1L’excitation, c’est la vie. L’excitation est pulsation de l’organique, activité du somatique ; les cellules du vivant ne sont jamais au repos. Les enregistrements cardiaques ou cérébraux, le mouvement des images échographiques et des résonances magnétiques, un frémissement villeux ou le cheminement de quelque globule, viennent en témoigner chaque instant. Sans excitation, pas d’émotions, pas de sensations, pas de pensée ni d’action. Mais la vie ne serait pas possible si cette excitation, activité physiologique permanente que l’on peut inférer d’une énergie vitale, n’était pas régulée en permanence par des processus que les scientifiques ne cessent de traquer.
2Les phénomènes psychiques, étayés sur le somatique, ont leur part dans les processus de régulation. Ils prennent en compte l’humain, l’interhumain. En étudiant le fonctionnement des instincts, des besoins et sans faire l’impasse des désirs, J. D. Vincent [28] montre bien l’enchevêtrement du biologique et du psychique. L’excitation n’est viable que si elle s’organise. Ni trop, ni trop peu, et pas n’importe comment. Le fait qu’elle prenne sens pour le psychisme en est une condition.
3Freud, on le sait, écrit en 1905 [13] que l’excitation est la source de la pulsion. Cette dernière, « à la limite des domaines psychique et physique », est le « représentant psychique de l’excitation provenant de l’intérieur de l’organisme ». La pulsion suppose donc « un certain travail psychique » de représentance de l’activité physiologique continue qu’est l’excitation. Le but de la pulsion est la satisfaction, c’est-à-dire l’apaisement des tensions internes que l’excitation interne, organique, engendre.
4Est-il alors pertinent, pour un psychanalyste, de s’interroger sur l’excitation et non seulement sur la pulsion ? C’est pourtant ce à quoi, naguère et à nouveau, nous nous essayons [7].
L’ « ESQUISSE » ET SES PROLONGEMENTS
5C’est dans l’ « Esquisse » [12] dès 1895, que Freud se penche longuement sur la notion d’excitation ; la pulsion n’est alors pas mentionnée en tant que telle. Ce texte envoyé à W. Fliess, et non destiné à la publication, contient en germe maints travaux ultérieurs de l’auteur. À cette époque, Freud présente l’excitation comme une perturbation dont il est nécessaire de se débarrasser car elle crée une tension interne désagréable qu’il faut « décharger ». Ses propos ne sont pas sans prolonger ses écrits sur l’hystérie, quand il préconisait la recherche de l’ « abréaction », la libération de l’affect emprisonné et de la représentation pathogène enfouie.
6Freud propose comme une sorte d’idéal la réduction des tensions internes « à zéro » avec suppression de l’excitation puisque celle-ci est considérée comme pourvoyeuse de déplaisir. C’est le principe d’inertie, qui préfigure le principe de Nirvana.
7Sa démonstration l’amène cependant à défendre la nécessité du maintien d’une certaine quantité d’excitation, certes minimum, pour que soit possible la vie psychique. C’est le principe de constance. Dès la décharge, qui apporte le plaisir, une homéostasie, un moment troublé par un excès d’excitation, se remet en place.
8L’excitation interne ou « endogène » est inévitable. Il n’est pas possible de se soustraire aux besoins physiologiques, vitaux et sexuels. Freud la différencie clairement des stimulations exogènes que l’on peut éviter en s’en détournant. La différenciation de l’origine interne ou externe de l’excitation porte en elle la question complexe des articulations entre l’espace psychique et le monde extérieur, entre l’hallucination et la perception, sur laquelle C. et S. Botella se sont longuement penchés ces dernières années [3].
9Dans cette « Esquisse », étude d’allure neurophysiologique, Freud décrit « l’expérience de satisfaction ». On peut y distinguer deux composantes : la sédation du besoin organique et le plaisir concomitant, psychiquement éprouvé. L’objet est cette « personne bien au courant » grâce à qui la satisfaction est possible, tant la sédation des tensions internes que le plaisir éprouvé. Se dessine un premier étayage : l’expérience de plaisir s’étaye sur la sédation du besoin. Pour advenir, la satisfaction nécessite une « action spécifique », que réalise le sujet et qui requiert le concours de l’objet. Un deuxième étayage, précisé comme tel en 1910 [14], est celui de l’investissement de l’objet qui s’étaye sur l’expérience de satisfaction.
