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Article de revue

De la règle fondamentale à la situation analysante

Pages 243 à 257

English version
À André Green
« Il y a de la méthode dans cette folie. »
Hamlet

I – QUELQUES ENJEUX DE LA MÉTHODE

1A / Une tentative pour définir la méthode analytique rencontre d’emblée le contraste entre ce que le terme de « méthode » suggère d’organisation maîtrisée, et le renoncement à la maîtrise que suppose l’association libre. Sans doute fallait-il ce paradoxe d’une déraison méthodique pour que l’Ics s’ouvre à une investigation rationnelle.

2Dans son immanence, la méthode se confond avec la manière dont le psychisme s’avère capable de produire une séquence associative, et d’y déceler après-coup une logique inconsciente. Réfléchie, la méthode se distingue mal de la théorie du psychisme qui rend interprétable la séquence, et pensable l’hypothèse de l’Ics. À cet égard, avec la Science des rêves, Freud est allé au fondement même : le récit des rêves et leur interprétation se prolonge dans la théorisation du travail qui les produit.

3B / À un autre niveau, la méthode vient faire le lien entre cette invention freudienne, sa référence scientifique (positiviste) et les exigences d’une pratique qui avait besoin, en tant que technique médicale applicable, de faire la preuve de sa validité. Dès lors, à l’échelle du projet d’analyse, la méthode se présente comme la mise en œuvre maîtrisée des conditions à travers lesquelles l’association libre s’avère praticable, interprétable, et bénéfique. Une contradiction se fait jour, dans ces conditions, entre celles qui prennent appui sur le savoir acquis, théorique et pratique, et celles qui prescrivent la mise en suspens de ce savoir pour que la rencontre avec l’Ics soit authentique. Le savoir en effet, tend à prédéterminer la finalité de l’expérience, voire à conférer à la méthode une dimension quasi programmatique. D’où l’importance d’une fonctionnalité au négatif, pour préserver la perte des repères ordinaires du sens qu’implique le processus associatif partagé ; et la dimension d’après-coup aléatoire où se situe la tentative de mise en sens interprétative. Par-delà l’écoute flottante, on évoque ainsi à l’œuvre chez l’analyste, une docte ignorance (Lacan) ou une capacité négative (Bion). Cette contradiction manifeste l’exigence d’une fonction tierce dont la méthode serait garante.

4C / Rétrospectivement, certains aspects initiaux de la méthode apparaissent comme des réponses plus ou moins adéquates à cette exigence, d’autant plus impérieuse que l’analyse devait se démarquer de l’influence hypnotique.

51) La valorisation, par Freud, d’une méthode opérant per via di levare correspond, pour une part, à l’affirmation selon laquelle l’analyste et la situation n’introduisent rien d’étranger dans l’esprit du patient. Cette asepsie signifie que la méthode ne fait que permettre la manifestation des processus inconscients, et que l’interprétation ne fait que dévoiler le sens de ce qui était déjà là dans le refoulé. Personne ne doute, actuellement, que l’analyste et la situation analytique soient, nolens volens, partie prenante dans la structuration des phénomènes processuels.

62) La méthode postule, au départ, un Moi-sujet de la connaissance, capable d’observer une partie de son monde interne pour en faire un objet d’investigation. Le développement même de la méthode va montrer comment ce Moi est subverti par l’Ics, et combien est précaire la distinction observateur-observé (y compris pour l’analyste).

7Il a été malaisé de dépasser ces réponses initiales, souvent institutionnalisées. En témoigne par exemple l’attachement de Freud à la vérité matérielle du souvenir, avant qu’il n’authentifie la conviction découlant de la construction et sa confirmation associative indirecte puis dégage la notion de vérité historique. Conçue comme instance neutre d’objectivation, la méthode apparaissait en effet, comme le gage de la validité objective des connaissances acquises et des résultats obtenus. La conviction n’est-elle pas encore répandue que la vérité de l’analyse trouverait sa validation dans les études objectivantes sur le premier développement ?

8La Psychanalyse explore maintenant l’intérêt pour elle d’autres modèles scientifiques (auto-organisation, chaos déterministe, nouvelles conceptions de l’histoire, etc.) compatibles avec les exigences spécifiques de sa discipline.

9D / La fonction tierce ne peut plus relever d’une quelconque garantie préalable. Sa problématique est celle d’une fonction tiercéisante (A. Green), enjeu essentiel de la dynamique d’un processus qui la fait parfois disparaître.

10L’aventure du transfert situe le désir d’aliénation, inhérent à la relation intersubjective, au cœur de l’action analytique. Le risque est toujours présent que l’expérience vienne complaire au désir de l’analyste et aux préconceptions de sa théorie. Freud en signale le radical inéliminable en disant qu’à un certain niveau, l’hypothèse ne se distingue plus du phénomène. C’est pourquoi il faut conférer à l’écart théorico-pratique en analyse une valeur spécifique, puisqu’il n’est pas de fait mais relève d’une prescription éthique, relative au respect de l’altérité.

