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Article de revue

Stress et traumatisme en psychosomatique

Le stress, partie émergée du traumatisme

Pages 91 à 104

1Le terme « stress » est couramment employé dans le langage populaire pour signifier un état d’excitation et de débordement des capacités physiques et psychiques à exprimer un état d’angoisse, un conflit ou une situation de perte. L’évolution du concept neuro-psycho-biologique de cette notion depuis la définition des auteurs (Bonne, Bard) qui décrivaient l’association des signes physiques à un état émotionnel a abouti au syndrome général d’adaptation qui selon H. Selye (1936) caractérise la défense de l’organisme face au risque de perte de l’homéostasie.

2L’approche psychosomatique de type psychanalytique a pris en compte la dimension économique actuelle du moi dans la période aiguë du traumatisme tout en intégrant les éléments structuraux de la personnalité. C’est surtout dans la période post-traumatique que la capacité d’une reprise élaborative des éléments traumatiques du moi se révèle.

3Ces deux champs théoriques ne nous semblent pas superposables. L’approche neurobiologique du stress repose sur les réactions physiologiques de l’organisme.

4La théorie psychanalytique et psychosomatique intègre le facteur de désorganisation économique du moi dans le processus psychique tant dans la phase aiguë du traumatisme que dans la période post-trauma-tique. Nous proposons d’approfondir cette hypothèse à partir d’une expérience originale.

L’APPROCHE PSYCHOSOMATIQUE DES ENFANTS VICTIMES DU SÉISME

5Après le séisme du 7 décembre 1988 en Arménie, nous avons pu mettre en place avec la participation active de Pierre Marty un vaste programme d’aide psychologique des enfants pendant deux ans. L’approche psychosomatique nous a semblé d’emblée pertinente à partir des premières investigations présentées sous la forme d’un questionnaire. Les éléments de la névrose étaient recueillis, ainsi que les modifications de l’état psychique, celles du caractère mais aussi les failles de l’efficience mentale, l’apparition des processus de régression libidinale narcissique ainsi que d’éventuelles somatisations. C’est après avoir analysé les différents éléments de ces questionnaires que le suivi thérapeutique a pu être réalisé.

6La mise en place d’un programme de soins psychologiques en partenariat avec des médecins et psychologues arméniens a permis de travailler auprès des enfants dans des prises en charge par groupes de cinq ou six, plusieurs séances par semaine, sur une durée variant de trois à six mois en associant parfois des entretiens individuels. Toutes les prises en charge étaient médiatisées par une activité symboligène (peinture, dessin, théâtre, jeux, contes, mimes, vidéoscopie…) adaptées aux situations locales et aux moyens matériels mis en œuvre.

7L’analyse des premiers résultats mettait en évidence l’existence d’un état traumatique externe et d’une désorganisation psychique à distance de l’événement vécu chez tous les enfants et adultes qui présentaient par ailleurs une structure névrotique de base. Les enfants qui n’avaient pas subi le traumatisme en direct, mais qui étaient pris dans un faisceau d’angoisse et d’excitation à travers les informations télévisées audiovisuelles, les discours des parents, les sensibilisations patriotiques communautaires, présentaient également des perturbations psychopathologiques le plus souvent mineures et transitoires (troubles du sommeil, inhibition ou excitation motrice).

8La prise en compte de l’approche psychosomatique à partir de la lecture de la grille d’évaluation de Pierre Marty, adaptée à la psychopathologie infanto-juvénile, nous a beaucoup aidé à appréhender les facteurs de risques d’une éventuelle désorganisation somatique à distance de l’événement traumatique, entrant ainsi dans le cadre habituel du syndrome post-traumatique. Ainsi, l’absence ou la non-reconnaissance de l’existence d’un affect tels que l’effroi (Schreck), la détresse, la peur, associée ou non à l’expression verbale liée à toute situation, et a fortiori le séisme, a été analysée comme un facteur péjoratif. En effet, l’absence de liaison primaire entre le perceptum douloureux et traumatique et l’expression de l’affect primaire engendre une situation d’excitation libre avec le risque de constitution d’un noyau traumatique précoce. Par contre, l’expression vécue, l’éprouvé et même sa verbalisation sous forme répétitive signait l’existence de l’état traumatique voire même une organisation sous forme de névrose traumatique.

