Notes
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Texte paru une première fois dans la Revue française de psychnalyse, 1985, 49, pp. 773-788. Transcription d’une présentation orale au Colloque de la SPP, Deauville 1985.
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Transcription de la présentation orale de l’auteur.
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Freud fait allusion aux phénomènes les plus communs et les plus familiers que nous posent les énigmes de la vie psychique (XXXIIe Conférence, 1932, SE, XXII, 81).
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Au moment d’aller sous presse j’apprends que Tustin ne souhaite pas que l’on traduise shape par forme.
1J’ai choisi d’aborder le thème de la représentation de l’affect pour essayer de reprendre certaines des idées que j’avais émises à ce propos et pour évaluer non seulement les rapports de la représentation et de l’affect mais la fonction représentative de l’affect, à savoir si on peut attribuer à l’affect une fonction de représentation et comment cette fonction de représentation peut prendre place dans notre conception du psychisme.
2Je continue à rester fidèle à l’observation de Freud que j’ai mise en exergue de mon travail Le discours vivant. Il écrit : « La difficulté ne consiste pas dans la nature abstruse des spéculations auxquelles ils donnent naissance [2]; les considérations spéculatives ont peu de part en la matière, mais c’est vraiment une question de conception, c’est-à-dire d’introduction des idées abstraites justes dont l’application apportera ordre et clarté au matériel brut de l’observation. »
3Je ne sais pas si je réussirai à apporter plus d’ordre et de clarté, mais je suis convaincu que c’est en effet une question de conceptions tant il est difficile de définir la nature de l’affect et de situer sa place dans l’inconscient. C’est dans la mise en œuvre de modes de pensée qui soient assez éloignés de la conscience et des rationalisations de la conscience que réside la véritable difficulté.
4Il ne s’agit plus pour moi de m’arrêter à ce qui a été le point d’aboutissement du travail que j’avais fait autrefois, soit à distribuer l’affect en deux catégories, l’une intégrée à la chaîne des représentations, et qui aurait dans ce cas une valeur de signal, l’autre, facteur de désorganisation traumatique, ce qui reprend les deux formes de l’angoisse que Freud décrit dans Inhibition, symptôme, angoisse. Je voudrais tenter une interrogation qui soit plus en profondeur. Il faut cependant que nous prenions conscience que toute réflexion sur la représentation doit partir de l’idée que l’œuvre freudienne est notre représentation. Elle est notre représentation car nous opérons sur elle exactement le même travail que la représentation par rapport aux impressions des sens ; nous la faisons constamment dériver dans des systèmes théoriques postfreudiens ; et nous sommes toujours obligés d’y revenir comme si elle était à la fois l’objet inconnu référentiel et le point de départ de la dérive comme la représentation elle-même.
5Mais si on prend ceci au sérieux, il faut que nous nous étonnions d’un constat. Plus précisément du fait que les rapports de la représentation et de l’affect font l’objet d’une réflexion approfondie sur une courte période de l’œuvre de Freud essentiellement dans la Métapsychologie. Cette réflexion se poursuit jusqu’au seuil du Moi et du Ça. Je dis au seuil du Moi et du Ça parce que Freud va s’en détourner au cours de cet ouvrage. Toute la partie terminale de l’œuvre de Freud montre plus qu’une négligence, je dirais un dédain de ce problème, alors même qu’il est fait de plus en plus fréquemment allusion à l’affect comme phénomène.
6Nous savons que ceci a frappé les commentateurs de Freud. Quand on compare les définitions que Freud donne de l’inconscient et celles qu’il donne du Ça, on retrouve un certain nombre d’éléments qui sont communs, mais on est frappé de certaines omissions. Ce sont non seulement des omissions, mais des prises de position. Ainsi quand Freud affirme qu’ « il n’y a aucune notion de contenu dans le Ça », c’est-à-dire, par voie de conséquence, aucune notion de représentation au sens du représentant-représentation.
7Comment s’expliquer cela ? Je suppose qu’à un certain moment du parcours de son œuvre théorique Freud n’a plus eu besoin de situer le problème de l’inconscient par rapport à la conscience. Or, le problème de la représentation se posait essentiellement pour lui par rapport à ses relations avec ce qu’était l’activité consciente. Tout se passe comme si Freud est maintenant, je ne sais pas s’il faut dire sûr de lui, mais en tout cas décidé à tourner le dos à cette question du rapport de l’inconscient à la conscience. Il faut bien reconnaître qu’il se débarrasse du problème de l’inconscient, si choquant que cela puisse paraître à nos oreilles aujourd’hui, lorsque l’inconscient n’est plus une qualité psychique, ce qui est avancé dans l’Abrégé de psychanalyse.
8Alors la question peut-être se déplace et, même si nous conservons la référence à l’inconscient, celle-ci ne peut plus se poser en termes de contenu, notion tout à fait insuffisante à cerner la nature de ce qui est visé, aussi bien par rapport à l’inconscient que par rapport au Ça.
