Notes
-
[1]
Fain M. (1984), « Du corps érotique au corps malade : complexité de ce passage », in Fain M., Dejours C., Corps malade et corps érotique, Paris, Masson.
-
[2]
À partir des travaux de l’École de Paris, fondée dans les années 60 par Pierre Marty, Michel Fain, Michel de M’Uzan et Christian David.
-
[3]
Freud S. (1938), Abrégé de psychanalyse, Paris, PUF, 1967.
-
[4]
Rosemberg B. (1998), « Pulsions et somatisation », Revue française de psychanalyse, tome LXII, no spécial Congrès , p. 1682.
-
[5]
Aisenstein M. (1990), « À propos de la dissidence, quelques variations sur l’excitation et la désintrication pulsionnelle », Revue française de psychanalyse, n° 3, tome LIV, mai-juin 1990.
-
[6]
Freud S. (1924), « Le problème économique du masochisme », dans Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.
-
[7]
Green A. (2002), « L’intrapsychique et l’intersubjecif, pulsions et/ou relations d’objet », dans La Pensée clinique, Paris, Odile Jacob.
-
[8]
Freud S. (1905), Trois Essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987.
-
[9]
Kreisler L., Fain M., Soulé M. (1974), L’Enfant et son corps, Paris, PUF.
-
[10]
Marty P. (1980), L’Ordre psychosomatique. Les mouvements individuels de vie et de mort, t. 2, Paris, Payot.
Fain M. (1971), « Prélude à la vie fantasmatique », Revue française de psychanalyse, n° 3-4, Paris, PUF.
Fain M., Braunschweig, D. (1975), La Nuit, le Jour. Essais sur le fonctionnement mental, Paris, PUF. -
[11]
Freud S. (1968), « Pulsions et destin des pulsions », in Métapsychologie, Paris, Gallimard.
-
[12]
Fain M. (1991), « Préambule à métapsychologie de la vie opératoire », Revue française de psychosomatique, n° 1, Paris, PUF.
-
[13]
Fain M. (1971), « Prélude à la vie fantasmatique », Revue française de psychanalyse, n° 3.4, Paris, PUF.
-
[14]
Fain M. (2001), « Mentalisation et passivité », Revue française de psychosomatique, n° 19, Paris, PUF.
-
[15]
Freud S. (1973), « Un enfant est battu », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF.
-
[16]
Fain M., (1999), « Autour de l’enfant battu », Revue française de psychanalyse, n° 5, t. LXIII, n° spécial congrès, Paris, PUF.
-
[17]
Fain M., (1998), « Vie et impératif de désinvestissement », Interrogations psychosomatiques, débats de psychanalyse, Revue française de psychanalyse, Paris, PUF.
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Donabédian D., Fain M. (1995), « Psychosomatique et pulsions », Revue française de psychosomatique, n° 7, Paris, PUF.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Smadja C. (1993), « À propos des procédés autocalmants du moi », Revue française de psychosomatique, n° 4, Paris, PUF.
Szwec G. (1993), « Les procédés autocalmants par la recherche de l’excitation. Les galériens volontaires », Revue française de psychosomatique, n° 4, Paris, PUF. -
[22]
Fain M., Braunschweig D. (1971), Éros et antéros, Paris, Petite Bibliothèque Payot.
-
[23]
« Les procédés », art. cité, p. 40.
-
[24]
Smadja C. (2001), « Clinique d’un état de démentalisation », Revue française de psychosomatique, n° 19, Paris, PUF.
-
[25]
Fain M. (1984) « Du corps érotique au corps malade : complexité de ce passage » in Fain M., Déjours C., Corps malade, corps érotique, Paris, Masson, p.135.
-
[26]
Fain M., Braunschweig D. (1971), Éros et Antéros, Paris, Petite Bibliothèque Payot, p. 203.
-
[27]
McDougall J. (1996), Éros aux mille et un visages, NRF, Paris, Gallimard.
-
[28]
De M’Uzan M. (2005), Aux confins de l’identité, NRF, Paris, Gallimard.
-
[29]
Green A. (1997), Les Chaînes d’Éros. Actualités du sexuel, Paris, Odile Jacob.
-
[30]
Szwec G. (1993), « Les procédés autocalmants par la recherche de l’excitation. Les Galériens volontaires », Revue française de psychosomatique, n° 4, Paris, PUF.
-
[31]
Smadja C. (1995), « Les autocalmants ou le destin inachevé du sadomasochisme », Revue française de psychosomatique, n° 8, Paris, PUF.
-
[32]
Art. cité, p. 135.
-
[33]
Green A. (2002), Idées directrices pour une psychanalyse contemporaine, Paris, PUF.
-
[34]
Green A. (1997), Les Chaînes d’Éros. Actualités du sexuel, Paris, Odile Jacob, p. 151, 171 et 174.
-
[35]
Braunschweig D. (1993), « Implications techniques de la théorie en psychosomatique », Revue française de psychosomatique, n° 3, Paris, PUF.
