Notes
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[1]
Dans un moment de séparation d’avec « l’ami » migraineux.
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[2]
Angélique est en train de changer d’appartement. Elle quitte celui donné par ses parents après son divorce, elle y vit depuis trente ans.
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[3]
Signalons, sans pouvoir le développer ici – pour ne pas égarer les lecteurs dans trop de pistes différentes (et bien que ce « trop de pistes » soit un des aspects du fonctionnement de la patiente) –, que la place de la sensibilité esthétique et celle de la pulsion épistémophilique sont pour Donald Meltzer en lien étroit avec les constructions psychiques autour du claustrum (et donc de la claustrophobie). Voir Danielle Kaswin-Bonnefond (2003), « De l’appréhension de la beauté au claustrum : réflexions sur le conflit esthétique chez D. Meltzer », in Revue française de psychanalyse, vol. 67, no 2, p. 441-460.
-
[4]
Voir l’article de P. Marty dans ce même numéro, p. 7.
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[5]
L’Heureux-Lebeuf D. (1998), « Interruptions et reprises : à propos des maladies somatiques à crises », in Revue française de psychosomatique, Paris, PUF, n°13, p.11-29.
-
[6]
« Le déplacement érotique vers l’intelligence est un phénomène post-œdipien », dit P. Marty dans son article princeps sur les céphalalgies, p. 36.
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[7]
Ibid.
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[8]
Marty P. (1990), La Psychosomatique de l’adulte, Paris, PUF, « Que sais-je ? ».
1Le « pourquoi », le « pour qui » et le « comment » de la migraine restent en définitive relativement mystérieux. C’est une souffrance dont, habituellement, les sujets porteurs parlent peu, malgré sa fréquente chronicité. Ceux qui en parlent en ont souvent chacun une compréhension différente, quand compréhension il y a.
2La présentation clinique de « La reine offensée » tient compte de cette large part d’inconnu, en proposant un matériel au plus près de l’observation, sans « lisser » les contradictions qu’il semble contenir, ni forcer un fil conducteur difficilement repérable. C’est dire également là qu’un élément organisateur du fonctionnement psychique de la patiente en est absent, celui d’une névrose bien mentalisée selon la conception de Pierre Marty. Une organisation où les tentatives vers une construction stable échouent, faute du rôle qu’aurait dû y jouer le refoulement, « remplacé » ici par d’importants mécanismes de répression. La multiplicité, voire la richesse des niveaux et mécanismes de défense concernés témoignent de ce fonctionnement en mode de « tentatives », tentatives auxquelles répond en écho transférentiel cette présentation où les questions l’emportent sur les certitudes.
3Dans ce contexte, et c’est mon hypothèse principale, la ou les migraines tiennent lieu de liant « fixateur » du fonctionnement d’Angélique en même temps que de repli protecteur de la réalité. À ce titre, elles peuvent être vécues par elle comme indispensables à conserver.
ANGÉLIQUE
4Quand j’ouvre la porte de mon cabinet à Angélique, je pense « voilà la reine offensée ». Il faut dire que si j’ouvre rapidement après l’avoir laissée monter à pied mes trois étages, sa claustrophobie l’empêchant de prendre l’ascenseur, je vois sur son visage un « vous pourriez me laisser le temps d’arriver ». Si je tarde de quelques secondes en la laissant arriver sur le palier, c’est avec l’exaspération affichée d’une « reine offensée » – « j’ai failli attendre » – qu’elle accepte mon invitation à entrer. Nous sommes d’emblée ici sur un registre à dominante narcissique, sur fond de reproches très installés dans la relation.
5Angélique est venue me voir il y a plusieurs années pour un mal de vivre vague et pesant, des ruminations tristes, des difficultés dans sa vie amoureuse, un état dépressif latent et installé. Elle avait trente-cinq ans. La question d’avoir un enfant se posait en filigrane, plus en réponse à ma question qu’à la sienne. Elle parlait peu à l’époque de ses migraines, dont la régularité et la violence se sont confirmées entre les deux moments de sa psychanalyse, ainsi plus présentes au cours de la deuxième étape. Je la voyais deux fois par semaine, assise « de trois quarts » sur le divan. Au bout de cinq-six ans, elle s’est sentie suffisamment « grande » pour fonctionner seule, nous nous sommes quittées dans un bon accord réciproque.
6 C’est après la mort de son père qu’elle revient treize ans plus tard, dans un état franchement mélancolique. Trois années ont été nécessaires pour que la vie reprenne progressivement. C’est là que nous en sommes, après deux années à deux séances par semaine, une actuellement. La situation est celle d’une mise en place de fin d’analyse modulée, mais sans doute encore lointaine.
L’HISTOIRE D’ANGÉLIQUE
7C’est d’abord l’histoire de deux sœurs.
