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Article de revue

Objet transitionnel et autres objets d'addiction

Pages 459 à 467

Notes

  • [1]
    « (...) most mothers allow their infants some special object and expect them to become, as it were, addicted to such objects » (D. W. Winnicott, Transitional objects and transitional phenomena, in Playing and Reality, p. 1).
  • [2]
    D. W. Winnicott (1971), Transitional Objects and Transitional Phenomena, in Playing and Reality, Londres - New York - Tavistock Publications, Basic Books ; trad. franç. par C. Monod et J..B. Pontalis, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, p. 32.
  • [3]
    J. McDougall (1978), Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard.
  • [4]
    G. Szwec (1998), Les galériens volontaires, Paris, PUF, p. 67.
  • [5]
    S. Freud (1895), De l’Esquisse d’une psychologie scientifique, in La naissance de la psychanalyse, p. 336.
  • [6]
    S. Freud (1911), Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques, in Résultats, idées, problèmes, vol. I, Paris, PUF, 1984, p. 137.
  • [7]
    D. W. Winnicott (1971), Transitional objects and transitional phenomena, in Playing and Reality, op. cit. ; trad. franç. par Monod et J.-B. Pontalis, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, p. 21.

1Dans le cadre de la pratique de secteur, en tant que psychiatres du jeune enfant et du nourrisson, nous sommes souvent sollicités pour des troubles du sommeil, des crises de “ colère ”, ou plutôt de grande désorganisation, qui sont souvent le témoin de difficultés liées à la séparation. Dans certaines situations, nous pouvons repérer une modalité particulière de la relation mise en place : relation de la mère à l’enfant, de l’enfant à sa mère ou à certains objets. Besoin et dépendance caractérisent ces nourrissons et ces jeunes enfants. Les possibilités pour la mère et l’enfant de s’en dégager seront souvent fonction de la nature de ces premiers liens.

2Comme transition entre l’indifférenciation mère-bébé, l’internalisation de l’objet et l’organisation de la relation d’objet, s’établit et se déploie l’aire transitionnelle dont l’objet transitionnel est une des premières expressions. Or il est intéressant de voir que, dans la définition de l’objet transitionnel, Winnicott parle d’un objet auquel les enfants « become (...) addicted » [1]. Les traductions proposées en français sont, entre autres, « objet auquel le petit enfant s’attache avec passion » ou « s’attache par assuétude ». Denys Ribas, dans son livre sur Winnicott, traduit par « attachement addictif des très jeunes enfants à un objet privilégié ».

3Je me propose ici de reprendre la notion d’objet transitionnel afin de mieux le différencier d’autres objets d’addiction et de repréciser sa participation dans l’organisation de la transitionnalité. Dans un second temps, j’essaierai de repérer les modalités relationnelles sous-jacentes qui vont favoriser son développement ou le court-circuiter en laissant alors s’installer d’autres modalités d’addiction.

OBJET TRANSITIONNEL, NÉO-BESOIN OU OBJET FÉTICHE ?

4Joyce McDougall parle d’activités ou de substances addictives comme substituts d’un objet transitionnel mais précise que, si l’objet transitionnel représente le « début de l’introjection d’un environnement à fonction maternante », les objets d’addiction ne remplissent pas cette fonction, voire s’y substituent, puisqu’ils sont censés remplacer la fonction maternante primaire manquante.

5Pour Winnicott, l’objet transitionnel est un phénomène universel. Selon lui, « son absence témoignerait d’un développement émotionnel très perturbé » et il évoque alors la possibilité d’une psychopathologie dans l’aire des phénomènes transitionnels puisqu’il écrit, à propos de l’enfant à la ficelle : « Un chercheur qui ferait une étude de ce cas de toxicomanie prendrait-il suffisamment en considération la psychopathologie qui s’était manifestée, chez ce garçon, dans l’aire des phénomènes transitionnels ? » [2]

6Si l’on suit Winnicott, on pourrait considérer qu’il existe une transition « universelle » par une relation d’addiction à un objet autre que la mère, qui serait alors un premier déplacement des investissements psychiques.