9Le passage à la deuxième topique est contemporain d’un effacement du rôle des représentations et d’une inclination toujours plus marquée à invoquer la motion pulsionnelle.
10Je vais prendre pour exemple une citation de « Constructions dans l’analyse », car si nous devons repenser la représentation nous devons le faire dans les termes dans lesquels Freud le laisse entendre dans ce texte. Il écrit :
Quel matériau met-il [le patient] à notre disposition dont, l’exploitation nous permette de l’engager sur le chemin des souvenirs perdus ? Différentes choses : des fragments de ces souvenirs dans des rêves en eux-mêmes d’une valeur incomparable, mais souvent pourtant déformés par tous les facteurs qui participaient à la formation du rêve, des idées subites qui émergent lorsqu’il se laisse aller à l’« association libre » et dans lesquelles nous pouvons reconnaître des allusions aux expériences refoulées ainsi que des rejetons à la fois des motions affectives réprimées et des réactions contre elles ; finalement des indices de la répétition des affects appartenant au refoulé, apparaissant dans des actions plus ou moins importantes du patient, à l’intérieur comme à l’extérieur de la situation analytique. Nous avons appris que la relation de transfert qui s’établit avec l’analyste est spécialement favorable au retour de telles relations affectives. À partir de cette matière première pour ainsi dire, il nous appartient de restituer ce que nous souhaitons obtenir.
12Ici les références à la représentation sont allusives, puisqu’il s’agit des souvenirs et des idées qui surgissent en séance. Par contre la référence à l’affect y est triplement répétée. Ceci ne signifie pas du tout que je vais à mon tour, comme Freud, essayer de me distancer de la représentation, au contraire. Simplement, je dirai qu’il s’agira de voir en quoi le problème a changé de nature par rapport aux notions défendues en 1915.
13Freud observe que ce qui fait issue dans le matériel comporte en même temps ce qu’il y a de plus ancien, ce qu’il y a de moins figurable, et les réactions contraires qui lui sont associées. Trait caractéristique de l’affect : il peut exprimer en même temps que le mouvement de la pulsion la réaction suscitée par ce mouvement en sens contraire.
14Dans l’histoire de la psychanalyse il y a eu détournement à l’égard de la représentation, en particulier sous l’influence de l’École anglaise où il est apparu que la notion de relation d’objet était somme toute beaucoup plus commode pour l’analyste. La question est de savoir pourquoi la représentation est revenue au premier plan. C’est, je le crois, grâce aux travaux des psychosomaticiens. C’est à propos de la notion de fonctionnement mental que la question de la représentation a connu un regain d’intérêt. La question ne porte plus seulement sur la présence ou l’absence des représentations, mais sur leur valeur fonctionnelle pour l’appareil psychique. Et c’est cela qui légitime notre réflexion parce qu’il s’agit là d’évaluer notre propre travail psychanalytique lorsqu’il s’attache à la représentation et à la conception que nous nous en faisons.
15Avant d’aller plus loin il faut revenir sur la position freudienne de 1915. En effet, comme Alain Gibeault l’a rappelé et comme tous les commentateurs de Freud le rappellent, il y a là un coup de force tout à fait extraordinaire à soutenir l’hypothèse de la dissociation de l’affect et de la représentation, et la possibilité de destins séparés, de l’un et de l’autre. Cependant, puisque ce qui nous intéresse aujourd’hui c’est la représentation de la représentation au niveau du langage théorique, nous voyons là Freud employer un double langage. C’est-à-dire que lorsqu’il parle de la représentation, il la traite selon la tradition philosophique, alors que lorsqu’il traite de l’affect il utilise un langage différent.
16La représentation est traitée sous le double aspect qui est celui de la pensée philosophique, à savoir de la reproduction de quelque chose et du remplacement : reproduction et remplacement. Mais, évidemment, ce qu’il y ajoute, et Alain Gibeault l’a dit ce matin, c’est qu’il y a là un processus associatif, ce qu’une école philosophique particulière qui est l’associationnisme avait déjà défendu. Freud reprend cet associationnisme mais, somme toute, pour défendre la position inverse de l’associationnisme. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de savoir comment les représentations s’agrègent, mais préalablement comment elles se désagrègent pour se réagréger. L’associationnisme, lui, ne conçoit qu’une démarche cumulative où on peut dire que l’association s’enrichit sans cesse. En revanche, quand Freud parle de l’affect, il emploie un langage physiologique, en termes non seulement d’énergétique mais aussi d’innervation corporelle. C’est-à-dire que Freud ne réserve pas le même traitement à ces deux composantes en fonction de leur rapport avec les traces mnésiques. On le sait, il affirme que l’affect est un processus de décharge alors que les représentations, elles, ont affaire à des traces mnésiques. Mais, dès ce moment-là, on voit Freud en butte à la difficulté de concevoir l’existence, la forme dirai-je, de l’affect inconscient. C’est un problème qu’il n’a résolu qu’en 1923 ; mais jusque-là Freud est entravé par un préjugé à la fois philosophique et psychologique. À quoi cela tient-il ?
