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Article de revue

De la communauté du royaume au common weal

Les requêtes anglaises et leurs stratégies au xive siècle

Pages 359 à 372

Notes

  • [1]
    Christopher Flechter est chargé de recherches au Laboratoire de médiévistique occidentale de l’Université Paris I.
  • [2]
    B. Dumézil, supra.
  • [3]
    J. Gaudemet, « Utilitas Publica », Revue historique de droit français et étranger, 4e ser., 29, 1951, p. 467.
  • [4]
    Y. Sassier, supra.
  • [5]
    G. Post, « Ratio Publicae Utilitas, Ratio Status and ?eason of State’, 1100-1300 » dans Post, Studies in Medieval Legal Thought, Princeton, 1964, p. 247, 291 ; A. Guéry, « L’État : L’outil du bien commun » dans P. Nora, Les Lieux de Mémoire : III : Les France, t. 3, Paris, 1992, p. 825-9 ; A. Babeau, « Les préambules des ordonnances royales et l’opinion publique », Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques : Compte rendu, année 56, 1896, p. 834.
  • [6]
    M. Kempshall, The Common Good in late medieval political thought, Oxford, 1999 ; R.A. Markus, Saeculum : History and Society in the Theology of Saint Augustine, Cambridge, 1970 ; B. Sère, supra.
  • [7]
    Guéry, « L’État », p. 826.
  • [8]
    J. Watts, « Public or Plebs : The Changing Meaning of “the Commons„, 1381-1549 » dans Power and Identity in the Middle Ages, éd. H. Pryce et J. Watts, Oxford, 2007 ; J.-P. Genet, La genèse de l’État moderne : Culture et société politique en Angleterre, Paris, 2003, p. 89-107. Pour une introduction à l’énorme littérature sur le Parlement anglais, voir The English Parliament in the Middle Ages, éd. R.G. Davies et J.H. Denton, Manchester, 1981.
  • [9]
    D. Starkey, « Which age of reform ? » dans Revolution Reassessed, éd. C. Coleman et D. Starkey, Oxford, 1986, p. 19.
  • [10]
    Ibid., p. 14-26.
  • [11]
    J. Watts, Henry VI and the politics of kingship, Cambridge, 1996, p. 16-39 ; J.-P. Genet, « De Richard II à Richard III : le conseil » dans À l’ombre du pouvoir : Les entourages princiers au moyen âge, éd. A. Marchandisse et J.L. Kupper, Liège, 2003.
  • [12]
    Starkey, « Age of Reform », p. 21.
  • [13]
    J. Watts, « Ideas, Principles and Politics » dans The Wars of the Roses, ed. A.J. Pollard, Basingstoke, 1995.
  • [14]
    Ibid., p. 120-1.
  • [15]
    Ibid., p. 121.
  • [16]
    Watts, « De Consulatu Stiliconis : texts and politics in the reign of Henry VI », Journal of Medieval History, t. 16, 1990, p. 251-266 ; Watts, Henry VI, p. 39-51. Cf. P. Strohm, Politique : Languages of Statecraft between Chaucer and Shakespeare, Notre Dame, Indiana, 2005, p. 12-14.
  • [17]
    Watts, « Ideas, Principles », p. 128-9 ; Watts, Henry VI, p. 43-6. Texte publié par J.P. Gilson, « A Defence of the Proscription of the Yorkists in 1459 », English Historical Review, t. 26, 1911, p. 512-25.
  • [18]
    Ibid., p. 515.
  • [19]
    Ibid., p. 518.
  • [20]
    Ibid., p. 519.
  • [21]
    Ibid., p. 520.
  • [22]
    Ibid., p. 519.
  • [23]
    Ibid., p. 520.
  • [24]
    Mais voir, maintenant, J. Watts, The Making of Polities : Europe 1300-1500, Cambridge, 2009.
  • [25]
    J.C. Holt, « Rights and Liberties in Magna Carta » dans Album Helen Maud Cam I, Louvain, 1960 ; S. Reynolds, Kingdoms and Communities in Western Europe, 900-1300, 2e édition, Oxford, 1997, p. 250-72.
  • [26]
    C.J. Nederman, « Bracton on kingship revisited », History of Political Thought, t. 5, 1984.
  • [27]
    Holt, « Rights and Liberties », p. 63-7 ; Holt, « The Prehistory of Parliament » dans English Parliament, éd. Davies et Denton, p. 25.
  • [28]
    W.O. Morris, « Magnates and Community of the Realm in Parliament, 1262-1327 », Mediaevalia et Humanistica, t. 1, 1943, p. 61-3, 64-7.
  • [29]
    Nederman, « Bracton on kingship revisited », p. 63.
  • [30]
    Morriss, « Magnates and Community », p. 61-2.
  • [31]
    D. Carpenter, « English Peasants in Politics, 1258-1267 », Past and Present, no. 136, 1990.
  • [32]
    Reynolds, Kings and Communities, p. 271.
  • [33]
    Holt, « The Prehistory of Parliament ».
  • [34]
    Morris, « Magnates and Community », p. 70.
  • [35]
    G.L. Harriss, King, Parliament and Public Finance, Oxford, 1975, p. 39-48 ; Harriss, « The Formation of Parliament, 1272-1377 » dans English Parliament, éd. Davies et Denton.
  • [36]
    J.R. Maddicott, « Edward I and the Lessons of Baronial Reform » dans Thirteenth Century England : I, éd. P.R. Coss et S.D. Lloyd, Woodbridge, 1986.
  • [37]
    Documents illustrating the crisis of 1297-98 in England, éd. M. Prestwich, London, 1980, n° 98, p. 115.
  • [38]
    Documents, éd. Prestwich, n° 111, p. 127.
  • [39]
    Ibid, p. 125, 127.
  • [40]
    « The Battle of Lewes » dans The Political Songs of England, éd. T. Wright, réimp. Cambridge, 1996, v. 417-58, 669-700, 847-76.
  • [41]
    Ibid., v. 93-184.
  • [42]
    Ibid., v. 79-80, 325-333
  • [43]
    Ibid., v. 331-3.
  • [44]
    Ibid., v. 445-6.
  • [45]
    Ibid., v. 372-5.
  • [46]
    M. Prestwich, « Parliament and the community of the realm in fourteenth century England » dans Parliament and community, éd. A. Cosgrove et I.I. McGuire, Belfast, 1983.
  • [47]
    Harriss, King, Parliament, ch. 4, 5.
  • [48]
    Ibid., ch. 15.
  • [49]
    G. Holmes, The Good Parliament, Oxford, 1975, p. 134-9.
  • [50]
    C. Fletcher, « Virtue and the Common Good : Sermons and Political Practice in the Good Parliament, 1376 » dans Charisma and Religious Authority, éd. K. Jensen et M. Rubin, Turnhout, 2010.
  • [51]
    Harriss, King, Parliament, surtout ch. 15-17.
  • [52]
    Prestwich, « Parliament », p. 6.
  • [53]
    Rotuli Parliamentorum [RP], t. i, p. 85 dans Parliament Rolls of Medieval England, éd. C. Given-Wilson et al. [CD-ROM], Leicester, 2005.
  • [54]
    Ibid., p. 307.
  • [55]
    Ibid., p. 302.
  • [56]
    Ibid., p. 308.
  • [57]
    Ibid., p. 291.
  • [58]
    Prestwich, « Parliament », p. 8.
  • [59]
    D. Rayner, « The Forms and Meaning of the “Commune Petition„ in the Fourteenth Century », English Historical Review, t. 56, 1941, p. 204-5, 208-9 ; Harris, King, Parliament, p. 358-9.
  • [60]
    RP, t. ii, p. 128, 132, 160, 165, 201.
  • [61]
    Ibid., p. 160.
  • [62]
    Ibid., p. 232 ; cf. Ibid., 251 (1353 ; libre circulation des marchands).
  • [63]
    Ibid., p. 240 ; cf. Ibid., 136 (1327 ; fraude des boulangers) ; 287 (1365 ; libertés des villes confirmées, sauf celles contraires au commun profit).
  • [64]
    Ibid., p. 253, 254, 306.
  • [65]
    Ibid., p. 314. Cf. Ibid., p. 296.
  • [66]
    S. Porin, « Monnaie et majesté royale dans la France du xive siècle », Annales : Histoire, Sciences sociales, année 51, 1996, p. 333-4 ; N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, Paris, 2007, p. 66 ; J. Dumolyn, « Privileges and novelties : the political discourse of the Flemish cities and rural districts in their negotiations with the dukes of Burgundy (1384-1506) », Urban History, t. 38 (2008), p. 13-14
  • [67]
    RP, t. ii, p. 128.
  • [68]
    Voir plus loin Fletcher, « Virtue and the Common Good ».
  • [69]
    RP, t. ii, p. 334, 330.
  • [70]
    Ibid., p. 338.
  • [71]
    Ibid., p. 333.
  • [72]
    Ibid., p. 340.
  • [73]
    Ibid., p. 357.
  • [74]
    Ibid., p. 342-3.
  • [75]
    Ibid., p. 332.