11Cet écart fait l’objet d’un conflit incessant dans les échanges inter-analytiques entre le désir « scientifique » de le combler, et l’exigence humaniste d’en confirmer l’irréductibilité.

12E / En fonction même de la complexification de la fonction du psychanalyste, la description de la méthode tend à se centrer sur son fonctionnement, selon les modalités que lui assurent ses dons, son analyse, sa formation, et qui soutiennent en dernier ressort ses créations interprétatives.

13Cette description est rendue d’autant plus accessible et théorisable que l’analyste conjoint en lui l’expérience subjective et sa/la théorisation. Mais elle active, de ce fait même, le risque autoréférentiel qui guette la Psychanalyse, et la tentation de faire du psychanalyste une « subjectivité technique » omnipotente.

141) Les théorisations modernes du contre-transfert, par exemple, l’illustrent. Au départ, le contre-transfert est conçu comme venant perturber la fonction : perspective étroite mais qui marque l’écart entre sujet et fonction, support symbolique de la fonction. La théorisation élargie prend en compte le caractère structurel de l’implication subjective du psychanalyste et le principe d’une fonctionnalisation possible de ce qui en est accessible. Il en résulte incontestablement un élargissement de l’assise de la fonction. Mais le risque s’aggrave de faire s’effacer l’écart sujet-fonction : soit que, par exemple, l’analyste en vienne candidement à faire de sa subjectivité une fonction ; soit qu’il conçoive une fonction indéfiniment pertinente et malléable, dès lors que les capacités contre-transférentielles sont là. Pourtant n’est-il pas nécessaire à la méthode de poser un renvoi élaboratif entre les limites de l’analyste et les limites de l’analyse – qui sont après tout le corrélat de sa consistance.

152) D’ailleurs, en face d’une impasse transféro-contre-transférentielle banale, l’analyste mesure vite que l’Ics reste l’Ics, et que sa capacité à utiliser son contre-transfert et l’auto-analyse ont d’étroites limites. Que lui propose alors la méthode ? Tout simplement de revenir au départ en instaurant une situation analytique (tranche) ou d’écoute en second (supervision) ; il retrouve ainsi le pari originel : parler en associant pour donner sa chance à l’après-coup interprétatif.

16La situation d’écoute fait donc partie de la méthode : elle est une annexe interanalytique de la situation analytique, où le contre-transfert prend la place du transfert.

17F / Le centrage de la méthode sur l’analyste va de pair avec la tentation de ne voir le patient que comme son bénéficiaire, pour décrire ses effets sur lui. Un des ressorts de mon travail a été de rappeler le sens premier de la règle – faire du patient l’agent actif d’une méthode – qu’il survit aux avatars du transfert, et que c’est l’analysant, surtout, qui fait de l’analyste un analyste. Mon expérience d’analyste et de consultant m’a rendu particulièrement sensible à l’attachement que les patients, même les plus difficiles, manifestent à l’égard de la situation analytique dans sa spécificité, sa logique fonctionnelle, son éthique ; attachement distinct de – et parfois en conflit avec – celui qu’ils portent à l’analyste. Il y va pour eux de la règle du jeu, élément-clef de la fonction tiercéisante. Quelque chose d’essentiel à la méthode se joue dans l’auto-appropriation à travers laquelle le patient devient un analysant.

II – DU PROCÉDÉ À LA RÈGLE

18A / Il vaut la peine de revenir sur la définition que donne Freud de la Psychanalyse en 1922. Il distingue en les articulant :

  • le procédé « pour l’investigation de processus psychiques à peu près inaccessibles autrement » ;
  • et la Méthode « pour le traitement des désordres névrotiques, reposant sur cette investigation ».

19Le passage de l’investigation au traitement correspond au glissement du procédé à la méthode :

  • le procédé, l’association libre est utilisable pour une investigation pure ;
  • la méthode inscrit le procédé, devenu règle fondamentale dans la situation cadrée : il en résulte un processus d’investigation transformatrice : c’est pourquoi la méthode est utilisable pour un traitement : la guérison psychanalytique est faite des effets indirects de surcroît, des transformations psychiques inhérentes au processus. En dépit de la complexité introduite, on retrouve le postulat fondateur d’une vérité qui guérit.

20B / L’association libre a été substituée par Freud à la mémoire panoramique de l’hypnotisé. C’est au patient de surprendre activement l’exercice de sa raison pour saisir et communiquer ses pensées incidentes, « non voulues ». Le procédé n’est mis en œuvre à l’origine, que pour l’investigation d’un phénomène énigmatique déjà là : symptôme, rêve, dont il s’agit d’élucider le sens. La distinction est donc claire entre cet objet fixé, et le sujet qui participe, avec l’analyste, à son investigation.