17Cela tient justement au fait que dans son esprit, jusqu’en 1915, la question de la représentation inconsciente est purement et simplement liée à sa disparition de la conscience et qu’il ne s’agit pour lui que de retrouver la représentation manquante au sein d’une suite de représentations conscientes, ce qui est bien entendu ce que tend à favoriser l’association libre. Ce qui est important à remarquer est que, jusqu’en 1915 au moins, la représentation ne change pas de nature parce qu’elle est inconsciente. Elle existe simplement à l’état de représentation disparue, d’où à ce moment-là les difficultés qu’il a à expliquer ce qu’est l’inconscient sans tomber dans le piège de l’hypothèse d’une autre conscience. Mais le fait est que la représentation ne change pas de nature par rapport à la représentation consciente parce qu’elle est topiquement liée à l’inconscient. Suivent là les discussions sur la question de l’hypothèse fonctionnelle et l’hypothèse économique, le changement de statut, ou l’inscription dans deux registres différents. En tout état de cause, il y a persistance de la représentation dans l’inconscient.
18Pour l’affect, la solution qu’il propose nous paraît à première vue plus insatisfaisante et en y réfléchissant plus profondément, elle me paraît d’une force extraordinaire. Freud envisageant les divers destins du facteur quantitatif du représentant pulsionnel, sous l’effet du refoulement, considère la possibilité d’une répression drastique de la pulsion puisqu’il dit qu’il peut ne plus exister de trace d’elle. Ici, nous sommes tentés de penser que Freud fait allusion au représentant-représentation. Je ne le crois pas du tout. Je crois que Freud veut parler là d’un phénomène beaucoup plus définitif d’éradication du représentant de la pulsion, c’est-à-dire du représentant le plus inchoatif, le plus inaugural de la pulsion. Je rattacherais volontiers ce qui est en question ici avec quelque chose qui m’a toujours paru énigmatique, qui apparaît dans ce titre étrange en 1926 Inhibition, symptôme, angoisse. C’est un ajout à peine esquissé par rapport à la réflexion métapsychologique de 1915 : l’entrée en jeu de l’inhibition là où l’érotisation excessive d’une fonction entraîne pour réponse une amputation du Moi qui s’accompagne en sourdine d’extinction de l’activité pulsionnelle. Ceci est à mon avis déjà en germe lorsque Freud parle de ce destin de l’affect.
19D’autres problèmes se posent à nous aujourd’hui à propos des rapports entre affect et représentation. Une première question concerne les dédoublements au sein du système représentatif. C’est-à-dire que la représentation est un redoublement ; en elle-même, la représentation de chose est un redoublement. Or, il y a dans le système représentatif redoublement du redoublement dans la mesure où le système des représentations de choses est relayé, accompagné ou repris par le système des représentations de mots. L’affect, lui, ne dispose que d’un seul système d’expression. Deuxième point qui constitue une différence majeure : le couplage représentation-perception fait apparaître la dimension du leurre et du doute. Toute l’œuvre de Freud, au début, est hantée par la distinction entre perception comme garantie objective de la réalité et représentation comme effet de tromperie qui risque de porter dommage à l’appareil psychique. Donc le problème du leurre, de l’existence ou de l’inexistence, du jugement d’existence ou d’inexistence, n’est absolument pas concevable ni posable en termes d’affect. L’affect ne soulève jamais la question du doute de son existence. Ce qui veut dire que je puis, devant un affect qui pose les problèmes de son traitement, de son intégration à l’appareil psychique, ou recourir à l’extinction affective, ou au renversement dans un affect contraire, ou à la projection sur l’autre (il y a d’autres solutions que j’indiquerai un peu plus tard), mais même si je m’interroge sur la nature véritable de mes sentiments, leur existence n’est pas mise en question, car cela reviendrait à mettre en doute mon existence même. Donc ni double relayage, ni leurre.
20Enfin, il y a une troisième caractéristique différentielle et qui me paraît de la plus haute importance : la représentation ne joue que dans l’absence, dans la présence prévaut l’activité de perception. La représentation suppose l’évocation par non-perception avec mise entre parenthèses du pôle perceptif. Toute l’analyse se fonde sur la constance du cadre pour que se lèvent les représentations. L’affect, lui, est à l’œuvre dans les deux cas ; dans la présence et dans l’absence.
21Pourquoi cet état de la représentation en 1915 sera-t-il négligé par Freud par la suite ? Parce que petit à petit, et déjà en 1915, il y a échec de la problématique perception-représentation. Puisque quand Freud recherche les critères garantissant la perception de la réalité dans la Métapsychologie, à propos du complément métapsychologique de la théorie des rêves, il est forcé de capituler. Cette capitulation c’est l’épreuve de la réalité. Autrement dit, la problématique perception représentation ne peut se fonder sur de seules différences fonctionnelles et Freud est obligé d’introduire ici un a priori qui est l’épreuve de la réalité. Dès lors, la problématique perception-représentation perd beaucoup de son intérêt. Mais ceci se complique puisque l’épreuve de la réalité ne fonctionne pas automatiquement et sans défaillance. L’exemple de la psychose est là pour nous le montrer. Il peut y avoir refoulement de la réalité et mise en échec de l’épreuve de la réalité. Même lorsque n’existe pas de désorganisation majeure du Moi, autre possibilité, la perception peut très bien enregistrer la réalité et pour autant ne se conformer nullement à ses exigences ou se soumettre à elle, c’est l’expérience du clivage dans le fétichisme.