-
[36]
Fain M., Braunschweig D. (1971), Éros et antéros, Op. cit.
-
[37]
Green A. (1997), Les Chaîne d’Éros. Actualités du sexuel, Paris, Odile Jacob, p. 226.
« Les individus qui ne “savent pas se reposer”, pris dans des activités affectivement plus ou moins investies, souvent piètres amoureux, sont légion. Ils fournissent la majorité des troubles dits “psychosomatiques”. »
Destins de l’excitation
1En clinique psychosomatique [2], il nous est donné d’observer, en tous ses reliefs, la défaillance du traitement par l’appareil psychique des excitations somatiques chez nos patients, avec comme corollaire une mobilisation intensive de la sensori-motricité et le recours à l’agir et aux comportements, allant de pair avec le large spectre des somatisations.
2Ce travail de psychicisation du somatique serait l’œuvre d’Éros, liant par le truchement de l’objet les excitations issues des grandes fonctions organiques, dès la naissance du sujet, faute de quoi le règne de l’instinctuel phylogénétique dominerait. La libido, l’énergie d’Éros, érogénéisant le soma, neutralise la tendance destructrice des excitations à l’état libre et en proie au débordement, les unifiant en faisceaux et les orientant en motions, qui deviennent alors à proprement dire pulsionnelles. Il faut noter qu’Éros, à partir de la dernière formulation freudienne de la théorie des pulsions [3]sur laquelle nous nous basons ici, est considéré comme une partie de la psyché, ce qui fait de la constitution de la pulsion le tout premier mode d’expression psychique. La constitution du psychisme serait concomitante à l’intrication pulsionnelle primaire et à la transformation des instincts (processus somatiques) en pulsions (processus psychiques) [4].
3L’équilibre psychosomatique se maintiendra donc par l’intrication constante, encore que sujette à un amalgame variable, des deux pulsions fondamentales : Éros et la pulsion de destruction. Les excitations provenant des sources somatiques échappant au domptage par la libido, restées excédentaires, non liées au sein du moi et ayant une force destructrice, produisent des déséquilibres pouvant favoriser l’éclosion des somatisations. Cela correspondrait à un état de désintrication pulsionnelle, à une véritable « dépulsionnalisation » [5].
4Dans cette perspective, la singularité de chaque individu sera fonction des aléas du mouvement pulsionnel tout au long de la vie et des modes spécifiques d’investissement, de répartition et de circulation de la libido vers le moi et les objets. Les conditions de mise en place du masochisme originaire, érogène, en tant qu’héritier psychique du mécanisme d’abord physiologique de coexcitation libidinale, premier responsable de l’alliage des pulsions [6], y jouent un rôle essentiel. L’objet, dans ce mouvement, est présent dès le début, il est « le révélateur de la pulsion » [7], en faisant partie du montage pulsionnel même.
5De la qualité du processus d’étayage des pulsions sur les fonctions physiologiques dépendra la constitution du corps érotique, par le passage progressif de l’ordre du besoin à l’ordre du désir, animé par la recherche de satisfaction. Cela correspond au processus précité d’érogénéisation du soma, sachant que n’importe quel endroit du corps peut être élevé au rang de zone érogène [8], y compris, rajoute Freud en 1915, les organes internes.
6Un des premiers passages du somatique au psychique serait la « libidinisation du sommeil », affirment les auteurs de L’Enfant et son corps [9] , ouvrage princeps en psychosomatique. Les troubles du sommeil précoces et a fortiori le dérèglement du système sommeil-rêve deviennent dans ce sens premiers révélateurs des vicissitudes de l’économie libidinale du sujet, permettant de présager ses possibilités ultérieures de mentalisation.
7L’observation d’une patiente adulte, insomniaque depuis son jeune âge, m’a semblé intéressante pour tenter de dégager le fil du travail de psychicisation de l’excitation et de son destin au sein de son fonctionnement, à travers ses différentes figures et à différentes étapes de sa vie.
8Cette patiente m’a particulièrement étonnée par son affirmation, d’emblée, de l’importance qu’elle accordait aux « relations physiques », considérées comme une « solution naturelle » à ses troubles du sommeil. La sexualité était présentée comme un « médicament », étant devenue pour elle un « besoin vital ». Au fur et à mesure de la discussion de ce cas et des divers symptômes présents, sera interrogée la valeur économique de cette sexualité inhérente au mode de fonctionnement mental de la patiente.
Éléments de l’histoire d’Édith
9Arrivée en psychothérapie la cinquantaine passée, Édith voulait donner à voir une jovialité éclatante mais laissait présager un fond d’ombre infini. Son programme quotidien était bien chargé, me disait-elle, fait de multiples activités culturelles et de loisirs, en plus de son activité professionnelle déjà assez physique. Cela était annoncé comme indispensable à son équilibre, tout comme les pratiques sexuelles diverses, avec divers partenaires, l’étaient devenues depuis quelques années. « La chandelle brûle par les deux bouts » : l’expression chère à M. Fain résonnait en moi, tant le registre économique se trouvait au premier plan chez Édith. En effet, il s’est confirmé peu à peu que l’agir et les comportements prenaient le devant de la scène, au détriment des expressions affectives et subjectivées. Malgré la présence d’éléments d’apparence hystérique, j’étais happée par ce que je ressentais plutôt comme un besoin impérieux de validation de ses attributs et réussites, qu’indiquait la prévalence d’une organisation narcissique. Le temps étant figé dans l’actuel, les éléments de son passé infantile ne viendront qu’au bout de plusieurs mois de psychothérapie.