8Angélique est la première enfant d’un couple aux trajets déjà compliqués précédant leur rencontre, et probablement toujours présents : rupture amoureuse inconsolable et avortement chez la mère, mystères jamais élucidés chez le père, avec un fils peut-être reconnu mais caché, dont la patiente ne connaîtra jamais tout à fait la réalité. Naît une deuxième fille lorsqu’Angélique a deux ans, et sa vie bascule à jamais. C’est l’arrêt brutal d’un paradis perdu : Angélique est envoyée chez ses grands-parents maternels quelques mois avant la naissance et revient un jour de Noël pour trouver le bébé « à sa place ». De plus, ce bébé ne cesse de hurler pendant... tout son développement, jusqu’à l’adolescence semble-t-il, mobilisant les parents en permanence. La famille est alors « coupée en deux : mon père et moi, ma mère et ma sœur ». Les deux sœurs partagent le même lit pendant toute leur enfance, la grande doit veiller sur la petite jusqu’à ses quinze ans.
9Angélique choisit très rapidement la voie de l’enfant sage, « qui ne pose aucun problème », silencieuse, bonne élève, ordonnée, propre, obéissante : l’anti-petite sœur. Un système de forte répression de ses mouvements spontanés, besoins et pulsions, se met en place de façon serrée.
10On mesure le gâchis de ce choix en écoutant sa qualité de fonction-nement : sensible, imaginative, dotée d’un humour plein de finesse, capable d’espièglerie, l’esprit toujours en éveil. Elle est touchante, et avec moi complice, très réactive, dans un mode de relation qui pourrait évoquer par certains aspects la « personnalité allergique » de Marty, fusionnel (mais pas confus), très sensible aux séparations, mais en même temps intellectuellement distancié. Tout mon accompagnement est revu par elle à l’aune de ses besoins, et, si je peux dire, elle ne me rate pas.
11Angélique a un visage rond et fin de petite fille décidée à ne pas grandir, la même coiffure depuis toujours : frange et cheveux mi-longs. Jusqu’à la mort de son père, elle se montre coquette, attentive dans ses choix de vêtements et accessoires. Aujourd’hui, elle fait penser en fait à une vieille petite fille, sans plus jamais de bagues ou de bracelets montrés en séance (« Vous avez-vu ? » me disait-elle souvent), jusqu’à une période très récente. Il faut dire cependant que, sauf dans sa période mélancolique qu’a suivi un long temps de dépression, d’une manière bien cachée sous ses airs de pensionnaire, elle rend sensible un érotisme à fleur de peau, qui s’actualise aujourd’hui et la rend plus vivante.
12Elle a de fait renoncé au projet d’enfant au terme de sa première analyse, consciente de son ambivalence comme du fait que l’enfant dont elle ne cesse s’occuper, c’est elle. « Je ne peux pas faire naître un enfant pour qu’il revive la même chose que moi. »
13La mère d’Angélique était à l’évidence une mère déprimée, dépression à laquelle les cris du bébé-sœur tentaient sans doute de résister. Cette dépression ne semble pas avoir été aussi présente à la naissance d’Angélique, enfant désirée et fêtée. Cette femme restait-elle « attachée » à son premier amour perdu ? Le « fils » caché du père a-t-il créé chez cette mère un fort désir de garçon ? Angélique décrit sa sœur enfant comme un vrai « garçon manqué », face auquel sa position de petite-fille-sage répondait, elle aussi, directement.
14Le père était un absent silencieux, absorbé par son monde secret. « Il ne parlait pas, ma mère parlait tout le temps, pour ne rien dire, que des banalités, et surtout pour se plaindre, de tout. » Jusqu’à l’adolescence d’Angélique, où son père s’intéresse à son corps devenant femme. Après plusieurs allusions floues, elle me dit un jour, très tardivement au cours de sa première analyse : « Il me caressait les jambes, jusque sous ma robe, quand j’étais assise à côté de lui. Je ne vous l’ai jamais dit ? » (« Que se passait-il en vous ? ») « Ça me plaisait, parce que je sentais que ma mère n’était pas contente ; je ne disais rien, elle non plus. Mais en même temps j’étais un peu mal à l’aise, je pensais qu’il n’aurait pas dû faire ça... » (Son regard m’interroge. « Non, il n’aurait pas dû faire ça, votre père a eu tort, et vous le savez », dis-je fermement à l’adolescente alors assise en face de moi.) Ce qui donnera à la séance suivante : « Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais j’ai l’impression qu’un grand poids s’est envolé. C’est peut-être le printemps ? » Ce qui laissera aussi l’espace pour interroger son propre désir inconscient de participation à cette scène. On peut parler là d’un œdipe traumatique : son père, quittant sa place de père, lui montre « en réalité » son désir d’homme, en collusion avec le fantasme sous-jacent de sa fille, et sans que la mère s’interpose. Le « couple » institué avec lui, contemporain du traumatisme initial – la perte de sa place de « reine » par naissance de la petite sœur –, s’en trouve renforcé, le « tiraillement » consécutif à la division familiale accentué.
