Notes
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[1]
Opatow mentionne le « principe de complémentarité » et l’ « asymétrie » existant entre le corporel et le mental. Il dit toutefois qu’il subsiste un problème irrésolu autour de la nature de cette relation asymétrique ou complémentaire. Enfin, une approche similaire vient du domaine de la neurophilosophie, par Velmans (2006) quand il parle d’un « monisme réflexif ».
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[2]
Les processus microscopiques se situent au niveau synaptique ou peut-être à ce qui est décrit par Edelman (1989) avec la théorie de la « topobiologie ». Un exemple des processus macroscopiques se situe au niveau des noyaux du tronc cérébral.
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[3]
Au sujet de l’inconscient non refoulé examiné par Mancia et expliqué par le fait que jusqu’à l’âge de 2 ans la maturation de l’encéphale ne permet que l’inscription de traces mnésiques implicites non récupérables explicitement, je me demanderais s’il s’agit de ne pas confondre cette non-récupération obligatoire, le non-retour du refoulé, avec la possibilité de refouler pour autant ce qui est déplaisant, ou afin de laisser un espace libre (un processus du négatif) au travail neuronal, mental et psychique. Les traces mnésiques implicites reviennent à travers différents modes d’expression, elles participent à l’organisation neurodynamique et peuvent être revêtues d’une polysémie. Enfin, je me demande si leur inscription implicite résulterait d’une certaine forme d’attraction, d’une manière analogue au processus du refoulement secondaire. L’organisation des processus sous-corticaux est aussi dynamique et subjective.
1Dans le courant bibliographique contemporain autour du sujet de la neuropsychanalyse, nous pouvons observer l’apparition d’une série d’articles et d’ouvrages axés sur l’aspect clinique de la relation entre les neurosciences et la psychanalyse. Quoique encore « pauvre » (L. Ouss-Ryngaert, 2007), cette littérature s’avère être un champ de recherche privilégié. Dans cet article, nous essaierons d’aborder la question de la valeur scientifique de la psychanalyse et de sa relation aux neurosciences par rapport à ce que constitue principalement la psychanalyse, une praxis et une relation clinique (Georgieff et Jeannerod, 2000 ; Georgieff, 2007). Ma proposition est que le transfert, la polysémie qui le caractérise et qui le forme, oscillant du champ du somato-sensoriel et du perceptif à celui du représentatif et de l’hallucinatoire, est l’analogue et l’expression d’un ensemble dynamique de processus cérébraux. Basée sur l’étude du transfert et de l’apport de données cliniques et de recherche, l’approche proposée se réfère à un champ organisateur de processus liants et de contrepoints, entre la réalité psychique et la réalité extérieure, ainsi qu’entre le psychisme et le corps.
TRANSITIONS
2Je pense que la valeur thérapeutique ou de recherche de la psychanalyse s’étaie sur un fonctionnement fondamental de l’entité somato-psychique, du psychisme ainsi que du système nerveux. Ce fonctionnement est révélé et élaboré à travers la théorisation métapsychologique et surtout le travail clinique. Jean Guillaumin (1975) a proposé la notion d’ « épreuve de la réalité psychique ». Il s’agit de l’application de la notion freudienne d’ « épreuve de la réalité » au sein de la clinique psychanalytique. Le fonctionnement analytique y est conçu comme un cadre et un processus de réalisation de la réalité psychique. Selon Guillaumin, l’analyse du vécu transférentiel au moyen des interprétations et des constructions proposées engendre une forme d’ « équation », où la réalité extérieure égalise la réalité psychique. Le travail psychanalytique et la relation thérapeutique reproduisent et révèlent l’organisation de la réalité psychique. Je me réfère ainsi à un ensemble de processus inter- et intra-individuels, tant neuronaux, cognitifs que psychiques, qui permettent la discrimination et la liaison entre le psychisme et le corps au sein de l’entité somato-psychique, de même que la discrimination et la liaison (anaphorique aux précédentes) entre l’unité somato-psychique et les objets. Je proposerais l’appellation de cet ensemble de processus comme le champ de la réalité somato-psychique transitionnelle.
3La notion de réalité transitionnelle que nous proposons est liée au mécanisme de la « double limite » décrit par André Green (1990, 2002) s’inspirant des travaux de Winnicott (1971) concernant l’aire et l’objet transitionnels. Selon A. Green, le mode de relation et la limite entre la réalité intérieure et la réalité extérieure se redoublent et se reproduisent au sein du psychisme. Ce redoublement conduit à la discrimination fonctionnelle des systèmes du conscient, du préconscient et de l’inconscient. Le type des processus développés entre les instances psychiques est fonction des relations dynamiques engendrées entre l’entité somato-psychique et les objets, permettant un travail de mentalisation réciproque. La notion de réalité somato-psychique transitionnelle constitue une extension conceptuelle du fonctionnement de la « double limite ». Elle concerne le développement de certaines aires de processus de liaison, créant et disposant de morphèmes potentiels et des modes potentiels d’auto-organisation : a) à l’intérieur des processus et de l’organisation somatiques ; b) aux limites du psychisme et du corps ; c) entre les instances psychiques ; ainsi que d) entre l’unité somato-psychique et les objets de l’environnement extérieur.
