Notes
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[1]
Il est difficile d’évaluer la proportion des élèves à HPI qui rencontrent des difficultés d’adaptation scolaire. En France, le chiffre d’un tiers est souvent avancé. Il convient néanmoins de rester prudent car cette proportion – non validée scientifiquement – varie d’un auteur à l’autre (Brasseur & Cuche, 2017).
-
[2]
En ligne : <https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Handicap/94/7/Guide_Qualinclus_diffusion2_19072018_984947.pdf> (consulté le 19 octobre 2020).
-
[3]
En ligne : <https://eduscol.education.fr/cid59724/eleves-intellectuellement-precoces.html> (consulté le 3 octobre 2019).
-
[4]
En ligne : <https://www.education.gouv.fr/devoirs-faits-un-temps-d-etude-accompagnee-pour-realiser-les-devoirs-7337> (consulté le 19 octobre 2020).
-
[5]
La variable agrégée est la moyenne des sept items qui composent cette variable ; alpha de Cronbach [α] = 0,96.
-
[6]
La variable agrégée est la moyenne des six items qui composent cette variable ; α = 0,88.
-
[7]
La sous-représentation des filles observée dans notre échantillon apparaît conforme à la littérature au sujet de l’identification du haut potentiel intellectuel en France (Courtinat-Camps, Massé, de Léonardis et al., 2017).
Introduction
1Les enfants à haut potentiel intellectuel (HPI) représenteraient en France 2,6 % de la population scolarisée de 6 à 16 ans, soit environ 200 000 élèves si l’on considère un seuil de quotient intellectuel (QI) supérieur ou égal à 130 ; critère d’identification qui, à défaut de faire l’unanimité dans le monde de la recherche ou de la pratique, est actuellement le plus couramment retenu (Terriot, 2018). Contre toute attente, certains de ces élèves peuvent éprouver des difficultés d’adaptation à l’école malgré un potentiel élevé (Tordjman, Vaivre-Douret, Chokron et al., 2018). En l’occurrence, Delaubier (2002) évoque une proportion d’un tiers d’élèves à HPI en difficulté dans leur parcours scolaire en France [1], un phénomène qui s’expliquerait, selon Courtinat-Camps (2014), par un contexte socio-pédagogique inadapté aux caractéristiques cognitives et socio-affectives de ces élèves ainsi que par un rapport au savoir et à l’apprendre singulier.
2La prise en compte des besoins éducatifs particuliers (BEP) des élèves par l’école ordinaire figure parmi les priorités de la politique éducative française, choix qui s’inscrit dans un contexte d’exhortations à l’inclusion scolaire formulées par différents organismes internationaux (par exemple la Charte de Luxembourg de la Commission européenne en 1996, les recommandations de l’UNESCO en 2006 et 2009). L’école inclusive – amorcée en France par la loi du 11 février 2005 – se révèle ainsi un enjeu majeur et fait l’objet d’un chapitre de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. La notion d’élèves à BEP est comprise dans une acception élargie et concerne, au-delà des élèves en situation de handicap, les élèves en grande difficulté d’apprentissage ou d’adaptation, les enfants malades, les élèves à HPI, etc. (Qualinclus [2]). Les dispositifs d’accompagnement des élèves, omniprésents dans les établissements scolaires (Barrère, 2013), deviennent alors les principaux instruments au service de ces nouvelles politiques. Caractérisés par leur « capacité d’inflexion de la forme scolaire habituelle » (Barrère, 2013, p. 96), ils se targuent de proposer une réponse adaptée à la réussite de tous au sein de l’école ordinaire.
3Concernant la scolarité des élèves à HPI, il s’agit d’une préoccupation du ministère de l’Éducation nationale (MEN) depuis la publication, en 2002, du rapport Delaubier. En 2005, la loi d’orientation et de programme sur l’avenir de l’école prévoit, pour ces élèves, la mise en place d’aménagements spécifiques ; deux circulaires du Bulletin officiel (BO) de l’Éducation nationale (BO no 38 du 25 octobre 2007 et no 45 du 3 décembre 2009) apporteront des précisions pour la mise en œuvre de ces mesures. En 2019, le MEN publie un nouveau guide à destination des personnels de l’Éducation nationale, un vade-mecum [3] qui informe sur les ressources et aménagements pédagogiques pour la scolarisation de ces élèves.
4Dans ce contexte, plusieurs collèges publics proposent aux élèves à HPI de poursuivre leur scolarité en classe hétérogène (classe ordinaire, où ils sont scolarisés avec les élèves tout-venant) tout en bénéficiant d’un dispositif spécifique qui favorise l’accès à différents aménagements tels l’accélération des parcours, des ateliers extrascolaires ou encore un accompagnement individuel par un adulte. Notre article s’intéresse à cet accompagnement et propose d’analyser la perception de celui-ci par les élèves concernés : cette perception est-elle uniforme et homogène ou au contraire, peut-on y repérer des différences ? Si oui, peut-on mettre en évidence des profils différenciés de perception de cet accompagnement chez des élèves à HPI ? Il s’agit également d’amorcer une réflexion quant à la portée et la pertinence de cet aménagement proposé aux collégiens à HPI, en se centrant sur le point de vue des acteurs concernés.