10Quand réapparaît le besoin, le plaisir halluciné est double : reviviscence de l’état de satisfaction et retrouvailles avec l’objet de satisfaction. En évoquant le nourrisson affamé et l’apport de nourriture, Freud semble faire de la situation d’allaitement le paradigmatique de l’expérience de satisfaction. Lors de la tétée, le bébé engrange une double trace mnésique : celle de l’état de satisfaction où s’origine le narcissisme, et celle de l’objet « secourable » et « bien intentionné », agent d’abord contingent de la satisfaction ; non reconnu comme différent il est cependant pourvoyeur de sensations nouvelles. Mais la démonstration de Freud vaut aussi pour la satisfaction sexuelle, qui est là, en filigrane, ce que R. Roussillon [26] a noté à propos de la description que Freud fait du bébé repu en 1905. Quoi qu’il en soit, une double trace mnésique, subjectale et objectale, est déposée lors de l’expérience de satisfaction. Un frayage, c’est-à-dire un lien, s’établit entre les deux traces. Celles-ci se réactivent dès qu’une excitation interne liée au besoin réapparaît ; ainsi naît le désir. D’abord invoquée en tant qu’hallucination, la satisfaction est attendue, dans sa double polarité narcissique et objectale initialement confondue. Mais la satisfaction hallucinatoire de désir, solution immédiate à l’éprouvé de besoin et de manque, n’est pas la satisfaction réelle. Le plaisir de la succion à vide a ses limites, le besoin revient, avec le désir de satisfactions quand s’apaise l’excitation. Il faut pour cela en passer par l’objet secourable de la réalité. Certes cet objet du réel n’est pas similaire à l’objet halluciné, narcissiquement construit, objet primaire idéal de satisfaction : un écart subsiste entre eux. On voit poindre déjà les inévitables tensions entre la défense des intérêts narcissiques et objectaux, ce que la notion de choix d’objet en étayage sur la satisfaction avait pu laisser dans l’ombre. Les objectifs narcissiques ne se superposent en effet pas à ceux qui visent la satisfaction de l’objet.
11Le désir est anticipation de la satisfaction, lors d’un éprouvé de manque et de besoin. Il suppose une inscription dans le temps. Le désir est-il plaisir ou déplaisir ? Éveillé par l’excitation interne déplaisante qui ranime la trace mnésique, le désir est hallucination plaisante des deux pôles de la satisfaction, espoir de retrouvailles avec la satisfaction narcissique et avec l’objet de satisfaction, mais aussi constat du manque, attente, sereine ou anxieuse. Tout cela suppose un travail psychique minimum de représentance et de temporisation. Le désir est donc un mixte, il procède à la fois du déplaisir et du plaisir, de la souffrance et de la satisfaction. Dès l’ « Esquisse » Freud pense qu’une « instance », le « moi », se charge de réguler l’excitation, de l’évacuer ( « processus primaires » ), mais aussi d’en maintenir une quantité suffisante pour la « pensée » ( « processus secondaires » ). Le désir est un éprouvé du moi. Quand il apparaît, le moi doit composer avec l’hallucination de la satisfaction et les données de la perception. Aussi hybride soit-il, le désir est fondamentalement désir de vie, « force vitale » [29]. Non accompagné de désir, le besoin prend une valeur traumatique, c’est ce qui nous semble de certaines anorexies, des états d’anhédonie ou de replis autistiques qui relèveraient de ce divorce entre le besoin et le désir. La nécessaire tolérance à l’état de désir nous paraît bien dépendre d’un masochisme primaire que Freud conceptualisera après 1920. C’est aussi l’avis de D. Braunschweig et M. Fain qui insistent sur la nécessaire et déplaisante résistance à la décharge pour que s’inscrivent les traces mnésiques, pour que se crée l’hallucination et que s’instaurent les processus de pensée [4].
12La satisfaction n’est pas simple sédation de l’excitation. Freud dans l’ « Esquisse » la situe d’ailleurs en amont de la décharge, qu’elle « annonce ». Elle est donc contemporaine d’un état de tension sur le point de se réduire mais encore présent ; comme si la satisfaction était dans l’anticipation et pas seulement dans l’apaisement lui-même ; comme si le désir devait jusqu’au bout colorer la satisfaction. La satisfaction serait illusion anticipatrice du plaisir de la sédation de l’excitation, avec dédifférenciation du sujet et de l’objet. Bien que la satisfaction vécue soit double, narcissique et objectale, l’objet de la réalité, aussi « bien intentionné » soit-il, n’est jamais aussi parfait que l’objet primaire idéal de satisfaction qui, n’ayant pas d’altérité, se confond avec le narcissisme du sujet. C’est parce que la mère « suffisamment bonne » de Winnicott ne l’est pas complètement qu’elle est adéquate. S’il est au début nécessaire qu’elle s’adapte presque parfaitement aux besoins de l’enfant, de telle sorte qu’il ait l’illusion de l’avoir « créé », le temps consécutif de la désillusion et des frustrations lui donnera sa réalité ; un « objet qui se comporte d’une façon parfaite ne vaut pas mieux qu’une hallucination » [30]. L’inévitable imperfection de l’objet de la réalité au regard de l’objet primaire ne rendrait-elle pas nécessaire, pour la satisfaction, et après l’avoir été pour le désir, le masochisme primaire ? Il serait bien « gardien de la vie » [25], à plus d’un titre. Grâce à lui l’ « antinarcissisme » [24] permet au moi d’investir l’objet et de supporter l’écart entre l’objet halluciné et celui de la perception. Sans le masochisme primaire l’objet de la réalité ne saurait être investi dans son altérité.