ENTRE REALITE PSYCHIQUE ET REALITE EXTERIEURE, L’HYPOTHESE D’UN MONISME TRANSITIONNEL
4L’examen de la relation entre les neurosciences et la psychanalyse est lié à celui du rapport entre réalité psychique et réalité extérieure. La définition de la réalité psychique par rapport à la réalité extérieure a occupé la pensée de Freud ainsi que de plusieurs de ses successeurs. Le corps, en raison de sa liaison avec les pulsions et la sexualité, ou peut-être afin d’éviter la faute épistémologique du dualisme, fait habituellement partie de la réalité intérieure et de la réalité psychique. Selon certains auteurs, comme Florence Bégoin-Guignard (1990), « la réalité psychique d’un sujet ne s’oppose pas... à une réalité matérielle, mais bien à une réalité extérieure du psychisme, y compris le corps du sujet et la réalité psychique de l’Autre », et j’ajouterais : y compris la réalité somatique et cognitive de l’autre. Selon A. Green (1983, 2002), le biologique s’intègre dans la réalité intérieure, puisque les pulsions de la deuxième topique sont placées dans l’inconscient, dans l’espace de l’instance du Ça. Ici, la réalité extérieure concerne les objets extérieurs. Si nous admettons que les pulsions se situent dans le Ça, il ne faudrait pas oublier qu’il s’agit déjà d’un représentant, à l’intersection du corps et du psychique. En étant déjà quelque chose de différent ou en voie de différenciation de (ou peut-être dans) la réalité biologique. La réalité du corps et du système nerveux constitue la réalité intérieure la plus fondamentale. Cependant, par rapport à la réalité psychique se pose la question concernant le mode et les mécanismes au moyen desquels un objet ou une fonction biologiques deviendront aussi un objet psychique et acquerront ainsi un sens dans le champ du psychisme ; et inversement. C’est-à-dire que se pose la question à propos de l’ensemble des processus qui assurent une forme d’une double exigence de travail, du somatique vers le psychique et du psychique vers le somatique.
5La relation entre le psychisme et le soma constitue ce qui est appelé le binding problem. Dans la bibliographie neuroscientifique, neurophilosophique et neuropsychanalytique a été formulé un modèle de réponse au moyen de la notion de « monisme à double aspect ». L’approche de M. Solms et O. Turnbull (2002), de Jaak Panksepp (1998, 2005) ou de Bernard et Bianca Lechevalier lorsqu’ils proposent « une lecture à deux voix » du fait neurologique et psychique (1998, 2002), dit que dans le cadre du double monisme se produit une double lecture, l’une psychanalytique (ou mentale) et l’autre neurobiologique, de la même matière première biologique. Récemment, L. Ouss-Ryngaert (op. cit.) reprend le sujet et la méthodologie de la « double lecture » et de la « position complémentariste », une approche que nous rencontrons chez Opatow (1999) [1]. Je pense qu’une seconde lecture ou une lecture différente signifie la réalisation d’un deuxième ou d’un autre texte. Intermédiairement, celui-ci étant le rôle du lecteur et interprète, se déploie un travail et un corps de transferts, de passages réciproques de l’un vers l’autre texte. Donc une troisième forme de réalité transitionnelle. L’écriture d’un troisième texte tant métabiologique que métapsychologique. Je proposerais ainsi la notion de monisme transitionnel. Il s’agit d’un monisme qui se réfère à une unité somato-psychique. Et, à l’intérieur de celle-ci, à une discrimination entre le soma et le psychisme. Cette discrimination, afin qu’elle soit fondée et qu’elle s’accomplisse, présuppose l’existence d’un mode dynamique de liaison et de transition. La notion de monisme transitionnel se rapproche en partie de ce qui a été proposé par Scalzone (2005). Cet auteur dit que la psychanalyse et les neurosciences « traitent de structures virtuelles et de leurs fonctions ». Notre objectif serait d’examiner ce qui forme cette structure virtuelle intermédiaire, tant métapsychologique que métabiologique. Toutefois, selon Scalzone, l’approche neuroscientifique et l’approche psychanalytique « sont deux aspects de la même réalité nouménale [elle-même “fondée sur des structures matérielles”], mais avec des réalités phénoménales différentes » (2005). Dans ce sens, la pensée de Scalzone semble se diriger vers le concept du monisme à double aspect.
UNE PROPOSITION DE REVISION DE LA DISTINCTION REALITE PSYCHIQUE - REALITE EXTERIEURE
6Edelman, Damasio, Panksepp, ainsi que d’autres auteurs ayant entamé des recherches dans des domaines spécifiques, proposent que les notions et les fonctions décrites par la psychanalyse, tels que l’inconscient, le refoulement, les pulsions ou les processus du travail représentationnel et de l’affect, se retrouvent au sein du fonctionnement cérébral. Leur importance serait ainsi soulignée par rapport à la manière dont se structure le système nerveux central. Je considère que les corrélations neuropsychanalytiques envisagées concernent des notions et des processus certainement liés mais en même temps d’un ordre différent. Par exemple, la notion d’ « inconscient cognitif », les processus automatiques des aires cérébrales sous-corticales, la notion des « sentiments de base » et des « systèmes émotionnels », décrits par Lechevalier (1998) et Eustache (1998), par Edelman (1989, 2003), Damasio (1999, 2003) et par Panksepp (1998, 2005), malgré le fait qu’ils reflètent des processus neuronaux dynamiques, se réfèrent à des approches théoriques différentes. Surtout, je pense qu’ils renvoient à des champs de fonctionnement de l’entité somato-psychique qui se différencient de ceux décrits par les fonctions et les notions métapsychologiques de l’inconscient ou de la théorie des pulsions. En psychopathologie, dans le cadre de la clinique psychosomatique, nous pouvons observer l’expression de la « pensée opératoire » (Marty, 1990) essentiellement cognitive et ancrée dans le réel (au réel extérieur et aussi au réel cognitif). Je penserais qu’elle concerne un processus mental à partir de représentations cognitives et non pas psychiques. Il se situerait plus ou moins en dehors du fonctionnement psychique et de celui du système du préconscient tel qu’il est décrit par Freud, faisant ainsi partie d’une réalité cognitive, nécessaire au fonctionnement psychique mais aussi extérieure à lui. Damasio et Edelman (op. cit.) distinguent la conscience « nucléaire » ou « primaire » de la conscience « étendue » ou « secondaire » (comprenant la mémoire autobiographique et les processus linguistiques secondaires). Or il s’avère que l’acquisition d’une conscience ou d’une cognition primaire et secondaire ainsi que de leurs processus inconscients ne suffisent pas et n’expliquent pas l’aspect dynamique d’une personnalité, sa topique psychique. À ce propos, Damasio (2003) écrit qu’une personnalité psychopathique – un criminel, selon son exemple – possède ces formes de conscience. Mais cette faculté spécifiquement humaine ne garantit et ne prédit pas l’aspect subjectif et qualitatif de la personnalité. Ainsi, il me semblerait opportun de discriminer à l’intérieur de l’entité somato-psychique les champs de la réalité psychique, ceux de la réalité cognitive et de la réalité somatique, ainsi que le rapport de ceux-ci à la réalité des objets extérieurs. Je pense qu’un travail de mentalisation pourrait concerner le champ des fonctions cognitives, créant ainsi de nouvelles potentialités des fonctions intellectuelles, lesquels pourront devenir l’objet d’un travail de mentalisation psychique, ou de psychisation.
