1Ce livre poursuit le travail entrepris dans l’enfant et le psychanalyste qui visait essentiellement la psychanalyse de l’enfant. Ici, Antonino Ferro nous parle de technique englobant aussi bien les enfants que les adolescents ou les adultes. Les pathologies présentées sont très variées, souvent très difficiles, nécessitant une rigueur et une ouverture d’esprit qu’il va tenter de nous faire partager. C’est dire que ce travail centré sur l’écoute et l’interprétation intéressera tous les psychanalystes que nous sommes, d’autant que l’auteur a l’honnêteté de nous parler de sa propre évolution théorico-clinique depuis sa formation jusqu’à ce jour. Il s’agit vraiment de nous communiquer le travail analytique chevillé à la relation transféro-contre-transférentielle, autrement dit c’est un psychanalyste “ à l’œuvre ” que nous allons suivre.
2Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais relever tout particulièrement la préface de F. Guignard et la postface de F. Sacco, remarquables par leur synthèse et leur acuité.
3Se situant à un carrefour entre la pensée de différents auteurs qui ont fortement influencé le mouvement psychanalytique depuis Freud, entre autres M. Klein, W. R. Bion, D. Winnicott, M. et W. Baranger, et une activité clinique très abondante, l’auteur élabore une technique centrée avant tout sur la dynamique de la séance tenant essentiellement compte d’un champ contenant une infinité de nœuds linguistico-émotionnels. II entend par champ la collusion inconsciente formée par les vies mentales du patient et de l’analyste en présence : « Le travail de l’analyste consiste à démêler et à se démêler sans cesse du champ qu’il cogénère inconsciemment avec le patient. » L’alliage théorico-clinique est omniprésent, chaque avancée théorique étant toujours étayée d’un matériel où l’auteur apparaît avec une grande authenticité dans sa fonction d’analyste.
4Les sept chapitres du livre permettent un abord très exhaustif, couvrant la quasi-totalité des problèmes rencontrés dans la pratique analytique. C’est un pari ambitieux mais fort bien réussi. Ce qui importe surtout à l’auteur c’est de dégager, quel que soit le moment de l’analyse, la vérité émotionnelle du champ dans la séance grâce aux indicateurs représentés par les dérivés narratifs immédiats.
5« La clé de voûte de cette conceptualisation est la “pensée onirique de la veille”, c’est-à-dire cette activité continuelle qui consiste “à rêver pour être éveillé” à quoi pourvoit sans cesse la fonction α par la constitution d’éléments α, mis en série à partir de toutes les afférences sensori-perceptico-émotives que nous ressentons à chaque instant existentiel et relationnel. »
6Le modèle utilisé est celui du rêve, ce qui permet à l’auteur une écoute différente de la rencontre analytique. La pensée de W. R. Bion devient alors pour A. Ferro un modèle théorique pertinent qu’il ne cesse de vérifier et d’élargir. Dans la perspective bionnienne de l’ « appareil à penser les pensées », il émet l’hypothèse d’un « appareil pour rêver les rêves » qui utilise le stockage de tous les éléments α pour aboutir à un récit figuratif qui donne sens aux expériences.
7La concordance émotionnelle et l’exactitude de l’interprétation seront des données particulièrement étudiées dans cet ouvrage. Les différents vertex choisis pour l’interprétation ne sont qu’un des éléments d’un « parcours en devenir » dont le caractère oscillatoire doit être maintenu par le respect de la dialectique du vecteur de la saturation/non saturation. « Cela se produit à condition que l’analyste se laisse traverser par les émotions en présence dans le cabinet et qu’avec son patient il élabore, à partir du brouhaha émotif, une harmonie narrative en mettant en séquences, en rythmes, en images, ce qui auparavant était confus, chaotique, préverbal. » L’interprétation est non seulement un point d’arrêt mais aussi une ouverture pour des histoires différentes, tenant compte du fait que le processus de symbolisation a lieu à l’intérieur de la séance. L’auteur préconise ici la non-saturation de l’interprétation comme permettant la mise en récit des fantasmes dans l’espace-temps de la séance. Le travail de l’analyste devient « travail » avec le patient « dans l’actualité de la rencontre de ce qui survient dans le champ émotionnel en train de se constituer ». Le dialogue analytique permet la mise en œuvre d’expériences émotionnelles transformatrices à l’intérieur d’une infinité de « nœuds linguistico-émotionnels » correspondant à une infinité de mondes possibles.
8Pour Antonino Ferro, « le lieu de la connaissance est la réalité du monde interne et de l’histoire, le lieu des transformations est la réalité émotionnelle dans la relation dans le champ » ; il propose ainsi la création d’une névrose ou psychose de transfert-contre-transfert.
9Seule la modulation interprétative peut lever les impasses en étant particulièrement attentive à la microprocessualité en séance. Cette dernière s’exprime par des transformations instables et réversibles témoignant de la qualité des échanges analytiques. Ces transformations permettent d’appréhender la façon dont le patient accueille les interventions et seront à l’origine d’un plus grand unisson avec sa vie psychique. Il est impératif de respecter le texte du patient qui a toujours besoin d’un interlocuteur qui partage ses récits. Si l’auteur nous convie à une rigueur particulière dans notre fonction, il évoque surtout la nécessité de veiller aux capacités du patient à supporter telle ou telle situation émotionnelle. Il s’agit de construire un sens à partir des personnages de la séance qui peuvent être pensés comme des récits synchrétiques de la façon dont le patient nous voit. Le personnage prend ici la signification d’un « hologramme affectif » d’un fonctionnement du couple caractérisé par une extrême mobilité.
10En conclusion, il me semble que ce livre est une formidable invitation à « ouvrir » notre technique au registre émotionnel et linguistique dans le hic et nunc de la séance incluant deux protagonistes, c’est-à-dire deux pensées. La recommandation bionienne « sans mémoire ni désir » devient riche d’une multitude de sens, de mondes en devenir, d’une re-création partagée.