9Le terme d’organisation, accolé à celui d’état traumatique voire même de névrose traumatique, montre en réalité la capacité du moi à réactiver l’état traumatique pour favoriser l’expression de l’affect et le lier à une représentation consciente et/ou inconsciente. Il s’agit ainsi d’une organisation primaire à partir de laquelle le travail de psychisation peut être réalisé. C’est l’installation prolongée de cet état traumatique qui engendrait une certaine désorganisation psychopathologique. Tout état traumatique prolongé oblige le moi à une protection de son économie, retardant du même coup toute possibilité de psychisation. Par ailleurs, les mouvements de libidinisation peuvent s’en trouver gelés, entraînant aussi une stase qui pourrait renforcer l’état d’excitation en lien à l’état traumatique lui-même. Il semble ainsi que l’appareil psychique, incapable d’élaboration mentale de l’état traumatique, et ce phénomène de stase libidinale renforcent tous deux les conditions d’une désorganisation somatique.

10C’est dans ce contexte que la présence d’un silence symptomatique, en même temps que l’absence de l’éprouvé en affect, reflétait aussi une situation à haut risque de désorganisation somatique par ce processus de rengorgement de l’excitation et de l’écoulement vers le soma. Cette approche psychodynamique de l’état traumatique se heurte à des conceptions théoriques sur le stress caractérisées par des approches thérapeutiques très particulières.

11L’analyse de cette modalité plurielle de prise en charge unique dans son ampleur (près de trois mille enfants) à partir de l’approche psycho-dynamique des personnalités a montré une certaine originalité dans la période historique de la Perestroïka où les collègues arméniens étaient formés aux thérapies comportementales russes puis aux thérapies comportementales du béhaviorisme américain. Ainsi, selon les méthodes comportementales, les thérapeutes faisaient dessiner une scène de séisme plusieurs fois, puis déchiraient et jetaient les dessins en évoquant la fin de la peur et de l’angoisse.

12Certes la répétition d’un état traumatique figuré peut réveiller l’état d’alerte et l’angoisse signal d’alarme que le moi opère d’ailleurs spontanément pour lutter et pour mieux maîtriser l’état traumatique, mais cette technique aurait tout au plus sa raison d’être, selon nous, dans le cas où l’enfant présente un silence symptomatique et une abrasion de l’affect. Cette approche désubjectivante à caractère désobjectalisant reflétait, à notre sens, une volonté réductionniste au symptôme, peur du séisme, sans possibilité associative ni élaborative du sujet face à son symptôme.

LA CAPACITÉ DÉSUBJECTIVANTE ET L’IDENTIFICATION DE MASSE

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  1. Dans l’hypothèse d’une structuration œdipienne de la névrose infantile, l’approche psychosomatique psychanalytique semble répondre à un double souci de subjectivation et d’appropriation en prenant en compte la capacité de remémoration et de liaison d’une perception vers un autre contenu représentatif conscient ou inconscient où l’angoisse de castration peut avoir son effet réorganisateur.
  2. État traumatique. Nous compléterons la définition d’un état traumatique en référence à la problématique de l’identification de masse différente de la notion d’identification primaire.

14En effet, la capacité déstructurante de tout état traumatique de masse (séisme, guerre, attentat, catastrophes humanitaires…) engendre une identification de masse qui se manifeste par l’abrasion des processus d’individuation, une indifférenciation entre victimes et agresseurs et une condensation de la problématique communautaire au service du même but qui réside dans la préservation et l’autoconservation de chaque individu et de la protection contre l’agent traumatique.