21Cette limitation du procédé reflétait celle de l’Ics conçu comme lacune.

22C / Malgré la simplicité de son énoncé, la règle est porteuse de toutes les ambigu ïtés qui vont conduire à la situation analytique et à sa complexité.

231) En proposant au patient de dire ce qui lui viendra à l’esprit, même si cela lui paraît absurde, futile ou déplaisant, la règle conjoint l’offre positive de parler spontanément, « librement », et la prescription négative de ne pas taire les pensées incidentes. Elle fait disparaître l’objet d’investigation déjà là, ce qui implique la conventionnalisation des bornes spatio-temporelles de la séance ; et elle suspend la différence explicite entre le moment où le patient parle en son nom, et celui où il déraisonne en associant. Elle ne s’oppose pas cependant, à ce que le patient apporte en début de séance un objet d’investigation (un récit de rêve par exemple) à propos duquel il associera.

242) En même temps cependant, l’énoncé de la règle privilégie l’événementialité psychique et discursive hic et nunc ; elle place la séance sous l’égide virtuelle de l’association libre. L’analyste, lui, se trouve aussitôt en position d’entendre associativement le processus de la séance ; il y a donc un écart entre les deux protagonistes qui fait partie de la dissymétrie structurelle de leurs positions. La question cruciale, pour la méthode, est de savoir comment cette dissymétrie peut aboutir à une répartition des tâches fonctionnelle et non hiérarchique. Car cet écart contient son risque d’aliénation : quel analyste n’a pas été troublé par le constat de ce qu’il venait d’entendre un processus associatif limpide dans une séance où le patient n’avait pas un instant paru se demander s’il disait autre chose que ce qu’il voulait dire.

253) Ce risque est inhérent au fait qu’implicitement, la règle stipule que l’objet d’investigation sera produit dans ou par la séance. L’activité du patient devient donc à la fois le moyen véridique et l’objet spécifique de l’investigation. Comment la méthode peut-elle assurer la concomitance entre la production et l’investigation d’un objet ? Posée ainsi, la question n’appelle que de médiocres réponses.

26La première serait celle de l’alternance, le patient, avec l’accord tacite du psychanalyste, retrouvant la logique initiale du procédé : l’investigation associative succédant à la présentation d’un objet.

27La deuxième, caricaturale, serait celle d’un clivage permanent, comme dans la métaphore du voyage en train où le voyageur assis près de la fenêtre décrit le paysage qui défile à son voisin. Le patient assurerait une disjonction sans interférence entre la production associative d’un film psychique, et un récit purement informatif collaborant à l’investigation.

28La troisième solution serait celle d’un partage permanent des tâches. Elle partirait du principe selon lequel c’est bien l’écoute de l’analyste qui applique la règle au patient. Freud n’attendait-il pas de la règle que, sur un mode objectivant, en troisième personne, elle assure impartialement la pleine manifestation du jeu des forces en conflit ? Et il est vrai que, pour l’analyste averti, la règle est un analyseur de l’ensemble du fonctionnement psychique du patient. Dans cette perspective, c’est l’interprétation du psychanalyste qui constitue rétroactivement, par le choix opéré dans le « matériel » de la séance, l’objet d’investigation.

29On voit que le partage des tâches fait du patient le producteur et de l’analyste l’investigateur. Le patient continue de faire jouer en lui un clivage sujet-objet (d’investigation) puisqu’en dernier ressort, l’interprétation devra s’adresser à une partie de son moi restée observatrice.

304) L’infirmité de ces réponses montre que la règle introduit une rupture avec le principe d’objectivation du procédé. La distinction d’un objet d’investigation immobilisé, et de son investigation par un sujet de la connaissance s’efface devant la logique intra- et intersubjective d’une investigation qui transforme ce qu’elle rencontre et est transformée par cette rencontre. Le processus implique l’expérience indéfinie d’une décentration du sujet. La règle suppose que l’activité associative, à travers l’hétérogénéité des signifiants utilisés (A. Green) et la diversité des modalités énonciatives, n’est plus seulement un moyen : habitée par l’écart du sujet à lui-même, elle est l’occasion d’une perception tangible et troublante de l’autre scène ; l’expérience de cette dérive fait qu’en un sens : « Le but, c’est le chemin. » Comme dans la fable « Le laboureur et ses enfants », l’exploration associative peut en venir à substituer son profit perlaboratif, à la découverte du trésor caché, finalité prédéterminée du procédé initial.