L’accompagnement individuel des élèves
Les différentes situations d’accompagnement
5L’accompagnement, défini comme une « structure intermédiaire qui permet aux individus de découvrir comment devenir autonome par le biais d’une relation temporaire avec un accompagnant » (Verzat, 2010, p. 39), recouvre une multiplicité de pratiques telles que tutorer, mentorer, coacher, etc. (De Ketele, 2014). Si elles partagent des caractéristiques communes comme « la rencontre entre deux personnes » et des « préoccupations communes » (De Ketele, 2014, p. 75), elles varient toutefois du point de vue des besoins des personnes accompagnées et des réponses apportées en retour. De Ketele (2014) propose d’organiser les différentes situations d’accompagnement possibles en quatre catégories, correspondant chacune à un objectif et une situation spécifiques : « ramener dans le chemin » (situation de tutorat), « faire découvrir un nouveau chemin » (coaching), « faire découvrir un chemin oublié ou non reconnu » (mentorat) et « s’aventurer ensemble dans de nouveaux chemins » (promotion de thèses). Son modèle appréhende quatre formes d’accompagnement organisées selon deux axes : le référentiel de compagnonnage (allant de fixé à ouvert) ainsi que les préoccupations initiales du compagnonnage (de « partir du déjà là » à « vivre du nouveau » ; De Ketele, 2014, p. 76-77). Dans les dispositifs pour élèves à HPI, l’accompagnement proposé par un personnel du collège ne semble relever ni du coaching scolaire qui serait réalisé par une personne extérieure, rémunérée par les familles pour ce travail (Glasman & Besson, 2004), ni d’un accompagnement tel celui d’un directeur de thèse avec son étudiant. L’accompagnement proposé dans ces dispositifs relèverait ainsi plutôt du tutorat ou du mentorat.
6Plusieurs éléments semblent faire pencher la balance du côté du mentorat. En effet, si l’on se réfère au modèle proposé par De Ketele (2014), les préoccupations initiales partent « du déjà là » sur l’axe des préoccupations initiales du compagnonnage. Concernant le deuxième axe, celui du référentiel de compagnonnage, il est fixé – et même « fermé » – dans le cadre du tutorat car le tuteur vise à remettre le tutoré au bon niveau scolaire ; tandis qu’il est ouvert dans une situation mentorale avec un mentor qui aide le mentoré « dans son développement personnel ou professionnel » (De Ketele, 2014, p. 77). Cette distinction entre le tutorat et le mentorat fait écho aux travaux de Baudrit (2010) selon lesquels les tuteurs apportent une aide sur le plan scolaire, alors que les mentors interviennent plutôt dans le champ des interactions sociales en proposant un soutien sur le plan psychologique et en travaillant la confiance en soi des mentorés. Enfin, si les adultes accompagnateurs de notre étude sont appelés des tuteurs dans certains collèges, les échanges avec les chefs d’établissement lors de la première prise de contact ont mis en évidence que cet accompagnement individuel ne se limite pas à un appui scolaire (tutorat) mais apporte également, voire surtout, une aide dans le domaine des interactions sociales (mentorat).
7Alors que le mentorat en milieu scolaire (en anglais, school-based mentoring, SBM) est un champ d’étude particulièrement investi outre-Atlantique, nous constatons la quasi-absence de recherches empiriques sur ce sujet en France. C’est donc à la lumière des travaux américains que nous avons étudié cet accompagnement proposé à des élèves à HPI dans des collèges publics français. Notons qu’aux États-Unis, le mentorat est défini comme une relation structurée et de confiance qui rassemble les jeunes et des personnes bienveillantes qui les guident, les soutiennent et les encouragent dans le but de développer leurs compétences et leur caractère (MENTOR/National Mentoring Partnership, 2003, cité par DuBois & Karcher, 2005), une description qui semble correspondre à l’accompagnement présenté par ces chefs d’établissement.
Le mentorat dans le contexte américain
8Les Américains distinguent deux formes de mentorat : le mentorat communautaire (en anglais, community-based mentoring, CBM) où l’accompagnement se déroule en dehors de l’école (Wood & Mayo-Wilson, 2012) et celui en milieu scolaire (SBM) qui prend racine dans l’établissement de l’élève. Cette seconde forme de mentorat est plus répandue et fait l’objet de nombreux financements (Lyons & McQuillin, 2019). Dans le cadre du SBM, l’élève et son mentor vont partager du temps de manière hebdomadaire – souvent le midi ou après la classe – au cours duquel ils réalisent différentes activités ensemble, comme la discussion, la pratique de jeux et la réalisation des tâches scolaires type devoirs à la maison ou la lecture (Chan, Rhodes, Howard et al., 2013). Comparativement au CBM, le SBM présenterait plusieurs avantages comme une organisation et un fonctionnement simplifiés, des réunions pouvant se dérouler dans l’établissement, des enseignants susceptibles d’identifier les jeunes pour lesquels le mentorat serait bénéfique et qui, par ailleurs, peuvent s’assurer de l’adéquation des programmes aux besoins des mentorés et de l’efficacité de leur mise en œuvre (Wood & Mayo-Wilson, 2012).