7Je vais donc essayer de différencier l’objet transitionnel, qui va être un préalable à l’internalisation de l’objet, d’un néo-besoin ou d’un objet fétiche qui l’entravent et s’y substituent. J’entends ici « objet fétiche » dans l’acception de D. Braunschweig et M. Fain ou d’É. Kestemberg – à savoir, un objet permettant de maintenir le déni du manque, ici, de la mère.

8Winnicott précise que ce n’est pas l’objet qui est transitionnel, c’est l’utilisation que l’enfant en fait. Des différentes caractéristiques de l’objet transitionnel j’évoquerai, outre la notion essentielle d’objet créé-trouvé sur laquelle je reviendrai, un objet qui « dégage l’enfant du besoin de la mère elle-même », devenant « plus important qu’elle ». Il se doit aussi d’être indestructible, permettant à l’enfant d’agir sur lui ses mouvements pulsionnels sans risque.

9Nicolas a 8 mois quand je le reçois en consultation avec sa mère. Il tombe, se fait mal en même temps qu’il a probablement eu peur. Pour toute réponse et sans un mot, sa mère lui tend un biberon de jus de fruit qu’il prend... et se calme ! Nicolas présente à l’évidence une surcharge pondérale et j’apprends que c’est un enfant particulièrement sage, qui peut rester de longues heures seul dans son parc, toujours accompagné d’un biberon de jus de fruit. Il est à noter que cet enfant ne présente pas, par ailleurs, de troubles du développement très manifestes.

10Sa mère se décrit, elle, comme « maniaco-dépressive », passant de longues périodes de repli dans son lit à dormir ; quant aux épisodes qu’elle appelle « maniaques », il s’agit d’une quête sexuelle compulsive avec divers partenaires m’évoquant davantage un comportement sexuel addictif.

11Comment le biberon de jus de fruit peut-il apaiser la douleur ?

12Même si je n’ai pas d’éléments qui excluraient totalement l’utilisation sensorielle ou ludique que l’enfant pouvait faire aussi de ce biberon, cette séquence de consultation fait surtout penser à la création de néo-besoins décrits par D. Braunschweig et M. Fain. Création d’un faux besoin, permettant une réponse généralement immédiate sur le modèle de la satisfaction du besoin, se substituant ainsi à l’élaboration du désir et de sa réalisation hallucinatoire et court-circuitant alors les auto-érotismes. Pour les auteurs, le frayage de la satisfaction du besoin (besoin au sens d’ « instinct de conservation » ) est ainsi tracé et exclusivement tracé, au détriment de la réalisation hallucinatoire. Pour ces mêmes auteurs, la création de néo-besoins aboutit entre autres à une confusion, chez l’enfant, des perceptions des sensations internes ainsi que de leurs objets respectifs. La réponse apportée par sa mère ne permettait à Nicolas aucun repérage différencié de la source de son malaise, ici la douleur ou la peur, la réponse lui faisant assimiler son malaise à la soif, au besoin de boire et de trouver ainsi une réponse immédiate. Cette confusion des perceptions m’évoque une des patientes de Joyce McDougall qui disait : « L’ennui, c’est que souvent je ne sais pas si je suis triste, de mauvaise humeur, si j’ai faim ou si j’ai envie de faire l’amour et c’est là que je commence à boire. » [3]

13De même, la tétine illustrerait classiquement la création d’un néo-besoin, en particulier parce qu’elle est proposée par la mère et surtout court-circuite la retenue et la mise en latence des tensions et donc la création auto-érotique. Mais on peut vérifier en clinique que toutes les tétines proposées ne sont pas utilisées comme des calmants court-circuitant la réalisation hallucinatoire du désir. Je pense à un petit enfant qui a vite utilisé une deuxième tétine dans sa main qu’il caressait avec son pouce ou avec laquelle il se caressait la joue, et avec les deux, plus tard, il jouait à des caché-retrouvé. L’utilisation que faisait cet enfant de ces tétines était davantage de l’ordre des auto-érotismes et dans l’aire transitionnelle que dans le registre des néo-besoins.