10Grande insomniaque, Édith a été traitée tout au long de sa vie avec de fortes doses de produits hypnotiques. Il y a une dizaine d’années, mécontente de sa dépendance des médicaments, elle se décide pour un sevrage. Peu de temps après, et suite à un grave accident, elle développe une importante mais passagère pelade. Depuis la repousse de ses cheveux, un prurit assez violent sur le cuir chevelu l’envahit, principalement la nuit. Alors elle se gratte violemment, jusqu’à ce que la démangeaison cesse. D’autres somatisations, agissant à bas bruit, sont aussi présentes chez cette patiente.
11Mariée assez jeune avec un homme un peu trop passif, Édith a eu rapidement des enfants. Après leur naissance, elle reprend massivement son activité sportive, déjà très importante pendant l’adolescence. Elle s’engage dans des entraînements sportifs divers et participe à des compétitions. Entre-temps, elle reprend ses études et trouve un emploi stable. Elle tourne dans le cercle infernal de la contrainte à l’activité motrice et de l’incapacité à la régression du sommeil. Seuls les somnifères réussissent à « éteindre la machine ». Prise par de sérieuses douleurs dorsales, elle est finalement obligée d’arrêter les pratiques sportives.
12Les années passant, déjà divorcée, elle va faire de sa sexualité son nouveau pôle d’investissement. Elle passe (et répond à) des annonces de rencontre parues dans des journaux et sur Internet, participe à des activités de groupe et à des stages de toutes sortes, fait la connaissance enfin d’un homme très charismatique mais peu disponible avec qui elle entretiendra une relation houleuse. La fonction hypnotique de la sexualité, si mise en avant, n’est plus aussi « miraculeuse » au bout d’un certain temps, mais elle ne peut plus se passer de ces hauts niveaux d’excitation dont elle est restée, suivant son fonctionnement habituel, « l’esclave ».
13C’est à travers mon intérêt pour l’histoire de son insomnie et de ses avatars que d’un seul bloc Édith va me raconter son passé infantile.
14Elle est née au début de la guerre dans un contexte particulièrement tendu par le fait de la présence des occupants. Dès sa naissance et tout au long de son enfance, ses parents travaillaient la nuit, ils partaient donc tôt le soir pour ne revenir qu’à l’aube. Le jour, ils dormaient, ou bien ils étaient absents, affectés à diverses tâches à l’extérieur de la maison. Bébé, elle était confiée à « n’importe qui ». Édith cite notamment un épisode, qui n’a pas été unique en son genre, où à quelques mois de vie son père, rentrant à la maison, l’avait rencontrée toute seule, étouffant de pleurs, car sa mère était sortie en la laissant à son sort.
15Aînée d’une grande fratrie, Édith a pris d’énormes responsabilités à l’égard des plus petits. Dès son jeune âge, elle veillait sur eux, nuit et jour. Elle a le souvenir de nuits désespérées, les frères et sœurs en pleurs, malades ou terrorisés, où elle ne pouvait fermer l’œil. À ses propres difficultés d’endormissement, se rajoutaient celles des plus petits, qui ont eu, pour certains d’entre eux, des destins tragiques.
16Les mots pour sa mère, dans son récit, étaient violents : égoïste, vénale, coléreuse, elle lançait des objets et frappait aussi bien les enfants que son mari. Voilà le père, présenté comme indifférent aux enfants et dominé par sa femme. Le récit du passé familial s’est déployé par bribes, et avec une difficulté due sans doute à sa pesée traumatique : effets de guerre, abandons, avortements, suicides, malformations congénitales, maltraitances, etc.
17Il se profile ainsi, chez cette patiente, un développement pulsionnel frappé par le traumatisme précoce, mutilant la construction du moi et susceptible de se réactiver la vie durant. Édith n’a eu de cesse, tout au long de la vie, de tenter, par des moyens de coexcitation divers, de produire une réserve de libido apte à neutraliser les risques de déliaison pulsionnelle. La régulation de son économie psychosomatique et la répartition des excitations sur les trois secteurs : somatique, comportemental et mental, sont restées très instables et périlleuses.
L’inachèvement du destin pulsionnel
18L’Hilflosigkeit semble avoir été chez Édith une expérience récurrente pendant sa première année de vie. L’état de détresse du bébé, laissé à l’abandon (ou « état de désaide », impliquant l’absence d’un objet « aidant »), plongé dans un vécu d’impuissance face à l’accroissement de la tension du besoin et au débordement des excitations somatiques, a dû produire un important gauchissement dans son évolution pulsionnelle. Ce contexte, marqué par une défaillance majeure de la fonction maternelle [10], serait responsable d’une organisation déficitaire du narcissisme primaire allant de pair avec l’inachèvement du destin de la pulsion au sein du double retournement décrit dans la métapsychologie freudienne de 1915 [11].