III – LE TRANSFERT

31La primauté conférée à l’événementialité hic et nunc impliquait, inéluctablement que le transfert devienne l’objet d’investigation produit dans la séance. Mais elle contenait aussi l’idée que produit par la séance, il exige pour son interprétation une conception renouvelée de la situation analytique.

32A / Dans un court laps de temps, Freud affirme successivement que la question du transfert ne s’aborde que lorsqu’il s’est mué en résistance ( « La dynamique du transfert » ), puisqu’il s’avère nécessaire de donner un sens transférentiel à tous les symptômes produits pendant la séance ( « Remémorer, répéter, élaborer » ).

33De résistance à interpréter, le transfert devient ainsi medium d’une fonction interprétative qui passe « méthodiquement » par lui. Mais on peut se demander si ce progrès ne se paye pas d’une dimension systématique un peu contraignante.

34B / Dans « La dynamique du transfert » aussi, Freud, parlant du fait que le transfert, facteur généralement le plus efficace de la réussite, puisse devenir l’agent le plus puissant de la résistance, emploie l’expression « immense inconvénient méthodologique ». Je ne reviens pas sur la manière dont il prouve qu’il ne s’agit que d’une apparence, dont il montre comment l’obstacle est transformé en moyen. Mais il n’est pas difficile de déceler les indices du malaise que le transfert et l’exigence de son interprétation constituent pour la théorie de la méthode telle qu’il l’avait conçue. Je souligne deux de ces indices :

35a) Après avoir souligné que l’arrêt des associations est toujours lié à une pensée de transfert, et constaté que l’ « explication » donnée au patient lève souvent l’obstacle, Freud écrit qu’en cas d’échec « l’absence d’associations s’est transformée en refus de parler ».

36b) À la fin de l’article, et de manière explicitement clivée, il souligne que la forme hautement régressive prise par l’actualisation transférentielle est due « aux conditions dans lesquelles la situation a placé le malade » et, comme pour justifier sa nécessité, il conclut : « Nul ne peut être tué in absentia ou in effigie. » Il est clair, à travers ces citations, que la résistance de transfert fait surgir la violence de l’interprétation et la question du contre-transfert : causes et conséquences du trouble qu’elle introduit dans la méthode.

37Il n’est pas très difficile de montrer ce trouble. Pour illustrer la mise en acte du transfert (agieren), Freud cite par exemple, le cas de cet homme que l’énoncé de la règle rend mutique, du fait du déplacement sur l’analyste d’un conflit avec l’autorité paternelle. On constate que la règle, censée servir a priori pour l’investigation d’un conflit intra-psychique, perd ce statut de moyen pour devenir enjeu inconscient sur la scène analytique. Elle n’a plus sa valeur de référence tierce.

38Mais elle a gardé une pertinence fonctionnelle, puisque le patient a produit un symptôme transférentiel interprétable.

39Cependant, un problème se pose à l’éventuelle interprétation, surtout en l’absence d’un contexte processuel. Ne risque-t-elle pas de manifester le savoir, le pouvoir de l’analyste-père, et d’être reçue – à l’instar de l’énoncé de la règle – comme venant de la place qu’il occupe dans le transfert ?

40Ainsi, non seulement le transfert disqualifie la fonction tierce de la règle, mais encore il tend à souder l’interprète et l’objet du transfert, et à faire de la résistance à l’analyse une résistance à l’analyste. N’est-ce pas là un immense inconvénient pour la méthode ?

41La distance de l’objectivation était indispensable pour que le transfert puisse être saisi comme phénomène symptomatique. Une même logique voulait que son interprétation contienne le principe de sa résolution. Mais le transfert retourné contre le transfert, c’est la suggestion contre la suggestion (Freud), formule dans laquelle la référence tierce tend à s’effacer dans la relation duelle, et le sens devant la force.

42Si le transfert se prête si bien au jeu de la résistance, n’est-ce pas aussi parce que son interprétation est trop liée à la visée de lever sa résistance, et peut-être de dénier le désir de l’analyste ? Avec un peu d’excès, Lacan dira qu’il n’y a de résistance que du psychanalyste. On se rappelle la métaphore par laquelle Freud illustre l’impossibilité de concéder au patient un droit de réserve... La résistance viendrait s’y loger comme les délinquants se réfugieraient dans les églises, à l’annonce d’une rafle qui respecterait leur asile. L’exigence de donner un sens transférentiel à tout ce qui se passe ne contribue-t-elle pas à faire que le transfert devienne le refuge privilégié de la résistance, en réponse à la rafle de la méthode ?

43Je voudrais rappeler quel changement dans la conception de la situation analytique est corrélatif d’une interprétation qui passe par le transfert.