L’APPORT DE LA NEUROPSYCHOLOGIE
7Le travail clinique auprès de patients neuropsychologiques, ayant comme objet la réhabilitation des fonctions intellectuelles supérieures suite à des lésions cérébrales, ou l’approche psychothérapeutique, offre un matériel de recherche éclairant le rapport de la psychanalyse et des neurosciences. Nous nous limiterons ici à certaines observations d’ordre général, tirées des résultats d’une étude approfondie autour de 14 cas cliniques (Cléopas, 2006). Ces observations me semblent démonstratives de la polysémie et de la complexité de la formation du symptôme neuropsychologique ainsi que de son approche thérapeutique. L’analyse approfondie de la séméiologie neuropsychologique et du matériel clinique, en suivant la méthodologie proposée par Alexander Luria (1973, 1980) agencée avec l’approche psychanalytique, révèle l’importance du travail et de la relation thérapeutique, qu’elle vise soit la réhabilitation fonctionnelle, soit les processus psychiques. Le symptôme neuropsychologique ainsi que la clinique neuropsychologique constituent un exemple de la clinique de la liaison entre le corps, la cognition et le psychisme. Nous les situerons à l’intersection des neurosciences, de la psychanalyse et de la psychosomatique. L’agencement des approches clinique, neuropsychologique et psychanalytique a déjà été développé notamment par Karen et Marc Solms (2000), H. Oppenheim-Gluckman (2000), O. Turnbull (2004), L. Ouss-Ryngaert (op. cit.) et par M. Siksou (2007).
8Fréquemment au cours des séances thérapeutiques apparaît une amélioration fluctuante et passagère des déficits neuropsychologiques ainsi que du rendement cognitif. L’amélioration ou, au contraire, la détérioration de la symptomatologie sont fonction de l’évolution et de la dynamique de la relation thérapeutique, non pas seulement en psychothérapie ou en neuropsychologie, mais aussi dans le cadre d’autres thérapies de réhabilitation neurologique. Nous avons ainsi observé que la fluctuation du rendement, la levée passagère et parfois inattendue d’un symptôme neuropsychologique, sont en rapport avec le travail de perlaboration entamé dans la relation thérapeutique, concernant des aspects de la sensorio-motricité, du fonctionnement cognitif ou des processus endopsychiques. C’est donc lié aux mouvements et à la qualité des mouvements exprimés dans la relation thérapeutique. De même, l’amélioration observée diminue et, le plus souvent, ne se reproduit pas lors de la prochaine séance, ou cesse pendant les intervalles. D’autres fois, en écho d’un mouvement précédant d’amélioration cognitive ou motrice, au cours des suivantes séances émerge un élément de réhabilitation nouveau et différent, voire un nouveau mode de mentalisation du vécu du déficit, ou, au contraire, apparaissent des mouvements de désorganisation et de régression formelle. Ces mouvements de fluctuations dynamiques sont bien connus au sein de la clinique psychanalytique des troubles psychiques. Cependant, dans le cas de troubles neuropsychologiques, nous avons affaire au fonctionnement et au dysfonctionnement de l’entité somatopsychique aux niveaux sensori-moteur, cognitif et neuronal. Ce que nous observons appartient à ce qui est défini par la psychanalyse comme de l’ordre du pré-psychique. Nous pourrions mentionner l’exemple des aphasies. Au cours de la désorganisation du langage causée par des lésions de l’hémisphère cérébral gauche ou par des lésions aphasiques sous-corticales, nous observons l’expression spontanée de certains éléments constitutifs du langage, normalement traités inconsciemment, ou l’émergence d’éléments phonétiques et de paraphasies morphologiques ou sémantiques. Ceux-ci semblent constituer l’expression d’un inconscient, dont je dirais qu’il ne correspond pas à l’expression de l’inconscient psychanalytique dynamique, ou qu’il ne correspond et n’acquiert une telle signification que sous certaines conditions. Celles-ci concerneraient l’établissement et le développement du champ des processus transitionnels entre le cognitif et le psychique. À ce sujet, H. Oppenheim-Gluckman (op. cit.) propose la notion de l’expression d’un « inconscient délié » chez les patients cérébro-lésés, délié par rapport à la dynamique et aux processus se développant entre les instances psychiques. Dans tous ces cas cliniques ainsi que dans le cadre des approches théoriques entre les neurosciences et la psychanalyse, il me semble qu’il faudrait examiner les modes et les formes de liaison entre ces deux champs. Il faudrait rechercher ce qui surgit à l’intérieur du champ de leur relation ainsi que la nature des mécanismes qui assurent la liaison entre le biologique, le cognitif et le psychique. C’est-à-dire rechercher les éventuels contrepoints plutôt que des corrélations anatomo-psychiques linéaires. Je pense à la notion de contrepoints dans leur sens musical, en tant que la combinaison au sein de la même composition de lignes mélodiques différentes, voire contraires.
