Notes
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[*]
Extraits.
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[1]
Ch. Brisset, Réflexions sur la cure de sommeil et les thérapeutiques voisines, L’évolution psychiatrique, 1957, 2, 241-272.
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[2]
W. Dément, The effect of dream deprivation, Science, 1960, 131, 3415.
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[3]
Défendue en particulier par Faure.
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[4]
À moins qu’il ne soit un toxicomane avéré, ce qui lui interdit en général l’entrée dans un lit de cure de sommeil.
-
[5]
P.-C. Racamier, Sur la privation sensorielle, La psychiatrie de l’enfant, 1963, VI, 3, 255-280 ; P.-C. Racamier, Désafférentation perceptive et sociale, in Désafférentation expérimentale et clinique (IIe Symposium Bel-Air), Genève, T. de Ajuriaguerra, 1965, Georg. 281-287 (l’application des données expérimentales à la compréhension des cures de sommeil est envisagée dans ces deux travaux).
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[6]
L’un des premiers, à notre connaissance, M. Balint a montré que les décisions médicales sont en fait le fruit d’une transaction entre le malade et le médecin, les deux partenaires étant ordinairement inconscients de cet aspect transactionnel ; pour nous qui de toutes nos décisions thérapeutiques faisons déjà un acte thérapeutique, cet aspect relationnel et transactionnel est évident.
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[7]
Pour une plus ample compréhension de la dynamique et de la structure d’une telle « formation parano ïaque », on se reportera à mon étude : Esquisse d’une clinique psychanalytique de la parano ïa, Revue française de psychanalyse, 1966.
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[8]
Titre ajouté.
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[9]
La preuve étant faite que le médicament tire de son interruption le plus d’effet dynamique, ce qui d’ailleurs se rapproche de notre expérience des cures de sommeil.
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[10]
P.-C. Racamier, Esquisse d’une clinique psychanalytique de la parano ïa, Revue française de psychanalyse, 1966.
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[11]
Voir, au sujet de ce traitement trop oublié de nos jours, le travail récent et complet de Verlomme : la cure de narcose prolongée au Cloëttal, thèse, Paris, 1954. Précisons ici que la cure de narcose continue est, comme sa dénomination l’indique, une narcose prolongée (trois à six jours) effectuée au mélange de Cloëttal sous très soigneux contrôle biologique.
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[12]
Dans un bloc opératoire un malade est en sécurité ; mais on ne peut pas assurer que l’installation chirurgicale lui donne le sentiment de la sécurité ; celui-ci, seuls le chirurgien et les infirmières peuvent le donner.
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[13]
Nous pensons d’ailleurs en publier un.
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[14]
Je préciserai toutefois que les considérations présentes s’appuient sur une expérience de près de quatorze ans et de plus de 2 000 cures.
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[15]
Est-il utile de mentionner que si le médecin, dans les cures de sommeil, ne se conduit jamais en psychanalyste, il ne saurait les comprendre et les diriger psychothérapiquement que s’il s’est acquis une formation psychanalytique. Ce sont ces quelques lignes qui feraient le résumé le plus court de notre travail.
1 Les cures qu’on appelle biologiques en psychiatrie ne sont pas des cures réellement et purement biologiques. Ce sont des cures au déclenchement biologique dont le mode d’action est psychobiologique et dont l’exploitation majeure est psychothérapique.
2 Cela est bien connu, mais vaut qu’on le répète. On sait bien, pour les cures d’insuline ou de Sakel, que leur moment fécond, déclenché par un effet neurobiologique, est celui, principalement du réveil, où la relation psychothérapique vient prendre un singulier relief et un rôle indispensable. D’autres travaux, moins nombreux, ont montré tout ce qui se passe de psychologique dans la phase de réveil de l’électrochoc et tout le parti qu’on peut tirer psychothérapiquement. D’autres travaux, enfin, quant à l’action des neuroleptiques, vont bien plus loin que l’assertion courante, banale et point toujours convaincue ni vérifiée, selon laquelle ces médicaments favoriseraient la psychothérapie.
3 Ce qui est vrai de ces formes majeures de cures biologiques en psychiatrie l’est bien plus encore des cures de sommeil, que notre but dans ce travail est d’envisager sous leur aspect, dans leur fonction et leur contexte psychothérapiques.
4 Nous n’estimons en aucune façon que la cure de sommeil soit simplement une cure d’action neurobiologique. C’est, suscité par des moyens médicamenteux, un processus psychodynamique dont le sens et l’efficacité n’apparaissent qu’au regard psychothérapique.
5 De vertu psychothérapique, la cure de sommeil n’en possède guère par elle-même, ni, pour ainsi dire, de naissance. Elle ne la tient que de l’usage qu’on en fait dans un sens, des conditions, un contexte et une technique bien déterminés...
6 ...
7 Comme c’est depuis longtemps notre but de faire émerger les vertus psychothérapiques de la cure de sommeil, nous aurons d’abord à préciser notre façon de faire, sachant qu’il n’est guère de traitement dont la technique soit moins uniforme et moins clairement codifiée.
8 Ces précisions faites, nous indiquerons selon quelles lignes et dans quels contextes évolutionnels la cure de sommeil peut accomplir des fins psychothérapiques.
9 Mais avant même de décrire la technique, nous avons à esquisser la théorie thérapeutique de la cure de sommeil.
I / Théorie thérapeutique de la cure de sommeil
10 Nous ne pensons pas qu’il existe d’explication univoque et simple du mécanisme d’action de la cure de sommeil, telle, du moins, que nous l’entendons.
11 1 / La théorie du repos est celle des profanes. Elle est aussi, à certains égards, celle des neurophysiologistes pavloviens. Elle trouve son expression psychanalytique en termes de retour au narcissisme protecteur et récupérateur du sommeil. Bien entendu, le point de vue neuropsychologique et le point de vue psychodynamique, bien qu’hétérogènes, ne sont pas contradictoires.
12 La mise au repos existe bien dans la cure de sommeil. Mais elle existe à l’état plus pur dans les cures de détente (que nous ne confondons pas avec les cures de sommeil) et dans les cures de sommeil brèves, de quelques jours, que Brisset a décrites parmi d’autres, dont nous reconnaissons tout l’intérêt thérapeutique, mais qui nous concernent moins, du point de vue qui nous occupe, que les cures longues [1]. Dans celles-ci il se passe bien autre chose que du repos.
13 D’ailleurs, le repos dû au sommeil et à l’isolement n’est pas aussi simple qu’on le pense. Quelques expériences récentes le prouvent, en montrant :
- que le sommeil qu’on croirait à l’état pur, le sommeil sans rêves, n’est pas pleinement récupérateur, que la privation expérimentale de rêves sans privation de sommeil est perturbante [2], bref, que pour se bien reposer il faut rêver (ce que Freud avait implicitement affirmé voilà bien longtemps) ;
- que l’isolement complet (tellement complet que seules des situations exceptionnelles ou expérimentales le provoquent) n’est pas reposant mais profondément perturbant ; c’est ce qui ressort des expériences de déprivation sensorielle, qui déterminent de l’anxiété et une régression fonctionnelle du moi.
14 2 / La théorie cathartique est complémentaire. La censure se relâche au cours de la cure, ce qui permet au patient d’expurger des tendances réprimées et des souvenirs douloureux. Mieux : des tendances et ces souvenirs, le patient peut les abréagir à la faveur et par le détour de l’activité onirique se déroulant en état de sommeil ou même d’éveil (puisqu’il se produit dans des cures de sommeil normales d’authentiques bouffées oniriques).
15 La théorie du rêve en tant que conception thérapeutique de la cure de sommeil fait partie du modèle d’explication cathartique ; cette conception [3] veut que la cure de sommeil soit principalement une cure de rêve, et que le malade se purge en rêvant.
16 On peut conduire ce point de vue à des extrémités na ïves. Il serait vain de s’imaginer qu’à force de rêver le patient en cure de sommeil se psychanalyse tout seul. Il n’en est rien. Nous verrons même que l’activité onirique en cure ne trouve pratiquement pas d’utilisation psychanalytique (du moins directe).
17 De même serait-il na ïf de considérer la cure de sommeil comme une narco-analyse prolongée ; au demeurant, qu’est-ce qu’une narco-analyse ?
18 Il n’en reste pas moins vrai que :
- nombre de malades en cure trouvent un soulagement réel à confier sans ordre leurs souvenirs, leurs soucis, leurs hontes, leurs désirs, leurs blessures et leurs angoisses au médecin ou à l’infirmière qui s’assoit auprès d’eux ;
- nombre de malades qui avaient perdu leur activité onirique la retrouvent en cure de sommeil et, comme on le conçoit, s’en trouvent mieux (et cela même si le contenu de leurs rêves ne leur est pas interprété).
19 Repos et purge, la cure de sommeil présente incontestablement ce double aspect. Aspect qui est non seulement double, mais, il faut bien le dire, équivoque, car toute purge représente un certain travail physique, en contradiction avec l’image qu’on se fait – et que les malades généralement se font – du repos dans le sommeil de la cure. Or cette ambigu ïté est un moteur même de la cure, puissant si l’on sait s’en servir. Mais, précisons-le, l’important dans la cure de sommeil est qu’il s’y effectue un certain déroulement, voire un bouleversement dramatique, même quand celui-ci. ne se manifeste qu’une fois passé le temps du sommeil, au moment du sevrage. Il nous apparaît que ce déroulement psychodynamique trouve son sens et sa puissance dans le fait complexe de la régression.