14À l’inverse, que pouvons-nous penser de tous ces « doudous » commercialisés et proposés, voire imposés comme tels à nos bébés modernes ? Il s’agit d’objets très souvent choisis par les parents presque dès la naissance : certains enfants ne les retiennent pas et peuvent en choisir un autre ; d’autres peuvent aussi s’appuyer sur ce support trouvé qui peut alors devenir un objet créé et dont ils font quelque chose qui a les caractéristiques d’un objet transitionnel. Ces « doudous » peuvent aussi, bien souvent, être donnés par les parents ou leur substitut, dès que l’enfant se montre en difficulté, qu’il le demande ou non, et bien souvent ils font cesser le malaise. Cette utilisation de l’objet s’apparenterait davantage au fétiche : comme le biberon de jus de fruit, il peut alors être proposé, voire imposé, à l’enfant pour faire cesser toutes sortes de malaises sans distinction. Mais, à la différence du biberon de jus de fruit, il n’y a pas là, à proprement parler, création d’un néo-besoin.

15La qualité transitionnelle de l’objet serait alors définie par le moment où il apparaît, c’est-à-dire comme préalable à l’internalisation de l’objet. Il dégagerait l’enfant du besoin de la mère elle-même, sans en dénier l’absence, et lui permettrait d’agir sur lui ses mouvements pulsionnels sans risque. Ce serait l’évolution et le déploiement ou non de l’aire transitionnelle qui permettrait ensuite d’en repérer la qualité d’objet créé-trouvé et de le distinguer alors d’un objet fétiche et d’un néo-besoin.

16Dans le cas de l’objet fétiche, l’utilisation que l’enfant en fait lui permettrait, au contraire, de dénier le manque et l’absence, et donc entraverait les processus d’introjection.

17Dans le cas des néo-besoins, la question du manque et de l’absence serait détournée car travestie en un faux besoin sur le modèle des instincts de conservation, permettant une réponse immédiate sur le modèle de la satisfaction. Ils permettraient peut-être, en outre, une fixation orale des processus de mentalisation.

MODALITÉS RELATIONNELLES MÈRE-NOURRISSON SOUS-JACENTES

18Mon hypothèse est que les modalités de distanciation dans la relation mère-enfant, dont témoignent les caractéristiques de ces objets, seraient déterminées par des qualités particulières dans les premières relations mère-enfant, en particulier lors de la première phase de symbiose, de la préoccupation maternelle primaire, et à la sortie de celle-ci.

19Je voudrais ici préciser le terme de « symbiose » en m’appuyant sur la définition du Robert : « Association durable et réciproquement profitable entre deux organismes vivants. »

20Certaines mères ne peuvent rester « deux » dans cette période des toutes premières relations. Elles plongent dans la confusion ou, dans cette crainte, évitent justement ce rapprochement. Elles assurent alors avec difficulté la transition à une relation d’objet et peuvent alors avoir recours à des attitudes d’investissement ou de désinvestissement trop massifs, attitudes qui témoignent souvent d’un défaut de triangulation dans la psyché maternelle (comme nous pourrons le retrouver dans les vignettes cliniques qui vont suivre).

1) Du point de vue du fonctionnement maternel : 1) ce qui empêcherait ces mères de se distancier de leur enfant

21Une mère venait parce que son bébé de 6 mois, Adrien, restait accroché au sein et dormait dans son lit. « Au début j’aimais ça mais maintenant, dans le lit, il bouge et je dors mal ; le sein aussi j’aimais ça mais maintenant il mord et ça me fait mal. » Dès qu’Adrien s’est manifesté pendant la consultation, sa mère lui a donné automatiquement son sein qu’il a tout de suite pris et s’est rendormi. Alors que cette mère se plaignait de ne pas pouvoir retravailler faute de pouvoir le sevrer, quand elle trouva un mode de garde elle ne put assurer aucune progression dans ce changement, passant ainsi du collage au lâchage sans transition.