13L’objet « hostile », car « générateur de souffrance », est, aux côtés de l’objet de satisfaction, introduit dans l’ « Esquisse » en tant qu’objet de « l’expérience de souffrance ». Venu de l’extérieur, il est agent d’une souffrance réelle. Celle-ci est provoquée par une « irruption de quantités excessives » qui déstabilisent le « système neuronique » chargé de l’homéostasie entre les stimuli venus de l’extérieur, les excitations endogènes et les processus sensori-moteurs de décharge de l’excitation. Créant une « solution de continuité » au niveau des barrières chargées de protéger l’organisme de stimulations excessives, les stimuli non filtrés produisent dans l’organisme, au niveau des futures zones érogènes, une excitation douloureuse. La notion de filtrage contient en germe celle de pare-excitation définie comme telle en 1920 [18], terme que Freud utilise ensuite dans un sens plus métaphorique.
14La description des processus de pare-excitation comme alternances d’investissement et de désinvestissement du système perception-conscience pose implicitement la question de l’articulation entre la réalité externe perceptive et la réalité interne hallucinatoire. Entre les objets externes et internes un écart d’opposition et de complémentarité est nécessaire [11]. L’excitation venue des objets externes peut être tempérée par la solidité des investissements narcissiques. L’investissement, par le narcissisme, de la réalité interne et des objets internes dans leur continuité a une fonction pare-excitante vis-à-vis de la réalité externe dans son immédiateté. La mère est la première séductrice, elle exerce sur son enfant de la fascination, elle est excitante car elle est étrange et pas seulement familière. Elle a en même temps sa part dans la mise en place des processus de pare-excitation que l’enfant doit développer vis-à-vis d’elle ; sa part pour apprendre à son enfant « à être seul » [31] en sa présence, c’est-à-dire avec elle en tant qu’objet interne même si elle est présente dans la réalité.
15Revenons à l’objet de souffrance évoqué dans l’ « Esquisse ». Lors de l’expérience douloureuse, il laisse de lui une trace mnésique désagréable qui se réactive lorsque se produit un excès d’excitation d’origine externe. Il y aurait donc possibilité implicite, comme pour la satisfaction, d’une double hallucination, celle de l’état de souffrance et celle de l’objet de souffrance. Freud note la disproportion qui existe facilement entre « l’image mnémonique de l’objet hostile », et l’état de souffrance : le déplaisir peut être aigu alors que l’objet hostile est peu investi. La décharge de l’affect de souffrance est, écrit-il, double : musculaire et sécrétoire. Il est facile d’évoquer l’enfant qui s’agite et pleure. Mais comment savoir si la sensation désagréable est d’origine interne ou externe ? Y aurait-il différence de nature entre l’excitation déplaisante, déclenchée par les besoins endogènes, qui s’estompe par recours à l’hallucination de la satisfaction du désir et celle qui réactive la trace mnésique d’un objet de souffrance ? Un afflux d’excitation pousserait-il conjointement à (re)trouver l’objet de satisfaction et à éviter l’objet de souffrance ?
16La notion de désir se complexifie encore. Ce serait désir du retour de l’état de satisfaction, désir de retrouvailles avec l’objet lié au plaisir, attente de la disparition de l’hallucination de souffrance et désir d’éloignement de l’objet hostile. Avant la différenciation de l’objet, les prémisses de l’ambivalence dont l’objet sera investi sont là, dès ces premières expériences, attractives ou aversives. Freud précise que l’objet de souffrance aurait, avec l’état de souffrance, des liens plus lâches que ceux qui unissent l’état et l’objet de satisfaction. Sans doute peut-on rapprocher l’objet de souffrance de l’objet étranger qui angoisse et fait fuir, qui peut devenir objet de haine ; « on ne peut contester que le sens originaire de la haine désigne aussi la relation au monde extérieur étranger qui apporte les excitations », écrira Freud en 1915 [15]. L’objet de souffrance serait le visage inconnu, serait l’hallucination négative de l’objet de satisfaction. Il participe à la construction de l’ambivalence. En tant qu’objet tiers il deviendra connu.
DE L’EXCITATION AUX PULSIONS
17À partir de là, comment comprendre la pulsion ? Freud la définit, en 1905 [13] puis en 1915 [16] comme le représentant psychique de l’excitation d’origine interne, celle à laquelle on ne peut se soustraire, contrairement aux excitations d’origine externe. Elle se situerait « à la limite du somatique et du psychique ». La pulsion a pour but l’apaisement de cette excitation endogène, sa suppression ou sa maîtrise, c’est-à-dire l’expérience de satisfaction, tant hallucinée que réelle.