22Il n’y a donc plus qu’intérêt limité à envisager les choses par rapport à la représentation.
23Peut-on dire encore que le système des traces mnésiques, la référence à la trace mnésique, va conserver tout de même une solidité dans la mesure où cela met en jeu la mémoire ? On trouve dans l’Introduction à la psychanalyse un commentaire de Freud sur les affects disant que les affects font partie d’un système de traces mnésiques, auquel il assigne une origine phylogénétique, résidus d’anciens actes bien adaptés qui auraient été intériorisés. Si bien que la vraie opposition n’est donc pas entre une perspective historique qui serait réservée à la représentation et quelque chose de l’ordre de l’immédiateté qui serait de l’ordre de l’affect, mais plutôt au développement de deux histoires. Je dirai une histoire monnayable par la représentation et une histoire compacte, car il est vraisemblable que derrière ces expériences phylogénétiques Freud fait allusion à des expériences individuelles primaires. C’est également dans l’Introduction à la psychanalyse que se trouve la définition la plus intéressante, et celle qui, à mon avis, est capable de nous sortir de nos mécanismes de pensée habituels, en ce qui concerne l’affect. Il y affirme que les affects ne sont pas du tout des choses élémentaires, mais au contraire des produits extrêmement composites et faisant intervenir divers facteurs. Ils consistent en :
- des processus d’innervation et de décharge ;
- des sensations, ces sensations étant elles-mêmes distinguées en perception du mouvement lors de la mise en œuvre de l’affect et les sensations directes et qualitativement distinctes de plaisir et de déplaisir.
24Cette construction-là est importante ; pourquoi ? Parce que si avec Freud nous continuons à penser que les phénomènes inconscients sont dépourvus de qualité, et si les représentations à ce moment-là sont des expressions de ce que l’on appelle la pensée, mais d’une pensée dépourvue de qualité, l’affect, lui, va au niveau inconscient se manifester par le couple innervation-perception de mouvement, puisque nous avons retiré la qualité. Nous l’avons retirée parce que Freud distingue au niveau des sensations, perception du mouvement et sensations directes, et qualitativement distinctes, de plaisir-déplaisir ; il reste donc la perception du mouvement. Et c’est à mon avis ce qui paraît donner toute sa force à la motion pulsionnelle, dans la mesure où elle ne peut exclure la référence au mouvement et qui est, je crois, ce que la théorie de la représentation de 1915 essayait de relativiser.
25Dans la Métapsychologie, ce qui importe à Freud au moment où il examine les avatars du refoulement, c’est de distinguer deux temps :
- le premier qu’il appelle celui de la formation du substitut, et
- le deuxième qui est celui de la formation du symptôme.
26Avec la formation du substitut, Freud fait jouer à la représentation tout son rôle par le déplacement. Prenons l’exemple de l’Homme aux loups, il dit que, lorsque le représentant de la pulsion s’est porté sur le loup, le déplacement est effectué, il y a formation du substitut et cela permet d’avoir des rapports tout à fait tranquilles avec le père. Le quantum d’affect s’est transformé en angoisse. Enfin, dans un deuxième temps, il y a formation du symptôme : la phobie.
27Cependant, lorsqu’il aborde l’hystérie, le substitut ici sera une innervation corporelle et la formation du substitut va coïncider avec la formation du symptôme. Là les deux temps sont réunis en un seul. Autrement dit, si au point de vue des mécanismes de pensée de la conscience nous lions aisément la notion de représentant représentative de la pulsion à l’idée de substitut, nous sommes là en conformité avec nos habitudes de pensée consciente et nous ne sommes pas trop dérangés. Mais, ce que nous devons prendre en compte, c’est que pour Freud cette formation de substitut peut ne rien avoir affaire avec la représentation au sens classique du terme et être une innervation corporelle.