15Dans Psychopathologie des masses, Freud fait référence à un processus d’identification de masse des individus à un chef. Dans Totem et Tabou, le père de la horde primitive constitue l’idéal auquel chaque sujet du groupe cherche à s’identifier, alors que dans l’état traumatique de masse, au contraire, la nécessité de survie et d’autoconservation engendre un comportement de lutte contre la désorganisation sans référence à la notion d’idéal. L’analyse de l’état traumatique de masse montre néanmoins qu’il s’agit d’une situation identique à l’état traumatique que chaque sujet a subi. Le processus d’identité de groupe repose sur l’évocation permanente de l’état traumatique individuel de chaque membre et il renforce l’adhésion et la reconnaissance mutuelle.

16C’est dans un deuxième temps qu’un mouvement de réappropriation lié à un processus de régression narcissique permet au sujet d’appréhender sa propre réaction affective et psychique ; c’est aussi un mouvement de subjectivation en fonction de la constitution affective et psychique de l’organisation de sa personnalité.

L’APPROCHE THÉORICO - CLINIQUE DU SYNDROME POST - TRAUMATIQUE

17La notion de stress ne se superpose pas à celle du traumatisme, elle n’est que la partie émergée d’un iceberg caractérisée par la prise en compte de l’approche affective de chaque sujet.

18Le syndrome post-traumatique est un concept clinique très général où l’on retrouve les descriptions d’un état dépressif, voire délirant et hallucinatoire ou d’une somatisation.

19Néanmoins, deux aspects psychopathologiques semblent dominer la discussion. D’une part il est nécessaire d’apprécier les modalités d’atteinte corporelle, non seulement celle de la douleur mais aussi la perte partielle d’un organe ou d’un membre. D’autre part, comme nous l’avons évoqué déjà, nous étudierons la notion de silence sensori-moteur et d’absence d’expression de l’éprouvé /affect.

20a/ Douleur physique, perte corporelle, travail du moi. Dans leurs textes sur les névroses de guerre, Ferenczi (1918) et Freud ont toujours montré que la partie atteinte et/ou manquante du corps faisait l’objet d’un investissement narcissique. Il semble que la régression narcissique favorise le travail du moi envahi par l’atteinte corporelle et l’agent traumatique. Le déni de la perte d’un membre est également souvent nécessaire au moi.

21Par ailleurs, la co-excitation libidinale permet de lier la douleur physique à un processus de représentation interne du moi. La perte d’une partie du corps réactive souvent l’image d’une amputation du moi. L’angoisse de castration peut ainsi être réifiée à partir de la réalité de la castration. Un véritable travail du moi permettra d’élaborer la perte en termes de castration symbolique liée à la peur de perdre le pénis. La référence à la castration réelle repose sur l’échec de ce travail du moi en relation à des failles de l’appareil psychique et de ses capacités de représentations. Ainsi, le déni de « la castration réelle » induit le processus de régression et de fixation à l’image, perdue, du moi ; pour éviter sa propre perte, le moi dénie la perte d’une partie du corps.

22Lorsque ce processus est mis en place, on peut envisager que l’expression délirante hypocondriaque soit une véritable solution à la réaction bruyante du corps perdu mais où la douleur physique ne se fixe pas sur l’objet perdu mais sur tout l’espace corporel lieu d’un investissement narcissique indifférencié.

23Ces modalités psychopathologiques reflètent la capacité restructurante du moi face à l’état traumatique et à la perte d’une partie du corps.

24b/ Silence symptomatique. Le silence symptomatique et l’absence d’expression de tout affect méritent un développement clinico-théorique.

