Notes
-
[1]
Pour une discussion des relations entre compréhension et identification des mots écrits, voir Morais, 1994 a, b.
-
[2]
Il faut souligner qu’il est difficile d’avoir recours à cette méthodologie pour évaluer la lecture.
-
[3]
Dans cette partie, on ne reviendra pas sur la question des stratégies logographiques (Frith, 1986), qui ne semblent pas jouer un rôle déterminant chez l’apprenti-lecteur, tout au moins dans des systèmes d’écriture relativement transparents: cf. Wimmer & Hummer (1990) pour l’allemand, Sprenger-Charolles & Bonnet (1996) pour le français (voir toutefois pour l’anglais Ehri & Wilce, 1985 ainsi que Laing & Hulme, 1999).
-
[4]
En fin de CP, on observe 87% de réponses correctes pour les mots réguliers contre 38 pour les irréguliers en lecture et 73% contre 13 en écriture.
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[5]
On a pendant longtemps considéré que la dyslexie était plutôt due à un déficit visuel, les dyslexiques confondant, par exemple, « b » et « d » (Orton, 1937) : Cette idée - encore très populaire - a été clairement rejetée. En effet, les confusions entre « p » et « b », ou entre « b » et « d », comme les inversions de séquence de type « ble » - « bel », sont qualifiées d’erreurs visuelles. Or « p » et « b », comme « b » et « d », sont également proches sur le plan sonore, les phonèmes correspondant à ces lettres ne se distinguant que par un seul trait, le voisement dans un cas (quelques milli-secondes en plus de la vibration des cordes vocales différencient /p/ de /b/), le lieu d’articulation dans l’autre (b/d) : Pour montrer que les confusions entre p/b sont visuelles, il faudrait que ces erreurs ne concernent que ces deux lettres, et non t/d. Or ce n’est pas le cas. En effet, les dyslexiques (Liberman, Shankweiler, Orlando, Harris & Berti, 1971 ; Vellutino, 1979), comme les lecteurs débutants (Sprenger-Charolles & Siegel, 1997), font autant de confusion entre p et b qu’entre t et d. Les erreurs d’inversions peuvent aussi s’expliquer par des principes liés à la structure syllabique, ce qui permet de comprendre pourquoi la dernière syllabe du mot "table" ne se prononce pas de la même façon en français et en anglais, le français ayant une préférence pour les syllabes se terminant par une voyelle, la tendance inverse caractérisant l’anglais (pour des données et une discussion sur les erreurs d’inversion par rapport à la hiérarchie de sonorité, voir Sprenger-Charolles & Siegel, 1997)
-
[6]
Les enfants de cette étude, dyslexiques et normolecteurs, proviennent de la cohorte longitudinale française (cf. Sprenger-Charolles & al., 2000) : Ils avaient 13 ans quand on a examiné leurs capacités de perception catégorielle.
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[7]
Le vot (Voice Onset Time, cf. Lisker & Abramson, 1964), principal indice acoustique de voisement, est l’intervalle de temps entre la détente de l’occlusion orale et le départ des vibrations laryngées (ou départ de la « voix ») : Le vot est respectivement négatif ou positif selon que le départ de la voix précède ou suit la détente.
1Pour parler de l’apprentissage de la lecture et des difficultés spécifiques à cet apprentissage, il faut savoir ce qui est spécifique à l’acte de lire. La compréhension d’un texte, finalité de la lecture, dépend à la fois du niveau de compréhension orale et de la maîtrise de mécanismes spécifiques à la lecture. Pour imaginer ce que sont ces mécanismes, on peut prendre l’exemple de la musique. Il ne vient à l’idée de personne de dire que celui qui s’avère incapable de "lire" une partition a des difficultés de compréhension de la musique ; il est évident que ce qui lui fait défaut c’est la maîtrise des mécanismes qui permettent au musicien expert d’associer automatiquement dans sa tête une petite suite de notes écrites à un bout de mélodie. Il en va de même pour la lecture : un enfant intelligent ne peut comprendre un texte écrit que s’il a automatisé les mécanismes qui permettent d’identifier les mots écrits. Il est difficile d’admettre qu’une activité aussi subtile que la lecture fasse d’abord appel à des automatismes. C’est pourtant le cas, et ce sont justement ces automatismes qui ne se mettent pas bien en place chez les dyslexiques (Stanovich, 2000 ; Snowling, 2000 et 2001).
1 – Introduction
1.1 – Les compétences spécifiques à la lecture
2On lit pour comprendre, personne n’en disconvient. Cependant, les difficultés de lecture ne sont généralement pas dues à des problèmes de compréhension. C’est le cas pour l’enfant qui comprend un texte qu’on lui lit à haute voix mais qui ne comprend pas ce même texte quand il doit le lire tout seul. Cet enfant présente à l’évidence des difficultés qui ne relèvent pas de problèmes de compréhension et qui, de ce fait, apparaissent comme propres à la lecture. Les mécanismes déficitaires dans ce cas, ceux qui sont spécifiques à la lecture, sont les mécanismes d’identification des mots écrits.
3Certaines recherches indiquent que ce qui différencie les lecteurs compétents des autres, c’est le fait que leurs mécanismes d’identification des mots sont plus rapides et moins dépendants du contexte que ceux des mauvais lecteurs. Contrairement à une idée répandue, les bons lecteurs s’appuient peu sur le contexte pour identifier les mots écrits (cf. Morais, 1994b). Les études princeps de Stanovich (1979) ainsi que de Perfetti (Perfetti, Goldman & Hogaboam, 1979) avaient déjà montré que seuls les lecteurs en difficultés utilisent de façon compensatoire le contexte sémantique pour identifier les mots écrits. Dans des études plus récentes, pour traquer ce qui se passe dans les premières millisecondes du traitement, on présente très rapidement (au-dessous de 100ms) un mot précédé par une amorce. La relation entre mot cible et amorce peut être phonologique, orthographique ou sémantique (« pomme » précédé respectivement par « pome », « pomne » ou par « fruit »). Ces études montrent que les effets d’amorçage phonologique et orthographique augmentent en fonction de l’âge et du niveau d’expertise en lecture alors que diminuent les effets d’amorçage sémantique (Plaut & Booth, 2000 ; Booth, Perfetti & MacWhinney, 1999), ce qui indique que les lecteurs les plus experts ont accès très rapidement aux informations sur la forme orthographique des mots écrits, mais également sur leur forme phonologique, et que cet accès est relativement imperméable aux effets du contexte sémantique [1].
1.2 – Questions de méthode
4L’objectif de cet article est de rendre compte de la mise en place des mécanismes spécifiques à la lecture. Ce but ne peut être atteint que si on a recours à des recherches d’un certain type. On distingue classiquement les études qui utilisent les indicateurs « en temps réel » (on line) et celles dans lesquelles on prend en compte des indicateurs « différés » (off line). Ces dernières, qui font appel à un retour réflexif sur l’activité que l’on cherche à analyser, ne permettent pas d’examiner des mécanismes qui deviennent rapidement très intériorisés, les sujets les utilisant alors sans effort et sans en avoir conscience. L’exemple de la marche peut illustrer ce point. En effet, quand on essaye de s’observer en train de marcher, au minimum on ralentit son pas et, au pire, on trébuche. Pour évaluer correctement les composantes essentielles de la marche, il est nécessaire de trouver les moyens qui permettent de cerner ce comportement en temps réel et en s’efforçant de ne pas modifier son déroulement normal. La question se pose en des termes identiques pour l’étude des mécanismes spécifiques à la lecture.
5La démarche expérimentale est la seule qui permette d’évaluer, en temps réel, le fonctionnement des composantes spécifiques à la lecture. C’est pour cette raison que toutes les études présentées dans cet article sont des études expérimentales. On entend parfois dire qu’un chercheur fonctionnant uniquement avec ce type de méthode court le risque de s’enfermer dans des hypothèses qui l’empêchent de repérer des faits nouveaux non attendus. Une solution à ce problème consiste à mener à la fois des études observationnelles et expérimentales. On peut citer comme exemple d’utilisation de ces deux méthodologies les études de Treiman sur l’acquisition de l’écriture [2]. Les analyses de données produites spontanément par les enfants lui permettent de repérer des problèmes qui font ensuite l’objet d’une évaluation expérimentale (Treiman, 1994).
6Dans cet article, on utilise à plusieurs reprises le terme « significatif » pour qualifier une différence. Ce n’est pas coquetterie de langage. Il ne suffit pas d’observer que la classe X a 12 de moyenne en lecture alors que la classe Y n’a que 10 pour se prononcer sur la supériorité de X. En effet, les scores des enfants du groupe Y peuvent s’échelonner entre 8 et 12 et ceux de X entre 2 et 18 avec un groupe faible et un groupe fort, les notes du premier variant de 2 à 6, et celles du second de 14 à 18. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait beaucoup de statistiques pour comprendre que le groupe X n’est pas supérieur au groupe Y. Quand on veut savoir si un groupe a effectivement des performances supérieures à un autre, il faut donc tenir compte, non seulement de la moyenne, mais aussi de l’écart de chaque enfant par rapport à cette moyenne.
