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Article de revue

Les figures organiques de la légitimité dans la doctrine constitutionnelle de Montesquieu

Pages 3 à 75

Notes

  • [1]
    Sébastien Roland est professeur de droit public à l'Université Clermont-Ferrand I.
  • [2]
    In uvres complètes, Seuil, 1964, préface de Georges Vedel, p. 453.
  • [3]
    Gicquel J., Droit constitutionnel et institutions politiques, 18e éd., Montchrestien, coll. Domat, 2002, p. 108.
  • [4]
    Pactet P., Institutions politiques et droit constitutionnel, 21e éd., Armand Colin, coll. U, 2002, p. 111.
  • [5]
    Brethe de la Gressaye J., « Montesquieu fondateur du droit public moderne », in Mélanges en l'honneur de M. Stassinopoulos, LGDJ, 1974, p. 347-362. Voir également Puget H., « L'apport de L'Esprit des lois à la science politique et au droit public », in La pensée constitutionnelle de Montesquieu, Bicentenaire de L'Esprit des lois, Sirey, 1952, p. 25-38.
  • [6]
    Seignobos C., Études de politique et d'histoire, PUF, 1934, reprise d'un article paru dans le Journal de psychologie, n. 6-7, 15 juin-15 juillet 1920.
  • [7]
    « Montesquieu n'est pas à mes yeux un précurseur, mais un des doctrinaires de la sociologie », Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, coll. Tel, 1967, p. 27.
  • [8]
    « C'est une vérité reçue de déclarer Montesquieu le fondateur de la science politique », Althusser L., Montesquieu, la politique et l'histoire, PUF, coll. Quadrige, 1959, p. 11 (souligné par l'auteur).
  • [9]
    « En ce qu'il observe principalement dans le droit sa variabilité, Montesquieu est donc le premier anthropologue du droit de l'époque moderne », Rouland N., Anthropologie juridique, PUF, coll. Droit fondamental, 1988, p. 49.
  • [10]
    Selon la formule de Georges Burdeau qui, on le sait, s'efforcera pourtant de proposer une typologie renouvelée des fonctions étatiques, in « Remarques sur la classification des fonctions étatiques », RDP 1945, p. 204.
  • [11]
    S'agissant en premier lieu des classifications dualiste et trialiste, le texte de Montesquieu n'est pas dénué d'ambiguïté puisqu'il distingue « la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil [qu']on appellera [...] la puissance de juger » (Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 4, p. 586). Notons avec le Professeur Olivier Beaud, citant Carré de Malberg, que « la question de savoir si la fonction juridictionnelle doit être considérée comme une "fonction principale" ou une " branche spéciale et partielle de la fonction d'administrer" reste toujours ouverte », in « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », Droits, 2003, no 37, p. 160-161.En second lieu, s'agissant d'une classification quadrialiste, les contributions semblent se limiter à deux auteurs : pour Gérard Bergeron, Montesquieu distingue bien quatre fonctions, à savoir celles de gouvernement, de législation, d'administration et de juridiction, in Tout était dans Montesquieu. Une relecture de L'Esprit des Lois, L'Harmattan, coll. Logiques juridiques, 1996, p. 189 et 193-4 ; M. J.C. Vile retient une interprétation similaire in Constitutionalism and the separation of powers, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. 87.
  • [12]
    C'est à une telle classification que procèdent Grotius et Pufendorf ­ et Burlamaqui en épigone fidèle ­ qui donneront naissance à la théorie des « partes potentiales ». Voir sur ce point Goyard-Fabre S., Philosophie politique xvie-xxe siècles (Modernité et humanisme), PUF, coll. Droit fondamental, 1987, p. 187-189 et Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, LGDJ, 1973, p. 114-115. Voir plus généralement Eisenmann C., « Les fonctions de l'État », in Faure E. & Trotabas L. (dir.), Encyclopédie française, Tome X : l'État, Société Nouvelle de l'Encyclopédie française, 1964, p. 291-311.
  • [13]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, op. cit., p. 115.