L’évaluation des effets des programmes de SBM
9Aux États-Unis, la relation de mentorat est reconnue depuis longtemps pour ses effets bénéfiques sur le comportement, les compétences socio-émotionnelles et les résultats scolaires des élèves mentorés (Rhodes, 2005). En outre, des programmes de SBM comme « Big Brothers and Big Sisters » (Grossman & Tierney, 1998) ou encore « Check and Connect » (Anderson, Christenson, Sinclair et al., 2004) ont fait l’objet d’études qui ont mis en évidence leurs effets positifs, et ce, à différents niveaux : sur la perception que les élèves ont de leurs habiletés à l’école ainsi que sur leurs résultats académiques (Herrera, Grossman, Kauh et al., 2011), sur leur estime de soi (Wood & Mayo-Wilson, 2012) ou encore sur leur fréquentation scolaire et leur comportement (Gordon, Downey & Bangert, 2013). Toutefois, plusieurs méta-analyses indiquent que les différents effets constatés des programmes de SBM restent relativement faibles (Lyons & McQuillin, 2019).
10Dans leur méta-analyse, DuBois, Holloway, Valentine et alii (2002) relèvent que plusieurs facteurs sont associés à l’efficacité du mentorat : les caractéristiques individuelles des mentorés, les modalités d’organisation du mentorat ou encore la qualité de la relation entre l’élève et son mentor. Du point de vue des données individuelles, Roy et Potvin (2014) mettent en évidence cinq éléments à considérer dans la mise en place d’un programme de mentorat : 1) le profil relationnel des élèves (ceux qui avaient auparavant des relations interpersonnelles satisfaisantes bénéficient plus du mentorat comparativement à ceux qui avaient des relations plus compliquées ; Schwartz, Rhodes, Chan et al., 2011), 2) les habiletés sociales (un minimum d’habiletés serait nécessaire pour que les interactions mentor/mentoré soient possibles), 3) l’âge (les élèves plus âgés seraient parfois plus réservés lorsqu’il s’agit de s’engager dans une relation de mentorat et de recevoir de l’aide), 4) le genre (les filles accepteraient plus facilement de l’aide que les garçons) et 5) les difficultés d’apprentissage ou de comportement des élèves (ces programmes seraient moins adaptés pour des élèves présentant des difficultés modérées ou sévères dans ces domaines).
Le mentorat : une mesure pour les élèves à HPI
11Si le mentorat est considéré parmi les mesures pédagogiques les plus pertinentes pour les élèves à HPI, il est toutefois rarement utilisé ; ce phénomène s’expliquerait par l’absence d’une analyse approfondie de ses bases conceptuelles du point de vue de la recherche sur la douance (Grassinger, Porath & Ziegler, 2010). En outre, le mentorat serait bénéfique aux élèves sous-réalisateurs (Steenbergen-Hu, Olszewski-Kubilius & Calvert, 2020) ; il apporterait une forme particulière d’aide aux élèves à HPI avec des besoins éducatifs particuliers et pour lesquels l’école n’a pas de réponse adaptée (Little, Kearney & Britner, 2010). Les avantages du mentorat seraient multiples, il permettrait l’identification du potentiel créatif des élèves, l’aide aux élèves sous-réalisateurs pour développer leur potentiel, le soutien sur le plan émotionnel des élèves qui ont sauté une ou plusieurs classe(s) ou encore l’encouragement de la douance tout au long de la vie (Freeman, 2001).
12Casey et Shore (2000) soulignent l’importance du soutien émotionnel du mentor envers son mentoré lors de relations interindividuelles insatisfaisantes. En cas de sensibilité accrue ou de perfectionnisme, le mentor pourra partager son expérience et servir de modèle. Ainsi, ces auteurs laissent entendre la contribution non négligeable des mentors dans le développement socio-affectif des adolescents à HPI, et ce plus particulièrement chez les filles.
La qualité de la relation dans la dyade mentor/mentoré
13Une relation de qualité entre le mentor et son mentoré est associée à des changements positifs de la qualité des relations avec les parents et les enseignants, qualité des relations elle-même associée positivement à l’estime de soi, aux comportements sociaux et aux conduites scolaires des jeunes (Chan, Rhodes, Howard et al., 2013). Par ailleurs, l’examen des liens possibles entre la qualité de la relation du mentorat d’une part et les résultats scolaires évalués par l’enseignant et l’efficacité scolaire auto-déclarée par l’élève d’autre part, a conduit Bayer, Grossman et DuBois (2015) à considérer qu’une relation de proximité entre le mentor et le mentoré est la clé pour de meilleurs résultats scolaires. Ces auteurs préconisent de privilégier des rencontres régulières (au moins trois fois par mois) et d’éviter un regroupement des dyades dans le même espace. En outre, Lyons et McQuillin (2019) ont montré que la qualité de la relation de mentorat semblait associée positivement aux résultats scolaires, comportementaux et socio-émotionnels des élèves, avec toutefois des effets de très faible taille. Suite à ces constats, ces auteurs suggèrent le développement de stratégies afin d’aider les mentors à installer et à maintenir une relation de bonne qualité avec leurs mentorés. Enfin, un bon appariement mentor/mentoré à HPI est défini comme crucial par Bisland (2001), une adéquation qui, selon Freeman (2001), serait le plus grand défi à relever pour un accompagnement réussi.
Problématique
14Cet article vise un double objectif. Tout d’abord, il s’agit de vérifier si l’analyse de la perception de l’accompagnement par des élèves à HPI, examinée sous l’angle des apports perçus de cet accompagnement et de la qualité de la relation dans la dyade mentor/mentoré, permet de mettre en évidence des profils différenciés d’élèves à HPI. Le cas échéant, il s’agit de caractériser plus finement les profils obtenus à l’aide de variables qui semblent particulièrement pertinentes au regard des connaissances actuelles sur le mentorat et les élèves à HPI : les caractéristiques individuelles des élèves (genre et âge), leur satisfaction scolaire ainsi qu’à l’égard de l’accompagnement.
