avec l’invisible donnant lieu à des sensations.

407Se trouvent réunies la régressivité à l’inorganique, transposée sur l’absence de pénis sur le corps féminin pensée en termes de castration, et la régressivité extensive transposée aussi sur l’absence de pénis mais pensée en tant qu’assomption du pénis. Le manque de pénis donne ainsi lieu à une double interprétation, un retranchement et une transcendance. Les deux se combinent de plus aisément, la première devenant la voie alchimique de la seconde.

408Par ces transpositions, se réalisent tous les jeux de co-excitation qui utilisent les perceptions, les traces, les représentations, l’absence de traces liée à la réalité des différences et les opérations processuelles.

409Au niveau du traçage, deux pôles se distinguent, celui du sans-trace lié à des perceptions ne pouvant donner de trace, donc de représentation de chose, et celui des traces perceptives issues du corps propre, des objets, du langage, de l’autre des procès de pensée, de l’autre du modèle.

410Les perceptions sans trace sont ressenties en tant que manque à tracer. Indexées de la qualité traumatique, elles doivent être traitées par un travail de pensée n’ayant pas à sa disposition de contenus spécifiques. Là où la trace est manquante, le travail psychique devient strictement processuel. Sa visée économique est alors au premier plan. Là où les traces existent, la même fonction économique est dissimulée par leur utilisation.

411Eu égard à la trace manquante, le fonctionnement psychique est contraint de trouver un autre moyen que celui de différencier des inscriptions psychiques à partir des traces perceptives. Une solution consiste à utiliser des représentations issues d’autres perceptions, voire des perceptions et traces adjacentes à la trace manquante. Toutefois celles-ci ne pourront jamais correspondre ni répondre de façon suffisamment adéquate au manque de trace spécifique ; d’où l’éprouvé d’un manque à penser et la quête d’une perception apte à combler le manque à tracer. Une compulsion au traçage, la production d’un perceptif vont tenter de surseoir à tout manque à tracer en saturant de l’intérieur la conscience perceptive. Les représentations deviennent alors excessivement nettes et subissent une multiplication en nombre et en intensité (le médusage). La confection du fétiche en est l’illustration prototypique. Les traces, à partir desquelles il est fabriqué, sont trouvées sur le chemin de la régression qui mène à la perception traumatique. Elles lui servent d’arrêt et de butée.

412Une autre solution est l’inscription, sous forme de conversions, des éprouvés issus du travail psychique lui-même. Une autre encore réside dans la production de liaisons théoriques et interprétations transformant la perception sans trace, la trace manquante, en manque à tracer et manque à percevoir ; d’où la quête de la perception et de la trace faisant défaut. La théorie affirme alors que quelque chose devrait exister là où quelque chose manque.

413Dès lors que le procès de réduction de la régressivité est sollicité par une perception sans trace ou directement par la régressivité extinctive, une détresse minimale a lieu. Les retours sortent de l’ombre du refoulement et se présentent comme recours. Le besoin de matériaux psychiques se fait ressentir. Les traces sont alors convoquées et différenciées en doubles inscriptions au service de ce travail de réduction économique. Nous retrouvons là la question des diverses mémoires et du besoin de mémoire.

414Si le traçage est lié à l’impact sensoriel avec la réalité externe, sa différenciation en inscription est mue par les besoins processuels sollicités par le sans-trace traumatique.

415Cet appel au traçage et à la construction des inscriptions mnésiques se retrouve impliqué de la même façon dans la naissance de l’écriture et dans l’utilisation de l’acte d’écrire comme transposition et étayage des opérations d’inscription. L’écriture est mue par un souhait de conservation, mais plus encore par la fonction antitraumatique de l’acte et de la matérialité du tracé, appelée par la nécessité de parer aux éprouvés d’effacement.

416Nous avons déjà souligné que la production d’un signe comme trace manifeste référée à un code ne permet pas de résoudre l’absence de représentation de chose spécifique de la perception sans trace. Les mots ne relèvent pas de la seule représentance pulsionnelle. Nous retrouvons l’écart régressivité-code.

Affect, théorisation et abstraction

417L’économie créée par les opérations réalisées avec ou sans recours aux représentations de chose peut accéder à la conscience sans l’intermède de contenus représentatifs, en tant que quantum d’affect et que produit psychique particulier représentant l’acte même de ces opérations. Il s’agit de l’acte de théorisation et des théories sexuelles infantiles dont les matrices sont les fantasmes originaires. Se trouvent réunis, de façon étroite, affect, théorisation et abstraction. Ils sont des conséquences du travail psychique lié au manque à percevoir et à la trace manquante. D’où leur propriété commune de pouvoir exister sans image, même s’ils s’associent fréquemment à celles-ci. Du point de vue du code, la théorisation est aux signes ce que l’affect est au corps.