20 Tout, nous le verrons, est fait dans la cure de sommeil pour y favoriser la régression sous ses différents aspects : régression pulsionnelle et régression formelle du moi. En fait, lorsque nous parlons de repos, ou d’abandon au narcissisme du sommeil, nous parlons d’abandon à la régression relationnelle et libidinale dans une relation de type anaclitique. Médecin et infirmière seront, dans la cure, avant tout des pourvoyeurs de sécurité et de maternage. Et lorsque nous parlons de régression formelle, nous évoquons l’abandon à des modes archa ïques (primaires) du fonctionnement du moi, dont le rêve est en fait un exemple quotidien. Mieux : la cure fournit au patient la possibilité de mélanger le rêve et l’éveil.
21 Mais s’il y a drame et déroulement dynamique, c’est parce qu’aucun patient [4] ne se laisse régresser sans résistance. Toute l’histoire d’une cure de sommeil est l’histoire conjuguée de cette régression et de cette résistance.
22 En fin de compte, nous aurons fourni au patient l’expérience d’un vécu régressif que parfois il croyait désirer, que dans son for intérieur il redoutait toujours, et qu’il aura – non pas seul mais, avec notre aide – traversé sans encombre et sans risque. Pour tous ceux qui restent englués dans une régression pathologique et dans une peur intense de la régression « normale », il y a là une expérience restauratrice. Pour tous ceux qui aspirent à se vivre autrement, et qui n’en sont éloignés que par l’épaisseur d’une certaine résistance à changer, il y a là un moyen contrôlé et autorisé de « renaître », et le vécu de renaissance accompagne souvent l’issue heureuse d’une cure de sommeil réussie. À tous ceux, enfin, qui aspirent intensément mais avec appréhension au vécu archa ïque et fondamental de la relation anaclitique, la cure de sommeil fournit une base de satisfaction en même temps qu’une mesure de leur peur.
23 En ces points et à partir d’eux s’édifie le travail psychothérapique.
24 Un dernier point de théorie de la technique reste à souligner à nouveau. Nous ne pouvons évidemment faire que nous ne considérons pas les processus thérapeutiques de la cure de sommeil avec des yeux de psychanalystes. Les mouvements que nous observons dans la cure de sommeil, nous les connaissons pour les observer dans la cure analytique. Il n’en résulte ni que ces mouvements soient identiques et superposables, ni qu’ils soient abordés de la même façon, ni enfin, et bien entendu, que la cure de sommeil représente à nos yeux une cure analytique raccourcie. Nous verrons au contraire qu’à bien des égards les deux techniques s’opposent. Mais elles s’opposent sans être radicalement hétérogènes (alors que la simple administration par le psychanalyste d’un comprimé d’aspirine est hétérogène par rapport au travail analytique).
II / La technique de cure : données fondamentales
25 Des conditions de technique et d’ambiance précises définissent et déterminent la cure de sommeil telle que nous l’entendons.
26 Elles se résument dans les sept points suivants :
27 1 / La cure n’est entreprise qu’avec l’accord du malade, celui-ci étant au préalable rendu conscient des raisons de la décision thérapeutique et informé des principales exigences et des grandes lignes de la cure.
28 2 / La cure est effectuée dans des locaux appropriés, pourvoyant, avec le silence et l’obscurité, un double sentiment de sécurité et de déconnexion d’avec le milieu habituel, et consistant en un petit ensemble à caractère semi-collectif dont le foyer est occupé par l’infirmière.
29 3 / Une infirmière entraînée, constamment présente dans « l’appartement de sommeil » écoute les malades et veille à leurs fonctions corporelles dans une relation maternante ; le médecin qui dirige la cure agit au moins autant à travers l’infirmière que directement auprès du malade.
30 4 / Le sommeil est entretenu avec des charges médicamenteuses moyennes distribuées selon un rythme nycthéméral à trois temps.
31 5 / La cure se divise en une phase de préparation, une phase de sommeil d’une durée moyenne de vingt jours et une phase de sevrage d’une durée de quatre à sept jours.
32 6 / Le médecin et l’infirmière règlent le processus psychologique de la cure à la fois par des interventions psychothérapiques, par des manipulations médicamenteuses, et éventuellement par les contacts avec les autres malades en cure.
33 7 / Un système de notation à la fois souple et précis permet d’administrer la cure, de la suivre et de la régler sous ses aspects psychologiques autant que biologiques ; il est un instrument de travail pour l’infirmière comme pour le médecin.
34 Nous avons à préciser comme à expliciter ces différentes conditions :
1. Engagement de la cure (temps préliminaire)
35 Une cure de sommeil qui n’est pas psychologiquement préparée n’est pas et ne peut pas être une cure de sommeil. On peut imposer une cure neuroleptique, on n’impose pas une cure de sommeil, pas plus qu’on impose une psychothérapie. La décision doit très clairement en être prise avec le malade. Et, bien entendu, pour que le patient participe à cette décision préliminaire, il doit être rendu conscient de ses motifs ainsi que des exigences et des principales caractéristiques de la cure. (Le seul cas d’exception où nous n’attendons pas le plein accord du patient est celui dans lequel nous faisons directement suivre une cure de narcose continue au Cloëttal par une cure de sommeil proprement dite.)
36 La décision la mieux prise est celle qui résulte d’un processus transactionnel élaboré entre le médecin (ou l’équipe soignante) et le malade. Nous n’avons jamais eu à affronter de résistance difficile en cure lorsque celle-ci fut décidée au cours d’une réunion et d’un échange collectif entre le médecin, l’équipe soignante (ou même la communauté thérapeutique) et le malade.
37 Certains engagements sont plus délicats ou plus aléatoires. Ceux, par exemple, où le patient n’est que trop désireux de recevoir une cure de sommeil – car il y a bien des chances, alors, pour qu’il cherche à éviter toute résolution de ses conflits personnels – et ceux, au contraire, où le patient s’oppose à toute entreprise thérapeutique active, y compris, bien entendu, la cure de sommeil ; dans ceux-ci, la part majeure de travail thérapeutique sera déjà effectuée lorsque le malade aura consenti à la cure.
38 Informer le patient que la cure consiste à dormir à l’aide de médicaments ne suffit pas. On entre en cure comme on part en croisière, le malade doit régler ses affaires urgentes avant de commencer, et renoncer pour le temps de la cure à ses vêtements de jour et ses moyens de distraction usuels (ceux-ci pouvant être déposés devant lui ou par lui dans un placard ou une armoire situés dans sa chambre, qu’il ferme et dont il remet la clé à l’infirmière). Le malade est évidemment instruit de la disposition des lieux de cure et des moyens d’appel. Enfin, il doit savoir que son travail va consister à dormir, mais qu’on n’en appréciera pas le résultat à son score de sommeil, et que si la cure n’est pas une partie de plaisir, il n’y a pas à s’inquiéter de ce qu’il pourra faire, ou dire de ne pas faire.
2. Locaux de cure. Appartement de sommeil
39 Une cure de sommeil conduite dans une chambre courante ne peut pas être une cure de sommeil, et elle risque fort d’être inutile ou dangereuse.
40 Jadis, pressés par les circonstances, nous avons tenté quelques cures en chambre au domicile du malade. Dans un seul cas ce fut un succès, dû à deux présences favorables : celle d’une mère maternelle qui fit office d’infirmière et celle d’un médecin traitant amical, avisé et compréhensif. Dans les trois autres cas, la cure fut difficile et très lourde à conduire.
41 ...
3. Rôle et qualités de l’infirmière
42 Il ne faut guère compter moins d’un an pour former à la pratique des cures de sommeil des infirmières déjà qualifiées en psychiatrie et douées au départ des qualités d’écoute psychothérapique et de soutien maternel.
43 Or, le rôle de l’infirmière est capital dans la conduite de la cure ; c’est d’elle, de sa vigilance et de son attitude à la fois profonde et concentrée que dépend essentiellement que la cure se poursuive en souplesse et en sécurité et qu’elle réussisse. Elle doit apprendre à observer, à noter, à intervenir, à rassurer, à écouter, à laisser faire comme à s’imposer ; enfin, elle doit avoir ces qualités de présence discrète, sensible et rassurante, qui certes se développent mais ne s’inventent pas. Dans le calme apparent de l’appartement de cure, elle affronte maintes positions régressives et canalise des flots d’affectivité réprimée.
44 En résumé, l’infirmière doit être considérée dans les cures de sommeil à la fois comme un agent de soins physiques et une auxiliaire de psychothérapie. Nous reviendrons plus loin sur son rôle dans la conduite de la cure.
4. Médication
45 ...
46 Les « médicaments du sommeil » sont de quatre sortes : neuroleptiques, tranquillisants hypnotiques-barbituriques, hypnotiques non barbituriques. Nous ne donnons jamais de neuroleptiques à doses élevées et jamais de neurodysleptiques. Les tranquillisants sont indispensables, les meilleurs étant le méprobamate et le diazepam, qui permettent une notable économie de barbituriques et dont le dernier favorise l’activité onirique. Les barbituriques sont donnés à raison de 30 à 60 cg par jour, les moins toxiques ou les plus légers étant préférés de façon à éviter toute accumulation toxique. Quant aux hypnotiques non barbituriques, ils tiennent une place secondaire.