CONTREPOINTS NEUROPSYCHANALYTIQUES DE L’EMPATHIE, DE L’INTROSPECTION ET DU TRANSFERT
9Nous proposerions à présent d’examiner certains points probables d’étayage neuronal du champ de la réalité transitionnelle et du transfert. Le fonctionnement du champ somato-psychique de la réalité transitionnelle pourrait être résumé à une forme de relation entre deux parties, où l’une semble exprimer vers l’autre : « Ce que tu dis, ce que tu es, ou tu as l’intention de faire et ce que je retrace, pour moi signifie, me rappelle de mon histoire ou de notre histoire commune, ceci... ». L’ensemble de ces éléments se transfère et se représente en tant qu’éléments formants potentiels à l’intérieur de la relation et, ensuite, en tant que modes potentiels d’auto-organisation de chacune des parties constitutives de la relation. Des recherches récentes ont montré que le fonctionnement du neurone et de la synapse (Arhem, Blomberg et Liljenstrom, 2000), le fonctionnement du système limbique (Freeman, 2000 a, 2000 b) et peut-être la totalité du fonctionnement cérébral (Schore, 2000 ; Freeman, op. cit.) s’établissent selon les lois de la théorie du chaos et des systèmes d’auto-organisation. L’idée est qu’il ne subsiste pas seulement de relations de causalité linéaire ou de simples formes de rétroaction. Le fonctionnement d’un système complexe est déterminé dynamiquement, via la succession de périodes transitoires d’instabilité et de périodes de stabilisation, selon la sensibilité du système aux conditions initiales minimes et imprévisibles, si ce n’est que dans l’après-coup. Donc, selon l’existence et le type de certains « attracteurs étranges », autour desquels, à la phase de stabilisation, un système « s’entasse » et détermine un mode de fonctionnement. Ces approches ont été développées en psychanalyse par des auteurs comme Sylvie et Georges Pragier (1990), Quinodoz (1997), et par Lewis et Granic (2002).
10Une image primaire des processus transitionnels, en tant que champ de mise en disposition de modes potentiels d’action et d’énaction, semble être assurée par la plasticité neuronale. Edelman (1989), partant de ses observations en immunologie, Ameisen (2003), en matière des mécanismes de l’apoptose examinés au point de vue biologique et métabiologique, ainsi que d’autres chercheurs contemporains, ont montré l’importance des propriétés du neurone et de la synapse par rapport au développement de la subjectivité. Bear (2003) fait remarquer que la modification du fonctionnement synaptique dépend de l’expérience, de l’état actuel et de ce qui se forme dans l’espace de la synapse, ce qu’il appelle une « métaplasticité ». C’est-à-dire une plasticité de la plasticité de la synapse. Elle nous fait comprendre que l’expérience et la mémoire subjective ont une importance capitale, mais elles ne suffisent pas. Il y faut l’émergence de processus stochastiques et non linéaires de la synapse. Il faudrait une entente, une corrélation intermédiaire entre l’activité des neurones pré- et postsynaptiques selon leur sensibilité aux conditions minimes et imprévisibles de l’expérience précédente et actuelle.
11En théorie psychanalytique, la constitution de la réalité psychique survient à travers une discrimination progressive entre l’affect et les représentations (Green, 1999) à partir des processus pulsionnels primaires et du représentant pulsionnel. Cette position psychanalytique semble se confirmer et correspondre à un point nodal de la croissance endosomatique des processus transitionnels, assurés par l’activité des noyaux du tegmentum du tronc cérébral, particulièrement ceux du gris périadequal et de ses liaisons avec le système limbique, paralimbique et le système cortico-thalamique. D’après les opinions différentes au point de vue anatomique mais conceptuellement convergentes de Damasio (1999, 2003) et de Panksepp (1998, 2005), dans cette région se produit la rencontre et la corrélation entre les états corporels qui y sont représentés et les objets. L’objet peut être un stimulus extérieur ou intérieur, proprioceptif, intéroceptif, mental ou psychique. La conséquence de cette procédure est la différenciation des diverses formes de mémoire et des mouvements affectifs. À ce niveau des processus nous observons qu’à l’intérieur de l’entité initiale se produisent des formes de relations endosomatiques « objectales » – ou, pourrions-nous dire, de « fonctions objectalisantes » – et, de relations de ce complexe par rapport aux autres objets. Les termes des relations objectales ou des fonctions objectalisantes décrites par Green (2002) se réfèrent à l’organisation psychique. Nous nous en servons ici dans un sens métabiologique, afin de souligner l’existence de certains processus biologiques microscopiques ou macroscopiques [2] qui semblent assurer une organisation biologique dynamique, au sein de laquelle le mode de fonctionnement d’un organe ou d’une structure somatique acquiert un sens et porte un sens par rapport aux autres fonctions, les investit et devient l’objet de leur investissement.
12La réalité psychique entendue en tant que l’inconscient ou l’ensemble de l’appareil psychique est caractérisée par la polysémie de son contenu et de ses fonctions, ainsi que par des variations qualitatives. Walter Freeman (2000 a, 2000 b) a développé l’approche neurodynamique du fonctionnement cérébral. Il analyse le fonctionnement de l’architecture du système limbique en y appliquant la théorie du chaos et de l’auto-organisation. Edelman (1989) décrit le fonctionnement et les liaisons du système limbique comme un ventilateur rayonnant, à double sens, vers l’ensemble de la topographie cérébrale. Les « attracteurs étranges » ainsi que la sensibilité aux conditions minimes et non prévues du système limbique permettent la création de modes potentiels de perception, de mentalisation et d’action, donc des propriétés qui conditionnent l’organisation psychique. Je pense que les dispositions potentielles venant du système limbique peuvent concerner le champ du fonctionnement psychique, le champ du cognitif ou du somato-sensoriel, et surtout celui de la relation entre eux. Ainsi se réfèrent-elles tant à un processus du type du préconscient psychanalytique qu’à une forme cognitive, voire somatique de mentalisation. L’approche neurodynamique ajoute à l’approche darwinienne d’Edelman ainsi qu’à la notion de la « re-entrée », une dynamique évolutionniste particulière dans le sens d’un axe horizontal. Ce qui se produit à partir d’un processus chaotique et non prévisible ne se caractérise pas par la succession linéaire de stades de développement. Il s’auto-émerge et, alors, le produit de l’émersion s’intègre à la marche évolutive de l’entité somato-psychique et au sein des différenciations développées. En termes psychanalytiques, il ne s’explique pas seulement à travers la remémoration. Il s’interprète et se construit dans le processus du transfert. Par ailleurs, c’est de cette façon que s’ouvre toute la possibilité d’introduction d’éléments de changement, de différenciation et de mobilisation d’un système.