7Pour pouvoir dire que le groupe X est supérieur au groupe Y en lecture, il est en outre nécessaire de s’assurer que ces deux groupes ne diffèrent pas sur d’autres aspects (niveau cognitif, milieu socio-culturel, etc.). De plus, quand on travaille sur l’acquisition de la lecture, la visée est d’expliquer ce qui facilite - ou entrave spécifiquement - cette acquisition. Il est donc nécessaire d’éliminer les enfants qui risquent d’avoir des difficultés de lecture, parmi d’autres difficultés, dues à des handicaps divers. C’est pour cette raison qu’on ne retient en général que des enfants ne présentant pas de handicaps langagiers ou sensori-moteurs, ni de troubles psychologiques, pouvant entraver les apprentissages scolaires.
8Dans cette revue de la littérature, ne seront présentés que les études qui ont tenu compte de ces différents principes méthodologiques.
2 – Acquisition de la lecture et de l’écriture
9Deux principaux types de modèle permettent de rendre compte du fonctionnement des procédures d’identification des mots écrits. D’une part, le modèle à double voie (Coltheart, Curtis, Atkins & Haller, 1993 ; Coltheart, Rastle, Perry, Langdon & Ziegler, 2001 ; pour une adaptation au français, Ziegler, Perry & Coltheart, sous presse), d’après lequel les deux procédures de lecture fonctionnent de façon indépendante ; d’autre part, les modèles connexionnistes, selon lesquels tous les mots sont lus par une seule procédure qui opère sur des unités orthographiques et phonologiques distribuées.
10D’après le modèle à double voie, le lecteur expert, quand il rencontre un mot connu, peut utiliser une procédure lexicale. Il s’appuie sur les informations issues du traitement visuel du stimulus pour contacter directement une représentation mentale stockée dans son lexique orthographique. Une différence entre mots fréquents et rares (effet de fréquence) est estimée être la signature de l’utilisation de cette procédure. En effet, les mots fréquents sont mieux lus, et plus rapidement, que les mots rares, leur « adresse » étant plus facilement accessible, parce plus souvent sollicitée. Une différence entre mots fréquents et pseudomots (effet de lexicalité) est un autre indicateur du recours à la procédure lexicale, les pseudomots - qui n’existent pas - ne pouvant avoir d’adresse dans le lexique interne des sujets. Si l’item à lire ne fait pas partie des mots stockés dans son lexique orthographique (un mot nouveau, un nom propre), le lecteur ne peut utiliser la procédure lexicale. Il a alors recours à une procédure sublexicale : les unités sublexicales de la langue écrite sont mises en correspondance avec les unités sublexicales de la langue orale, le résultat de ce transcodage étant ensuite « assemblé ». Cette procédure permet au lecteur de retrouver le mot s’il fait partie de son lexique oral, ou d’en apprendre un nouveau s’il est totalement inconnu, mais elle conduit à des erreurs sur les mots qui ont des correspondances grapho-phonémiques irrégulières. Par exemple, le mot « sept » sera lu comme « septembre ». La production d’erreurs de ce type, appelées erreurs de régularisation, tout comme la présence d’un effet de la régularité - les mots réguliers mieux lus que les irréguliers - sont donc considérés comme la signature de la procédure sublexicale de lecture.
11Dans les tâches de lecture à haute voix, on utilise généralement les effets de fréquence, de lexicalité et de régularité pour évaluer le fonctionnement des procédures de lecture. Les expériences se font le plus souvent sur ordinateur, ce qui permet de recueillir, en plus des réponses correctes et des erreurs, les temps de latence des réponses correctes, c’est-à-dire le délai qui s’écoule entre l’apparition du mot sur l’écran de l’ordinateur et le début de sa prononciation. Les tâches les plus classiques utilisées en lecture silencieuse sont la décision lexicale et la catégorisation sémantique. Dans le premier cas, on présente successivement des mots et des pseudomots, en ordre aléatoire. Le sujet doit dire si les items qu’il lit sont ou non des mots en appuyant sur des touches différentes de l’ordinateur, une pour les réponses « oui » et une pour les réponses « non ». La décision sémantique est une variante de cette tâche. On nomme une catégorie (moyen de transport, par exemple) et ensuite un item s’affiche sur l’écran de l’ordinateur (train, auto). Le sujet doit dire si cet item appartient à la catégorie désignée. On utilise le plus souvent des intrus phonologiques, qui se prononcent comme le mot-cible (trin, oto), et des intrus visuels (troin, outo). L’hypothèse est que si l’information phonologique est activée automatiquement lors de l’identifications des mots écrits, les intrus phonologiques donneront lieu à de plus nombreuses réponses erronées que les intrus visuels.
2.1 – Comparaisons entre enfants anglophones, hispanophones et germanophones
12Dans la mesure où le lexique orthographique n’est pas encore en place au début de l’acquisition de la lecture, on peut penser que les lecteurs débutants vont s’appuyer principalement sur la procédure sublexicale. Toutefois, le succès de cette procédure peut dépendre de la régularité des relations graphème-phonème qui varie en fonction des langues. Certaines langues, comme l’espagnol et l’italien, ont des orthographes très régulières. Il est donc possible de prédire, à partir de la connaissance des lettres, la prononciation des mots. Dans d’autres, comme l’anglais, les relations graphème-phonème sont peu régulières ; de nombreux mots ne peuvent donc se lire correctement en utilisant la procédure sublexicale. L’allemand et le français occupent une place intermédiaire, l’allemand étant plus proche de l’espagnol et de l’italien que le français. On peut penser que la procédure sublexicale pourrait être utilisée plus fortement et plus précocement dans les écritures qui ont des relations graphème-phonème prédictibles que dans celles où elles sont peu prédictibles.
13Généralement, l’efficience de la procédure sublexicale est évaluée par la lecture de pseudomots qui, sauf s’ils sont analogues à des mots de la langue, ne peuvent être lus par la procédure lexicale. On observe des performances très élevées en lecture de pseudomots chez les jeunes espagnols (plus de 90% de réponses correctes à 5 ans, Cuetos, 1989). Dans une autre étude, on a relevé un effet de la longueur des items, sans effet de la fréquence, chez des enfants espagnols âgés de 8 à 13 ans (Valle Arroyo, 1989). Ces résultats témoignent du fait que les enfants espagnols ont très largement recours à la procédure sublexicale et que cette procédure fonctionne chez eux de façon performante relativement tôt. De plus, quand on a comparé les performances d’enfants espagnols, français et anglais, il a été observé que les enfants espagnols lisent mieux les pseudomots que les enfants français qui, à leur tour, ont de meilleurs résultats que les enfants anglais (Goswami, Gombert & Barrera, 1998 ; cf. également pour des lecteurs débutants francophones et anglophones, Bruck, Genesee & Caravolas, 1997). Ces résultats indiquent que plus le système d’écriture est transparent, meilleures sont les performances des enfants au début de l’apprentissage de la lecture.
14Un constat similaire ressort d’une étude portant sur des enfants allemands et anglais (Wimmer, 1994 ; Wimmer & Goswami, 1994). En effet, les jeunes Allemands (7 ans) font moins d’erreurs sur les pseudomots que les enfants anglais plus âgés (9 ans). De plus, en lecture de pseudomots, les erreurs des jeunes Allemands sont surtout des néologismes, c’est-à-dire des mots qui n’existent pas mais qui ont une prononciation voisine de celle de l’item cible. Par contre, les jeunes Anglais, soit ne répondent pas, soit font des erreurs de lexicalisation, ce qui signifie qu’ils produisent un mot à la place du pseudomot écrit. On a également relevé de fortes corrélations entre les temps de réponse pour les mots et les pseudomots chez les jeunes Allemands, mais pas chez les Anglais. Ces résultats suggèrent que les jeunes Allemands, mais pas les enfants anglais, utilisent largement la même procédure pour lire les mots et les pseudomots, et que cette procédure leur permet d’atteindre rapidement un bon niveau d’efficacité en lecture.
15Une étude plus récente (Goswami, Ziegler, Dalton & Schneider, 2001) a évalué les effets d’homophonie en lecture à haute voix et silencieuse chez des enfants anglais et allemands. Les enfants devaient lire des pseudomots qui se prononcent ou non comme un mot de la langue (pseudohomophones et pseudomots contrôle). Dans la mesure où une récupération lexicale est possible pour les pseudohomophones, l’homophonie devrait avoir un effet positif sur les réponses correctes en lecture à haute voix et un effet négatif dans une tâche de décision lexicale en lecture silencieuse. Dans le premier cas, les pseudohomophones devraient donc être mieux lus que les items contrôle. Dans le second cas, ils devraient entraîner un plus fort taux de fausses reconnaissances. En fait, en lecture à haute voix, l’effet facilitateur de l’homophonie n’est relevé que chez les enfants anglophones, alors qu’en décision lexicale, l’effet négatif de l’homophonie n’est relevé que chez les germanophones. Ces résultats suggèrent que, chez des enfants germanophones - mais pas chez des anglophones - l’information phonologique serait automatiquement activée et difficile à inhiber.