1Il paraît clair que le bien commun fait partie d’un groupe de concepts bien enracinés dans la pensée médiévale, bien avant la traduction latine des Politiques d’Aristote au xiiie siècle. Une logique semblable peut être trouvée dans la correspondance mérovingienne [2]. Des termes apparentés, souvent invoqués par Cicéron, tels que utilitas communis ou utilitas rei publicae[3], ont trouvé une nouvelle importance dès le xiie siècle [4]. Ni les intellectuels ni les juristes n’ont besoin de lire les Politiques pour invoquer la ratio utilitas publicae, ou pour estimer que le service du « commun profit » justifie le pouvoir législatif du prince [5]. En effet, de telles idées remontent aux racines de la culture chrétienne du Moyen Âge. La théorie politique de saint Augustin côtoie celle d’Aristote dans les conceptions scolastiques du bien commun, par exemple [6]. Ainsi, même si l’invocation de la phrase exacte « bonum commune » paraît plus caractéristique des « miroirs aux princes » que des ordonnances ou des controverses politiques [7], on aurait tort de l’isoler d’un ensemble de termes, faisant tous appel à la primauté de la communauté sur l’individu, et à la supériorité de la loi sur la volonté capricieuse.

2Dans ces conditions, on peut se demander ce qu’il reste à dire après 1300. Les concepts sont là, bien répandus ; que reste-t-il à expliquer ? Pourtant, tout concept, même bien établi, doit passer une autre épreuve : celle de la pratique. Pour ne pas tomber dans une histoire des idées déracinée de la pratique sociale, il convient d’établir ce qui arrive lorsque de tels concepts passent d’un public averti à des contextes sociaux beaucoup plus terre-à-terre. Dans cet article, j’aimerais examiner comment, dans l’Angleterre du bas Moyen Âge, le bien commun est devenu un des principes clefs pour justifier une très large variété d’actions politiques ­ qu’il s’agisse des querelles entre nobles, de la politique du roi, des travaux municipaux ou des droits de pêche.

3À cet égard, deux courants historiographiques exigent notre attention. Le premier essaye d’expliquer les développements politiques des xvie et xviie siècles en cherchant les racines du concept du « common weal » ou « commonwealth », surtout au xve siècle. Le deuxième se concentre deux siècles plus tôt, sur le concept médiéval de communauté ou de « communitas ». Dans le présent article, j’aimerais contribuer à faire le lien entre ces deux périodes, et ainsi entre le « communitas » et le « common weal » : une entreprise déjà bien balisée par de nombreuses recherches sur la société politique anglaise [8].

