1La question de la fin de la cure illustre de façon exemplaire l’écart entre théorie et pratique, entre critères idéaux et réalité des conditions cliniques lors de la terminaison, ce que Balint (1949) avait souligné.
2Se pencher d’un point de vue pratique sur la fin de la cure impose de s’interroger sur les limites de l’analyse, les limites de l’analyste comme sur les liens entre les modalités de terminaison et la singularité de la conjoncture clinique présentée par l’analysant.
3Mais certaines cures ne se terminent pas, parfois parce qu’elles n’ont pas même commencé. Dans un certain nombre de cas, les défenses de caractère, les déformations du Moi ou le facteur quantitatif de la force pulsionnelle, sur lesquels Freud a insisté (1937), conduisent à des interruptions prématurées dans lesquelles la part des caractéristiques propres de l’analyste joue son rôle sans qu’elle puisse toujours être précisément évaluée. C’est aussi le cas de ces patients pour qui nous formulerions l’hypothèse d’une particulière labilité de la libido et qui se détournent de l’analyse et de ses contraintes frustrantes dès qu’une difficulté surgit ou dès qu’un autre investissement tout aussi volatile a mobilisé leur énergie. Cette même labilité libidinale est peut-être encore accentuée par les difficultés de plus en plus grandes dans notre monde actuel à accepter la contrainte temporelle de la cure dans son rapport au changement.
4À l’opposé, les déformations du Moi, sa faiblesse, voire son agénésie que l’on couplerait volontiers à l’énigmatique viscosité de la libido peuvent conduire à des analyses interminables. Ici, au-delà d’un transfert interprétable et mobilisable, la personne de l’analyste elle-même se trouve investie massivement, elle est devenue vitale pour le patient. Cela se rencontre chez certains patients narcissiques et masochistes dont l’existence gravite autour de l’analyse et qui survivent au-dehors dans un véritable désert relationnel. Malheureusement, dans ces situations, la terminaison ne sera jamais envisagée mais parfois évitée par des suspensions plus ou moins longues de la cure. L’analyste aura vécu la cure qui s’est déroulée avec lui comme un échec analytique, tout en reconnaissant que le travail commun a pu avoir une efficience psychothérapique certaine. Au mieux, l’analysant entreprendra par la suite un autre travail avec un analyste différent, ce qui témoigne des écarts toujours présents entre le contre-transfert du premier analyste et le cheminement du patient au gré des aléas de sa vie.
5Mon propos sera d’examiner quelques cas de figures de terminaison de cure dans lesquels l’analyste a le sentiment que le travail analytique possible pour lui avec cet analysant a été accompli en connaissance du nécessaire et salutaire inachèvement dynamique de toute cure (C. et S. Botella, 1997) et de la valeur de ses résidus (M. de M’Uzan, 1997). Dans ces cas, un accord suffisant sur le terme est apparu entre les deux protagonistes. L’analyste a généralement entériné la demande de fixer un terme exprimée par l’analysant.
6Plus précisément, parmi sans doute de nombreux modes de terminaison, je proposerai d’évoquer trois conjonctures cliniques distinctes au regard du transfert dans le temps de la fin de cure qui correspondent à des termes d’aventures analytiques différentes, en lien avec des objectifs que le cours de la cure a remaniés au fil du temps. Dans la première de ces conjonctures, l’objectif semble atteint quand l’analysant a pu se constituer un espace psychique interne à travers la reconnaissance de l’inscription processuelle du travail de transfert. La deuxième conjoncture se présente, dans une cure au déroulement jugé indécis aux yeux de l’analyste, par une flambée brutale du transfert au moment où le terme est arrêté à la demande de l’analysant. Ici, le poids de la césure dans l’intemporalité des séances qu’a introduite la fixation du terme est majeur. L’acte d’arrêt s’avère décisif comme initiateur ou révélateur du processus. Enfin, le troisième cas de figure que j’envisagerai montre, dans certaines névroses de transfert, une extinction progressive du transfert sur le site analytique (« site analytique » entendu ici au sens que lui a donné J.-L. Donnet, 1995). Nous pourrions désigner ces trois modes de la façon suivante à l’aide de formules un peu lapidaires : l’analyse peut se terminer car elle a commencé ; l’analyse a commencé parce qu’elle s’arrête ; l’analyse est terminée, alors, elle peut s’arrêter. Ces trois modes de terminaison concernent souvent des problématiques distinctes et déterminent des éprouvés contre-transférentiels différents.