5. Phases et durée de la cure
47 L’expérience nous a montré que la cure de sommeil – telle du moins que nous l’entendons – se divise en trois phases : le temps préliminaire de préparation, le temps du sommeil proprement dit, et le temps du sevrage ou de l’après-cure.
48 a) La phase préliminaire, ou temps de préparation, a été décrite antérieurement ; sa durée est variable et peut aller d’une heure à plusieurs semaines ; son influence est déterminante, et nous y reviendrons plus loin.
49 b) Dans nos cures (comme dans la plupart de celles qui sont pratiquées), la phase principale ou temps du sommeil, dure vingt jours ; nos chiffres montrent peu d’écart par rapport à cette durée moyenne, et, sur plus de 2 000 cures, nous en relevons une quinzaine seulement qui ont duré quelques jours de moins ou quelques jours de plus, des inconvénients somatiques nous ayant en général incités à cet écart.
6. Réglage de la cure
50 Régler la cure, c’est régler la régression qu’elle induit. Les phénomènes régressifs touchent dans la cure de sommeil à la fois l’affectivité et le moi ; le malade retourne à des positions infantiles et particulièrement à des positions orales, et, de plus, les capacités adultes de contrôle, de coordination et de discrimination acquises par le moi sont plus ou moins abandonnées. Les deux courants de régression ne sont pas forcément synchrones et harmonisés.
51 Bien entendu, le malade aborde la régression contrôlée de la cure de sommeil avec plus ou moins de complaisance ou au contraire de résistance ; une véritable cure de sommeil est calculée de telle sorte que ces deux attitudes puissent être vécues l’une et l’autre.
52 Au demeurant, lorsqu’une seule de ces positions entre en jeu, la cure de sommeil est inefficace (en cas de complaisance excessive), ou très difficile (en cas de résistance excessive) et dans ces deux cas elle n’est pas indiquée et se solderait par un échec probable.
53 La régression est réglée par le médecin avec le concours de l’infirmière grâce à des interventions de nature psychothérapique et à des manipulations médicamenteuses. Durant le temps du sommeil, la tâche majeure consiste à favoriser la régression, c’est une force toujours présente chez les malades (et même chez les sujets sains), et la cure de sommeil consiste essentiellement à utiliser cette force d’une façon contrôlée, à des fins thérapeutiques.
54 Les courants régressifs sont directement stimulés par les charges médicamenteuses et par l’isolation sensorielle et sociale.
55 La charge médicamenteuse non seulement provoque le sommeil mais entretient dans ses intervalles un état d’obnubilation ou de régression du moi plus ou moins prononcé selon la qualité et la quantité des produits administrés. Le réglage des médicaments est donc un moyen de réglage de la régression ; en principe on accroît celle-ci en augmentant les doses.
56 — L’isolation sensorielle et sociale entraîne la régression formelle du moi, comme le montrent les expériences récentes portant sur ce qu’on appelle la déprivation sensorielle [5]. Aussi tend-on à augmenter la régression lorsqu’on supprime l’éclairage, les sollicitations sonores et les contacts sociaux habituels, on la réduit lorsqu’on les rétablit, comme on le fait à la période du sevrage.
57 Dans la cure de sommeil proprement dite, la régression n’est pas un phénomène expérimental inéluctable et rigoureusement déterminé. La résistance à la régression se fait jour. Les interventions de nature psychothérapique opèrent essentiellement au niveau de cette résistance. Tout ce qui la diminue fait indirectement le lit de la régression. Ce qui la diminue se résume à ce qui diminue la peur du malade : la régression est présentée comme un objectif positif dans la cure, ses manifestations sont accueillies avec tolérance et bienveillance ; le médecin et l’infirmière fournissent un soutien constant, ferme et compréhensif. Nous reviendrons plus loin sur ces interventions qui forment l’essentiel de l’action psychothérapique dans la cure.
7. Système de notation
58 Un système de notation à la fois souple et précis constitue pour le médecin comme pour l’infirmière un indispensable instrument de travail.
59 ...
60 Nous n’en donnerons pas ici le détail, et nous nous contenterons de mentionner qu’une notation est réservée à l’appréciation du degré de la régression, appréciation qui, pour être schématique, n’en exerce pas moins les capacités d’observation et de réflexion de l’infirmière, et même du médecin.
III / L’insertion de la cure de sommeil III / Dans un plan psychothérapeutique
61 Voilà donc défini dans ses principes d’action et dans son mode opératoire l’instrument de soins que la cure de sommeil constitue. Il nous appartient d’en faire le meilleur usage, et le meilleur usage est celui qui lui confère des pouvoirs psychothérapiques.
62 Or, le premier des facteurs déterminants est celui du « timing » ou du choix du moment. Car chez le même malade, la même cure peut avoir à des moments différents un effet déterminant ou, au contraire, un effet nul. Il ne suffit pas que le patient soit, comme nous l’exigeons, préparé, il faut encore qu’il soit « mûr » pour la cure. Faute d’être soumise à cette condition, la cure peut complètement avorter.
63 Dans la pratique, nous distinguons trois éventualités différentes :
- 1 / la cure est rapidement entreprise et conduite simplement pour résoudre un état de crise ;
- 2 / la cure est entreprise au préambule d’une psychothérapie de long cours ;
- 3 / la cure est effectuée à un moment délicat d’une psychothérapie en cours depuis longtemps déjà.
64 Comme on le voit, la cure de sommeil se situe et s’ordonne par rapport au traitement psychothérapique.
65 Dans le premier cas, la cure de sommeil s’accompagne d’un bon brin de psychothérapie, mais elle n’entre pas dans un programme psychothérapique étendu.
66 Dans les deux autres cas, la cure de sommeil entre à sa façon dans un vaste programme thérapeutique dont le plat essentiel est constitué par une psychothérapie analytique de longue durée : soit qu’elle en facilite l’engagement, soit qu’elle serve à en résoudre une phase critique.
67 Aucun des cas évoqués ne répond à l’indication d’une psychanalyse pure. Dans le premier cas, ni une psychanalyse ni une psychothérapie analytique n’apparaissent nécessaires ou possibles (du moins d’emblée). Autrement, il s’agit de cas difficiles où la cure psychothérapique rencontre inévitablement d’importants écueils, soit d’emblée, soit en cours de route, écueils dont la cure de sommeil facilite la traversée.
68 Ce sont ces deux sortes de cas que nous envisagerons maintenant.
1. La cure de sommeil 1. dans l’engagement d’une psychothérapie longue
69 Nous ne pouvons pas séparer le problème du choix du moment de la cure de celui de son indication proprement dite, ces deux aspects étant complètement solidaires, ainsi que nous l’avons déjà souligné.
70 Quand la cure de sommeil est indiquée d’entrée de jeu, c’est pour plusieurs raisons convergentes :
71 — Le malade ne guérira manifestement pas sans un long travail psychothérapique (poursuivi – ou non – partiellement en milieu hospitalier).
72 — Mais cette psychothérapie a commencé d’emblée, serait refusée ou rapidement abandonnée parce que :
- le malade est excessivement passif et retiré ;
- ou bien le malade présente une souffrance psychique actuelle étendue qui lui fait demander une aide active et rapide ;
- alors que, dans un cas comme dans l’autre, il n’a pratiquement aucun jour sur ses conflits personnels et sur leur jeu dans ses difficultés actuelles, ce qui le prive de toute motivation pour un traitement qui ne serait pas qu’un soutien symptomatique et passager.
73 Le psychiatre qui ne se contente pas dans un tel cas de donner quelques pilules, quelques conseils en général impossibles à suivre et quelques encouragements peu coûteux, risque de se trouver dans la pénible alternative de conseiller une psychanalyse qui ne serait jamais entreprise, ou de consentir à une cure hâtive qui ne serait qu’un passager refuge.
74 La cure de sommeil peut fournir la solution de cette situation délicate. Elle n’est pas le fruit d’une décision rapide et qui s’impose avec évidence et d’urgence.
75 En fait, la cure de sommeil est, dans ces cas, le résultat d’une transaction qui se résume en ceci que le psychiatre offre un refuge et un soulagement en échange d’un travail et d’une motivation psychothérapiques [6].
76 Bien entendu, les choses ne se passent pas aussi ouvertement et clairement que je viens de l’énoncer, et le patient n’est absolument pas conscient de la transaction qui s’opère. À notre avis, cependant, les choses se passent comme si le malade recevait la cure de sommeil pour accepter la psychothérapie.
77 C’est en somme sur le terrain complexe de la cure de sommeil que l’accord se fait entre deux demandes contradictoires, celle du malade qui attend un soulagement lui évitant d’avoir à se comprendre, et celle du psychiatre qui entend au contraire que le malade entreprenne de se comprendre. La transaction utilise cet aspect équivoque et ambigu de la cure de sommeil qui, nous l’avons déjà dit, définit son principe thérapeutique.