  • [14]
    Notons avec Simone Goyard-Fabre, qu'« on invoque souvent l'autorité d'Aristote [...] lorsqu'on parle des « pouvoirs de l'État » ». Or, « en toute rigueur, Aristote parle de délibération (La Politique, livre IV, chapitre XIV, 1298 a) et de commandement (ibid., chapitre XV, 1299 a) », La philosophie du droit de Montesquieu, 2e éd., Klincksieck, 1979, p. 317 note 109.
  • [15]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, op. cit., p. 116.
  • [16]
    On observera cependant que ce point est contesté par le professeur Bacot pour qui Montesquieu n'a conçu « ni la loi comme une source de compétence, ni les actes exécutifs comme des normes d'application particulière des lois » (in « L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », RDP, 1992, p. 638) ; en réalité, « les actes de l'exécutif ne sont pas, pour Montesquieu, des normes d'application des lois à des cas particuliers, même quand ils n'en constituent que la mise en  uvre : ils ont une portée aussi générale que ces lois qu'ils servent éventuellement à exécuter ; en outre ils ne sont pas des normes, mais des actes matériels » (ibid., p. 640) ; dans ces conditions, « ce n'est pas par leur caractère d'application particulière que les actes d'exécution sont distingués de la législation par Montesquieu ; c'est par le fait que ce ne sont pas des normes, mais « des résolutions actives et qui demandent quelque exécution » (L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588) » (ibid.). Cette analyse doit cependant être rapportée à cet autre passage du chapitre 6 du livre XI dans lequel Montesquieu affirme explicitement que « les deux autres pouvoirs », à savoir le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, ne sont « l'un, que la volonté générale, et l'autre, que l'exécution de cette volonté générale », L'Esprit des lois, op. cit., p. 587.
  • [17]
    S'il est vrai que Montesquieu n'a pas explicitement formalisé une telle hiérarchie des fonctions, celle-ci peut être déduite de son système. Et c'est précisément à un tel exercice que se livre Charles Eisenmann, à partir des travaux préalables de Carré de Malberg. Ce dernier, de façon remarquablement paradoxale, a montré dans sa Contribution à la théorie générale de l'État (Sirey, 1922, réimpression CNRS, 1962, tome 2, chapitre quatrième : De la séparation des fonctions entre des organes distincts, p. 1-142) l'impossibilité logique d'une égalité des fonctions, mais sans apercevoir que c'est bien ainsi que Montesquieu a conçu sa doctrine. Il reproche en effet au baron de La Brède d'avoir pensé les trois fonctions législative, exécutive et judiciaire comme égales et souveraines chacune dans leur domaine respectif ; or, du fait de l'unité de l'État, il lui semble impossible d'admettre que la fonction législative soit considérée comme de puissance égale à celle des deux autres. « Il est même tout simplement absurde de prétendre, commente le professeur Troper, que l'activité qui consiste à faire les lois pourrait être équivalente à celle qui consiste à les exécuter. En réalité, l'exécution est bien évidemment, par définition même, subordonnée à la législation » (in Hamon F. & Troper M., Droit constitutionnel, 29e édition, LGDJ, coll. Manuel, 2005, p. 95). Bien que prêtant faussement à Montesquieu le raisonnement contraire, le grand publiciste strasbourgeois a mis là au jour une idée essentielle que Charles Eisenmann exploitera, non sans prendre le soin de rectifier l'erreur de l'interprétation malbergienne. « Il suffit, commente Charles Eisenmann, de se reporter au texte [de L'Esprit des lois] pour y relever des preuves multiples qu'au contraire Montesquieu a parfaitement compris la supériorité de la fonction législative aux deux autres fonctions », « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », in Mélanges Carré de Malberg, Duchemin-Topos Verlag, 1933, p. 16, note 16. Il devient alors patent que, la fonction supérieure étant la fonction législative, l'élément crucial du système de Montesquieu est celui du partage de celle-ci entre les organes.
  • [18]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 16-18 et « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Bicentenaire de l'Esprit des lois, Sirey, 1952, p. 147-150.