418Une question se présente, corollaire à la notion de trace manquante, celle de l’effacement des traces et inscriptions inconscientes. Freud n’a cessé de réaffirmer qu’elles sont l’objet d’une conservation intemporelle et qu’elles échappent à l’usure du temps. Pourtant la clinique des négativismes au long cours (schizophrénie) ou en extemporané (autisme) plaide pour l’existence d’un effacement. Une telle effaçabilité ferait naître les traces d’une désexualisation réversible. Le sujet devient l’auteur du traçage, donc de la perception. L’existence d’une réalité perceptible non traçable complexifie la question. Freud considère la perception comme une imposition passive. Le sujet ne peut se couper d’elle que très momentanément ou en fabriquant un perceptif qui la supplante sans toutefois l’annuler, ou encore en la déniant, ce qui ne peut se faire qu’après qu’elle a eu lieu. Perception et conscience ne sont pas équivalentes, la première peut avoir lieu alors que la seconde est empêchée. Le traçage et l’impact du sans-trace de certaines perceptions amènent à distinguer les traces perceptives et les inscriptions mnésiques différenciées à partir de celles-ci. Se réalise une double différenciation, celle des représentants pulsionnels et celle des signes du code.

419La psychose schizophrénique nous apprend que la différenciation des représentants pulsionnels peut manquer ou être effacée. Les mots, ces différenciations reliées au principe du code, servent de tenant-lieu. Ils s’avèrent inefficients à terme quant à remplir cette fonction palliative. Ils sont alors disloqués. Mais en aucun cas les traces n’apparaissent effacées.

420Dans le cas de l’autisme, les représentants pulsionnels gardent une très grande labilité leur conférant la possibilité d’être régulièrement effacés ; mais s’ajoute, dans ce cas, la non-disponibilité des mots. Ces représentants du code ne sont opérants que soutenus de l’extérieur, et encore ! Dans ce cas, c’est la double différenciation et l’investissement dont chacune est l’objet qui est grevée, ainsi que celui de leur liaison.

421La nature même des traces leur confère donc une ineffaçabilité avec la possibilité de rester inefficiente au sein de la psyché. Si elles sont créées par l’impact de la perception sur la régressivité, seule leur double différenciation en deux pôles, l’un accessible au pulsionnel, l’autre dominé par le principe du code, permet l’élaboration d’une réponse psychique à cette régressivité. Les considérer effaçables serait sous-estimer la prégnance du pôle code et accorder la primeur à celui de la régressivité au point de penser qu’il pourrait exister seul. Mêmes les stéréotypies de l’autisme engagent la présence active d’un principe de code, réduit à sa plus simple expression, quelques actes de frayage sans inscription de contenu.

422Nous pouvons déduire qu’un travail de rêve peut se réaliser sans contenu. C’est probablement ce qui se passe chez les tout-petits enfants, avant qu’ils n’aient construit leurs représentations. Cela est probablement vrai aussi pour certaines de nos nuits. Peut-être que l’utilisation des matériaux des pensées latentes et des restes diurnes n’est perceptible que lors de difficultés à réussir ces opérations économiques. Les déplacements et condensations représentent ces opérations de réduction et de genèse de libido psychique.

423L’impact de la trace manquante se précise. Le fonctionnement psychique ne peut se définir de la seule catégorie de la représentance que sont les représentations et les affects. Il faut lui adjoindre celle du processuel, au sens des opérations et des procès psychiques qui constituent la pensée et qui se traduisent par des impressions et des affects. Ils correspondent aux aspects qualitatifs de la mentalisation. Affects, sentiments, émotions, impressions et éprouvés constituent l’ambiance qualitative de la pensée.

424Quand le traitement de la régressivité achoppe, une sensibilité exacerbée de certaines régions corporelles traduit le maintien de façon inappropriée du sexuel d’organe à leur niveau.