4Pour voir plus précisément ce qui change et ce qui perdure entre ces deux époques bien étudiées par l’historiographie, je considèrerai deux textes politiques, l’un du xve siècle et l’autre du xiiie. Celui du xiiie nous montre comment le concept du bien commun sert à renforcer de vieilles idées de la communauté, tout en y rajoutant l’appui de supports théoriques revivifiés au xiie siècle. Pourtant, ces concepts deviennent dangereusement abstraits ­ vides de contenu politique suffisamment spécifique pour l’emporter dans le débat politique ­ lorsque la maîtrise de la communauté, longtemps chasse gardée des barons, passe dans les mains des élites urbaines et du gentry. J’examinerai ensuite comment cette situation se transforme, avec la montée en puissance effective des Commons après 1327, en me concentrant sur les requêtes présentées lors des parlements. Je suggèrerai enfin comment le « commun profit » commence à disposer d’un contenu spécifique, toute une gamme d’associations et de contextes qui lui sont propres, qui le rendent à nouveau efficace comme arme rhétorique dans la controverse politique.

I

5Évoquons d’emblée le commonwealth et le common weal. Les historiens de l’Angleterre du xvie et du xviie siècle se sont intéressés à ces thèmes pour des raisons qui leur sont propres. Pour eux il s’agit surtout de termes qui offrent une base d’autorité potentiellement indépendante à l’autorité du roi.

6Pour trouver les racines de ces termes, les historiens se sont surtout penchés sur les controverses politiques de la « guerre des Deux-Roses » du milieu du xve siècle. Travaillant à partir de sources en langue anglaise, David Starkey trouve ce qu’il considère être la première utilisation du « well public » ­ littéralement le bien public ­ dans une requête parlementaire de 1447 [9]. Ensuite, il examine comment ce vocabulaire est utilisé, d’abord par les Commons du parlement anglais, ensuite par les rebelles, et finalement par Richard, duc d’York, lors de sa résistance au gouvernement de Henry VI [10]. Dans la logique rhétorique qui accompagne ce vocabulaire, le bien du peuple s’oppose aux intérêts particuliers des mauvaises gens qui entourent le roi. Ces mauvais conseillers utilisent leur influence pour s’arroger les ressources du roi, l’appauvrissant, et le forçant à accabler son peuple d’impôts [11]. C’est dans cette logique et dans le vocabulaire qui l’accompagne, que David Starkey a vu la véritable « naissance d’une nouvelle langue politique » [12].

7Plus récemment, des médiévistes ont nuancé cette vision, en pesant ce qui est novateur face à ce qui est fort bien établi dans la culture du Moyen Âge. John Watts a montré que le vocabulaire et la logique politique suivis par Richard d’York sont issus de la tension entre deux principes fondateurs dans la pensée politique médiévale : le bien commun, et l’autorité du roi [13]. Pour John Watts, observer que l’autorité du roi doit servir le bien commun ne suscite aucun controverse au xve siècle ; mais il était également bien établi et généralement accepté que l’autorité du roi venait de Dieu et de Dieu seul [14]. Par conséquent, le gouvernement du roi selon la justice, la moralité et le bien commun est une affaire entre Dieu et lui [15]. Même si la notion du gouvernement pour le profit de tous est acceptée quasiment par tous, reste le problème de l’autorité, de comment défendre un bien commun opposé à ce que dit le roi. Que le duc d’York et ses partisans insistent sur le common weal n’est donc pas novateur en soi. En revanche, ce qui distingue les controverses de cette époque de celles de la période précédente, c’est la précision avec laquelle les partisans des deux bords, et surtout les royalistes, définissent leurs positions [16]. Pour John Watts, le meilleur exemple de ces développements est sans doute un traité royaliste, le Somnium Vigilantis, qui justifie la condamnation du duc et de ses alliés en tant que traîtres [17]. Pour cet auteur anonyme, la prétention des Yorkistes à vouloir le « bien commun » [18] est insoutenable, parce qu’il ne dispose pas de l’autorité pour le déterminer. Au contraire, le commone welthe d’un royaume se trouve principalement dans l’obéissance des sujets à leur roi. Seul le roi peut déterminer où se trouve le bien de tous [19]. L’auteur enfonce le clou par la question suivante : si le bien public du royaume avait été menacé, par quelle autorité pourraient-ils le réformer, étant donné que le roi était présent et ne leur a pas donné la commission de le faire [20] ? Non : le duc et ses partisans ne font que semblant de défendre le bien commun [21] ; et c’est leur manque d’autorité qui le prouve [22]. L’auteur termine par une question sans réponse : « Qui les a fait juges ? » [23].

8L’interprétation nuancée qu’offre John Watts du rôle du bien commun et de l’autorité royale à la fin du Moyen Âge, établissant un lien habile entre les transformations du xvie siècle et les structures mentales médiévales a tout pour convaincre. Pourtant, il est vrai que cette approche, en se concentrant sur la structure, risque de présenter la période précédente comme relativement dénuée de changement [24]. Les deux pôles de cette pensée médiévale ­ l’autorité du roi et le bien commun ­ sont déjà bien établis avant 1300. On a donc l’impression que rien ne change entre le moment de leur première entrée dans la politique (au xiiie siècle, on le verra) et leur systématisation au milieu du xve siècle.

9En ce qui concerne les structures solidement établies, Watts s’appuie sur une deuxième tradition historiographique, consacrée au moment où le bien commun devient un thème efficient dans la controverse politique, au xiiie siècle. C’est une période décisive, où le vieux concept de la communitas est remobilisé pour tirer des concessions écrites du roi au nom de cette communauté et en sa faveur [25]. À la même période, le problème du rapport entre le roi et la loi connaît son élaboration la plus complète dans le De legibus et consuetudinibus Anglie du juriste Bracton, selon laquelle le roi doit suivre la loi, mais seuls Dieu et sa propre moralité peuvent le forcer à le faire [26].

