Notes
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[1]
Paolo Evangelisti est docteur en histoire médiévale à l’Université de Trieste. Texte traduit de l’italien par Valentina Toneatto.
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[2]
M. S. Kempshall, The Common Good in Late Medieval Political Thought, Oxford, 1999, p. 7.
-
[3]
Parmi les œuvres politiques d’Eiximenis analysées dans cet article, le Regiment de la cosa pública (RCP), le Dotzè del Crestià et la Doctrina compendiosa (DC) ont largement circulé non seulement dans les cours et chez les souverains qui en sont les destinataires, mais aussi auprès des marchands, des entrepreneurs et des juristes de Catalogne. Récemment J. Hernando i Delgado a publié des testaments, des inventaires post mortem et des livres d’achats du xve siècle, tirés des archives de la ville de Barcelone (Archives historiques des protocoles, de la ville et de la cathédrale) et concernant les actes entre personnes privées (J. Hernando i Delgado, Obres de Francesc Eiximenis en biblioteques privades de la Barcelona del segle XV, in ATCA 26 (2007), p. 385-568) : sur 119 actes analysés, le Regiment était possédé par des marchands et des hommes de la cour (3 % du total), le Dotzé par des marchands, des chevaliers, des messagers du roi, des couturiers, des apothicaires, des libraires, des hommes de la cour, de juristes (11 % du total), la Doctrina par des marchands, des argentiers, des fabricants d’éperons, des chanoines, des juristes et des notaires, des chevaliers, des jeunes nobles non encore armés (donzell) et par des citoyens de Barcelone (10 % du total). Les œuvres d’Eiximenis étaient aussi possédées ou achetées par des professionnels du crédit et de la médiation financière, en dehors des fonctionnaires de l’administration du fisc royal (il s’agit de 5 % supplémentaire des actes notariés considérés). Sur les 119 actes, les exemplaires de la Doctrina s’élèvent à 12, dont 5 attribués par les documents à Eiximenis en personne ; les exemplaires du Dotzé s’élèvent à 9 dont 4 contiennent le Regiment dels princeps et/ou de la ciutat (un autre titre désignant le Regiment de la cosa pública) tandis que l’on retrouve un seul exemplaire isolé du Regiment plus les quatre incorporés dans le Dotzè. Pour une analyse de la typologie des actes d’où sont tirés ces données, voir Hernando i Delgado, Obres, p. 390-391.
-
[4]
Ce propos qui a donné naissance à l’œuvre est explicité dans l’incipit et il se retrouve tout au long du texte : cf. D. Carafa, I doveri, dans Id., Memoriali, éd. A. Lupis, Rome, 1988, p. 97-209, en particulier : p. 141, p. 159, p. 163, p. 195, dans les versions latines ; cf. en outre p. 200.
-
[5]
I doveri, p. 153.
-
[6]
Cette expression propre à la littérature politique ne se trouve pas dans les œuvres de Carafa, mais elle exprime parfaitement le sens et la finalité de ses consilia pour le gouvernement de la res publica et pour le souverain ou « la potentia » chargés d’administrer « les choses de l’état » (le cose de stato) ; pour cette expression, cf. I doveri, p. 149.
-
[7]
I doveri, p. 151-167.
-
[8]
Il s’agit de tout le reste de l’œuvre, à savoir environ un tiers du texte ; cf. I doveri, p. 167-199.
-
[9]
I doveri, p. 149.
-
[10]
Le programme iconographique et pédagogique du retable de Perpignan a été achevé seulement à treize années d’écart de l’œuvre de Carafa. Il est l’expression, on le verra, d’une tradition éthico-politique largement enracinée dans la littérature de consilia catalano-aragonaise du xive et du xve siècle. Pour une analyse du retable voir : J. Molina i Figueras, Espacio e imagen de la Justicia. Lecturas en torno al retablo del Consulado del Mar de Perpiñan, in Locus Amoenus, 3 (1997), p. 51-66.
-
[11]
L’édition critique du texte en vulgaire a relevé une seule citation : un passage vétérotestamentaire appuyant cette image légitimante du Christ (Eccl. 7, 17) ; d’ailleurs, les deux versions latines offrent seulement trois autres citations tirées de Térence, de Suétone et d’Horace (selon la version de Colantonio Lentulo) et de Terence et Ennius (selon la version de Battista Guarino).
-
[12]
I doveri, p. 159.
-
[13]
I doveri, p. 165 : « beato chy è iustifico, che guadagna quisto mundo et l’altro, et chy altramente le perde ambedoye ».
-
[14]
I doveri, p. 171 : « Le comportement de celui qui ne sait pas utiliser avec compétence ce qu’il possède (saza usare quello che have) et qui le garde pour soi sans le dépenser (retine dallo spendere) pour des choses justes et nécessaires (cose iuste e necessarie), provoque le courroux de Dieu (ira di Dio). De cette manière, en ayant l’argent pour idole, il devient plutôt l’esclave du diable (schyavo del dyavolo con l’idoli et de li dinari).
-
[15]
« Nam secundum eum [Thomas d’Aquin], qui haec non attendunt, iram Dei expectant, cum non principaliter ad sui utilitatem constituti sint, sed ad populorum utilitatem », dans R. Delle Donne, Regis servitium nostra mercatura. Culture e linguaggi della fiscalità nella Napoli aragonese, consultable à l’adresse : http://www.fedoa.unina.it/1125/1/Delle_Donne_Regis_servitium.pdf., p. 138.
-
[16]
I doveri, p. 173.
-
[17]
Cf. I. I. Pontani, De Magnanimitate, éd. F. Tateo, Florence, 1969, I, XIV, p. 18. Nous avons privilégié l’analyse de cette œuvre car elle constitue un résumé de la conception éthico-politique et de la démarche de consilia de Giovanni Pontano. Je n’ai pas eu la possibilité de procéder à une confrontation systématique entre le texte cité, le De Immanitate et le De Prudentia. Seule une telle étude pourrait offrir une vision exhaustive sur la pensée et le langage politique de l’humaniste.
-
[18]
I doveri, p. 167 : « bene administrare ».
-
[19]
I doveri, p. 195.
-
[20]
I doveri, p. 183 : « La mercantia né vole né vale aspectare che te vada prima trovando o ad vendere o ad comprare ; sì che lo Signore che fa industria, li soy subditi no la potino fare, et per uno che ipso Signore guadagna, nde fa perdere cento ad soy subditi ».
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[21]
Un tiers du Proemium est composé par la transcription de blocs textuels repris directement de la Summa Theologiae IIa-IIae, q. 58, a. 1 ad 5, dal Super Epistolam B. Pauli ad Romanos lectura, cap. 13, lectio 1, et, indirectement, de l’œuvre intitulée De regno ad regem Cypry, I, 8.
-
[22]
Appendice à R. Delle Donne, Regis servitium, p. 135, voir aussi la conclusion du Proemium : « non enim Dominus Reges Principes condemnat, sed male regimine utentes et ad sui proprium utilitatem non populi intendentes », ibid., p. 139 ; voir aussi le passage de Thomas d’Aquin repris p. 137.
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[23]
I doveri, voir en particulier les passages très amples des deux versions latines, p. 200, 202.
-
[24]
I doveri, p. 175, 177.
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[25]
I doveri, p. 175, 177, 183. À propos du rapport entre le bien de la res publica et le bien juridico-économique qu’il faut protéger et qui dérive des prêts en faveur de la res publica et plus généralement des censals, il est nécessaire de se tourner vers la mesure d’Alphonse le Magnanime, publiée le 20 octobre 1452. Le texte se trouve dans : Capitula Regni Siciliae, I, Soveria Mannelli 1999, reproduction anastatique de l’éd. F. M. Testa, Palerme, 1741, p. 326-330, voir en particulier p. 328-329, ainsi que l’œuvre antérieure de F. Eiximenis, El “Tractat d’Usura“ de Francesc Eiximenis, éd. J. Hernando i Delgado, Barcelone, 1985, texte, p. 30-96.
-
[26]
I doveri, p. 195.
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[27]
I doveri, p. 192 et 194-195 : « Quilli so’disposti a la mercantia persuaderli, fagorirencili et, possendo, aiutarle, ché lo paese dove so’ mercatanti non solamente stanno bene, ma fanno stare habundante dicto paese, etiam de le cose, loro non havino. Et questa parte de la mercantia èi cosa da delectarence bene… se volino fagorizare li vostri e no sulo animarli, ma, fine incomenzano ad gustare la utilità, aiutarli [le texte de Guarino traduit avec précision : “Laborandum est igitur, ut apud tuos is fructus maneat, etiam si opus fuerit, quoad lucri dulcedinem gustaverint, eos tua ope foveri atque sustentari”] e la Maiestà del signore Re vostro patre lo fa notabilmente, che have facte de le nave e galiaze per una gran quantità de dinari et date quele ad soy subditi senza nulla utilità de sua Maiestà, altro che loro se travaglyano et ultra darli dicte nave… franche… fine alla vela, anco soa Maiestà li dà in credenza ad soy subditi de le cose le prevenino per le mano como allume coctione, frumenti tracte… et certo de cqui ad poco se vedrà lo fructo consequito per ordine de dicta Maiestà solo per lo benefitio de soy subditi ».
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[28]
RCP, chap. 33, p. 167-169.
-
[29]
RCP, chap. 34, p. 169-170
-
[30]
RCP, chap. 33-34, p. 167-170, voir aussi le chapitre 194 du Dotzè d’Eiximenis, pour le texte cf. Evangelisti, I Francescani e la costruzione di uno Stato, Linguaggi politici, valori, identitari, progetti di governo in area catalano-aragonese, Padova, 2006, p. 196 et note.
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[31]
Voir par exemple RCP, chap. 33-34, p. 167-170. Sur les visées productives et expansionnistes du Royaume de Valence dans le projet politique écrit pas Eiximenis, voir en particulier RCP, Lettre de dédicace, p. 15-39.
-
[32]
F. Eiximenis, Dotzè Llibre del Crestià, II.1, éd. C. Wittlin et al., Girona, 1986, p. 439-440 et, plus largement, chap. 635-650, ibid., p. 404-446.
-
[33]
F. Eiximenis, Dotzè Llibre del Crestià, II.1, p. 439-440.
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[34]
Cette conception est largement attestée aussi dans les plus anciens textes de Raymond Llull, destinés aux souverains et à la construction d’une éthique civile de la communauté catalano-aragonaise. Concernant ces aspects je me permets de renvoyer à P. Evangelisti, I francescani e la costruzione di uno Stato…, op. cit., p. 30-93 ; Id., Christus est proximus noster. Costruzione dell’identità comunitaria e definizione delle infidelitates in Arnau de Vilanova e Ramon Llull, in Studia Lulliana 45-46 (2005-2006), p. 39-70, voir en particulier p. 59-67.