15Après des études de russe pour devenir traductrice, elle se marie à un clandestin d’un pays de l’Est, qu’elle cache chez elle « pour qu’il ait ses papiers. Je savais que ce mariage ne durerait pas ». Elle divorce au bout de trois ans et revient en France. Une liaison amoureuse s’installe qui, à travers bien des avatars, persiste aujourd’hui.
16Les migraines ont commencé en même temps que cette liaison. Angélique présente cette conjonction comme un mode de rapprochement-imitation, quasi contraint sur le mode fusionnel d’avec l’ami, homme brillant, lui-même violemment migraineux. Cette liaison est tumultueuse, l’ami la sadise et l’humilie : « il me dit que je suis sans intérêt, pas douée, incapable de penser... trop lente, pas éveillée... jamais il ne m’a fait un compliment. Il me lamine, comme un vieux jean qu’on passe dans la machine à laver ». Au plaisir intellectuel, très investi – c’est sans doute la part d’elle-même qu’elle a pu développer sans contraintes en devenant une bonne élève –, s’ajoute la découverte du plaisir sexuel, pour elle d’une égale importance. Elle mettra régulièrement beaucoup de distance avec ce compagnon aussi intéressant que maltraitant, sans jamais rompre tout à fait. J’ai de mon côté toujours pensé que cette relation maintenait en elle une sauvegarde de sa vie psychique, l’empêchant de s’autodétruire car fonctionnant comme un double qui réalise son propre sadisme, en même temps qu’elle participe activement à sa lutte contre la tentation mélancolique.
17Angélique est donc claustrophobe. Elle peut maintenant prendre RER et métro pour venir à ses séances, ce qu’elle considère comme un progrès auparavant inenvisageable, mais n’arrive pas à utiliser l’ascenseur. Évelyne Kestenberg faisait un lien direct entre claustrophobie et agressivité réprimée. Il me semble quant à moi que les mécanismes de la répression sont là comme dupliqués « physiquement » par l’enfermement, ressenti alors comme une prison qui menace d’exploser sous la force de la destructivité retenue, sollicitée pour « sortir de là ». On peut aussi imaginer la claustrophobie comme un éprouvé archaïque imposé par une relation précoce fusionnelle trop prolongée – et ce devait être le cas pour Angélique –, le « sortir de là » impliquant chez l’enfant une grande violence, source d’angoisses menaçantes pour son unité interne. Le scénario inverse est bien entendu évocable et non contradictoire, celui d’une mère intérieurement distante, occupée d’abord par ses attachements passés – c’est aussi le cas ici : un désir vital de retour au claustrum maternel constituerait la face cachée contre laquelle lutterait l’enfant, prémices d’une claustrophobie future.
18Un agrippement aux objets concrets de son environnement contraint également Angélique. Elle est « affolée » par tout changement dans son décor familier et dans ses habitudes très ritualisées, proches de conduites obsessionnelles sans en avoir tout à fait la nature installée ; proches également de l’attachement de la « personnalité allergique » à ses objets, sans là non plus en être le signe d’une formation complète. Elle parle facilement de ces difficultés, avec humour et tristesse. Une expression récurrente, verbale celle-ci, un amer : « malgré tout... » vient ponctuer ses phrases lorsqu’elle s’autocritique ainsi.
APERÇUS DU TRAVAIL D’ANALYSE
À propos des rêves
19Angélique aime rêver, elle se couche pour retrouver ses rêves. Les rares périodes où ils ne sont pas au rendez-vous sont pour elle une souffrance. Elle rêve beaucoup. Ou plutôt elle m’apporte régulièrement beaucoup de rêves, sur le contenu desquels je reviendrai. Leur fonction, à l’instar de celle des migraines, semble quasi vitale pour elle. D’une part ils constituent une protection en forme de « cocon », à l’abri duquel elle se retire de la dure réalité, dure entre autres raisons parce qu’elle est source de changements, ce qu’elle exècre. Autre forme de protection, manifestée au cours de sa première analyse : « Je n’ai rien pour vous dans mon panier aujourd’hui », me dit-elle, sur un ton tel que je lui dis : « Vous me parlez comme si j’étais une ogresse que vous devez nourrir pour ne pas être mangée par elle... », ce qui la fait beaucoup rire : « C’est exactement ça. » Elle peut ainsi projeter sur moi son avidité affective, en même temps que le contenu de son panier – ses rêves – fait tiers entre nous. Enfin, ses rêves lui offrent, via le déplacement, une libération de son intense agressivité réprimée : « J’ai rêvé que je giflais ma sœur, des claques, des claques, des claques... je la giflais, de toutes mes forces... » Elle fait le geste en souriant. (« Visiblement ce rêve vous a fait du bien ») « Ah oui ! » Ce rêve est récurrent, comme l’est un autre : celui du retour chez sa grand-mère, chez laquelle elle était « avant » l’arrivée de la petite sœur, une sorte de havre de paix.
