Couverture de RFP_701

Article de revue

La sensorialité et la violence.

Hypothèses sur un en-deçà du bien et du mal

Pages 197 à 213

“ Avec l’argile, on forme un vase, mais seul son vide (néant) intérieur fait son usage. ”
Lao Tseu, Tao-te-king.

INTRODUCTION

1À l’origine, la « préparation anatomique » (Freud) est la peau de ce qui deviendra le moi. L’ectoderme embryonnaire est une zone frontière qui sépare l’intérieur de l’extérieur et s’incurve en formant un tube neural qui s’épanouit en cerveau et, de surface, devient épaisseur. On peut considérer cette intériorisation du système nerveux central comme l’esquisse du parcours psychique de l’expérience du dehors vers celle du dedans. Cette paléogenèse organique du moi, avec ses deux « mouvements de croissance » (Blechschmidt, 1960, p. 228), de délimitation et d’inclusion, préfigure les fonctions à venir du moi, même si le chemin de l’éclosion de la dimension psychique, que nous nommons monde intérieur, est prolongé et différé. Dans les mouvements de croissance psychique du moi, nous retrouvons la dialectique de la délimitation et de l’inclusion : d’une part, le refus, le containment, l’interdiction et le tabou ; de l’autre, la satisfaction et la prise en charge. De cet inter-jeu (va-et-vient) d’inclusion et d’exclusion, le moi ne se départira plus jamais, sauf en cas d’aliénation ou d’effondrement psychotique. L’hominisation individuelle est l’histoire de l’éclosion de l’espace intérieur à partir des surfaces et des indifférenciations sensorielles, ce qui ne réussit que grâce au monde intérieur d’éducateurs « suffisamment bons ». La protection à l’encontre des stimuli et une aide de l’entourage pour les assimiler sont indispensables. Ce n’est que grâce à l’intériorité vivante d’autrui que le moi peut émerger de sa matrice somato-sensorielle. Ce processus vers la saisie cohérente de soi, compte tenu de tous les modes de soutien sensoriel et mental mais aussi des nécessaires tabous du toucher, a été bien décrit par D. Anzieu (1985) dans son livre Le moi-peau, à la suite de Freud et de Bick (1968) ; en 1923, Freud écrit : « Le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface, il est lui-même la projection d’une surface » (p. 254) ; et dans une note (SE, vol. XIX, p. 26) : « Le moi provient en dernier ressort de sensations corporelles, pour l’essentiel de celles qui se forment à la surface du corps. » Le moi, né à la limite, est un être limite, il doit son existence au fait d’être contenu à l’intérieur d’un autre, mais aussi au frottement douloureux contre les limites, aux perceptions désaccordées dans le temps qu’il doit endurer et représenter : interne et externe, soi et autrui, fort-da, durée et fugitivité, affirmation et dénégation, bon et mauvais, compréhension et incompréhension. Distillat des séparations, le moi s’érige et chute avec elles. La présence opposée à l’absence fonde une temporalité d’abord cyclique. Selon Bion, le vécu de satisfaction inaugure l’intériorisation de quelque chose de bon ; par contre, le refus enduré donne la capacité à penser la limite maligne. On pourrait également dire que ce n’est que l’amour des objets qui crée la substance psychique, mais que la structure psychique est issue essentiellement de la maîtrise de la haine engendrée par le refus. Sans cette maîtrise, l’espace psychique ne s’épanouit pas et la régulation des affects reste précaire. La libération de la contrainte à l’action est la récompense de la capacité de penser. De l’expression somato-sensorielle naîtra plus tard la remémoration. La violence effrayante de l’expérience somato-sensorielle primaire (il suffit de penser aux réactions d’effroi aigu qui ébranlent le corps entier du nourrisson) est calmée par la prise en charge et la structuration des limites [1], mais ce bienfait lui-même n’est pas obtenu uniquement par des moyens apaisants. Même le jeune moi qui a pu profiter d’une omnipotence de bonne qualité vivra l’entrée de la culture dans la chambre d’enfant comme une violence. Dans la mesure où elle exige le différé des pulsions et l’attente, la culture est toujours traumatique. Elle le reste lorsqu’on repousse de façon bien intentionnée les collisions à un temps ultérieur : en diminuant les luttes de pouvoir anal avec des langes appropriés, en agissant à la demande du nourrisson en utilisant de l’eau tiède pour le baptême comme j’ai pu le constater récemment.

2Ainsi, Freud, dans Malaise dans la culture (1930), écrit que la culture est bâtie sur le renoncement pulsionnel (GW, XIV, p. 457). La sublimation est le gestionnaire du renoncement. Il s’agit du déplacement du but pulsionnel vers la subtilité, à laquelle Freud ajoute l’art comme « narcose tempérée » (p. 439), en la séparant clairement des autres méthodes d’ « évitement de la douleur » (p. 435-436) telles l’ « intoxication » d’origine externe et la manie d’origine interne. Curieusement, la réception de ce travail obéit à une vision borgne qui ne retient que la régulation sociale de la pulsion sexuelle, alors que Freud traite clairement du problème de la violence, de la tâche du surmoi individuel et collectif de désarmer notre potentialité au mal, cette donnée biologique. On peut également le formuler ainsi : la culture est basée sur des formes plus ou moins atténuées d’automutilation, car notre seul choix est soit d’exercer nos aspirations agressives, soit de les intérioriser, d’où elles resurgiront comme sentiment de culpabilité, comme une part de psychosomatose, d’hypochondrie et de contrainte, ou encore de nous faire nous tourmenter avec un travail pénible. C’est là la part de déplaisir, le « malaise » que l’on endure ou pas. Il semble que la part de violence que l’on épargne à autrui, on doive se l’infliger à soi-même. Ainsi l’aptitude au sentiment de culpabilité est-elle le signe de l’hominisation. Cette conjoncture que Freud conçut comme essentiellement culturelle, M. Klein l’a attribuée à l’être individuel, censé développer la capacité d’adopter comme issue de l’horreur schizo-parano ïde de lutte et de fuite, la position dépressive.