  • [19]
    « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté [...]. Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie des citoyens serait arbitraire [...]. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. », Montesquieu, L'Esprit des lois, livre XI, chapitre 6, op. cit., p. 586.
  • [20]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 17.
  • [21]
    Binoche B., Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, PUF, coll. Les grands livres de la philosophie, 1998, p. 260-261.
  • [22]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, op. cit., p. 112. Voir également « L'interprétation de la Déclaration des droits. L'exemple de l'article 16 », Droits, no 8, 1988, p. 111-122.
  • [23]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 21-22.
  • [24]
    Eisenmann C., ibid., p. 165-192, « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 133-160, « Le système constitutionnel de Montesquieu et le temps présent », in Actes du Congrès Montesquieu de Bordeaux des 23-26 mai 1955, Delmas, 1956, p. 241-248. Ces célèbres études sont aujourd'hui regroupées in Eisenmann C., Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d'idées politiques, Textes réunis par Charles Leben, Éditions Panthéon-Assas, coll. Les Introuvables, 2002.
  • [25]
    Troper M., « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », Cahiers de philosophie politique de l'Université de Reims, 1986, no 2-3, p. 67-68.
  • [26]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 141.
  • [27]
    Pour Charles Eisenmann, « cette façon de comprendre et de présenter les idées constitutionnelles de L'Esprit des lois est erronée » (in « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 4) tandis que pour Michel Troper, il s'agit même d'« une doctrine véritablement absurde » in « Article Montesquieu », in Chatelet F., Duhamel O. & Pisier E. (dir.), Dictionnaire des  uvres politiques, PUF, coll. Quadrige, 1986, p. 794. Notons incidemment que ces auteurs ont eu un prédécesseur prestigieux en la personne de Maurice Hauriou qui s'est attaché à restituer « la véritable théorie de Montesquieu sur le principe de la séparation des pouvoirs » (Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Sirey, 1929, p. 352) ; il a en particulier parfaitement compris que le projet de Montesquieu n'est pas d'enfermer chaque organe de l'État dans l'exercice d'une fonction unique, mais de réaliser une collaboration fonctionnelle qu'il adopte à son tour comme credo ; « il faut que les pouvoirs de gouvernement ne soient pas séparés au point de ne plus pouvoir collaborer, il faut que chacun d'eux intervienne dans plusieurs fonctions, de façon qu'ils puissent se rencontrer et s'arrêter les uns les autres ou marcher de concert » (Principes de droit public, 2e éd. Sirey, 1916, p. 700)
  • [28]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 22.
  • [29]
    On doit à nouveau signaler ici l'interprétation divergente proposée par Guillaume Bacot : pour cet auteur, il semble que « Montesquieu se soit beaucoup plus préoccupé que ne le croit Eisenmann d'établir une certaine spécialisation de ces organes ; et cela précisément parce qu'il se souciait fort peu de les voir s'influencer mutuellement », in « L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 628 et, pour la démonstration de ces deux affirmations, p. 628-636.
  • [30]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., ibid., p. 29.
  • [31]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 152 ; voir également Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., en particulier p. 121-126. Notons également que la notion d'organe complexe se trouve déjà chez Carré de Malberg, qui ne l'utilise cependant pas à propos de la Constitution d'Angleterre de Montesquieu mais de l'examen du droit de veto absolu accordé au monarque dans le projet du premier comité de constitution de l'Assemblée nationale de 1789, in Contribution..., op. cit., tome 1, p. 395.
  • [32]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 144.
  • [33]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 589.
  • [34]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 153.
  • [35]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 122. Un peu plus loin, Michel Troper ajoute : « la théorie de la balance des pouvoirs ne prétend nullement, comme l'a cru la plus grande partie de la doctrine classique de droit public, instaurer un équilibre entre trois autorités spécialisées. Bien au contraire, cette théorie est tout entière fondée sur la reconnaissance d'une hiérarchie entre les fonctions étatiques et par conséquent entre leurs détenteurs, si ceux-ci étaient spécialisées. C'est pourquoi l'équilibre n'est concevable qu'entre détenteurs de la fonction législative », ibid., p. 125.