16Ces résultats montrent que le recours à la représentation phonologique du mot écrit dépend du degré de transparence des relations grapho-phonologiques. Lorsque ces relations sont très régulières, comme en espagnol, ou en allemand, les enfants ont fortement recours à la procédure sublexicale dès les débuts de l’acquisition de la lecture. Ils indiquent également que plus les relations entre graphèmes et phonèmes sont transparentes, plus les progrès des enfants sont rapides. C’est le cas pour les enfants espagnols comparés aux petits Français et pour les Allemands ou les Français comparativement aux Anglais.
2.2 – L’acquisition de la lecture et de l’écriture en français [3]
17Comparativement à l’anglais, les relations entre ce qui est écrit et ce qui est prononcé sont, en français, relativement régulières (Peereman & Content, 1999), à condition toutefois de prendre comme unité de base du système d’écriture le graphème, et non la lettre (Catach, 1980). En effet, le français écrit comporte un nombre important d’unités graphiques de plus d’une lettre (par exemple, les digraphes: « ou », « in », « an », « on », « ch », « ph »…), qui correspondent à une seule unité phonique. En conséquence, on peut s’attendre à observer en français une forte utilisation de la procédure sublexicale au début de l’apprentissage de la lecture. Cependant, si les enfants francophones utilisent comme unité de la procédure sublexicale la lettre - et non le graphème - ils devraient avoir des difficultés pour lire les mots comportant des digraphes (comme route ou ruche).
18Ces hypothèses ont été évaluées dans plusieurs études portant sur des enfants francophones (Leybaert & Content, 1995 ; Mousty & Leybaert, 1999 ; Sprenger-Charolles & Casalis, 1995 ; Sprenger-Charolles, Siegel & Bonnet, 1998b ; Sprenger-Charolles, Siegel, Béchennec & Serniclaes, 2003). Nous présenterons surtout les résultats d’une de ces études parce que c’est la seule dans laquelle l’évolution des performances des enfants a été examinée à la fois en lecture et en écriture et sur une longue période : du début à la fin du CP (Sprenger-Charolles & al., 1998b) puis jusqu’en fin de CM1 (Sprenger-Charolles & al., 2003). Au départ de cette étude, en Grande Section de Maternelle, il y avait une centaine d’enfants. Nous avons sélectionné dans ce groupe, en fin de GSM, 60 non-lecteurs de niveau cognitif moyen à supérieur et de milieux sociologiques approximativement représentatifs de la diversité de la population française. Le niveau de « non-lecture » a été évalué à partir des résultats à un test permettant une approche métrique étalonnée (la Bat-Elem) et le niveau cognitif par un test d’intelligence non-verbale (les matrices de Raven). Les observations sur la lecture et l’écriture ont eu lieu en milieu et en fin de CP ainsi qu’à la fin du CE1, du CE2 et du CM1. En CP, les enfants étaient scolarisés dans 20 classes de 9 écoles de la banlieue parisienne.
2.2.1 – Les effets de fréquence, de lexicalité et de régularité en lecture et en écriture
19On a utilisé des mots de différents niveaux de fréquence, en vérifiant par une enquête de familiarité faite auprès d’enfants de milieu de CP qu’ils connaissaient - à l’oral - les mots les moins fréquents utilisés. Cette précaution se justifie par le fait qu’il faut éviter de confondre effets de fréquence et de lexicalité, ce qui peut être le cas quand les mots rares sont en fait des mots que les sujets ne connaissent pas. Ces mots étaient soit réguliers (à une lettre correspond un son: table), soit irréguliers (sept). Les mots réguliers ne comportaient, pour certains, que des graphèmes simples (sable), d’autres incluaient un digraphe (route, ruche). Les mots réguliers ont été appariés en difficultés orthographiques à des pseudomots (table vs. lople ou moule vs. moube ou riche vs soche). Les mêmes items ont été présentés en lecture et en écriture.
20La première publication a été centrée sur l’évolution des compétences en lecture et en écriture du milieu à la fin du CP (Sprenger-Charolles & al., 1998b). En milieu du CP, les performances en lecture - tout comme en écriture - sont fortement affectées par la régularité mais pas par la fréquence, ni par la lexicalité. En effet, les mots réguliers sont mieux lus et écrits que les irréguliers (41% de réponses correctes contre 7% en lecture et 37% contre 5% en écriture). Par contre, la différence entre mots fréquents et rares n’est pas significative (30% et 28% en lecture ; 26% et 26% en écriture). À la même époque, les performances pour les mots réguliers ne sont jamais supérieures à celles observées pour des pseudomots qui leur sont appariés en orthographe. En fait, il n’y a pas de différence entre ces deux catégories d’items en lecture (44% pour les mots contre 48% pour les pseudomots). En écriture, les performances pour les pseudomots sont même supérieures à celles relevées pour les mots (48% contre 40% pour les mots). Ces résultats indiquent que les enfants utilisent principalement la procédure sublexicale au début de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
21Des changements importants ont cependant été relevés entre les sessions. En fin de CP, l’effet de fréquence se fait sentir en lecture et en écriture (75% de réponses correctes pour les mots fréquents en lecture contre 66% pour les rares et, pour l’écriture, 57% contre 50%). En lecture, on observe à la même époque une supériorité des mots réguliers (88%) sur les pseudomots (80%) tandis qu’en écriture, il n’y a plus de différence significative entre ces deux catégories d’items (78% contre 76%). Ces résultats témoignent du fait que les enfants ont progressivement recours à une procédure lexicale, surtout en lecture. Cette procédure ne remplace toutefois pas complètement la procédure sublexicale puisque l’effet des régularités est plus fortement marqué en fin de CP qu’il ne l’était en milieu de la même année scolaire. La différence entre mots réguliers et irréguliers passe en effet de 34% à 49% entre les deux sessions pour la lecture et, pour l’écriture, de 32% à 60% [4]. L’accentuation du poids du traitement phonologique entre les sessions ressort également de l’analyse des erreurs de régularisation (album lu /albym/ ou écrit albome). Ces erreurs représentaient en effet seulement 5% du nombre total d’erreurs en milieu de CP en lecture et 35% en écriture ; en fin de CP, on observe 27% d’erreurs de régularisations en lecture et 64% en écriture.
2.2.2 – Les unités de traitement de la procédure sublexicale
22Si, au début de l’acquisition, les enfants s’appuient sur les lettres, et non sur les graphèmes, la présence de digraphes devrait avoir une incidence négative sur leurs performances : par exemple, marmite sera mieux lu que écharpe ; par contre, s’ils utilisent les graphèmes, la présence d’un digraphe devrait faciliter la lecture : à nombre de lettres identique, il y a en effet, d’une part, moins d’éléments à transcoder dans écharpe que dans marmite (6 contre 7) et, d’autre part, moins d’éléments à assembler pour obtenir la réponse (5 contre 6). En fait, un effet négatif de la présence de digraphes n’a été relevé que pour l’écriture de mots lors de la première session. En dehors de ce résultat, la présence de digraphes ne pénalise jamais les performances des enfants ; pour la lecture de pseudomots en fin de CP, cet effet est même, comme attendu, au profit des items contenant un digraphe. Des résultats similaires ont été relevés dans une précédente étude longitudinale (Sprenger-Charolles & Casalis, 1995 ainsi que dans une nouvelle étude transversale : Sprenger-Charolles, Colé, Béchennec & Kipffer-Piquard, soumis). Ces résultats indiquent que l’unité de la procédure sublexicale est le graphème, et non la lettre. Toutefois, aux unités graphémiques pourraient progressivement se substituer, tout au moins en français, des unités syllabiques (Colé, Magnan & Grainger, 1999 ; Colé & Sprenger-Charolles, 1999).
2.2.3 – Différences et similitudes entre lecture et écriture
23Quand on compare les performances en lecture et en écriture, on observe, pour les mots, une supériorité de la lecture sur l’écriture à partir de la fin du CP. Bien que l’épreuve d’écriture soit toujours passée après celle de lecture, le pourcentage moyen de réponses correctes n’est alors que de 53% pour l’écriture contre 71% pour la lecture. À la même époque, on ne relève par contre aucune différence significative entre écriture et lecture pour les pseudomots (respectivement 76% et 80% de réponses correctes). Lors de la même session, les mots réguliers sont mieux lus - mais pas mieux écrits - que les pseudomots.