-
[35]
Capitula Regni Siciliae, I, Soveria Mannelli 1999, reproduction anastatique de l’éd. de F. M. Testa, Palerme, 1741, p. 147.
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[36]
Capitula Regni Siciliae, I, p. 215.
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[37]
I doveri, p. 197 : « Cossì anche la Maiestà sua have facto adponere l’arte de la lana, che è stata volta have tenuto prestati ad persune fanno dicta arte de li ducati trecento senza utilità nissiuna, solo perchè se industriano li subditi soy. Et cossì anco sua Maestà li exercita in diverse cose de soe intrate et se contenta che quilli guadagnano… ».
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[38]
I doveri, p. 181, 183 : « Non èi cosa laudabile li Signuri farno industria… ché la vera industria del bon Signore è bene administrare soe intrate iuste et le industrie far fare ad soi subditi et aiutarencili, ché… le industrie fanno arricchire li subditi quando le fanno lloro, ma, quando lo Signore loro le fa, non èi possibile ipsi nde possano fare et si nde fanno èi ragionevole de perdere… ».
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[39]
Cf. à ce propos : G. Todeschini, « Le “bien commun” de la civitas christiana dans la tradition textuelle franciscaine (xiiie-xve siècle) », dans Politique et religion en Méditerranée, Paris 2008, p. 265-303 ; P. Evangelisti, I francescani e la costruzione di uno Stato ; Id., « Metafore e icone costitutive del discorso politico francescano tra Napoli e Valencia (xiii-xv s.) », dans Studi storici 47 (2006), p. 1059-1106 ; Id., Francescana (Scuola francescana di economia), dans Dizionario di economia civile, sous la dir. de S. Zamagni et L. Bruni, Rome, 2009, p. 424-443.
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[40]
Le texte original a été conservé dans un parchemin de Philippe dans AHM, Rosselló Nou, f.106v-109v ; il est édité par A. Santamaría, Tensión Corona de Aragón Corona de Mallorca. La sucesión de Mallorca (1318- 1326), dans Estudios en memoria del Profesor D. Salvador Moxó, Madrid, 1982, II, p. 423-496, p. 488-489 ; sur Philippe de Majorque je me permets de renvoyer à P. Evangelisti, Relazioni di potere ed etiche per il potere. Clareno, Filippo di Maiorca e la testualità politica francescana catalano-aragonese, dans Angelo Clareno francescano, Atti del XXXIV Convegno internazionale, Assisi, 5-7 ottobre 2006, Spolète, 2007, p. 317-376.
-
[41]
« Enteses les llibertats e franqueses del regne de Mallorques a vos… atorgades, e sobre açó nos estants remembrans daquella paraula que tant que més resplandesques que la flor e caritat no ayes no és res, nos affectants aquella universitat ab sencera caritat tractam aconseguir [ed] efectualmente complir, com sguarden utilitat e conservació e bon regiment del dit regne », dans A. Santamaría, Tensión Corona de Aragón, p. 489. Le passage est placé en conclusion du préambule programmatique et constitutionnel, objet du serment et pourvu du sceau du tuteur de Jacques III.
-
[42]
Un ouvrage fondamental concernant ces thèmes philosophiques, juridiques et politiques : J. Krynen, L’Empire du roi. Idée et croyances politiques en France xiii e-xv e siècles, Paris, 1993, en particulier p. 185-189.
-
[43]
« quan així han amada la carn e avorit Déu e lo bé comun… troben-se en la mort enganats, pobres e nuus… en aital disposició que no els ajuden los mèrits de nenguna comunitat, ço es, ne del cel ne de la terra ne encara de Jesucrist… com tu sies membre tallat del seu cos místic, que és la comunitat dels feels crestians » ; RCP, chap. 38, p. 181-182.
-
[44]
La première édition imprimée sort à Barcelone en 1509. L’attribution à frère Eiximenis est attestée, par exemple, dans les exemplaires en circulation à Barcelone entre 1420 et 1471, comme il ressort des testaments contenant des inventaires de livres, publiés par J. Hernando i Delgado, Obres, p. 445-446, 459-460, 467-468, 506-507.
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[45]
Cf. par exemple le recueil manuscrit du xive siècle, conservé à la bibliothèque nationale de Madrid, ms. 10265, ff. 79-107, possédé vers la moitié du xve siècle par le marquis de Santillana, Iñigo López de Mendoza et successivement par la famille des comtes de Osuna, cf. catalogue des mss. de la BNE ; une copie de la Doctrina compendiosa est présent à la bibliothèque royale aragonaise de Naples déjà dans la première moitié du xve siècle, cf. T. De Marinis, La biblioteca napoletana dei re d’Aragona, Supplément, t. I, Vérone 1969, p. 258 ; d’après les testaments de Barcelone (xve s.), au moins douze personnes parmi des marchands, des argentiers, des couturiers, des notaires, des hommes de droit, des prêtres de la ville auraient possédé la Doctrina (cf. Hernando i Delgado, Obres, p. 393-399 et, pour les document, p. 434-555).
-
[46]
DC, Segona partida, chap. 16, p. 219-220.
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[47]
DC, Segona partida, chap. 16, p. 222.
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[48]
Cf. par exemple. DC, Primera partida, chap. 5, p. 152.
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[49]
DC, Primera partida, chap. 8, p. 155-156, mais la succession des chap. 9-12 est aussi essentielle, voir p. 156-163.
-
[50]
DC, Primera partida, chap. 5, p. 152. Dans certaines affirmations de la Doctrina, il est possible de saisir la valeur civique de la justice, là où la caritat, c’est-à-dire l’amour envers le prochain et l’amour envers Dieu sont définis comme des « actes de justice » ; dans ce sens on peut mesurer pleinement la prééminence de Justicia, cf. DC, Primera partida, chap. 6-8, p. 153-157.
-
[51]
RCP, chap. XII, p. 81-85.
-
[52]
I doveri, p. 175, 177 : « Domandare per non sapere ordinare et dispendere dissordinatamente, bene se conosce che disfai te che domandi et anco voliti disfare chy non ce ha colpa, cioè che voy dispendere de li dinari de quillo o de quella, che talvolta sarrà bene ordinato alle cose et spendere suo, per lo quale ordine have facultà che li vale poco, se quello se reserva lo perde per via de imprumpto, chè si lui have talvolta patuto per avanzare de soe intratuze et vede poy perdirlo per tal via, potiti pensare che core sarà lo suo. Tutti quisti inconvenienti cessano quando lo Signore se ordina ch’el suo li basta. Et vedendose per soy subditi lor Signore essere de tal natura, omne uno se sforzerà in aiutare et non temere havere de mostrare loro facultà, como talvolta celano, per non li essere da lor Signore domandati ; et vene ad essere causa de arricchire dicti soy subditi… ».
-
[53]
RCP, chap. 36, p. 173-174, voir aussi RCP, chap. 39, p. 183-186. Eiximenis affirme que toute déloyauté envers la chose publique est interdite par Jésus Christ. Pour cette raison, l’être chrétien est pour l’homme la meilleure garantie pour bien vivre politiquement en société (cf. RCP, chap. 3, p. 45-48 et 14, p. 92-95).
-
[54]
Parmi les nombreux capitula et privilèges édictés par le roi Alphonse pour garantir la crédibilité et la confiance dans le marché, on peut lire la partie du chap. CCCLXXIV, daté du 23 octobre 1446 : « Item peroche alcuni Citati, Terri, et lochi delo Regno hanno privilegio de affidare debitori ; per lo quale privilegio multi baracterie, et fraudi si comictino in quillo Regno in prejuditio deli creditori ; taliter che non si po securamente contrahire, et justitia impeditur... » (Capitula Regni Siciliae, I, p. 343).
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[55]
Certaines études circonscrivent la datation aux années 1357-1358, cf. O. Langholm, Wealth and Money in the Aristotelian Tradition, Oslo 1983, p. 101.
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[56]
F. Eiximenis, Dotzè Llibre del Crestià, I.1, éd. X. Renedo, Girone, 2005, chap. 140, p. 305. On peut confronter utilement ce passage d’Eiximenis, les chapitres 635-650 de cette œuvre et le chapitre 34 du Regiment (concernant la figure idéale du souverain en tant que promoteur de l’activité mercantile) avec les positions de Thomas d’Aquin sur la monnaie et sur la fonction limitée des activités marchandes et de la valeur du commerce des biens et de l’argent dans les villes et les communautés civiles (cf. Thomas d’Aquin, De Regno, II.7 ; Id., In decem libros Eyhicorum Aristotelis ad Nicomachum, expositio V, lect. 9, 978-991 ; Id., In libros Politicorum Aristotelis, expositio I, lect. 7, 111-121).
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[57]
Capitula Regni Siciliae, I, chap. XLIII, p. 156-157.
-
[58]
Capitula Regni Siciliae, I, p. 162-163.
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[59]
Capitula Regni Siciliae, I, chap. CLXIX, p. 256-257.
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[60]
Constitutionum Regni Siciliarum, I, Soveria Mannelli, 1999, réimpression anastatique de l’éd. A. Cervone, Naples 1773, lib. III, tituli LXII-LXIII avec gloses, p. 417 a et b. Les gloses d’André d’Isernia et des iurisperiti qui l’ont précédé et qui lui ont succédé rendent compte de la tradition classique et lombarde bien connue par les commentateurs. Le titulo LXII (sur la falsification de la monnaie) et le titulo suivant (sur la rasure des monnaies d’or et d’argent) sont attribués à la législation de Roger. Dans le texte d’Alphonse manque toute référence à d’autres mesures adoptées par ses prédécesseurs aragonais.
-
[61]
L’occurrence la plus ancienne est la lex Cornelia, de falsis, de l’année 81 a. C., perdue mais analysée par les commentateurs d’époque républicaine et impériale ; la codification de Théodose publiée le 15 février 438 (livre 9, titres 21-23) est reçue par le Code de Justinien (9.42.2) et par le Digeste (48.10.9). Une base de départ utile est Ph. Grierson, The Roman Law of Counterfeiting, in Essays in Roman Coinage presented to Harold Mattingly, éd. R.A. G. Carson et C.H. V. Sutherland, Oxford, 1956, p. 240-261.