19M. Fain [12] saisit le problème de l’inachèvement du destin pulsionnel comme étant corrélé à l’inorganisation d’un sujet, étant donné que la complexité croissante à l’origine du double retournement place ce mécanisme mental dans la « pointe évolutive » postulée par P. Marty. L’inachèvement pulsionnel aurait pour corollaire une entrave, chez le sujet, de l’accès à la passivité, rendant inopérantes l’hallucination de l’objet et la mise en route d’un travail de mentalisation de bonne qualité.
20Dans ce contexte de genèse de la mentalisation de la pulsion, l’absence d’une triangulation rendue efficace par la censure de l’amante [13] (la mère investissant érotiquement le père de l’enfant), ce qui semble avoir été le cas chez Édith, aurait comme résultat la « non-constitution de la représentation d’un objet actif qui, ne trouvant pas sa place dans le déroulement du double retournement, ne se manifesterait que dans la position du manque surexcitant et persécutant » [14].
21M. Fain, dans un article où il discute le texte freudien « Un enfant est battu » [15] du point de vue de l’inachèvement du destin pulsionnel [16], rappelle qu’avec l’absence ou la perte de l’objet, c’est le principe de plaisir qui est perdu, et il ne resterait alors que la haine contre l’événement excitant. Cette haine, ne pouvant pas servir à la construction du moi puisqu’elle est l’effet d’un manque (un « en moins » du père érotique), signe en fait la désintrication pulsionnelle. M. Fain propose, pour ce cas de figure, une éloquente locution qui me semble décrire l’état d’un enfant comme a pu l’être Édith : « un enfant se bat seul contre tous ».
L’insomnie et le refus de la passivité
22Les troubles du sommeil des petits frères et sœurs et le désarroi face à la responsabilité précocissime de veiller sur eux en l’absence des parents ont induit chez Édith un état récurrent de quasi-sidération nocturne, avec une polarisation du moi vigile aux dépens du moi endormi. « L’impératif de désinvestissement du moi » [17], nécessaire à la restauration du soma et à l’élaboration des pulsions par les rêves, a été, dans un tel contexte, entravé. L’absence, souvent rappelée par la patiente, d’investissements tendres parentaux pouvant rendre possible l’infiltration libidinale du sommeil, a empêché la bonne régulation de la surcharge pulsionnelle au sein de la fratrie. Édith n’a certainement pas connu la « câlinerie » pouvant, par le plaisir éprouvé, favoriser la baisse du tonus et ayant la valeur d’une introjection conservatrice de la libido [18].
23Le régime nocturne décrit est celui d’une effraction constante d’un pare-excitations déjà peu fonctionnel face à ses propres excitations endogènes, ajoutée de la masse d’excitations environnantes en cascade. De surcroît, l’obligation contraignante d’avoir à jouer auprès des plus petits le rôle de la mère absente s’avérerait la source d’autres niveaux d’inélaborables excitations. Un état de déliaison pulsionnelle quasi chronique, avec une pression de la destructivité libre au sein du moi, pourrait être ici envisagé.
24Dans ces conditions peu favorables à une évolution obéissant à « l’impératif de complexification pulsionnelle », se profilerait plutôt, à la place, « l’impératif de développement prématuré du moi » [19]. L’investissement des fonctions du moi à des fins pare-excitantes prendrait le pas sur le développement des auto-érotismes et de l’émergence des satisfactions passives-réceptives. Cette hypertrophie du moi serait accompagnée d’un surinvestissement du perceptif et de la motricité, au détriment de l’hallu-cinatoire ; le domaine de l’acte et du comportement serait ainsi investi.
25D’abord « garçon manqué », à partir de l’adolescence Édith fait de la pratique des sports son principal intérêt et le moyen privilégié de traitement d’excitations en mal de pulsionnalisation. Par l’investissement massif de la musculature et la prime de plaisir favorisant la coexcitation libidinale qui s’y rajoute, elle essaye de traiter la destructivité interne, la violence maternelle exerçant sur elle une pression constante, et d’obtenir ainsi, tant bien que mal, une régulation pulsionnelle convenable. Se rendre maître de son corps sous une forme active, pour ne pas subir passivement l’emprise maternelle, est resté un rouage central de son fonctionnement.
26Ce mode de fonctionnement éminemment antirégressif, marqué de l’inachèvement et pulsionnel et narcissique, permettrait d’attribuer à cette patiente, qui n’a jamais connu la plénitude version « his majesty the baby », un narcissisme phallique [20] allant vers l’affirmation d’une plénitude fondée sur une néo-réalité. Fain développe l’idée que le narcissisme phallique naît d’une tentative de dénier le sentiment d’incomplétude qui résulte de l’inachèvement pulsionnel structural et de la perception du manque et de la différence des sexes, correspondant in fine à un vœu latent d’« être le pénis qui manque à la mère ». Dans cette perspective, le pénis prend le nom de phallus et, précise Fain, il se traduit par des idéaux du socius valorisant d’actives réussites. Le narcissisme de comportement ainsi constitué est alimenté par un idéal contraignant qui exige sa validation d’une façon permanente, sans repos (d’après M. Fain, cela devrait correspondre à l’instance définie par P. Marty comme moi idéal).