15Sur la base des résultats de Lyons et McQuillin (2019) et de DuBois, Holloway, Valentine et al. (2002), nous faisons l’hypothèse suivante : si une relation de qualité dans la dyade mentor/mentoré est une condition nécessaire à la réussite de l’accompagnement, elle ne suffit pas, à elle seule, à garantir des apports perçus positivement par les élèves à HPI ; d’autres critères (par exemple les caractéristiques individuelles des élèves) sont à prendre en compte.
Méthode
Participants
16En l’absence de liste officielle des collèges publics avec un dispositif dédié aux élèves à HPI en France, nous avons recherché, via les sites internet des établissements, des collèges publics qui revendiquaient une prise en charge spécifique pour ces élèves. Parmi les neuf établissements recensés et contactés, sept ont accepté de participer à notre étude. Cinq parmi eux proposaient un accompagnement individuel aux élèves à HPI par un adulte volontaire de l’établissement. Il s’agit majoritairement d’enseignants ; toutefois, dans trois des établissements, les élèves choisissent leur mentor qui peut également être personnel de direction, conseiller principal d’éducation, auxiliaire de vie scolaire ou encore assistant d’éducation. Cet accompagnement est individuel, ce qui distingue cette stratégie d’aide aux élèves de celles habituellement proposées en collège qui sont plutôt collectives (par exemple le dispositif « devoirs faits » [4]). Ces rencontres se déroulent hors temps de classe selon une fréquence et un temps qui varient en fonction des élèves et de leurs demandes (respectivement de plus de deux fois par semaine à moins d’une fois par mois, et de 15 minutes à plus d’une heure). Durant ces temps, les élèves peuvent parler de leurs réussites, de leurs difficultés, de leurs projets, de leur orientation, obtenir des réponses à des questions sur des sujets variés, demander de l’aide ou travailler ce qu’ils n’ont pas compris en classe.
17Cette étude a été conduite dans cinq collèges répartis dans quatre régions de France et concerne 66 collégiens (11 filles et 55 garçons), âgés de 11 à 16 ans au moment du recueil de données (M = 13,08 ; ET = 1,29 ; voir tableau 1). Ces collégiens, inscrits dans le dispositif pour élèves à HPI de leur collège, présentaient tous un QI total ≥ à 130, un des critères d’admission pour intégrer le dispositif.
Tableau 1. Âge des élèves (en années) selon leur niveau de scolarisation
Âge | Niveau | |||
6e (n = 13) | 5e (n = 17) | 4e (n = 24) | 3e (n = 12) | |
11 ans | 5 | 3 | ||
12 ans | 7 | 7 | 2 | |
13 ans | 1 | 6 | 9 | |
14 ans | 1 | 12 | 3 | |
15 ans | 1 | 8 | ||
16 ans | 1 |
Tableau 1. Âge des élèves (en années) selon leur niveau de scolarisation
Note : N = 66.Procédure
18Dans chaque établissement participant, nous avons réuni à deux reprises et à une semaine d’intervalle tous les élèves concernés afin de leur proposer deux questionnaires. Le premier abordait la satisfaction scolaire, la qualité des interactions sociales avec les enseignants et les pratiques de différenciation pédagogique dans la classe ; des informations socio-biographiques étaient également recueillies. Le second appréhendait le concept de soi, le climat social de la classe ainsi que la perception de l’accompagnement individuel proposé dans ces dispositifs. Lors de chaque regroupement, les collégiens disposaient d’environ une heure pour compléter le questionnaire. Un adulte du collège était présent et pouvait apporter son aide en cas de difficultés.
19Dans cet article, nous analysons les données relatives aux apports perçus de l’accompagnement individuel, à la qualité de la relation dans la dyade mentor/mentoré et à la satisfaction à l’égard de l’accompagnement.
Mesures et variables
Variables pour l’analyse en clusters
20Nous nous sommes inspirées des travaux de Roy et Potvin (2014) pour construire les indicateurs relatifs à la perception de l’accompagnement du point de vue des élèves. Une analyse en composantes principales (ACP) avec rotation Varimax à partir de 13 items relatifs à la perception de l’accompagnement (voir tableau 2) a mis en évidence deux composantes, utilisées comme variables dans l’analyse en clusters : la qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur [5] et les apports perçus de l’accompagnement [6]. Ces deux variables sont orientées positivement : plus le score est élevé, plus la qualité de la relation et les apports de l’accompagnement sont perçus comme positifs par les élèves.