10Néanmoins il importe de remarquer que le vocabulaire de cette période n’est pas celui du xve siècle, et que la manière dont le bien commun est établi n’est pas identique. Le mot clef pour le xiiie siècle est la communitas regni, la communauté du royaume, et non le bien commun, bonum commune ou common wealth. Cette communitas fait sa première apparition majeure dans la politique lors de l’imposition à Jean sans Terre de la Magna Carta en 1215 [27]. Il est clair que, à cette époque, ce sont les barons, c’est-à-dire la haute noblesse, qui parlent pour la communauté du royaume. Au fil du xiiie siècle, ce rôle de porte-parole de la communauté du royaume devient mieux défini, lors des confrontations qui opposent les barons à Henry III entre 1258 et 1264, puis à Édouard Ier en 1297 [28]. Dans chacune de ces crises, les nobles qui tiennent leurs terres directement du roi parlent pour la communauté, remplissant leur devoir et leur droit de conseil. Dans les rares cas où la doctrine de la supériorité du roi sur la loi est contestée explicitement au xiiie siècle, ce sont bien les comites et barones qui peuvent prétendre la définir malgré lui, en tant que les socii regis, ses compagnons [29]. Même en dehors des périodes de crise, il est clair que des assemblées de barons ne voient pas la nécessité d’une représentation élargie pour accorder un impôt « pour eux-mêmes et la communauté du royaume » ou pour envoyer une lettre au pape, « autant pour nous que pour toute la communauté avant dite du royaume de l’Angleterre » [30].

11Toutefois, malgré la confiance des barons dans leur capacité à exprimer les intérêts de la communauté du royaume, le xiiie siècle voit déjà le début de la fin de leur monopole sur le bien de tous. Le roi, surtout, a pu se montrer prêt à gouverner selon le bien commun en faisant appel directement aux élites locales, et même aux paysans, esquivant les prétentions des barons. Ceci est déjà clair pendant les crises du règne d’Henry III, lorsque les communautés paysannes prirent position, non seulement contre le roi, mais aussi contre ses opposants [31]. Deux cents ans avant le Somnium Vigilantis, un groupe décrit comme la communitas bachelerie Anglie était certain que « les barons » qui résistaient au roi ne faisaient rien pour l’utilité de la chose publique, rien ad utilitatem reipuplice[32].

12En effet, dès le début du xiiie siècle, le roi trouva parfois utile de prendre conseil auprès de groupes de représentants issus des comtés ou des villes, ainsi que des groupes de marchands [33]. Avec l’opposition des barons au gouvernement d’Henry III, de telles méthodes prirent un ton nettement plus politique, lorsque l’opposition a associé des représentants des comtés et des villes lors des assemblées consacrées à la mise sous tutelle du roi [34]. Après l’accession d’Édouard Ier, ce fut à nouveau le roi qui utilisa des représentants directs de la communauté du royaume, pour donner plus d’appui à ses exigences fiscales et à sa législation [35] ; et pour recevoir les pétitions de ceux grevés par les excès des officiers royaux [36], afin de servir le bien de tous. Même lors de la crise sur la fiscalité qui éclata en 1297, que le roi provoqua en négligeant de poursuivre sa politique de consultation, Édouard Ier continua d’être conscient de l’importance de montrer son désir de servir le commun profit. Il nia même avoir vu les doléances qui lui avaient été adressées [37], qualifiées par certains comme « pur le comun profit du pueple et du reaume » [38]. Non, réplique le roi, c’est lui qui se prépare à partir en campagne « pur le honur e le comun profit de sun reaume » et qui lève les impôts « ne mye pur achater terres ne tenementz ne chasteus ne viles, mes pur defendre lui e eux meismes e tut le reaume » [39].

13Même si les barons du xiiie siècle ont souvent revendiqué leur droit et leur devoir de conseiller le roi sur le bien et l’utilité de tout le royaume, leur titre à le faire risquait toujours d’être contesté par le roi, soit par référence à son contrat avec Dieu, soit en se montrant le meilleur ami du bien commun. En outre, les barons, autant que les ministres du roi, étaient toujours exposés à l’accusation de ne pas représenter la chose publique, mais seulement leurs propres intérêts égoïstes.

14Considérons, par exemple, le Chant de Lewes, un poème célébrant la défaite de l’armée royaliste à Lewes, le 14 mai 1264, et défendant la prise d’armes de Simon de Montfort, comte de Leicester, contre le roi et ses alliés. Avant tout, le Chant de Lewes soutient que le roi Henry et son fils Édouard devraient gouverner, non dans leur intérêt seul, ni par leur volonté capricieuse, mais par la loi, qui est à la fois la loi des Anglais et la loi morale de Dieu [40]. Toutefois pour faire accepter ce raisonnement, le Chant doit établir que les opposants du roi sont véritablement les mieux positionnés pour déclarer la vraie loi de l’Angleterre, et, en outre, que ce sont leurs motivations pures qui les mènent à faire la guerre contre le roi et non leurs intérêts particuliers.

15Le Chant de Lewes essaie de résoudre ce problème d’une façon qui paraîtrait bien étrange à l’auteur du Somnium Vigilantis. En effet, il soutient que les troupes de Simon de Montfort ont gagné la bataille grâce à leur moralité supérieure, et que l’échec des troupes royales montre le jugement de Dieu en faveur du comte de Leicester et de ses alliés [41]. Cette tactique permet au poète de montrer que le comte n’agit que pour le bien commun. Bien que certains soutiennent que Simon de Montfort ne sert que son propre intérêt ­ son « commodum… proprium » [42], le poète déclare qu’il cherche en fait le salut de la communauté ­ le « communitatis salutem » [43]. En même temps, il est clair que le titre que possède de Montfort à représenter le bien commun ne se réduit pas au droit des barons à parler pour la communauté du royaume. C’est la moralité religieuse qui confirme sa fiabilité en tant que défendeur du bien de tous. Simon, comme Jésus Christ, « s’offre en sacrifice pour la multitude » [44]. Ses ennemis sont les ennemis non seulement du royaume anglais, mais de l’Église, et même de Dieu [45] ! Le Chant de Lewes est imprégné du discours de la communauté ­ la communitas et l’universitas ­ et de ses intérêts, qui sont supérieurs à ceux des particuliers, même à ceux du roi ; mais en même temps le bien commun garde un aspect très religieux. Comme dans les « miroirs au prince », le bien commun, que l’on atteint par la vertu, n’est rien d’autre que la poursuite du salut éternel.

16Pourtant, rien dans tout cela ne permet de répondre au problème de l’autorité soulevé par le Somnium Vigilantis : « Qui les a fait juges ? ». Le Chant de Lewes ne fournit aucun moyen concret, sauf appel au jugement de la bataille, pour déterminer qui est le plus vertueux, le plus en faveur auprès de Dieu, et donc le mieux positionné pour déclarer la nature du bien commun, en dehors de la prétention des barons anglais à parler pour la communauté du royaume.