18La succion de la tétée en reste le référentiel. La pulsion tend vers « une action spécifique » (1905), « ce qu’il faut de modifications » du monde extérieur (1915) pour qu’advienne la satisfaction. La pulsion doit être considérée comme « mesure du travail demandé à la vie psychique » (1905), comme « mesure de l’exigence de travail qui est imposée au psychisme en conséquence de sa liaison au corporel » (1915).
19On le voit, la définition de la pulsion a ses ambigu ïtés. A. Green [20] les souligne en posant l’alternative suivante : ou bien la pulsion est transformation de l’excitation corporelle en excitation psychique, « psychisation » de l’excitation, ou bien elle est lieu de rencontre entre l’excitation corporelle et l’excitation psychique. Le concept interroge la nature du lien unissant le somatique et le psychique. La pulsion nous paraît, sur le modèle de l’expérience de satisfaction, poursuivre deux buts en un : l’extinction du besoin et l’éprouvé de plaisir. Distinguer ces deux composantes de la satisfaction c’est différencier le soulagement à la disparition de faim, et le plaisir éprouvé à téter. Plus prosa ïquement ce serait différencier l’apaisement que peut apporter une perfusion de glucose en cas d’hypoglycémie et le plaisir que procure un bon repas. Il nous semble que la notion de pulsion vient sous-tendre celle de désir, notion qui, très présente dans L’interprétation des rêves, n’est plus guère ensuite utilisée par Freud. La pulsion est quête de plaisir, elle a pour but la suppression de l’excitation suscitée par les besoins somatiques, mais aussi la suppression du désir, sa satisfaction, sa réalisation. La pulsion aurait pour but sa propre extinction ; paradoxe que n’ignore pas Freud qui troque le principe d’inertie pour le principe de constance. La pulsion devient une « poussée constante » qui, comme le désir éprouvé par le moi, est anticipation hallucinatoire de la satisfaction. Qu’en est-il avant la constitution du moi ? Un nouveau-né a-t-il des désirs ? S’il en a il ne les éprouve pas comme tels. Il a des besoins, des éprouvés de bien-être et de souffrance. Le désir anticipe le plaisir, ce qui implique une certaine temporalité, mais aussi une représentativité. Pour cela aussi le concept de pulsion reste fondamental. Une quantité minimale d’excitation subsiste après toute expérience de satisfaction ; la pulsion n’est qu’un instant suspendue, le désir reste dans les coulisses.
20La pulsion investit le moi et l’objet. La satisfaction peut-elle prendre en considération et l’un et l’autre ? Les premières considérations de Freud sur les sources de la pulsion vont-elles éclairer ?
21Relisons ce qu’il écrit en 1915 (les ajouts des « Trois essais » et « Pulsions et leur destin »). La source de la pulsion serait « un processus excitateur dans un organe » qui deviendrait le siège d’un « plaisir d’organe » au moment où l’excitation s’y apaise. Le plaisir de téter s’ajoute à la sédation de la faim. À partir de là se définit la « zone érogène », comme effet d’une « érogénéisation d’un organe » investi par une excitation interne, la faim, qui engendre la pulsion. Les zones érogènes sont potentiellement multiples. Elles reçoivent, accueillent l’excitation. Leur correspondent des pulsions partielles. Celles-ci sont des motions actives. Freud mentionne d’abord l’orifice oral par où s’apaise la faim et s’exerce la succion. Au soulagement du désagrément qu’est la sensation de faim (sédation d’une expérience de souffrance), s’ajoute le plaisir de téter, expérience sensori-motrice érotique où convergent le sujet et ce que la « personne secourable » offre pour faciliter la satisfaction. Puis Freud mentionne l’orifice anal, excité par les fèces qui pourront être retenues ou expulsées en fonction de la relation d’objet qui se développera. De proche en proche, les divers lieux du corps sont crédités d’une érogénéisation possible, les autres orifices corporels et la peau elle-même. Les cinq sens s’y retrouvent. Freud insiste sur la vision qui est la zone érogène par excellence où se représente la dialectique activité/passivité : voir et être vu. Il évoque aussi l’importance de la musculature qui rend possible l’action spécifique en vue de la satisfaction ; excitée, la musculature serait l’organe-source de la pulsion d’emprise. Freud n’omet pas de citer les « parties profondes » du corps qui peuvent être agréablement stimulées lors des balancements et des bercements.
22Les raisons de convergence de l’excitation interne vers une zone érogène périphérique passent, si l’on suit Freud, par la spécificité du besoin qui réactive les traces mnésiques correspondantes. L’enfant qui a faim se représente l’état de satisfaction ainsi que l’action spécifique (la succion) qui le lui procurera. La trace mnésique de « la personne secourable » qui contribue à ce que l’action spécifique soit accompagnée de satisfaction est trace d’un ensemble de données sensorielles, en lien avec la zone érogène excitée, qui ne sont d’abord pas rapportées à un objet, encore moins à un objet-altérité. Le sein de la mère et la cavité buccale du bébé forment d’abord un tout. Ce sont en fait de multiples zones érogènes, y compris profondes qui sont en jeu dans la situation d’allaitement. Le corps entier et les éprouvés psychiques des deux protagonistes sont impliqués dans cette expérience de la tétée que nous avons considérée comme « globale » [6], tout au moins globalisante, superficielle et profonde, active et passive. Les pulsions partielles sont localisations incomplètes et ponctuelles d’une pulsion d’ensemble qui fait escale dans le moi à partir du moment où le narcissisme en assure la continuité. C’est même sans doute la globalité de l’expérience de satisfaction qui contribue à ce que le moi se constitue et s’individualise. Normalement le plaisir est un éprouvé identitaire.