27En ce qui concerne le dysfonctionnement du système sommeil-rêve, la production onirique d’Édith s’est avérée très restreinte, le rêve échouant dans sa fonction de gardien du sommeil. Elle a fait part des rêves qui se confondent avec la réalité diurne et a évoqué également des séries de rêves, de type répétitif, qui ressemblent aux rêves de la névrose traumatique. Son incapacité à désinvestir les perceptions effractantes vigiles, restes diurnes attachés souvent à la mère menaçante et surexcitante, s’est manifestée parfois par l’apparition, avant l’endormissement, d’images figées, comme des « arrêts sur image », ayant plutôt l’effet de barrage du chemin régrédient de l’hallucinatoire.
Prurit et procédés autocalmants du moi
28Le déclenchement d’une pelade décalvante suite a un très grand choc et un décès tragique semble confirmer la vulnérabilité de ses moyens psychiques. La somatisation remplacerait un possible mouvement dépressif ou même la constitution d’une névrose traumatique. D’autres éléments sont venus complexifier le tableau : depuis la pelade, un prurit s’est mis en place sur le cuir chevelu, accompagné, surtout la nuit, d’incoercibles grattages.
29Le circuit prurit/grattage dans l’économie psychosomatique d’Édith représente encore une variante des défaillances dans le traitement psychique de l’excitation. En circuit fermé, elle tente d’apaiser une excitation douloureuse, qui la réveille parfois la nuit, en s’infligeant une excitation encore plus intense. Il s’agit de toute évidence d’un procédé autocalmant du moi [21]. Autocalmante et en même temps auto-excitante, cette utilisation de la sensori-motricité vient tenter, là encore, de réduire la tension provenant d’un brusque afflux d’excitations internes, équivalent d’un retour du traumatique, signant de façon retentissante dans le cas du prurit nocturne l’échec du travail du rêve. Bien qu’une prime de plaisir soit obtenue secondairement dans la dynamique de type orgastique (« déplacée vers le haut ») du grattage, producteur de coexcitation sexuelle, c’est la réduction des quantités d’excitations traumatiques qui est avant tout visée.
30Le développement de ces systèmes pare-excitants signe les défaillances des investissements libidinaux narcissiques (de la mère sur l’enfant, puis de l’enfant sur son corps propre), entravant le développement pul-sionnel et l’ancrage des pulsions dans les zones érogènes.
Achoppements de l’évolution de la psychosexualité
31La question de la qualité des auto-érotismes et de la circonscription des zones érogènes se pose pour tenter de comprendre les achoppements de l’évolution de la psychosexualité chez Édith.
32Dans son matériel clinique, deux souvenirs infantiles permettent d’interroger la constitution de son corps érogène. La primauté du registre économique et de la recherche d’excitations sensori-motrices va se confirmer, et questionner la qualité du registre fantasmatique et des représentations associées.
33Elle situe autour de l’âge de quatre ou cinq ans la pratique d’un jeu d’exploration génitale, que je ne détaillerai pas ici, laissant après l’évocation de ce souvenir un déroutant silence, produit ni de répression ni de refoulement ni de clivage, mais plutôt d’un « blanc » de la pensée, d’un « rien à en dire ».
34À ces âges-là, et dans les suites des naissances de la fratrie, la question de l’origine des bébés devrait être présente. Mais que peut-on supposer de l’organisation des fantasmes originaires dans un contexte de surexcitation et d’inversion des rôles au niveau de la sexuation symbolique du couple parental, avec pour résultat une mère phallique et un père châtré, à quoi vient s’ajouter l’inversion des rythmes du jour et de la nuit, car le couple se retirait au travail au moment où tous devaient dormir, barrant la possibilité de mise en place de la censure de l’amante et de l’hallucinatoire ?
35L’exploration génitale prématurée semble se passer dans un lieu corporel qui n’est pas une cavité où les éléments érotiques liés aux fantasmes de scène primitive se jouent, il est lieu de recherche de sensations à répétition. Le cas de figure de découverte prématurée du vagin chez les petites filles, commenté par M. Fain et D. Braunschweig [22], indique que l’investissement narcissique primaire de la mère a été insuffisant et n’a pas médiatisé la loi paternelle imposant le refoulement primaire du vagin en tant que zone érogène (le protégeant ainsi, par cette loi du silence, de la menace de castration). Cette prise de conscience prématurée du vagin devient alors l’équivalent d’une grande solitude et le signe de l’absence d’une mère qui ne médiatise pas l’existence du père. Les auteurs citent les observations de Léon Kreisler sur ces auto-érotismes génitaux précoces, qui confirment être avant tout le fait de petites filles ayant avec leur mère une relation très carencée.