17Il peut paraître paradoxal que ce problème ne trouve pas sa solution dans le développement de la pratique consistant à consulter les représentants directs des comtés et des villes, laquelle fleurit dans les dernières décennies du xiiie siècle. À cette époque, la présence de ces représentants devient de plus en plus essentielle pour confirmer qu’un acte a été fait au vu et au su de la communauté du royaume. Mais, du moins au début, ces représentants manquent de l’autorité politique dont disposaient les barons. Pendant le règne d’Édouard II, la distinction entre la communauté du royaume et les barons devient de plus en plus nette, ces derniers commençant à se considérer comme nettement supérieurs aux chevaliers des comtés, en tant que « pairs du royaume » [46]. Dans les premières décennies du xive siècle, le rôle politique des représentants comme étant ceux qui valident les actions du roi et des barons devient mieux défini [47] ; mais en même temps, leurs possibilités d’action restent strictement limitées. Même pendant le règne d’Édouard III, tandis que les Commons deviennent de plus en plus sûres de leur droit exclusif à approuver au nom de la communauté des impôts inaccoutumés, elles ont du mal à résister aux demandes du roi, si les grands du royaume les acceptent. Elles ont certes le droit de soumettre des requêtes au roi, touchant les intérêts particuliers et, plus particulièrement, le commun profit ; mais elles ont peu de moyens pour faire respecter les concessions qui leur sont faites, ni même pour exiger de simples réponses à leurs doléances [48]. Elles parlent maintenant pour le profit de tous, mais au contraire des barons du xiiie siècle, elles manquent de l’autorité politique pour pouvoir dire : le bien commun, c’est ce que nous disons, surtout lorsque le roi soutient le contraire.

18Il n’empêche : en 1376, les Commons prennent le devant pour la première fois en s’opposant aux politiques menées par le gouvernement du vieux roi Édouard III, assumant le rôle jadis assuré par les barons [49]. Elles prennent ainsi une position peu éloignée de celle conférée à Simon de Montfort par le Chant de Lewes, prônant à la fois le bien commun et la vertu morale [50]. Dans les crises des règnes de Richard II et Henry IV, et dans celles du milieu du xve siècle, elles ne voient aucun problème à parler à elles seules du commun profit du royaume. Comment en arrive-t-on là ? G.L. Harriss a déjà bien décrit le processus par lequel les Commons ont su se procurer le monopole de consentement à l’impôt, et ainsi le pouvoir pratique de négocier les conditions de sa levée, sans pour autant gagner le pouvoir de refuser l’aide au roi dans des circonstances de nécessité patente [51]. Dans le reste de cet article je considèrerai une autre manière par laquelle les Commons sont parvenues à organiser leur résistance aux exigences du gouvernement royal. Nous avons vu que le fait que le bien commun soit excessivement abstrait ou « mal défini » [52] risquait de limiter son utilité une fois que ceux qui le représentaient n’avaient plus l’appui politique des barons. Pourtant, de manière comparable à leur demandes quant à la fiscalité, le droit et le devoir des Commons à agir pour le profit de tous recouvre à la longue un contenu spécifique, un ensemble de contextes dans lesquels le commun profit peut être utilisé, même lorsqu’elles remplissent fidèlement leur fonction de simples suppliants au roi. Cette accumulation d’usages pratiques commence à gouverner les conditions dans lesquelles un tel usage du bien commun peut être considéré comme légitime, et ainsi de rendre moins critique le problème de l’autorité royale qui essaie de définir par sa parole seule la signification du bien commun.

II

19Dans sa manifestation la moins complexe, l’idée d’un bien commun, ou même d’un commun profit ou d’une utilité commune, paraît tellement simple que l’on aurait presque du mal à imaginer une langue dans laquelle elle n’existerait pas. Là où elle dénote le profit ou le bien mutuel d’un ensemble de particuliers, il paraît difficile de soutenir qu’elle a des connotations plus importantes, ou une résonance politique plus large. Ceci paraît être le cas, par exemple, dans un mémorandum rédigé pendant un des parlements de 1292, qui note qu’une ordonnance concernant la présence de valets aux tournois devrait être observée « pour le profit commun (commune commodum) de ceux portant des armes » [53]. Dans un contexte aussi laconique, il est difficile d’y lire beaucoup plus que le désir de définir « ceux portant des armes » en tant que groupe, le groupe le plus touché par la régulation des tournois.

20Pourtant, même dans des contextes au moins aussi banals, cette phrase ou des expressions semblables commence à impliquer une résonance plus large. Les implications sont plus générales, par exemple, lorsqu’on parle d’un profit commun entre le roi et certains de ses sujets. Ainsi, en janvier 1315, dans une réponse à une requête sur l’endroit où devait se tenir la cour du comté de Somerset, il est prévu que se tiendra une enquête pour savoir quel lieu sera « plus au profit (commodum) du roi et du peuple de cette région » et pour faire « ce qui leur semble plus expédient au profit du roi et du peuple de ce comté » [54]. L’invocation du bien de tous est encore plus nette dans une autre requête présentée au cours du même parlement, qui protestait contre le fait que les pavés de la rue entre le Nouveau Temple à Londres et la porte du palais de Westminster soient tellement mal entretenus que « les riches et les pauvres, à cheval et à pied, qui passent par là souffrent des grands dommages ». Elle demande au roi et à son conseil d’apporter une solution à ce problème « por commune profit » [55]. Même la forme laconique ­ « pour commun profit » ­ suggère une formule bien définie avec une résonance plus importante. Étant donné que ce « profit commun » est censé réunir « les riches et les pauvres », on entraperçoit d’autres stratégies rhétoriques qui transcendent une manifestation ponctuelle d’intérêt mutuel.