23La surface du corps est un tout, qui fait limite tout en communiquant avec l’extérieur. Les zones érogènes périphériques reçoivent l’excitation interne qui se spécifie, mais aussi des stimulations externes, qui ont leur part dans la concentration de l’excitation vers une fonction donnée. La stimulation externe est potentiellement excitante et/ou apaisante. Le mamelon de la mère sur les lèvres du bébé exacerbe son besoin de succion, le sein nourrissant finira par l’apaiser ; à mi-chemin, tout à la fois excité et apaisé, le bébé peut alors, en cours de tétée, « jouer » avec le téton. Il nous semble que l’intensité de la stimulation externe doive être proportionnelle à celle de l’excitation interne pour pouvoir la réguler. Une vive stimulation externe peut être ressentie comme désagréable dans les moments de quiétude et comme apaisante quand l’excitation interne est forte. La régulation de l’excitation interne en fonction des stimulations externes dépend du savoir-faire de la « personne secourable » de ses capacités d’adéquation aux besoins de l’enfant. Une « bonne mère » n’est pas seulement « séductrice » au sens de J. Laplanche [23]. Elle est aussi apaisante, pare-excitante. Elle sait stimuler, éveiller mais aussi calmer, endormir.
24Tout cela nous amène à considérer la pulsion comme ce qui pousse un sujet envahi par des excitations, internes et périphériques, vers une expérience sensori-motrice apaisante et plaisante qui intègre les stimulations externes venues de l’objet, initialement non reconnu comme tel. Cette expérience laisse des traces mnésiques qui, d’hallucinations (relevant des processus primaires), deviendront représentations (que lieront les processus secondaires).
25L’enfant, qui tête son pouce, hallucine la satisfaction, expérimente le dehors et le dedans, explore ce qui fait surface. Il est à la fois actif et passif. Une excitation interne a suscité une pulsion qui l’a conduit à faire cette expérience sensori-motrice (la passivité est du côté sensoriel et l’activité du côté moteur) qui est aussi mentale puisqu’il hallucine la satisfaction, l’état de plaisir éprouvé et l’action spécifique réalisée. Il est à la fois sujet et objet de son désir naissant. Il nous semble que cette double polarité a conduit P. Denis [5] à distinguer à la pulsion « deux formants », l’un « en emprise », l’autre « en satisfaction », avec une résultante proche de l’un ou l’autre des pôles. Cette hypothèse souligne le lien structurel entre l’activité et la passivité lors de l’expérience de satisfaction. Mais si le pôle actif de la pulsion s’effaçait n’y aurait-il pas danger à ce que l’excitation envahisse le champ ? La pulsion est active, peut avoir des buts passifs, dont l’éprouvé de satisfaction.
CONTINGENT PUIS CONFLICTUEL, L’INDISPENSABLE OBJET DE LA PULSION
26À partir du moment où le moi se conscientise, la pulsion vers la satisfaction est une pulsion qui peut être éprouvée par le moi, comme désir, comme désir de réalisation d’une représentation hallucinée. Le moi se différencie du monde extérieur, où l’objet se dessine. Il s’y distingue, en tant qu’agent potentiellement facilitateur de la réalisation du désir, se repère en tant que tel, comme un objet-altérité, lorsqu’il ne se confond pas avec l’objet hallucinatoire de désir qui, lui, ne se distingue pas du moi-plaisir. La trace mnésique réactivée par le désir est-elle celle d’un objet hallucinatoire idéal ou tient-elle compte de l’objet-altérité ? La pulsion s’étaye-t-elle sur l’objet halluciné issu de l’objet primaire ou sur cet objet-altérité que la réalité perceptive fournit ?
27Avant 1915, quand Freud distingue les pulsions du moi ou d’autoconservation et les pulsions sexuelles, l’objet n’est pas pris en compte en tant que tel. Les pulsions d’autoconservation sont égo ïstes par nature et les pulsions sexuelles ont pour but la satisfaction des besoins et des désirs sexuels sans que l’objet sexuel, qui éveille ou assouvit le désir, soit pris en considération autrement qu’en tant qu’agent de satisfaction.