425La régressivité extinctive ne peut être apurée, la complétude narcissique atteinte. Si la structure ternaire peut être achevée du point de vue de sa fonctionnalité, son travail reste frappé d’inachèvement du point de vue de cette régressivité. La carte de l’érogène est la preuve vivante de sa présence. Freud affirme que, dans le conflit reconnaissance-déni de la castration, c’est cette dernière qui finit par l’emporter ; entendons la régressivité transposée sur la castration.

La pensée théorisante

426Cette notion de transposition soulève des questions théoriques. Elle est au principe de ce que nous nommons transfert, sur le corps, le langage et l’objet. Sans elle, le fonctionnement psychique ne pourrait ni se mettre en place, ni se déployer, ni être l’objet de reprises et restaurations. Elle est le mécanisme par lequel une potentialité devient effectivité. Le jeu de la bobine en est l’exemple prototypique. La transposition apparaît en tant que postulat fondamental. Elle est considérée ici présente dès le début.

427De ce fait, s’impose à nous l’existence d’un impératif de transposition sans lequel le contre-investissement originaire de la régressivité extinctive ne pourrait se faire. Il est réalisé par cette transposition sur les perceptions sans trace et par le déni portant sur celles-ci. Ce déni n’assure pas l’élimination des éprouvés endogènes. Cette liaison entre la perception d’un manque et un acte s’opposant à l’extinction établit une théorie selon laquelle un manque à percevoir est la conséquence d’un acte de retranchement. Une première théorie est née. Elle concerne l’effroi de disparition.

428Il revient aux théories sexuelles infantiles d’assurer la fonction d’apaiser l’affect d’effroi en proposant des logiques causales entretenant l’espoir de pouvoir éviter ce qui éveille cet affect. Elles sont efficientes bien avant de pouvoir être formulées. Ces éprouvés sont à l’origine de la dimension interprétante et théorisante de la pensée.

429La régressivité extinctive sous-tend toute conception du fonctionnement mental de deux façons : en tant que référentiel théorique s’inscrivant dans l’élaboration d’une conception du fonctionnement mental, et en tant que réalité impliquée dans la contrainte à produire une théorisation. Cela explique que la psyché ne puisse se passer de cette modalité du penser, la pensée théorisante et interprétante. Celle-ci peut prendre de multiples formes. L’interprétation psychanalytique en est une.

430La composante interprétative de la pensée répond à la nécessité pour l’appareil psychique de traiter la dimension traumatique, l’absence de trace et de représentation de chose de la qualité pulsionnelle la plus fondamentale.

431La pensée est constituée de diverses composantes – affective, représentative, interprétante. Le travail psychique utilise des contenus de représentations, des liaisons phénoménologiques, des conversions affectives, des narrations, chronologisations, des inférences, déductions, interprétations causales, des théorisations. Il convient de les envisager comme des modalités distinctes mais complémentaires de l’activité mentale. Tous se développent sous la contrainte des éprouvés internes et grâce à des transpositions sur des perceptions.

432Cela remet en cause la fréquente dichotomie clinique-théorie. Les théories appartiennent à la clinique. Privilégier la clinique contre la théorie est une théorie qui énonce qu’il serait possible de se passer de la composante théorisante de la pensée, de nier sa fonction. La théorie est un objet clinique qui a une particularité : elle peut se développer sans se référer aux représentations issues de la perception sensorielle, cela du fait qu’elle est sollicitée par les perceptions sans trace tant d’origine endogène qu’externe. Se projettent sur l’écran de la conscience, sous forme de sensations et impressions, tous les manques à jouir, à être idéal, à percevoir. La théorisation est sollicitée par ces impressions. Elle peut s’appuyer sur quelque perception externe de différence, mais aussi suivre des cheminements indépendants de tout substrat de trace et de représentation. Toutefois, elle a besoin d’un substrat spécifique relevant de la catégorie du code. Son expression dépend de ce dernier.

433C’est cette indépendance de la théorie envers les traces et représentations que désigne le terme d’abstraction. Il s’agit de s’abstraire de la perception immédiate, ce que fait déjà le rêve toutes les nuits, mais aussi parfois des représentations issues de la perception. L’abstraction est le reflet direct des opérations psychiques inconscientes qui ne nous sont connues que par inférence à partir des sensations que leur réalisation génère.

434Les procès de théorisation fournissent des théories qui peuvent devenir de la perception quand elles accèdent à une formulation secondarisée. Elles servent alors de perceptif, saturent l’écran de la conscience et participent à la clinique de la conviction.