24Une partie de ces enfants ont pu être suivis jusqu’en fin de CM1 (Sprenger-Charolles & al., 2003). On a tenu compte de l’évolution des performances pour les mots réguliers et irréguliers et pour les pseudomots. Les résultats sont présentés dans la figure 1. Le résultat le plus remarquable est que, alors que les mots réguliers sont mieux lus que les pseudomots dès la fin du CP, ils ne sont jamais mieux écrits.
Réponses correctes (Pourcentage moyen et Ecart-Type) en lecture à haute voix et écriture sous dictée de Mots Réguliers et Irréguliers et de Pseudomots (données longitudinales, d’après Sprenger-Charolles & al., 2003)
Réponses correctes (Pourcentage moyen et Ecart-Type) en lecture à haute voix et écriture sous dictée de Mots Réguliers et Irréguliers et de Pseudomots (données longitudinales, d’après Sprenger-Charolles & al., 2003)
25Ces différences de performance entre lecture et écriture peuvent s’expliquer par l’asymétrie des relations graphème-phonème et phonème-graphème en français, les premières étant plus prédictibles que les secondes (Peereman & Content, 1999). En effet, pour écrire un mot, même régulier, il ne suffit pas de connaître les relations phonème-graphème, il faut en plus maîtriser l’orthographe canonique : alors que les graphèmes « o », « au » et « eau » se lisent toujours /o/, il faut connaître la norme orthographique pour écrire correctement landau, bateau ou domino. Cette contrainte n’existe pas pour l’écriture de pseudomots. On observe une autre différence entre lecture et écriture. Alors que les mots et les pseudomots réguliers qui contiennent des digraphes sont aussi bien ou mieux lus que ceux qui n’ont aucun graphème complexe, ils ne sont par contre jamais mieux écrits (Sprenger-Charolles & al., 1998b). Ce résultat suggère une asymétrie entre lecture et écriture qui peut s’expliquer par le fait que le passage d’un digraphe à un phonème simple (de « ou » à /u/) est plus facile que l’opération inverse qui est en jeu en écriture : le passage d’une unité phonémique simple à un digraphe. Au-delà de ces différences, les résultats indiquent des liens très étroits entre le développement de la lecture et celui de l’écriture, les corrélations entre ces deux modalités étant très élevées.
2.2.4 – Incidence de la représentation phonologique dans une tâche de décision sémantique en lecture silencieuse
26Les résultats précédents pourraient avoir été biaisés par le fait que les enfants devaient lire à haute voix. Nous avons donc également utilisé une épreuve de lecture silencieuse dans laquelle, après avoir énoncé une catégorie (fruit, couleur…), nous présentions un item (mot ou pseudo-mot) en demandant aux enfants de dire s’il appartenait à la catégorie qui venait d’être nommée. Dans certains cas, l’item-test était un « intrus », soit visuel soit phonologique. Par exemple, après la question : « est-ce que c’est un fruit ? » on présentait pome (intrus phonologique), ou pomne (intrus visuel). L’hypothèse de cette étude est que, si les enfants activent automatiquement les représentations phonologiques des mots écrits, les intrus phonologiques devraient entraîner plus de fausses acceptations que les intrus visuels.
27Les résultats, portant sur le milieu et la fin du CP ainsi que sur la fin du CE1 (Sprenger-Charolles, Siegel & Béchennec, 1998a), indiquent qu’à partir de la fin du CP, il y a plus d’erreurs dues aux intrus phonologiques qu’aux intrus visuels, la différence entre ces deux types d’items augmentant dans le temps (respectivement pour les sessions un, deux et trois: 83, 90 et 77% d’erreurs pour les intrus phonologiques et 84, 70 et 54% pour les intrus visuels). Une augmentation du nombre d’erreurs sur les intrus phonologiques est même relevée entre les deux sessions du CP (de 83 à 90%).
28Ces résultats, qui montrent que les enfants activent les représentations phonologiques des mots écrits, y compris en lecture silencieuse (cf. également Goswami & al., 2001), pourraient toutefois être dus à des connaissances orthographiques peu précises. Nous avons voulu tester cette hypothèse qui, même si elle était avérée, ne suffirait pas à expliquer la baisse des performances due aux intrus phonologiques entre les deux sessions du CP, les enfants n’ayant a priori aucune raison de régresser dans ce domaine.
29Pour savoir si les enfants connaissaient bien l’orthographe des mots précédents, nous leur avons présenté le mot-cible et ses deux intrus (par exemple, pomme, pome et pomne ou loup, lou et louq, auto, oto et outo, ou encore train, trin et troin). L’enfant devait montrer le « bon mot », celui qui est bien écrit. Le nombre des réponses correctes double entre la première et la troisième session (de 42% à 87% de réponses correctes). En fin de CE1, les représentations orthographiques des enfants sont donc relativement bien établies, tout au moins pour les items simples que nous leur avons proposés. Or, à la même époque, ils ne rejetaient correctement que 23% des intrus phonologiques et 46% des intrus visuels dans l’épreuve précédente. Bien sûr, il est plus facile de repérer la bonne forme quand les trois items sont présentés en même temps que lorsqu’on ne voit qu’un seul mot, correct ou non. Mais cela n’explique pas une telle différence. Il faut donc supposer que les caractéristiques phonologiques continuent à avoir un rôle prépondérant alors même que les performances orthographiques s’améliorent. De surcroît, quand on examine, non plus les réponses correctes en vérification orthographique, mais les erreurs, on constate que 78% d’acceptations erronées concernent les intrus phonologiques lors de la première session et 85% pour la deuxième. Ces erreurs sont donc plus fréquentes que celles sur les intrus visuels (respectivement 22% et 15%).
30L’épreuve de vérification orthographique, comme celle de décision sémantique, montre que les intrus phonologiques sont source d’erreurs plus nombreuses que les intrus visuels. Cette différence ne peut être simplement imputée à une méconnaissance de l’orthographe puisqu’elle demeure alors que les connaissances orthographiques des enfants s’améliorent de façon notable. Ainsi, en décision sémantique, l’effet négatif de l’homophonie est observé jusqu’en fin de CM1 (cf. la figure 2) et, alors que les enfants connaissent parfaitement l’orthographe des mots cibles, ils produisent 24,5% d’erreurs pour les intrus phonologiques et 17,4% pour les intrus visuels (cf. Sprenger-Charolles & al., 2003). Il semble donc que les représentations phonologiques des mots écrits sont activées en lecture silencieuse, comme en lecture à haute voix, au début de l’acquisition de la lecture en français.
Décision sémantique (rejet correct des intrus phonologiques et visuels) et Choix orthographique (choix du mot correct)
Décision sémantique (rejet correct des intrus phonologiques et visuels) et Choix orthographique (choix du mot correct)
2.2.5 – Rôle de la procédure sublexicale dans l’acquisition de la lecture
31Les études examinées indiquent que le poids de la phonologie est très important dans l’apprentissage de la lecture. La procédure sublexicale de lecture pourrait même jouer un rôle central dans l’acquisition de la lecture et, plus particulièrement, dans la mise en place du lexique orthographique. Cette procédure permet en effet de lire tous les mots réguliers, qu’ils soient ou non connus. Elle fonctionne également, au moins partiellement, pour la lecture des mots irréguliers qui contiennent toujours des correspondances grapho-phonémiques régulières. On peut donc les lire en partie correctement en utilisant les correspondances graphème-phonème et, par une confrontation avec le lexique oral, corriger ensuite les erreurs. Par exemple, si on lit le mot femme en utilisant les relations grapho-phonémiques les plus fréquentes, on obtient l’item /f?m/ qui n’existe pas en français. Dans la mesure où un mot fréquent de prononciation voisine existe /fam/, on peut inférer que le « e » de femme doit être lu /a/. En fonction de la fréquence des correspondances grapho-phonémiques et de celle des mots, des associations fortes entre unités orthographiques et phonologiques peuvent ainsi se créer, tant au niveau sublexical (entre graphèmes et phonèmes), qu’au niveau lexical (entre représentations orthographiques et phonologiques du mot).
32Le rôle de la procédure sublexicale dans la construction du lexique orthographique a été évalué dans des études comportant des entraînements spécifiques. Les résultats suggèrent que les entraînements utilisant la phonologie sont les plus efficaces. Ainsi, au tout début de l’apprentissage, des enfants incapables de décoder même des mots très simples apprennent plus facilement les mots associés à des indices phonologiques que lorsqu’ils sont associés à des indices visuels (Ehri & Wilce, 1985 ; Laing & Hulme, 1999 ; Rack, Hulme, Snowling & Wightman, 1994). Des résultats similaires ont été obtenus avec des enfants plus âgés (Share, 1999). D’autres évidences proviennent d’études longitudinales qui montrent que les lecteurs qui ont au départ les meilleurs scores en lecture de pseudomots sont ceux qui progressent le plus, y compris pour la lecture de mots irréguliers (Byrne, Freebody & Gates, 1992 ; Jorm, Share, MacLean & Matthiews, 1984). Dans d’autres études, on a observé des relations entre réponses correctes et production d’erreurs phonologiques. Par exemple, en français, les enfants qui, au début de l’apprentissage de la lecture, font beaucoup d’erreurs de régularisation sur les mots irréguliers - c’est-à-dire ceux qui utilisent le plus la procédure sublexicale - sont aussi ceux qui produisent le plus de réponses correctes. À l’inverse, ceux qui font peu d’erreurs de régularisation produisent peu de réponses correctes (Sprenger-Charolles & al., 1998b).