22— Certaines mères peuvent vivre tout mouvement d’individuation comme séparation et perte. Leurs propres angoisses de séparation sont alors évidemment très actives pour l’éviter avec leur nourrisson ; et les réponses proposées pour y faire face engagent leur propre mode de défense. G. Szwec, dans son livre Les galériens volontaires, rapporte le cas d’un nourrisson qui ne pouvait s’endormir qu’en tétant le sein de sa mère, trouvant alors le calme et non la satisfaction (M. Fain), opération qui devait se répéter plusieurs fois dans la nuit, laissant mère et enfant dans l’épuisement. G. Szwec montre bien dans ce cas particulier que cette mère reprenait avec son nourrisson les modalités d’apaisement auxquelles elle avait recours pour elle-même : processus autocalmant et recherche de l’épuisement, créant par là même un néo-besoin chez son enfant [4].

23— D’autres voient dans leur enfant une réactualisation trop massive de leur propre histoire. Je pense à une mère qui venait consulter parce que sa petite fille de 2 mois, Mélanie, hurlait 20 heures sur 24 et ne pouvait quitter ses bras. Dès la première consultation, cette mère nous a dit qu’elle ne voulait pas de cette grossesse, mais, en apprenant que ce serait une fille, alors qu’elle avait déjà deux fils, elle aurait pensé : « Je vais enfin comprendre pourquoi ma mère m’a abandonnée », pour dire dans un second temps de cette même consultation, face aux hurlements incessants de sa fille : « Au moins, personne ne cherchera à me la voler. » Son histoire et toute sa complexité étaient ainsi annoncées d’emblée et révélées par ce bébé. Elle a alors cherché ce qui pouvait calmer cette petite fille et a finalement trouvé un « truc » – à savoir, un biberon de chocolat, qu’elle présentait ensuite automatiquement au premier rictus visible sur le visage de sa fille et sans lequel ce bébé se mettait dans des états prolongés de désorganisation et de détresse. Une fois ce « truc » calmant trouvé, Mélanie s’y est accrochée activement et exclusivement jusqu’à un âge tardif.

24Dans ces situations, quel que soit l’objet proposé (sein, biberon, tétine ou tout autre objet, même celui semblant s’apparenter à un « doudou »), nous voyons que le caractère de la réponse maternelle, univoque et systématique, met en cause l’organisation d’une aire transitionnelle parce qu’il court-circuite toute créativité dans l’échange.

2) Du point de vue du bébé : ce qui va permettre le développement ou non 2) de l’aire transitionnelle et le recours ou non 2) à la réalisation hallucinatoire

25Je vais reprendre ici ce que Freud dit de la satisfaction du besoin chez le petit enfant, et en particulier dans l’ « Esquisse » [5]. « L’excitation ne peut se trouver supprimée que par une intervention capable d’arrêter momentanément la libération des quantités à l’intérieur du corps. Cette sorte d’intervention exige que se produise une certaine modification à l’extérieur, une modification qui, en tant qu’ “action spécifique”, ne peut s’effectuer que par des moyens déterminés. L’organisme humain, à ses stades précoces, est incapable de provoquer cette action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec une aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’a alertée du fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par les cris de l’enfant, par exemple). » Freud insiste ensuite sur « l’extrême importance de la fonction secondaire qu’acquiert la voie de décharge – à savoir, celle de la compréhension mutuelle ». La réalisation hallucinatoire du désir suppose un effacement de l’objet, une réponse non immédiate de celui-ci, au profit de l’accumulation des tensions rendue possible par l’investissement des traces laissées par la satisfaction.