28Pourquoi est-ce que ceci pose un problème ? Parce que l’opération de substitution dans la représentation a une source tout à fait claire et cette source, c’est le monde extérieur. Freud le dit sans ambiguïté : « Toutes les représentations sont issues des perceptions ou dérivent d’elles. » Alors il nous paraît tout à fait normal que l’action de substitution de la représentation se réfère à cette transformation de la réalité qui vient de l’extérieur, dont le modèle est posé au-dehors. Nous n’avons pas de mal à admettre qu’il n’y a jamais reproduction exacte, mais toujours transformation par rapport à une source extérieure appréhendable. Mais qu’est-ce que cela devient lorsque l’opération de substitution porte sur quelque chose d’aussi impensable que la notion d’innervation corporelle ? Je crois qu’à ce moment-là nous devons concevoir les choses d’une façon différente de la manière dont nous les appréhendons intuitivement. On parle toujours d’affect en termes de complément, de connotation. On dit : il y a la représentation et puis il ne faut pas oublier l’affect qui l’accompagne. Mais qu’est-ce qui nous rend si sûrs que l’affect a ce rôle d’accompagnement ? Et pourquoi ne pas penser au contraire que la nature profonde de l’affect est d’être un événement psychique lié à un mouvement en attente d’une forme ? Une fois celle-ci trouvée, la dissociation entre l’affect et la représentation pourra avoir lieu. Mais de quoi dépend cette dissociation ? Freud nous dit : « La pulsion se détache de la représentation. » La représentation en elle-même n’a aucune autonomie, jamais il n’est dit : « La représentation se détache de la pulsion. »
29C’est-à-dire qu’ici sont prises en considération les questions d’investissement. Ce qu’on peut supposer à ce moment-là, c’est que ce détachement consiste effectivement dans le transfert d’une forme à une autre forme, ce dont l’occasion nous est constamment fournie par le monde extérieur. Ce dernier donne une alimentation permanente à l’affect pour pouvoir mobiliser une partie de son dynamisme dans des événements psychiques qui ont le pouvoir à la fois de constituer des pôles de fixation qui pourront être dissociés en des éléments plus élémentaires et ultérieurement recombinés.
30Alors la question que je pose est celle-ci : puisqu’il y a utilisation de la diversité, non pas appel des formes, mais invitation des formes à être captées par la pulsion au moyen de son représentant-affect, quel est le facteur unificateur ? Est-ce qu’il y a une unification spontanée ? Mon impression grandissante est que ce facteur d’unification spontanée ne peut pas exister ailleurs que dans le refoulement. Quand on lit ce que Freud dit du refoulement, ce dernier semble jouer le rôle d’un démon de Maxwell. Celui-ci ne se borne pas au contre-investissement, il procède également à la surveillance permanente du sens dans lequel se font les associations. Parfois sa vigilance est trompée, mais constamment ce travail associatif est placé sous l’œil du refoulement pour que jamais ce qui se réassocie ne puisse créer à nouveau un trauma pour l’appareil psychique.
31Il n’y a plus aucun doute dans mon esprit en relisant le texte sur le Refoulement de 1915 qu’il est tout à fait nécessaire de distinguer le représentant psychique de la pulsion du représentant-représentation. Freud ne le précise pas toujours, mais il lui arrive de le faire. Quand il veut spécifier qu’il parle du représentant psychique de la pulsion en tant que représentant-représentation, il l’ajoute entre parenthèses. En lisant le texte de près, on a la vive impression, quand il parle du facteur quantitatif de la pulsion, qu’il fait allusion au mouvement qui anime le représentant psychique de la pulsion. Ceci nous pose un problème épistémologique extrêmement important qui est le suivant : lorsque nous parlons du représentant-représentation, la référence à un modèle, même si nous sommes incapables de dire quel est exactement ce modèle (je fais allusion à la perception comme source de la représentation), est présente. Il n’est pas du tout essentiel de savoir ce qu’est exactement le contenu de la perception lorsqu’on met la représentation en rapport avec celle-ci. Ce qui est important épistémologiquement, c’est de savoir qu’il y a une référence à du perçu. Par contre, lorsque nous prenons la définition de Freud de la pulsion, et que nous lisons :
Le concept de pulsion nous apparaît comme un concept limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations issues de l’intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l’exigence de travail qui est imposée au psychique en conséquence de sa liaison au corporel,
33nous avons affaire à un statut épistémologique de la représentation complètement différent, en ce sens qu’il n’y a pas de modèle. Le représentant psychique des excitations issues de l’intérieur du corps et parvenant au psychisme, ça n’est en rien représentable. Autrement dit, nous nous trouvons devant une conception de la représentation, et là la pensée de Freud est révolutionnaire, sans aucune référence à ce qui est représenté, car les excitations psychiques issues de l’intérieur du corps ne peuvent être l’objet d’aucune représentation. Dans le système de pensée de Freud, il y a peut-être une différence entre une représentation « de » et une représentation « pour ». Ce que je veux dire, c’est que la fonction de représentation « pour » ne se situe pas par rapport à quelque chose qui lui est extérieur et certainement pas par rapport à une forme, c’est une fonction de délégation qui ne se révélera peut-être à elle-même que par la rencontre avec une forme. Vous remarquerez d’ailleurs que, dans cette définition de la pulsion, Freud installe là, je dirai un peu plus qu’un dualisme ; il n’y a pas simplement le concept limite entre le corps et l’esprit, il y a une figuration implicite de ce qu’il appelle l’esprit, comme si on parlait à un autre. La part esprit de la définition de la pulsion, c’est comme si le corps s’adressait à quelqu’un d’autre à l’intérieur même de la structure psychique.