28Freud écrit en 1915 : « L’objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but », et « l’extérieur, l’objet, le ha ï seraient tout au début identiques » puisque « la haine désigne aussi la relation au monde extérieur étranger qui apporte les excitations ». Seulement « plus tard l’objet se révèle être une source de plaisir ». Il semble que le moi naissant hallucine un objet-plaisir qui s’étaye sur la satisfaction induite par l’objet secourable et qui se confond avec le moi-plaisir lors des expériences de satisfaction ; et l’attirance que suscite l’objet agent de satisfaction tempère la haine que provoque l’objet-altérité. Cet objet, associé à des moments de plaisir mais aussi de désagrément, est reconnu dans sa singularité ; il est investi dans la continuité, mais avec ambivalence. Sa présence effective est recherchée, en fonction du lien qui s’est créé avec l’objet interne qui le représente et qui, d’hallucinatoire, est devenu fantasmatique à partir de sa mise en représentation.
29Cependant, en introduisant le narcissisme en 1914 [14], Freud, on le sait, crédite le moi d’un investissement sexuel qui n’est plus seulement réservé aux objets dits sexuels. L’investissement (sexuel) concerne le moi et l’objet ; la libido est narcissique et objectale. L’investissement de l’objet est investissement d’une personne totale, de l’objet-altérité, qui suscite l’ambivalence car il est différent de l’objet hallucinatoire idéal de plaisir, qui est, lui, objet de prédilection du narcissisme.
30Les pulsions narcissiques et les pulsions envers l’objet commencent leur histoire commune, complémentaire et conflictuelle. Leur même origine sexuelle, affirmée par Freud après 1915, confirme la nécessité de la notion de pulsion libidinale, envers moi et/ou envers l’objet ; jusqu’au moment où, en 1920 [18], Freud en interrogera la finalité, remettant en question la quête de plaisir.
31Les libidos narcissiques et objectales paraissent être les héritières des deux traces mnésiques du début, celles de l’état de satisfaction (le but de la pulsion), et celles de la « personne secourable », d’abord anonyme, qui a apporté son concours (l’objet de la pulsion). À partir du moment où le moi se différencie de l’objet et investit celui-ci, dans la continuité mais avec ambivalence, se dessine le conflit entre les intérêts narcissiques et objectaux, qui court au long de l’œuvre de Freud. Le but de la pulsion est égo ïste dans le sens où la pulsion tend à exercer son emprise sur l’objet de satisfaction, sans égard envers lui. Le bébé ne se soucie d’abord pas pour son objet. Mais Freud va plus loin dès 1905 : la pulsion sexuelle de l’adulte est potentiellement violente envers son objet : « La sexualité de la plupart des hommes comporte une adjonction d’agression, de penchant à forcer les choses, dont la signification biologique pourrait résider dans la nécessité de surmonter la résistance de l’objet sexuel autrement encore qu’en lui faisant la cour » [13]. On voit poindre ses articles de 1910 et 1912 sur les vicissitudes de la vie amoureuse, en proie aux deux tendances de la surestimation et de la dépréciation de l’objet désiré. Le conflit entre ce double investissement, l’un égo ïste en quête de satisfaction pulsionnelle, l’autre apparemment plus altruiste en quête de l’amour de l’objet dont la perte est redoutée, ce conflit marquera jusqu’au bout l’œuvre freudienne.
32En 1923, Freud, on le sait, a introduit le ça, concept emprunté à Groddeck, après avoir apporté l’hypothèse de la pulsion de mort en 1920. N’était-ce pas une étape nécessaire à la conceptualisation de ce ça qui, avec sa sauvagerie primitive indifférente à autrui, serait potentiellement destructeur des objets mais aussi du moi ? Le conflit entre le moi et le ça [19] ne s’éteindra pas, pas plus que le conflit entre le moi et le surmoi qui veille. D’un côté, la répression des désirs pulsionnels autocentrés, au profit de l’objet-altérité, est douloureuse pour le moi. De l’autre, la perte de l’objet aimé dans sa continuité, ou la perte d’amour reçu de cet objet, plonge le moi dans la douleur du deuil, voire de la mélancolie [17]. Le surmoi sera chargé de civiliser [20] les revendications pulsionnelles et il n’y parviendra jamais vraiment.
33Nous ne pouvons échapper à l’ « antinarcissisme », a montré F. Pasche [24], force qui nous pousse à investir l’objet aux dépens du narcissisme, même si cela est douloureux et coûteux. Freud décrira la solution de l’investissement narcissique d’objet, manière de gommer l’altérité de l’objet. Tôt dans son œuvre, il propose une solution similaire qui consiste à faire en sorte que l’objet retourne aussitôt au sujet l’investissement que celui-ci lui a octroyé. Ce mécanisme met en jeu le couple activité/passivité. La pulsion, d’abord activement dirigée vers l’objet de désir, change de but : la satisfaction attendue devient passive dans le sens où le sujet se désire objet de désir. Freud décrit d’abord ce processus pour les pulsions partielles. Il prend pour modèle la vision, le plaisir de regarder et d’être regardé, la satisfaction des pulsions scopiques. En 1905, cette tendance est rapportée aux perversions aux côtés du sadisme et du masochisme. En 1915, le « double retournement » est décrit : la passivité se substitue à l’activité et l’objet au sujet. Le plaisir de regarder l’objet est remplacé par le plaisir d’être regardé par lui. Se dégage un temps intermédiaire, qui pourrait être antérieur, le temps auto-érotique. La pulsion trouve son objet « dans le corps propre », l’enfant se regarde, s’observe. La bipolarité sadomasochiste fonctionne de façon similaire, avec un temps intermédiaire où l’enfant cherche à « se rendre maître de ses propres membres », temps qui pourrait amener à un autosadisme, voire à un autosadomasochisme.