LA RECONNAISSANCE PAR L’ANALYSANT DE L’INSCRIPTION DU TRAVAIL DE TRANSFERT
7Ce destin est celui de certaines cures de patients limites, au cours desquelles le transfert de processus psychiques, les processus tertiaires de l’analyste (A. Green, 1972, 1983) ont permis l’analyse de pans entiers d’un transfert sur l’objet reconstruit dans la cure, sans que nous puissions parler de névrose de transfert proprement dite. L’oscillation permanente entre les angoisses d’intrusion et d’abandon a été longuement travaillée en lien avec les traumatismes précoces dans la relation maternelle primaire en particulier. Une forme de jeu a pu s’instaurer dans lequel l’objet détruit a survécu pour mieux être détruit et survivre, et permettre peu à peu que s’origine le fantasme. Grâce à l’analyse des accidents de cadre et du transfert négatif, ces cures ont permis des acquis certains, un assouplissement comme une certaine connaissance des défenses, une réduction des clivages, une meilleure différenciation des affects devenus plus nuancés, un fractionnement énergétique psychique par l’investissement des représentations et du langage. La séparation est redoutée par l’analysant tant il a partagé son intimité douloureuse avec l’analyste. L’analyste doit contenir et élaborer cette angoisse que son patient lui fait vivre.
8Souvent, l’analysant a pu acquérir une nouvelle position sociale ou a pu nouer des relations stables, voire fonder une famille, ce qui réoriente ses investissements. Dans ces cas, l’analyste se doit d’être vigilant quant à sa neutralité pour ne pas précipiter la fin de la cure, ni retenir dans l’emprise son patient.
9Certes, l’analyse pourrait se poursuivre mais l’enjeu de ces cures est moins la mise au jour de conflits inconscients que la conviction issue des constructions successives, fruits du travail transféro-contre-transférentiel, qui étayent le sentiment identitaire. Les constructions auront permis l’émergence de représentations de son histoire par l’analysant, de ses besoins passés comme de ses premiers objets, la naissance d’événements psychiques jusqu’alors pris dans une actualité soumise à la compulsion de répétition entravant toute reconnaissance du passé. Dans le meilleur des cas, c’est comme si avait pu avoir lieu une « correction après coup du processus de refoulement originaire » (Freud, 1937) [1]. Un grain de sable qui fait lest et point d’ancrage identitaire a pu être déposé, autour duquel pourra se réorganiser l’analysant, et lui permettre de réduire le risque de reprise des mouvements pulsionnels et destructeurs chaotiques. L’expérience suffisamment longue du transfert de processus psychiques et des constructions successives, surtout le plaisir qui y est pris en appui sur le plaisir à analyser de l’analyste, viendront compenser la douleur d’une histoire traumatique et constitueront ce lest. L’un des indices de l’efficience de cette conviction acquise est lorsque l’analysant reprend à son compte une construction avec le sentiment de l’évidence, longtemps après son énonciation par l’analyste. La cure aura eu pour effet l’ancrage d’un originaire dont l’analyste ne saura rien après coup, à moins que son patient ne revienne le trouver en fonction des aléas de la vie.