-
[62]
La législation sur la peine pour la falsification des monnaies émanée par Roger à Ariano et accueillie par Frédéric, a été reprise par Charles d’Anjou dans un capitulum émané à Brindisi en janvier 1281. Ce texte a été renouvelé par Charles II et par le roi Robert, cf. Capitula Regni Utriusque Siciliae. Ritus Magnae Curiae Vicariae et Pragmaticae, II, sous la dir. de A. Romano, Soveria Mannelli, 1999, réimpression anastatique de l’éd. A. Cervone, Napoli, 1773, p. 25 a et b avec glosses.
-
[63]
Voir la collection de mesures émanées au cours de la période qui va de Jacques Ier à Ferdinand Ier, dans les Capitula Regni Siciliae, I, e Capitula Regni Utriusque Siciliae. Ritus Magnae Curiae Vicariae et Pragmaticae, II.
-
[64]
I doveri, p. 200 e 202.
-
[65]
I doveri, p. 202.
-
[66]
Cf. P. Evangelisti, « Mercato e moneta nella costruzione francescana dell’identità politica (Relazione al seminario “Forme di razionalità economica medievale” dell’Istituto storico italiano per il Medioevo, Roma, 14 novembre 2005) », dans Reti Medievali - Rivista, VII/1 (2006), http://www.dssg.unifi.it/_RM/rivista/saggi/Evangelisti.htm.
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[67]
Pour les références les plus importantes sur lesquelles se fonde la définition du bonheur comme but final de la communauté politique, voir l’Aristote latin, Politicorum Libri Octo, VII.2, p. 632-633, III.4, p. 231, VII.13, p. 719 VIII.1, p. 756, dans Albertus Magnus, Opera Omnia, Paris, 1891 ; pour Thomas d’Aquin je renvoie aux analyses de Kempshall, The Common Good, en particulier p. 77, 79, 100. Cf. l’un des nombreux exemples contemporains à Carafa, I. I. Pontani, De Magnanimitate, I.XLIII, p. 58 ; Id., Ad Alfonsum Calabriae Ducem De Principe Liber, dans Prosatori latini del Quattrocento, Turin, 1977 (Ire éd. Milan-Naples, 1952), VIII, p. 1040.
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[68]
À titre d’exemple, il est possible de consulter les premiers chapitres des Devoirs de Carafa, la première partie de la Doctrina Compendiosa, la lettre de dédicace et les chapitres 18-19 du Regiment d’Eiximenis.
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[69]
En plus des nombreux renvois à la raison et à la compétence cités par Carafa, on peut rappeler la genèse du texte de la Doctrina compendiosa et l’invitation à la « diligente habileté dans le gouvernement » qu’Eiximenis rappelle constamment dans son Regiment déjà à partir de la lettre de dédicace placée en ouverture.
-
[70]
Cf. entre autres RCP, chap. 13, 33, 34, p. 86-92, 167-170.
1Auteur de l’étude historique et philosophique la plus récente et complète sur la notion de bien commun au bas Moyen Âge, M. S. Kempshall affirme que « l’analyse historique du bien commun ne devrait pas se réduire à la lecture de textes isolés, mais devrait examiner le bien commun dans les contextes politiques, littéraires, linguistiques, intellectuels et historiques dont on sépare probablement trop souvent ce concept et les textes s’y rapportant » [2].
2L’horizon très vaste dessiné par ce syntagme fondamental du discours et de la théorie politique médiévale impose une approche heuristique. D’un point de vue méthodologique, on ne peut pas se contenter de restituer à partir des sources une définition théorique, qu’auraient professée des docti montés en chaire pour raisonner sur ce que sont la communauté politique et le bien de la chose publique.
3Ces observations conduisent à étudier la formation et la définition progressive du concept de bien commun dans des sources de nature pédagogique et politique, plutôt que théorique et spéculative, s’adressant ouvertement à des « laïcs ».
4À coté des textes écrits pouvant receler des Sprachbilder très efficaces du point de vue de la communication et de l’argumentation, il faut prendre en considération un certain nombre d’autres « paroles en images » véhiculées à travers des véritables programmes iconographiques : par exemple les retables illustrant la signification et la valeur d’institutions publiques telles que le Consulat de la Mer de Perpignan (1489) ou la Paeria de Leyde (1445-1455), mais aussi les pages illustrées expliquant le sens de certaines décisions législatives, ou encore, les tableaux commandités à des artistes dans le dessein de légitimer et de consacrer des institutions et des communautés politiques. Ainsi le tableau et le vitrail commandés à Bernat Martorell par la Casa de la Ciudad de Barcelona vers la fin des années 30 du xve siècle.
5Le territoire qui reste encore à explorer est vaste et très riche. On en esquissera ici seulement les frontières chronologiques pour ensuite concentrer l’analyse sur une série de documents restreinte mais significative.
6Parmi les textes les plus anciens, on trouve les nombreuses œuvres produites par Raymond Lull et Arnau de Vilanova pour les milieux dirigeants et urbains de la Méditerranée occidentale, ainsi que les réflexions sur le pouvoir et le dominium d’Angelo Clareno pour Philippe de Majorque et les textes programmatiques écrits pour le gouvernement du royaume insulaire, lorsque Philippe accepte de devenir régent et tuteur de l’héritier au trône. On trouve aussi les textes d’Anselm Turmeda ; dans les décennies suivantes, les œuvres de Francesc Eiximenis ou attribuées à lui, et celles de Joan Eiximeno, destinées les unes et les autres aux monarques et aux dirigeants des communautés citadines et marchandes [3]. Il ne faut pas non plus oublier la riche production homilétique des Mendiants Mineurs et Prêcheurs, tels que Matthieu d’Agrigente, Bernardin de Sienne, Vincent Ferrer.
7Vers la moitié du xve siècle, s’ajoute à ces ouvrages une production laïque issue en particulier de la cour aragonaise de Naples. Elle fonde une conception précise du bien commun, au sein de textes écrits ad personam qui rappellent le modèle du speculum principis. Il s’agit de textes écrits à la suite de la conquête de Naples par Alphonse Ier. À cause de leur valeur politologique, il faut rappeler le De rebus gestis ab Alphonso primo Neapolitanorum rege de Bartholomeo Facio, composé entre 1448 et 1455, le De principe et le De Magnanimitate de Giovanni Pontano (1463-64 et 1498-99), certains ouvrages de Tristan Caracciolo comme par exemple le De statu civitatis, ainsi que l’Exposition du Notre-Père, par Antoine de Ferraris dit le Galateo (1503).
8L’œuvre de Diomède Carafa (1406/08-1487) Sur les devoirs du prince se distingue par son ton et sa finalité non hagiographique. Il s’agit d’un mémoire écrit vers 1476 résumant les caractéristiques fondamentales d’une conception monarchique propre aux Aragonais. Adressé à Éléonore d’Aragon, l’épouse d’Hercule d’Este, ce traité entend exposer à la fille du roi Ferdinand une idée du gouvernement et de l’administration du bien public [4] que Carafa connaît de l’intérieur, ayant été au service de la couronne aragonaise pendant cinquante ans, dont deux au moins passés en Espagne. Il s’agit d’un texte d’une grande importance car il circule en trois versions différentes : un original en langue vulgaire et deux traductions successives en latin, faites par des humanistes italiens dans le dessein d’ennoblir le texte et de lui conférer une plus grande force rhétorique.
9La finalité éminemment pratique de l’œuvre est affirmée explicitement par l’auteur, avant même d’être confirmée par une large partie de l’historiographie qui l’a étudiée. La valeur fonctionnelle des indications que Carafa offre à Éléonore d’Aragon ne peut que s’en trouver accrue. Carafa consacre plus de la moitié du texte à expliquer l’idée d’« État » et à conseiller la princesse sur l’administration du patrimoine de la res publica, sur la composition de la richesse d’un État, sur le devoir princier de favoriser la croissance de la richesse et sa circulation à l’intérieur des territoires de la Couronne, et sur les modalités pratiques de cette action.
I – Bien commun, « État » et iusticia
10Fonctionnaire et conseiller royal d’Alphonse le Magnanime et de son fils Ferdinand, Carafa s’est occupé entre autres des comptes de la res publica pendant des décennies. Il se trouve ainsi bien placé pour élaborer un texte sur les modalités de « gouvernement de l’État » [5] de la part du « Seigneur ou potentia ».
11Le paramètre de référence est très précisément indiqué, négligeant tout autre valeur de l’éthique politique classique présente d’habitude dans les specula principum. Le paradigme fondamental du gouvernement, l’« arte dello stato » [6], est la « iusticia » qu’il faut entendre non seulement comme principe et fondement de la loi, mais comme l’exercice avisé de la iurisdictio. Dans cette notion de iurisdictio, la dimension théorique de l’epieikeia se traduit dans un principe d’équité fonctionnant selon deux critères opératoires : la tutelle de certains sujets faibles de la res publica [7] et la juste administration du patrimoine public et de ces richesses qui font prospérer l’« État » [8]. Elle est la « racine de toute prospérité et bien » [9], devenant ainsi une partie constitutive du bien public de ce même « État ».
12Il s’agit d’un thème politique et pédagogique qui revient dans le retable du Consulat de la Mer de Perpignan. Dans cette œuvre quasi-contemporaine de celle de Carafa [10] les figures sacrées censées légitimer l’institution civile du Consulat n’expriment pas toute la gamme des vertus morales classiques. Elles représentent seulement le bon exercice de la justice dans le gouvernement et l’administration de la richesse marchande de la communauté politique de Perpignan, interprétée comme le patrimoine dynamique et mobile de la civitas. Les quatre évangélistes et les douze prophètes qui entourent le Christ crucifié et rédempteur représentent l’union de la communauté et se font l’expression sacrée d’une pédagogie politique pour les administrateurs publics. Chacune de ces figures arbore une inscription illustrant exclusivement les caractéristiques et les modalités d’exercice de la justice et allant jusqu’à superposer l’idéal du juste sur l’image de l’homme capable de juger équitablement. C’est le cas du cartouche entre les mains d’Isaac qui clôt le cycle figuratif. Il est important de remarquer que, tout en étant pauvre de renvois aux auctoritates classiques ou sacrées [11], le mémoire napolitain montre le Christ comme seule référence à la justice publique et à sa pratique [12]. En outre, comme dans le retable de Perpignan, la section concernant le bon exercice de la justice se termine avec l’affirmation suivante : « heureux celui qui est juste et qui gagne ce monde et l’autre, alors qu’un autre les perd tous les deux » [13].