  • [36]
    Beaud O., « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 164.
  • [37]
    En 1986, dans son article précité intitulé « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », le professeur Troper ne cachait pas sa « tristesse » et sa « colère » devant les réticences à reconnaître l'apport essentiel de celui qui avait été son directeur de thèse.
  • [38]
    Voir par exemple Baranger D., Droit constitutionnel, PUF, coll. QSJ ?, no 3634, 2002, p. 96-98 ou encore les manuels des professeurs Grewe C. & Ruiz-Fabri H., Droits constitutionnels européens, PUF, 1995, p. 359-366 et 383-384 et Zoller E., Droit constitutionnel, 2e éd., PUF, coll. Droit fondamental, 1999, p. 287-308.
  • [39]
    Rials S., « Charles Eisenmann, historien des idées politiques ou théoricien de l'État ? », in La pensée de Charles Eisenmann, Amselek P. (dir.), Économica-PUAM, 1986, p. 108.
  • [40]
    On doit préciser que cette analyse ne fait toutefois pas l'unanimité. Pour le professeur Bacot en particulier, et le principe de non cumul et le principe d'influence mutuelle des organes doivent être rejetés (voir « L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 628). On peut faire valoir cependant que ce que Montesquieu a en vue est une limitation politique du pouvoir : il ne s'agit donc pas seulement d'obtenir du Parlement ou du Gouvernement qu'ils fassent correctement leur « métier » de législateur ou d'exécution des lois, mais aussi et surtout qu'ils n'usent pas de leurs compétences pour imposer à l'autre partie des décisions qu'elle ne souhaite pas ; en d'autres termes, l'enjeu n'est pas tant un enjeu formel (le respect des compétences) qu'un enjeu de fond (l'abus du pouvoir politique). Si d'ailleurs on considère comme établi que le projet de Montesquieu, pour reprendre les termes du professeur Bacot, vise à « permettre à [chacun des groupes sociaux] de "conserver ses prérogatives" et l'intégralité de ses droits propres, qui demeurent inhérents à toute vie sociale organisée » (ibid., p. 635), il semble qu'un tel but soit difficile à atteindre au moyen d'un système de limitation de compétences, sauf à considérer qu'il est possible d'imaginer, pour chacune des classes sociales, un ensemble de compétences correspondant exactement à ses intérêts et privilèges. Il semble au contraire, que Montesquieu ait eu en vue d'organiser entre les organes, représentant les diverses forces sociales, un système de prise de décision en commun dans le cadre duquel ils seront en situation de faire valoir leur point de vue en recourant, le cas échéant, à leur faculté d'empêcher.
  • [41]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 25.
  • [42]
    Ibid. Ce qui n'exclut bien sûr pas l'existence de moyens d'action réciproques : dans sa Constitution d'Angleterre, Montesquieu précise ainsi que c'est « la puissance exécutrice qui règle le temps et la durée de ces assemblées [du corps législatif] » (L'Esprit des lois, op. cit., p. 588) et que, en retour, la puissance législative a « la faculté d'examiner de quelle manière les lois qu'elle a faites ont été exécutées » (ibid., p. 589). Mais il faut insister sur le fait qu'il s'agit là de prérogatives qui doivent être considérées comme des moyens de pression dans le cadre du processus de prise de décision ou d'exécution des décisions, non comme des procédures qui conditionneraient, de près ou de loin, l'intégrité organique du monarque, des Communes ou de la Chambre des Lords. Et on conçoit mal en effet comment Montesquieu, qui entend établir un système institutionnel équilibré, aurait conféré à l'un quelconque des organes le pouvoir de décider de l'existence juridique des autres. Au contraire, son système garantit à chacun des organes une intégrité juridique, intégrité assortie de moyens mutuels d'influence ; sur cette notion d'« influence », on lira l'analyse que le professeur Baranger en a proposée dans sa thèse où il la définit comme « une puissance hors le droit », « la relation entre le Roi et les organes délibérants [ne procédant] pas d'une norme ou d'un statut, mais d'une puissance de fait », in Parlementarisme des origines. Essai sur les conditions de formation d'un exécutif responsable en Angleterre des années 1740 au début de l'âge victorien, PUF, coll. Léviathan, 1999, p. 205-209, spéc. p. 205.