33D’autres données longitudinales ont mis en relief le fait que les compétences phonologiques précoces, telles que révélées par la lecture de pseudomots, capturent la majeure partie de la variance unique dans les compétences ultérieures en identification des mots écrits (Manis, Custodio & Szeszulski, 1993 ; Sprenger-Charolles & al., 2003). Dans une de ces études (Sprenger-Charolles & al., 2003) des enfants non lecteurs avant l’entrée en CP ont été suivis pendant 4 ans. Leurs performances en lecture de pseudomots et de mots fréquents, réguliers et irréguliers, ont été examinées après quatre mois d’apprentissage de la lecture et, ensuite, à la fin de chaque année scolaire (CP, CE1, CE2 et CM1, cf. la figure 1). En milieu de CP, les performances pour les mots réguliers et les pseudomots ne diffèrent pas entre elles et sont supérieures à celles pour les mots irréguliers, les scores pour ces derniers étant très faibles, résultat qui indique que les enfants s’appuient alors principalement sur une procédure sublexicale. En quelques mois, le tableau se modifie fortement. Une progression est relevée pour les trois types d’items mais cette progression est plus marquée pour les mots réguliers qui sont alors mieux lus que les pseudomots, eux-mêmes mieux lus que les mots irréguliers. Les résultats pour les mots réguliers peuvent s’expliquer par le fait que ces items bénéficient à la fois de la régularité et de la fréquence d’exposition. Ni la fréquence d’exposition seule, ni la régularité seule ne suffisent, comme en témoigne la progression plus faible pour les mots irréguliers d’une part, et pour les pseudomots d’autre part. Ces données permettent de comprendre pourquoi l’apprentissage de la lecture s’effectue mieux et plus vite quand les relations grapho-phonologiques sont relativement transparentes.
34La procédure sublexicale joue donc un rôle moteur dans l’apprentissage de la lecture (cf. également Ehri, 1998 ; Perfetti, 1992 ; Share, 1995) et son efficience est fonction de la consistance des correspondances grapho-phonémiques. Toutefois, si cet apprentissage dépendait uniquement de la consistance interne au système d’écriture, il ne devrait pas y avoir de dyslexiques en espagnol, en italien ou en allemand qui ont des systèmes d’écriture relativement transparents. Ce n’est pas le cas (voir pour l’espagnol, Lopez & Jimenez-Gonzalez, 2000 ; pour l’italien, Paulesu, Démonet, Fazio, McCrory, Chanoine, Brunswick, Cappa, Cossu, Habib, Frith & Frith ; pour l’allemand, Wimmer, 1993). Une autre explication est donc nécessaire. L’établissement des relations grapho-phonémiques dépend sans doute également de la qualité des représentations phonémiques de l’apprenti-lecteur, qui seraient déficientes chez le dyslexique (cf. pour une synthèse Snowling, 2000 et 2001). Cette hypothèse phonologique forte permet de prédire que la procédure sublexicale ne devrait pas se mettre correctement en place chez eux, ni par voie de conséquence la procédure lexicale. Si on admet cette hypothèse, on ne devrait pas rencontrer de profils dissociés dans la dyslexie du développement.
3 – La dyslexie développementale
3.1 – Déficits des procédures d’identifications des mots écrits chez les dyslexiques
35Les études portant sur des adultes devenus dyslexiques à la suite d’une lésion cérébrale ont permis de relever des cas de dyslexie phonologique, se caractérisant par un déficit spécifique de la procédure sublexicale (Beauvois & Derouesné, 1979), tout comme le profil inverse, avec un déficit spécifique de la procédure lexicale (Coltheart, Masterson, Byng, Prior & Riddoch, 1983). Chez des dyslexiques du développement, c’est-à-dire chez des sujets souffrant d’un déficit qui ne résulte pas d’une lésion cérébrale et qui se manifeste au cours de l’apprentissage de la lecture, ces profils dissociés ne devraient pas se retrouver dans la dyslexie du développement. En effet, chez l’enfant - et donc chez le futur dyslexique - l’architecture cognitive sous-tendant la lecture est en cours d’élaboration et les procédures de lecture se mettent en place progressivement, en suivant une trajectoire développementale spécifique, la maîtrise de la voie phonologique conditionnant la mise en place du lexique orthographique.
36Pourtant quelques cas de dyslexie phonologique (Campbell & Butterworth, 1985 ; Snowling, Stackhouse & Rack, 1986 ; Temple & Marshall, 1983) et de dyslexie de surface (Hanley, Hastie & Kay, 1992 ; Valdois, 1996) ont été rapportés.
37Ces études de cas uniques posent deux problèmes majeurs. D’une part, lorsqu’on recherche uniquement les dyslexiques présentant un profil dissocié, sont exclus de facto ceux qui souffrent d’un double déficit. D’autre part, on ne peut se rendre compte de la prévalence des différents profils par rapport à la population de référence. Pour connaître cette prévalence, il faut s’appuyer sur des études de cas multiples. Dans ces études, comme dans celles portant sur des cas uniques, on définit comme dyslexique phonologique l’enfant qui a des performances normales en lecture de mots irréguliers mais dont les performances en lecture de pseudomots se situent à au moins un écart-type au moins de la moyenne des normolecteurs. L’enfant qui, à l’inverse, peut lire normalement les pseudomots mais a des performances au-delà d’un écart-type en lecture de mots irréguliers est caractérisé comme dyslexique de surface. La méthode des cas multiples a été utilisée avec des dyslexiques, anglais (Castles & Coltheart, 1993 ; Manis, Seidenberg, Doi, McBride-Chang & Peterson, 1996 ; Stanovich, Siegel & Gottardo, 1997) et français (Génard, Mousty, Content, Alegria, Leybaert & Morais, 1998 ; Sprenger-Charolles, Colé, Lacert & Serniclaes, 2000), l’indicateur de l’efficience des procédures de lecture étant uniquement la précision de la réponse, sauf dans une étude (Sprenger-Charolles & al., 2000), dans laquelle le temps de latence de ces réponses a aussi été évalué. Ce point est important, l’efficience d’un comportement se caractérisant non seulement par sa précision, mais également par sa rapidité.
38Les résultats sont présentés dans la figure 3. Comparativement à des normolecteurs de même âge, les deux procédures de lecture apparaissent déficitaires chez la plupart des dyslexiques. La proportion des profils dissociés est donc faible. De plus, si on trouve à peu près autant de dyslexiques phonologiques que de dyslexiques de surface dans les études anglaises qui s’appuient sur la précision de la réponse (Castles & Coltheart, 1993 ; Manis & al., 1996 ; Stanovich & al., 1997) cela n’est vrai en français que quand on se fonde sur le temps de latence (Sprenger-Charolles & al., 2000). En revanche, en français, quand on utilise la précision de la réponse, on relève moins de dyslexiques phonologiques que de dyslexiques de surface (Génard & al., 1998 ; Sprenger-Charolles & al., 2000). Ces résultats ne s’appuient que sur un seul indicateur de l’efficience des procédures de lecture, soit la précision, soit le temps. Quand on tient compte des deux indicateurs, ce qui a été fait dans l’étude de Sprenger-Charolles & al. (2000), pratiquement tous les sujets présentent un double déficit.