Tableau 2. Items constitutifs des variables de la perception de l’accompagnement et de la satisfaction scolaire
Variable | Item |
Perception de l’accompagnement | |
Qualité de la relation avec l’adulte accompagnateura | |
Mon tuteur m’écoute et respecte mes points de vue. | |
J’ai confiance en mon tuteur. | |
Mon tuteur me connaît bien. | |
Mon tuteur se préoccupe de mon bien-être. | |
Il est facile de communiquer avec mon tuteur. | |
J’ai du plaisir à discuter avec mon tuteur. | |
De façon générale, je suis satisfait(e) de ma relation avec mon tuteur. | |
Apports perçus de l’accompagnementa | |
Mon tuteur m’a aidé(e) à améliorer mes relations avec mes camarades. | |
Mon tuteur m’a aidé(e) à apprécier le collège. | |
Mon tuteur m’a aidé(e) à reconnaître mes forces et mes habiletés. | |
Mon tuteur m’a aidé(e) à trouver des solutions pour résoudre des difficultés scolaires. | |
Mon tuteur m’a aidé(e) à améliorer mes relations avec les enseignants de l’établissement. | |
Mon tuteur m’a aidé(e) à développer ma capacité à me fixer des buts personnels. | |
Satisfaction scolaire | |
Satisfaction générale à l’égard du collège | |
Aujourd’hui, aimes-tu aller au collège ?b | |
J’éprouve du plaisir à aller dans certains cours.a | |
Je me sens bien au collège.a | |
Satisfaction à l’égard des apprentissagesa | |
Les sujets qui m’intéressent ne sont pas toujours abordés en classe. | |
Les sujets abordés ne sont pas assez variés. | |
Les cours ne vont pas suffisamment en profondeur. | |
Je connais déjà les contenus de certains cours. | |
Le collège me permet d’enrichir mes connaissances. |
Tableau 2. Items constitutifs des variables de la perception de l’accompagnement et de la satisfaction scolaire
Notes : a : échelle de Likert en quatre points, de tout à fait faux à tout à fait vrai ; b : échelle de Likert en quatre points, de jamais à toujours.Variables explicatives
21Afin de pouvoir caractériser de manière plus fine les profils obtenus par l’analyse en clusters, nous avons utilisé, en plus des caractéristiques individuelles, les variables suivantes :
- Satisfaction scolaire des élèves à HPI : nous avons construit une échelle en nous appuyant sur les travaux de Courtinat-Camps et Toubert-Duffort (2014). Elle se compose de huit items répartis en deux sous-échelles, utilisées comme variables explicatives (voir tableau 2) : la satisfaction générale des élèves à l’égard du collège (3 items ; α = 0,76), la satisfaction des élèves à l’égard des apprentissages (5 items ; α = 0,72). Le test de corrélation de Pearson ne met pas en évidence de corrélation significative entre ces deux variables ; r = 0,06, p = 0,637. Les items formulés négativement ont été codés à l’inverse afin d’obtenir des échelles orientées positivement : plus le score est élevé, plus la satisfaction (générale ou à l’égard des apprentissages) des élèves est positive ;
- Satisfaction des élèves à l’égard de l’accompagnement : l’item « Es-tu satisfait(e) de cet accompagnement par un tuteur ? » (variable dichotomique, réponse oui ou non) a été proposé aux élèves.
Analyse des données
23Nous avons utilisé l’analyse en clusters, qui permet de regrouper les élèves présentant des caractéristiques communes dans un objectif d’identification de différents profils. Cette analyse a été conduite à partir des scores factoriels centrés réduits des deux variables de l’analyse en clusters présentées ci-dessus. Les méthodes de Ward, lien simple et lien complet aboutissant à des partitions différentes, nous avons opté pour une méthode mixte en combinant une méthode de partitionnement et une méthode hiérarchique, ceci afin de consolider la partition préalablement obtenue par classification ascendante hiérarchique (CAH). La méthode de Ward retenue a été consolidée par la méthode de nuées dynamiques avec, au final, la sélection d’une partition en quatre profils.
24Pour chacune des deux variables « qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur » et « apports perçus de l’accompagnement », des tests de Kruskal-Wallis ont été réalisés pour tester d’éventuelles différences de moyennes entre les quatre profils. Le test T2 de Tamhane (1979) a permis de réaliser les comparaisons multiples. L’étude des variables explicatives a conduit à une caractérisation plus fine de chacun des profils obtenus, nous avons alors eu recours à deux méthodes distinctes : des tableaux croisés (pour le genre, l’âge et la satisfaction à l’égard de l’accompagnement) et des tests de Kruskal-Wallis (pour la satisfaction scolaire des élèves).
Résultats
Les profils dégagés par l’analyse en clusters
25L’analyse en clusters a mis en évidence quatre profils (voir figure 1) :
- profil 1 (n = 7) : les résultats pour les deux variables – qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur et apports perçus de l’accompagnement – sont inférieurs à la moyenne de plus de 1,5 écart-type, avec des scores factoriels standardisés respectivement de -2,34 et de -1,79 ;
- profil 2 (n = 13) : le résultat pour la qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur est supérieur à la moyenne, avec un score factoriel standardisé de 0,48, tandis que celui pour les apports perçus de l’accompagnement est inférieur à la moyenne (-0,77) ;
- profil 3 (n = 33) : les résultats pour les deux variables sont supérieurs à la moyenne, avec des scores factoriels standardisés respectivement de 0,50 et de 0,75 ;
- profil 4 (n = 13) : les résultats pour les deux variables sont inférieurs à la moyenne de moins d’un écart-type, avec des scores factoriels standardisés de -0,78 et de -0,12, respectivement.
Figure 1. Profils d’élèves à HPI obtenus par l’analyse en clusters à partir des variables « qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur » et « apports perçus de l’accompagnement »
Figure 1. Profils d’élèves à HPI obtenus par l’analyse en clusters à partir des variables « qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur » et « apports perçus de l’accompagnement »
27Concernant la variable « qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur » (voir tableau 3), nos résultats indiquent une différence statistiquement significative entre les quatre profils ; χ²(3) = 43,12, p < 0,01. Les différences de moyennes apparaissent comme significatives entre les profils 1 et 2, 1 et 3, 2 et 4, 3 et 4 (p < 0,01) et entre les profils 1 et 4 (p < 0,05). En revanche, nos résultats ne montrent pas de différence significative entre les profils 2 et 3 (p = 1,00).