435Même quand le travail psychique utilise des contenus représentatifs, comme c’est le cas pour le travail de rêve, il agit toutes sortes de théories inconscientes, particulièrement les théories des équivalences, typiques du processus primaire et de l’inconscient dynamique des représentations de chose. Le « ni négation, ni doute, ni degré dans la certitude » est la base d’un tel principe d’équivalence et d’intemporalité. Tout manque est ressenti comme un retour à un état antérieur, une déperdition, une rupture de l’illusion des équivalences. La valeur de l’absence de pénis est encore retournée en son contraire et devient le résultat d’une désexualisation idéale, une façon d’atteindre le principe de toute équivalence. Le pénis, sublimé en extase et en œuvre divine, est instauré dans son omniprésence. Invisible, il est l’essence même du monde (cf. le panthéisme et la substance blanche de Spinoza).

436Si la fonction de soutenir un déni est facilitée par l’abstraction, la théorie n’en a pas l’apanage. Les travaux sur la construction nous rappellent que cette fonction est soutenue par les représentations (l’arrêt sur image du fétichiste), par la sensorialité (la quête de sensations extrêmes), par la transformation du corps (body-building et carnal-art), et cela grâce à l’intensité, la multiplication et la performance.

437Ce qui spécifie le procès de théorisation, c’est de pouvoir imaginer les procès sous-jacents aux phénomènes, de les inférer, les spéculer. Sans spéculation, il n’y a ni science ni avancées possibles.

L’APRÈS-COUP EN ABYME ET L’OPÉRATION MEURTRE

438L’imprévisibilité est la qualité la plus précieuse de l’après-coup réussi. Elle est le reflet de la présence d’une prime de désir libre de contenu, d’un investissement ouvert à la diversité ; le meilleur de nos réveils.

439Cette prime relève d’un travail frappé d’incertitude mais aussi de prégnance, qui fonde les raisons de notre exercice de psychanalystes.

440Reste à approfondir la nature des opérations dont l’impératif processuel est le garant en tenant compte du fait que cette incertitude provient de l’impératif lui-même. Il n’y a rien de moins certain que le Surmoi !

441Cette incertitude de la réalisation de l’après-coup nous oblige à revenir sur le mécanisme censé fournir au travail psychique les matériaux dont il a besoin, c’est-à-dire le traçage. Ce phénomène du traçage consiste-t-il à être frappé du sceau de la perception ? Ne faut-il pas plutôt envisager un travail particulier relevant du pare-excitation ? Ce travail aboutirait non pas à une empreinte indélébile mais plutôt à l’inscription de traces aptes à être transformées en représentations, c’est-à-dire ayant un certain degré de plasticité, de malléabilité ; entre tout est écrit et écrire dans l’eau. Que ce soit parfois sur le corps qu’une trace indélébile soit frappée donne à penser sur le rôle des tatouages et des scarifications, sur le marketing des traces irréversibles, des cicatrices volontaires. De telles demandes désemparent certains chirurgiens esthétiques. Nous retrouvons là les sources traumatiques du banal maquillage, dissimulées sous le rôle de ce dernier de vecteur réversible des jeux de la séduction.

442Au cours de ces pages, nous avons reconnu que tout travail psychique est occupé par la procédure complexe de l’après-coup, qu’il en constitue le dénominateur commun. Nous avons tenté de cerner ce qui contraint cette procédure à se réaliser selon deux moments de travail spécifiques, un travail de retenue et d’inscription, d’abord ; un autre de présentation et de mise en conscience, ensuite. S’y articulent le déterminisme des opérations et processus psychiques et la contingence des réalités conjoncturelles cherchées-trouvées, élues puis cooptées afin de réaliser ces deux moments.

443Nous avons aussi insisté sur la nécessité d’une transposition sur un objet d’étayage, support de processualité, et la valeur de la réponse de cet objet. Le détour par un objet secourable apte à répondre à la détresse dessine la trajectoire de l’advenue de l’objet objectal. L’objet secourable s’offre en fait à être utilisé en tant qu’objet support de processualité. Le détour par cet objet processuel est à l’origine de l’objet de l’objectalité. Cet objet processuel s’incarne et s’objective par l’objet secourable des soins précoces. Dans cette logique, l’idée d’un objet primaire est une condensation et un déni. Il amalgame l’objet processuel et l’objet non fiable. Il objectalise prématurément l’autre de la processualité afin d’affirmer la certitude de sa présence et de dénier ses faillites ainsi que les vicissitudes de son avènement. Chose qui peut surprendre, la finalité du travail de la psyché n’est ni l’objet ni le langage, mais la conscience. La réalisation de ce dessein exige le détour par le corps, par l’objet et par le langage, les trois lieux de transposition et de transfert. L’objet objectal est issu de ce détour de transposition ; le langage, de la contrainte à encoder ; le corps érogène, de la spécificité de l’inscription des affects, leur conversion. L’objet objectal est donc le de-surcroît de l’objet processuel, comme l’espérance est celui du bonheur.