3Il est essentiel que le développement du moi et du surmoi aillent de pair. Ce processus compliqué ne peut fonctionner qu’en interaction, puisqu’ils expriment le soma primaire et sont composés simultanément par l’intériorisation d’un extérieur purement sensoriel. La remarque de Freud, selon laquelle « le moi puise son surmoi à partir du ça » (1923, GW, XIV, p. 273), suggère que les introjects plus tardifs sont davantage marqués par des mouvement pulsionnels projetés, qu’ils ne sont pas la figuration d’objets réels ; le surmoi a, pour Freud, des sources sensorielles car provenant de l’ « entendu » et prenant place comme modèle révisé là où le célèbre croquis de l’appareil psychique était coiffé d’une calotte acoustique.

4Les destins du moi et du surmoi sont inséparables. De nombreuses dimensions s’y croisent qui permettent de juger de la qualité de la vie psychique : les frontières du moi, la qualité des relations avec le soi et avec les objets, la mentalisation, la formation des symboles, le développement des représentations depuis le niveau somato-sensoriel jusqu’à ce qui est saisi par la pensée et la parole. Le tissage de ce qui fut initialement du somatique et du sensoriel exige du temps, comme toute discrimination. Il n’est pas de culture sans répétition réglée, que ce soit dans la chambre des enfants ou dans la cour des grands. Ainsi, le surmoi individuel répète toujours de grandes parts de la mémoire culturelle, là où elle fonctionne encore [2]. Il n’est peut-être pas superflu de le dire à une époque où le sentiment vital spontané de nombreuses personnes classe l’exactitude et la rigueur du côté de l’obsessionnalité, et où nous rencontrons des enfants chez lesquels s’installe une sorte de maturité œdipienne de détresse sur une base d’addiction. L’analité est proscrite et a disparu des discours psychanalytiques de ces dernières décennies. Ce qui relève de l’ordre et du rituel n’est pas apprécié, même si des voix se multiplient qui redécouvrent la fonction de liaison de l’angoisse par des rituels au cours des crises du développement individuel et collectif, et aussi le fait que les tabous qui sont issus des tabous du toucher sont essentiels pour la constitution des étapes de la délimitation des frontières du moi.

LE PÉCHÉ ORIGINEL

5Suite à des décennies d’un rousseauisme qui a imposé l’image de la bonté humaine, le mal doit être reconnu comme état de fait au vu de la violence quotidienne réelle (Kolakowski, 1989 ; Safranski, 1997). Il est à nouveau question du diable, au moins métaphoriquement. Comme de tous temps, il est difficile de s’en saisir : de toute façon, il œuvre dans la société sans père (Mitscherlich, 1963), dans la société du loisir, de l’envie, de l’infantilisme (Bly, 1996), de l’événementiel (Schulze, 1993), des perspectives de guerre civile (Enzensberger, 1993), dans le capitalisme digital. « Le diable sait avoir peu de temps », c’est la citation du philosophe H. Blumenberg dans Weltzeit und Lebenszeit (1986, p. 71) de l’Apocalypse de Jean ; il poursuit : « La limitation du temps est la racine de tout mal. Si l’on renonce à diaboliser la malignité humaine, on la voit émerger dans le fait qu’un être d’une durée de vie finie a des désirs infinis. » Pour lui, c’est « la concentration des techniques et des astuces destinées à gagner du temps tout au long qui font le diabolique ». Des gains de temps, donc, pour tenter de fermer le ciseau de plus en plus ouvert entre les possibilités de mon temps et la certitude de toutes les autres jouissances possibles. Certes, cette allusion philosophique à la structure addictive comme péché originel, aux désirs insatiables de l’homme, qui ne trouvent que dans le malaise de la civilisation un havre toujours perturbé, n’est pas nouvelle. Mais écoutons le sociologue Beck (2000) qui voit la condition humaine contemporaine prise dans « un espace d’expérience transnational », où « la mémoire collective... perd son unité et à son intégrité ». Alors nous pressentons que, avec l’érosion actuelle de tout le familier, le cheminement de la socialisation du somato-sensoriel au moi et surmoi culturel (et retour) ne peut plus se dérouler au lieu habituel. Si Calogeras et Schupper (1971), dans un travail psychanalytique désuet, ont considéré de façon touchante que désormais ce ne serait plus le refoulement mais la régression qui deviendrait « la conduite défensive usuelle » (p. 314), nous nous demandons souvent aujourd’hui s’il reste quelque chose à refouler, et quelle instance psychique s’en chargerait, si nous n’avons affaire non à une pathologie névrotique des représentants symboliques, mais à une pathologie des processus psychiques de base eux-mêmes (cf. Fonagy et al., 1993). Les discours psychanalytiques ne sont eux-mêmes pas dénués des réflexes dus à l’air du temps, peut-être d’une pédagogie collective : la théorie de l’hystérie au tournant du siècle, la théorie de la relation d’objet dans une modernité en accélération où disparaît la stabilité de l’objet et s’installent des authenticités fugitives, les théories du narcissisme au sommet d’une vague d’autoréalisation, les questions du « moi-peau » – « second skins » –, de barrière autistique, de reculs psychiques, de fausseté et de mensonges, « aliveness and deadness » (Ogden, 1995), mentalisation, formation de représentance, exigence de concrétude, théories de la pensée, enfin renaissance de la théorie des liens.