34Le point où je veux en venir et qui n’apparaît peut-être pas tout à fait clairement, c’est que la question du représentant-affect est liée à l’identification. Si on considère le représentant-représentation comme issu du monde extérieur, on doit situer le représentant-affect au niveau de l’induction affective de l’autre. La pulsion comme force spontanée, ignorante d’elle-même, ne peut venir à l’existence et à une manifestation pensable que par l’intervention d’une médiation. Cette médiation c’est l’autre, c’est la représentation, mais cette médiation peut aussi prendre le circuit de l’identification. On s’est référé ce matin à « Deuil et mélancolie » où Freud parle de l’identification primaire et de sa relation à l’objet perdu. Il est évident que là il ne s’agit plus du tout de représentation. Dans le cas de la mélancolie, Freud est soucieux de faire la distinction entre représentation et identification quand il s’interroge :
Quelle partie des processus psychiques de cette affection se joue encore sur les investissements d’objets inconscients laissés vacants et quelle partie sur leur substitut par identification dans le Moi ?
36Le fait que là le Moi ait la possibilité de s’identifier à l’objet perdu nous montre qu’il y a un traitement de l’autre qui consiste en son absorption par identification et qui se situe en dehors de la représentation, laquelle ne concerne que les investissements de l’objet qui ont été laissés en dehors de cette identification.
37Quand nous pensons maintenant aux formes très régressives auxquelles nous avons affaire dans l’analyse, nous constatons en effet que, à côté du mal que nous nous donnons pour l’interprétation des investissements d’objets, nous butons sur cette structure d’affect liée à une identification, qui ignore de quoi elle est identification. Je pense à ces patients qui vivent dans une sorte de réduit affectif inviolable, ce qu’ils appellent le trou noir. Nous mettons beaucoup de temps à comprendre que ce trou noir n’est pas seulement quelque chose qu’ils soustraient à l’investigation psychanalytique, il est l’espace dans lequel ils sont eux-mêmes enfermés, d’où il existe un danger énorme pour eux de sortir. Ce danger, c’est peut-être la perte d’un objet intérieur dont les rapports avec le narcissisme ne sont pas faciles à établir. Il ne s’agit manifestement pas du narcissisme primaire en tant que forme, il ne s’agit pas non plus d’auto-érotisme. Cela se rapproche de ce que Tustin décrit sous forme d’ « encapsulation ». Le sujet a l’impression d’un péril mortel pour lui de sortir de cet espace parce que, s’il sort de là, il a la crainte terrifiante que se libéreront en lui des objets qui vont l’attaquer de l’intérieur et que sa seule protection est de se trouver dans cette identification à un objet qui n’est pas nommable, où il s’emprisonne à l’intérieur de lui. En outre il exprime l’humiliation d’avoir besoin de l’autre. Ce sentiment est tout à fait fondamental, car il traduit un refus de la pulsion ; la peur de la pulsion n’est pas le refus de la pulsion. L’analyste est le témoin d’une sorte de déshabitation du corps par la pulsion. La pulsion n’habite plus le corps, mais elle ne peut pas disparaître pour autant. La pulsion est alors transférée sur l’autre. C’est l’autre qui dispose de la totalité de la pulsion. Et qui plus est, dans cette projection, la pulsion perd ses qualités lIbidinales pour devenir une pure puissance. C’est probablement un effet de la déliaison ; quand la pulsion est déliée, quand s’installe cette déshabitation du corps par la pulsion, cette pulsion ne peut qu’aller habiter, je ne sais s’il faut dire le fantasme de l’autre ou l’ombre de l’autre, car sans doute s’agit-il de quelque chose qui évoque vaguement une représentation, toutefois, à l’extrême, elle est sans forme et toute en puissance. La pulsion, nous ne pouvons pas la penser, nous sommes obligés d’avoir recours à des médiations ; au sens large ce sont les représentations. Nous ne pouvons travailler qu’à travers ces médiations, mais ce serait une grande erreur de confondre la médiation avec ce qui est médié. Nous sommes obligés actuellement de nous donner une figuration de la pulsion qui est différente des représentations que nous offre la théorisation courante. La pulsion m’apparaît de plus en plus comme une sorte de main psychique, dont un des destins les plus redoutables est ce qu’on a essayé de désigner sous la notion d’emprise. Dans ces cas où nous avons l’impression que les formes de la représentation ne s’investissent pas, le potentiel dynamique de la pulsion n’a pas pour but de prendre ce qui est l’activité même de la pulsion dans sa manifestation la plus fondamentale, mais d’empêcher l’autre de prendre, ce qui renverse sa visée.