21Aux yeux de l’historien, cet exemple illustre un usage du bien commun dans un but terre-à-terre qui peut paraître abusif. Pourtant son rédacteur n’était visiblement pas le seul à faire un lien entre le commun profit et l’état des rues. Lors du parlement de janvier 1315, plus d’une requête associe le bien de la communauté et la libre circulation, et donc la vie économique quotidienne. Ainsi, « la comunalte de la terre, et nomement ceux de l’eist de Londres » se plaint du mauvais état des ponts et des chaussées de ce lieu. Elle soutient que cette situation empêche le transport de vivres, et d’autres biens [56]. Une autre requête proteste « pro communitate Anglie » contre le prix excessif du passage du bac sur le Humber ; le roi exige que le prix reste au niveau accoutumé [57]. On a généralement considéré de telles requêtes comme des perversions du droit des Commons consistant à soumettre au roi des pétitions pour le bien de tous [58] ; mais on pourrait également soutenir qu’elles montrent les possibilités d’un bien commun nettement plus précis que celui des barons.

22C’est le pouvoir royal qui encouragea le développement du rôle des Commons en tant que représentants de la communauté, et en tant qu’informateurs sur ce qui sert le bien de tous dans le pays. Au cours des années 1330 au plus tard, les officiers royaux recevant les pétitions des Commons commencent à faire la distinction entre les « singuleres petitions », c’est-à-dire touchant les intérêts particuliers, et celles qui peuvent « tourner a commune profit » qui seront inscrites dans un seul et même document : la « commune pétition » de cette assemblée [59]. On pourrait penser que, à partir de cette date, toute requête qui se voulait dans l’intérêt commun ferait appel au profit de tous, mais il n’en est rien. Dans la plupart des cas, le simple fait de requérir, soit une application plus rigoureuse de la loi existante, soit une modification de coutumes abusives, est suffisant pour faire le lien avec le bien de la communauté du royaume : une communauté de loi avant tout. On répète souvent que la « commune pétition » est pour le bien commun, par exemple dans les préambules qui la précèdent [60]. Toutefois il existe des contextes spécifiques dans lesquels on invoque plus particulièrement le bien de tous. Ces contextes sont nombreux, mais pas sans nombre. Ils définissent un ensemble de situations liées au commun profit qui, s’il est difficile à saisir, n’est pas sans contenu spécifique.

23Quand on a affaire au « commun profit » au milieu du xive siècle, c’est souvent dans le contexte du commerce, et des supports (monnaie, transports, liberté de circulation) qui le permettent. En septembre 1346, par exemple, des requérants se plaignent des marchands qui emportent la bonne monnaie en dehors du pays, et rapportent « diverses fauxes monoies appellez Lusshebournes », appauvrissant les simples gens qui ne connaissent pas la nature de cette monnaie. La commune requiert « pur commune profit » une solution pour « la dite fauxine » [61]. En février 1351, une autre requête demande que les marchandes puissent passer par le royaume sans être empêchées à cause des franchises et des libertés particulières, surtout celles des villes, qui ne sont qu’en « commune prejudice du roi, et de tut son poeple » ; celui qui gène la circulation des marchandes doit être emprisonné « come destourbour de commune profit » [62]. En janvier 1352, une autre requête se plaint des poids non standardisés, utilisés « a grant damage et deceit del poeple » ; elle est acceptée, puisqu’elle « touche commune profit » [63]. On pourrait multiplier les exemples. Le pour et le contre d’un « Staple » (une ville par laquelle toute la laine à exporter doit passer) sont plaidés par les officiers du roi et par ceux qui s’y opposent dans la langue du « commun profit », c’est-à-dire de son effet sur le commerce [64]. Les libertés de la ville de Londres sont défendues puisqu’elles servent le « commune profit de tout la roialme d’Engleterre », en encourageant le commerce [65]. À chaque fois, le commun profit est surtout associé au bon déroulement de la vie économique.

24On voit ici un ensemble de contextes particulièrement liés au profit de tous qui est bien plus spécifique que la « communauté du royaume » des barons du xiiie siècle. Ceux-là visaient le respect par le roi de sa propre loi, une bataille déjà gagnée au début du xive siècle. Mais, au niveau politique, le roi garde presque tous les atouts, puisque c’est lui qui décide d’admettre ou de rejeter les humbles pétitions de ses sujets pour changer ou mieux appliquer la loi, et il demeure l’ultime arbitre de l’interprétation d’une loi spécifique. Pourtant, dans les mains des Commons, le bien commun gagne une spécificité qui le rend beaucoup moins sujet aux seuls avis du roi et de ses juges. D’abord, on l’a vu, c’est le commerce qui joue ce rôle, un résultat qui n’étonnera pas les chercheurs travaillant sur le royaume de France ou les villes flamandes [66]. Ce contenu spécifique est déjà assez puissant dans les années 1340 pour fournir de l’aide aux Commons lorsqu’elles demandent aux officiers du roi de rendre des comptes [67]. En 1376, lorsque les Commons prennent le devant pour la première fois dans l’opposition au roi, le bien commun s’étend plus encore, investissant de nouveaux domaines d’une valeur morale difficile à contredire.

25Remarquons d’abord que le « Bon Parlement » de 1376 témoigne d’une utilisation politique du vocabulaire du bien commun, qui rappelle la communitas du xiiie siècle et anticipe le common weal du milieu du xve. Il sert à condamner les fautes des intimes du roi qui gaspillent ses ressources et le forcent à opprimer son peuple, agissant contre « le profit commun du roi et de son royaume » [68]. Pourtant, il est clair que, lors de ce parlement, le « profit commun » ne se limite pas à la condamnation des mauvais conseillers du roi. Le « commune profit » est en effet utilisé dans plusieurs requêtes présentées pendant ce parlement, beaucoup plus que dans aucun des parlements du siècle précédent.