6Nous ne voudrions pas feindre de savoir ce qu’il en est actuellement du moi, du surmoi collectif comme individuel, mais jeter un coup d’œil sur certaines circonstances qui les dominent et contre lesquelles ils ont à se construire. Cela inclut la question de la survie de l’espace psychique conceptualisé auparavant, dans les conditions actuelles. Il se pourrait que le débordement sensoriel contemporain et les tendances aux addictions indiscutables de notre culture mènent le moi (et, avec lui, le surmoi) à se muer en être de surface, à attiser des angoisses confusionnantes, à violenter le moi et à le rendre violent. Que la chute des limites crée des cas limites à différents niveaux est sans doute davantage qu’un jeu de mots. Je m’apprête à esquisser quelques phénomènes dont les effets sur la socialisation primaire et secondaire nous sont encore bien trop mal connus.

7Il faut dire que, dans la mesure où notre monde électronique nous habitue depuis l’enfance à faire de la vitesse de la lumière une donnée temporelle approximative, les délimitations du temps et de l’espace, tout comme les lignes de séparation de l’illusion et de la réalité, s’évanouissent. Paradoxalement l’espace-temps psychique semble se rétrécir. L’imagination devient « fantasy » et, pour imager le jeu de la bobine (Freud, 1920), la bobine disparaît définitivement ou demeure dans la main. Je reviendrai sur le fait que l’envers de ces franchissements cause des adhésivités aux objets et des expériences sensorielles superficielles, ce qui rend difficile la représentation des séparations et favorise des formes privées de schizo ïdies.

HYPERKINÉSIES

8Le temps manque. Très précisément : avoir du temps est devenu un privilège des plus pauvres. Autrement, le manque de temps est devenu l’expérience quotidienne immédiate. Lübbe (1991) parle du « rabougrissement du présent ». La modification des macro- et micro-mondes sociaux, des créations culturelles, de la législation atteint un tempo précipité et est proche du montage découpé des vidéoclips. La transaction culturelle s’échauffe en parallèle avec la rapidité de la génération des processeurs la plus récente et oscille au rythme maniaco-dépressif des baromètres de la Bourse. La consommation des objets est devenue boulimique : ce qui a cours disparaît demain à jamais ou se trouve relégué à une place précoce au musée. La dimension de la fugitivité est promptement remplacée par la nouveauté. Dans la mesure où la disparition ne comporte plus de temps de deuil, la consommation addictive ne laisse aucune trace psychique. Dans la caisse de résonance des médias, cette précipitation est répercutée en un écho démultiplié. Si l’on questionne les enseignants du primaire, ils relatent qu’ils doivent lutter pour obtenir l’attention des enfants comme si leur structure perceptive s’était déjà adaptée à un monde d’objets papillonnants qui n’offre pas de sécurité des liens. L’ennui en tant que vide qui, selon Winnicott, exige d’être supporté pour pouvoir être rempli de sens est sacro-saint. Dans la surabondance des offres qui tend à disjoindre « le temps mondial et celui de la vie », la hâte époustouflante pour ne pas rater sa part du bonheur a pris les allures d’une épidémie. Dans ce monde des scanners, zappeurs et gigoteurs, l’enfant hyperkinétique et le « syndrome du déficit attentionnel » sont apparus comme pathologies index tout comme « le syndrome de la fatigue chronique », signe possible du revers de l’épuisement de l’être agité et le « clumsy child syndrome » (Rasmussen et al., 1983 ; Gillberg, 1983), probablement la forme la plus atténuée du registre des troubles autistiques. Il est bien connu qu’un grand pourcentage des enfants de l’école primaire ne sont plus capables de marcher à reculons les yeux fermés. Il est remarquable que la recherche biologique, confondant le substrat et la cause, conclue rapidement à l’existence causale de troubles de la transmission synaptique, alors même que les descriptions cliniques des enfants hyperkinétiques évoquent les fragments d’un manuel sur les troubles borderline, surtout en ce qui concerne le déficit de la mentalisation, la concrétude, la labilité affective, l’intolérance à la frustration et l’agressivité. L’ajournement n’est plus prévu. Peut-être de tels enfants sont-ils les hérauts d’une culture « just in time » qui croit devoir supprimer la capacité d’attendre car l’attente est déplaisante et non rentable du point de vue économique.