444Pour se mettre en place, la mentalisation doit donc s’étayer sur la processualité efficiente d’un autre. Tel est le rôle de l’identification première, l’appropriation d’un modèle idéal de fonctionnement.

445Ce besoin de l’efficience d’une autre processualité est tellement important que, quand l’infans ne la trouve pas, il la cherche dans la matérialité concrète de cet autre auquel il s’aliène, ou dans celle d’une autre réalité perceptible à la consistance tangible de laquelle il va désespérément s’accrocher, afin de trouver un peu de cette fiabilité mentale dont il a besoin.

446Les enfants autistes nous montrent comment l’autre de la processualité peut être remplacé par un morceau de matière dure, un morceau de plastique, de bois, une ficelle, un fil, ceux-ci étant alors animés par l’enfant lui-même d’un frayage frénétique stéréotypique. La tentative de sauver les opérations processuelles primordiales contre une extinction imminente est là directement perceptible ; elles ne tiennent qu’au fil de la stéréotypie.

447L’éprouvé le plus fondamental n’est pas celui de la détresse mais celui de l’effroi, appelé à devenir le tragique : se ressentir disparaître à soi-même. D’où le titre de ce rapport et celui de ce chapitre. La détresse est un affect second venant dire le dépourvu, le manque de moyens dont dispose un sujet pour traiter l’effroi traumatique. Selon que nous considérons comme premier la détresse ou l’effroi, notre travail ne sera pas le même ; notre conception du psychique, notre métapsychologie, non plus ; notre façon de vivre, également. Toutefois la réponse à la demande de la détresse véhicule une processualité sur laquelle l’identification processuelle peut s’étayer. L’écart dans la réalité concrète est alors moindre qu’en théorie.

448La processualité a donc une valeur de consistance matérielle. Mais elle est plus qu’une matérialité, tout comme le deuil est plus qu’un refoulement. Alors, quelle est-elle ? Qu’est-ce que Freud a voulu dire en écrivant « destruction » du complexe d’Œdipe ? Il ne suffit pas de récuser et de changer le mot selon nos guises, il nous faut savoir ce qui a amené Freud à utiliser ce terme.

449Ces recours extrêmes, comme dans le cas de l’autisme, aux limites de la mentalisation, nous montrent la force de la négativation émanant de la régressivité extinctive, mais aussi la puissance du contrecoup, du rebond promu par l’impératif processuel, engagé dans toutes les solutions cliniques, même les plus désespérées. Cette puissance à réaliser un travail d’inscription psychique et l’incertitude de l’effectuation se conjuguent dans tous les tableaux cliniques évoqués.

450Une des vignettes cliniques exposée dans le rapport initial nous offre une occurrence particulière eu égard à cette conjugaison. Mme L. utilise l’analyse afin de réanimer ses fonctions biologiques suspendues – son aménorrhée – et afin de s’étayer sur l’instrumentalisation médicale pour réaliser son but, avoir un enfant. Elle nous montre qu’un sujet peut chercher, trouver et utiliser la processualité d’un autre, voire d’une institution, dont il a besoin, afin d’atteindre un but précis, sans construire, sans introjecter ni s’approprier les processus psychiques qui le rendraient indépendant de cet autre. Mme L. a pu avoir un enfant sans construire d’objet interne enfant.

451Cette occurrence nous est banalement accessible lors d’un état amoureux, avec la capacité de cette constellation à révéler les potentialités d’un sujet ; et aussi lors des lunes de miel de certains débuts de cure. Nous savons alors que le travail reste à faire. L’actualisation de ce jeu de délégation et d’étayage nous est familière.

452Qu’il soit possible d’utiliser un Surmoi externe, ou un équivalent faisant fonction de Surmoi, sans construire un quelconque Surmoi, ni personnalisé ni culturel, encore moins impersonnel, n’est pas une grande nouveauté, même s’il est utile de le rappeler.

453Avec Mme L., nous assistons encore à quelque chose d’autre, à un compromis de responsabilité. Un acte peut être accompli sans appropriation des moyens qui le permettent ; il se définit alors comme un comportement.