Proportion des différents sous-types de dyslexie : Dyslexiques Phonologiques présentant un déficit sélectif en lecture de pseudomots, Dyslexiques de Surface avec un déficit sélectif en lecture de mots irréguliers et Dyslexiques souffrant d’un double déficit dans cinq études, trois anglaises (Castles & Coltheart, 1993 ; Manis & al., 1996 ; Stanovich & al., 1997), deux françaises (Génard & al., 1998 ; Sprenger-Charolles & al., 2000)*
Proportion des différents sous-types de dyslexie : Dyslexiques Phonologiques présentant un déficit sélectif en lecture de pseudomots, Dyslexiques de Surface avec un déficit sélectif en lecture de mots irréguliers et Dyslexiques souffrant d’un double déficit dans cinq études, trois anglaises (Castles & Coltheart, 1993 ; Manis & al., 1996 ; Stanovich & al., 1997), deux françaises (Génard & al., 1998 ; Sprenger-Charolles & al., 2000)*
* La proportion des différents profils est calculée en fonction de la précision de la réponse dans toutes les études, sauf la dernière dans laquelle il a également été tenu compte du temps de latence des réponses correctes.39Les profils dissociés sont donc tout sauf stables : leur nombre varie en effet en fonction des mesures et de la langue des dyslexiques. Ces différences peuvent s’expliquer par des facteurs linguistiques. Les correspondances grapho-phonémiques étant plus régulières en français qu’en anglais (Peereman & Content, 1999), les dyslexiques francophones pourraient plus facilement que les anglophones surmonter les difficultés de mise en œuvre de la procédure sublexicale. C’est ce qui permet d’expliquer pourquoi on trouve moins de dyslexiques phonologiques en français qu’en anglais, tout au moins quand on ne tient compte que de la précision de la réponse (cf. les résultats de Génard & al., 1998 et ceux de Sprenger-Charolles & al., 2000). Par contre, quand la classification des dyslexiques français est élaborée à partir des temps de latence des réponses correctes (cf. Sprenger-Charolles & al., 2000), on observe autant de dyslexiques phonologiques que dans les études anglaises s’appuyant sur la précision de la réponse (cf. Castles et Coltheart, 1993 ; Manis & al., 1996 ; Stanovich & al., 1997). Ces données suggèrent que les dyslexiques francophones pourraient utiliser à peu près correctement les correspondances grapho-phonémiques, leur déficit phonologique se manifestant principalement par la lenteur de cette opération. Cette interprétation permet de rendre compte des différences entre les études francophones qui s’appuient sur la précision de la réponse et celles qui prennent en compte le temps de traitement (voir pour des résultats similaires chez des adultes dyslexiques anglophones, Zabell & Everatt, 2002).
40Toutefois, quand les performances des dyslexiques sont comparées à celles de lecteurs plus jeunes qu’eux mais de même niveau global de lecture, alors que disparaît le déficit de la procédure lexicale, celui de la procédure sublexicale est pratiquement toujours présent, pour la précision de la réponse chez certains dyslexiques, pour le temps chez d’autres, voire pour les deux mesures (voir Sprenger-Charolles & al., 2000). Ce résultat corrobore ceux relevés dans les études de groupes indifférenciés de dyslexiques. En effet, ces études ont montré que c’est principalement la procédure sublexicale qui est déficitaire chez les dyslexiques, ce déficit étant sévère puisqu’il émerge même par rapport à des normolecteurs plus jeunes mais de même niveau global en lecture (voir les méta-analyses de Rack, Snowling & Olson, 1992 et de Van Ijzendoorn & Bus, 1994 et pour une synthèse en français, Casalis, 1995).
41De même, dans une étude inter-langues incluant des dyslexiques plus âgés, le déficit des procédures de lecture, évalué par le temps de latence en lecture de mots et de pseudomots était plus marqué chez les dyslexiques anglais que chez les français et - surtout - que chez les italiens (Paulesu & al., 2001), ce qui signale une nouvelle fois que la transparence des relations grapho-phonémiques a une incidence à long terme sur la lecture. Toutefois, au-delà de cette variabilité, d’une part, le déficit le plus notable était celui de la procédure sublexicale. D’autre part, un dysfonctionnement neural commun a été relevé dans les trois groupes de dyslexiques comparativement aux normolecteurs. Ces résultats permettent de penser que le déficit de la procédure sublexicale de lecture pourrait avoir une même origine, quelle que soit la langue.
3.2 – Déficits dans les compétences associées à l’apprentissage de la lecture
42En dehors de la lecture, les déficits les plus robustes relevés chez les dyslexiques concernent différents domaines impliquant des traitements phonologiques, en particulier, les capacités d’analyse phonémique et de mémoire à court terme phonologique (cf. Ramus, 2001 ; Ramus, Rosen, Dakin, Day, Castellote, White & Frith, 2003).
3.2.1 – Capacités d’analyse phonémique et apprentissage de la lecture
43Dans un système d’écriture alphabétique, pour utiliser la procédure sublexicale, il faut pouvoir mettre en correspondance les unités sublexicales de l’écrit - les graphèmes - avec les unités correspondantes de l’oral, les phonèmes. Or le phonème n’est pas facilement identifiable à l’oral en raison de la coarticulation ; par exemple "car" est prononcé en un seul mouvement articulatoire. Avant d’avoir vu ce mot écrit, composé de trois éléments, l’enfant peut ne pas avoir conscience de sa structure phonémique. De fait, de nombreuses études ont montré que les capacités de segmentation phonémique, et non celles de segmentation syllabique, se développent avec l’apprentissage de la lecture (Liberman, Shankweiler, Fisher & Carter, 1974). Ce phénomène ne peut s’expliquer par la simple maturation dans la mesure où des résultats identiques ont été obtenus dans des comparaisons entre adultes analphabètes et ex-analphabètes (Bertelson & De Gelder, 1989 ; Morais, Bertelson, Cary & Alegria, 1986 ; Morais, Cary, Alegria & Bertelson, 1979). Toutefois, les dyslexiques ont en général des performances en analyse phonémique inférieures à celles d’enfants plus jeunes de même niveau de lecture (Lundberg & Hoien, 1989). Ce résultat ne peut pas être mis au compte de l’incidence de la lecture sur les capacités d’analyse phonémique vu que le niveau de lecture des deux groupes d’enfants est le même et que, les dyslexiques étant plus âgés, ils ont pu bénéficier de plus de contacts avec l’écrit. De même, dans des études longitudinales il a été relevé qu’une déficience en analyse phonémique s’observe chez de futurs dyslexiques avant même l’apprentissage de la lecture (Wimmer, 1996 ; Scarborough, 1990 ; Sprenger-Charolles & al., 2000). Les relations entre analyse phonémique et lecture sont donc bidirectionnelles, ce qui permet de comprendre pourquoi le déficit en analyse phonémique des dyslexiques ne se compenserait jamais totalement (Bruck, 1992 ; Fawcett & Nicolson, 1994).
3.2.2 – Mémoire à court terme phonologique et apprentissage de la lecture
44Une autre capacité sollicitée par la procédure sublexicale est la mémoire à court terme. Il faut en effet garder en mémoire le résultat d’opérations locales pour pouvoir, à partir de l’assemblage des unités résultant des opérations de transcodage grapho-phonémique, accéder aux mots. La mémoire à court terme doit donc avoir une incidence sur l’apprentissage de la lecture. Reste à savoir quelle mémoire est impliquée dans cet apprentissage. Il semble assez clairement établi que c’est un déficit en mémoire à court terme phonologique, et non en mémoire visuelle non verbale, qui est relié à la dyslexie. Les chercheurs du laboratoire Haskins ont été les premiers à établir ce fait (Liberman, Mann & Werfelman, 1982 ; Mann & Liberman, 1984 ; Rapala & Brady, 1990). Des résultats identiques ont été obtenus plus récemment (McDougall, Hulme, Ellis & Monk, 1994 ; Sprenger-Charolles & al., 2000).
45Une autre question est de déterminer le poids de cette mémoire dans l’acquisition de la lecture et ses difficultés. Les résultats de plusieurs études longitudinales suggèrent que ce poids est moindre que celui des capacités d’analyse phonémique (Lecocq, 1991 ; Wagner, Torgesen et Rashotte, 1994). Des tendances identiques ont été relevées quand les capacités métaphonémiques et mnésiques d’adultes dyslexiques ont été comparées à celles de normolecteurs de même âge ou de même niveau de lecture (Pennington, Van Orden, Smith, Green & Haith, 1990). Plus surprenantes, compte tenu de la longue histoire des relations entre déficits mnésiques et lecture, d’autres études montrent que les lecteurs en difficulté ne se différencient pas des normolecteurs par leurs capacités mnésiques (Bowers, 1995 ; Wimmer, 1993).
46Il ressort de ces études que les capacités de mémoire phonologique à court terme ne permettent pas toujours de différencier les sujets en fonction de leur niveau de lecture et que ces capacités ne sont pas des prédicteurs aussi forts du niveau de lecture que les compétences en analyse phonémique. Par contre, lorsqu’un lien est observé entre difficultés spécifiques de lecture et mémoire, c’est la mémoire à court terme phonologique, et non la mémoire visuelle, qui est impliquée.
3.3 – Quelle peut être l’origine des déficits des dyslexiques ?
47Malgré la masse de données accumulées dans différents laboratoires à travers le monde ces vingt dernières années, données qui montrent de façon convergente que les dyslexiques ont des déficits dans différents domaines impliquant des traitements phonologiques, l’origine de ces déficits n’est pas encore bien établie (Ramus, 2001).