28Concernant la variable « apports perçus de l’accompagnement » (voir tableau 3), nous repérons une différence significative entre les quatre profils ; χ²(3) = 48,93, p < 0,01. Les différences des moyennes apparaissent comme significatives entre les profils 1 et 2, 1 et 3, 1 et 4, 2 et 3, 3 et 4 (p < 0,01). Concernant les profils 2 et 4, les résultats mettent en évidence l’existence d’une tendance (p = 0,087).
Tableau 3. Moyennes (et écarts-types) relatifs à la perception de l’accompagnement et à la satisfaction scolaire pour chaque profil d’élèves obtenu par l’analyse en clusters
Variables | Profil 1 (n = 7) | Profil 2 (n = 13) | Profil 3 (n = 33) | Profil 4 (n = 13) |
Perception de l’accompagnement | ||||
Qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur | 1,76 (0,72) | 3,81 (0,21) | 3,84 (0,19) | 2,89 (0,35) |
Apports perçus de l’accompagnement | 1,14 (0,20) | 2,01 (0,58) | 3,25 (0,45) | 2,53 (0,38) |
Satisfaction scolaire | ||||
Satisfaction générale à l’égard du collège | 2,38 (0,93) | 2,94 (0,42) | 3,12 (0,49) | 2,90 (0,29) |
Satisfaction à l’égard des apprentissages | 2,63 (0,78) | 2,40 (0,58) | 2,30 (0,43) | 2,15 (0,56) |
Tableau 3. Moyennes (et écarts-types) relatifs à la perception de l’accompagnement et à la satisfaction scolaire pour chaque profil d’élèves obtenu par l’analyse en clusters
Caractérisation des profils
Données socio-biographiques des élèves
29Les filles se retrouvent presque toutes (n = 9) dans le profil 3 (voir tableau 4). Au sujet de l’âge des élèves, seuls les profils 2 et 3 comptent des élèves de 15 et 16 ans. Par ailleurs, plus de la moitié des élèves du profil 2 avaient 14 ans ou plus au moment du recueil des données (soit 7 élèves sur 13). Dans les profils 1 et 4, une majorité d’élèves avait 13 ans ou moins (soit respectivement 5 élèves sur 7 et 11 élèves sur 13).
Tableau 4. Nombre d’élèves selon le genre et l’âge pour chaque profil d’élèves obtenu par l’analyse en clusters
Profil 1 (n = 7) | Profil 2 (n = 13) | Profil 3 (n = 33) | Profil 4 (n = 13) | Total (N = 66) | |
Genre | |||||
Fille | 0 | 1 | 9 | 1 | 11 |
Garçon | 7 | 12 | 24 | 12 | 55 |
Âge | |||||
11 ans | 2 | 2 | 2 | 2 | 8 |
12 ans | 2 | 0 | 10 | 4 | 16 |
13 ans | 1 | 4 | 6 | 5 | 16 |
14 ans | 2 | 3 | 9 | 2 | 16 |
15 ans | 0 | 4 | 5 | 0 | 9 |
16 ans | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
Tableau 4. Nombre d’élèves selon le genre et l’âge pour chaque profil d’élèves obtenu par l’analyse en clusters
Satisfaction scolaire des élèves à HPI
30Les résultats ne permettent pas de mettre en évidence de différence significative entre les quatre profils, que ce soit pour la satisfaction générale à l’égard du collège ou pour la satisfaction générale à l’égard des apprentissages ; χ2(3) = 6,762, p = 0,080 et χ2(3) = 3,293, p = 0,349, respectivement (voir tableau 3).
Satisfaction des élèves à l’égard de l’accompagnement
31Les élèves des profils 2 et 3 présentent un taux de satisfaction maximal (100 %) et le score atteint 76,9 % (10 élèves sur 13) dans le profil 4. En revanche, seuls deux élèves sur sept sont satisfaits dans le profil 1.
Discussion
32L’objectif de cette étude était double. Nous cherchions d’abord à savoir s’il était possible d’établir des profils de collégiens à HPI bénéficiant d’un dispositif dédié à partir de l’analyse croisée de la qualité de leur relation avec l’adulte accompagnateur et des apports perçus de l’accompagnement. Le cas échéant, nous souhaitions caractériser ces différents profils.
33Nos résultats ont permis de mettre en évidence quatre profils d’élèves distincts. Le profil présentant le plus grand effectif (profil 3) regroupe des élèves qui perçoivent des apports positifs de cet accompagnement et qui entretiennent une relation de qualité avec l’adulte accompagnant. Si ces collégiens perçoivent des apports positifs de cet accompagnement, leur satisfaction à l’égard des apprentissages proposés dans leur établissement est en revanche très faible. Dans leur appréciation, ces élèves semblent donc faire une distinction entre leur satisfaction relative à l’accompagnement individuel par un adulte de l’établissement et celle concernant l’enseignement dispensé en classe. Il est intéressant de noter que ce profil rassemble 9 des 11 filles qui ont participé à l’étude, des résultats qui semblent corroborer les conclusions de Casey et Shore (2000) quant à l’intérêt du mentorat pour les filles à HPI. Une étude sur un échantillon global plus grand sera cependant nécessaire pour confirmer (ou non) ces premiers résultats quant aux apports différenciés du mentorat selon le genre [7].