13Une seule et même notion de justice fonde et légitime la gestion du bien commun et la bonne administration du patrimoine et du fisc royal. En établissant un parallèle avec l’image du Christ, comme référence à une iurisdictio éclairée, Carafa affirme que tout comportement de l’homme ne sachant pas comment employer ce qu’il possède et se retenant de dépenser pour les choses justes et nécessaires, brave la colère de Dieu [14]. Cette observation est importante car elle renvoie directement à un texte largement diffusé dans la deuxième moitié du xve siècle, l’introduction de Geoffroy de Gaète, président de la Chambre royale de la Sommaire, aux Ritus Regiae Camerae Summariae Regni Neapolis [15]. Une administration avisée et éclairée d’un « État » est synonyme avant tout d’une juste manière de dépenser, à partir de la gestion du patrimoine de la famille royale [16]. Les humanistes partagent le même horizon éthico-politique : on le voit lorsque Giovanni Pontano expose sa conception de magnanimitas royale qui doit être accompagnée et soutenue par la recta ratione et par la mensura en tant qu’instruments de l’administratione [17].
14Les bonnes pratiques de gouvernement des richesses communes découlent de ce cadre théorique que l’on peut définir en termes de justice rationnelle et de raison instrumentale. Carafa voit ces pratiques justifiées à un double niveau : par les choix des rois d’Aragon dont descend Éléonore (il en fait ainsi un élément d’identité et de légitimation politique) et par la notion de justice définie comme divine et christique.
15Au prince, ou à la potentia, qui se trouvent à la tête de la res publica, reviennent la gestion de la politique fiscale et l’administration de la dette publique, de même qu’une politique capable de favoriser la croissance économique des « industries » et du commerce. Et pourtant ces deux domaines propres à la « bonne administration » [18] sont très différents : une action directe du prince est présente seulement dans le premier, tandis que le deuxième domaine intéresse exclusivement l’utilité de ses sujets (« solo per lo benefitio de soy subditi ») [19]. Dans ce cas, on n’a pas affaire à une intervention directe du patrimoine royal ou de la famille royale dans le marché ou dans les secteurs productifs, qu’ils soient la « mercantia » ou la « industria » [20]. Notre texte définit ainsi de manière concrète la notion théorique et la valeur du bien public, la publica utilitas et la dimension réelle de la justice.
II – Le bien commun est la publica utilitas. Le souverain au service du développement économique et marchand
16L’action du souverain et le fonctionnement de l’appareil fiscal et législatif dont il dispose doivent favoriser la croissance des « industries », la circulation monétaire et le dynamisme des marchés. En cela Carafa renforce clairement la leçon thomiste employée par Geoffroy de Gaète dans son Proemium [21]. Si ce dernier demandait au souverain d’employer les ressources fiscales uniquement « pro communi utilitate » [22] et pour la défense de la res publica, Carafa relie l’utilitas publica et la description du bonum commune à un projet plus concret de dynamisation et de renforcement économique et civil du royaume, en attirant sur ces objectifs l’attention du monarque. Dans ce sens, et pour les raisons politiques que l’on vient d’exposer, l’utilitas publica n’est pas superposable ou interchangeable avec l’utilitas du souverain. Elle a par contre une valeur communautaire bien précise. Elle vise en premier lieu la construction d’un bien-être général dû à la disponibilité accrue de biens matériels et immatériels sur le territoire du royaume. En deuxième lieu, elle s’identifie à l’ensemble des mesures favorisant les acteurs principaux de cette circulation de richesse : les marchands et les autres sujets producteurs au sein de la res publica.
17Parmi ces mesures, une attention toute particulière est donnée au renforcement de l’un des éléments immatériels qui constituent le marché, c’est-à-dire la confiance, la fiabilité (fiducia). Il s’agit de la fiabilité dans les échanges, assurée par la crédibilité de la monnaie du royaume et par la confiance dans le souverain : ce dernier est le responsable de la frappe et de la valeur de la monnaie [23] et d’une fiscalité juste. Celle-ci doit éviter l’occultation ou la fuite des capitaux et des activités économiques [24] et doit être accompagnée par une gestion avisée de la dette publique et des opérations de prêt [25]. Ces deux composantes vertueuses de l’art de gouverner produisent un résultat indirect mais certain : « lo fructo consequito », pour employer les mots de Carafa [26], est un bien-être public qui profite du point de vue politique et économique au souverain et aux patrimoines public et royal qu’il administre.
18Offertes par le texte original des Devoirs, ces indications portant sur la conduite correcte du seigneur, conforme au but de favoriser le bien commun, sont renforcées et ennoblies par les versions latines parues ensuite. Elles montrent de larges affinités avec une littérature élaborée en milieu franciscain catalano-aragonais au cours des deux siècles précédents. Croisant les textes des humanistes laïcs avec les consilia de ces frères qui ont choisi la pauvreté volontaire comme identité religieuse et code social, il est possible de remarquer une communauté de langages, de conceptions politiques, de valeurs légitimantes tendant à la formulation d’objectifs de gouvernement semblables. On pourrait ainsi parler d’une même culture politique en formation, voire d’un terrain commun à la fois linguistique et conceptuel nourrissant la construction d’une science du gouvernement qui se définit au fil des réflexions théoriques des juristes et des humanistes actifs entre Valence et Palerme.
19Le passage de Carafa sur l’utilité et sur le rôle des marchands révèle des points de contacts évidents avec les arguments utilisés un siècle plus tôt par le frère Eiximenis, conseiller des souverains et des institutions civiles des royaumes de Valence et de Palerme et à Barcelone. Cette proximité aussi importante n’est en effet pas fortuite. Lisons ce que Carafa écrit : « Ceux qui ont une prédisposition à l’activité marchande doivent être favorisés et soutenus et, lorsque c’est possible, ils doivent l’être de manière concrète parce que là où les marchands travaillent et vivent aisément, c’est le pays tout entier qui jouit de l’abondance des marchandises [qu’il ne possédait pas auparavant]. Et cette activité marchande produit des bons fruits, [pour cela] il faut que vous souteniez et non seulement que vous encouragiez moralement vos marchands. Pour qu’ils puissent savourer le goût et l’utilité du gain, il faut que vous mettiez en œuvre des mesures efficaces pour les aider. Sa Majesté le roi votre père fait cela parfaitement : il a en effet armé jusqu’aux voiles des navires et des galères en engageant une forte somme d’argent. Et il a fait cela sans aucun avantage pour lui-même, mais en ayant pour seul objectif le profit de ses sujets à qui il a confié les bâtiments libres de tout engagement sans rien demander en échange. En outre, Sa Majesté offre à crédit à ses sujets des marchandises telles que l’alun et le froment… et, sûrement, d’ici peu on pourra voir les résultats de cette politique royale, adoptée pour le seul avantage des ses sujets » [27].
20Il y a convergence avec les arguments d’Eiximenis, dont Carafa partage la valeur du bien commun et la définition des instruments nécessaires pour en garantir la jouissance en termes de publica utilitas aux cives sujets du royaume.
21Eiximenis quant à lui affirme que les marchands sont « la vie de la terre… le trésor de la chose publique… le bras de toute bonne négociation et l’accomplissement de toute bonne affaire… Seuls les marchands sont… les pères et les frères de la chose publique et… ils sortent vainqueurs de tous les obstacles pour monter tout en haut, au-dessus des autres personnes qui composent la communauté par la grâce de Dieu » [28]. En déplaçant l’axe conceptuel traditionnel qualifiant la souveraineté, le franciscain peut affirmer que les gouvernants qui ne favorisent pas l’activité des marchands « sont les dissipateurs de la res publica et les voleurs de la communauté » (« aytals rectors de la cosa publica… son manifests robadors e dissipadors de la comunitat ») [29]. En suivant une argumentation typique de la tradition textuelle franciscaine renvoyant en dernier lieu aux affirmations de Duns Scot, Eiximenis définit concrètement l’action juste et légitime du souverain dans un domaine politique et économique précis, tout en établissant des nouveaux paramètres pour désigner la tyrannie des monarques. Ces derniers sont tenus en effet de se conformer aux intérêts de la res publica constitués par son développement économique et marchand et par la dynamisation des échanges et la circulation des biens. On reconnaît donc aux mercaders une fonction publique, politique et sociale importante [30]. Les mesures évoquées par Eiximenis en faveur des marchands correspondent à celles réclamées par Carafa : la construction d’une flotte marchande et d’un service de protection pour les navires, ainsi que l’exemption des impôts sur les activités commerciales [31].
22Dans ce contexte, l’un des chapitres du Dotzé del Crestià (le 648e) consacré à l’éthique économique du roi prend une importance particulière [32]. Eiximenis y affirme la nécessité d’une utilisation des biens du souverain selon des critères opérationnels qui élargissent le modèle médiéval classique en vogue depuis des siècles. Il attribue en effet à l’autorité d’Aristote ses propres indications éthico-pédagogiques, à travers une citation impropre du quatrième livre de l’Éthique. Il affirme que le roi libéral doit « faire des grands investissements d’argent qui puissent être utiles à la chose publique dans le but d’aider ceux qui se trouvent en difficulté » [33]. En mettant au centre du discours une catégorie précise de sujets, il définit une éthique politique et économique du souverain et un emploi de sa fiscalité tournés vers le renforcement économique et commercial de la communauté. Il faut financer l’activité des sujets capables d’assurer un profit et un avantage à la res publica, en leur confiant des sommes d’argent qui puissent fructifier et se multiplier en circulant. Ces « sujets faibles » offrent des garanties précises : la fidélité à la res publica, l’insertion dans des circuits sociaux déterminés, la disponibilité à l’activité entrepreneuriale. En outre, de même que dans le texte napolitain du xve siècle, le souverain doit être capable d’instiller dans l’esprit des cives-producteurs et des cives-marchands le goût du gain et la propension à la réalisation d’un profit (utilitas) à développer chacun de son côté [34].
23On retrouve cette conception éthico-politique dans la littérature juridico-normative produite dans les territoires du royaume catalano-aragonais et plus particulièrement dans les capitula du royaume de Sicile du roi Martin, dont Eiximenis fût le confesseur et le conseiller politique. Par exemple, le texte du chapitre XVIII du plaid daté du 3 octobre 1398 au Parlement syracusain dit : « Item suae placeat Majestati, quod singuli Mercatores possint tute venire, et in Sicilia stare, et redire pacifice et quiete, cum rebus, et mercibus eorum : ex hoc enim sequetur honor, et utilitas Regia, ac Regnio divitiae, et incrementum » [35]. Ce texte est repris dans le chapitre XXVI fait par le roi Alphonse le 14 janvier 1433 à Palerme [36].