  • [43]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 29.
  • [44]
    Pour le professeur Bacot, il n'est ainsi possible d'affirmer que le pouvoir législatif domine le pouvoir exécutif qu'au prix d'une réduction excessive du contenu de celui-ci : il ressort au contraire de la lecture de L'Esprit des lois que la fonction exécutive ne consiste pas en « la seule exécution des lois, puisque, dans l'exercice de cette fonction, le prince ou le magistrat "fait la paix et la guerre, envoie et reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions" » (« L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 626), ce même si, comme en convient l'auteur, Montesquieu n'exclut pas, pour l'ensemble de ces activités, une limitation ou un contrôle du législateur qui lui permettent d'assurer le maintien de la subordination de l'exécutif. Pour Guillaume Bacot, c'est dès lors une lecture en termes de limitations de compétence qu'il faudrait privilégier : « il serait plus exact de dire que, pour Montesquieu, les fonctions législative et exécutive se situent dans un même plan, et qu'elles constituent deux surfaces qui se limitent mutuellement, dès lors qu'aucune d'entre elles ne peut empiéter sur l'autre » (ibid., p. 631).
  • [45]
    Mais c'est précisément cet angle d'approche qui a nourri les critiques : notamment celles de Guillaume Bacot qui fait reproche à Charles Eisenmann de raisonner « en positiviste kelsenien » (« L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 642 et plus généralement p. 642-644) et celles d'Olivier Beaud pour qui c'est bien « le schéma kelsenien [qui] est, en dernière instance, la matrice de compréhension du phénomène de la séparation des pouvoirs » tel que Michel Troper et avant lui Charles Eisenmann en ont rendu compte (« Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 159 et plus généralement p. 158-165).
  • [46]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 127. Michel Troper indique ainsi que « la primauté de la loi est, au xviiie siècle, la plus banale qui soit. Locke en a fait le titre d'un chapitre de son Essai sur le gouvernement civil. Elle est implicite tout au long du chapitre de L'Esprit des lois sur la Constitution d'Angleterre, et, bien sûr, tout au long du Contrat social », ibid., p. 112.
  • [47]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 587.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ibid., p. 590.
  • [50]
    Ibid., p. 587.
  • [51]
    Carré de Malberg R., Contribution..., op. cit., tome 2, p. 50.
  • [52]
    On sait en effet que plusieurs auteurs ont pointé les inexactitudes de ce passage de L'Esprit des lois. Charles Seignobos, en historien, souligne ainsi qu'« entre la politique anglaise et la description de Montesquieu, il n'y a guère qu'un point commun, c'était le nombre trois », in « La séparation des pouvoirs », Études de politique et d'histoire, op. cit., p. 182 (souligné par l'auteur). Chez les juristes pareillement, un Esmein peut écrire que Montesquieu « se trompait assurément » en croyant dégager sa doctrine de la réalité anglaise du xviiie siècle (in Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 8e éd., Sirey, 1927, p. 499. On sait cependant que l'erreur imputée à Montesquieu est une erreur de l'interprète lui-même, Esmein faisant de L'Esprit des lois une lecture séparatiste manifestement en contradiction avec le texte. Esmein ­ tout comme Seignobos ­ néglige de surcroît le parti pris méthodologique de l'auteur, parti pris dont Michel Troper ­ après Charles Eisenmann ­ rend bien compte : Montesquieu a en vue de construire un modèle et, de ce fait, « sacrifiera tout ce qui, dans la Constitution [d'Angleterre] lui paraîtra étranger à la nature idéale du système » (in La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 112). Montesquieu lui-même avait explicitement averti : « je serai plus attentif à l'ordre des choses qu'aux choses mêmes », L'Esprit des lois, op. cit., livre XIX, chapitre 1, p. 641.