13Un champ fondamental de rencontre entre les neurosciences et la psychanalyse à propos du transfert constitue leur approche réciproque de l’empathie et des représentations d’action. De 1990 jusqu’à aujourd’hui, F. Levin (1990), A. Schore (1994, 2003), G. Gabbard avec D. Western (2002) et R. Pally (2005) ont formulé certaines propositions théoriques concernant le fonctionnement du transfert et ses éventuelles corrélations neuronales. Levin (1990) dit que « le phénomène du transfert... serait vu comme représentant une structure profonde ou une stratégie du cerveau, une [stratégie] d’une valeur d’adaptation bio-psycho-sociale ». Mon idée est que la première partie de cette proposition est effectivement valable, en caractérisant le transfert comme une structure ou une stratégie profonde du cerveau, voire de l’ensemble de l’entité somato-psychique. En revanche, je dirais que le phénomène du transfert ne se limite pas à un processus d’adaptation. La clinique psychanalytique, la relation transférentielle révèlent l’élément du conflit, de la dialectique intersubjective et intrasubjective continue, de la paradoxalité et de l’aspect irréel du fonctionnement inconscient, qui sont à la base d’une forme normale ou pathologique de l’adaptation. Les neurosciences nous donnent la preuve de l’existence de cette dialectique, voire du conflit au sein du fonctionnement cérébral (Llinas et Ribary, 2001). La poursuite de l’adaptation en tant qu’objectif thérapeutique risque d’entraîner l’entité somato-psychique vers un état de rigidité et de restriction de ses fonctions, vers la forme pathologique de l’hyperadaptation.
14Les corrélations anatomiques du phénomène du transfert proposées par Levin concernent l’activité du lobe frontal et des circuits neuronaux de la mémoire. Les fonctions cognitives et cérébrales de la mémoire, leur aspect inconscient à partir notamment de la mémoire procédurale, constituent selon Gabbard et Westen (Gabbard, 2001 ; Westen et Gabbard, 2002) le point de lien entre la psychanalyse et les neurosciences par rapport au transfert. L’approche de Schore souligne le mode de fonctionnement non linéaire de l’hémisphère cérébral droit en le mettant en rapport avec l’organisation de l’inconscient dynamique. Il propose que la communication entre les « deux hémisphères droits », celui de l’analyste et celui de son patient, étaie le processus du transfert et des identifications inconscientes, qui vont pouvoir être analysées dans le cadre de la relation thérapeutique. Les éléments de la communication extraverbale exprimés et ressentis au sein de la relation thérapeutique, dont Gabbard et Westen examinent l’importance, ont un effet considérable tant en ce qui concerne l’installation du transfert qu’au progrès du traitement. Regina Pally (2005) se réfère à un vaste ensemble de données neuroscientifiques à propos de la mémoire, de l’inconscient, de l’activité du lobe frontal, ainsi qu’aux données autour de la théorie de l’esprit et de la simulation expliquant les mécanismes neuronaux de l’empathie. L’approche de Pally s’étaie sur la notion de la « prédiction ». Sur le plan neuronal, elle s’appuie aux processus cérébraux de la simulation et de la théorie de l’esprit, auxquels nous reviendrons par la suite. Les prédictions psychopathologiques, entendues comme des constructions conscientes et inconscientes établies par le patient au cours de sa vie psychique et relationnelle, se reproduisent et feront l’objet d’un travail de perlaboration dans le cadre de la relation thérapeutique. Le point de vue adopté par Pally décrit la relation transférentielle en tant qu’une relation d’apprentissage (learning), à travers laquelle le patient se rend conscient et apprend les éléments dysfonctionnels et pathogènes de son mode de penser et de relation envers les autres. Je pense que les découvertes neuroscientifiques apportent un point d’appui à la conception de l’apprentissage ou de la mémoire en tant que des processus dynamiques, subjectifs et largement inconscients, ainsi que la conception dynamique de l’établissement et de l’expression de modes de pensée ou de conduites pathologiques. Néanmoins, je considère que certaines données provenant de la recherche neuroscientifique et de la clinique neuropsychologique nous amènent à penser que la relation transférentielle, les mouvements d’empathie et d’introspection qui la constituent, ne peuvent pas être conçus en tant que processus d’apprentissage ou d’identifications inconscientes autour d’une mémoire procédurale, implicite ou autobiographique. Je dirais que les approches de Levin, Gabbard et Schore constituent une forme de réduction du phénomène du transfert à certaines fonctions cérébrales basales et nécessaires pour son développement.
15Ces approches neuropsychanalytiques se développent à partir d’une interprétation des connaissances neuroscientifiques actuelles selon le corpus théorique et clinique qu’elles suivent. C’est-à-dire les théories de l’attachement, la théorie des relations objectales et surtout le modèle de la technique thérapeutique interpersonnelle et intersubjective. À mon sens, ces approches proposent une interprétation partiale du fonctionnement de l’empathie. L’empathie y est considérée comme une relation du type d’une compréhension et de ressentis mutuels, à partir desquels un patient apprend ce qui est nécessaire afin qu’il puisse changer son mode de fonctionnement mental, voire en tant que des identifications caractérologiques ou des identifications basées sur le perceptif. Dans ce cas, la notion de l’empathie, comme le fait remarquer Louise de Urtubey (2004), n’a rien à ajouter ou à offrir à la compréhension théorique et clinique du transfert.