20Plus difficile est la reprise explicite de sa violence dans le transfert. J’ai beaucoup de mal à lui faire exprimer directement un désaccord à mon endroit. Ses reproches sont déguisés, par petites touches, habituellement en début de séance : « Je suis venue en fait pour faire mes courses, puisque vous êtes à côté d’une boutique intéressante »... On peut juger de la force de l’attaque, et de la difficulté à l’utiliser. D’autant qu’à l’abri de ces débuts piquants, la séance peut « couler » comme un ruisseau tranquille.
21Vers la fin de la première analyse (fin 1992) et pour en donner la tonalité :
22 « Je souhaite espacer, faire d’autres choses qui m’intéressent. » Rêve : je suis dans la boue, je patauge, très en colère, ça fait de très beaux dessins comme des feuilles colorées en quinconce (« Comme celles du dessus du divan... »). Un peu. J’ai aussi rêvé de quelqu’un de solide, une blonde, avec qui compter, avec qui j’ai pu parler et liquider des choses (« Vous semblez partagée entre l’envie d’espacer vos séances et celles de les maintenir »). Autre rêve : ma sœur est assise à côté de moi, nous sommes petites, face à notre mère qui ne peut pas parler, ça me crée un malaise, moi j’ai les larmes au bord des yeux comme des grosses boules de verre, que j’ai dans la gorge aussi. Ma mère a un mouchoir qu’elle tortille, puis met vertical, et je comprends : je dis à ma sœur « c’est une corde vocale, comme pour faire entendre sa voix ». (« Vous devez me montrer votre souffrance pour que je vous entende ? ») Elle pleure. « Avec mon voisin (avec lequel elle a à l’époque [1] une relation amoureuse semi-platonique, très importante pour elle car il est doux et tendre, ce qu’elle n’a jamais connu) cette nuit, on était bien dans les bras l’un de l’autre, et il est parti brusquement, il ne m’a pas appelée, ça m’a laissée sans voix. (« Comme dans votre rêve. ») Justement lui n’était pas comme ça, pourquoi ça recommence... » (Elle pleure.)
23Je pense qu’elle vit un conflit inélaborable (qui évoque là encore associativement le fonctionnement allergique) entre son besoin d’autonomie et celui de quitter – « partir brusquement » – l’objet-analyste, conflit dont nous avons souvent parlé, et qu’elle me demande là de l’aider à résoudre en « lâchant prise », via l’espacement des séances, ce qui me parait envisageable en regard du processus en cours ».
24Les séances s’espaceront et l’analyse prendra fin aux vacances d’été.
25Angélique reviendra me voir après la mort de son père (2005). Elle est dans un véritable état d’effondrement. Elle gardera plusieurs mois une apparence de morte-vivante, figée, traversée par des scenarii d’ouverture du cercueil de son père, dont elle « voit » le corps mangé par les vers. Deux années d’un accompagnement très présent seront nécessaires pour qu’elle émerge de cette tombe.
- Octobre 2007. Sa mère, qui s’effaçait progressivement dans une forme d’affaiblissement sénile, est morte pendant les vacances d’été, disparition très annoncée et longuement travaillée.
27« Je me sens à côté de moi-même, comme si je n’avais de prise sur rien. Je rêve beaucoup à mon mari en ce moment, nous étions comme frère et sœur. Avec mon ami, le sexe se passait très bien, mais je me sentais épinglée (sourire), oui, comme un beau papillon épinglé par une épingle, avec une tête d’épingle. Je ne pouvais rien lui dire de cette nouveauté pour moi, ce plaisir, il ne m’aurait pas crue. Chez moi je suis triste, je n’ai envie de rien, je suis incapable de me projeter. »
28Angélique redoutait la disparition de sa mère plus comme un changement que comme une perte. Elle n’a pas manifesté beaucoup de chagrin, sans que je sente pour autant ses sentiments « gelés ». « C’était surtout ma sœur qui comptait pour elle. C’est vrai que je me suis réconciliée avec elle à la fin, elle me touchait au lieu de m’énerver, de m’exaspérer. » Je retrouve là mon double mouvement contre-transférentiel.
29Cette image du « beau papillon épinglé » me paraît centrale, dans sa condensation d’un érotisme vivant et vibrant (le beau papillon) et d’une « fixation » (épinglé) qui tout à la fois immobilise et punit, comme le font doublement les migraines. J’y reviendrai.
30Une séance récente, assez caractéristique des mouvements internes qui tour à tour l’animent ou la défont, la soutiennent ou la freinent, comme autant de tentatives inachevées.