454L’identification processuelle peut donc se faire avec ou sans appropriation. Un acte peut être indexé ou non d’une histoire inconsciente le déterminant. Une culpabilité particulière, de responsabilité, est liée à cette appropriation. D’où la tentation d’y échapper peu ou prou. Pointe alors la culpabilité de s’être défaussé, d’avoir démissionné ; Charybde et Scylla.

455Nous en déduisons que l’identification processuelle, dont le destin idéal est l’instauration du Surmoi, peut aboutir à une identification avec ou sans deuil de l’objet qui a servi de support. L’identification se dévoile là dans son identité de forme régressive du Surmoi impersonnel.

456Le mystère de cette identification processuelle première se présente à nouveau à nous, avec sa prégnance et son incertitude, sa matérialité et sa fragilité, sa plasticité et sa résistance. La résistance à l’après-coup s’affronte à la résistance de l’après-coup. Le travail thérapeutique consiste à muter ce conflit de résistance en consistance.

457Mme L... nous montre qu’une préconception de la processualité existe, d’où la quête possible de cette patiente. Personne ne lui a intimé de venir chez moi. Un sujet qui est dépourvu d’une processualité efficace peut malgré tout être en mesure de la chercher et de la reconnaître. Mme L... fut capable de faire sonner mon téléphone, de prendre rendez-vous et de venir à ses séances. Elle s’étaya sur l’une de ses sœurs en analyse. Par sa sœur, elle a pu incarner son transfert de précession. Quelques siècles plus tôt, qui aurait-elle sollicité ? Et qui dans quelques siècles ?

458Les opérations processuelles élémentaires sont donc déjà là en tant que pré-conceptions, aptes à se transposer sans forcément se réaliser. Notre métier nous place à leur service. Si cette appropriation peut ne pas se faire, pouvons-nous l’aider et comment ? Nous faut-il passer par une appropriation d’influence, le risque étant que celle-ci devienne l’aboutissement ? La question n’est pas nouvelle. Elle porte sur l’interminabilité, avec ou sans analyse !

459C’est en suivant Freud que va encore poindre mon étonnement et qu’une ébauche de réponse va se dessiner. Une notion est restée très en retrait tout au long de ce texte, alors qu’elle vient sous la plume de Freud en même temps qu’il décrit, puis nomme l’après-coup. Elle aussi a eu pour destin de disparaître de façon manifeste, en fait de suivre un cheminement, celui de la phylogenèse. C’est la notion de posthume.

460C’est seulement après la rédaction de mon rapport qu’elle m’est apparue essentielle dans son accompagnement de l’après-coup. Elle nous oblige à revenir au conseil de Freud de 1937, celui de veiller à ne pas sexualiser les processus psychiques. Freud dit cela à propos de la conception du refoulement de Fleiss selon lequel le refoulement reposerait sur une mise en conformité de la bisexualité avec le sexe biologique.

461Pour faire un acte thérapeutique, il faut autre chose que du sexuel, un autre chose qui est impliqué dans la mise en place de la sexualité humaine. Posthume renvoie au couple « inhumer-exhumer ». Le principe du thérapeutique ne peut donc être le sexuel, même si celui-ci est le contenu fréquent de l’inhumation-exhumation. Pour aboutir à un effet thérapeutique, il nous faut installer l’infantile du sexuel, mais aussi l’infantile du narcissisme, His Majesty the Baby. Existe-t-il un infantile du traumatique ? Freud semble le proposer quand il distingue une angoisse-signal d’une angoisse automatique ; de même quand nous différencions, après lui, motion et excitation. La voie du retournement de l’extinction nous en propose encore un autre, l’infantile de l’idéal avec l’idéalisation. Mais il ne peut exister d’infantile de la régressivité extinctive ! Elle est sans régression formelle, par définition.

462Posthume : son étymologie est double. Comme souvent, l’une suit les racines ; l’autre, la contagion homophonique par effet d’un signifié inconscient. Ainsi, posthume hérite d’une graphie erronée du point de vue de l’étymologie. Postumus veut dire « dernier ». Il a été altéré par humus, d’où posthumus. Mais c’est l’évolution du sens qui nous intéresse. Celui de postumus est passé de « dernier » à « dernier né ». Puis, par condensation des deux signifiés, dernier-né et humus, posthumus a signifié « dernier enfant né après la mort du père ». Une progéniture après la mort du père ; l’après de la mort du père ; la mort du père et l’après-coup.