38Dans la perspective de cette conception « préhensive » de la pulsion, les travaux de Tustin me sont apparus d’un grand intérêt. J’ai parfois des réticences à l’égard des théorisations sur l’enfant, mais je voudrais dire que ces travaux-là m’intéressent, non pas parce qu’ils définiraient quelque stade du développement, mais parce qu’ils ont le mérite dans la conceptualisation de l’analyste de faire apparaître les constituants. Si nous sommes à même de concevoir des constituants, nous pourrons mieux penser ce qui se transforme. Or, le constituant fait ressortir l’importance de la manipulation. Les enfants autistes sont créateurs de quelque chose qu’ils appellent des formes (shapes) [3]. Ces formes n’ont rien à voir avec la représentation des objets extérieurs ; ce sont des formes que ces enfants concoctent, dit Tustin, qu’ils transforment, qu’ils ne peuvent planifier et qu’elle considère comme asymboliques. Elle rattache ces formes à des hallucinations tactiles. Et en effet, ce qui paraît important, c’est la notion d’impression. Tustin, pour donner une idée de la fonction de ces formes, dit : « C’est comme si vous vous installiez dans un fauteuil, vous bougez puis vous vous levez, vous avez laissé une forme sur le fauteuil qui est cette impression » ; ces formes autistiques, ce sont des impressions. Elles ont pour fonction essentiellement de créer de l’éprouvé à partir de sensations corporelles. Ces sensations corporelles n’ont pas la qualité ordinaire des sensations corporelles, elles sont l’émanation d’un ressenti qui à la base est éprouvé comme substance corporelle, la séparation d’avec l’objet donnant l’éprouvé d’une perte de substance au niveau du corps.
39La notion de confusion me paraît d’une confusion totale. Car s’il y a confusion, pourquoi y a-t-il, au moment de la séparation, impression de perte ? Quand il y a confusion, il y a un état qui n’est sensible ni à l’addition, ni à la soustraction. Il doit s’agir de quelque chose de tout à fait différent. Il s’agit en effet de la différence. L’aspiration à tout prix à retrouver la sensation de contact s’accompagne d’une intolérance totale à l’asymétrie, à la contrariété, à ce qui ne colle pas tout à fait. Or, la représentation au sens habituel, c’est exactement le contraire : recourir à la représentation, c’est démontrer que dans la représentation ça ne colle pas tout à fait par rapport à la perception ou par rapport à l’objet du désir. Ces observations appellent une extension du champ de la représentation. Mais revenons aux formulations de la théorie freudienne.
40Au niveau de la conscience, le redoublement est opéré puisque nous avons la représentation de mot et la représentation de chose. Au niveau de l’inconscient, où est le redoublement ? Il n’y a que la représentation de chose seule. Est-ce que c’est la chose qui vient là en redoublement ? Non. Je crois que c’est l’affect qui est le redoublement de la représentation de chose, de la représentation d’objet. Et finalement, qu’est-ce que l’affect, de quoi est-il le représentant ? Pour répondre à la question, il faut se tourner vers la partie tout à fait terminale de l’œuvre de Freud, à quoi nous faisons rarement allusion comme si nous n’osions pas en parler. C’est-à-dire de la théorie des pulsions qui transforme les pulsions sexuelles en pulsions de vie. C’est pourtant au moment où Freud donne le plus grand champ à la pulsion sexuelle, où il lui intègre tout : les pulsions d’autoconservation, le narcissisme et les pulsions objectales, qu’il ajoute un en plus qu’il appelle Éros ou pulsions de vie. Et comment concevoir le rapport entre ces deux formulations ? Dans l’Abrégé de psychanalyse, il conclut le chapitre sur la théorie des pulsions sur cette remarque :
Ce qui nous a surtout permis de connaître l’Éros et, partant ce qui lui sert d’indice, la lIbido, c’est l’étude de la fonction sexuelle qui pour le public sinon dans nos théories scientifiques, se confond avec l’Éros.
42L’affect ne serait-il pas ce représentant de la pulsion de vie dans la fonction sexuelle ?
43Je vais terminer par quelques remarques générales.
44Si l’on peut considérer que la psychanalyse, par son mode de pensée, bouleverse la tradition, c’est sans doute parce qu’elle nous oblige à concevoir la causalité d’une manière qui déborde nos capacités de raisonnement et même celles des psychanalystes. Alors que nous sommes habitués à commencer par poser les bonnes questions pour trouver les réponses qui leur correspondent, l’expérience psychanalytique nous oblige à procéder autrement. Soit à devoir comprendre que nous avons d’abord affaire non à des énigmes mais à des réponses avant toute question. Ces réponses sont des solutions à des questions que nous ne sommes pas capables de concevoir et dont la formulation échappe à notre entendement. Ceci parce que notre manière de poser des questions est toujours dans l’au-delà de la réponse à laquelle nous avons été confrontés, c’est-à- dire à un commencement de l’interrogation qui occulte le caractère de réponse à ce qui se présente à nous comme une énigme de départ.
45Autrement dit, nous faisons commencer la question au niveau de ce qui est déjà une réponse et parce que nous sommes incapables de penser l’ordre des faits qui a déterminé la réponse originaire, toute la suite des questions et des réponses qui seront données à celles-ci laisse en suspens une interrogation.