31« Ça va mieux avec mon ami. Je me suis sentie bien, les mots me venaient facilement, j’étais à l’aise dans la conversation au lieu d’être paralysée comme d’habitude. Il m’a presque dit que j’étais en forme physiquement. »
32« J’ai toujours des difficultés à me lever. Mais je me suis dit : “on m’attend” (« on ? ») pour ma séance, il faut que je me lève, je ne vais pas cisailler les choses » (geste de couper du tissu de haut en bas) (« cisailler ? ») « Ben... couper le cordon ombilical... détruire ce qui a été construit. »
33« Je n’arrive pas à faire face à la journée, à la réalité. » (« Vous semblez avoir un souvenir en tête... ») « Quand je suis arrivée en Slovénie, ma belle-mère nous avait réservé un appartement, complètement vide, sauf un lit et une table, il a fallu tout faire, c’était à la fois bien et pas bien. » (« Les changements [2] vous mettent en difficulté. ») « Ça oui, je ne supporte pas les changements. » Silence « J’ai rêvé à un homme qui s’occupait bien de moi. »
34 (« Et en plus votre ami devient agréable. Où allons-nous !... ») Elle rit. « Oui, je n’ai plus personne à qui faire des reproches. Sauf à vous ? » (« Oui. » Je ressens cette « offre » comme plaquée. « Ces reproches... vous évoquent d’autres moments ? ») « Oui, après la mort de mon père, je lui en voulais beaucoup. Mais là, c’est différent, je pense qu’ils sont tous les deux au cimetière, tranquilles. »
35C’est donc une fois de plus une lutte à fleurets mouchetés, où j’ai constamment le sentiment de ne pas être là où il faudrait que je sois, analytiquement, trouvant difficilement le bon niveau à l’image de son fonctionnement en registres multiples, évoqué en début d’article. En fait je la suis plutôt que de la précéder, ce qui me semble sur le plan narcissique moins menaçant pour elle. Mes interventions sont parfois à un certain niveau de réalité, comme si, à mon tour dans une forme d’identification à son propre fonctionnement « actuel », je réprimais mes associations – qui évidemment refleurissent spontanément dans l’après-coup que constitue cet article.
36Sa remarque sur le couple de ses parents réunis et tranquilles au cimetière me semble témoigner d’un réaménagement important et augurer d’une nouvelle étape.
Des migraines indispensables
37Angélique n’a spontanément abordé ce sujet que depuis la reprise de son analyse. Ses migraines sont fréquentes, violentes, invalidantes, régulières : un rythme d’un jour sur deux s’est maintenant établi.
38Elles ont beaucoup dérangé sa vie professionnelle, multipliant ses absences, discréditant son image. Angélique ne m’en parle habituellement que lorsque je lui en parle, en insistant sur le besoin qu’elle a de les garder : « Laissez-moi mes crises. » (« Vous en parlez comme si elles étaient des repères pour vous. ») « Oui, c’est tout à fait ça ; c’est moi qui les ai créées, c’est moi qui les gère. J’en ai besoin. » Mais aussi, ajouterais-je : « Elles font partie de mon intimité, ne vous y immiscez pas. » Elle en parle de cette manière depuis qu’une double perte (son père, son animal de compagnie) l’a projetée vers l’épisode d’allure mélancolique. Angélique ne peut envisager de reprendre un autre animal, pour éviter l’éventualité d’une autre séparation, dit-elle. Elle préfère encore rester seule, ce qui en même temps l’attriste.
39Angélique vient de prendre une retraite anticipée.
40Les migraines sont toujours là, régulièrement installées un jour sur deux, alors que ses liens professionnels très conflictuels se sont arrêtés, comme s’est arrêté, d’une certaine façon, le couple mère-sœur, source de tiraillements internes pour elle : fusionner avec elles là-bas, maintenir son autonomie ici. Elle s’endort souvent sur sa « petite chaise, celle de ma grand-mère », au milieu de la journée, « comme ça, tout d’un coup ». Les réveils matinaux sont difficiles, quasi impossibles avant le début de l’après-midi : « J’ai du mal à quitter mes rêves pour affronter la réalité. »
41Dans ce contexte, sa relation avec son ami s’est, elle, progressivement réveillée. Elle a changé, ayant appris à mieux se défendre : moins destructeur et moins envahissant, il commence même à lui faire des compliments (« pour la première fois depuis trente ans »). Cette relation douloureuse et espacée la fait revivre, au lieu qu’elle tombe comme elle l’a beaucoup craint dans le gouffre du vide ouvert par sa retraite et par la disparition successive de ses parents. Pour autant, les migraines restaient donc fidèles au poste, jusqu’à très récemment. Pensant à son projet de changer d’appartement, Angélique me dit : « Je suis divisée en deux, le moi qui veut avancer, et le moi qui ne veut pas bouger. Je n’arrive pas à me projeter dans le nouvel appartement, je ne pense qu’à celui qui va disparaître. Ça me fait tellement souffrir que je n’ai plus de migraines depuis un mois, comme si la douleur psychique l’emportait sur la douleur physique. »
Un contre-transfert difficile
42On s’en douterait. Angélique m’a longtemps fait vivre en séance deux formes de souffrance. La première répond à son intense agressivité contenue, maîtrisée : je m’endors. Au bout de quelques minutes, ma seule préoccupation est de garder les yeux et l’esprit ouverts, alors que parallèlement je continue de l’investir avec intérêt. Il faut dire que son discours explicite est très « factuel et actuel », sans qu’on puisse pour autant à son propos parler de fonctionnement opératoire, mode défensif là encore insuffisamment organisé : elle me raconte sa semaine, en essayant de ne rien omettre (« sinon..., sinon..., »), tout en classant ses idées par ordre d’importance, jusqu’à : « Je crois que je n’ai rien oublié. » En réalité, son fonctionnement « flirte » ici avec une organisation de type obsessionnel, qui elle non plus n’infiltre pas totalement son mode relationnel, en tout cas avec moi.