16Je considère que le fonctionnement de l’empathie transcende en quelque sorte l’interpersonnel et l’intersubjectif ou les identifications primaires. Il se réfère peut-être à ce que Freud (1913) nous fait penser dans son texte au sujet de conseils techniques du début du traitement et de l’installation de la relation thérapeutique, en assimilant la névrose, celle du patient mais aussi celle reproduite par le transfert, à un « organisme » complet. Nous dirions : un organisme commun et intermédiaire, tant réel et complet que virtuel et transitionnel. En essayant d’expliquer l’empathie, d’en saisir les mécanismes la constituant, nous nous référerions aux approches des auteurs suivants. À la pensée de Kohut (1971) en ce qu’il stipule que l’empathie est une forme d’introspection. À la pensée de Serge Lebovici (1998, 2002) quand il mentionne l’ « empathie métaphorisante », c’est-à-dire la métaphore du ressenti du vécu inconscient de l’autre en représentation. Aux propositions de Michel de M’Uzan (1977) quand il mentionne le « système paradoxal », selon lequel le psychisme de l’analyste, en acceptant un certain degré d’altération ou de perte de son propre sentiment d’identité et de sa cohésion narcissique, devient « littéralement l’appareil psychique de l’analysé ». À la pensée de Daniel Widlöcher (1999, 2004) quand il mentionne la notion de la « co-pensée » et de la « dissection » de l’empathie, à partir desquelles l’analyste, se basant sur ses identifications d’avec son patient et en analysant ses propres mouvements intérieurs, construit des formes d’ « interprétations potentielles » du vécu de l’autre. Aux propositions enfin de César et Sára Botella (1990, 2001) autour de la régression formelle de la pensée de l’analyste. En suivant l’apport théorique et clinique de ces approches, nous dirions que l’empathie constitue une forme d’introspection à propos de l’autre, se caractérisant par une polysémie et une dynamique analogues à celles du fonctionnement de l’appareil psychique. Elle fait appel non pas seulement aux identifications primaires ou secondaires, mais surtout à un renoncement aux investissements et aux bénéfices narcissiques au profit de la compréhension de l’objet, sur la base des représentations, des affects et des pensées intérieures. Elle se réfère à des dispositions, à un mouvement et un travail de positif (mais non pas exclusivement à un affect positif), sur le terrain d’un travail de négatif. C’est un renoncement de l’appareil psychique du sujet, tout en maintenant la capacité discriminatoire entre le self et l’objet, vers l’éprouvé des pensées ou des affects de l’autre. Plus que d’amour pour l’objet, c’est un renoncement introspectif au profit de celui-ci. Et, dans ce sens, il est plutôt de l’ordre de l’antinarcissisme (Pasche, 1969).
17Certaines données de la recherche neuroscientifique actuelle autour des fonctions cérébrales assurant les processus d’empathie et d’introspection convergent avec le point de vue psychanalytique que nous venons de décrire. En suivant les propositions de Blair (2005) et de Decety (2006), nous pourrions dire que l’empathie peut être considérée comme représentative et/ou cognitive, comme une empathie motrice ou une empathie des représentations d’action motrices, et en tant qu’émotionnelle et/ou affective.
18La « théorie de l’esprit » neuronale, élaborée surtout par Uta et Christopher Frith (2003), Hellene Gallagher (2003) et plus récemment par les recherches de Rebecca Saxe (2005, 2006), se définit comme l’aptitude des processus cérébraux vers une « prévision exacte de la conduite d’autres individus, presque comme si nous avons lu leur esprit. Cette faculté exceptionnelle est connue en tant qu’avoir une “théorie de l’esprit”, ou de mentaliser » (Gallagher, Frith, 2003). Il s’agit de la capacité de penser autour de la pensée de l’autre, en se basant sur les traces mnésiques et le vécu subjectifs. Les principales structures cérébrales faisant partie de la théorie de l’esprit sont : le cortex préfrontal médian et la région paracingulaire, le sulcus temporal supérieur et la jonction temporo-pariétale. La construction d’une théorie de l’esprit correspond à la synergie dynamique de l’ensemble de ces régions ainsi que d’autres structures de soutien selon le type de fonction mentale intéressée. Nous évoquerons quelques-unes parmi les nombreuses découvertes de la recherche en ce domaine. Frith (2003) mentionnent le fonctionnement du « découplage » assuré par le cortex préfrontal médian. Il correspond à la capacité vers une libération virtuelle interne à l’égard des données de la réalité actuelle, permettant le développement de certaines formes potentielles de pensée subjective autour de la pensée et du comportement de l’autre. Saxe et Welxer (2005) proposent que l’activité de cette région cérébrale et dès lors les processus d’empathie et d’introspection, se réduisent lorsque l’attention et la perception sont attirées par les éléments sociaux, caractérologiques, ou encore par les éléments physiques et verbaux actuels émis par l’autre. Ces éléments, malgré le fait qu’ils peuvent renforcer les identifications inconscientes avec l’autre et ainsi soutenir ou enrichir la relation transférentielle, apparaissent incompatibles par rapport à la progression et l’approfondissement de l’empathie et de l’introspection. Il s’avère que la neuroscience apporte un point d’appui au principe freudien de l’asymétrie de la relation psychanalytique et montre les limitations engendrées par le modèle interpersonnel de la technique thérapeutique. Dans le même sens, nous observons que l’empathie concerne la mobilisation de représentations intérieures de la part de celui qui pense autour de la pensée ou des intentions de l’autre, en tant que sujet d’un vécu. Conformément aux résultats de nombreuses études, l’empathie se différencie de l’état d’un sujet qui agit, qui éprouve ou qui devient l’objet d’un vécu actuel, et elle est différenciée par rapport à l’état d’investissement de soi. C’est ce qu’il ressort d’une étude expérimentale menée par Uddin et al. (2005), et suggéré par l’étude de Johnson et al. (2002) autour de la discrimination entre la self-awareness et la self-reflection. Saxe et Wexler (2005) ou Decety (2006) considèrent que l’activité de la jonction temporo-pariétale est déterminante pour l’ « attribution de situations transitoires de l’esprit » ainsi que pour l’évitement d’un état fusionnel entre soi et l’autre. Saxe et Wexler (op. cit.) soulignent que l’activité de la jonction temporo-pariétale droite « reflète un processus de constitution d’un modèle cohérent de l’esprit du protagoniste, sans se référer à l’état d’esprit du sujet lui-même ». Nous rencontrons ici une confirmation probable de la situation paradoxale mentionnée par de M’Uzan, ainsi que de l’image d’un renoncement de l’appareil psychique ou de la cognition de la part du sujet, sans toutefois qu’un état fusionnel se produise, comme c’est suggéré par Decety (op. cit.) et Goldman (2005).