ÊTRE DÉPOUILLÉ DE SA PEAU, ÉCORCHÉ

9L’aptitude humaine à conserver une identité, un sentiment de soi, au cours des modifications rapides des circonstances vitales, n’est pas inépuisable. D’où la dimension individuelle et collective d’une expropriation par ce que l’on nomme la mondialisation. À être jeté répétitivement dans un inconnu sauvage, l’individu doit lutter avec des angoisses de désintégration, avec une confusion qui cherche difficilement à se stabiliser à un niveau schizo-parano ïde, moyennant des clivages ou encore par des retraits d’une pseudo-autonomie, par la constitution de « second skins » (Bick, 1968) dont l’excitation sensorielle est censée assurer le sentiment corporel d’une « continuity of being ». La pensée de Bick sur l’expérience dermatologique comme container protomental des angoisses précoces trouve, je crois, un redoublement nécessaire dans des groupes tutélaires comparables à la « mère-environnement » de Winnicott, donc dans des peaux sociales qui détoxiquent les angoisses d’anéantissement et la destructivité qui en est issue [3]. Jadis la famille était la première des peaux sociales. Mais ces sphères semblent se liquéfier et correspondre de plus en plus à un moi-peau troué comme une passoire. L’angoisse et l’impuissance provoquent des collages adhésifs à toute sorte d’objets qui, par précaution, ne doivent pas prendre trop de sens mais être concrètement présents.

INTOXICATIONS

10« Bartleby », le greffier de la chancellerie à New York, d’une nouvelle du même nom de Melville (1853), est celui qui énonce, de façon aimablement entêtée : « Je préfère ne pas » [4], niant ses tâches et refusant la communication jusqu’à la négation de lui-même avec sa mort par inanition. Bartleby a l’étoffe pour être un saint de notre temps. C’est peut-être pour cela que Enzensberger (1995) lui a dédié un poème. L’état d’esprit d’un petit enfant lorsqu’il a visualisé longuement des dessins animés à la télévision (qui deviennent d’ailleurs de plus en plus violents) ressemble sans doute à celui d’un manager moyen qui trouve 500 e-mails après trois jours d’absence. Par comparaison avec l’enfance paysanne d’il y a un demi-siècle, ses joies et ses effrois, la densité des impulsions et des signaux quotidiens dans le monde du réseau électronique des marchés des vécus synthétiques constitue vraisemblablement une submersion permanente du moi. Il n’est pas de structure sans différence et toute différenciation suppose du temps afin que des signaux d’abord insensés (Weizenbaum, 2000) puissent être interprétés comme informations acquérant, par une interprétation additionnelle et contextuelle, une signification qui permet de penser. Le cadrage verbal d’excitations de type traumatique réussit de moins en moins. Au temps des liaisons plug-in, on-line et de l’infotainment dont le premier grand ancêtre sera peut-être un jour le téléphone portable, la capacité de penser se trouve sous un bombardement visuel et acoustique continu. La visualisation obligatoire a pris les allures d’un empoisonnement par l’image chez les plus petits (Millner, 1996). La mention de la lecture épidémique (Safranski, 1984, p. 52) qui, à la fin du XVIIIe siècle, a pu inquiéter les pédagogues pessimistes à l’égard de la culture ne tient pas, car la pseudo-hallucination du lecteur suppose plus d’opérations mentales et d’aptitude à l’attente que des images directement sensuelles. Le délai pulsionnel – « now ! » – est en direction du zéro. Le « pas encore » se rabougrit à tous les niveaux, y compris dans la verticalité des générations. Le surmoi culturel a consenti depuis longtemps à commercialiser toutes les excitabilités disponibles de la constitution humaine et à les court-circuiter avec le système affectif car un apaisement prolongé de soi diminue le cash-flow. Les particularités formelles des stimulations et des simulations médiatiques semblent avoir été copiées mimétiquement sur le processus primaire. Cela en ce qui concerne les techniques du découpage et du montage des images dans les vidéoclips et les publicités, le renoncement à un narratif optique logique ou encore l’immersion du sentiment de soi dans la vibration pure de la musique techno [5]. La sexualisation omniprésente conduit non point à l’accroissement de la vie génitale objectale (Reiche, 2000) mais à celui des auto-érotismes, du « self-sex » (Sigusch, 2000). L’excitation crue demeure dans une culture de la masturbation sustentée par l’écran sans même référence à un soi, ombre de l’objet. Il faut enfin évoquer, eu égard au problème de la violence, la destruction de la réalité par une violence virtuelle lorsque l’appétit de l’aventure fait migrer des coups de catch, apparemment sans conséquence, des Wrestling-Griffe – prises de lutte – et des coups simulés, de l’écran à la cour de l’école. À mon avis, le bombardement sensoriel donne lieu à une submersion par des éléments bêta qui ne peuvent plus être métabolisés ou symbolisés de façon cohérente, mais seulement repoussés dans le soma [6] ou abréagis. L’arrachement hors du courant de l’excitation conduit alors à un ennui mortel qui réclame à grands cris des excitations nouvelles parfois concrètement mortelles.