43Au contraire, pourrais-je dire, elle se montre vive, intuitive, associant spontanément dès que je lui en laisse l’espace en interrompant – difficilement – son discours factuel très serré. Elle fait souvent une bonne partie du chemin seule, toujours d’accord avec mes propositions en particulier à propos de ses rêves, trop facilement à mon avis, sans pour autant que cet accord soit plaqué ou superficiel. C’est plutôt : « J’y avais déjà pensé toute seule », ce que je ressens comme soulignant à la fois une reprise de sa maîtrise et une recherche de proximité. Elle passe de l’une à l’autre de ces modalités semble-t-il sans efforts. Son discours factuel est probablement aussi une manière d’endormir (et de m’endormir aussi) l’avidité qu’elle me prête, en une forme d’identification projective (c’est moi qui serait une ogresse...) qui lui est totalement opaque. C’est aussi une méthode déroulée seconde après seconde pour me rendre impuissante à la faire « bouger », tant son besoin de maîtriser la situation est fort.
44On peut noter là une des contradictions annoncées, entre un discours apparemment « opératoire », en tout cas factuel et anesthésiant pour l’analyste, et la qualité fluide et associative de la pensée – qualité « en réserve » dans le premier temps de l’échange, au crédit de laquelle il faut ajouter la richesse onirique. Le premier temps de la rencontre remet-il en jeu des défenses antitraumatiques ? Le second temps libère les associations qui, en rencontrant trop facilement les miennes, évoquent une appétence soit pour un lien fusionnel, ici latent, soit comme témoin d’une recherche identitaire sur le registre de l’homosexualité primaire, auprès d’une mère acceptable à laquelle s’identifier. Je l’ai annoncé : incertitudes chez moi, contradictions chez la patiente entre deux mouvements internes qui, pour cohabiter « malgré tout », vont sans doute devoir faire appel au lien « forcé » que représente la migraine.
45La deuxième souffrance est en fait une forte irritation devant l’envahissement quasi exclusif de ses préoccupations et pensées par sa sœur et par sa mère, qui l’ont occupée « à plein temps » pendant de longues années : elle ne parle que d’elles et des reproches qu’elle continue de leur faire, y compris dans le présent. « Mais quand allez-vous vous intéresser à vous-même et à votre propre vie ? » ai-je fini par lui dire une ou deux fois exaspérée, ajoutant « le temps passe... ». Le temps (pas plus que moi) n’a en effet pas de prise sur elle de ce point de vue-là. Sa vie de « reine offensée » s’incarne en un reproche permanent. La force du traumatisme initial n’en finit pas de l’animer et de la faire vivre, comme une explosion dont elle n’a jamais cessé de recoller les morceaux. Seul son ami persécuteur lui permet de changer d’objet, mais bien évidemment pas de registre. Je pense souvent en l’écoutant « quel gâchis ».
46Heureusement, il y a quelques éclaircies dans ce ciel gris. Lorsqu’elle n’est pas déprimée ou envahie, Angélique peut jouir de sa sensibilité esthétique, très développée [3], de sa curiosité alors en éveil, de son humour tout en finesse, toutes qualités qu’elle a plaisir à partager avec moi.
RÉFLEXION ET QUESTIONS
47Parmi les nombreuses questions qui m’accompagnent dans l’analyse d’Angélique, je retiendrai trois pistes de réflexion.
Angoisse d’abandon et blessure narcissique
48L’angoisse d’abandon me paraît l’organisateur le plus ancien du fonctionnement psychique d’Angélique. C’est probablement ce qui me touche chez elle et me permet de « supporter », plus ou moins bien, parfois en me réfugiant dans l’envie de dormir, ses positions revendicatives sans fin.