36Il y aurait, au lieu d’une sollicitation libidinale interne soutenue par des fantasmes, excitant la zone érogène et produisant les sensations plaisantes propres aux auto-érotismes, un aspect mécanique et répétitif d’exploration dedans-dehors dans les gestes décrits par la patiente. Cela m’évoquerait plutôt l’aspect comportemental du jeu de la bobine, atteignant un degré de coexcitation sexuelle mais échouant à imprimer sa trace au niveau psychique, comme l’a suggéré G. Szwec [23] à propos des procédés autocalmants (considérés comme ersatz du jeu de la bobine).
37Un autre souvenir relatif à l’érogénisation du corps est situé vers l’âge de huit, neuf ans et concerne un surinvestissement auto-érotique des seins, qui semblerait participer à une tendance auto-excitante d’érection corporelle, qui évoluerait en un investissement phallique du corps entier érigé narcissiquement.
Les comportements sexuels autocalmants
38La sexualité, qui n’avait aucune importance pour Édith, est devenue centrale dans sa vie suite, d’une part, à son divorce, et d’autre part, à l’arrêt des pratiques sportives. Nous pouvons attribuer à cette sexualité une fonction autocalmante.
39Les débuts de sa psychothérapie ont été marqués d’innombrables récits de toutes sortes de rencontres sexuelles et de pratiques à deux ou en groupe. Toujours très factuels et dans l’absence de censure, d’ambivalence ou de culpabilité, ses récits opératoires des scénarios entre personnages se jouaient sur une scène extérieure à son psychisme, et étaient coupés des sources internes et des racines pulsionnelles précoces. Une dramatisation à polarité externe [24] remplaçait la dramatisation hystérique interne manquante. En dehors de toute structure perverse ou d’une névrose hystérique constituée, on serait plutôt dans le registre d’un comportement sexuel « orphelin de son sens enfantin », selon l’expression de M. Fain [25]. La fragilité de ses identifications hystériques primaires à la mère [26] et le manque à organiser de façon processuelle les auto-érotismes, l’œdipe, les identifications et la bisexualité psychique (in fine : la psychosexualité) l’auraient menée à la constitution d’une forme d’hystérie de comportement.
40 Se retrouvant seule après son divorce, l’appétence relationnelle et sexuelle a été une réponse impérieuse aux montées d’une angoisse diffuse issue des zones traumatiques liées aux expériences d’abandon, toujours actives, la mettant en risque permanent de déliaison. À la panoplie habituelle des agir antipassivité, elle ajoute un nouveau facteur : « le corps de l’autre ». Les rencontres de partenaires sexuels vont élargir sa gamme habituelle de décharges sensori-motrices, faisant intervenir une nouvelle sorte de sensorialité à valeur autocalmante-auto-excitante, venant du corps à corps cette fois-ci ; les limites moi-l’autre restant néanmoins bien indifférenciées. Si le but de ces rencontres n’était pas au premier chef l’obtention de satisfactions libidinales à proprement parler mais, encore une fois, la décharge d’excitations, le domptage de l’angoisse et le calme narcissique, de façon inopinée, Édith découvre un nouveau système d’alliage pulsionnel dont elle ne peut plus se passer et qui l’oriente vers l’objet.
41J. McDougall [27] a traité en profondeur, à titre de « solutions néo-sexuelles », la question d’une sexualité à valeur de réparation narcissique et de maîtrise des traumatismes infantiles. Elle a proposé les notions de néo-besoins sexuels au service de l’homéostasie narcissique et de la création d’une néo-réalité utilisant actes et objets sexuels au service de l’homéostasie libidinale, la dimension addictive de ces solutions étant centrale. Les développements de J. McDougall sont incontournables dans l’approche contemporaine de ces sexualités qui se placent, peut-on dire, « au-delà du principe de plaisir ». Bien que situant la problématique dans le registre économique et celui de l’acte, on observe néanmoins dans les récits cliniques de McDougall un florilège fantasmatique bien absent chez une patiente ayant un fonctionnement mental comme celui d’Édith.
42Dans un article récent, M. de M’Uzan [28], étudiant l’inscription des pulsions sexuelles dans l’identitaire, a situé le cas de figure de l’orgasme hors du champ de la psychosexualité, qui relève de l’ordre d’un besoin à satisfaire impérativement, et intervient dans le champ de l’autoconservation. Il fait l’hypothèse, à partir d’un cas clinique, de la présence d’une « disjonction » entre l’activité fantasmatique et l’expérience orgastique, corollaire d’un ratage initial de la séduction (par défaut ou par excès).