NÉGATION ET ADHÉSIVITÉ

11Le bref travail de Freud sur la négation (1925) est ici éclairant car « la création du symbole de la négation fournit à la pensée un premier degré d’autonomie par rapport au règne du principe de plaisir » (p. 15). Le fait qu’une représentation ou un contenu de pensée puisse pénétrer la conscience « à condition qu’elle puisse être niée » (p. 12) permet de distinguer l’hallucination de la perception. « On reconnaît (p. 14) que l’épreuve de réalité suppose qu’aient été perdus des objets qui jadis ont fourni une satisfaction réelle. » Bien sûr, nous pouvons évoquer la bobine, et aussi la théorie de la pensée de Bion. C’est dire que le processus peut aussi s’inverser dans la mesure où le réel qui peut être représenté a pu être nié [7]. L’absence subie des objets peuple le monde intérieur d’idées et de fantaisies guidant l’action [8]. Ou encore peut-on dire, avec Green et Bion (cf. Parsons, 1996) : c’est seulement la supposition du « nothing » qui protège le moi de devenir l’esclave d’une relation faussée à un no-thing, et donc de la libidinisation d’un vide qu’il faudra combler ailleurs par un amalgame avec des choses concrétisées. Tustin (1980) a décrit en quoi le vécu personnel de la présence réelle sensorielle d’objets autistiques empêche des avancées symboliques et des enchaînements de représentations. Le court-circuit sensoriel avec la concrétude et la circularité de l’excitation (Tustin, 1980, p. 27) viennent à la place de l’intériorisation et de l’échange des objets. La présence forcenée des images, des excitants, des informations et des objets concrets restreint le hiatus nécessaire à la négation et cause un rabougrissement de l’espace transitionnel au sein duquel la séparation et le concernement (Bezogenheit) peuvent co ïncider de façon paradoxale. L’encerclement sensoriel fait du moi la surface de consommation de media inanimés, favorise un mode adhésif de relation objectale. Ce monde correspond à des « autistic shapes » (Tustin, 1984), deuxième peau contenante, ou à des « autistics objects » (Tustin, 1980), courts-circuits sensoriels à la place de possibilités réfléchies de compréhension et ultima ratio, qui ressemble encore à ce que je suis, mais comporte une disponibilité apeurée et aux aguets de la violence, s’il est menacé de privation. D’où des éléments de relations d’objet fétichiques et autistiques, dans la mesure où les deux modes rejettent catégoriquement la possibilité de séparation. Aussi, la « capacity to be alone » (Winnicott, 1958) diminue : il semble que notre monde de perte de l’absence et de présence inconsciente rende plus difficile de vivre simultanément le fait d’être séparé des objets et d’être concerné par eux. Comme l’énonce l’employée d’une publicité de télécommunication (Der Spiegel, 29 janvier 2000) : « Mes relations on-line sont plus durables que mes contacts. »

12Parvenu à ce point, je voudrais faire état d’une hypothèse. Pour autant que je le vois, notre culture prend pour argent comptant des souhaits antiques et utopiques : précisément, elle voudrait vivre son phantasme central clandestin selon lequel la culture serait possible sans renoncement et sans la part de masochisme érogène (cf. Ribas, 1998) de souffrance incluse sans laquelle l’individu ne peut pas accomplir un devoir difficile [9]. Une éthique des revendications et non des devoirs en est l’expression. Le surmoi culturel post-moderne a une tendance ironique à s’autodémentir, comme dans cette ville où les conducteurs sont informés par la presse des lieux où la police procédera à des contrôles. Anything goes : tout comme si les mouvements de capitaux, rapides et virtuels avaient fusionné avec les sources somatiques internes pour lesquelles Freud a créé la « pulsion » comme notion frontière entre le psychique et le somatique (1915) [10]. Mais la boîte de Pandore une fois ouverte génère aussi de l’angoisse : elle croît à la mesure des débordements qui font exploser le container social, des dépendances kaléidoscopiques, des moments pervers lorsque toutes les différences s’équivalent, de l’accroissement de la complexité et de la contingence. C’est une angoisse confusionnante. Ainsi, la « political correctness » a élevé le mésusage bien au-delà de la signification sexuelle, en faisant une métaphore générale pour la sensibilisation de base en un temps où nous sommes menacés de perdre le sens de l’usage du monde, de nos possibilités et de notre savoir. L’angoisse a valeur de moteur de la formation des symptômes. Avant de clore, jetons un bref regard sur quelques phénomènes hétérogènes qui peuvent être considérés comme symptomatiques. Des indices statistiques tels l’accroissement constaté du « chant choral promouvant la communauté » (Reiche, 2000, p. 27) sont ici d’une valeur douteuse. L’analyse spectrale du prisme culturel se produit aux marges : tout comme avec le microscope, il faut chercher à la périphérie de la lame et non en son centre épais.