25Quelques jours après le séisme, certains enfants recherchaient activement les traces de leurs jouets, ou cahiers de classe, dans les décombres de leur maison, des parents cherchaient des photographies de leurs proches disparus ou dont ils n’avaient plus de nouvelles. Cette tentative de retrouver une partie investie par le moi et manquante rentre dans le cadre du processus précédemment décrit tant à propos de la recherche de l’intégrité du moi que du travail de subjectivation. Ce processus peut être rendu impossible du fait d’une perte partielle des capacités de mémorisation et d’activité sensori-motrice, voire même d’une amnésie post-traumatique totale.

26Il ne peut alors s’y substituer qu’une évocation quasi écholalique de la scène traumatique, purement narrative, descriptive avec une absence totale d’expression des affects.

27Le discours du sujet s’enferme dans une série d’évocations où le perceptif domine. Il s’agit d’une narration souvent répétitive de la scène traumatique, voire d’un autre contenu en apparence banale. Ces sujets présentent un véritable état traumatique silencieux.

28Pour effectuer un hypothétique travail du moi sur des représentations perceptives conscientes, il cherche à réveiller l’affect lié à la perception avant de pouvoir en lire et en élaborer les traces mnésiques.

29Nous pensons cependant qu’ils tentent de faire éprouver à l’observateur ce qui manque structurellement en eux. En d’autres termes, la réaction d’effroi qu’ils provoquent souvent chez leur interlocuteur peut être un facteur de réveil d’un affect de leur propre moi.

30Dans les cas favorables, le silence de l’affect nous semble ressortir davantage à un gel du processus d’affectation plus qu’à un blank ou à un vide narcissique.

31Alors ce discours narratif serait destiné à l’observateur. Certes, il vient en lieu et place du travail du moi qui consiste en une tentative de liaison de l’effroi tel que Freud l’a défini dans la névrose traumatique, mais le travail de liaison se trouve délégué à un autre, ce qui nous autorise à penser qu’il y aurait ainsi une « subjectivation par procuration ». c/ Silence symptomatique, son lien avec la pensée opératoire. Silence de l’affect, dépression essentielle et pensée opératoire, telle qu’elle a été définie par Pierre Marty, peuvent être rapprochés.

32Pierre Marty a décrit ces concepts chez des patients dont le fonctionnement mental était pauvre, où toute évocation traumatique, dépressive ou conflictuelle était narrée sur le même mode d’un détachement ou d’une répression du moi face à tout affect et représentation.

33Cependant, dans ce que nous appelons le silence de l’affect, le processus en cause relève davantage d’une carence de la liaison primaire entre affect et perception que d’un mécanisme actif du moi de désaffectation. Il semble que la qualification maternelle et l’expérience de tendresse primaire n’aient pas été suffisamment étayantes pour le bébé.

34L’observation clinique des sujets à fonctionnement opératoire fréquent révèle qu’ils possèdent des capacités d’adaptation à toute réalité factuelle.

35Ils peuvent même gérer la situation traumatique avec le moins de « stress » possible en investissant le contexte nouveau sur le mode opératoire.

36Il semble néanmoins qu’il existe d’autres mécanismes de lutte antitraumatique chez ses sujets. Ainsi, la mise en place de mécanismes de décharge sensori-motrice, comportementale peut être considérée comme des systèmes d’adaptation (au sens de H. Selye) à la situation de perte de l’homéostasie physico-psychique.

37L’absence de structure psychique du type psychonévrotique empêche tout travail d’élaboration du processus de la perte et de l’excitation traumatique qui lui est liée.

38Seul l’écoulement dans les voies de décharges comportementales et somatiques est utilisé.

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  • Lors de leur observation, certains enfants victimes du séisme qui ne montraient pas de symptômes et semblaient donc bien adaptés à la nouvelle réalité présentaient des somatisations (eczéma, pelade) à distance de l’événement traumatique.
  • Ainsi, chez des enfants qui avaient été séparés de leurs parents et de leur cadre de vie soit pour être soignés à l’étranger soit pour y passer des colonies de vacances, il a été signalé l’apparition de modifications biologiques (diabète secondaire et pelade) et des troubles graves du caractère.