IV – LA SITUATION ANALYTIQUE

44A / La dialectique du transfert et de son interprétation est source d’un malaise méthodologique, par l’ambigu ïté qu’elle introduit dans la conception la situation analytique. Il était décelable dans une perspective qui avait cours dans mes années de formation, et qui voulait que la situation soit aussi neutre que l’analyste et sa fonction-miroir. Elle devait par là assurer la spontanéité du transfert, elle-même condition de son analysabilité. Or, une ambigu ïté remarquable a longtemps marqué cette notion de spontanéité, puisqu’on lui a fait signifier que l’analyste et la situation n’étaient « pour rien » dans la survenue du transfert (sans se contenter de faire valoir que la réserve de l’un et l’invariance de l’autre le rendaient mieux saisissable). Ainsi I. McAlpine, en 1950, fait sensation en décrivant le transfert comme induit, renouant avec ce que Freud écrivait en 1912. Sans doute a dû jouer, comme un effet après-coup du deuil de la neurotica, l’exigence, pour que la réalité psychique du fantasme transférentiel soit objectivable, que nul séducteur ne soit incriminable.

45Corrélativement, parce que la méthode restait principalement centrée sur la levée de l’amnésie infantile et la restitution du passé, le transfert devait être envisagé dans sa dimension de pure répétition : ainsi son interprétation devait livrer les contenus de sa mémoire amnésique (A. Green). Dans cette perspective, l’interprétation du transfert contenait nécessairement une part de démenti, de rectification de son illusion par la réalité « neutre » de la situation.

46B / Dès lors que l’actualisation transférentielle représente le médium de l’action analytique, une conception plus ouverte, plus complexe mais plus ambiguë aussi de la situation analytique devient à la fois requise et permise. Elle pose de manière différente la question de la fonction tiercéisante.

471) D’une part, il n’y a pas lieu de décrire le transfert comme pure répétition ; il déplace, investit, introjecte et projette de manière (plus ou moins) discriminante : il est travail psychique, symbolique ou virtuellement symbolisant. Il introduit de la différence dans la répétition, ce qui apparaît encore plus clairement à Freud lorsque, a contrario, il rencontre des transferts d’une « fidélité indésirée », évoquant une compulsion de répétition au-delà du principe de plaisir.

48La spontanéité du transfert, c’est sa façon de faire irruption, de profiter des circonstances, de créer l’événement. Je serais tenté de généraliser la métaphore de Freud sur l’amour de transfert : le feu prend pendant une représentation théâtrale ; pendant un moment, on ne sait plus s’il fait partie de la représentation ou s’il va incendier le théâtre. Dès lors qu’on a renoncé à appeler le pompier de service, le problème est de faire en sorte que la représentation se poursuive en se modifiant pour intégrer, après-coup son événement. L’ambigu ïté précieuse du transfert est de mettre en tension, plus ou moins intensément, la continuité de l’intrigue et la discontinuité de l’événement. Pour Freud, la situation analytique était intermédiaire entre fiction et réalité ; il faudrait ajouter entre ici-maintenant et jadis-ailleurs. Winnicott avec le concept de transitionnalité dit pourquoi il est essentiel que le transfert ne rencontre pas le dilemme d’être un vrai ou un faux feu : il y va de l’esprit d’un jeu où l’éthique du transfert se confond parfois avec le principe de la méthode.

492) D’autre part, la situation analytique n’est pas « neutre », au sens d’une pure surface projective. Elle est doublement active au négatif par ce qu’elle refuse, par les contraintes qu’elle implique ; et au positif par ce qu’elle contient de gratifiant, de séducteur aussi. Sous la nécessaire réserve de l’offre manifeste se profile un mélange latent de frustration et de gratification : Ferenczi, en proposant ses deux techniques actives successives, n’a fait qu’accentuer ce qui était déjà là.

50L’analyste et la situation sont bien partie prenante dans la structuration du processus transférentiel : le principe d’une délimitation permanente de l’observé et de l’observation n’est pas soutenable. De plus, il n’y a guère de sens à prétendre décrire, sur un mode objectif, une incidence causale directe des instruments de l’analyse : un même élément (le divan, le silence de l’analyste) peut, selon les patients et les moments, prendre des sens différents, voire opposés.

51C / Le processus est donc le fait d’une rencontre irréductible à des déterminations antérieures : rencontre entre la demande – la souffrance – du patient et l’analyste en situation ; mais, en dernier ressort, rencontre entre deux différences : celle que porte le transfert, et celle qui distingue la situation analytique de toute autre situation de la vie.

52La dynamique du transfert découle du potentiel de la rencontre : elle se nourrit de ce que la situation offre aux investissements transférentiels, bien au-delà de la personne de l’analyste : l’investigation par le patient de son monde interne n’est guère séparable de l’utilisation – pour une grande part silencieuse – qu’il fait des ressources du site. On peut ainsi parler d’un analytique de situation (comme on dit un comique de situation) lié à la mobilisation d’une compulsion de représentation (J.-C. Rolland) que l’énoncé de la règle ne fait que soutenir, accompagner.