Cas A
78 M. N... est un homme de la quarantaine qui nous est envoyé par un collègue ami à la suite d’une tentative de suicide. Tentative médicamenteuse, avec lettre d’adieu et système détourné d’avertissement de l’entourage, ayant permis à temps une action salvatrice efficace : c’était donc une de ces tentatives spectaculaires, qui méritent néanmoins mieux que le mépris et qui laissent entrevoir de redoutables possibilités de passage à l’acte et d’agression.
79 Sous la pression de son entourage, M. N... a consenti à entrer à l’hôpital. Il apparaît vite qu’il y recherche un refuge. N... attribue sa tentative entièrement au comportement de son épouse ; celle-ci désire divorcer, après quinze ans d’une union qu’elle estime ratée ; le patient trouve que sa femme a des lubies, qu’elle est mal influencée, que leur ménage marchait bien et qu’il n’est dans cette affaire que la victime d’un dangereux caprice féminin. Il veut récupérer sa femme par tous les moyens possibles et laisse entendre qu’il la préfère morte avec lui que séparée de lui. Il compte bien, sans le dire explicitement, que nous l’aiderons à récupérer son épouse. Nous savons pourtant que celle-ci s’est mûrement décidée et nous allons voir pourquoi.
80 M. N... est un homme professionnellement actif, mais qui reste très attaché à son père, homme d’action énergique et naturellement dominateur, et à sa mère dont il n’a jamais cessé d’être l’enfant chéri. Un lapsus de sa part achève de nous prouver qu’il a toujours désiré de sa femme ce qu’il attend de sa mère. En fait, l’attachement à la mère recouvre une profonde ambivalence. Depuis toujours N... a entretenu la fiction qu’il est le fils parfait d’une mère idéale, et il a simplement reporté cette fiction dans ses relations conjugales. Toute atteinte à cette fiction le blesse grièvement et ouvre sous ses pieds le sol qu’il a si patiemment pavé de bonnes intentions. Des années durant, il s’est bouché les yeux sur l’anomalie croissante de sa vie conjugale et n’a pas voulu voir que sa femme en mûrissant souffrait de plus en plus de son infantilisme et s’écartait de lui. Lorsque, en fin de compte, la vérité lui éclata au nez, il essaya encore d’en minimiser l’étendue, puis de la modifier par sa tentative suicidaire, où perçait déjà la menace d’une invasion dépressive.
81 Lorsqu’il nous vint, M. N... était à cheval entre une position dépressive et une position parano ïaque asthénique. D’une manière ou d’une autre, il nous demandait de :
- le soulager de son tourment ;
- l’aider à retrouver sa femme comme il la voulait.
82 De ces vœux, le second était utopique ; bien sûr nous aurions pu soulager le patient à bon compte et nous débarrasser, nous, de son problème en l’encourageant dans cette voie sans issue, sans nous soucier qu’en berçant ses illusions nous lui aurions préparé des lendemains amèrement explosifs, car on ne l’oubliera pas, notre homme cachait dans la poche une belle petite bombe, au moins suicidaire.
83 En évitant ce parti facile et pseudo-thérapeutique, nous risquions de polariser sur nous la position parano ïaque de ce patient qui, pour échapper à la dépression et au deuil, pour continuer à se boucher les faits réels à la vue, ne pouvait qu’imputer à la malveillance d’autrui la cause d’une frustration qui activait ses désirs passifs en les privant simultanément d’objet [7].
84 C’est ce qui ne manqua pas de se produire, mais comme, heureusement, nous avions pris la précaution d’être deux à le traiter, le patient put diriger sur l’un de nous un transfert agressif par où s’écoulait sa revendication de style parano ïaque, et sur l’autre de nous un transfert positif par où s’exprimait son besoin de soutien à tonalité dépressive.
85 Il nous fallait : introduire le patient à une vue plus objective de la situation, et en particulier à une compréhension du rôle important qu’y avait joué et jouait sa propre personnalité, et en même temps lui apporter un certain apaisement du vécu dépressif profond dont sa tentative de suicide et ses réactions persécutives étaient issues. Il fallait le réapprovisionner en satisfactions passives tout en le conduisant à des positions plus actives envers ses propres difficultés et conflits.
86 La cure de sommeil nous fournit la solution de ce délicat problème. Mais, d’emblée et sans préparation, elle n’était ni souhaitable ni possible : pas souhaitable car elle aurait été dans le sens de cette négation de la réalité que le patient cherchait à entretenir, et pas possible car elle se serait heurtée à la très grande peur du patient de s’abandonner à la passivité.
87 Il fallait donc l’y préparer, dans la situation psychothérapique bi-focale que nous avons décrite. Il fallait ouvrir les yeux du malade sur le caractère pathologique de ses comportements actuels et passés.
88 Ce faisant, nous dégageâmes successivement la position persécutive, puis la position dépressive. C’est lorsque celle-ci fut mise à découvert que la cure de sommeil devint à la fois acceptable, souhaitée par le malade et nécessaire.
89 Elle fut alors proposée, acceptée et entreprise.
90 Elle dura le temps habituel d’une cure de sommeil et le patient en sortit très transformé : le fonds dépressif était liquidé, en même temps que les superstructures parano ïaques ; le malade acceptait de se mettre en question, apportait des données biographiques adéquates et recueillait ainsi le fruit des efforts que nous avions poursuivis ardemment avant la cure. Il apercevait la réelle utilité d’une psychothérapie personnelle, et c’est dans cet esprit qu’il quitta l’hôpital pour reprendre son travail, réorganiser sa vie personnelle et entreprendre une psychothérapie de long cours.
91 Tout n’était évidemment pas gagné encore, mais enfin la partie était engagée.
92 Dans le cas que nous venons d’évoquer, la cure de sommeil a été chargée d’un double rôle :
- apaiser un état critiquement perturbé ;
- faciliter une prise de position nouvelle permettant l’engagement d’une psychothérapie qui était indispensable mais qui était de prime abord inacceptable et impossible.
93 Ce rôle, la cure l’a joué avec succès, non par sa seule vertu mais parce qu’elle a été entreprise au moment juste, après une soigneuse préparation du terrain. Cette préparation psychothérapique consistait en bref à débroussailler ce terrain, à ébranler son système de pseudo-activité défensive. Nous n’étudierons pas en détail ici le système de psychothérapie bi-focale que nous avons utilisé dans ce cas, comme nous le faisons fréquemment, ce qui permet, pourvu que les thérapeutes opèrent en attelage, une grande souplesse et puissance d’action dans des situations aussi délicates que celle de M. N...
94 Qu’il nous suffise de signaler que la cure de sommeil n’a pas été imposée tout de go au patient, ni donnée pour rien. Il lui a d’abord fallu travailler sur lui-même avec nous, et ce travail préalable s’est poursuivi sans grande peine une fois la cure achevée ; il a trouvé alors sa conclusion et porté son fruit.
95 De l’observation qui précède, comme de toute notre expérience, une règle fort simple se dégage : il ne se passe quelque chose de valable durant la cure et après elle que si le malade est préalablement connu du thérapeute dans ses conflits principaux et dans ses références et réactions affectives.
96 Avant d’envisager d’autres exemples, il nous faut évoquer l’objection qu’on pourrait nous faire dans les termes suivants : « Du moment que la cure de sommeil était indiquée chez M. N... – et nous voulons bien croire qu’elle l’était puisqu’elle a réussi – est-il sûr qu’il n’aurait pas été bien plus simple de l’entreprendre d’emblée, économisant ainsi pas mal d’efforts et de temps au patient comme aux thérapeutes ? Et qui nous dit qu’elle n’aurait pas aussi bien réussi ? »
97 Évidemment, la contre-épreuve n’a pas été faite chez M. N... Toutefois, à en juger par le nombre de cures de sommeil qui se font sans profit, nous devons être attentifs au fait que leur efficacité est loin d’être garantie d’avance. Dans ce cas nous avons, par les données cliniques, de solides raisons d’estimer qu’entreprise rapidement, sans préparation et sans lendemain psychothérapique, la cure aurait sûrement dû être imposée au patient, qu’il y aurait par conséquent résisté énergiquement, qu’il aurait par suite renforcé une solide position parano ïaque, et qu’au mieux il en serait sorti relativement calmé, mais tout à fait sûr que les psychiatres ne l’avaient pas compris et ne le comprendraient jamais, et probablement résolu à reprendre de plus belle sa lutte inféconde et inadaptée contre une pénible réalité.
98 Une autre objection pourrait s’élever d’un autre point de vue dans les termes suivants : « Du moment qu’une action psychothérapique était indispensable auprès de ce patient – et nous voulons bien vous en croire – n’était-il pas possible de s’en contenter et d’éviter une cure coûteuse et délicate pour parvenir au même résultat ? »
99 Là non plus nous ne disposons d’aucun argument décisif. Et nous voulons bien admettre qu’une psychothérapie très intensive, peut-être du type du psychodrame, aurait convenablement préparé le patient à une longue psychothérapie analytique ultérieure ; mais nous aimerions insister sur le fait que le patient aurait en tout cas traversé des phases critiques et dangereuses, et que cette procédure aurait comporté des risques importants pour lui.
100 Au contraire, la cure de sommeil a fourni au patient l’apaisement dont il avait besoin ; elle lui a fourni en même temps l’expérience d’une passivité et d’une régression contrôlées. Ce fut une expérience en soi positive, et qui de surcroît permettait au patient de s’appuyer à nouveau sur nous (en cas de besoin l’avenir montrera d’ailleurs que cette prévision était fondée).