24Participant de cette culture politique et d’un langage prônant un usage des ressources que l’on peut définir en termes d’économie civile, Carafa affirme : « Et en effet même Votre Majesté a adopté une politique de soutien aux marchands de laine, en leur concédant 300 ducats à fonds perdus, sans rien recevoir en échange à l’exception de l’utilité apportée à vos sujets par l’accroissement de l’activité marchande et commerciale. Il s’agit d’une politique que Votre Majesté adopte dans de nombreux autres secteurs en mettant à disposition des ressources dans le seul but de soutenir et augmenter les gains de ceux qui s’en servent » [37]. Et un peu plus haut : « Il n’est pas recommandé que les seigneurs s’exercent dans l’art du commerce et de l’entreprise parce que l’activité principale du bon seigneur, du juste gouvernant, est celle d’administrer correctement ses rentrées, obtenues justement. Il doit laisser à ses sujets l’exercice du commerce et toute activité entrepreneuriale et les soutenir dans ces activités. Cela parce qu’elles font augmenter les richesses, lorsqu’elles sont développées par les sujets. Si par contre le gouvernant s’en chargeait, il finirait par empêcher ses sujets de mener des activités profitables et engendrerait ainsi une perte [pour tout le monde] » [38].
III – Justitia-caritas. L’amour du prochain est un acte de justice
25Cette conception ministérielle d’un souverain au service d’un profit commun redistributif trouve dans le couple justitia-caritas une clé linguistique propre à la littérature politique franciscaine. Elle est présente par exemple dans le texte de Llull, d’Arnaud de Villeneuve et d’Eiximenis, mais aussi dans les textes de Pierre de Jean Olivi et de Guiral Ot, deux auteurs issus de l’aire franco-provençale [39]. Le texte cité ici est particulièrement significatif pour sa valeur à la fois politique et politologique. Il s’agit d’un document de la main de Philippe de Majorque, tertiaire franciscain, partisan d’une stricte observance de la Règle de François, régent du Royaume de Majorque et tuteur de l’héritier au trône entre 1325 et 1329. L’importance du texte n’est pas seulement liée à l’identité de son auteur issu d’une dynastie dominant de façon directe ou collatérale une grande partie de la Méditerranée. Ce document programmatique de nature constitutionnelle a été en effet rédigé au début de la régence de Philippe et il a été effectivement appliqué pendant les années de son gouvernement [40].
26Les six paragraphes du préambule ont fait l’objet d’un serment le 4 avril 1325 en présence des notables, des syndics et ambassadeurs du royaume et de l’universitat de Majorque. On y revendique avec force une souveraineté de service, consacrée à la « comuna utilitat e al bon stament del regne ». Il est important de remarquer que Philippe considère comme indispensable un engagement permanent du souverain régent en vue d’améliorer de façon active et quotidienne cette fonction de service pour un gouvernement visant l’ « utilitat, conservació e bon regiment del dit regne ». Son idée de la souveraineté et de la bonne administration repose sur l’équivalence entre le principe opérationnel de l’« utilitas publica », du « bon statement del regne » et de ses villes, et le « bon statement » de l’héritier. Ces valeurs de dignité égale demandent une tutelle égale, au sein d’une conception contractuelle partagée par tous ceux qui écrivent à propos de la monarchie et des caractères fondateurs de la communauté politique, comme Eiximenis. La motivation de fond de cette idée politique réside dans la nécessité de pratiquer une « sencera caritat » dans le bon gouvernement (bon regiment). Philippe affirme que les communautés du royaume et de la couronne pourront prospérer et briller seulement à travers cette pratique « charitable » de gouvernement [41]. En cela, l’on discerne une différence significative par rapport à une conception de la souveraineté définie par une auctoritas à la façon de Gilles de Rome et identifiable dans la construction juridico-politique de la monarchie en voie d’affirmation dans le royaume de France [42].
27Pour les mêmes raisons exprimées par Philippe, Eiximenis condamne d’un point de vue politique dans un passage de son Regiment tous les cives qui n’ont pas su utiliser « charitablement » les richesses pour le profit de la communauté. Il met ainsi au même niveau de valeur le bien-Dieu et le bien commun : les deux sont des biens politiques qu’il faut protéger [43].
28Si le lexème caritas ne se retrouve pas dans le texte de Carafa, il est pourtant clair que la structure de son argumentation, ainsi que les logiques de légitimation de l’exercice juste et rationnel de la souveraineté, de l’administration des ressources et du bien de la communauté, se développent sur un terrain politique commun.
29Dans la même direction vont les thèmes abordés par un traité franciscain écrit autour de 1390 et attribué tout au long du xve siècle à Eiximenis, la Doctrina compendiosa de vivre justament e de regir qualsevol offici publich lealment e diligent [44]. Il s’agit d’un texte important en raison de sa circulation dans les cours aragonaises et de sa présence dans les bibliothèques des classes dirigeantes et marchandes de l’aire catalane [45]. Dans cette œuvre, l’équivalence déjà présente dans la littérature patristique entre bien commun et bien divin constitue l’exemple fondateur d’un véritable code de bon comportement, un manuel de la juste administration destiné à tous les fonctionnaires publics et à tous ceux qui ont des responsabilités institutionnelles.
30Considérée en tant que fondement de la communauté politique et civile, la primauté du bien commun traduit le principe suprême de la caritas dans la bonne administration de la res publica. Cette caritas juste et unique (« una caritat ») réunit en elle-même toutes les formes de charité privées et familiales qui répondent aux nécessités d’individus ou de groupes particuliers, en les dépassant [46]. Mais cette éthique du service à la communauté (« lo servey de la comunitat aprofita a aquella ») [47] dérivant de la tradition cicéronienne et de la lecture d’Augustin et de Grégoire le Grand, se fonde sur le couple justicia-caritas [48], une charité juste et droite dérivée du commandement évangélique de l’amour envers le prochain : « Amar lo proisme axi com si matex es acte de justicia ». Ceci est le titre d’un chapitre fondamental du traité, propédeutique à sa partie pratique. On y trouve exposée une interprétation calculée de ce commandement, rendue par la phrase « comme toi-même » qui traduit l’expression « sicut teipsum » qu’on trouve dans Mt 22, 39 et Rm 13, 9 passage important surtout en raison de son contexte politique. De cette manière, l’acte charitable se trouve défini comme un acte d’égalité entre les membres de la communauté politique (cives) : la charité impose aux citoyens d’agir les uns envers les autres comme s’ils agissaient envers eux mêmes, et pas seulement de faire pour les autres exactement ce que chacun ferait pour soi-même [49].
31En outre, la virtus charitable déclinée ici en acte politique et civil pour la « comuna utilitat » se caractérise comme un comportement respectueux de la justice, celle-ci étant définie quelques pages plus haut « literalment e moral » comme la « virtut conservadora de humana companya e de comun profit » qui est « callada avinença de natura » agissant « en aiuda de molts » et « ferma e perpetual voluntat donant a cascun son dret », selon une perspective juridique romaniste [50]. Ce texte renvoie avec précision aux arguments du chapitre XII du Regiment de la cosa publica de Eiximenis, où la justice est considérée comme principe fondateur de la communauté politique [51]. Cette conception de la justice s’exprime également dans la représentation de la tâche des consuls de la civitas des marchands, dans le retable du Consulat de la Mer de Perpignan (xve siècle).
IV – Se soucier du cœur du sujet. L’administration rationnelle de la fiscalité et la protection de la monnaie-bien commun pour garantir la crédibilité du marché
32Dans les ouvrages cités jusqu’à présent, il est possible de remarquer une attention constante à la légitimité et au bon usage du patrimoine de la res publica. Dans ce contexte, un rapport étroit s’établit entre la bonne fiscalité du souverain et la confiance des cives-marchands dans le marché et la chose publique. Carafa est explicite et tranchant sur ce point important : « Exiger des impôts sans savoir les administrer, ou en les dépensant irrationnellement, te ruine, on le sait bien, toi qui exiges cet argent, mais ruine aussi celui qui doit te le payer, lui qui n’a aucune responsabilité dans la mauvaise gestion de l’argent public. En réalité, il est peut-être tout à fait capable de bien administrer son propre patrimoine, mais il se voit appauvri à cause de ces impôts-là. Avec quel regret et quel manque de confiance et c’est bien compréhensible jugera-t-il de tout cela ! Tous ces inconvénients [de nature économique et politique] peuvent cesser si le Rector établit qu’il peut vivre du sien. Une telle attitude du seigneur peut être reconnue par tous les citoyens et de cette manière chacun pourra se mobiliser [dans son activité productive] et ne sera plus contraint de cacher ses richesses comme cela arrive parfois pour éviter de se voir imposer par le souverain de donner ses biens [sous forme de prêts ou d’impôts]. Cette position éclairée du souverain sera un facteur de croissance et de développement des richesses pour tous ses sujets » [52].
33On retrouve dans les œuvres d’Eiximenis cette même attention portée à la confiance et à la crédibilité communautaires fondatrices de la res publica et du marché, deux notions exprimées dans la langue de Carafa par l’image du cœur (core) du civis tourné vers le souverain et son administration de l’argent public. Dans son texte politique et constitutionnel pour le Royaume de Valencia, Eiximenis affirme le devoir d’expulser de la communauté tous ceux qui mettent en péril la confiance dans le marché des marchandises et de l’argent à cause de leurs pratiques douteuses. Celles-ci détruisent le capital de crédibilité publique qui rend l’agora fréquentable par tous les cives et particulièrement attractive. Au centre de sa réflexion il n’y a pas de place pour un jugement moral sur ces comportements. On y aperçoit plutôt la pleine conscience du risque engendré par une perte de confiance dans le bien commun, qui entraînerait tout un chacun à privilégier son bien privé en interrompant la circulation des richesses profitable au bien de la res publica [53]. Dans les mesures législatives du roi Alphonse, cette attention se traduit littéralement dans le devoir de garantir la justice et la sécurité des échanges [54].
34Quatre-vingt années avant Eiximenis (vers 1383-84) et quelques décennies avant Oresme (vers 1355-59 [55]), Arnaud de Villeneuve écrit aux souverains Frédéric de Sicile et Jacques II de Catalogne pour les inviter à réfléchir sur la devise du royaume et sur les politiques monétaires de la monarchie. Ces lettres procèdent d’une conception de la communauté civile qui est en même temps une communauté de marché, représentée et légitimée par Eiximenis comme le « bien de Jésus Christ ».