53Cette compulsion s’exerce à tous les niveaux de la représentance psychique, depuis celle qui se joue au plus près de la délégation psychique des motions du Ça, ou de la fonction alpha (Bion) jusqu’à ce qui procède des systèmes (Moi-Surmoi) liés au langage. Il est remarquable que, dès La Science des rêves, Freud ait décrit un équilibre antagoniste dans la séance entre la tendance régressive narcissique de la pensée figurative, attirée par l’accomplissement hallucinatoire, et la tendance antirégressive de la parole objectalisante ; il ne séparait donc pas la « psychisation » de la pulsion et la socialisation de la psyché, récusant par avance le faux dilemme pulsion-objet.

54Par contre, la mise en acte du transfert vient marquer la parole du sceau de l’agir hystérisant. Son intérêt majeur est de faire passer dans la parole une part de la charge hallucinatoire du fantasme inconscient (cf. addenda). C’est cet enjeu qui confère à la situation analytique et à l’interprétation leur enjeu économico-dynamique spécifique.

55Une mise en représentation aussi chargée en potentiels d’affects suppose l’utilisation de chacun des moyens proposés par la situation : la régression figurative, qui fait de la séance un équivalent du système sommeil-rêve, utilise le cadre, le divan, l’environnement, serait-ce pour sa négativation perceptive. La parole implique l’adresse à l’autre invisible, et par cette adresse, lui fait demande (Lacan), ce qui veut dire transfert. Mais l’énonciation envahie par l’agir et l’affect implique un transfert sur la parole, une transformation temporaire de l’appareil psychique en appareil à langage (A. Green).

56L’analytique de situation réalise la configuration singulière, variable de ces divers transferts, et la question de savoir si et comment le transfert sur l’analyste se détache du transfert sur la situation analytique est cruciale pour la méthode et la fonction tierce.

57D / Si j’insiste, en effet, sur l’analytique de situation, c’est parce que son auto-appropriation par le patient est relativement indépendante de l’analyste, et qu’elle lui permet de devenir, sur un mode suffisamment autonome, un analysant.

58On sait à quel point les tentatives pour apprendre au patient son métier d’analysé, pour expliciter un mode d’emploi, sont à peu près vaines. Pour rendre compte d’une appropriation qui constitue une ré-invention, il faut évoquer la paradoxalité du trouvé-créé winnicottien qui correspond, au fond, à ce que la spontanéité du transfert a de créatif.

59Le rôle de l’analyste dans cette appropriation serait, avant tout, de ne pas l’empêcher : mais rien n’est assuré : si son silence d’écoute trouve là une de ses fonctions les plus constantes, il faut relever qu’un effet « de surcroît » d’interventions interprétatives est de confirmer au patient qu’il utilise à bon escient – serait-ce négativement – la situation.

60Je ne fais que pointer ici l’ampleur du problème méthodologique posé par l’intégration de la fonction interprétative parmi les ressources du site : et ceci, tout particulièrement pour ce qui concerne l’interprétation de transfert énoncée par l’analyste.

61L’ampleur du problème se mesure à ce qui, par-delà des différences compréhensibles, sépare deux modèles extrêmes :

  • dans l’un – très répandu en France –, un véritable renoncement à interpréter a conduit à faire du silence d’écoute de l’analyste l’essentiel de sa fonction ;
  • dans l’autre, une activité interprétative systématique et intensive témoigne d’une sorte d’obligation d’interpréter, obligation dont le corrélat est que l’analyste doit trouver dans ses références théoriques, le moyen de la soutenir.

62En faisant valoir l’autonomie conférée au patient par l’auto-appropriation de l’analytique de situation, je n’entends certes pas justifier le silence fétichisé de l’analyste ; au contraire, l’autonomie peut permettre à cette ressource essentielle qu’est l’interprétation, de se dégager d’une obligation à travers laquelle l’association libre ne consentirait à perdre la maîtrise du sens que pour un rattrapage assuré en différé.

63De fait, l’interprétation, lorsqu’elle est mutative – qu’elle émane de l’analysant ou de l’analyste – vient quand elle veut : elle relève de l’après-coup, et sa trouvaille est aléatoire, imprévisible. Même si elle s’insère dans la continuité processuelle, elle agit par la discontinuité de son émergence, sa portée métaphorisante. Son effet de surcroît est alors de retrouver, de produire la disjonction entre l’interprète et l’objet du transfert. Cet effet tiercéisant est précarisé, voire annulé lorsque le transfert n’introduit pas de différence symbolisante dans ce qu’il répète. Une des questions fondamentales de la méthode est de savoir si l’interprétation peut rendre le transfert analysable, ou si la situation doit tabler sur des effets présymboliques.