101 L’important était – il est toujours – que la psychothérapie proprement dite et la cure de sommeil s’enchaînent se préparent et se potentialisent réciproquement.
102 Dans ces conditions, la psychothérapie, et la cure de sommeil ne risquent pas de se contrecarrer ni dans les faits ni dans l’esprit du malade. Le secret des cures de sommeil « psychothérapiques » est de faire qu’elles soient bien des régressions, mais contrôlées, et non des fuites.
103 Il va de soi, au demeurant, que l’initiateur et conducteur de la cure, s’il doit posséder le tact analytique, ne saurait être le psychothérapeute du malade.
104 Par ailleurs, il est vrai que l’organisation poussée des techniques psychothérapiques individuelles et institutionnelles diminue notamment le besoin de la technique du sommeil. Il le diminue, mais il ne l’annule pas.
105 C’est ce qui ressort clairement de notre expérience personnelle. Dans un service psychiatrique à débit très élevé et où les ressources psychothérapiques individuelles et institutionnelles étaient limitées, nous avons pratiqué un nombre élevé de cures de sommeil.
106 Dans un service psychiatrique de moins grandes dimensions, mais où de vastes développements psychothérapiques étaient possibles et ont été accomplis, nous avons moins souvent posé l’indication d’une cure de sommeil, et cette fréquence a diminué dans le temps que s’étendaient les dispositifs psychothérapiques. Toutefois, la cure de sommeil a gardé des indications valables sous un régime thérapeutique tel que, sur une cinquantaine de patients, plus de la moitié d’entre eux recevaient une psychothérapie analytique individuelle ou psychodramatique, et la totalité un programme psychothérapique institutionnel quotidien.
107 À notre connaissance, il n’existe aucun principe aux termes duquel un psychiatre psychanalyste devrait se priver des ressources de techniques non spécifiquement analytiques s’il peut les plier à ses besoin et les modeler selon ses vues dans sa pratique institutionnelle.
108 Dans le cas précédemment rapporté, il fallait parer à la fois à l’immédiat et à l’avenir en évitant d’assurer l’un au détriment de l’autre.
La relance de certains traitements de schizophrènes [8]
109 Dans des cas différents, l’immédiat n’est pas compromis, mais l’avenir l’est. Nous pensons en particulier aux cas, désormais assez fréquents, de schizophrénies stabilisées dans un autisme ou un automatisme stérile, comme les traitements neuroleptiques en révèlent souvent à l’état pur ; un certain équilibre a été atteint, qui n’est pas sur la voie d’une restauration effective, mais sur une voie de garage ; toutefois le patient s’y sent relativement à l’aise, car son angoisse est neutralisée par la solide organisation défensive où il s’est installé. Ces malades ternes, vivant en sourdine, assez bien adaptés aux hôpitaux, mais tristement chronifiés, sont bien peu ouverts à la psychothérapie analytique individuelle. Ces patients, si l’on croit pouvoir et si l’on veut bien les tirer de leur inerte retraite, il faut opérer une relance. On doit savoir que cette relance, en mobilisant leur moi, va aussi mobiliser la psychose, et sous bien des aspects la réactiver : c’est le risque inhérent à toute modification profonde de la personnalité.
110 La relance et la mobilisation, plusieurs procédés peuvent les produire, qui ne s’excluent pas : une action psychothérapique massive et collective, soit communautaire soit psychodramatique, une modification du régime de vie, une cure de neuroleptiques majeurs à interruptions répétées [9], une cure de sommeil.
111 D’abord acceptée passivement – du moins en apparence – par le patient, la cure de sommeil réveille assez précisément son conflit fondamental, centré sur le désir et la seule peur de la symbiose affective. Il en résulte une réanimation des positions affectives, qui se laissent désormais apercevoir et, par suite, manipuler. En même temps, le patient passe d’un état hébéphrénocatatonique stable ou schizophrénique simple à un état parano ïde. C’est à ce moment-là, au sortir donc de la cure de sommeil, et, bien entendu, avec le soutien de base de la psychothérapie communautaire, que la psychothérapie proprement dite peut s’engager d’une façon féconde.
112 La cure de sommeil aura, dans cette stratégie thérapeutique, accompli un rôle de starter. Elle laissera la trace d’une expérience affectivo-relationnelle importante à laquelle il pourra se faire plus tard que le patient se réfère en cours de psychothérapie, et cherche même à revenir, dans un mouvement régressif qu’il sera possible et fructueux d’analyser. Et la cure de sommeil, avec son climat de maternage anaclitique, aura réintroduit le patient à des relations chargées d’affectivité. Il n’en résulte point qu’elle l’aura guéri, et l’on ne doit pas nourrir d’illusions vaines sur les pouvoirs de la cure de sommeil ; son mérite aura néanmoins été de servir de tremplin et peut-être même de ferment à la normalisation affectivo-relationnelle du malade par les moyens propres à la psychothérapie.
113 D’ailleurs, la cure de sommeil restera souvent pour le malade une expérience vécue qu’il n’oubliera jamais.
2 / La cure de sommeil dans la résolution d’une crise 2 / au cours d’une psychothérapie longue
114 Toujours dans des cas ardus – graves psychonévroses de caractère, importantes organisations schizophréniques, parano ïaques, psychopathiques ou dépressives – une psychothérapie analytique a été conseillée, décidée et entreprise ; et elle se poursuit depuis des mois ou bien des années. Le travail avance et précisément parce que le malade change, il rencontre sur son trajet de gros obstacles conflictuels. Il appartient à deux techniques de faire en sorte que ces conflits puissent être :
- absorbés
- et résolus efficacement, sans trop d’anxiété et d’acting out (les patients cités étant justement de ceux qui détiennent le plus d’angoisse et risquent le plus de se livrer à des agissements graves).
115 Ces deux techniques sont :
- celle de la psychothérapie proprement dite ;
- et celle de la psychothérapie de base, institutionnelle, collective ou communautaire (en cas d’hospitalisation, à part entière, ou de jour ou de nuit).
116 Il ne semble cependant pas que la meilleure technique et la meilleure organisation institutionnelle permettent dans tous les cas d’éviter ou de résoudre sans peine les crises qui surviennent dans le cours et en fonction de la cure. C’est en face de ces crises que la cure de sommeil peut être utilisée comme un instrument thérapeutique efficace et souple, ainsi qu’on le verra dans les exemples suivants.
117 Cas A. — M. N..., déjà cité, entreprit une psychothérapie dans sa ville après le séjour et la mise en condition que nous avons relatés.
118 Il y manifesta, comme on pouvait le prévoir, une résistance puissante, au bout de quelques mois ; simultanément il accrut sa résistance et essaya de renouer son roman conjugal. Il se dispute avec sa femme, lâche son traitement, prend sa voiture et file vers l’hôpital en pleine angoisse et non sans prendre des risques.
119 Devant un état clinique du même type que celui que nous avons déjà décrit, une nouvelle intervention, du même style, mais beaucoup plus brave et facile : longue séance de psychothérapie bi-focale et courte cure de sommeil ; au bout de peu de temps le patient partait reprendre son travail et ses séances.
120 Cas B. — C’est le cas d’un jeune homme qu’une incapacité croissante de travailler, assortie de diverses manifestations obsessionnelles, de crises d’angoisse, d’insomnie, d’asthénie, de méfiance et d’un progressif effritement de ses relations sociales, amicales et familiales avait amené à l’hôpital, avec son assentiment et après un essai infructueux de traitement ambulatoire.
121 Ce cas, évoqué dans un travail récent [10], était un état psychotique larvé avec une superstructure obsessionnelle fragile et une « formation » parano ïaque : entendons par là une défense de type parano ïaque mais relativement fraîche, incomplète, et par ailleurs non délirante.
122 C’était toutefois cette forme de défense qui, venant assez vite au-devant de la scène au cours du séjour et du « traitement hospitalier », y faisait le plus énergiquement opposition. Le patient était entré en psychothérapie, mais son angoisse, qui était grande et qui se réactivait, l’incitait à :
- renforcer un système de pensée rationnalisateur, désaffectivé, stérile, ergoteur et rebutant ;
- chercher à fuir les contacts sociaux et les activités collectives ;
- chercher à mettre les thérapeutes en échec et à bout, sans hésiter à poursuivre son propre échec et à tenter maintes fois de casser le fil de son traitement comme de son séjour.
123 Plusieurs fois aussi, les interventions psychothérapeutiques avaient résolu la crise qui se manifestait principalement par l’intention cassante et sourde de quitter l’hôpital. Mais chaque fois, les forces intérieures en présence étaient plus vives, plus forte la peur des conflits intérieurs, et plus farouche l’intention de rupture. Le conflit principal en jeu concernait les désirs passifs homosexuels inconscients ou oraux qui angoissaient profondément le malade et lui laissaient craindre de perdre non seulement sa virilité mais toute sa consistance.
124 Le dernier assaut, mené en l’absence de la psychothérapeute en vacances fut si fort et si raide que le choix n’existait plus pour le thérapeute présent qu’entre une sortie pleine de risques et une cure imposée. La cure fut choisie avec l’accord des parents, et sans celui du malade qui fut néanmoins dûment prévenu. Dans ces conditions, ça ne pouvait pas être une cure de sommeil. Ce fut donc d’abord une cure de narcose prolongée au Cloëttal [11], suivie par une cure de sommeil courante. Le malade eut donc sa cure de sommeil et maintint presque jusqu’au bout une attitude rigide et opposante de refus de régresser et de volonté d’autocontrôle absolu et de complète mise en échec des efforts médicaux.