3.3.1 – Les principales hypothèses explicatives
48Plusieurs hypothèses explicatives ont été avancées. Tout d’abord, par Tallal (1980), selon qui un aspect crucial de la dyslexie réside dans la résolution temporelle du système auditif, affectant la perception des sons brefs et des transitions temporelles rapides. Or ce sont justement des sons très brefs (les consonnes), et des transitions rapides (les transitions consonne-voyelle), qui caractérisent le langage et permettent, avec une trentaine de phonèmes différents propres à une langue donnée, la créativité du langage, à savoir la production d’une suite illimitée de mots. D’autres chercheurs postulent que les problèmes des dyslexiques s’expliqueraient par un dysfonctionnement des voies magnocellulaires du système visuel [5], permettant le traitement des basses fréquences spatiales (ce qui permet de cerner les contours des mots), ce système étant aussi impliqué dans la gestion des mouvements oculaires. Une autre équipe (Nicolson, Fawcett & Dean, 2001) a de son côté mis en relief le fait que les dyslexiques ont des problèmes d’équilibre et de coordination motrice, ce qui les a conduits à proposer qu’une déficience du cervelet pourrait être à l’origine de la dyslexie et, plus particulièrement, des troubles des automatismes observés chez ces enfants, le cervelet étant supposé être à la base des automatismes. Enfin, une théorie intégrative, qui permet de relier les hypothèses auditives et visuelles, postule qu’une anomalie neurologique unique affectant les voies magnocellulaires, quelle que soit la modalité sensorielle (c’est en effet ce système qui permet à la fois le traitement des hautes fréquences temporelles et des basses fréquences spatiales), serait à l’origine des troubles visuels et des troubles auditifs des dyslexiques, que ces derniers soient ou non spécifiques au langage, ainsi que, de manière secondaire, des déficits des automatismes, via les liens entre le système magnocellulaire et le cervelet (Stein, 2001 ; Stein & Walsh, 1997).
49Toutefois, ces différentes hypothèses sont loin d’être corroborées (cf. Ramus, 2001 ; Ramus & al., 2003). Ainsi, l’hypothèse de Tallal a été battue en brèche par des données indiquant que, en fait, les lecteurs en difficulté et les dyslexiques ont des déficits spécifiques au traitement du langage (Mody, Studdert-Kennedy & Brady, 1997 ; Serniclaes, Sprenger-Charolles, Carré & Démonet, 2001), et que seule une faible proportion d’entre eux souffre de déficits auditifs. La proportion des dyslexiques présentant des troubles visuels est faible et une très grande variabilité est relevée quant au nombre de dyslexiques souffrant de troubles moteurs. Par contre, comme nous l’avons déjà souligné, la grande majorité des dyslexiques présente des troubles phonologiques.
3.3.2 – Une explication plausible : un déficit de phonologisation à l’origine de la dyslexie
50Pouvoir mettre en relation les graphèmes et les phonèmes implique des capacités de segmentation phonémique. Cette opération nécessite également des représentations phonémiques bien spécifiées. Or les phonèmes sont des unités propres à chaque langue, ce qui implique la mise en œuvre d’un processus d’acquisition. Différents résultats suggèrent que les enfants dyslexiques rencontrent des difficultés dans l’acquisition des percepts phonémiques.
51Les enfants dyslexiques commettent davantage d’erreurs que les normolecteurs lorsqu’ils doivent discriminer des paires minimales de syllabes (par exemple, /ba/-/da/), qui ne se distinguent que par un seul trait phonétique (Reed, 1989 ; Masterson, Hazan & Wijayatilake, 1995 ; Mody & al., 1997 ; Adlard & Hazan, 1998). Les différences entre ces deux groupes d’enfants ne relèveraient pas d’une différence d’acuité perceptive mais bien de capacité de catégorisation des sons en classes phonologiques, c’est-à-dire d’un déficit de « Perception Catégorielle ». La perception catégorielle réside dans le fait que - à différence acoustique égale - des sons appartenant à la même catégorie phonémique (deux exemplaires de /ba/) sont moins discriminables que ceux appartenant à des catégories différentes (un /ba/ et un /da/, cf. Liberman, Cooper, Shankweiler & Studdert-Kennedy, 1967).
52Plusieurs études ont montré que les dyslexiques sont moins catégoriels que les normolecteurs (Godfrey, Syrdal-Lasky, Millay & Knox, 1981 ; Werker & Tees, 198 ; Serniclaes & al., 2001 ; Bogliotti, Messaoud-Galusi & Serniclaes, 2002). Ce déficit se manifeste par une moins bonne discriminabilité des différences entre catégories et par une meilleure discriminabilité des différences intra-catégorielles. C’est ce qu’indique la figure 4 dans laquelle, on présente les scores de discrimination de dyslexiques et de normolecteurs pour 2 variants de « ba » et 2 variants de « da », la différence acoustique entre les variants intra-catégoriels étant de même amplitude que celle entre la paire inter-catégorielle « ba » et « da » [6]. Chez les dyslexiques comparativement aux normolecteurs, la discrimination inter-catégorielle est plus faible alors que la discrimination intra-catégorielle est plus forte.
Pourcentage de discriminations correctes pour des dyslexiques et des normolecteurs de 13 ans en parole (adapté de Serniclaes, Sprenger, Carré & Démonet (2001)
Pourcentage de discriminations correctes pour des dyslexiques et des normolecteurs de 13 ans en parole (adapté de Serniclaes, Sprenger, Carré & Démonet (2001)
53Il est à noter que le déficit de perception catégorielle des dyslexiques est fiable pourvu que l’on se trouve dans des conditions méthodologiques appropriées. Ce déficit se retrouve régulièrement dans les travaux consacrés à ce sujet pour autant que les performances de perception catégorielle des normolecteurs ne soient ni optimales (effet "plafond") ni anormalement faibles (effet "plancher"). À notre connaissance, le déficit de perception catégorielle est systématiquement présent dans ces conditions bien qu’il n’ait pas toujours été testé (comme dans Brandt & Rosen, 1981), qu’il soit parfois marginalement significatif (comme dans: Reed, 1989) et parfois sans différences concomitantes en discrimination intra-catégorielle (comme dans Messaoud-Galusi, Carré, Bogliotti & Serniclaes, 2002). Le déficit de perception catégorielle a également été examiné à l’aide d’expériences d’identification en comparant les pentes des fonctions, une pente plus faible indiquant que la frontière catégorielle est moins précise. Le déficit de perception catégorielle était systématiquement présent et significatif dans ces études (Reed, 1989; Manis, McBride-Chang, Seidenberg, Keating, Doi, Munson & Petersen, 1997; Joanisse, Manis, Keating & Seidenberg, 2000; Messaoud-Galusi, in press), même s’il n’a parfois été trouvé que pour les sous-groupes de dyslexiques les plus sévèrement atteints. Enfin, des différences de catégorialité qui n’apparaissent pas dans la précision des réponses (examen des erreurs) peuvent se manifester dans la vitesse de traitement (examen des temps de réaction, cf. Ruff, Boulanouar, Cardebat, Celsis & Démonet, 2001).
54La présence d’un déficit de perception catégorielle chez les dyslexiques fait entrevoir la possibilité d’une relation de cause à effet avec leurs difficultés dans la mise en œuvre de la procédure sublexicale. En effet, la discriminabilité accrue des différences intra-phonémiques révèle un manque de cohésion de leurs percepts phonémiques pouvant constituer un obstacle à l’établissement des correspondances graphème-phonème.
55Deux recherches indépendantes (Bogliotti, 2001; Van Heghe, 2001) ont été consacrées à l’examen des capacités de catégorisation du trait de voisement, en comparant les capacités de discrimination d’enfants dyslexiques et de normolecteurs de même âge chronologique (de 9 ou 10 ans, selon l’étude) avec différents continua de vot [7] (do-to, ou ba-pa et ga-ka, selon l’étude). Pour chacune de ces deux études, l’examen des fonctions de discrimination sur ces continua montre que les dyslexiques présentent un pic de discrimination plus faible au voisinage de la frontière phonémique (vers +15 ms de vot pour les continua utilisés), ce qui confirme une fois de plus le déficit de catégorisation. Chez les dyslexiques on observe surtout un second pic nettement à l’écart de la frontière, aux environs de -30 ms de vot. Selon l’étude, ce second pic est soit absent chez les contrôles, soit plus faible. Sa localisation sur le continuum de vot (vers -30 ms) montre qu’il correspond à l’une des deux prédispositions phonétiques utilisées pour percevoir le voisement. La sensibilité accrue aux composants phonétiques des oppositions phonologiques suggère que l’on se trouve en présence d’un mode de perception de la parole particulier que l’on peut qualifier d’« allophonique » et ce à double titre. D’abord, les oppositions phonétiques ancrées à -30 ou +30 ms de vot sont incluses dans les prédispositions perceptives de l’enfant péri-linguistique (Lasky, Syrdal-Lasky & Klein, 1975 ; Aslin, Pisoni, Hennessy & Perrey, 1981), et elles correspondent à des frontières phonémiques dans les langues à trois catégories de voisement (par ex. en thaï : Abramson & Lisker, 1970). Ensuite, ces oppositions correspondent à des réalisations contextuelles, donc allophoniques, de l’opposition de voisement en français (Serniclaes, 1987).