463Avec la notion de mort du père et sa trajectoire dans l’œuvre de Freud, nous embrassons toute la métapsychologie. Sous la plume de Freud, posthume désigne un retour, un après-coup d’un refoulement ayant rapport à la mort du père. Ce que signifie mort du père, l’élimination de l’impératif processuel, est au cœur même de l’après-coup.

464Ce petit brin d’enquête sur l’étymologie de posthume vient d’agir une démarche provoquée par tout contact avec la réalité de la mort, et plus encore avec la mort d’un être cher, celle d’induire psychiquement une enquête. Freud s’y est engagé d’un bout à l’autre de son œuvre qui est une immense enquête sur le meurtre. Dès Œdipe, le traitement de la peste de Thèbes exige une enquête. L’enquête est l’après-coup du meurtre. Elle est aussi le vecteur salvateur.

465L’enquête ? Freud d’abord, bien sûr, et sa quête étiologique ; Freud encore et sa quête chronologique dans « L’Homme aux loups » ; Lacan plus tard qui lui emboîte le pas avec « La lettre volée » d’E. A. Poe. Identifiant le psychanalyste à Dupin, il se lance sur les traces du forfait et sur la méthode consistant à retrouver le signifiant mis en latence par un ministre peu scrupuleux afin de le restituer à qui de droit, la Reine. Dans l’affaire, le Roi a la place du mort.

466En fait, Dupin, Freud et Lacan suivent pas à pas la même méthode, celle agie par Freud quand il enquête en deux temps, deux articles, sur son oubli du nom Signorelli.

467Avec la mort du père, le meurtre et l’enquête, c’est toute une lignée de la pensée de Freud qui se présente, celle de la phylogenèse ; non pas qu’il s’agisse d’accepter ou de récuser l’anthropologie de la phylogenèse, mais de se demander ce que Freud veut désigner du psychisme quand il utilise le terme de « phylogenèse ».

468Évoquons les quatre étapes principales où se mêlent meurtre et phylogenèse :

469— 1900 : Œdipe, bien sûr, avec le meurtre du père de l’histoire personnelle, meurtre ouvrant grande la régression transgressive de l’inceste et son destin inéluctable, la castration. Freud place déjà ce meurtre sous les auspices du typique, de la typicité universelle constituée par les processus génériques de la pensée humaine.

470— 1911-1912 : le Père primitif de Totem et tabou avec la genèse de la culture sous l’effet de la culpabilité et du repentir faisant suite à ce meurtre. Tour à tour se répètent le meurtre du père et son érigement. Le phallisme de la représentation du père se déploie et éclipse le meurtre.

471— 1923-1924 : le deuil du père permet la résolution du complexe d’Œdipe et l’instauration de son héritier, le Surmoi. Freud introduit une nuance de poids : pas seulement le père, les parents. Le paternel devient une instance et le meurtre s’impersonnalise et s’intériorise, engagé qu’il est dans le travail de deuil.

472— 1938 : le roman historique de Freud, L’homme Moïse et le monothéisme. Dans ce texte, l’acte de meurtre et son déni l’emportent sur l’objet du meurtre. Ce qui fait retour, ce sont des séquelles, des vestiges, des fossiles attracteurs de l’acte lui-même. Freud donne là comme exemple la circoncision ; ajoutons les stigmates. C’est cet acte qui est responsable d’une culpabilité de fonctionnement.

473Moïse est le roman de l’après-coup de Freud, un roman qui dévoile et qui reconnaît le meurtre comme opération mentale princeps engagée dans tous les actes psychiques.

474Ces étapes portent toutes sur le meurtre en tant qu’acte, acte moteur et acte psychique. Le signifié « meurtre » était déjà enclos dans le terme « posthume ». Une théorie du meurtre s’est ainsi transposée très tôt dans le langage théorique utilisé par Freud, bien avant que le meurtre ne devienne un objet et un élément de la métapsychologie.

475Au cours de cette trajectoire, le meurtre se révèle avec son double sens, d’ouverture à la morbidité et de principe fondateur ; d’où sa valeur en tant qu’acte thérapeutique analytique.

476Ma propre enquête sur l’après-coup vient de s’enrichir d’un indice : l’après-coup dissimule un meurtre qui a présidé à son existence et qu’il agit. L’appel à l’enquête trouve là toute sa justification.