  • [53]
    Beaud O., « La Constitution chez Montesquieu. Contribution à l'étude des rapports entre constitution et constitutionnalisme », in Murswiek D., Storot U. & Wolff H. A. (Hrsg), Staat ­ Souveränität ­ Verfassung, Festschrift für Helmut Quaritsch zum 70. Geburtstag, Duncker & Humblot, Berlin, 2000, p. 407-448, p. 443.
  • [54]
    Pour Rome, voir bien sûr la fin du livre XI de L'Esprit des lois, op. cit., chapitres 12 à 19, p. 592-598, mais aussi Les considérations..., op. cit., chapitre XI, p. 454-458 ; pour Venise, voir Mes Pensées, no 1565, in uvres complètes, op. cit., p. 1018-1019 ; pour la Suède, voir Mes Pensées, no 1707, ibid., p. 1029.
  • [55]
    Chevallier J.-J., Les grandes  uvres politiques de Machiavel à nos jours, Armand Colin, coll. U, 1970, p. 94 (souligné par l'auteur).
  • [56]
    Selon la formule qui revient dans les chapitres 13 à 19 du livre XI, Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., p. 592-598.
  • [57]
    V. Dumont L., Homo aequalis I. Genèse et épanouissement de l'idéologie économique, Gallimard, coll. NRF-Bibl. des sciences humaines, 1985, p. 19 et plus généralement l'introduction p. 11-40 où l'auteur discute les modalités de la genèse historique et de l'articulation des catégories du religieux, du politique et de l'économique.
  • [58]
    Pour Simone Goyard-Fabre, la pensée constitutionnelle de Montesquieu possède une « résonance sociale en ce que la distribution tripartite des forces gouvernementales [reflète] la structure de la société dans laquelle se manifestent toujours, en même temps que des hiérarchies, des oppositions et des contradictions », in La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 336.
  • [59]
    Ibid., p. 337.
  • [60]
    « Il a été, écrit Jean Brethe de la Gressaye, juriste, historien, sociologue, moraliste, politique », in « Introduction » à De l'Esprit des lois, Éd. des Belles-Lettres, 1950-61, t. 1, p. CXXV.
  • [61]
    Cette observation vaut singulièrement à l'égard des juristes qui, comme le souligne Olivier Beaud, tendent à « concentrer l'analyse de la pensée de Montesquieu sur le commentaire du sixième chapitre du onzième livre de L'Esprit des lois, consacré à la Constitution de l'Angleterre. Certes, ajoute-t-il, seul ce chapitre pourrait concerner le juriste de droit constitutionnel, car il traite de l'organisation des pouvoirs publics. Le reste, pense-t-on, ne l'intéresse pas car cela ressort de la science politique ou de la philosophie politique. Mais qui ne voit pas qu'en raisonnant ainsi, on plaque sur l' uvre de Montesquieu nos catégories modernes de pensée, et qu'on perd ainsi l'unité de son projet ? », in « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 166 (nous soulignons).
  • [62]
    Chevallier J.-J., Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 80.
  • [63]
    Sur la méthode de travail de Montesquieu, v. Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 43-76. Pour cet auteur, Montesquieu opère selon une méthode scientifique révolutionnaire » (p. 53). Louis Althusser intitule pour sa part le premier chapitre de son Montesquieu. La politique et l'histoire « Une révolution dans la méthode », op. cit., p. 11-27. Voir également Brethe de la Gressaye J., « Introduction » à De L'Esprit des lois, op. cit., tome 1, p. XCII-C, pour qui Montesquieu « recourt à la méthode expérimentale, historique et comparative (p. XCVI) et, sur « la méthode et l'objet », Troper M., « Article Montesquieu », in Chatelet F., Duhamel O. & Pisier E. (dir.), Dictionnaire des  uvres politiques, op. cit., p. 789-792.