56Comprendre le langage oral avec des catégories allophoniques plutôt que phonémiques ne soulève probablement pas d’obstacle majeur. L’accès au lexique mental peut s’opérer à partir de représentations allophoniques quoique de manière moins économique en termes de volume d’information à traiter, par rapport aux représentations phonémiques. Il en va tout autrement pour le langage écrit, les représentations phonémiques s’avérant indispensables pour cette modalité de communication. L’hypothèse d’un mode de perception allophonique, si elle se vérifie, permettrait de comprendre précisément pourquoi le dyslexique rencontre des problèmes importants dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture sans troubles notoires de la perception et de la production de la parole.
57Enfin, le déficit de perception catégorielle doit être mis en relation avec d’autres résultats qui suggèrent que le dyslexique est également affecté de troubles de mémoire à court terme et de segmentation perceptive (cf. ci-dessus, voir également Carré, Sprenger-Charolles, Messaoud-Galusi & Serniclaes, 2000; Messaoud-Galusi, 2000). Par exemple, lorsque l’on demande de reporter le nombre de voyelles présentes dans un segment acoustique caractérisé par des transitions formantiques de type /ai/, la durée nécessaire pour percevoir trois voyelles (/aei/) est plus longue pour des enfants dyslexiques que pour des normolecteurs de même âge. Ce résultat peut s’expliquer soit par des problèmes d’empan mnésique dus à une déficience des processus cognitifs impliqués (détérioration plus rapide de la trace mnésique), soit par des exigences de stockage prolongé en raison de la taille élargie du répertoire catégoriel (allophonique et non phonémique), voire par une combinaison de ces deux facteurs. D’où la possibilité d’un syndrome sous-jacent qui affecterait simultanément catégorisation et segmentation avec des répercussions mémorielles, et qui pourrait être à l’origine des problèmes de segmentation phonémique consciente (Morais & al., 1979 et 1986 ; Morais & Kolinsky, 1995).
58Les études sur la perception catégorielle chez les dyslexiques suggèrent donc que l’origine de leur déficit proviendrait d’un faible couplage phonologique, sans conséquences évidentes pour la communication orale, d’où son caractère subtil (Bishop, 1997), mais avec une forte présomption d’incidence sur l’acquisition du langage écrit. En particulier, ce déficit pourrait expliquer les difficultés qu’ils rencontrent dans la mise en œuvre de la procédure sublexicale d’identification des mots écrits, procédure qui nécessite de relier les graphèmes aux phonèmes correspondants. Si le dyslexique perçoit des allophones d’un même phonème, il va difficilement pouvoir effectuer cette opération. Ce déficit pourrait également expliquer la déficience de leur mémoire à court terme phonologique, qui proviendrait du poids des exigences de stockage dues à la taille élargie du répertoire catégoriel (allophonique plutôt que phonémique). Les résultats suggèrent également que ce déficit phonémique serait - au moins en partie - spécifique au traitement du langage: il ne s’expliquerait donc pas par des déficiences des mécanismes auditifs situés en amont du décodage phonologique. Les résultats montrent en outre que les performances du dyslexique sont sous certains aspects supérieures à celles des normolecteurs (cf. la perception des allophones), ce qui permet de rejeter les interprétations en termes stratégiques de leur déficit perceptif.
59Ces résultats apportent des arguments supplémentaires à l’appui de l’hypothèse explicative de la dyslexie par un déficit phonologique. Des études complémentaires sont toutefois nécessaires pour étayer le cadre explicatif proposé, en particulier des études permettant de cerner les corrélats neuro-anatomiques du déficit de perception catégorielle relevé chez les dyslexiques.
60La dyslexie de développement pourrait donc provenir principalement d’un déficit de couplage phonologique qui entrave la mise en place de la procédure sublexicale et, par voie de conséquence, de la procédure lexicale. Comme attendu en fonction de cette hypothèse phonologique forte, les études passées en revue n’ont pas permis de relever de dissociation claire entre les profils de type dyslexie phonologique et de surface.
4 – Conclusion
61La réussite, tout comme les échecs spécifiques de l’apprentissage de la lecture dépendrait donc de la force des associations qui peuvent se créer entre graphèmes et phonèmes, en fonction de la langue et de la qualité des catégories phonémiques de l’apprenant lecteur. Ce point est essentiel. Il permet d’expliquer pourquoi les enfants espagnols apprennent plus vite à lire que les petits Français qui eux-mêmes apprennent plus vite que les petits Anglais. Il permet également de comprendre le retard de l’écriture sur la lecture, conséquence de l’asymétrie des relations graphème-phonème et phonème-graphème, les premières étant plus régulières que les secondes. Il ne faut donc pas confondre dyslexie et dysorthographie : même un bon lecteur peut faire des fautes d’orthographe. Il permet aussi de rendre compte du fait qu’on trouve des dyslexiques, même en espagnol. En effet, l’enfant qui apprend à lire dans une écriture alphabétique - quelle qu’elle soit - et qui ne s’est pas construit des catégories précises pour chacun des phonèmes de sa langue, va difficilement pouvoir relier les graphèmes aux phonèmes correspondants, ce qui semble être le cas des dyslexiques.
62La place centrale du système de traitement des sons de la parole dans l’explication de la réussite et de l’échec de l’apprentissage de la lecture peut être due au fait que le langage écrit, dans l’histoire de l’humanité comme dans celle du petit d’homme, se met en place après le langage oral. Il n’est donc pas surprenant que l’enfant s’appuie d’abord sur ce qu’il connaît - son langage oral - pour apprendre à lire, ce d’autant plus que le recours au décodage est peu coûteux pour la mémoire : il suffit en effet de mémoriser un nombre limité d’associations régulières entre graphèmes et phonèmes, plus quelques exceptions, pour lire. Et même quand l’écriture permet de s’appuyer sur une procédure globale (très coûteuse pour la mémoire), comme en chinois, on utilise pour l’apprentissage de la lecture une écriture qui rend possible l’utilisation d’une procédure analytique, les signes logographiques n’étant introduits que très progressivement.
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Notes
-
[1]
Pour une discussion des relations entre compréhension et identification des mots écrits, voir Morais, 1994 a, b.
-
[2]
Il faut souligner qu’il est difficile d’avoir recours à cette méthodologie pour évaluer la lecture.
-
[3]
Dans cette partie, on ne reviendra pas sur la question des stratégies logographiques (Frith, 1986), qui ne semblent pas jouer un rôle déterminant chez l’apprenti-lecteur, tout au moins dans des systèmes d’écriture relativement transparents: cf. Wimmer & Hummer (1990) pour l’allemand, Sprenger-Charolles & Bonnet (1996) pour le français (voir toutefois pour l’anglais Ehri & Wilce, 1985 ainsi que Laing & Hulme, 1999).
-
[4]
En fin de CP, on observe 87% de réponses correctes pour les mots réguliers contre 38 pour les irréguliers en lecture et 73% contre 13 en écriture.
-
[5]
On a pendant longtemps considéré que la dyslexie était plutôt due à un déficit visuel, les dyslexiques confondant, par exemple, « b » et « d » (Orton, 1937) : Cette idée - encore très populaire - a été clairement rejetée. En effet, les confusions entre « p » et « b », ou entre « b » et « d », comme les inversions de séquence de type « ble » - « bel », sont qualifiées d’erreurs visuelles. Or « p » et « b », comme « b » et « d », sont également proches sur le plan sonore, les phonèmes correspondant à ces lettres ne se distinguant que par un seul trait, le voisement dans un cas (quelques milli-secondes en plus de la vibration des cordes vocales différencient /p/ de /b/), le lieu d’articulation dans l’autre (b/d) : Pour montrer que les confusions entre p/b sont visuelles, il faudrait que ces erreurs ne concernent que ces deux lettres, et non t/d. Or ce n’est pas le cas. En effet, les dyslexiques (Liberman, Shankweiler, Orlando, Harris & Berti, 1971 ; Vellutino, 1979), comme les lecteurs débutants (Sprenger-Charolles & Siegel, 1997), font autant de confusion entre p et b qu’entre t et d. Les erreurs d’inversions peuvent aussi s’expliquer par des principes liés à la structure syllabique, ce qui permet de comprendre pourquoi la dernière syllabe du mot "table" ne se prononce pas de la même façon en français et en anglais, le français ayant une préférence pour les syllabes se terminant par une voyelle, la tendance inverse caractérisant l’anglais (pour des données et une discussion sur les erreurs d’inversion par rapport à la hiérarchie de sonorité, voir Sprenger-Charolles & Siegel, 1997)
-
[6]
Les enfants de cette étude, dyslexiques et normolecteurs, proviennent de la cohorte longitudinale française (cf. Sprenger-Charolles & al., 2000) : Ils avaient 13 ans quand on a examiné leurs capacités de perception catégorielle.
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[7]
Le vot (Voice Onset Time, cf. Lisker & Abramson, 1964), principal indice acoustique de voisement, est l’intervalle de temps entre la détente de l’occlusion orale et le départ des vibrations laryngées (ou départ de la « voix ») : Le vot est respectivement négatif ou positif selon que le départ de la voix précède ou suit la détente.