13Tout d’abord, j’évoquerai les cas limites d’un nouveau type, tels qu’on les rencontre dans le domaine de la psychiatrie infantile. D’un côté, on observe des foyers brisés, des salles de jeu, la culture vidéo : mais, de l’autre, certains enfants malades apparaissent comme avant-garde marginale de notre civilisation de plus en plus codée sur le sensoriel, avec une insécurité du lien. La mentalisation, l’assomption de perspectives sociales, la symbolisation, l’acquisition de représentations plus évoluées, la tolérance à la frustration, la sublimation sont à peine développées dans une atmosphère d’ennui et de faillite, où la violence est à fleur de peau. La pression des affects indifférenciés est très forte. À leur inertie psychique correspond une sorte de réanimation dans l’ivresse d’un présent excitant. Ils font preuve d’une pauvreté en affects liés aux objets, tels que le deuil, la culpabilité, la gratitude, mais aussi en affects autocentrés comme la fierté et la honte, cela sous le poids de l’angoisse, de l’impuissance, de la rage. Des hyperkinésies et des barrières autistiques sont fréquentes et coexistent avec des modes de relation fusionnels, sans que les limites de la psychose ne soient franchies. Je dis cas limites, car le paradigme borderline devenu classique ne fonctionne plus comme modèle en ce sens que, premièrement, l’espace psychique n’est que peu développé, et que, deuxièmement, un clivage stable entre le bien et le mal comme précurseur du surmoi n’a pas réussi à s’établir : ils semblent se situer encore dans un en-deçà de l’organisation borderline de la personnalité, en deçà de la structure fortement sensorielle, quelque part entre l’addiction, la perversion, l’autisme et la psychose – à savoir, les pathologies graves de l’échec de la séparation. Ils s’agrippent à l’objet, mais sans relation structurée à un visage humain. Ils se cramponnent, mais n’aiment pas. Ils sont seuls, mais non séparés. Si l’on se demande alors où se situe la ligne de clivage – autre que entre bien et mal – dans cette « schizo ïdie », on pourrait donner, comme réponse provisoire : entre une présence insignifiante et l’absence de signifiance, entre une pléthore vide de sens et un vide plein de sens. Je prévois que nous allons recevoir ces enfants en consultation dans quelque temps, et qu’ils vont mettre durement à l’épreuve nos concepts nosographiques et thérapeutiques.

14En second lieu, j’évoquerai la théâtralisation de la peau, particulièrement dans la « culture jeune ». Entre-temps, les graffitis se sont étendus du mur à la surface corporelle propre. La nature de ces initiations et de ces rituels inventés qui autrefois ouvraient la transition vers l’âge adulte ne peut passer inaperçue. Si, à l’époque de la morale sexuelle répressive, le corps se sexualisait de façon hystérique, dans une culture d’effacement des limites, c’est justement l’organe de la limite qui subit un surinvestissement régressif comme organe de l’angoisse, en ce sens que les incunables de l’être-soi, les emblèmes de la différence, s’inscrivent sur lui sous forme de tatouages, de spray corporels en couleurs, et de piercing parfois monstrueux : cela, comme dans tout symptôme, par une formation de compromis, ici entre blessure et cicatrice, perforation et tentative de réinstauration du contrôle des limites. La conséquence est quelquefois une inflammation chronique de l’organe de la limite. Peut-être que l’homme, système à demi ouvert avec son homéostasie propre sur le plan biologique, social et psychique, supporte mal d’être contraint à la position de système totalement ouvert. On peut également considérer les manipulations de la peau comme une tentative douloureuse d’autothérapie, tout au moins pour délimiter sensoriellement ce qui, en tant que soi cohérent, menace constamment d’être dilué. Cela peut glisser vers des automutilations de plus en plus fréquentes et graves, forme auto-agressive de violence d’autoconservation. Le fait que « skinhead » signifie « tête de peau » est plus qu’un aperçu psychanalytique : cela mériterait en soi d’être pris en considération.

15Le troisième phénomène de la couche superficielle de la civilisation, incontestablement complexe, et qui prend en apparence des formes quasi religieuses, je le qualifierai de culte du trauma [11]. Si, d’un côté, les exigences de renoncement de la civilisation qui imposent des contraintes supérieures à la fonction presse-bouton sont visiblement ressenties comme traumatiques [12], d’un autre côté notre communauté semble se scinder en d’innombrables minorités, qui ont toutes des prétentions que la vie et la société laissent insatisfaites. Un appareil électrolytique discursif sépare sans arrêt les coupables des victimes, ce qui crée un combat acharné pour les bénéfices de la position de victime. L’expression « victimisation globale » circule partout (cf. Zizek, 2000) [13], les fondamentalismes s’imposent à tous. Beck (2000) écrit : « Le caractère postmoderne de cette construction identitaire est remarquable : elle lie ce qui semble s’exclure – relativisme et fondamentalisme. Par exemple, on soutient que seuls les membres d’un groupe minoritaire peuvent savoir la “vérité” sur l’oppression endurée. Ce qui signifie que seuls les Afro-Américains peuvent parler et penser pour les Afro-Américains, les homosexuels pour les homosexuels, les femmes pour les femmes. L’œil analytique reconnaît facilement dans de telles discriminations des clivages et des idéalisations le long d’une ligne apparemment nette de démarcation coupables-victimes, teintée d’un grandiose pathos éthique et d’une pression de plus en plus forte pour obtenir justice. Je fais l’hypothèse (cf. Bolz, 2000) que les processus mentionnés de globalisation, d’accélération, de virtualisation et d’hégémonie du sensoriel ont conduit à des états confusionnels avec des angoisses profondes, qui seront réglés et stabilisés de façon précaire par clivage, par le moyen d’une défense courante de la psychologie collective.