35En se penchant sur les dévaluations injustifiées de la monnaie, Arnaud développe des arguments sans ambiguïté : on n’a jamais vu découler d’une telle politique un quelconque profit pour la publica utilitas ni un gain personnel pour un individu (« Numquam enim per adulterium monete publica utilitas promovetur nec alicui affert lucrum »). En outre, le droit de procéder à la diminution du titre de la monnaie en circulation, en dehors de la procédure publique, est absolument nié au souverain.
36De son côté, Eiximenis réfléchit sur la valeur et sur la fonction de la monnaie. Il insiste sur l’importance de garantir une agora loyale pour les échanges, un marché de la res publica, où les règles des contrats et la crédibilité entre associés soient des valeurs irremplaçables, les fondements authentiques de la force politique et institutionnelle des res publicae accueillant ces marchés, tout comme la confiance dans la monnaie [56]. Au cœur de cette section du discours, l’importance de la monnaie comme paradigme de la communauté politique s’affirme grâce à la construction et à la défense de la crédibilité des marchands garantissant aussi la structure politico-institutionnelle de la res publica. De même que dans le texte d’Arnaud de Villeneuve, le titre de la monnaie et sa correspondance avec la valeur déclarée constituent deux éléments nécessaires de la légalité de l’institution. Ils sont la mesure, pour ainsi dire, du taux de fidélité que le souverain offre à la communauté politique à l’intérieur d’un discours fondé sur un principe de réciprocité déployant ses effets à la fois dans le domaine civil et économique.
37Cette attention à la valeur fiduciaire du cours légal de la monnaie se retrouve traduit en termes juridico-administratifs dans la constitution XII édictée par le roi Martin Ier d’Aragon, par Martin de Sicile et par la reine Marie, épouse de Martin le Jeune [57], et dans le chapitre L édicté par le roi Martin de Sicile le 1er juin 1400 [58]. Le 23 octobre 1446, Alphonse le Magnanime s’attaque à réprimer la falsification monétaire, la frappe illégale et tout autre altération de la monnaie circulant dans les Regna de la couronne. Ces délits ne sont pas simplement punis en tant que délits publics, mais comme un crime de lèse-majesté (crimen laesae Majestatis) [59]. Dans ce contexte politique et culturel, ainsi que lexical, cette mesure ne peut être vue simplement comme une remise à jour d’un texte législatif déjà présent dans les Constitutions de Frédéric II des années 1231-1246 [60]. Déjà définie aux temps de la république romaine et codifiée plus tard par Théodose [61], cette typologie pénale avait été reprise à l’époque normande par Roger en 1140 puis renouvelée par les législations d’époque angevine [62]. Elle n’a pas été pour autant l’objet de mesure législative aragonaise dans les territoires insulaires et péninsulaires dans la période qui précède Alphonse le Magnanime [63]. Le choix du souverain a donc une valeur juridique et politique bien déterminée : il ne se présente pas comme une simple adhésion à une tradition législative préexistante remontant à l’époque normande puis à la période angevine. Du point de vue de sa dimension politique tant théorique que pratique, la mesure d’Alphonse ne peut pas être tenue pour équivalente à celle des législations émanées des précédentes dynasties de Sicile et de Naples, et cela pour quatre raisons au moins : le contexte linguistique et culturel dans lequel cette norme s’affirme ; la structure économique et sociale de la koinè catalano-aragonaise ; la conception de la souveraineté et les critères de choix relatifs à la politique économique adoptés par le monarque à l’intérieur d’une tradition de longue durée, telle qu’elle est documentée par les textes considérés ici.
38Quelques décennies après les mesures du roi Alphonse, les versions latines des Devoirs de Carafa rapportent une partie perdue du texte en langue vulgaire où l’auteur réfléchit à la valeur de la monnaie en générale et aux fonctions de garant public du souverain en tant que protecteur de l’utilitas subditorum [64]. Sur la base de son expérience personnelle auprès des magistratures comptables de la Couronne, le Napolitain est convaincu du fait qu’une crise fiduciaire parmi les acteurs du marché est un risque qu’il faut absolument éviter et souligne le danger en particulier pour les monnaies de valeur moindre en accord en cela avec le texte royal de 1446, très clair à ce sujet. Ces arguments sont avancés en raison de la sauvegarde du bien commun constitué par la valeur matérielle des monnaies aussi bien que par la valeur immatérielle de la crédibilité du marché et de son moyen d’échange : « Si quis autem princeps signando aere lucrari voluerit magno detrimento populares afficiet et cum his conferri posse videbitur, qui ut quotidie aliquid acquirant de ordeo equis suis demunt, nec intelligunt ipsorum periculo eos macescere » [65]. Au prince n’est donc pas permis de frapper des monnaies de cuivre en altérant leur valeur car sa « raison », son intérêt ne peut que se plier au bien plus haut, le bien commun. Plus d’un siècle et demi plus tôt, en s’insérant dans la même perspective, Arnaud de Villeneuve, laïc franciscain, avait affirmé que le prince coupable de ce délit contre la communauté devient pour cette seule raison un tyran [66].
V – Le lieu du bonheur, la valeur du bien commun
39Pour conclure notre examen de ce dossier de textes écrits par les milieux dirigeants et circulant auprès des cours de la Méditerranée occidentale, une donnée fondamentale émerge au cœur de l’histoire de la formation des langages et des théories politiques entre le bas Moyen Âge et l’époque moderne. Toutes ces œuvres apparaissent en effet constituées par un fond lexical et conceptuel dérivant d’une relecture scolastique des théories éthico-politiques d’Aristote et de l’exégèse pluriséculaire des textes théologico-politiques augustiniens. Le tissu linguistique et argumentatif est tressé avec le fil du raisonnement moral et brodé avec l’aiguille d’une tradition textuelle qui passe de façon obligée, mais non exclusive, par l’exégèse des textes aristotéliciens d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin.
40On peut toutefois remarquer dans ces textes l’absence d’un objectif final absence significative pour l’histoire longue de la littérature politique. Aucun d’eux ne fixe comme but de la communauté politique le bonheur de ses membres [67], même dans les parties consacrées à des raisonnements d’ordre éthique [68]. Les res publicae, les souverains et les potentiae n’ont pas une tâche d’ordre métaphysique, mais ils ont le devoir de construire un bien-être satisfaisant du point de vue civique, qui peut être mesuré et augmenté, dont le présupposé et la finalité ont une dimension humaine. Cette tâche se traduit dans la réalisation pragmatique de ce qui est possible, dans une perspective marquée par une justicia et une caritas à l’allure politique. Cet objectif va bien au-delà de la paix, de la concorde, de la sécurité ou de l’autonomie économique des communautés définies par la tradition textuelle augustiniano-thomiste qui arrive au moins jusqu’à Remigio de’ Girolami. À la politique et à la vie civile incombe d’un point de vue professionnel [69] la charge de construire un bien-être matériel diffus permettant à chacun d’avoir les moyens pour vivre paisiblement et sereinement dans la civitas dont il est sujet et membre.
41Dans ce contexte, une autre absence s’explique, par rapport aux textes d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin : le bien commun en tant que bien matériel et le bien commun en tant que bonté morale ne sont pas hiérarchisés et ne se distinguent pas véritablement d’un point de vue éthique et politique. Il ne s’agit pas d’un agnosticisme privé de valeurs. Nos auteurs affirment plutôt une coïncidence d’intérêt entre ce qui est moralement bon et ce qui est avantageux et profitable [70] pour la res publica.
Notes
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[1]
Paolo Evangelisti est docteur en histoire médiévale à l’Université de Trieste. Texte traduit de l’italien par Valentina Toneatto.
-
[2]
M. S. Kempshall, The Common Good in Late Medieval Political Thought, Oxford, 1999, p. 7.
-
[3]
Parmi les œuvres politiques d’Eiximenis analysées dans cet article, le Regiment de la cosa pública (RCP), le Dotzè del Crestià et la Doctrina compendiosa (DC) ont largement circulé non seulement dans les cours et chez les souverains qui en sont les destinataires, mais aussi auprès des marchands, des entrepreneurs et des juristes de Catalogne. Récemment J. Hernando i Delgado a publié des testaments, des inventaires post mortem et des livres d’achats du xve siècle, tirés des archives de la ville de Barcelone (Archives historiques des protocoles, de la ville et de la cathédrale) et concernant les actes entre personnes privées (J. Hernando i Delgado, Obres de Francesc Eiximenis en biblioteques privades de la Barcelona del segle XV, in ATCA 26 (2007), p. 385-568) : sur 119 actes analysés, le Regiment était possédé par des marchands et des hommes de la cour (3 % du total), le Dotzé par des marchands, des chevaliers, des messagers du roi, des couturiers, des apothicaires, des libraires, des hommes de la cour, de juristes (11 % du total), la Doctrina par des marchands, des argentiers, des fabricants d’éperons, des chanoines, des juristes et des notaires, des chevaliers, des jeunes nobles non encore armés (donzell) et par des citoyens de Barcelone (10 % du total). Les œuvres d’Eiximenis étaient aussi possédées ou achetées par des professionnels du crédit et de la médiation financière, en dehors des fonctionnaires de l’administration du fisc royal (il s’agit de 5 % supplémentaire des actes notariés considérés). Sur les 119 actes, les exemplaires de la Doctrina s’élèvent à 12, dont 5 attribués par les documents à Eiximenis en personne ; les exemplaires du Dotzé s’élèvent à 9 dont 4 contiennent le Regiment dels princeps et/ou de la ciutat (un autre titre désignant le Regiment de la cosa pública) tandis que l’on retrouve un seul exemplaire isolé du Regiment plus les quatre incorporés dans le Dotzè. Pour une analyse de la typologie des actes d’où sont tirés ces données, voir Hernando i Delgado, Obres, p. 390-391.
-
[4]
Ce propos qui a donné naissance à l’œuvre est explicité dans l’incipit et il se retrouve tout au long du texte : cf. D. Carafa, I doveri, dans Id., Memoriali, éd. A. Lupis, Rome, 1988, p. 97-209, en particulier : p. 141, p. 159, p. 163, p. 195, dans les versions latines ; cf. en outre p. 200.
-
[5]
I doveri, p. 153.