125 Vers la fin de la cure cette opposition se fit discrètement moins rigide : par suite du jeu des vacances, le conducteur de cure changea (mais on aurait de toute façon utilisé les ressources de la bi-focalité thérapeutique). Le contact était meilleur. Une interprétation d’ensemble de la peur et du comportement du malade peut lui être donnée et porter ses fruits.
126 Dans les jours qui suivirent, un changement radical se produisait dans l’état et l’attitude du malade. Manifestement consécutif à la cure de sommeil et à l’intervention psychothérapique, ce changement était progressif et régulier. Le malade devenait d’un commerce aisé, souple, vivant et varié ; l’énorme distance qu’il mettait autrefois entre lui et les autres avait disparu.
127 Les rationalisations ergoteuses avaient pris fin. Le patient était devenu coopérant, non point passif mais capable de s’affirmer, et d’une façon constructive. Son attitude changeait dans la communauté thérapeutique dont il devenait un membre actif et dynamique.
128 Le symptôme dont il s’était tant plaint, son asthénie, disparut, et il reprit son travail universitaire, interrompu pratiquement depuis deux ans. Il avait déjà repris sa psychothérapie et progressait bien.
129 Le changement opéré par la cure de sommeil dans le cas B a été saisissant. On aurait toutefois tort, à notre avis, de l’attribuer tout entier à cette cure. Celle-ci fut comme un catalyseur. Tout s’était passé comme si cette cure de sommeil avait enfin fait germer le long travail psychothérapique poursuivi des mois durant sans aucun résultat apparent. Tout ce qui avait naguère paru vain trouvait maintenant son résultat.
130 Certes, un tel déroulement n’est pas absolument original. Comme toute analyse, toute psychothérapie analytique compte de longs temps de travail obscur et patient de progressif effritement des résistances, qu’au détour du chemin une ultime intervention fait tomber, donnant à penser faussement à quelque na ïf qu’elle constitua tout l’ouvrage alors qu’elle n’en fut que le dernier point. Il arrive également que les progrès s’enregistrent au cours d’une interruption de vacances.
131 Avec bien des différences, la cure de sommeil de notre patient fut dotée de semblables mérites.
132 Mais nous aimerions insister sur deux des facteurs qui la rendirent efficaces :
133 1 / Encore une fois : le moment et le contexte. Autant aux grands déprimés je ne demande et n’impose d’abord qu’obéissance inconditionnelle et soumission, agissant vite, fermement, et pour ainsi dire à leur place, autant, dans le cas B, nous devions d’abord laisser au patient une assez large marge de manœuvre personnelle, et pour engager un traitement qui fît appel à son moi : d’où la priorité de la psychothérapie. Et cela, jusqu’à ce qu’il eût le nez sur son conflit de passivité, au point même qu’il l’agit par une décision de départ qui manifestait en même temps sa peur de la passivité et sa demande inconsciente qu’on agisse à sa place, lui restant passif. Il était alors permis de le faire sans compromettre l’avenir, car la preuve lui avait été donnée qu’on faisait d’abord appel à son moi.
134 D’autres traitements du même ordre, qui avaient été administrés antérieurement sans qu’il y fût vraiment mêlé, n’avaient produit aucun résultat.
135 2 / Ce que la cure de sommeil, encore une fois, fournissait à ce malade, c’était l’expérience vécue de la régression contrôlée et la passivité permise. Il vérifia qu’il pouvait s’y opposer, qu’il ne s’y désintégrait pas, et il put saisir mieux que jamais l’inutilité de sa recherche éperdue d’un autocontrôle permanent et absolu.
136 Quelque temps après la cure, une réunion d’équipe fut faite avec le patient, pour en établir en commun le bilan. Cette séance, pour la première fois, n’eut aucun thème.
137 Elle n’eut pour objet que le plaisir qu’on peut évoquer de se trouver avec d’autres personnes, sans intention déterminée, sans décision à prendre ou à contester, sans autre « raison » que d’être présent ; j’orientai délibérément la réunion dans ce sens ; et c’était en vérité un plaisir pour tous que d’être là sans but préétabli, tout simplement ensemble. Il était tout nouveau que le patient supportât cette forme de relation, qu’il évitait jadis et qui l’angoissait profondément.
138 ...
IV / La situation et les interventions psychothérapiques IV / Dans la cure de sommeil
139 Après avoir indiqué les forces motrices de la thérapeutique par le sommeil, puis les éléments principaux de sa pratique, après avoir montré comment, à quel moment précis et par conséquent dans quelles conditions la cure de sommeil s’insère dans un plan psychothérapeutique prolongé, il nous reste à revenir sur le déroulement de la cure, sur sa mise en place et sur ses ressorts psychodynamiques.
140 On a compris que le but poursuivi dans la cure de sommeil, telle que nous l’entendons, n’est pas seulement d’atteindre un certain résultat symptomatique (en général dans le sens de l’apaisement), mais qu’il est aussi et avant tout de faire effectuer au patient un certain progrès psychologique intérieur ; et c’est dans cette mesure que la cure possède en propre une vertu psychothérapeutique.
141 Il est difficile de parler d’interventions psychothérapiques dans la cure de sommeil. Elles ne sont pas aussi bien définies et circonscrites que dans une psychothérapie, et plus encore dans une psychanalyse.
142 Il s’agit bien plus d’attitudes et d’ambiance qui, si malaisées qu’elles soient à décrire, ont une influence déterminante. Car en définitive, la cure de sommeil consiste avant tout en une situation. Cette situation est avant tout régressivante et l’important est qu’elle va durer trois semaines.
1 / Considérations complémentaires sur la régression
143 Bien que nous ayons indiqué déjà l’importance fondamentale de la régression dans la cure de sommeil, nous avons à y revenir ici pour bien éclairer la technique du maniement de la cure.
144 Redisons d’abord que la cure de sommeil, n’étant pas une situation expérimentale, ne crée pas de régression de toutes pièces. Celle-ci est une force toujours présente chez tout individu, se manifestant soit d’une façon normale, en particulier dans le sommeil, mais aussi dans maintes activités régressives socialisées et admises, soit sur un mode pathologique, ce qui est le fait de tous les troubles psychiques. Nous pensons que la régression ne se met pas toujours et forcément au service de la pathologie et qu’elle peut, selon l’expression de Kris, être mise au service du moi : le sommeil et le rêve sont des activités régressives au service du moi ; les processus primaires de la pensée sont des processus régressifs que l’artiste n’est pas seul à utiliser au service de son moi, etc. Or les malades, et spécialement ceux que nous mettons en cure de sommeil ne savent pas et ne supportent pas d’utiliser leurs forces régressives à leur service ; par contre, leur moi est, sans qu’ils le sachent, infiltré de procédés régressifs. Dans un certain sens et schématiquement, la cure de sommeil s’efforce de substituer une régression contrôlée et constructive à une régression subie et pathologique.
145 La situation instaurée dans la cure de sommeil vise avant tout à favoriser les tendances à la dépendance anaclitique et à les polariser sur l’infirmière responsable de la cure.
146 Deux conditions déjà évoquées sont essentielles : l’une est la création d’un climat clos de sécurité ; l’autre est la suspension des stimulations sensorielles et sociales habituelles.
147 Ces conditions doivent être établies dès le démarrage de la cure, dont l’importance est telle qu’il mérite que nous y revenions.
2 / Remarques sur l’instauration de la situation de cure
148 La préparation du malade constitue, nous l’avons déjà vu, le premier temps de toute cure de sommeil. Visant à obtenir au moins une base de coopération du malade, elle consiste en un ou plusieurs entretiens d’information.
149 Le patient est informé des nécessités qu’implique la cure et qui visent à assurer une déconnexion complète d’avec son milieu habituel et l’extérieur, et à supprimer tous les éléments autour desquels pourrait s’organiser la résistance au sommeil et à la régression.
150 C’est ainsi que nous contre-indiquons les visites de parents proches ou amis, les échanges épistolaires ou téléphoniques, et interdisons les livres, périodiques, journaux et appareils de radios. Nous calmons les appréhensions du malade par les explications détaillées que nous lui fournissons, et ne nous dérobons à aucune de ses questions. L’entretien préliminaire se termine par une visite à l’appartement de sommeil, et cette visite fait parfois céder les dernières hésitations.
151 Cet appartement, nous en avons déjà décrit la structure d’ensemble et les caractéristiques principales. Ajoutons ici deux précisions : le lit doit être à la fois réglable très confortable, et élégant – et le patient doit disposer d’une sonnette, d’appel grâce à laquelle il reste en contact immédiat permanent avec l’infirmière.