19R. Saxe (2006), en se basant sur des recherches récentes à propos de l’activité de l’aire dorsale du cortex préfrontal médian, suggère qu’elle est liée à l’aptitude « humaine unique » à établir des relations triadiques, du type « moi - toi et ça ». Nous retrouvons les propositions psychanalytiques d’André Green au sujet des processus et des « configurations de la tiercéité » concernant l’organisation œdipienne et à la base de l’organisation psychique. À la lumière des données neuroscientifiques, je dirais qu’il s’agit de la capacité d’établir : a) à l’intérieur d’une relation intersubjective et, b) intrasubjectivement, au sein des relations intrapsychiques, une relation commune avec un troisième objet ou avec l’ « organisme » de la relation transférentielle – en l’occurrence, le champ de la réalité somato-psychique transitionnelle. Enfin, selon les travaux de Ramachandran autour de la synesthésie (1998, 2001) ou de Mason et Just (2006), l’activité de la jonction temporo-pariétale des deux hémisphères a été corrélée avec les processus de métaphorisation verbale et non verbale.
20Les équipes de recherche de Rizzolatti (1996, 1998, 2001), de Iacoboni (2002, 2005) et de Perrett (1994) ont démontré l’activité du système des neurones-miroirs et, à travers celle-ci, la capacité d’empathie à propos de l’état et des intentions d’action de l’autre. Le système des neurones-miroirs comprend la partie inférieure du cortex pré-moteur, la partie inférieure du cortex pariétal et la circonvolution temporale supérieure. L’idée est qu’à partir des stimuli sensoriels auditifs et visuels se forme une simulation intérieure de l’action et de l’intention d’action de l’autre, sans pour autant que l’action elle-même soit manifestée ou exprimée. Il s’agit d’une simulation intérieure de l’autre, fondée sur les représentations d’action, déjà inscrites ou se formant intrasubjectivement au cours du vécu relationnel, lesquelles, selon Jeannerod (2002), nous partageons intersubjectivement avec l’autre. En psychanalyse, la notion des représentations d’action a été proposée par Perron et Perron-Borelli (1985, 1987) dans le but de montrer l’organisation dynamique du fantasme par rapport aux représentations. Les représentations d’action se retrouvent au noyau de l’organisation des fantasmes et du rêve. Ils disent que le fantasme est « la représentation d’une relation fantasmatique de sujet à objet, en tant que protagonistes d’une action ». D’une manière analogue, Le Guen (2002) se réfère à « ces agirs qui agissent la cure ». Ainsi se trouve créée une simulation partagée de représentations d’action assurée par le système des neurones-miroirs. Il a été constaté que sur le plan anatomo-fonctionnel le système des neurones-miroirs est lié à l’organisation et l’expression verbale, par rapport à laquelle les représentations d’action motrices constituent un stade évolutif antérieur tant phylogénétique qu’ontogénétique. De ce constat et en accord avec les données cliniques de la thérapie de patients aphasiques, nous dirions que le corps configure et mobilise le discours, tout comme le discours configure, exige ou propose un travail au corps. Selon le fonctionnement audiovisuel des neurones-miroirs et de leurs liens avec les ganglions de base et le système limbique, nous observons un soutien des thèses psychanalytiques concernant la liaison entre les représentations de mot ou de chose et des pulsions, à l’intérieur de la formation des représentations d’action (Perron, op. cit.). Nous comprendrions ainsi l’importance (ce qui ne signifie pas une localisation anatomique) du circuit des neurones-miroirs par rapport à la formation du fantasme. Scalzone (2005) propose le lien entre le fonctionnement des neurones-miroirs, l’aspect virtuel des processus de ces structures, avec la métapsychologie freudienne comme une théorie de structures virtuelles.
21Pierre Marty et Michel Fain, dans leur article au sujet de la « relation motrice pulsionnelle primaire », écrivent que « certaines formes de relation [motrices] de nos patients trouvent en nous un écho, un moule qui les enregistre parfaitement, et qui constitue sans doute une partie importante de notre intuition » (1955). La pensée de Marty et Fain semble présager la découverte de l’activité des neurones-miroirs et l’importance des représentations d’action, en tant qu’ensemble de traces sensori-motrices, de formes motrices de relation à l’objet de la pulsion, en tant que représentations de la structure sujet-action-objet, et en tant que processus d’un passage à double sens, de et vers les représentations de mots. La clinique des patients aphasiques et somato-agnosiques montre l’importance des représentations d’action élaborées au sein de la relation thérapeutique en tant que champ transitionnel, par rapport à l’amélioration des déficits moteurs, cognitifs ou psychiques, ainsi que par rapport à l’expression de mouvements de désorganisation.