34Cette « voix moyenne réfléchie », avancée théorique remarquable, a été commentée par de nombreux auteurs. R. Roussillon [26] fait des « processus auto » décrits par Freud l’ancrage du travail d’autoreprésentation et de subjectivation. Proposant la notion de « fonction objectalisante » des pulsions de vie, A. Green [21] avait déjà insisté sur l’importance de l’investissement du moi en tant qu’objet.
35La « voix moyenne réfléchie » du « retournement sur la personne propre », avec satisfaction auto-érotique de la pulsion, est une « formation narcissique ». Les auto-érotismes, d’abord primaires, avant l’individuation du moi et de l’objet, deviennent secondaires dès que l’objet est investi. Tout comme le narcissisme secondaire, ils impliquent l’objet interne. Le caractère compulsif de certaines activités auto-érotiques pose d’ailleurs la question de l’objet intériorisé.
36L’intériorisation d’un objet de satisfaction, garante de “ processus auto » narcissisants, suppose un temps d’emprise sur l’objet convoité, qui vise à ce que soit possible l’action spécifique que requiert la pulsion pour être satisfaite. Freud précise que l’enfant ne prend pas en compte l’objet en tant que tel car « la capacité de compatir se forme relativement tard ». Le sadisme proprement dit n’est pas concevable tant que l’objet-altérité n’est pas reconnu et investi. Winnicott [29] a prolongé cette remarque par un développement pertinent : il distingue chez l’enfant une période preconcerned, avant que celui-ci ne puisse être concerné par ce qu’il pouvait susciter chez son objet. Nous avons repris ce point à propos de la notion de « cruauté » [9]. Nous restons fidèle, tant que le moi n’est pas différencié, à l’hypothèse de l’objet agent contingent de satisfaction, objet non reconnu dans sa spécificité, non représentable en tant que tel, au profit de l’objet halluciné de satisfaction.
37L’objet, bien qu’agent anonyme, non encore reconnu, veille, bienveillant. C’est lui qui contribue à ce que l’excitation cède, lui qui calme le bébé, lui qui amène ce qu’il faut de stimulations, ni trop ni trop peu, lui qui en détermine la qualité, de manière à ce que l’excitation devienne pulsion en se mentalisant, et de manière à ce que la pulsion se lie à des représentations diversifiées. Ainsi les éléments « bêta » pourront devenir éléments « alpha » [2].
38La pulsion serait mortelle si elle ne rencontrait pas l’objet. L’enfant a besoin de la chaleur, de l’odeur de sa mère, du bain de langage et des soins multisensoriels dont elle l’entoure. Le holding et le handling comme dit Winnicott. On sait bien les ravages qu’avaient occasionnés les carences affectives responsables d’hospitalisme. Mais faire de l’objet la source de la pulsion, comme l’a défendu J. Laplanche [23], est une option plus radicale. En postulant que la séduction exercée par la mère est à l’origine des « objets sources » énigmatiques qui suscitent la pulsion, cet auteur prolonge sans doute les positions de Ferenczi. Mais cette conception, qui relativise la pulsion, ne met-elle pas de côté l’action pare-excitante de la mère ?
39La pulsion est en quête de représentations, et l’excitation par son intermédiaire. La pulsion a besoin d’une représentance pour s’épanouir dans le système Préconscient-Conscient. Dès les premières expériences de satisfaction, les représentations sont implicites. L’affect, d’une part, et les représentants de chose et de mots, d’autre part, vont lier la pulsion. L’affect, de plaisir ou de déplaisir, les traces mnésiques liées à l’expérience, représentations sensorielles et motrices où le corps propre se confond d’abord avec celui de l’objet. Les représentations se lient entre elles. Les processus primaires (circulation libre et liens éphémères entre la pulsion et les représentations) laissent place aux processus secondaires (liens stables entre les pulsions et les complexes représentatifs). L’objet est là pour répondre à ce besoin de mise en représentation de la pulsion, aussi vital pour le psychisme que l’est l’autoconservation somatique.
40L’objet se décompose. La mère n’est pas la seule « personne secourable ». Elle a des substituts qui se révèlent être d’une autre nature, aptes à trianguler la relation. Un fantasme de scène primitive se constitue. Quelle que soit la manière dont ils se déclinent (quelles que soient les compositions familiales), les processus de triangulation gardent leur valeur élaborative et structurante, pour peu que les protagonistes y souscrivent.