-
[6]
Cette expression propre à la littérature politique ne se trouve pas dans les œuvres de Carafa, mais elle exprime parfaitement le sens et la finalité de ses consilia pour le gouvernement de la res publica et pour le souverain ou « la potentia » chargés d’administrer « les choses de l’état » (le cose de stato) ; pour cette expression, cf. I doveri, p. 149.
-
[7]
I doveri, p. 151-167.
-
[8]
Il s’agit de tout le reste de l’œuvre, à savoir environ un tiers du texte ; cf. I doveri, p. 167-199.
-
[9]
I doveri, p. 149.
-
[10]
Le programme iconographique et pédagogique du retable de Perpignan a été achevé seulement à treize années d’écart de l’œuvre de Carafa. Il est l’expression, on le verra, d’une tradition éthico-politique largement enracinée dans la littérature de consilia catalano-aragonaise du xive et du xve siècle. Pour une analyse du retable voir : J. Molina i Figueras, Espacio e imagen de la Justicia. Lecturas en torno al retablo del Consulado del Mar de Perpiñan, in Locus Amoenus, 3 (1997), p. 51-66.
-
[11]
L’édition critique du texte en vulgaire a relevé une seule citation : un passage vétérotestamentaire appuyant cette image légitimante du Christ (Eccl. 7, 17) ; d’ailleurs, les deux versions latines offrent seulement trois autres citations tirées de Térence, de Suétone et d’Horace (selon la version de Colantonio Lentulo) et de Terence et Ennius (selon la version de Battista Guarino).
-
[12]
I doveri, p. 159.
-
[13]
I doveri, p. 165 : « beato chy è iustifico, che guadagna quisto mundo et l’altro, et chy altramente le perde ambedoye ».
-
[14]
I doveri, p. 171 : « Le comportement de celui qui ne sait pas utiliser avec compétence ce qu’il possède (saza usare quello che have) et qui le garde pour soi sans le dépenser (retine dallo spendere) pour des choses justes et nécessaires (cose iuste e necessarie), provoque le courroux de Dieu (ira di Dio). De cette manière, en ayant l’argent pour idole, il devient plutôt l’esclave du diable (schyavo del dyavolo con l’idoli et de li dinari).
-
[15]
« Nam secundum eum [Thomas d’Aquin], qui haec non attendunt, iram Dei expectant, cum non principaliter ad sui utilitatem constituti sint, sed ad populorum utilitatem », dans R. Delle Donne, Regis servitium nostra mercatura. Culture e linguaggi della fiscalità nella Napoli aragonese, consultable à l’adresse : http://www.fedoa.unina.it/1125/1/Delle_Donne_Regis_servitium.pdf., p. 138.
-
[16]
I doveri, p. 173.
-
[17]
Cf. I. I. Pontani, De Magnanimitate, éd. F. Tateo, Florence, 1969, I, XIV, p. 18. Nous avons privilégié l’analyse de cette œuvre car elle constitue un résumé de la conception éthico-politique et de la démarche de consilia de Giovanni Pontano. Je n’ai pas eu la possibilité de procéder à une confrontation systématique entre le texte cité, le De Immanitate et le De Prudentia. Seule une telle étude pourrait offrir une vision exhaustive sur la pensée et le langage politique de l’humaniste.
-
[18]
I doveri, p. 167 : « bene administrare ».
-
[19]
I doveri, p. 195.
-
[20]
I doveri, p. 183 : « La mercantia né vole né vale aspectare che te vada prima trovando o ad vendere o ad comprare ; sì che lo Signore che fa industria, li soy subditi no la potino fare, et per uno che ipso Signore guadagna, nde fa perdere cento ad soy subditi ».
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[21]
Un tiers du Proemium est composé par la transcription de blocs textuels repris directement de la Summa Theologiae IIa-IIae, q. 58, a. 1 ad 5, dal Super Epistolam B. Pauli ad Romanos lectura, cap. 13, lectio 1, et, indirectement, de l’œuvre intitulée De regno ad regem Cypry, I, 8.
-
[22]
Appendice à R. Delle Donne, Regis servitium, p. 135, voir aussi la conclusion du Proemium : « non enim Dominus Reges Principes condemnat, sed male regimine utentes et ad sui proprium utilitatem non populi intendentes », ibid., p. 139 ; voir aussi le passage de Thomas d’Aquin repris p. 137.
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[23]
I doveri, voir en particulier les passages très amples des deux versions latines, p. 200, 202.
-
[24]
I doveri, p. 175, 177.
-
[25]
I doveri, p. 175, 177, 183. À propos du rapport entre le bien de la res publica et le bien juridico-économique qu’il faut protéger et qui dérive des prêts en faveur de la res publica et plus généralement des censals, il est nécessaire de se tourner vers la mesure d’Alphonse le Magnanime, publiée le 20 octobre 1452. Le texte se trouve dans : Capitula Regni Siciliae, I, Soveria Mannelli 1999, reproduction anastatique de l’éd. F. M. Testa, Palerme, 1741, p. 326-330, voir en particulier p. 328-329, ainsi que l’œuvre antérieure de F. Eiximenis, El “Tractat d’Usura“ de Francesc Eiximenis, éd. J. Hernando i Delgado, Barcelone, 1985, texte, p. 30-96.
-
[26]
I doveri, p. 195.
-
[27]
I doveri, p. 192 et 194-195 : « Quilli so’disposti a la mercantia persuaderli, fagorirencili et, possendo, aiutarle, ché lo paese dove so’ mercatanti non solamente stanno bene, ma fanno stare habundante dicto paese, etiam de le cose, loro non havino. Et questa parte de la mercantia èi cosa da delectarence bene… se volino fagorizare li vostri e no sulo animarli, ma, fine incomenzano ad gustare la utilità, aiutarli [le texte de Guarino traduit avec précision : “Laborandum est igitur, ut apud tuos is fructus maneat, etiam si opus fuerit, quoad lucri dulcedinem gustaverint, eos tua ope foveri atque sustentari”] e la Maiestà del signore Re vostro patre lo fa notabilmente, che have facte de le nave e galiaze per una gran quantità de dinari et date quele ad soy subditi senza nulla utilità de sua Maiestà, altro che loro se travaglyano et ultra darli dicte nave… franche… fine alla vela, anco soa Maiestà li dà in credenza ad soy subditi de le cose le prevenino per le mano como allume coctione, frumenti tracte… et certo de cqui ad poco se vedrà lo fructo consequito per ordine de dicta Maiestà solo per lo benefitio de soy subditi ».
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[28]
RCP, chap. 33, p. 167-169.
-
[29]
RCP, chap. 34, p. 169-170
-
[30]
RCP, chap. 33-34, p. 167-170, voir aussi le chapitre 194 du Dotzè d’Eiximenis, pour le texte cf. Evangelisti, I Francescani e la costruzione di uno Stato, Linguaggi politici, valori, identitari, progetti di governo in area catalano-aragonese, Padova, 2006, p. 196 et note.
-
[31]
Voir par exemple RCP, chap. 33-34, p. 167-170. Sur les visées productives et expansionnistes du Royaume de Valence dans le projet politique écrit pas Eiximenis, voir en particulier RCP, Lettre de dédicace, p. 15-39.
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[32]
F. Eiximenis, Dotzè Llibre del Crestià, II.1, éd. C. Wittlin et al., Girona, 1986, p. 439-440 et, plus largement, chap. 635-650, ibid., p. 404-446.
-
[33]
F. Eiximenis, Dotzè Llibre del Crestià, II.1, p. 439-440.
-
[34]
Cette conception est largement attestée aussi dans les plus anciens textes de Raymond Llull, destinés aux souverains et à la construction d’une éthique civile de la communauté catalano-aragonaise. Concernant ces aspects je me permets de renvoyer à P. Evangelisti, I francescani e la costruzione di uno Stato…, op. cit., p. 30-93 ; Id., Christus est proximus noster. Costruzione dell’identità comunitaria e definizione delle infidelitates in Arnau de Vilanova e Ramon Llull, in Studia Lulliana 45-46 (2005-2006), p. 39-70, voir en particulier p. 59-67.
-
[35]
Capitula Regni Siciliae, I, Soveria Mannelli 1999, reproduction anastatique de l’éd. de F. M. Testa, Palerme, 1741, p. 147.
-
[36]
Capitula Regni Siciliae, I, p. 215.
-
[37]
I doveri, p. 197 : « Cossì anche la Maiestà sua have facto adponere l’arte de la lana, che è stata volta have tenuto prestati ad persune fanno dicta arte de li ducati trecento senza utilità nissiuna, solo perchè se industriano li subditi soy. Et cossì anco sua Maestà li exercita in diverse cose de soe intrate et se contenta che quilli guadagnano… ».
-
[38]
I doveri, p. 181, 183 : « Non èi cosa laudabile li Signuri farno industria… ché la vera industria del bon Signore è bene administrare soe intrate iuste et le industrie far fare ad soi subditi et aiutarencili, ché… le industrie fanno arricchire li subditi quando le fanno lloro, ma, quando lo Signore loro le fa, non èi possibile ipsi nde possano fare et si nde fanno èi ragionevole de perdere… ».
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[39]
Cf. à ce propos : G. Todeschini, « Le “bien commun” de la civitas christiana dans la tradition textuelle franciscaine (xiiie-xve siècle) », dans Politique et religion en Méditerranée, Paris 2008, p. 265-303 ; P. Evangelisti, I francescani e la costruzione di uno Stato ; Id., « Metafore e icone costitutive del discorso politico francescano tra Napoli e Valencia (xiii-xv s.) », dans Studi storici 47 (2006), p. 1059-1106 ; Id., Francescana (Scuola francescana di economia), dans Dizionario di economia civile, sous la dir. de S. Zamagni et L. Bruni, Rome, 2009, p. 424-443.
-
[40]
Le texte original a été conservé dans un parchemin de Philippe dans AHM, Rosselló Nou, f.106v-109v ; il est édité par A. Santamaría, Tensión Corona de Aragón Corona de Mallorca. La sucesión de Mallorca (1318- 1326), dans Estudios en memoria del Profesor D. Salvador Moxó, Madrid, 1982, II, p. 423-496, p. 488-489 ; sur Philippe de Majorque je me permets de renvoyer à P. Evangelisti, Relazioni di potere ed etiche per il potere. Clareno, Filippo di Maiorca e la testualità politica francescana catalano-aragonese, dans Angelo Clareno francescano, Atti del XXXIV Convegno internazionale, Assisi, 5-7 ottobre 2006, Spolète, 2007, p. 317-376.