43André Green [29], discutant de la sexualité dans les cures des cas-limites, affirme l’idée d’une sexualisation des conflits non libidinaux, mise en œuvre par le moi devant une problématique foncièrement narcissique, qui met à nu la faiblesse de la capacité à reconnaître l’altérité. La sexualité supposée partagée devient un exercice auto-érotique, avec une réduction de l’objet à un état d’objet fonctionnel d’extension mastur-batoire. Ce mode désaffectivé de l’exercice sexuel protégerait la « forte-resse narcissique » des périls de la blessure, du rejet ou de la perte. Il fait également l’hypothèse que les « turbulences prégénitales » et autres manifestations non érotiques, auto- ou anti-érotiques, protégeraient le très idéalisé fantasme génital. A. Green, au sujet de ce qu’il nomme, dans ce texte, une « sexualité expansive » et qui peut s’exprimer notamment pendant la cure, parle d’un mouvement qu’évoque celui d’Édith. Il s’agit d’une érotisation secondaire visant à assurer une protestation virile d’activité du moi, qui refuse de subir passivement les retours possibles de traumas anciens vécus au sein de la relation objectale primaire.
44Édith, pour qui la sexualité était un nouveau sport qui lui permettait de lutter contre l’insomnie, s’est vue confrontée, peu à peu, à des équations plus complexes, où Éros est venu réclamer son dû; le processus psychothérapique et le transfert sur l’analyste y ont contribué de façon décisive. Une passion pour un homme va naître, et un rapport de type sadomasochique va s’installer entre eux, pouvant être interprété, au fur et à mesure, à la lumière du lien à sa mère et du transfert. Devant les frustrations infligées par cet homme, Édith redouble son activisme sexuel avec d’autres partenaires, afin de maîtriser par la répétition le retour traumatique des angoisses d’abandon et protéger son narcissisme. Par ces comportements de type traumatophile (ses multiples partenaires étant également « abandonniques » ou franchement sadiques), elle tente une liaison de ses pulsions destructrices par l’acte et par la répétition du traumatisme, faute de pouvoir, au moyen du fantasme et d’un affect ressenti, constituer un vécu masochique (dans le sens d’une rétention érotisée).
45G. Szwec [30], au sujet des procédés autocalmants, a mis en lumière la recherche répétitive, par la mise en tension du corps et des sens, du retour perceptif de la détresse traumatique initiale et la tentative d’une intrication pulsionnelle au niveau comportemental, à défaut d’une liaison au niveau psychique. C. Smadja [31] a proposé l’idée selon laquelle les procédés autocalmants pouvaient représenter des tentatives d’une sortie pulsionnelle, quand des éléments érotiques sont présents et essayent de lier la destructivité interne, soit par le masochisme soit par le sadisme. Son hypothèse étant que les procédés autocalmants représenteraient le destin inachevé du sadomasochisme.
46À la fin de son article « Du corps érotique au corps malade », M. Fain [32] interroge le comportement sexuel « qui ne se double pas d’aptitudes à s’exprimer autrement » et qui serait « banalement instinctuel », coupé des racines infantiles de la sexualité et du conflit œdipien : « un érotisme adulte orphelin de son sens enfantin ». Cela renverrait au problème de l’inachèvement pulsionnel chez ces individus et de la faillite des possibilités identificatoires, restées frustrantes et fragiles, ainsi qu’aux inaptitudes aux régressions. Il évoque alors le fait que ces individus sont quelquefois amenés à vivre de violentes passions pour des objets décevants par définition, puisque incapables de mettre fin à leur sentiment de manque.
47Dans ce même article, M. Fain pose une question centrale à propos de ces individus qui subordonnent leur besoin d’activité à des systèmes extérieurs : recherchent-ils ainsi ce temps du double retournement (« il me ») dont ils ont manqué ?
48Je pense reconnaître dans les comportements sexuels d’Édith un mouvement de cet ordre. Aux prises avec un personnage maternel phallique indifférencié et effractant, une sorte de figure androgyne n’ayant pas permis, de tout temps, le retour de l’investissement pulsionnel en terme de « il me », et rendant ainsi possible la constitution d’une voix réfléchie, un « je me » transformé par l’identification, Édith n’a eu de cesse de tenter, et d’échouer, par ces comportements sexuels, de (re)trouver l’objet érotique capable de boucler cette boucle.
49Par cette incursion à corps perdu dans l’univers de la consommation du sexe, Édith a cherché sans cesse, mais sans avoir le moindre soupçon, à se frotter à l’univers mystérieux de la nuit éveillée de ses parents. La mise en acte des différentes figures de la sexualité, avec des objets multiples et interchangeables, répondait à une irrépressible poussée pulsionnelle (une « pulsion en acte ») [33] dont il lui fallait se débarrasser, pour mieux la conserver.
50Il semble néanmoins qu’au-delà de l’aspect comportemental et pare-excitant, l’expérience des « relations physiques », dans certaines conditions et avec certains partenaires, a pu favoriser chez Édith l’inscription d’une trace, frayée par les sensations de plaisir issues du corps à corps, notamment homoérotiques. Cela aurait permis une liaison libidinale de sa sensorialité primaire traumatique, traitée, jusque-là, principalement par des comportements autocalmants anobjectaux, surtout sportifs. C’est ainsi qu’Édith en est venue à affirmer la « solution naturelle à l’insomnie », trouvée mais ensuite perdue, car l’accrochage à l’objet externe concret impliqué dans cette sexualité s’est avéré impossible à maîtriser, la renvoyant à l’objet traumatique initial et relançant la tendance à la répétition. Échouant à être satisfaisante, cette sexualité est restée tout de même prioritairement autocalmante.