22La « théorie de l’esprit » évoque le terme psychanalytique et psychosomatique de « mentalisation ». Nous soulignerons cependant que, dans le cas de la « théorie de l’esprit », il s’agit d’un processus de mentalisation qui peut tout aussi bien concerner des représentations cognitives, conscientes ou inconscientes, sans que la liaison avec les affects ne soit indispensable. Vue sous cet angle, la mentalisation ne concerne pas exclusivement le développement des processus du préconscient. Respectivement, les représentations d’action et le système des neurones-miroirs parcourent et concernent l’ensemble des champs assurant l’organisation et le fonctionnement de l’entité somato-psychique, allant du primaire, du prépsychique ou de l’ « inconscient somatique », du cognitif, jusqu’au niveau des processus secondaires du préconscient. C’est peut-être de cette manière que les champs de la réalité somatique, de la réalité cognitive et de la réalité psychique peuvent être discriminés et liés entre eux. En commun avec la « théorie de l’esprit », les théories de la simulation motrice forment des aspects fondamentaux pour la constitution de la réalité transitionnelle et le développement de la relation transférentielle. L’importance de ces circuits neuronaux est aussi soulignée par M. Mancia (2007), puisqu’ils supporteraient « la récupération de l’inconscient non refoulé dans la relation analytique » [3]. Nous observons enfin que les données neuroscientifiques au sujet de l’empathie révèlent la polysémie et la stratification de la relation transférentielle.
23Je proposerais que l’ensemble des territoires anatomo-fonctionnels découverts par les recherches neuroscientifiques que nous avons mentionnées – à savoir, l’activité des noyaux du tronc cérébral, du système limbique, des aires comportant les neurones-miroirs et de la théorie de l’esprit, ainsi que l’activité de la jonction temporo-pariétale assurant la fonction de la métaphore – composent la cartographie neuronale du champ transitionnel. Sous forme d’une hypothèse, nous proposerions de nommer l’ensemble de ces aires comme constituant le cerveau transitionnel. Enfin, des recherches actuelles concernant la substance blanche cérébrale, garantissant les connexions intra- et interhémisphériques, montrent son importance à propos de l’empathie, par rapport au neuro-développement de la myélinisation (Powell, 2006).
CONCLUSIONS
24Dans le cadre d’une relation thérapeutique, la rencontre et la communication entre deux mondes psychiques se produit et se fonde sur l’énaction asymétrique de représentations d’action intrasubjectives, de constructions de théories de l’esprit, de mouvements d’empathie et d’introspection, de modes de mentalisation et d’auto-organisation individuels. Au sein de leur espace commun intermédiaire, se crée un champ transitionnel de représentations d’action potentielles, de théories de l’esprit potentielles, de représentation et de méta-élaboration des mouvements précédents d’empathie et d’introspection. Ainsi se trouve créé un champ de modes virtuels d’auto-organisation, de nouvelles formes de mentalisation et d’action. Ces mécanismes d’échanges transitionnels et interprétatifs créant les modes virtuels d’organisation et de fonctionnement surgissent tout aussi bien intra-individuellement aux niveaux somatique, cognitif et psychique, qu’interindividuellement. Les différents courants psychanalytiques se sont posé la question si le travail du psychisme s’oriente vers la recherche du plaisir ou celle de l’objet. Je dirais qu’entre ces deux modes de recherche se déploie la recherche des processus transitionnels, mis en évidence par Winnicott et Bion, de manière que le psychisme et l’ensemble de l’unité somato-psychique puise et élabore ses propres modes, forces et sens de fonctionnement. En suivant le concept freudien de l’ « organisme », je dirais que le transfert est une entité, qui émane mais n’appartient exclusivement ni à la réalité extérieure ni à la réalité psychique. C’est une forme intermédiaire, provenant des processus du champ somato-psychique de la réalité transitionnelle. Dans ce sens, le transfert, entendu comme un ensemble dynamique de processus somato-sensoriels, cognitifs, psychiques et neuronaux, se place à l’intersection de la psychanalyse et des neurosciences. Comme nous espérons avoir pu présenter les arguments, l’approche proposée ne se réfère pas à un isomorphisme somato-psychique ni à une réduction au biologique, voire à l’établissement de corrélations linéaires. Elle vise, au contraire, à l’étude des mécanismes qui permettent la discrimination et la liaison entre les champs qui forment l’unité somato-psychique, son monisme transitionnel.
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Mots-clés éditeurs : Empathie, Métaphore, Cerveau trans, Transfert, Auto-organisation, Monisme transitionnel, Introspection
Date de mise en ligne : 04/07/2008.
https://doi.org/10.3917/rfp.722.0501Notes
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[1]
Opatow mentionne le « principe de complémentarité » et l’ « asymétrie » existant entre le corporel et le mental. Il dit toutefois qu’il subsiste un problème irrésolu autour de la nature de cette relation asymétrique ou complémentaire. Enfin, une approche similaire vient du domaine de la neurophilosophie, par Velmans (2006) quand il parle d’un « monisme réflexif ».
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[2]
Les processus microscopiques se situent au niveau synaptique ou peut-être à ce qui est décrit par Edelman (1989) avec la théorie de la « topobiologie ». Un exemple des processus macroscopiques se situe au niveau des noyaux du tronc cérébral.
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[3]
Au sujet de l’inconscient non refoulé examiné par Mancia et expliqué par le fait que jusqu’à l’âge de 2 ans la maturation de l’encéphale ne permet que l’inscription de traces mnésiques implicites non récupérables explicitement, je me demanderais s’il s’agit de ne pas confondre cette non-récupération obligatoire, le non-retour du refoulé, avec la possibilité de refouler pour autant ce qui est déplaisant, ou afin de laisser un espace libre (un processus du négatif) au travail neuronal, mental et psychique. Les traces mnésiques implicites reviennent à travers différents modes d’expression, elles participent à l’organisation neurodynamique et peuvent être revêtues d’une polysémie. Enfin, je me demande si leur inscription implicite résulterait d’une certaine forme d’attraction, d’une manière analogue au processus du refoulement secondaire. L’organisation des processus sous-corticaux est aussi dynamique et subjective.