34Dans les autres profils d’élèves, on constate des apports perçus de l’accompagnement comme étant faibles ou nuls. Le profil 1 caractérise une relation perçue comme étant de mauvaise qualité avec l’adulte accompagnateur. Lyons et McQuillin (2019) ont souligné les effets néfastes d’une relation de faible qualité sur les résultats scolaires et les comportements des élèves. Aussi, si nous ne pouvons établir un lien de causalité entre la qualité de la relation et les effets perçus par les élèves, nous pouvons toutefois faire l’hypothèse que ce manque de proximité dans la relation adulte/collégien à HPI explique, en partie, que les apports de l’accompagnement soient perçus comme faibles. En outre, l’analyse des prédicteurs de la qualité de la relation entre le mentor et le mentoré réalisée par Kern, Harrison, Custer et alii (2019) montre l’absence d’effet significatif de l’âge (du mentor, du mentoré et de l’écart entre les deux). De la même manière, ces auteurs ne constatent pas d’effet de la correspondance du genre et de l’origine ethnique entre les deux protagonistes sur la qualité de la relation. Toutefois, ils restent prudents dans l’interprétation des résultats et proposent de rechercher d’éventuelles interactions entre ces variables. Leurs travaux montrent également que la perception de la qualité de la relation dans la dyade est liée, pour les mentorés, aux sujets abordés pendant le mentorat (comme l’école et les projets d’avenir). Aussi, ces auteurs invitent les mentors à faire preuve de souplesse dans les objectifs de l’accompagnement et à privilégier les sujets que les mentorés souhaitent aborder.
35Les deux autres profils d’élèves (profils 2 et 4) caractérisent une bonne – voire très bonne – qualité de la relation avec l’adulte accompagnateur, mais avec des apports perçus de l’accompagnement très faibles, voire nuls. La réussite de cet accompagnement, bien que fortement associée à la qualité de la relation entre l’élève et l’adulte, serait donc dépendante d’autres critères. En ce sens, nos résultats rejoignent ceux de Lyons et McQuillin (2019) qui suggèrent qu’une relation forte entre le mentor et le mentoré ne suffit pas pour produire des effets positifs sur le plan des performances académiques et du comportement.
36Une première piste pour expliquer nos résultats pourrait être de vérifier l’adhésion de ces collégiens à HPI à ce dispositif d’accompagnement, autrement dit, les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre dans le dispositif répondent-ils aux besoins des élèves ? Nous entendons ici par besoins ceux exprimés par les acteurs eux-mêmes (Barbier & Lesne, 1977) et qui correspondent aux représentations de l’écart entre une situation attendue et une situation actuelle (Roegiers, 2007). En outre, Bisland (2001) précise que l’engagement de l’élève à HPI dans le processus de mentorat, qui implique que celui-ci y consacre du temps (Berger, 1990), est une condition essentielle à sa réussite.
37L’analyse de l’âge des élèves dans ces deux profils pourrait également fournir des éléments utiles à la compréhension de nos résultats. En effet, dans le profil 2 qui regroupe davantage d’élèves plus âgés (plus de la moitié avaient 14 ans ou plus), les apports perçus de l’accompagnement tendent à être plus faibles que dans le profil 4 comprenant des élèves plus jeunes (11 élèves sur 13 avaient 13 ans ou moins). La littérature a mis en évidence des effets du SBM qui varient selon l’âge des mentorés (Bernstein, Rappaport, Olsho et al., 2009), et les indications relatives à l’implantation d’un programme de mentorat en milieu scolaire insistent sur un point de vigilance à propos de l’âge des élèves : « les adolescents plus âgés peuvent être réticents à recevoir de l’aide et à s’engager dans une relation de mentorat » (Roy & Potvin, 2014, p. 17). Aussi, cet accompagnement individuel n’est-il peut-être pas la meilleure réponse aux besoins des collégiens à HPI plus âgés. Concernant les élèves plus jeunes du profil 1, trois élèves (sur sept) sont en 6e, ils ont donc bénéficié d’un accompagnement d’une durée inférieure à un an. Grossman, Chan, Schwartz et alii (2012) soulignent l’importance d’une relation mentor/mentoré s’inscrivant dans le temps pour un accompagnement efficace car les effets les plus importants sont constatés pour des accompagnements d’une durée supérieure à un an (Grossman & Rhodes, 2002). Questionner de nouveau les élèves après une période plus longue d’accompagnement pourrait donc permettre de dégager des résultats différents et affinés.