49À l’angoisse d’abandon se conjugue la blessure narcissique infligée par la petite sœur, qui capte l’attention des parents en étant insupportable, alors qu’elle-même fait tout pour leur plaire, au détriment de ses propres besoins. Non seulement ils ne la remarquent pas, mais l’effort permanent qu’elle s’impose leur paraît naturel : « Toi tu es comme ça. » La blessure est d’autant plus forte que ce premier enfant a été très investi : c’est une place de « reine » qui a été définitivement perdue pour Angélique, comme je le développerai plus loin.
50Le second point s’articule avec cette place-là : reine, et non princesse, fille de roi et reine. C’est toute une problématique œdipienne non résolue qui est en jeu, et, c’est mon hypothèse, c’est là me semble-t-il qu’il faut chercher l’élément déclencheur des débuts de la migraine chez la patiente.
Les débuts de la migraine : « le beau papillon épinglé »
51Les migraines peuvent exprimer « des pensées refoulées de nature œdipienne », rappelle Diane Lebeuf en citant Marty [4] dans son article consacré aux « Maladies à crises » [5]. Parmi les hypothèses concernant le moment d’apparition des migraines chez Angélique, on peut penser à un lien entre sa première réelle expérience érotique de femme avec son ami (après avoir été « la sœur » de son mari) : une confrontation directe entre une rencontre sexuelle vécue et une longue période antérieure de fantasmes (pensées refoulées) incestueux, alimentés par un contre-œdipe paternel flambant. Le choix de l’amant persécuteur comme « l’adoption » des migraines contiennent la punition inconsciente qu’Angélique s’inflige, « épinglée » (c’est douloureux, mais vivant) dans l’épanouissement de sa sexualité (« un beau papillon » sorti de sa chrysalide d’enfant sage), et rejoint la troisième piste, celle du sado-masochisme.
52Angélique vit avec ses objets une forte dépendance où la haine joue un rôle actif. Les migraines viendraient-elles masquer là un conflit inélaborable entre fusion et différenciation ? Fusion d’avec le couple mère-sœur, différenciation pour garder, via son amant, les bénéfices du couple qu’elle forme avec son père ?
53Variante de cette hypothèse : cette dépendance lui fait-elle « adopter » les migraines de son ami en une sorte de point d’appui identitaire ? Cet homme est le seul de ses attachements qui la sépare de sa mère et de sa sœur – toutes deux activement autant aimées qu’haïes, et donc envahissantes – et la rapproche de son père. Ce couple incestuel partageait une grande complicité intellectuelle, dont mère et sœur étaient exclues.
54 L’érotisation de l’intelligence, et donc celle de la tête [6], se combinerait là avec ce rapprochement identitaire, pour ouvrir la voie à l’élection du lieu et de la forme des douleurs, les migraines.
55Je note aussi dans ce registre d’un œdipe traumatique et donc toujours excitant la dimension de forçage qui m’est nécessaire d’utiliser en séance pour passer la carapace d’apparence « opératoire » qu’elle interpose entre nous : une sorte de « viol » pour accéder à son intérieur, qui évoque le « viol » ou forçage nécessaire à Pierre Marty pour faire parler sa patiente Marie, à laquelle il devait arracher les rares mots prononcés [7]. La différence vient là du degré d’achèvement des deux modes de fonctionnement : abouti en une névrose de comportement chez Marie, inachevé dans une tentative de névrose obsessionnelle chez Angélique.
Analité, sado-masochisme et rétention-répression
56Maîtrise, colères explosives dans les rêves, ordre et classement, rituels quasi obsessionnels, sadisme que tempère un masochisme érotisé, chez Angélique le stade « choisi » par la fixation somatique confirme l’observation de Pierre Marty : « Une fixation à la seconde phase du stade anal est particulièrement sensible chez les migraineux. » [8]
57Le maintien d’une relation sado-masochique avec son ami soutient la pulsion de vie d’Angélique. Je qualifierai son masochisme, très érotisé, de relativement tempérant et tempéré, dans la mesure où il lui autorise quelques respirations dans son fonctionnement très serré, et limite sa soumission à la maltraitance de son ami (elle rompt, parfois pour plusieurs années). Il lui permet également d’apprécier pleinement des petits bonheurs quotidiens : une lumière sur sa main, des couleurs à travers son carreau, des visages qui sortent de l’ordinaire et qu’elle observe « pour le plaisir » ...
RÉTENTION ET RÉPRESSION
58La « rétention » propre à l’analité devient-elle ici la voie économique facilitante de l’organisation de la répression comme mode d’autoconservation, en lieu et place d’une névrose, défaillante faute du refoulement nécessaire ?