26Neuf des requêtes présentées au roi en 1376 invoquent des menaces au profit commun provenant de diverses origines. Deux se concentrent sur les privilèges excessifs accordés à la ville de Yarmouth, lesquels ont pour effet d’augmenter le prix des harengs fumés mis en vente dans cette région, et ont donné à cette ville une influence excessive sur le port voisin de Kirkely Roads. Ces choses sont faites « encontre commune profit del roialme » et doivent être défaites « pur le commune profit de tout le roialme » [69]. Une troisième requête se plaint « pur commune profit » des activités du collecteur d’impôts du pape [70]. Une quatrième demande « pur commune profit du roialme » que des terres aliénées par des institutions religieuses reviennent au roi ou à leur donateur original [71]. Une cinquième et une sixième identifient « le commune profit du roialme » dans le besoin de trouver de la main-d’œuvre agricole : elles demandent des mesures punitives contre les travailleurs fugitifs et les mendiants [72], et protestant contre les convocations trop fréquentes des travailleurs devant les cours locales, quand ils devraient travailler dans les champs [73]. Une autre requête se plaint « en oevre de charité et pur la commune profit de la terre » de la nomination à des prieurés en Angleterre de moines français, qui ne connaissent ni la langue ni « la manière de la terre » [74]. Une dernière demande l’enlèvement des obstructions dans un affluent de la Tamise, pour permettre la pêche [75].

27Qu’ont en commun toutes ces requêtes, dans leur utilisation du « profit commun » ? À première vue elles n’ont rien de politique. Mais en fait : si. Tout d’abord : le « profit » qu’elles recherchent est très économique dans le sens le plus large du terme : il concerne la production des vivres ­ le travail dans les champs et la pêche dans la mer et les rivières. Parfois il comporte un sens de bonne gestion, comme pour nos malheureux prieurs Français qui ne sont pas méchants parce qu’ils sont Français ­ où pas uniquement parce qu’ils sont Français ­ mais à cause de leur ignorance de la langue et des normes culturelles des Anglais. En même temps, ces idées du commun profit continuent à présumer l’existence d’une communauté qui a des intérêts et des coutumes communs, qui peut souffrir ou prospérer ensemble. Ces idées d’un commun profit bien terre-à-terre gagnèrent en puissance dans les décennies suivantes, quand la jeunesse de Richard II puis l’usurpation d’Henry IV, ouvrirent une période d’autorité royale contestable, durant laquelle des visions alternatives du profit de tous purent s’exprimer.

28Les historiens qui ont considéré le thème du bien commun au xive siècle ont généralement soutenu que la langue du « commune profit » à cette époque est informe, ou qu’elle manque de précision, et qu’il faut attendre les crises du milieu du xve siècle pour qu’elle trouve la rigueur qui lui donnera de la force. Pourtant ce manque de précision donne à cette langue une résonance vivante, et surtout un air de bon sens commun, qui manque aux formes plus classicisantes du « bien public » qui virent le jour vers la fin du Moyen Âge. Depuis longtemps, les historiens anglais ont étudié le développement des institutions représentatives, et de la common law anglaise, y trouvant des contextes dans lesquels l’autorité royale pouvait être contestée. Pourtant, il est resté difficile de nier le fait, qu’en fin de compte, seul le roi pouvait prétendre à être l’ultime arbitre de la loi, et le juge sans appel dans sa propre cour. Mais une étude de la langue du profit commun allant au-delà des controverses explicitement politiques présente un autre point de vue. Les transactions quotidiennes ont donné une valeur particulière à cette langue que le roi ne pouvait pas nier. Là, enfin, il n’était pas encore le juge.