477Le terme de « meurtre » désigne l’opération processuelle par excellence, celle qui instaure le psychique. Le meurtre est l’acte psychique primordial. Après 1920, cette opération n’est plus synonyme de deuil ou de désexualisation narcissisante, elle désigne le rapport à l’extinction. Le meurtre est une opération contre-extinctive, une réduction de l’extinctivité qui s’étaie sur le paternel des psychismes parentaux. Il est caractérisé par ce qu’il introduit, l’irréversibilité. Freud emploie souvent l’idée d’une extraction. Nous pouvons alors envisager une extraction de la tendance extinctive. Dès lors, celle-ci peut servir à amortir les stimuli externes et à fonder des traces aptes à devenir des représentations. Tel serait le travail du pare-excitation.

478La spécificité de l’impératif surmoïque n’est pas d’empêcher la régression ni l’oscillation régrédience-progrédience, bien au contraire, mais d’indexer la réalisation de l’une et de l’autre d’un degré d’irréversibilité, sans quoi elles s’avèrent transgressives. La libido du Surmoi est une libido porteuse d’irréversibilité. C’est seulement par son contenu qu’un fantasme peut nous laisser croire qu’il flotte dans un imaginaire malléable à l’infini, alors qu’il puise ses origines dans le processuel. Son existence engage le processuel et transmet le message de cette responsabilité envers l’irréversible.

479Nous avons reconnu que la processualité et le meurtre qui la spécifie ont pour particularité d’être déjà là en tant que potentialité et que leur effectivité nécessite qu’elle s’inscrive dans une historicité contingente. Nous nous sommes aussi étonnés de la prégnance avec laquelle cette inscription s’impose par les voies les plus diverses.

480Faisons un pas de plus : cette potentialité est elle-même un héritage d’une historicité antérieure. Se dessine là une théorie de la transmission psychique. Une histoire ancienne agie effectivement se mute en potentialité psychique qui se mute elle-même en une nouvelle effectivité en s’étayant sur une nouvelle histoire singulière. L’histoire d’un double meurtre organise la transmission.

481L’homme Moïse, ce roman de l’après-coup, nous apprend que l’après-coup est la méthode même de cette transmission psychique. C’est ce que Freud nous lègue, une conception de la transmission psychique fondée sur une double série de meurtres.

482Mais que devient le meurtre quand il n’est pas drainé par la processualité, par le travail psychique ? L’horreur est alors le masque donné à l’effroi.

483Sinon il travaille au progrès, ce dernier mythe du XXe siècle qui a dû s’ouvrir à son tour à la déception et apprendre que l’illusion est son chemin et qu’il doit aussi y renoncer.

Bibliographie

RéFéRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Mots-clés éditeurs : Castration, Transposition, Régressivité extinctive, Érogénéité, Après-coup, Masochisme de fonctionnement, Trace manquante, Impératif processuel

Mise en ligne 01/03/2010

https://doi.org/10.3917/rfp.735.1361

Notes

  • [1]
    Les limitations éditoriales n’ont pas permis d’intégrer le sommaire détaillé et la bibliographie complète d’origine parus dans le Bulletin de la SPP, no 90, 2008. Des 13 vignettes cliniques présentées, une seule a pu être conservée, celle de C... Tous les autres chapitres ont été remaniés et raccourcis.
  • [2]
    B. Chervet (2006), L’après-coup. Prolégomènes, RFP, t. LXX, no 3, 671-700.
  • [3]
    Deferred understanding, deferred obedience, deferred reaction, deferred comprehension, deferred insight, deferred revision, deferred operation, deferred use, deferred fashion, etc.
  • [4]
    Goethe (1814), Le Divan (notes et dissertations).
  • [5]
    Voir M. Proust, Lettre à Marie Nordlinger, printemps 1904.
  • [6]
    « Son âme se resserre au trou étroit de la molaire » (W. Busch), p. 226.
  • [7]
    Les exigences éditoriales obligent le retrait de 12 de ces moments cliniques, d’où le renvoi du lecteur à mon article de 2006 et à mon Rapport pré-CPLF paru dans le Bulletin no 90 de la SPP où ils sont tous présentés.
  • [8]
    Aphorismes et conseils attribués à Charcot et repris à son compte par Freud.
  • [9]
    « Au commencement était le Verbe » ou « Au principe était la parole » (Jean 1, 1).
  • [10]
    Goethe (1808), Faust I : « Au commencement était l’action ».
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