59Ses protestations permanentes traduisent-elles le maintien d’une opposition propre à l’âge du traumatisme (2 ans), l’âge du « non » ? Cet âge de la « fixation » de son évolution la préserverait-il également de l’accès à l’étape suivante, l’étape génitale, source pour elle on l’a vu de toutes les délices et tous les dangers ?
60La répression est devenue chez Angélique une répression incarnée, organisée, quasi constitutive. Répression non seulement de ses colères et de ses reproches, jamais exprimés pendant l’enfance, mais surtout répression de l’expression spontanée de qui elle est et de ce qu’elle veut (je pense à sa douleur dans le rêve de la corde vocale), de la réalisation de ses nombreux dons, de son avidité affective, de ses envies violentes de maltraiter sa sœur. Tout en elle semble s’être conformé à ce qu’elle a pensé être l’attente (les besoins) de ses parents, débordés par la petite en furie, et sans doute personnalités assez immatures. Échanges à bilan négatif pour Angélique, entre la soumission à une contrainte externe (l’attente des parents, conduisant à la prématurité du moi conceptualisée par Michel Fain) et à celle interne d’une renarcissisation par cette même précocité. Petite fille déjà précoce dans son premier développement, elle fut élue « reine » par ses parents admiratifs, dont elle réparait aussi et ainsi les blessures antérieures. En réprimant ses pulsions agressives, la petite-fille-parfaite n’a pas pour autant retrouvé cette place. Sans doute a-t-elle cru la regagner par l’élection incestuelle de son père, dans une confusion-collusion lourdement préjudiciable, entre recherche de satisfaction narcissique, libération des pulsions érotiques et répression des pulsions de destructivité.
61La migraine amalgamerait ainsi des éléments condensés autant que contradictoires, qu’il serait dangereux de défaire.
POUR CONCLURE
62Ainsi chez Angélique la migraine condense, et lie, et cache. La tension douloureuse signe l’effort nécessaire à un tel travail psychique. Á l’instar d’un « trou noir » que constitue la non-matière, l’obscurité naît ici chaque fois que la « non-pensée » est convoquée et maintenue, pour ne pas voir et ne pas savoir.
63Petit démon caché, Angélique est enfermée dans sa rage enfantine, rage qui la laisse en contact avec sa vie libidinale, dans le secret du déplacement érotisé de ses migraines. Leur fonction majeure est ici protectrice. Grâce au retrait-cocon organisé qu’elles opèrent face à la dure réalité, cette réalité devient supportable pour Angélique dans la mesure où elle l’absorbe par petites doses d’éveil, éveil qu’elle se donne entre les migraines comme entre les rêves. En liant son fonctionnement psychique que n’organise pas suffisamment une névrose obsessionnelle mal stabilisée, les migraines viennent assurer une continuité interne et « fixer » un tiraillement entre des contraires déchirants : mouvements progrédients et besoins régressifs, sadisme violent et masochisme tempéré, plaisir sexuel et caresses interdites, nostalgie d’enfance et vie d’adulte, désespoir et capacité à jouir de la vie « malgré tout ». La persistance des migraines au cours de ce traitement témoigne aussi d’une autre lutte : celle de cette femme pour maintenir face à moi son statut narcissique de reine, en me contenant dans une place transférentielle non menaçante : très probablement celle de sa grand-mère, une grand-mère chez laquelle elle rêve souvent de revenir, une grand-mère endormie sur sa petite chaise...
Notes
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[1]
Dans un moment de séparation d’avec « l’ami » migraineux.
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[2]
Angélique est en train de changer d’appartement. Elle quitte celui donné par ses parents après son divorce, elle y vit depuis trente ans.
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[3]
Signalons, sans pouvoir le développer ici – pour ne pas égarer les lecteurs dans trop de pistes différentes (et bien que ce « trop de pistes » soit un des aspects du fonctionnement de la patiente) –, que la place de la sensibilité esthétique et celle de la pulsion épistémophilique sont pour Donald Meltzer en lien étroit avec les constructions psychiques autour du claustrum (et donc de la claustrophobie). Voir Danielle Kaswin-Bonnefond (2003), « De l’appréhension de la beauté au claustrum : réflexions sur le conflit esthétique chez D. Meltzer », in Revue française de psychanalyse, vol. 67, no 2, p. 441-460.
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[4]
Voir l’article de P. Marty dans ce même numéro, p. 7.
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[5]
L’Heureux-Lebeuf D. (1998), « Interruptions et reprises : à propos des maladies somatiques à crises », in Revue française de psychosomatique, Paris, PUF, n°13, p.11-29.
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[6]
« Le déplacement érotique vers l’intelligence est un phénomène post-œdipien », dit P. Marty dans son article princeps sur les céphalalgies, p. 36.
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[7]
Ibid.
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[8]
Marty P. (1990), La Psychosomatique de l’adulte, Paris, PUF, « Que sais-je ? ».