EXCITATION ET PULSION DE MORT
41Jusqu’en 1920, Freud n’avait pas remis en cause la mentalisation de l’excitation en tant que pulsion, ni le but de cette dernière : la satisfaction des désirs qui la représentait. Cette année-là il pense repérer des cas où le but de la pulsion paraît être le déplaisir. Les sujets qu’il mentionne [18] se comportent comme s’ils recherchaient la souffrance, comme s’ils ne pouvaient s’empêcher de reproduire inlassablement des situations déplaisantes. Cela l’amène, on le sait, à postuler l’existence d’une pulsion de mort aux côtés des pulsions de vie, à introduire Thanatos aux côtés d’Éros. Cette pulsion de mort tendrait vers l’inanimé, viserait « la suppression de la tension d’excitation interne », alors qu’Éros serait là pour réaliser des « unités toujours plus grandes », du fait de ses grandes capacités de liaison. La pulsion de mort aurait pour but la décharge totale et immédiate de l’excitation. Elle ferait donc implicitement obstacle à la mentalisation de l’excitation que la pulsion (libidinale ou de vie) réalise habituellement. Elle a pu être rapportée à un « désir de non-désir » [1]. Heureusement la pulsion de mort n’agit jamais seule, Éros est toujours là pour une intrication minimale, de manière à ce que l’excitation se mentalise et se représente. Si elle agissait seule, les systèmes de pare-excitation, tout comme la régulation qu’assure la représentance, n’existeraient pas. Le psychisme serait inorganisable ou rapidement mis hors jeu, non seulement par une excitation interne débordante car non liée, mais par la collusion de celle-ci avec les stimulations externes avec urgence à la décharge dans le somatique. En cela, la pulsion de mort serait fondamentalement « désobjectalisante », y compris vis-à-vis du moi lui-même, comme l’a montré A. Green [22]. L’objet de la pulsion, réifié, retrouverait son anonymat, l’objet-sujet même de la pulsion serait désinvesti. Le psychisme serait court-circuité, réduit à la passivité vis-à-vis d’excitations irreprésentables dont la décharge, dans le somatique ou par l’acte, peut être mortifère, comme dans les situations extrêmes d’effroi (que Freud distingue bien de l’angoisse et de la peur). Nous considérons la pulsion de mort comme une pulsion « anti-liante » comme un « en-deça du désir » [8]. Si celle-ci agissait seule, l’excitation resterait telle quelle, privée d’une possible élaboration par le psychisme. Les motions pulsionnelles sauvages venues du ça ne seraient plus liées, la mentalisation serait réduite, l’excitation sous-jacente tendrait à la décharge sans délai et sans contrainte. La pulsion avait été décrite comme inscription psychique de l’excitation. Le ça, « réservoir » d’une énergie pulsionnelle sauvage, tant libidinale que destructrice, est « ouvert à son extrémité du côté somatique ». Pour peu que la pulsion de mort entrave tout processus de liaison, l’excitation fait retour, prête à envahir le psychisme.
VERS LA CLINIQUE
42L’excitation à laquelle nous aurions éventuellement à faire en clinique serait celle qui n’aurait pas pu, ou qu’incomplètement, s’inscrire dans la psyché en tant que pulsion, celle qui n’aurait pu être liée de ce fait à des représentations, celle qui n’aurait pu provoquer un désir... même pas celui de son extinction. L’excitation clinique serait celle qui referait surface lorsque les processus de représentance de la pulsion sont mis en échec. L’excitation en manque d’inscription psychique ne peut se représenter par une hallucination de satisfaction ni par une motion de désir. L’excitation non psychiquement représentée se traduirait par des tendances répétitives aux décharges somatiques et comportementales, par des compulsions à reproduire des sensations corporelles répétitives. Ces solutions, si peu mentalisées, assurent cependant un minimum de liaison de l’excitation. Mais elles produisent une collusion avec le réel et avec le perceptif, ce qui permet la résurgence d’un sentiment d’existence que l’espace psychique court-circuité ne représente pas.
43Il nous semble que les pathologies addictives relèvent de ces anomalies. Les « galériens volontaires » [27], tout comme les enfants authentiquement hyperactifs [10], ont à faire avec une excitation interne qui peine à se mentaliser.
44Lorsque la pulsion née de l’excitation reste crue et violente, avec vécus d’emprise et d’omnipotence, il n’y a pas de conflit interne représentable et la mentalisation est précaire. C’est l’angoisse, avec toute la violence dont elle est capable, qui domine. Elle ne devient pas toujours peur. Quand elle ne se lie pas à des représentations psychiques, elle amène des pathologies corporelles ou comportementales volontiers compulsives. Car l’angoisse se situe elle aussi aux confins du somatique et du psychique.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Mots-clés éditeurs : Excitation, Pulsions partielles, Objet, Pulsion, Pare-excitations, Pulsion de mort