40C’est donc la perte d’un cadre à valeur structurante dans cette période traumatique générale qui a provoqué une angoisse massive en réveillant probablement l’état traumatique silencieux. Ces enfants, nous le rappelons, n’avaient pas manifesté de troubles particuliers dans les premiers temps du séisme.

TRAUMATISME ET TRAVAIL PSYCHIQUE DU MOI

41La capacité de reprise de l’activité mentale se fait ainsi à distance de la névrose traumatique.

42Elle est toujours liée à la structure psychique préexistante, et le travail de l’appareil psychique ne peut s’effectuer que lorsque toute l’économie du moi a trouvé un certain apaisement face à l’excitation traumatique.

43Le premier temps de reprise de l’activité psychique est toujours celui de la névrose traumatique qui signe la capacité du moi à répéter le perceptif pour lier l’angoisse signal d’alarme.

44– Un enfant rappelait le rêve d’angoisse dans lequel il courait après son jeune frère pour se bagarrer avec lui. La menace de castration était représentée par l’image onirique de la scène traumatique : la terre se fendait sous ses pas.

45La capacité du moi à élaborer et à déplacer l’angoisse de castration liée à la perception traumatique s’exprime également à travers le langage et la métaphorisation du mot d’esprit.

46– Dans le jeu d’enfant, un, deux, trois, soleil, où il s’agit de ne pas se faire attraper, les enfants avaient transformé le mot soleil par tremblement de terre.

47Ainsi, confronté à l’angoisse de castration, le jeu de ces enfants témoignait de la capacité de leur moi à lier l’excitation en recourant à des métaphores permettant un accès à une symbolisation.

48Dans ce cas, le travail de l’appareil psychique du moi s’effectue à partir d’un processus dynamique de baisse de l’état de tension lié à la situation traumatogène sous l’égide des capacités structurelles des sujets de type psychonévrotique.

49Bien entendu, ce travail dépend du type de structure rencontrée.

50Dans notre expérience, les sujets qui ont un fonctionnement psychotique où toute réalité est déniée semblaient mieux défendus face à la situation traumatique du séisme. Il est probable que chez les psychotiques la réalité était déniée mais aussi non perçue comme un facteur de danger tant la liaison consciente entre le danger et le moi est dissociée. Ce n’est que dans un second temps que l’on a pu observer des décompensations psychotiques, voire des somatisations chez des patients psychotiques qui avaient perdu une partie de leur cadre de vie habituel (déménagement des hôpitaux, surpopulation des services du fait du rapatriement des malades, état d’angoisse permanente des personnels soignants et de leurs familles…).

51Ainsi, pour ces sujets psychotiques, la perte de leurs repères habituels en lien avec la construction d’une néo-réalité a constitué des circonstances de désorganisation de leur fonctionnement mental habituel. Cette perte s’est révélée plus déstructurante que l’état post-trau-matique lié au séisme.

DISCUSSION THÉORIQUE

52Dans l’approche psychosomatique, la notion d’état traumatique dépasse donc la définition neuro-psycho-physiologique contenue dans la notion de stress.

53L’état traumatique abrase toute subjectivation en uniformisant et en condensant toute la problématique du sujet et du groupe social autour de la survie et des besoins liés au maintien de l’autoconservation. L’approche psychosomatique de type psychanalytique a permis de mettre en évidence l’importance de la constitution de la névrose traumatique car elle est nécessaire à tout travail d’élaboration psychique en fonction de la structure mentale de chaque sujet.

54À la différence du stress qui est une réaction d’indifférenciation uniformisante, la névrose traumatique est un concept psychopathologique spécifique à partir duquel chaque sujet pourra ou ne pourra pas recouvrer son fonctionnement psychique de base.

55Ainsi, si on peut utiliser ce langage mixte, tout sujet en situation de stress ne développera pas forcément un état traumatique et a fortiori une névrose traumatique.