64Pour que l’interprétation ne prenne pas la valeur addictive d’une fourniture de sens, il est nécessaire, on l’a vu, que le patient ait pu investir le couple activité-passivité propre à l’activité associative, même quand elle est mise au service d’un travail de remémoration, d’historisation, d’auto-interprétation. L’analysant n’est pas celui qui tente d’appliquer la règle : il la réinvente en donnant sens au jeu qu’elle propose, et dont l’enjeu inconnu est à découvrir. Peut-être a-t-il assez vite pressenti que l’accomplissement de la règle est un aboutissant du processus, et que ses implications les plus profondes se confondent avec les principes du fonctionnement psychique qui sont l’assise de la théorie de la méthode.

V – LA SITUATION ANALYSANTE

65Dans son usage courant, le terme de situation analytique conjoint, à juste titre, l’action analytique et l’espace-temps où elle se déroule.

66Il me semble utile, par contre, de distinguer le site analytique et la situation analysante :

  • le site analytique contient l’ensemble de ce qui constitue l’offre d’une analyse. Il inclut l’analyste en fonction ;
  • la situation analysante résulte, aléatoirement, de la rencontre suffisamment adéquate du patient et du site. Elle implique l’utilisation subjectivée, en trouvé-créé, des ressources du site et de leur configuration singulière par l’analysant.

67Pourquoi situation analysante ?

681) Pour marquer la profondeur des enjeux métapsychologiques contenus dans l’appropriation du site et les autoreprésentations qu’elle implique : par exemple, le silence de l’analyste soutient l’expérience cruciale de la solitude en présence de l’objet. Mais cette expérience n’est pas nécessairement explicitée, ni interprétée. Comme l’iceberg, le processus ne manifeste en surface qu’une faible partie de son épaisseur, et de sa complexité. La tendance du discours sur la méthode est d’ignorer la perlaboration silencieuse de l’intrapsychique. La notion de situation analysante voudrait dépasser en l’intégrant la dialectique névrose de transfert-alliance de travail dans laquelle cette alliance apparaît trop secondarisée.

692) Pour marquer l’unité fonctionnelle spécifique constituée par l’ensemble analysant-analyste-situation : unité de liaison entre les processus intrapsychiques du patient et leur extériorisation sur la scène du transfert ; mais aussi entre les processus psychiques des deux protagonistes, au point de réaliser à travers le jeu du transfert et du contre-transfert, une activité de co-pensée, un champ (Baranger), une fusion partielle par la mise en jeu de processus identificatoires primitifs ; une aire de jeu partagée.

70Le cadre permet de contenir la complexité de ces processus enchevêtrés, mais l’intériorisation bilatérale de ce qu’il représente symboliquement est ce qui lui permet d’assurer, dans sa matérialité, la vicariance de la fonction tierce au plus fort des crises transféro-contre-transférentielles, des situations-limites qu’elles suscitent (R. Roussillon).

71La situation analysante, par le jeu autorégulé de ces échanges se présente comme une structure intégrant le couple analysant-analyste dans sa capacité auto-organisatrice, et la dynamique processuelle de ses désorganisations-réorganisations.

723) Pour marquer enfin que cette structure est porteuse d’une dynamique auto-investigatrice, issue du potentiel de la rencontre. La situation analysante contient sa propre trajectoire processuelle, elle est habitée par l’immanence d’une analyse avec fin, cette fin ne se définirait-elle, en fin de compte, que par l’épuisement des ressources du site, tel qu’il s’est actualisé, à un moment donné de leur histoire entre tel patient et tel analyste. Cette temporalité incluse dans la dynamique même de l’illusion-désillusion du transfert – et qui fait tellement défaut dans l’analyse interminable – assure la présence latente d’une fonction tiercéisante que l’interprétation actualise.

73Elle donne son sens à la formule paradoxale d’un patient au cœur de son processus transférentiel : « Je viens à ma séance pour me demander pourquoi j’y viens. » C’est à elle que le processus doit de pouvoir être « l’exploration par la parole de l’expérience du transfert » (J.-C. Rolland).

74Addenda.

75À la mémoire de S. Viderman.

76Voici, pour illustrer ce jeu de la règle, une scène de ma propre analyse, à son début, il y a quarante ans : son souvenir a gardé l’intensité d’un souvenir-écran :

771) Il s’agit d’une séance qui se termine à huit heures du soir. Pressentant ou anticipant son terme, je me suis tu. Dans le silence, huit coups s’égrènent au clocher d’une église voisine. Le signal que j’attends ne vient pas et à sa place monte l’angoisse : je m’exclame : « Mais je ne veux pas que vous me donniez plus que mon temps. » Je suis à la fois surpris et apaisé par ce que je viens de dire. Mon analyste lève la séance.