26À quel besoin se réfère-t-on quand on parle de satisfaction du besoin ? On sait que l’apaisement de la faim, et des besoins élémentaires en général, ne suffit pas pour laisser une trace qui permettrait l’émergence de la pensée (en témoigne l’hospitalisme). Comment les traces laissées par la satisfaction peuvent-elles être réinvesties ? Réinvestissement sans lequel le recours hallucinatoire et le développement de l’aire transitionnelle seraient empêchés, contraignant l’enfant à une relation d’accrochage, que ce soit à la mère ou à un objet substitutif. En reprenant Winnicott (mais aussi Freud [6] quand il dit : « (...) le nourrisson, à condition d’y ajouter les soins maternels... ») : « Au début la mère, par une adaptation qui est presque de 100 %, permet au bébé d’avoir l’illusion que son sein à elle est une partie de lui, l’enfant. (...) Il en va de même des soins en général (...). En d’autres termes, le sein est créé et sans cesse recréé par l’enfant (...) la mère place le sein réel juste là où l’enfant est prêt à le créer, et au bon moment. » [7]. L’illusion créatrice, dès ce temps de la satisfaction, serait la condition qui permettrait le recours à la réalisation hallucinatoire, la mère développant sa capacité de rêverie et d’identification à son enfant (identification qui sollicite son histoire infantile) dans une communauté de satisfaction hallucinatoire.

27Autrement dit, la relation réciproque d’emprise ou d’accrochage résulterait davantage d’une mère psychiquement absente d’emblée, non pas en référence à la mère déprimée absorbée par son deuil, mais davantage une mère fonctionnelle, voire opératoire, dans sa relation avec son bébé ; sans obligatoirement préjuger d’une personnalité opératoire, il s’agirait davantage d’une répression des mouvements de régression identificatoire. Cette mère psychiquement absente d’emblée ne permettrait pas à son enfant de développer ses potentialités hallucinatoires d’abord en sa présence. La voie de décharge reste alors un mode d’expression, mais n’est pas investie comme base de compréhension mutuelle.

28Je pense ici à une mère très en difficulté avec sa fille de 4 ans, Charlotte, qui avait des crises dites de colère qui pouvaient durer plus d’une heure. Incidemment nous apprenons que, parce qu’elle dîne avant ses parents, Charlotte dîne seule dans sa chambre devant des vidéos et qu’elle est tellement attachée à celles-ci qu’elle s’endort le soir devant la télévision. En un an de consultations mensuelles, c’est une petite fille que je n’ai jamais pu voir seule et qui, dans ce cadre, ne pouvait pas non plus être seule en présence de sa mère, n’organisant aucun jeu pendant ces rencontres, restant collée à elle. Rapidement, sa mère nous dira qu’elle se rend compte qu’elle ne sait pas jouer avec sa fille comme elle peut voir d’autres mères le faire. Un jour elle me dit que son père, le grand-père maternel de l’enfant, trouvait que sa petite-fille allait bien et, mieux que d’aller voir le psy elle irait mieux si sa mère l’emmenait au cinéma. Effondrée, cette femme me dit alors qu’elle aimait plus que tout cette petite fille mais que cela lui paraissait une épreuve insurmontable que d’aller au cinéma et partager avec elle des moments d’enfant. De l’enfance de cette femme j’apprendrai qu’elle est marquée entre autres par des relations incestueuses avec un frère de dix ans son aîné et qui s’est suicidé trois ans avant la naissance de Charlotte. Je pense que, pour cette femme, la régression identificatoire à sa fille lui était alors impossible par la réactualisation de son enfance, et le contact avec sa fille probablement aussi rendu dangereux par sa dimension incestueuse.

29En conclusion, et si l’on suit Winnicott, l’objet transitionnel serait un objet d’addiction structurant parce que, créé par l’enfant, il le dégagerait de la mère sans dénier son absence et contribuerait ainsi à l’internalisation de l’objet.

30Mais, pour se constituer et permettre le développement de l’aire transitionnelle, il faudrait que le nourrisson puisse développer ses potentialités hallucinatoires.