16Enfin et quatrièmement, encore une remarque concernant la violence qui a pris dans notre monde des formes consacrées et absolues, et cela pas seulement chez de nombreux enfants et jeunes marginaux. En ce qui concerne mon point de vue sur la violence du sensoriel et le sensoriel de la violence, je pense que la distinction de Glasser (1998) montre la voie. La violence sadomasochiste maintient l’objet dans la souffrance, elle dure, elle suit un but, elle a une relation à l’objet comme condition sine qua non, il y a un surmoi en arrière-plan, l’acteur n’a pas d’angoisse, mais du plaisir ; ce qu’il nomme « violence d’autoconservation » vise la destruction de l’objet à partir d’un niveau primitif de fonctionnement psychique et est plutôt bref, éruptif, sans relation à l’objet et au surmoi ; l’auteur n’a aucun plaisir. À mon avis, bien des formes de violence qui nous inquiètent le plus, et particulièrement la violence juvénile, à laquelle les media qui en rendent compte ne trouvent aucun « motif », participent de l’autoconservation, là où un soi fragile se sent vivant pour un moment à travers une extériorisation agressive et une excitation sensorielle extrême, dans la violence contre soi-même ou contre autrui.

CONCLUSION : ENCORE L’ECTODERME

17Demandons-nous en conclusion quel modèle psychanalytique serait susceptible de nous permettre de décrire avec approximation les modifications recensées d’un type contemporain de système moi-soi et de surmoi. Selon Ogden (1988), l’expérience psychique est générée tout au long de la vie dans un jeu dialectique et balancé du triangle des modes schizo-parano ïde, dépressif et contigu à l’autisme. Il a ainsi ajouté à la double flèche de Bion, qui montre l’oscillation normale entre « position » schizo-parano ïde et dépressive, un troisième pôle à dominante sensorielle. Il conçoit les « positions » non comme des phases de développement mais, de façon modale, comme « dimension synchrone de l’expérience » (p. 17). La genèse et le métabolisme de l’expérience psychique circulent tout au long de la vie entre ces trois pôles. D’un côté, la « position » dépressive avec son historicité, sa continuité temporelle du sentiment de soi et du rapport à l’objet dans leur intégralité, sa réflexivité, sa capacité à l’empathie, à la culpabilité et à la gratitude ; de l’autre, la « position » schizo-parano ïde avec son immédiateté, ses clivages, sa discontinuité et sa transformation de l’autre par l’identification projective qui est sans cesse nécessaire comme un ferment méphistophélique, qui gâte, et même sape l’intime, bouleverse le marasme de la certitude dépressive [14], et crée ainsi de la place pour du nouveau, de nouvelles relations, tout d’abord angoissants, ce qui sera à nouveau douloureusement conservé dans la position dépressive ; à cela s’ajoute un troisième mode d’empreinte totalement sensoriel, dans lequel la psyché saine puise également. Ce mode bidimensionnel reste acquis pour toute la vie en tant qu’il est la base sensorielle la plus primitive du développement du moi ; il ne connaît ni dedans ni dehors, aucun espace psychique, ni soi ni autre, il est créé par des expériences d’excitation de surface sensorielle comme la peau, par la rythmicité, par des expériences tactiles, des formes enveloppantes, des températures, et par le vécu de liens de type adhésif. Les poètes et les artistes sont familiers de ce mode d’expériences cœnesthésiques. Cette position contiguë-autistique a ses propres angoisses, comme se vider, fonctionner à vide, se dissoudre ou vivre une chute effrayante dans des espaces sans formes. Le saut à l’élastique serait l’expérience limite prototypique, agie en tant que plaisir d’angoisse, de ces terreurs : chute sans fin, mais retenue à temps. Certains indices indiquent que la manière dominante dans notre culture de générer et d’organiser l’expérience psychique déraille vers le pôle contigu à l’autisme. L’interne et l’externe s’effacent, et en même temps l’espace psychique ; le rapport au monde vacille entre une adhésivité stimulée mais pauvre en liens, et un vide d’investissement. Faisant une variation ironique sur une célèbre citation (Horkheimer et Adorno, 1944, p. 6) [15], on pourrait dire : « La superficie était déjà moi, et le moi retombe dans la superficie. » Nous nous trouvons ainsi en deçà du Bien et du Mal, en deçà de la borderline. Car, à ce niveau, des questions morales avec fondements catégoriques ne peuvent plus être posées, car il s’agit là avant tout d’expériences proches du corps esthétique, protomentales, tout à fait dans le sens de l’æsthesis sensuelle. La tendance de formes d’existence riches de sens à devenir des styles emblématiques d’existence est certainement liée à cela, peut-être même à des esthétisations [16] précises d’une violence qui, en premier lieu, sert la faim sensorielle, et que je nomme violence du vécu. Nous ne devrions pas essayer de les comprendre avec les instruments de notre théorie des névroses qui a beaucoup servi, pas plus qu’avec le concept de personnalité autoritaire (Adorno et al., 1950). Cela est depuis longtemps dépassé.

18« Le plus profond chez l’homme est la peau ? » ; cela se dit ainsi chez Valéry. Son dialogue entre un écrivain et un médecin se poursuit de la manière suivante :

19« Ensuite ? Il m’est venu à l’idée ce qu’il y a dans les livres de médecine sur le développement de l’embryon : un beau jour se forme dans l’enveloppe externe un double pli, un sillon.

20L’ectoderme. Qui ensuite se ferme à nouveau.

21— Dommage. Tout notre malheur vient de cela... Chorda dorsalis. Et les conséquences : la moelle épinière, le cerveau, tout ce dont on a besoin pour ressentir, souffrir, penser... pour être profond : tout provient de cela.