782) Je voudrais souligner ce qui reste le plus marquant dans mon souvenir :

79a) Le contraste, d’abord, entre ma conviction d’avoir fait de la situation un usage à la fois nouveau, improvisé et conforme à ses virtualités ; et la dimension tout à fait énigmatique pour moi de la scène. Ce contraste fait valoir que le sentiment d’être un analysant n’est pas nécessairement lié à une mise en sens interprétative.

80b) Ma conviction s’étaye, à chaud, sur l’actualisation de l’ensemble des éléments du site : le cadre (le terme fixé de la séance) ; le dispositif (la scène est impensable sans le divan, et l’imminence de la situation debout) ; l’analyste (gardien suspecté du cadre, et objet du transfert) ; la règle enfin (j’y reviens).

81Cette conjonction inopinée me fait éprouver le sentiment que je suis l’auteur de toute la scène, d’avoir créé ce qui était « déjà là ».

82c) Elle s’étaye aussi sur la trace mnésique de la transformation subie et provoquée par mon énonciation : au départ, je m’adresse à mon analyste, dans l’action ; à l’arrivée, je sens que ce que j’ai dit vient de loin et me touche de près, mais m’est énigmatique, sans déplaisir ; je peux me rappeler à quel point l’expérience de ce processus avait besoin de s’étayer sur le silence de mon analyste.

833) Commentaire après-coup :

84a) Plus tard dans mon analyse, à travers l’interprétation et la perlaboration, j’ai découvert les diverses facettes du fantasme de séduction de/par l’adulte qui était venu s’actualiser sur la scène du transfert, et se dire avec transparence sous le couvert de la dénégation. Il fut plus difficile d’intégrer la résonance traumatique des huit coups de l’horloge, évoquant l’inexorabilité du temps, de la séparation, de la mort.

85Il m’est apparu alors que dans la scène, mon énonciation avait fait de moi, en identification à la voix du surmoi-idéal, celui qui décidait du terme pour ne pas le subir.

86Mon sentiment agréable d’avoir été un analysant ne traduisait-il pas surtout ma satisfaction d’avoir pris la place de gardien du cadre ? Défense maniaque ou trouvé-créé ?

87En tout cas, l’autonomie de l’analysant ne peut être située – pas plus que l’alliance de travail – hors du champ du transfert et de son interprétation ; elle peut à l’occasion, s’interpréter comme une défense contre l’expérience vécue de la dépendance ; mais à qui cette interprétation s’adresserait-elle si cette dépendance de transfert n’était pas métaphorisée par le transfert même ?

88b) Sur la scène elle-même : je n’ai pas dit (scrupuleusement ?) à mon analyste : « Je ressens de l’angoisse à l’idée que... », et encore moins : « Je viens d’avoir le fantasme que... » Mon énonciation a bien le statut d’une mise en acte ; en quoi cette mise en acte utilise-t-elle plus pleinement la situation analytique que les deux autres qui auraient pourtant traduit une prise de conscience ?

89C’est d’abord qu’elle fait l’expérience de confondre projectivement l’analyste avec l’autre – celui ou celle qui voudrait me garder –, avant de retrouver celui dont je n’irai pas jusqu’ici dire que j’ai « toujours su » qu’il allait lever la séance et que, s’identifiant à moi, il me laissait le temps de dire : rien ne peut remplacer le fait que « le retour sur soi se fasse à travers le détour par l’autre » (A. Green).

90C’est aussi la complexité de ce qui se joue dans l’écart entre l’événementialité psychique (l’affect du silence, l’audition de l’horloge, la montée de l’angoisse) et la parole :

  • dans un premier temps, l’angoisse est énigmatique et l’énonciation mo ïque (je sais ce que je ne veux pas) ;
  • dans un deuxième temps, l’énonciation qui a fait disparaître l’angoisse (refoulement) m’est devenue énigmatique, et à ce titre, elle est offerte au psychanalyste par l’analysant. Elle a pris la valeur d’un signifiant. C’est l’ensemble de ce chassé-croisé, qui a une portée subjectivante irremplaçable.

91L’enjeu sous-jacent est celui d’une modalité privilégiée de franchissement de la barrière du refoulement : du point de vue de l’interprétation, le franchissement est accompli par la liaison associative entre l’angoisse et la représentation déniée d’une demande d’amour. Mais par rapport à une simple prise de conscience, l’agieren est porteur d’une introjection pulsionnelle : en effet, il transfère sur l’acte de parole la puissance hallucinatoire inhérente au fantasme de désir inconscient. L’hystérisation de la parole réalise un ersatz de satisfaction hallucinatoire.

92L’actualisation transférentielle sous-tend la possibilité de concevoir l’interprétation comme accompagnant ou provoquant une onde de symbolisation, porteuse d’une conjonction optimale de la force et du sens.

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