46En quoi ces questions formulées et les réponses qu’elles auraient entraînées nous informent-elles sur la question implicite, informulée, et peut-être informulable, du phénomène pris comme point de départ considéré comme une réponse ? Il me semble qu’il est trop facile de ne voir dans la suite des questions et des réponses qu’un leurre, une sorte d’utopie, d’écran. Je considérerai plutôt que les axes, les nervures, les choix sélectifs de tout système de questions et des réponses a posteriori ont pour fonction de rendre manifeste le caractère de réponse a priori du phénomène considéré et à voir en lui comment il rend la question possible. Donc, à considérer rétroactivement la question initiale comme un impossible à trouver une réponse qui a quand même lieu. Autrement dit, à toujours voir dans le phénomène premier baptisé par moi du nom de réponse, un caractère transgressif. La question ainsi recouverte nous conduira à penser la pensée, non comme questionnement, mais comme résultat d’une transgression. Je ne pense pas ici à la notion d’interdit, mais davantage à celle de limite, ce qui est là, ce qui existe et m’interroge, n’est là que parce qu’il n’a pas pu rester à sa place. Cela se confond alors avec le mouvement d’investissement de la vie, non pas seulement « Wo es war soll ich werden », mais « Si j’adviens, où était-ce ? ». Là où je ne pouvais être qu’en me représentant. Ce cercle infernal vient du fait qu’on peut tout questionner, sauf ma vie elle-même.
47C’est pourquoi la sexualité nous échappe dans sa dimension de réponse de la vie et c’est à son sujet que nous nous interrogeons sur son retentissement sur tout ce qui n’est pas elle, ou sur ce qui en elle se déplace, rencontre des obstacles, se subvertit, se transforme. Un psychanalyste ne se pose pas de questions pour savoir pourquoi elle est là, la sexualité, ou si elle pourrait ne pas être. Et c’est là que nous oublions quel est notre seul abord possible de la vie, parce qu’elle seule lie les formes que prennent à la fois la spontanéité la plus fondamentale de l’être et la nécessité de son couplage avec un autre qui est condition du maintien dans l’existence. Et c’est sans doute aussi parce qu’il n’y a pas de sens à aller tout droit à la question originaire du pourquoi, comment la vie, sans disposer d’une médiation ou d’un fil que l’on tirerait d’un écheveau embrouillé. Est-il bien sûr que nous ayons tiré le bon fil ? On a le droit d’en douter. D’autres se sont proposés : la réalité, la pensée, Dieu, etc. D’où vient que nous tenions le nôtre pour le plus efficace ? C’est qu’avec la sexualité humaine comme indice des pulsions de vie, jamais cet indice ne recouvrira entièrement ce qu’il est supposé représenter. Car ce que dit la sexualité est que du point de vue de la vie humaine nous ne sommes jamais qu’une moitié de celle-ci, marquée par la différence sexuelle. Il y manque un indice de la pulsion de vie, la vie d’un autre.
48Et pourtant la sexualité ne perd rien de sa fonction d’indice, c’est-à- dire de ce qui est supposé rendre compte de la vie tout entière. C’est alors que l’on comprend que la suite des questions et des réponses sur les arrêts, les obstacles, les détournements, les déviations, les extinctions, les effusions de la pulsion sexuelle sont les réponses à partir desquelles nous élaborons nos premières questions pensables, et les réponses que nous croyons devoir leur apporter.
49Quant aux questions que nous ne pouvons pas formuler à partir de leur statut de réponses premières, il ne suffit pas de dire que la cause résiderait dans l’obscurité, le magma, l’incernable de la vie. Ce n’est encore là qu’une partie du mystère. Ce qui manque à la formulation de cette question, c’est bien le lien fondamental qui lie la pulsion sexuelle à son objet dont nous devons nous contenter, au mieux, d’une représentation. Représentation de l’autre, représentation même de la sexualité de cet autre qui vient si miraculeusement épouser pour le meilleur et pour le pire les formes du sujet qui se révèlent à cette rencontre.
50Si la conjonction des deux indices nous laisse entrevoir au moyen de la représentation de l’un d’eux ce que peut être la vie de l’un, nous resterons totalement dans l’obscurité sur ce qu’est la vie de l’autre. C’est-à-dire que la question de la vie nous demeurera toujours inconnue si son indice, la sexualité, nous apprend qu’elle implique toujours un autre dont nous ne connaissons que les réponses sans pouvoir dire de quoi elles sont la question.
Notes
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[*]
Texte paru une première fois dans la Revue française de psychnalyse, 1985, 49, pp. 773-788. Transcription d’une présentation orale au Colloque de la SPP, Deauville 1985.
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[1]
Transcription de la présentation orale de l’auteur.
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[2]
Freud fait allusion aux phénomènes les plus communs et les plus familiers que nous posent les énigmes de la vie psychique (XXXIIe Conférence, 1932, SE, XXII, 81).
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[3]
Au moment d’aller sous presse j’apprends que Tustin ne souhaite pas que l’on traduise shape par forme.