31Il faudrait alors que la satisfaction du besoin ait laissé des traces suffisamment chargées de plaisir pour que le processus hallucinatoire puisse les réinvestir. L’illusion créatrice nécessaire du point de vue de l’enfant demanderait de la part de la mère une identification de nature à permettre la créativité et établir les bases d’une compréhension mutuelle. Sinon, incapable d’avoir recours aux processus hallucinatoires en l’absence de sa mère, le nourrisson contribuerait à l’instauration d’une relation d’emprise réciproque et organiserait un type de relation à des objets (fétiche ou néo-besoin) pour dénier l’absence faute de pouvoir l’élaborer. Dans cette hypothèse, ce n’est pas la trop grande présence de la mère qui entraverait le développement de la réalisation hallucinatoire du désir, qui permet au bébé de supporter son absence, mais le manque de rêverie maternelle dès le temps de la satisfaction.

BIBLIOGRAPHIE

  • D. Braunschweig et M. Fain (1975), La nuit, le jour. Essai sur le fonctionnement mental, Paris, PUF.
  • S. Freud (1895), Entwurf einer Psychologie, in Aus den Anfängen der Psychoanalyse, London, 1950 ; GW NB, trad. franç. par A. Berman, Esquisse d’une psychologie scientifique, in La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1956, pp. 373-486.
  • S. Freud (1900), Die Traumdeutung, GW II/III ; trad. franç. par I. Meyerson révisée par D. Berger, L’Interprétation des rêves, Paris, PUF, 1967.
  • S. Freud (1911), Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques, in Résultats, idées, problèmes, t. I, Paris, PUF, 1984, p. 137.
  • É. Kestemberg (1972), La faim et le corps, Paris, PUF.
  • É. Kestemberg (1983), Le personnage tiers, sa nature, sa fonction, in Les Cahiers du Centre de psychanalyse et de psychothérapie « Le personnage tiers », no 3, automne 1981, pp. 1-56.
  • J. McDougall (1978), Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard.
  • D. Ribas (2000), Donald Woods Winnicott, Paris, PUF.
  • G. Szwec (1998), Les Galériens volontaires, Paris, PUF, « Épîtres ».
  • D. W. Winnicott (1953), Transitional objects and transitional phenomena, Collected Papers, through Paediatrics to Psycho-Analysis, London, Tavistock Publications ; trad. franç. de J. Kalmanovitch, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969.
  • D. W. Winnicott (1971), Transitional objects and transitional phenomena, in Playing and Reality, Londres - New York - Tavistock Publications, Basic Books ; trad. franç. par C. Monod et J.-B. Pontalis, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.

Mots-clés éditeurs : Satisfaction du besoin, Objets d'addiction, Néo-besoins, Réalisation hallucinatoire, Objet transitionnel, Objet fétiche

https://doi.org/10.3917/rfp.682.0459

Notes

  • [1]
    « (...) most mothers allow their infants some special object and expect them to become, as it were, addicted to such objects » (D. W. Winnicott, Transitional objects and transitional phenomena, in Playing and Reality, p. 1).
  • [2]
    D. W. Winnicott (1971), Transitional Objects and Transitional Phenomena, in Playing and Reality, Londres - New York - Tavistock Publications, Basic Books ; trad. franç. par C. Monod et J..B. Pontalis, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, p. 32.
  • [3]
    J. McDougall (1978), Plaidoyer pour une certaine anormalité, Paris, Gallimard.
  • [4]
    G. Szwec (1998), Les galériens volontaires, Paris, PUF, p. 67.
  • [5]
    S. Freud (1895), De l’Esquisse d’une psychologie scientifique, in La naissance de la psychanalyse, p. 336.
  • [6]
    S. Freud (1911), Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques, in Résultats, idées, problèmes, vol. I, Paris, PUF, 1984, p. 137.
  • [7]
    D. W. Winnicott (1971), Transitional objects and transitional phenomena, in Playing and Reality, op. cit. ; trad. franç. par Monod et J.-B. Pontalis, Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, p. 21.

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