152 De celle-ci, nous reparlerons plus largement, plus loin.
153 Disons ici l’importance de l’accueil du malade. Le premier jour de la cure n’est pas le plus difficile, mais il est peut-être le plus décisif. Car c’est dans les premiers contacts avec la situation de cure et tout particulièrement avec l’infirmière que le patient va tester et mesurer la sécurité sur laquelle il peut compter. Tout dans ces premiers gestes doit concourir à renforcer et concrétiser la confiance du malade, à lui procurer non pas seulement la sécurité, mais aussi le sentiment de la sécurité [12]. Ce sentiment premier demeurera tout au long de la cure et à travers ses aventures comme une base essentielle qui, précisément, permettra au patient de traverser sans angoisse excessive les remous qu’il rencontrera.
154 La visite du médecin, accompagné par l’infirmière, est indispensable en ce premier jour de cure : elle apporte au patient la certitude de n’être pas abandonné sur une voie de garage, elle précise à ses yeux les rôles respectifs du médecin – figure plutôt paternelle – et de l’infirmière – figure essentiellement maternelle.
3 / Notes complémentaires sur le maniement de la régression
155 Comme nous l’avons déjà indiqué, le réglage de la cure se ramène au réglage de la régression.
156 Et comme la cure de sommeil est organisée pour faciliter la régression, il est essentiel que ses manifestations soient à la fois acceptées et contrôlées. Le rôle de l’infirmière est avant tout de tolérer le changement du patient, de l’avertir de ce qui peut lui advenir, de façon à le rassurer comme à le déculpabiliser ; il est aussi d’éviter au patient toute conséquence fâcheuse de sa régression : chutes, erreurs, accidents, indiscrétions, etc. Bref, c’est un rôle d’acceptation et de protection, de soutien et non pas de jugement. En termes psychanalytiques, nous dirions que la fonction soignante est une fonction de surmoi tolérant et de moi auxiliaire.
157 ...
158 Le médecin reste au long de la cure un soutien présent. De plus, ayant demandé au malade de renoncer temporairement au monde extérieur, c’est lui qui doit rester en contact avec son milieu familial, donner des nouvelles de part et d’autre, sauvegarder les intérêts de son patient, bref, lui servir en quelque sorte de filtre protecteur.
159 ...
4 / Les extériorisations en cours de cure
160 Les deux principales sortes de problèmes qui se posent en période de sommeil concernent soit l’extériorisation de contenus psychiques ou d’attitudes nouvelles, soit des manifestations de résistance. Dans la phase d’après cure, le cap important est celui de la crise de sevrage.
161 Fréquemment et d’une manière soudaine ou progressive, des données psychologiques ignorées ou des attitudes nouvelles émergent au cours de la cure.
162 L’extériorisation verbale d’un « matériel » affectif jusqu’alors caché est très fréquente en cure de sommeil, mais elle n’est pas constante. C’est parfois très vite et beaucoup plus en fonction de la situation que des médicaments, que certains malades ouvrent les vannes de confidences qui n’attendaient pour se livrer qu’une occasion propice, Plus souvent émerge dans un désordre qui n’est qu’apparent une foule pressante de souvenirs pénibles, d’images de désirs réprimés et de peurs anciennes.
163 Ces données émergent souvent sur le mode onirique – toutes les nuances pouvant s’observer entre le plan à peine oniro ïde – où rêve et réalité se chevauchent et s’entremêlent, et le plan tout à fait confuso-onirique où le malade est dramatiquement plongé dans l’actualisation de ses souvenirs, de ses désirs et de ses peurs.
164 Ces extériorisations doivent être bien accueillies, elles doivent être facilitées par la disponibilité de l’infirmière et du médecin, mais elles ne doivent pas être attendues et encore moins exigées. La meilleure réponse consiste en une attitude profonde d’accueil bienveillant et disponible.
165 La situation où se livre ce matériel n’est pas une situation psychanalytique. Même si le psychanalyste se trouve présent, il n’y a donc absolument pas lieu de répondre par une interprétation proprement dite. Tout juste peut-il, en cas de nécessité urgente, quand, par exemple, l’angoisse est trop forte, se livrer à une intervention de type directe, qui a toujours une fonction de réassurance, dans un style purement psychothérapique. Par contre, il fera bien d’enregistrer ce qu’il entend ou ce qu’on lui rapporte, coups de phares allongés et fugitifs jetés sur le terrain qu’il aura plus tard à parcourir pas à pas avec le patient.
166 Au reste, celui-ci n’aura souvent, la cure achevée, retenu de ce qu’il a pu exprimer que des bribes, des lueurs, des impressions, et parfois rien du tout. Il est inutile et vain dans ce dernier cas de vouloir le lui rappeler. Par contre, bien des malades s’inquiètent au sortir de leur cure de ce qu’ils ont bien pu dire, dont ils gardent un souvenir très confus et parcellaire. Ils ont anxieusement conscience d’avoir livré des secrets honteux, ou de s’être montrés anormaux.
167 Il faut les rassurer, non point évidemment en cherchant à nier les faits, mais en résumant ce dont ils ont parlé et l’état qu’ils ont traversé, tout cela d’une façon claire et tranquille, indiquant que l’état de confusion fait tout naturellement partie de la cure, et que, pour ce qui est des préoccupations personnelles, ils feront bien, si elles leur pèsent, de les explorer avec le thérapeute.
168 De tout cela nous parlons comme si les confidences se faisaient à l’infirmière. Et c’est bien, le plus souvent, ce qui se passe. Encore n’est-ce généralement pas n’importe quelle infirmière, mais principalement ou uniquement une, celle qui a gagné la confiance du malade et qui dans son souvenir restera son infirmière de cure. Et certaines infirmières recueillent plus de « matériel » que d’autres : ce sont celles qui savent le mieux écouter. Et ce sont celles qui savent assurer auprès du patient la présence la plus sécurisante, qui l’aident le mieux à traverser la phase onirique lorsqu’elle se produit.
169 Ces phases d’extériorisation, oniriques ou non, ont une valeur authentique ; c’est le cas, tout au moins, chez les patients traités pour une crise, par exemple, dépressive. Elles fraient la voie d’une ultérieure élaboration psychothérapeutique. Nous verrons par contre qu’elles sont beaucoup plus compliquées chez les schizophrènes et autres psychotiques chroniques.
170 Des attitudes nouvelles peuvent également s’observer chez les malades en cure.
171 Nous ne pensons pas ici aux comportements régressifs, qui sont habituels bien que plus ou moins marqués et acceptés, mais à des positions relationnelles normales qui n’apparaissent que dans la cure : tel malade qui restait figé dans une raideur obsessionnelle en se tenant à une énorme distance affective de quiconque, s’accroche à une infirmière qu’il appelle sans cesse, simplement pour lui dire bonjour et le lui répéter : il s’agit chez ce patient d’une ouverture tout à fait nouvelle, et dans la foulée de laquelle il pourra ultérieurement poursuivre une relation thérapeutique efficace. Telle autre patiente, habituellement revêche, piquante et hargneuse, se montre en cure souriante et ouverte : ce changement-là ne sera pas définitivement, acquis, la patiente en aura fait l’expérience concrète, et celle-ci pourra être utilisée comme référence dans le cours ultérieur de sa psychothérapie analytique.
172 Bien entendu ces attitudes nouvelles et normales qui, sortant comme fleurs au printemps, contrastent avec la monotone répétition des conduites pathologiques, doivent être accueillies directement, avec faveur, mais sans enthousiasme importun. Au patient qui enfin demandait à dire bonjour, il aurait été maladroit de demander ce qui lui prenait, maladroit aussi de crier victoire et de s’enorgueillir de son progrès. La réponse devait être directe, naturelle, sensible et discrète.
5 / Sur les manifestations de résistance
173 Nous avons déjà dit et répété qu’une résistance suppose inévitablement un mouvement régressif que la cure favorise. Cette résistance est animée par la peur. Pratiquement tous les malades en cure, sans omettre ceux qui la désirent le plus, en ont peur. Cette peur est complexe ; ce peut être la peur de ce qui risque de sortir de soi, proche de la peur qu’ont certaines personnes de rêver ou de ce qu’elles pourraient dévoiler sous anesthésie. Plus encore, c’est de la peur de perdre son contrôle (exprimée dans la crainte de devenir fou), de se dissoudre, de se perdre, de s’anéantir dans une relation symbiotique et fusionnelle autant redoutée que désirée.
174 Et c’est, enfin, en un mot qui résume bien des fantasmes : la peur de mourir.
175 La résistance animée par la peur est de toutes sortes, que nous classons en deux espèces : directe et indirecte.
176 La résistance directe est la plus simple à repérer. Elle se manifeste en général par une opposition, plus ou moins forte et organisée contre les règles de la cure, cette opposition visant à éviter le sommeil et l’abandon régressif. C’est alors que le malade cherche à lire, veut écouter la TSF, se lève sans cesse, veut écrire, téléphoner, faire des rangements, toutes activités auxquelles il lui a été précisément demandé de renoncer ; mais il lui faut à tout prix éviter de s’endormir et de se laisser aller. Nous avons plusieurs fois réduit cette opposition par une intervention très ferme et très énergique auprès du malade, en lui montrant sans détours qu’il sabotait sa cure, en lui demandant son concours et d’accepter des interdictions formelles. D’autre part, la résistance augmentant avec la pression régressivante, une telle opposition est parfois activée par un démarrage médicamenteux très vif, et sa résolution sera facilitée par une diminution des doses de somnifères, suivie de leur très progressive augmentation.