10Dans cette dynamique, progressivement, de façon d’abord fugace puis plus constante, l’analysant va comme prendre la mesure du transfert, le réaliser, ce qui vient attester la nouvelle constitution d’un espace psychique interne réceptif et donner forme et force par réflexivité au sentiment d’identité. Quelque chose a basculé et peut-être s’agit-il d’une victoire sur les résistances du Ça, modifiant le cours pulsionnel. C’est comme si la scène d’emblée présente pour l’analyste se mettait à exister pour l’analysant et que, après que le champ de la transitionnalité se soit enrichi au-dehors, il apparaissait en pleine lumière dans l’espace de la cure. Cette reconnaissance, qui s’accompagne du sentiment que la cure n’est pas le champ de bataille ou de ruine qu’il croyait, va mettre du temps à s’imposer et à conduire l’analysant à se détourner de l’analyste pour aller vers le monde. Tout un temps de deuil douloureux va se déployer qui nécessitera une présence attentive et soutenue de l’analyste. Cependant, dans certains cas avec de telles conjonctures cliniques, la reconnaissance de l’inscription du travail de transfert renforcera l’attachement à l’analyste et ne pourra déboucher sur un travail de deuil, la dette étant trop lourde et la perte étant difficilement envisageable. C’est souvent alors une occasion issue de la réalité extérieure qui sera utilisée par l’analysant pour mettre un terme à la cure de façon quelquefois surprenante pour l’analyste, tout occupé par l’intemporalité de l’inconscient et son travail d’analyste. Cela m’évoque plusieurs situations cliniques où le terme a été fixé à l’avance par l’analysant en invoquant un projet familial ou professionnel de changement de ville ou de départ à l’étranger. En fait, paradoxalement, ces patients se sentent capables de voler de leurs propres ailes mais ne peuvent le reconnaître et l’accepter dans la scène analytique. Le tact et la prudence imposent, dans ces cas où un réel processus s’est développé au fil du temps, de laisser le patient utiliser ce prétexte pour partir. Ce dernier est au fait de l’inachèvement comme de l’infini du travail analytique et s’est engagé sur un chemin où la castration a commencé à relayer la néantisation, la séduction est moins intrusive et où la psychosexualité est moins chaotique. Peut-être que le but essentiel de ces cures est de permettre à l’analysant de découvrir en le créant son espace psychique interne, gage de l’aptitude au plaisir de vivre.
LA FLAMBEE BRUTALE DU TRANSFERT
11Dans les derniers mois de certaines cures dont le terme a été fixé à l’avance à la demande de l’analysant, peut s’observer une sorte d’émergence vive du transfert qui s’exprime avec une clarté encore inconnue auparavant. Il était difficile à deviner et, là, il se manifeste tout à coup avec vigueur. L’analysant semble comme dégagé de la honte et de la culpabilité qui paraissaient l’entraver. La fixation du terme a mis en crise le transfert. La réalité matérielle de la perspective de la fin des rencontres mobilise une figure angoissante de la castration que l’analysant doit affronter. Dès lors, ce temps de travail analytique s’avère propice à l’interprétation de la dynamique pulsionnelle portée à son acmé. Dans les exemples que j’ai rencontrés et que je ne puis développer ici, l’angoisse de perte d’amour dominait la scène psychique chez des sujets qui souhaitaient terminer leur analyse, souvent longue, et vivaient cela comme un abandon de l’analyste. Ils avaient compris que l’investissement de leur analyste visait la psychanalyse et, sentant la fin venir, ils mettaient les bouchées doubles.
12L’actualisation portait sur la sexualité infantile, tenue jusqu’alors en lisière de la cure. Une cure dans laquelle n’avait pas semblé surgir de transformation psychique certaine, même si des acquis extérieurs étaient évoqués tant dans le domaine relationnel que dans le domaine professionnel.
13Il apparaît dans ces cas que la fin de cure est l’occasion de l’expression et de l’interprétation du transfert dont, au fond, l’élaboration pourra, espérons-le, se poursuivre au-delà du terme effectif de l’analyse. Ainsi, chez l’un de mes analysants, qui longtemps s’était présenté comme narcissique négatif, il m’a été difficile de savoir si la névrose infantile et les fixations orales et génitales qui surgissaient à la fin de la cure étaient restées à l’arrière-plan ou bien avaient pris forme et force grâce au travail analytique de près de dix ans. À la fin de la cure, une problématique d’hystérie masculine était au premier plan.
14Quelque chose d’essentiel survient dans ce type de terminaison qui mobilise à nouveau fantasmes et souvenirs. Sous l’effet du transfert positif, l’intérêt de l’analysant pour ses processus psychiques et pour l’analyse s’est mobilisé de façon nouvelle, ce qui apparaît comme un changement notable. Ici, s’agit-il d’une amorce de transformation qui se profile ou bien la flambée du transfert en est-elle l’indicateur a posteriori ? L’analyste serait tenté d’interpréter ce qui se déroule comme effet d’après-coup.