56Nous pouvons distinguer trois possibilités de réponse à une situation de sinistre qui répondent à trois structures psychopathologiques.

57Les structures psychosomatiques ou opératoires, les structures psychotiques et les névrotiques.

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  1. Les patients dits opératoires, c’est-à-dire au fonctionnement mental caractérisé par une absence d’affects et de représentations, nous ont permis de développer la thèse du silence symptomatique et du blank, ou vide narcissique.
    C’est le défaut de la liaison primaire affect/perception dans l’édification des premières expériences de tendresse maternelle primaire qui constitue la faille originaire.
    L’affect non qualifié dans une expérience de tendresse, de satisfaction et d’insatisfaction n’est pas organisé dans un système perceptif, même si la perception sensorimotrice existe de façon quasi autonome.
  2. L’expérience des sujets psychotiques en état traumatique soulève un point de discussion théorico-clinique très important.
    Il nous semble que chez le sujet psychotique la réalité d’un état traumatique avec une surcharge d’excitation fait l’objet d’un processus de déni et de clivage psychotique comme toute situation attaquant sa réalité. L’état traumatique n’est traumatique pour lui qu’à partir de la notion que c’est la perte de la néo-réalité qu’il a construite qui lui fait perdre ses repères habituels, ce n’est pas la surcharge d’excitation non élaborable psychiquement qui est traumatique mais en tant qu’elle attaque cette solution défensive constituée par la néo-réalité.
    En effet, le déni de perception lors de l’état traumatique aigu n’a pu subsister que tant que l’encadrement n’était pas altéré.
    La néo-réalité et l’échec de ce processus de déni de perception altèrent tout le fondement psychotique. La perte de l’encadrement est un facteur plus désorganisant que l’état traumatique en soi.
  3. Chez le sujet névrosé, le traumatisme fait l’objet d’un travail psychique dont le premier temps porte sur la constitution d’un état traumatique voire d’une authentique névrose traumatique qui a pour but de réactiver l’angoisse signal d’alarme véritable. Elle constitue un véritable affect primaire en lien dans son devenir avec l’angoisse de castration.

59Le travail de désubjectivation de tout état traumatique ne peut s’entendre que dans la phase aiguë de l’identification de masse au moment du traumatisme lui-même. Le processus de réappropriation et de subjectivation s’établit dès lors que l’état traumatique et l’excitation source sont taris et que les mouvements individuels sont rétablis en fonction de l’histoire affective et de la structure psychique de chaque individu.

CONCLUSION

60La notion de stress et les concepts d’état traumatique aigu et de névrose traumatique ne se superposent pas tant du point de vue quantitatif que qualitatif.

61L’analyse du moi et la psychologie des masses tels que Freud les a définis viennent complexifier et enrichir nos développements théoriques.

62Il nous semble important de spécifier l’état traumatique aigu et la constitution (ou non) d’une névrose traumatique authentique qui sera le point de départ d’un véritable travail psychique du moi.

63Ainsi, l’agent traumatique externe (individuel tel qu’un accident de la circulation, un deuil brutal ou collectif tel qu’une situation génocidaire, ou des victimes de guerre, d’un séisme…) et l’agent traumatique interne (une maladie organique, un conflit affectif, une perte d’amour…) font l’objet d’un travail psychique du moi après un certain délai durant lequel le processus de l’économie individuelle de chaque sujet est mis à rude épreuve tant au plan psychosomatique que psychique.

64Il nous semble que cette période est propice à la constitution d’un processus d’identification de masse et d’identité de groupe. L’état du moi dans cette phase de désorganisation est sensiblement identique chez tous les sujets.

65L’analyse de ce processus montre que le regroupement des individus s’organise autour d’une identité de victimes, au service d’une autoconservation individuelle et d’une reconnaissance mutuelle excluant tout individu qui n’aurait pas vécu ce traumatisme ou qui ne le reconnaîtrait pas.