177 Une autre forme de résistance directe est moins évidente : le malade ne s’oppose pas aux règles de la cure, mais il n’en veut pas voir les effets et tenir compte d’eux : dans ses moments d’éveil, qui restent marqués par l’ivresse médicamenteuse, il s’évertue à se comporter comme un individu faraud, alerte et adroit ; il se lève seul, trébuche, ne sonne pas, se relève, tombe et renverse tasse et bouteille d’eau. Il faut le convaincre d’accepter les effets de la cure et de ne point s’en tourmenter. On peut en même temps retenir qu’un tel sujet a de hautes précisions (phalliques) au contrôle de soi.
178 La résistance indirecte est plus fréquente, surtout quand la cure est bien préparée, et dans sa dernière phase, lorsque la régression, évidente, ne peut être directement contrée. Nous trouvons alors des compromis entre la régression et la résistance à celle-ci. Déjà la non-conscience de l’état régressif (que nous venons de décrire) était un compromis que le patient aurait formulé en disant : « Je veux bien me livrer à ma cure mais à la condition de ne pas m’en apercevoir. » Les compromis suivants sont plus complexes. L’un consiste en un vécu diffusément persécutif de la cure ; il s’extériorise surtout en phase d’onirisme ; le patient le sent et le dit en s’en plaignant, diminué, écrasé, persécuté par les médicaments, les infirmières, le médecin, le cadre même ; par la suite, il cherche à s’imposer lui-même en s’opposant : cette démarche est velléitaire, mais à la condition qu’elle lui apparaisse désagréablement imposée du dehors. Ce n’est là, sauf erreur de tactique thérapeutique, qu’une phase passagère.
179 Les exigences excessives constituent une autre résistance indirecte, de la part de certains malades, qui en demandent tant qu’ils se trouvent automatiquement frustrés et mécontents et qu’ils poussent l’infirmière à ne plus rien leur donner du tout ; le jeu de la sonnette a leur préférence : ce sont des malades qui sonnent et font venir l’infirmière dix fois de suite pour un verre d’eau et qui, de cette façon, la poussent à bout, tournant agressivement en dérision et sa fonction et les règles de la cure. Dans cette forme de résistance efficacement harcelante, il faut aussi et très rapidement savoir fixer, imposer et maintenir des limites établies, sans se laisser aller aux sentiments de culpabilité que le malade cherche à éveiller, sans non plus le punir de son agressivité par l’abandon ; mieux vaudrait le semoncer, et il faut en tout cas que l’infirmière puisse soulager son irritation auprès de ses collègues et du médecin.
180 Les résistances de la cure, l’infirmière ne les perçoit et comprend pas toujours comme telles du premier coup. Pourtant, une infirmière normalement équilibrée dispose d’un excellent moyen de les repérer : tout ce qui, venant du malade, la gêne dans son travail d’infirmière de sommeil est à coup sûr une résistance ; il ne reste plus qu’à la définir et il est ensuite bien plus simple d’y parer. C’est-à-dire de faire en sorte que son travail avec le malade devienne plus facile et plus agréable.
181 Mais il arrive aussi que l’infirmière, sans le vouloir et sans le savoir, participe aux résistances du malade. Le médecin est le seul qui puisse alors enrayer le cercle vicieux. Quand un malade demande très instamment son poste de radio – si petit et si facile à manœuvrer – l’infirmière peut finir par lui concéder cette faveur. Il sera suivi par un autre, et l’appartement de sommeil sera bientôt devenu un nid de transistors. Il s’agit alors d’une résistance partagée.
182 Or, le malade qui dispose d’un poste de radio n’est pas en condition de cure de sommeil. Il n’y a de cure de sommeil que s’il y a frustration consentie, mais frustration certaine : de distractions, de contacts extérieurs, et d’initiatives personnelles.
6 / Remarques sur les phénomènes critiques d’après cure
183 ...
7 / Sur deux modalités évolutives particulières
184 Nous avons à mentionner deux sortes d’évolutions particulières qui déroutent en général le personnel inexpérimenté.
185 La première est celle des cures où il ne se passe rien. Le patient ne régresse pas, ou à peine, son état ne change pas tout au long de la cure, dont on pense de plus en plus qu’elle n’aura servi à rien. La tentation, qu’il faut savoir repousser, est alors de forcer les charges médicamenteuses, avec le risque d’une accumulation toxique. Le patient, lui, ne manque guère de vous faire humer d’avance le fumet cuisant de votre défaite. Il faut le laisser faire et attendre. Les jeux ne seront faits que dans l’après-cure qui n’en finit pas. C’est généralement, en toute connaissance de l’aventure qu’on va déclencher et les charges éventuellement prolongées, le fait des schizophrènes, chez qui la cure de sommeil ne doit être prescrite qu’avec la plus grande prudence, en toute connaissance de l’aventure qu’on va déclencher et des risques qu’elle comportera.
186 Le malade s’est enfoui profondément dans la relation anaclitique du temps de sommeil, il y a souvent révélé une ouverture relationnelle jusqu’alors profondément cachée, mais c’est au sevrage que son angoisse réapparaît, assortie de manifestations parano ïdes dont la résolution va prendre des mois pourvu qu’on y mette le poids d’un travail psychothérapique assidu et concerté.
V / Conclusion
187 Ce travail n’était pas un manuel de la cure de sommeil [13]. Ce que nous avons voulu montrer, c’est que la cure de sommeil est un traitement très complexe, et surtout un traitement qui peut :
- s’inscrire dans un traitement psychothérapeutique approfondi et prolongé ;
- s’inscrire dans une organisation institutionnelle essentiellement psychothérapique.
188 Cette double possibilité (dont chaque aspect complète l’autre) requiert une très soigneuse mise au point technique. Les conditions que nous vous avons précisées sont impérieuses, et nous ne doutons d’ailleurs pas que l’expérience ne cesse de modifier notre technique en l’améliorant [14].
189 Nous croyons, en nous fondant sur l’expérience et l’observation, qu’il n’existe guère de commune mesure thérapeutique entre une cure de sommeil improvisée et une cure décidée et conduite dans la perspective psychothérapique. Mais, si les résultats sont meilleurs, la tâche est sans doute plus grande et plus complexe [15].
190 Nous ne saurions assurément nous en étonner, car toute technique psychothérapique obéit à cette règle absolue qu’on n’y récolte rien qu’on n’ait semé.
Notes
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Extraits.
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[1]
Ch. Brisset, Réflexions sur la cure de sommeil et les thérapeutiques voisines, L’évolution psychiatrique, 1957, 2, 241-272.
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[2]
W. Dément, The effect of dream deprivation, Science, 1960, 131, 3415.
-
[3]
Défendue en particulier par Faure.
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[4]
À moins qu’il ne soit un toxicomane avéré, ce qui lui interdit en général l’entrée dans un lit de cure de sommeil.
-
[5]
P.-C. Racamier, Sur la privation sensorielle, La psychiatrie de l’enfant, 1963, VI, 3, 255-280 ; P.-C. Racamier, Désafférentation perceptive et sociale, in Désafférentation expérimentale et clinique (IIe Symposium Bel-Air), Genève, T. de Ajuriaguerra, 1965, Georg. 281-287 (l’application des données expérimentales à la compréhension des cures de sommeil est envisagée dans ces deux travaux).
-
[6]
L’un des premiers, à notre connaissance, M. Balint a montré que les décisions médicales sont en fait le fruit d’une transaction entre le malade et le médecin, les deux partenaires étant ordinairement inconscients de cet aspect transactionnel ; pour nous qui de toutes nos décisions thérapeutiques faisons déjà un acte thérapeutique, cet aspect relationnel et transactionnel est évident.
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[7]
Pour une plus ample compréhension de la dynamique et de la structure d’une telle « formation parano ïaque », on se reportera à mon étude : Esquisse d’une clinique psychanalytique de la parano ïa, Revue française de psychanalyse, 1966.
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[8]
Titre ajouté.
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[9]
La preuve étant faite que le médicament tire de son interruption le plus d’effet dynamique, ce qui d’ailleurs se rapproche de notre expérience des cures de sommeil.
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[10]
P.-C. Racamier, Esquisse d’une clinique psychanalytique de la parano ïa, Revue française de psychanalyse, 1966.
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[11]
Voir, au sujet de ce traitement trop oublié de nos jours, le travail récent et complet de Verlomme : la cure de narcose prolongée au Cloëttal, thèse, Paris, 1954. Précisons ici que la cure de narcose continue est, comme sa dénomination l’indique, une narcose prolongée (trois à six jours) effectuée au mélange de Cloëttal sous très soigneux contrôle biologique.
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[12]
Dans un bloc opératoire un malade est en sécurité ; mais on ne peut pas assurer que l’installation chirurgicale lui donne le sentiment de la sécurité ; celui-ci, seuls le chirurgien et les infirmières peuvent le donner.
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[13]
Nous pensons d’ailleurs en publier un.
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[14]
Je préciserai toutefois que les considérations présentes s’appuient sur une expérience de près de quatorze ans et de plus de 2 000 cures.
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[15]
Est-il utile de mentionner que si le médecin, dans les cures de sommeil, ne se conduit jamais en psychanalyste, il ne saurait les comprendre et les diriger psychothérapiquement que s’il s’est acquis une formation psychanalytique. Ce sont ces quelques lignes qui feraient le résumé le plus court de notre travail.