15Mais la richesse de ces fins de cure n’est pas sans nous rappeler avec une certaine inquiétude la dernière année de l’analyse de l’Homme aux loups avec Freud.
16Le fait que l’analysant ait proposé un terme à la cure, terme accepté par l’analyste, distingue-t-il suffisamment ces cas de flambée transférentielle du cas du jeune Russe dont le terme de la cure avait été fixé unilatéralement par Freud ? Ne s’agit-il pas, chez ces analysants, d’une proposition provocatrice, d’un défi dans l’espoir d’un démenti rassurant de l’analyste ? Car à la peur d’abandonner l’analyste se mêle celle d’être abandonné, l’angoisse de la séparation. Il n’est pas aisé de répondre à ces questions, même si le temps de terminaison dans ces cas s’est confondu avec le temps de l’expérience vécue du transfert, expérience fondamentale. Il faudrait aussi mentionner quelques-uns des critères, à vrai dire assez objectivants, que Freud cite dans « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » : la disparition des symptômes, de l’angoisse et des inhibitions au cours de la cure. Il pourrait donc s’agir, après le retour des capacités de travailler et de nouer des liens, d’une levée d’un clivage et conséquemment du refoulement, préparée de longue date et manifeste à la fin du traitement.
17Mais on ne peut exclure fermement, lorsque ce type de fin de cure se présente, l’effet du contre-transfert de l’analyste qui cristallise, précipite en quelque sorte la demande de l’analysant de terminer l’analyse. L’analyste est-il sûr de ne pas vouloir en finir avec cet analysant après de longues années de travail parfois indécis ? Ne saisit-il pas l’occasion de mettre un terme à la cure de son patient ? Ne faut-il pas voir dans la vivacité nouvelle du transfert un effet de la confusion de langues (Ferenczi, 1932) ? Cependant ici la demande de fin d’analyse du patient ne semble pas surgir d’une envie de fuir les difficultés de la cure et elle est empreinte de l’anticipation d’un sentiment de perte dont la gravité dépasse la répétition d’un malentendu du passé. La décision a été mûrement pesée avant que d’être arrêtée. Alors, ce feu du transfert serait-il une ultime manœuvre de séduction de la part de l’analysant ? La question reste ouverte et l’analyste sait bien qu’il doit accepter de ne pas savoir comme il doit supporter que, au moment où selon lui un processus intelligible et interprétable s’est engagé, l’analyse est sur le point de s’arrêter. L’enjeu paraît alors, du côté de l’analysant, un double mouvement de séduction et de castration vis-à-vis de l’analyste. Ce désir de châtrer l’analyste est à la mesure de l’angoisse de castration de l’analysant. Ici, l’élaboration du contre-transfert s’avère centrale et la façon dont l’analyste accepte sa propre castration narcissique (phallique) pourra aider dans l’avenir l’analysant. Celui-ci sera plus à même de surmonter son angoisse par le moyen de l’identification à l’analyste, une fois ce dernier perdu comme objet d’investissement pulsionnel. Mais peut-être s’agit-il d’un pari.
18La fin de la cure pose certes la question du devenir du transfert, son degré de résolution, son aptitude à se transférer ailleurs (le transfert de transfert de J. Laplanche), mais également conjointement la question du devenir de l’impact du contre-transfert de l’analyste chez l’analysant. L’identification au fonctionnement analytique de l’analyste inclut l’identification à ses processus mentaux et aux organisateurs de sa psyché. Dans les cas dont il est question, l’organisateur psychique que représente la castration est central et se verra transmis comme une donnée culturelle humaine commune par la position réceptive de l’analyste quant à la castration narcissique que l’analysant lui fait vivre. Nous pourrions parler ici d’un don de l’analyste potentiellement structurant et source d’élaboration pour l’analysant. Cela semble préférable à l’interprétation d’un désir de castration de l’analyste, à l’origine d’une inévitable escalade de défi narcissique, improductive et violente.