66Il semble que ces phénomènes d’identification de masse ne reposent pas sur un processus d’identification primaire tel que Freud l’a défini au sujet des processus de foule qui vénèrent leur idole, véritable recherche d’un idéal du moi personnifié chez un autre individu qui prend alors le statut de leader incontesté et unique.

67Dans cette identification de masse et d’identité de groupe, un vrai travail du moi peut s’opérer chez chaque individu autour du rassemblement qui favorise, à distance de l’événement traumatique, un autre travail de mémoire. Ainsi, l’identification de masse s’ouvre vers un processus de transmission dans certains cas (victimes de guerre, des génocides). Mais cette identification de masse peut aussi s’organiser autour d’un processus d’allure sectaire et d’investissement narcissique.

68La prolifération de certaines associations de victimes, voire de malades somatiques rentre dans le cadre d’une procuration du travail individuel du moi au service de l’investissement narcissique de chaque individu du groupe à valeur défensive où le moi ferait l’économie psychique et où il laisserait la place à une conduite de lutte en rapport à un préjudice.

69Il semble néanmoins que l’analyse du travail du moi ne se limite pas à cette identification de masse.

70La constitution de la névrose traumatique telle que Freud l’a définie en 1920 représente un réel travail du moi caractérisé par sa capacité de réactivation de l’angoisse signal d’alarme.

71C’est à partir de ce premier temps que le travail d’élaboration du traumatisme pourra s’effectuer, en particulier en liant cette angoisse signal d’alarme aux représentations inconscientes organisées autour de l’angoisse de castration.

72Ce travail du moi signe la resubjectivation et il nous semble qu’il ne peut s’effectuer que dans un deuxième temps de paix économique et psychique où le moi n’est plus envahi par une surcharge d’excitation liée à la situation traumatique (individuelle et collective).

73Il est également possible que durant le premier temps d’identification de masse et d’état traumatique aigu l’investissement narcissique soit prédominant voire même fixé autour d’une attitude de revendication, d’un préjudice de la perte.

74Le processus de resubjectivation est lui-même tributaire de la constitution psychique du moi préexistant à l’événement traumatique. Dans notre approche psychanalytique, psychosomatique, nous nous sommes intéressés à l’état carenciel du moi dans sa capacité à lier le perceptum à un affect primaire. Dès lors, le travail du moi dans la phase d’expression de la névrose traumatique et de réveil de l’angoisse signal d’alarme est rendu encore plus difficile. Le devenir de l’excitation (liée à l’état traumatique) fera alors l’objet d’un traitement spécifique du moi.

75Selon Pierre Marty qui définissait la névrose de comportement, la décharge motrice était privilégiée, permettant ainsi une lutte antitraumatique. Avec l’approche des procédés autocalmants (C. Smadja et G. Szwec), le pôle de l’économie psychosomatique du moi est également privilégié en même temps que l’inachèvement d’un processus de type masochique (non érogène) est mis en œuvre. L’état traumatique et la constitution de la névrose traumatique semblent constituer le fondement indispensable d’une conception psychodynamique de la notion de traumatisme.

76L’abrasion de la subjectivation durant le premier temps de l’état traumatique aigu laisse sa place à un véritable travail psychique du moi dès lors que la névrose traumatique a pu être constituée.

77Néanmoins, l’analyse de l’identification de masse puis celle de l’approche psychosomatique du moi et du risque de fixation narcissique et enfin celle des patients psychotiques nous ont montré une certaine relativité des capacités individuelles du moi d’élaborer la désorganisation à partir d’un état traumatique aigu.


Mots-clés éditeurs : Identification de masse, Stress, Névrose trauma- tique, Désubjectivation post-traumatique, État traumatique aigu, Reprise élaborative du névrosé

Date de mise en ligne : 01/10/2006

https://doi.org/10.3917/rfps.028.0091

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