22— Et ensuite ?

23— Ce sont de simples inventions de la peau. Nous pouvons creuser, docteur, aussi profond que nous voulons : nous restons... de l’ectoderme. »

24Présentement nous ne savons pas quelles prévisions culturelles cela nous offre.

NOTES DE RÉFÉRENCE

  • [1] Tout l’appareil psychique ne fonctionne que par la formation d’inhibitions. Dans ce sens, voir chez Freud l’idée des « barrières de contact » (GW, 1995, p. 391) ; ou bien Nietzsche (cité d’après Safranski, 1997, p. 264) : « Ceci est ce que je nomme intériorisation chez l’homme : ce n’est qu’à partir de ce phénomène que naît chez l’homme ce que plus tard on nommera son âme. Tout ce monde intérieur, à l’origine extrêmement réduit, comme s’il était confiné en état de tension entre deux peaux, entre en expansion, gagne en profondeur, en volume et en hauteur, à mesure que la décharge de l’homme vers l’extérieur est inhumée. »
  • [2] Selon Enzensberger (cité d’après Bolz, 2000), nous assimilons de moins en moins.
  • [3] Sur les significations des fonctions de limite dans les groupes et les systèmes sociaux.
  • [4] « I would prefer not to », pour lui une formule de dénégation dans le texte américain original. Le narrateur termine son récit en s’écriant : « Ah, Bartleby ! Ah, humanity. »
  • [5] À cela appartiennent aussi des pratiques sportives excessivement dangereuses et qui offrent des « expériences limites ». Celui qui voit aujourd’hui (2000) la publicité qui précède n’importe quel film comprendra ce que Chasseguet-Smirgel (1988, p. 159) entend par « sound and fury ».
  • [6] Le « Tinnitus » par exemple semble devenir un phénomène de souffrance de masse.
  • [7] Avec leur petite bouteille, l’expérience de la soif semble devoir être épargnée aux petits enfants suçoteurs de nos zones piétonnières. Une telle petite bouteille toujours présente correspond à un sein concrétisé que l’on peut certes incorporer, mais que l’on ne peut introjecter (symboliquement).
  •  [8] L’addiction, le fétichisme, l’autisme et la psychose ont en commun ce concrétisme (nécessité de la présence effective de l’objet) avec la relation d’ « objet » ; toutes ces pathologies graves sont des formes de l’échec de la séparation ou, mieux, de la différenciation par rapport à l’objet.
  •  [9] Le néologisme edutainment (de education et entertainment) des médias reflète très bien cette idée de socialisation libérée de toute peine.
  • [10] Louis Aragon (Le Paysan de Paris, 1926, p. 54) a eu à ce sujet une vision prophétique : « Un jour peut-être les savants se partageront-ils le corps humain pour y étudier les méandres du plaisir... Ils en publieront les atlas, dont il faudra recommander l’attentive lecture aux garçons coiffeurs. Ils y apprendront à laisser errer leurs doigts sur les crânes : ils y apprendront à les attarder au niveau du lambda où le plaisir atteint son comble, et à les en écarter tout à coup vers les écailles où de nouveaux royaumes nerveux sous l’influence du massage entrent brusquement en danse... »
  • [11] Il serait intéressant de comparer l’inflation actuelle du concept de trauma avec les réflexions de Chasseguet-Smirgel (1986) concernant la « matrice archa ïque du complexe d’Œdipe » – à savoir, le fantasme d’un monde lisse sans obstacles.
  • [12] Au sujet de l’utilisation trop extensive du concept de trauma, voir la critique de Küchenhoff (2000, p. 1066) : « Si le harcèlement et le chômage sont mis au même niveau que l’Holocauste et le viol, les contours de la notion de trauma s’effacent. »
  • [13] Aujourd’hui se créent de nombreuses consultations anti-douleur, et cela ne concerne pas seulement les maladies organiques. Et même la catégorie des malades sujets à la douleur psychogène a émergé ces dernières années dans le discours diagnostique. Pour certains de ces patients, il semblerait que la douleur ait acquis le statut d’objet.
  • [14] Il est ici question du fait que la tendance aux identités fermées, à la recherche de sécurité, au sentiment de stagnation s’exprime sur le mode de la dépression, comme lorsque les choses semblent rencontrer leur concept. Cela est tout à fait compatible, dans la position dépressive, avec le fait que l’on puisse supporter le non-savoir et le sentiment de ses propres limites. « The depressive mode is a mode of integration, resolution and containment, and, if unopposed, leads to certainty, stagnation, arrogance and deadlines... The paranoid-schizoid mode provides the necessary splitter of linkages and opening up of the closures of the depressive position thus reestablishing the possibility of fresh linkages and fresh thoughts » (Ogden, 1988, p. 31).
  • [15] « (...) déjà le mythe est Aufklärung (les Lumières), et l’Aufklärung retournée au mythe. »
  • [16] De nos jours, une boisson bleue nommée blue energie est proposée dans des bouteilles qui ont la forme d’une grenade à main, dont l’ouverture intégrée se manipule comme une goupille de grenade.
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Mots-clés éditeurs : Adhésivité Contiguë-autistique, Négation, Absence, Hyperkinésie, Violence sensorielle

https://doi.org/10.3917/rfp.701.0197

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