L’EXTINCTION PROGRESSIVE DU TRANSFERT SUR LE SITE
19Dans les cas où une névrose de transfert a pu se développer dans la cure, il arrive à l’analyste d’avoir le sentiment qu’un tournant s’est produit, modifiant l’économie des forces chez l’analysant, les rapports entre Moi, Ça, Surmoi et réalité. Dans ces occurrences, l’impression est qu’une transformation est advenue, que la voie est libre, même s’il n’a pas encore été question du terme de l’analyse. Nous retrouvons ici l’idée émise par M. Bouvet de l’intuition chez l’analyste de la fin de la cure, intuition que nous devons examiner sous l’angle du contre-transfert. Ce dernier se situerait en ce qui concerne la fin de la cure dans une précession par rapport aux souhaits de l’analysant, sur le modèle de la précession du contre-transfert sur le transfert énoncée par M. Neyraut (1974). Cette intuition de l’analyste met en jeu sa propre représentation de la cure analytique, de ses objectifs et de ses buts en référence au complexe de castration et au complexe d’Œdipe, en même temps qu’elle repose sur le travail singulier de son contre-transfert avec cet analysant-là.
20Dans des termes généraux et théoriques, la transformation chez l’analysant peut être envisagée sous l’angle d’une levée des résistances à partir de l’interprétation du transfert et de la perlaboration, tout aussi bien que sous l’angle de l’extension du domaine du Moi, plus à même d’accueillir les mouvements pulsionnels comme de s’adapter à la réalité, ce qui implique des ajustements des idéaux comme du Surmoi. Mais au-delà de ce constat un peu objectivant, il faut prendre en compte le travail de contre-transfert dont les effets s’avèrent porteurs d’un changement des dispositions internes comme des objectifs de l’analyste concernant cette cure avec ce patient. Autant dire que cet aspect aiguise la mise en lumière des limites de tel analyste avec tel patient. L’analyste, en tant que représentant de la réalité pour l’analysant dans la cure, a la charge d’une lourde responsabilité, celle d’évaluer ce qui semblerait un objectif « réaliste » de cette cure avec ce patient. Bien sûr, l’analyste sait qu’on ne peut « tout analyser », et quand bien même cela serait possible, ce ne serait pas souhaitable. Il sait également qu’il doit tempérer ses idéaux. Une certaine modestie s’impose à l’analyste, rappelée sans cesse par Freud en 1937, en particulier lorsqu’il écrit : « L’analysé lui-même ne peut pas loger tous ses conflits dans le transfert. » [2] Une certaine somme de conflits a été drainée par le transfert et le travail des deux protagonistes de la cure a abouti à leur résolution.
21Un tournant a eu lieu qui donne à l’analyste le sentiment qu’une étape cruciale est franchie, voire que l’essentiel de son travail d’interprétant a été accompli. Ce sentiment me semble devoir être mis en relation avec les premières rencontres et l’engagement de la cure. Un sujet est venu trouver l’analyste pour lui soumettre une constellation de difficultés souvent rendues plus aiguës par une actualité conflictuelle. Les premières rencontres, lorsqu’elles débouchent sur une décision d’analyse, viennent sceller un accord et un contrat concernant l’entreprise analytique. Elles viennent signer, si elles ne sont pas l’effet d’un défi séducteur, une entente, inconsciente pour une part, dont on peut supposer qu’elle repose sur une forme de compréhension sélective bilatérale qui va d’emblée orienter la cure, en fixer les attentes et les buts de part et d’autre. Elles ménagent aussi des zones d’ombre, des points aveugles plus ou moins encombrants pour son déroulement. Mais la compréhension et la représentation des difficultés du côté de l’analyste dépassent celles du patient. L’analyste de par son métier, son expérience et ses connaissances est seul à savoir vraiment à quoi il s’engage (J.-L. Donnet). De nombreuses années après, la question du terme ravive les interrogations premières de l’analyste et actualise les premières représentations qu’il s’était faites des buts de cette cure avec cet analysant. L’aventure lui semble fructueuse, les écueils imprévus n’ont pas compromis l’entreprise, mais cette créature à deux têtes qu’est la cure analytique a ménagé des surprises pour chacun des partenaires et, au fil de son déroulement, l’analyste a dû réviser ses conceptions de la traversée analytique de son patient. Dans l’intuition du terme qui lui vient, s’inscrit cette révision des buts comme des ambitions de la cure. Mais avoir l’intuition du terme permet à l’analyste, à condition de ne pas désinvestir l’analysant, d’analyser dans un climat plus serein, dégagé de la crainte d’une interruption prématurée qui aurait pu survenir avant le tournant de la cure.