38Une troisième piste pour comprendre ces résultats se trouverait du côté de la faisabilité de ces dispositifs, c’est-à-dire des objectifs difficilement atteignables au regard des moyens mis en œuvre. Plus précisément, les accompagnants, généralement des enseignants, sont amenés à travailler avec un groupe classe et répondent à des demandes d’aide relevant le plus souvent de leur champ disciplinaire. Cette situation d’accompagnement individuel non disciplinaire était donc relativement éloignée de leurs pratiques habituelles en classe, un constat qui invite à questionner la formation proposée à ces adultes. Baudrit (2014, p. 89), dans sa réflexion sur le tutorat, évoque les écueils inhérents à la formation des tuteurs, à savoir le risque potentiel de perte de spontanéité, un éventuel « formatage » des réponses apportées et des comportements qui pourraient être « plus ou moins stéréotypés ». On peut douter qu’il soit possible de former ces accompagnants – qui sont des adultes volontaires, « non experts » de l’accompagnement – sans pour autant les éloigner d’une approche personnelle de l’aide et faire perdre une partie de leur spontanéité. En s’appuyant sur les travaux de Berzin (2001), Baudrit (2014) suggère un juste dosage des informations apportées au tuteur en termes de rôle(s) à jouer, de connaissance des tutorés et de leurs difficultés. S’agissant des effets de cet accompagnement sur l’accompagnant, il serait également intéressant de questionner les effets du mentorat sur le mentor, c’est-à-dire d’étudier un potentiel « effet mentor » lié à l’expérience d’accompagnement. En effet, dans un domaine proche, des travaux sur le tutorat entre pairs (un collégien à HPI tuteur d’un camarade non HPI) mettent en évidence des bénéfices pour le tuteur en termes d’une meilleure compréhension de son propre mode de fonctionnement mental (Audibert & Baudrit, 2009). De surcroît, des études sur les dispositifs de mentorat ont montré l’intérêt du développement de compétences en communication des mentors (Pfund, Pribbenow, Branchaw et al., 2006) et de leur soutien continu (DuBois, Holloway, Valentine et al., 2002), avec par exemple l’organisation de temps de regroupement entre mentors pour des partages d’expériences et du soutien émotionnel mutuel (Freedman, 1992). Un accompagnement des mentors en ce sens pourrait s’avérer pertinent.
39Par ailleurs, l’analyse des modalités d’organisation de ces différents dispositifs devrait fournir des informations essentielles à la compréhension de nos résultats. En effet, des études ont mis en évidence une plus grande efficacité du mentorat lorsque les contacts sont fréquents (DuBois, Holloway, Valentine et al., 2002) et lorsque les rencontres s’effectuent sur le temps de la pause méridienne ou bien après la journée d’école (Schwartz, Rhodes & Herrera, 2012). Dans le cadre de l’accompagnement individuel proposé aux élèves à HPI, il est possible que les modalités d’organisation des séances varient selon les établissements et selon les adultes. En ce sens, l’élaboration collective dans chaque établissement d’un vade-mecum, qui s’appuierait tant sur le partage d’expériences des différents acteurs in situ que sur les résultats issus de la littérature présentés précédemment, pourrait aider les adultes accompagnateurs en place mais également ceux nouvellement recrutés. En outre, une exploration plus fine de la cohérence de ces programmes, c’est-à-dire l’analyse de l’adéquation entre les moyens prévus et les objectifs poursuivis, s’impose. En effet, la grande majorité des accompagnants sont des enseignants et évaluent les élèves. À ce sujet, Baudrit (2011) souligne le manque de compatibilité entre des missions d’évaluation d’une part et d’aide, de conseil et d’écoute des mentorés d’autre part. Cette objection invite à questionner les répercussions sur la qualité de la relation mentor/mentoré lorsque l’adulte cumule les deux missions.
40Pour conclure, des travaux américains ont permis l’identification de différents prédicteurs de l’efficacité du mentorat comme les caractéristiques individuelles de l’élève (Roy & Potvin, 2014) ou encore celles du mentor (DuBois & Karcher, 2005). Cette étude exploratoire sur le mentorat proposé en France, à des collégiens à HPI, a mis en évidence quatre profils d’élèves. L’un d’eux, regroupant la moitié des participants et la très grande majorité des filles, correspond à des élèves avec une perception positive des apports de cet accompagnement. Pour les trois autres profils (l’autre moitié des participants), les apports perçus sont faibles, voire nuls. Si la catégorisation obtenue reste à confirmer compte tenu de la taille réduite de l’échantillon global et du faible effectif de trois des profils, ces résultats montrent d’ores et déjà que le mentorat ne s’avère pas nécessairement une stratégie intéressante pour l’ensemble des collégiens à HPI rencontrés. Une évaluation régulière des besoins des élèves est donc essentielle car elle permettrait, au moins dans une certaine mesure, de limiter l’écueil d’un aménagement inadapté.
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Mots-clés éditeurs : dispositif de soutien, enseignement secondaire, évaluation par les élèves, besoins éducatifs particuliers, mentorat
Date de mise en ligne : 21/06/2021.
https://doi.org/10.4000/rfp.10043Notes
-
[1]
Il est difficile d’évaluer la proportion des élèves à HPI qui rencontrent des difficultés d’adaptation scolaire. En France, le chiffre d’un tiers est souvent avancé. Il convient néanmoins de rester prudent car cette proportion – non validée scientifiquement – varie d’un auteur à l’autre (Brasseur & Cuche, 2017).
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[2]
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-
[3]
En ligne : <https://eduscol.education.fr/cid59724/eleves-intellectuellement-precoces.html> (consulté le 3 octobre 2019).
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[4]
En ligne : <https://www.education.gouv.fr/devoirs-faits-un-temps-d-etude-accompagnee-pour-realiser-les-devoirs-7337> (consulté le 19 octobre 2020).
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[5]
La variable agrégée est la moyenne des sept items qui composent cette variable ; alpha de Cronbach [α] = 0,96.
-
[6]
La variable agrégée est la moyenne des six items qui composent cette variable ; α = 0,88.
-
[7]
La sous-représentation des filles observée dans notre échantillon apparaît conforme à la littérature au sujet de l’identification du haut potentiel intellectuel en France (Courtinat-Camps, Massé, de Léonardis et al., 2017).