Notes

  • [1]
    Christopher Flechter est chargé de recherches au Laboratoire de médiévistique occidentale de l’Université Paris I.
  • [2]
    B. Dumézil, supra.
  • [3]
    J. Gaudemet, « Utilitas Publica », Revue historique de droit français et étranger, 4e ser., 29, 1951, p. 467.
  • [4]
    Y. Sassier, supra.
  • [5]
    G. Post, « Ratio Publicae Utilitas, Ratio Status and ?eason of State’, 1100-1300 » dans Post, Studies in Medieval Legal Thought, Princeton, 1964, p. 247, 291 ; A. Guéry, « L’État : L’outil du bien commun » dans P. Nora, Les Lieux de Mémoire : III : Les France, t. 3, Paris, 1992, p. 825-9 ; A. Babeau, « Les préambules des ordonnances royales et l’opinion publique », Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques : Compte rendu, année 56, 1896, p. 834.
  • [6]
    M. Kempshall, The Common Good in late medieval political thought, Oxford, 1999 ; R.A. Markus, Saeculum : History and Society in the Theology of Saint Augustine, Cambridge, 1970 ; B. Sère, supra.
  • [7]
    Guéry, « L’État », p. 826.
  • [8]
    J. Watts, « Public or Plebs : The Changing Meaning of “the Commons„, 1381-1549 » dans Power and Identity in the Middle Ages, éd. H. Pryce et J. Watts, Oxford, 2007 ; J.-P. Genet, La genèse de l’État moderne : Culture et société politique en Angleterre, Paris, 2003, p. 89-107. Pour une introduction à l’énorme littérature sur le Parlement anglais, voir The English Parliament in the Middle Ages, éd. R.G. Davies et J.H. Denton, Manchester, 1981.
  • [9]
    D. Starkey, « Which age of reform ? » dans Revolution Reassessed, éd. C. Coleman et D. Starkey, Oxford, 1986, p. 19.
  • [10]
    Ibid., p. 14-26.
  • [11]
    J. Watts, Henry VI and the politics of kingship, Cambridge, 1996, p. 16-39 ; J.-P. Genet, « De Richard II à Richard III : le conseil » dans À l’ombre du pouvoir : Les entourages princiers au moyen âge, éd. A. Marchandisse et J.L. Kupper, Liège, 2003.
  • [12]
    Starkey, « Age of Reform », p. 21.
  • [13]
    J. Watts, « Ideas, Principles and Politics » dans The Wars of the Roses, ed. A.J. Pollard, Basingstoke, 1995.
  • [14]
    Ibid., p. 120-1.
  • [15]
    Ibid., p. 121.
  • [16]
    Watts, « De Consulatu Stiliconis : texts and politics in the reign of Henry VI », Journal of Medieval History, t. 16, 1990, p. 251-266 ; Watts, Henry VI, p. 39-51. Cf. P. Strohm, Politique : Languages of Statecraft between Chaucer and Shakespeare, Notre Dame, Indiana, 2005, p. 12-14.
  • [17]
    Watts, « Ideas, Principles », p. 128-9 ; Watts, Henry VI, p. 43-6. Texte publié par J.P. Gilson, « A Defence of the Proscription of the Yorkists in 1459 », English Historical Review, t. 26, 1911, p. 512-25.
  • [18]
    Ibid., p. 515.
  • [19]
    Ibid., p. 518.
  • [20]
    Ibid., p. 519.
  • [21]
    Ibid., p. 520.
  • [22]
    Ibid., p. 519.
  • [23]
    Ibid., p. 520.
  • [24]
    Mais voir, maintenant, J. Watts, The Making of Polities : Europe 1300-1500, Cambridge, 2009.
  • [25]
    J.C. Holt, « Rights and Liberties in Magna Carta » dans Album Helen Maud Cam I, Louvain, 1960 ; S. Reynolds, Kingdoms and Communities in Western Europe, 900-1300, 2e édition, Oxford, 1997, p. 250-72.
  • [26]
    C.J. Nederman, « Bracton on kingship revisited », History of Political Thought, t. 5, 1984.
  • [27]
    Holt, « Rights and Liberties », p. 63-7 ; Holt, « The Prehistory of Parliament » dans English Parliament, éd. Davies et Denton, p. 25.
  • [28]
    W.O. Morris, « Magnates and Community of the Realm in Parliament, 1262-1327 », Mediaevalia et Humanistica, t. 1, 1943, p. 61-3, 64-7.
  • [29]
    Nederman, « Bracton on kingship revisited », p. 63.
  • [30]
    Morriss, « Magnates and Community », p. 61-2.
  • [31]
    D. Carpenter, « English Peasants in Politics, 1258-1267 », Past and Present, no. 136, 1990.
  • [32]
    Reynolds, Kings and Communities, p. 271.
  • [33]
    Holt, « The Prehistory of Parliament ».
  • [34]
    Morris, « Magnates and Community », p. 70.
  • [35]
    G.L. Harriss, King, Parliament and Public Finance, Oxford, 1975, p. 39-48 ; Harriss, « The Formation of Parliament, 1272-1377 » dans English Parliament, éd. Davies et Denton.
  • [36]
    J.R. Maddicott, « Edward I and the Lessons of Baronial Reform » dans Thirteenth Century England : I, éd. P.R. Coss et S.D. Lloyd, Woodbridge, 1986.
  • [37]
    Documents illustrating the crisis of 1297-98 in England, éd. M. Prestwich, London, 1980, n° 98, p. 115.
  • [38]
    Documents, éd. Prestwich, n° 111, p. 127.
  • [39]
    Ibid, p. 125, 127.
  • [40]
    « The Battle of Lewes » dans The Political Songs of England, éd. T. Wright, réimp. Cambridge, 1996, v. 417-58, 669-700, 847-76.
  • [41]
    Ibid., v. 93-184.
  • [42]
    Ibid., v. 79-80, 325-333
  • [43]
    Ibid., v. 331-3.
  • [44]
    Ibid., v. 445-6.
  • [45]
    Ibid., v. 372-5.
  • [46]
    M. Prestwich, « Parliament and the community of the realm in fourteenth century England » dans Parliament and community, éd. A. Cosgrove et I.I. McGuire, Belfast, 1983.
  • [47]
    Harriss, King, Parliament, ch. 4, 5.
  • [48]
    Ibid., ch. 15.
  • [49]
    G. Holmes, The Good Parliament, Oxford, 1975, p. 134-9.
  • [50]
    C. Fletcher, « Virtue and the Common Good : Sermons and Political Practice in the Good Parliament, 1376 » dans Charisma and Religious Authority, éd. K. Jensen et M. Rubin, Turnhout, 2010.
  • [51]
    Harriss, King, Parliament, surtout ch. 15-17.
  • [52]
    Prestwich, « Parliament », p. 6.
  • [53]
    Rotuli Parliamentorum [RP], t. i, p. 85 dans Parliament Rolls of Medieval England, éd. C. Given-Wilson et al. [CD-ROM], Leicester, 2005.
  • [54]
    Ibid., p. 307.
  • [55]
    Ibid., p. 302.
  • [56]
    Ibid., p. 308.
  • [57]
    Ibid., p. 291.
  • [58]
    Prestwich, « Parliament », p. 8.
  • [59]
    D. Rayner, « The Forms and Meaning of the “Commune Petition„ in the Fourteenth Century », English Historical Review, t. 56, 1941, p. 204-5, 208-9 ; Harris, King, Parliament, p. 358-9.
  • [60]
    RP, t. ii, p. 128, 132, 160, 165, 201.
  • [61]
    Ibid., p. 160.
  • [62]
    Ibid., p. 232 ; cf. Ibid., 251 (1353 ; libre circulation des marchands).
  • [63]
    Ibid., p. 240 ; cf. Ibid., 136 (1327 ; fraude des boulangers) ; 287 (1365 ; libertés des villes confirmées, sauf celles contraires au commun profit).
  • [64]
    Ibid., p. 253, 254, 306.
  • [65]
    Ibid., p. 314. Cf. Ibid., p. 296.
  • [66]
    S. Porin, « Monnaie et majesté royale dans la France du xive siècle », Annales : Histoire, Sciences sociales, année 51, 1996, p. 333-4 ; N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge, Paris, 2007, p. 66 ; J. Dumolyn, « Privileges and novelties : the political discourse of the Flemish cities and rural districts in their negotiations with the dukes of Burgundy (1384-1506) », Urban History, t. 38 (2008), p. 13-14
  • [67]
    RP, t. ii, p. 128.
  • [68]
    Voir plus loin Fletcher, « Virtue and the Common Good ».
  • [69]
    RP, t. ii, p. 334, 330.
  • [70]
    Ibid., p. 338.
  • [71]
    Ibid., p. 333.
  • [72]
    Ibid., p. 340.
  • [73]
    Ibid., p. 357.
  • [74]
    Ibid., p. 342-3.
  • [75]
    Ibid., p. 332.
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