22Si le patient ne parle pas encore de terme, et on comprend qu’il redoute la séparation, souvent y pense-t-il déjà fugacement et hors séance, ce que bien souvent l’analyste apprendra ultérieurement. Le retour apparent de certains symptômes peut être le signe de cette fin qui se profile. Toutefois, c’est un temps où l’analysant poursuit son travail de perlaboration et d’association qui requiert moins d’interventions de la part de l’analyste, éventuellement la reprise sous une forme nouvelle d’interprétations déjà formulées. Ce temps de perlaboration est important et se déroule dans un climat d’attention plus silencieuse de l’analyste. Il permet à l’analysant de prendre la mesure de ses changements internes.
23Dans un certain nombre de cas, se produit ce que Ferenczi a décrit en 1928, une sorte d’épuisement, de détachement progressif, comme si cette cure, à ce moment-là, touchait à une sorte de « fin naturelle ». L’analysant prenant la mesure de la répétition dans le transfert tourne ses investissements vers l’extérieur. L’utilisation de l’analyste a eu lieu, même si elle est restée circonscrite, et quand les conflits actifs sont résolus, le processus se tarit de lui-même. Le thème de la fin va apparaître dans les propos de l’analysant et l’analyste aura parfois à interpréter ce désir de terminer la cure. L’élaboration de ce désir débouchera sur la fixation d’un terme à la cure. Entre-temps, l’analyste aura dû contre-transférentiellement amorcer le travail de deuil de la cure de cet analysant, précédant ainsi son patient. Mais la singularité de ce travail de deuil de fin de cure chez l’analyste est qu’il touche au deuil de soi-même (C. David, 1996) en tant qu’analyste de cet analysant précis dans le climat original de cette cure. Pour que l’analysant puisse se détacher et transférer ailleurs ce qui fait reste, l’analyste doit restreindre sa place, diminuer comme peau de chagrin, s’effacer progressivement dans sa fonction analysante. L’association libre, dégagée d’entraves, fait écho dans l’idéal au silence endeuillé de l’analyste. Au deuil des objets parentaux pourra succéder chez l’analysant le deuil de l’analyste et de la cure comme objet vivant.
CONCLUSION
24Les situations de fin de cure que j’ai présentées sous l’angle du transfert concernent une réalité clinique qui s’écarte des critères théoriques idéaux de terminaison, même si la figure d’extinction progressive du transfert s’approche d’une forme de « résolution » du transfert. Cependant nous savons tous que, quelles que soient les modalités de la fin, l’essentiel est que la cure ait fait naître un processus de transformation psychique chez l’analysant dont le devenir reste bien sûr soumis à l’inconnu de la vie. Par ailleurs, les situations que j’ai présentées sont nécessairement schématiques dans la mesure où les trois occurrences proposées sont souvent mêlées en diverses proportions dans chaque fin de cure. Toute cure menée à son terme contient la découverte, redécouverte d’un espace psychique interne, du jeu avec les représentations chargées d’affects, mais aussi confronte à la castration et au deuil. En fonction de l’axe principal de cette cure avec cet analyste, à ce moment de son histoire, la forme que prendra l’enjeu de la terminaison pour l’analysant sera différente. Le complexe de castration est probablement l’organisateur principal de la fin de la cure, il représente l’aboutissement comme le modèle de toute perte. Pour certains patients, être, se sentir appartenir au monde et pouvoir partager avec les autres compense la perte de l’analyste. Pour d’autres, la fin de la cure s’inscrira dans l’acceptation inévitable de la finitude de toutes choses, y compris l’analyse, avec la certitude réconfortante de la richesse de l’évocation du passé et du rêve. Enfin, d’autres patients feront sans détour de la fin de cure le procès de la castration qu’ils refusent. Freud n’a-t-il pas parlé du roc biologique du féminin ?
Mots-clés éditeurs : Transformation psychique, Terminaison, Transfert
Mise en ligne 07/04/2008
https://doi.org/10.3917/rfp.721.0175