51Si la contrainte à l’agir sexuel était autocalmante car elle remplacerait l’objet inconscient manquant et soulagerait au niveau économique la surcharge d’excitations, elle serait aussi, à mon sens, inlassable quête de satisfaction libidinale et attente d’une nouvelle réponse de l’objet.
52« Pas de sexualité sans objet [fût-elle la plus marquée par le narcissisme] et pas d’objet qui ne soit investi par les pulsions et qui ne réponde à cet investissement en y introduisant l’effet de ses propres pulsions », affirme A. Green [34]. Éros, pulsion de cohésion, implique donc le maintien d’une libido en quête d’objet, la fonction de celui-ci étant la jonction entre le plaisir et l’amour.
53L’enjeu propre aux comportements sexuels à fonction autocalmante, comme j’ai pu l’observer chez Édith, recélerait l’utilisation de l’objet même dans la recherche du calme, pouvant, dans des conditions favorables et grâce à l’infiltration de la libido, promouvoir une liaison psychique des excitations et infléchir directement l’organisation du lien pulsion-objet. Mais ce n’est qu’au sein du processus psychothérapique et des mouvements transféro/contra-transférentiels, sur lesquels je ne puis aller plus loin ici, qu’un travail intégratif de cet ordre a pu s’effectuer, au long de plusieurs années, chez Édith.
54L’acquisition progressive de nouvelles capacités régressives, favorisant la circularité activité-passivité, a permis qu’une nouvelle organisation pulsionnelle puisse voir le jour chez Édith. Devenue plus apte à un mouvement réflexif et à la reconnaissance de ses affects, ainsi qu’à leur vectorisation vers les objets, des liens entre ses états d’excitation non liée et sa psychosexualité se sont formés. Le chemin élaboratif faisant qu’une excitation somatique puisse devenir une excitation pulsionnelle pour le psychisme, l’enrichissant ainsi en représentations mentales, a pu être frayé. Cela se serait appuyé sur le mouvement décrit par D. Braun-schweig [35] d’identification hystérique inconsciente aux contenus mentaux érotiques de l’analyste, susceptibles d’alimenter la production fantasmatique de la patiente, à la manière du travail demandé à l’établissement de la censure de l’amante.
55Édith a commencé à pouvoir dormir seule et ses symptômes somatiques, notamment le prurit, sont devenus pour elle des signes de débordement pulsionnel, pouvant être exprimés par le langage. Un mouvement de requalification de l’excitation sexuelle s’est engagé, ouvrant ainsi la voie au domaine d’Éros, là où seul l’instinctuel autoconservatif pouvait régner.
56À travers le cheminement de cette patiente, une notion, qui demanderait à être approfondie, a pu se dégager, celle d’un gradient d’Éros marquant le différentiel entre une sexualité autocalmante, au-delà du principe de plaisir, et une sexualité satisfaisante, régie par ce principe.
57En fait, un tournant dans le traitement d’Édith s’est produit quand, lors d’une séance, elle a remarqué qu’après les relations sexuelles, il suffisait que son partenaire la prenne dans ses bras et qu’elle pose sa tête sur son épaule pour qu’elle s’endorme immédiatement. Elle va alors se demander avec stupéfaction si le moment véritablement recherché lors des relations sexuelles, depuis qu’elle les pratiquait de façon à peu près indifférenciée, n’était autre que celui où dans le corps à corps elle tentait d’obtenir la chaleur et la tendresse qu’elle n’avait jamais eues auprès de sa mère.
58Dès lors, elle a pu commencer à songer au « sommeil des amoureux » [36], dans lequel, à l’instar du sommeil des nourrissons, les amants, endormis dans les bras l’un de l’autre et dans une projection mutuelle du narcissisme du moi, reproduisent l’unité primaire avec la mère. Ce sommeil qui « alimente le désir », différent de celui qui suit les relations sexuelles ayant une « fonction pare-excitante où chacun du couple se retourne de son côté », ou encore de celui du « couple occasionnel qui pense à se séparer et à aller dormir ailleurs », va pouvoir devenir le nouveau rêve éveillé d’Édith...
59Dans cette perspective, le champ d’Éros pourrait évoluer le long de la « chaîne érotique » décrite par A. Green [37], qui, partant des motions pulsionnelles (avec leurs enracinements somatiques), s’épanouirait jusqu’aux fantasmes, sublimations et langage, en passant par le désir et le souvenir.
Mots-clés éditeurs : Excitation, Inachèvement du destin pulsionnel, Prurit, Traumatisme précoce, Refus de la passivité, Insomnie, Intrication-désintrication pulsionnelle, Co-excitation
Date de mise en ligne : 14/05/2008
https://doi.org/10.3917/rfps.033.0163Notes
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