-
[41]
« Enteses les llibertats e franqueses del regne de Mallorques a vos… atorgades, e sobre açó nos estants remembrans daquella paraula que tant que més resplandesques que la flor e caritat no ayes no és res, nos affectants aquella universitat ab sencera caritat tractam aconseguir [ed] efectualmente complir, com sguarden utilitat e conservació e bon regiment del dit regne », dans A. Santamaría, Tensión Corona de Aragón, p. 489. Le passage est placé en conclusion du préambule programmatique et constitutionnel, objet du serment et pourvu du sceau du tuteur de Jacques III.
-
[42]
Un ouvrage fondamental concernant ces thèmes philosophiques, juridiques et politiques : J. Krynen, L’Empire du roi. Idée et croyances politiques en France xiii e-xv e siècles, Paris, 1993, en particulier p. 185-189.
-
[43]
« quan així han amada la carn e avorit Déu e lo bé comun… troben-se en la mort enganats, pobres e nuus… en aital disposició que no els ajuden los mèrits de nenguna comunitat, ço es, ne del cel ne de la terra ne encara de Jesucrist… com tu sies membre tallat del seu cos místic, que és la comunitat dels feels crestians » ; RCP, chap. 38, p. 181-182.
-
[44]
La première édition imprimée sort à Barcelone en 1509. L’attribution à frère Eiximenis est attestée, par exemple, dans les exemplaires en circulation à Barcelone entre 1420 et 1471, comme il ressort des testaments contenant des inventaires de livres, publiés par J. Hernando i Delgado, Obres, p. 445-446, 459-460, 467-468, 506-507.
-
[45]
Cf. par exemple le recueil manuscrit du xive siècle, conservé à la bibliothèque nationale de Madrid, ms. 10265, ff. 79-107, possédé vers la moitié du xve siècle par le marquis de Santillana, Iñigo López de Mendoza et successivement par la famille des comtes de Osuna, cf. catalogue des mss. de la BNE ; une copie de la Doctrina compendiosa est présent à la bibliothèque royale aragonaise de Naples déjà dans la première moitié du xve siècle, cf. T. De Marinis, La biblioteca napoletana dei re d’Aragona, Supplément, t. I, Vérone 1969, p. 258 ; d’après les testaments de Barcelone (xve s.), au moins douze personnes parmi des marchands, des argentiers, des couturiers, des notaires, des hommes de droit, des prêtres de la ville auraient possédé la Doctrina (cf. Hernando i Delgado, Obres, p. 393-399 et, pour les document, p. 434-555).
-
[46]
DC, Segona partida, chap. 16, p. 219-220.
-
[47]
DC, Segona partida, chap. 16, p. 222.
-
[48]
Cf. par exemple. DC, Primera partida, chap. 5, p. 152.
-
[49]
DC, Primera partida, chap. 8, p. 155-156, mais la succession des chap. 9-12 est aussi essentielle, voir p. 156-163.
-
[50]
DC, Primera partida, chap. 5, p. 152. Dans certaines affirmations de la Doctrina, il est possible de saisir la valeur civique de la justice, là où la caritat, c’est-à-dire l’amour envers le prochain et l’amour envers Dieu sont définis comme des « actes de justice » ; dans ce sens on peut mesurer pleinement la prééminence de Justicia, cf. DC, Primera partida, chap. 6-8, p. 153-157.
-
[51]
RCP, chap. XII, p. 81-85.
-
[52]
I doveri, p. 175, 177 : « Domandare per non sapere ordinare et dispendere dissordinatamente, bene se conosce che disfai te che domandi et anco voliti disfare chy non ce ha colpa, cioè che voy dispendere de li dinari de quillo o de quella, che talvolta sarrà bene ordinato alle cose et spendere suo, per lo quale ordine have facultà che li vale poco, se quello se reserva lo perde per via de imprumpto, chè si lui have talvolta patuto per avanzare de soe intratuze et vede poy perdirlo per tal via, potiti pensare che core sarà lo suo. Tutti quisti inconvenienti cessano quando lo Signore se ordina ch’el suo li basta. Et vedendose per soy subditi lor Signore essere de tal natura, omne uno se sforzerà in aiutare et non temere havere de mostrare loro facultà, como talvolta celano, per non li essere da lor Signore domandati ; et vene ad essere causa de arricchire dicti soy subditi… ».
-
[53]
RCP, chap. 36, p. 173-174, voir aussi RCP, chap. 39, p. 183-186. Eiximenis affirme que toute déloyauté envers la chose publique est interdite par Jésus Christ. Pour cette raison, l’être chrétien est pour l’homme la meilleure garantie pour bien vivre politiquement en société (cf. RCP, chap. 3, p. 45-48 et 14, p. 92-95).
-
[54]
Parmi les nombreux capitula et privilèges édictés par le roi Alphonse pour garantir la crédibilité et la confiance dans le marché, on peut lire la partie du chap. CCCLXXIV, daté du 23 octobre 1446 : « Item peroche alcuni Citati, Terri, et lochi delo Regno hanno privilegio de affidare debitori ; per lo quale privilegio multi baracterie, et fraudi si comictino in quillo Regno in prejuditio deli creditori ; taliter che non si po securamente contrahire, et justitia impeditur... » (Capitula Regni Siciliae, I, p. 343).
-
[55]
Certaines études circonscrivent la datation aux années 1357-1358, cf. O. Langholm, Wealth and Money in the Aristotelian Tradition, Oslo 1983, p. 101.
-
[56]
F. Eiximenis, Dotzè Llibre del Crestià, I.1, éd. X. Renedo, Girone, 2005, chap. 140, p. 305. On peut confronter utilement ce passage d’Eiximenis, les chapitres 635-650 de cette œuvre et le chapitre 34 du Regiment (concernant la figure idéale du souverain en tant que promoteur de l’activité mercantile) avec les positions de Thomas d’Aquin sur la monnaie et sur la fonction limitée des activités marchandes et de la valeur du commerce des biens et de l’argent dans les villes et les communautés civiles (cf. Thomas d’Aquin, De Regno, II.7 ; Id., In decem libros Eyhicorum Aristotelis ad Nicomachum, expositio V, lect. 9, 978-991 ; Id., In libros Politicorum Aristotelis, expositio I, lect. 7, 111-121).
-
[57]
Capitula Regni Siciliae, I, chap. XLIII, p. 156-157.
-
[58]
Capitula Regni Siciliae, I, p. 162-163.
-
[59]
Capitula Regni Siciliae, I, chap. CLXIX, p. 256-257.
-
[60]
Constitutionum Regni Siciliarum, I, Soveria Mannelli, 1999, réimpression anastatique de l’éd. A. Cervone, Naples 1773, lib. III, tituli LXII-LXIII avec gloses, p. 417 a et b. Les gloses d’André d’Isernia et des iurisperiti qui l’ont précédé et qui lui ont succédé rendent compte de la tradition classique et lombarde bien connue par les commentateurs. Le titulo LXII (sur la falsification de la monnaie) et le titulo suivant (sur la rasure des monnaies d’or et d’argent) sont attribués à la législation de Roger. Dans le texte d’Alphonse manque toute référence à d’autres mesures adoptées par ses prédécesseurs aragonais.
-
[61]
L’occurrence la plus ancienne est la lex Cornelia, de falsis, de l’année 81 a. C., perdue mais analysée par les commentateurs d’époque républicaine et impériale ; la codification de Théodose publiée le 15 février 438 (livre 9, titres 21-23) est reçue par le Code de Justinien (9.42.2) et par le Digeste (48.10.9). Une base de départ utile est Ph. Grierson, The Roman Law of Counterfeiting, in Essays in Roman Coinage presented to Harold Mattingly, éd. R.A. G. Carson et C.H. V. Sutherland, Oxford, 1956, p. 240-261.
-
[62]
La législation sur la peine pour la falsification des monnaies émanée par Roger à Ariano et accueillie par Frédéric, a été reprise par Charles d’Anjou dans un capitulum émané à Brindisi en janvier 1281. Ce texte a été renouvelé par Charles II et par le roi Robert, cf. Capitula Regni Utriusque Siciliae. Ritus Magnae Curiae Vicariae et Pragmaticae, II, sous la dir. de A. Romano, Soveria Mannelli, 1999, réimpression anastatique de l’éd. A. Cervone, Napoli, 1773, p. 25 a et b avec glosses.
-
[63]
Voir la collection de mesures émanées au cours de la période qui va de Jacques Ier à Ferdinand Ier, dans les Capitula Regni Siciliae, I, e Capitula Regni Utriusque Siciliae. Ritus Magnae Curiae Vicariae et Pragmaticae, II.
-
[64]
I doveri, p. 200 e 202.
-
[65]
I doveri, p. 202.
-
[66]
Cf. P. Evangelisti, « Mercato e moneta nella costruzione francescana dell’identità politica (Relazione al seminario “Forme di razionalità economica medievale” dell’Istituto storico italiano per il Medioevo, Roma, 14 novembre 2005) », dans Reti Medievali - Rivista, VII/1 (2006), http://www.dssg.unifi.it/_RM/rivista/saggi/Evangelisti.htm.
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[67]
Pour les références les plus importantes sur lesquelles se fonde la définition du bonheur comme but final de la communauté politique, voir l’Aristote latin, Politicorum Libri Octo, VII.2, p. 632-633, III.4, p. 231, VII.13, p. 719 VIII.1, p. 756, dans Albertus Magnus, Opera Omnia, Paris, 1891 ; pour Thomas d’Aquin je renvoie aux analyses de Kempshall, The Common Good, en particulier p. 77, 79, 100. Cf. l’un des nombreux exemples contemporains à Carafa, I. I. Pontani, De Magnanimitate, I.XLIII, p. 58 ; Id., Ad Alfonsum Calabriae Ducem De Principe Liber, dans Prosatori latini del Quattrocento, Turin, 1977 (Ire éd. Milan-Naples, 1952), VIII, p. 1040.
-
[68]
À titre d’exemple, il est possible de consulter les premiers chapitres des Devoirs de Carafa, la première partie de la Doctrina Compendiosa, la lettre de dédicace et les chapitres 18-19 du Regiment d’Eiximenis.
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[69]
En plus des nombreux renvois à la raison et à la compétence cités par Carafa, on peut rappeler la genèse du texte de la Doctrina compendiosa et l’invitation à la « diligente habileté dans le gouvernement » qu’Eiximenis rappelle constamment dans son Regiment déjà à partir de la lettre de dédicace placée en ouverture.
-
[70]
Cf. entre autres RCP, chap. 13, 33, 34, p. 86-92, 167-170.