  • [64]
    Pour une analyse détaillée de cet héritage, dont la portée n'est d'ailleurs pas seulement « méthodologique », mais aussi « socio-politique » et « philosophique », v. Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, PUF, 1993, p. 2-12. Jean Brethe de le Gressaye évoque quant à lui en termes élégants « la grande innovation, renouvelée d'Aristote », in « Montesquieu fondateur du droit public moderne », op. cit., p. 347.
  • [65]
    Brethe de la Gressaye J., « La philosophie du droit de Montesquieu », APD, 1962, tome 7, p. 208.
  • [66]
    C'est à la démonstration de cette thèse qu'est consacrée la première partie de l'ouvrage de Bertrand Binoche, Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 29-196.
  • [67]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », Cahiers de philosophie politique de l'Université de Reims, 1984-1985, no 2-3, p. 159. Catherine Larrère s'exprime en termes voisins : « en même temps qu'il décrit, Montesquieu juge, choisit, propose », in « Article Montesquieu » du Dictionnaire de philosophie politique, Raynaud P. & Rials S. (Dir.), PUF, 3e éd., 2003, p. 401. Dans le même sens, Jean Brethe de la Gressaye écrit en une formule ramassée que Montesquieu a « sans cesse oscillé entre deux conceptions du droit, la loi de ce qui est, et la loi de ce qui doit être », in « Introduction » à De L'Esprit des lois, op. cit., p. XCVI.
  • [68]
    Beaud O., « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 153.
  • [69]
    Chantebout B., Droit constitutionnel et science politique, 22e éd., Armand Colin, coll. U, 2005, p. 92.
  • [70]
    Voir par exemple Zoller E. : « Le livre XI de L'Esprit des Lois est entièrement consacré à la liberté politique. Montesquieu y recherche la définition des "lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution", c'est-à-dire en langage moderne les conditions qui doivent être remplies pour que l'on puisse rester libre tout en étant gouverné. », in Droit constitutionnel, op. cit., p. 287-288. V. dans le même sens Colliard J.-C., « Séparation des pouvoirs », in Duhamel O. & Meny Y. (dir.), Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 972-974.
  • [71]
    Hamon F. & Troper M., Droit constitutionnel, op. cit., p. 93.
  • [72]
    Sur ce point épistémologique, voir l'analyse qu'Olivier Beaud propose du risque d'« idéologisation du principe », « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 154 et plus généralement p. 154-159.
  • [73]
    « Des Lettres persanes à L'Esprit des lois, le souci de la liberté politique n'a cessé de hanter Montesquieu », Goyard-Fabre S., « La politique constitutionnelle de Montesquieu », in L'État moderne. Regards sur la pensée politique de l'Europe occidentale entre 1715 et 1848, Goyard-Fabre S. (Études réunies par), J. Vrin, 2000, p. 89.
  • [74]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 148.
  • [75]
    V. Cassirer E., La philosophie Lumières, Fayard, 1990.
  • [76]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 287.
  • [77]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu ou la Constitution de la liberté, Ellipses, coll. Philo-philosophes, 1997, p. 10.
  • [78]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 336.
  • [79]
    Pour Raymond Aron, « en définitive, dans la pensée politique de Montesquieu, l'opposition décisive est entre le despotisme, où chacun a peur de chacun, et les régimes de liberté, où nul citoyen n'a peur d'aucun autre », in Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 36.
  • [80]
    Grewe C. & Ruiz Fabri H., Droits constitutionnels européens, op. cit., p. 360.
  • [81]
    V. Durkheim E., Montesquieu et Rousseau précurseurs de la sociologie, Rivière, 1953, 200 p., et Comte A., Cours de philosophie positive, (1830-1842), 47e leçon, repris in Leçons de sociologie, Flammarion, coll. GF, 2001, p. 37-75.
  • [82]
    Durkheim E., « Montesquieu, sa part dans la fondation des sciences politiques et de la science des sociétés », traduction de la thèse latine datant de 1892 (« Quid Secundatus politicae scientiae instituendae contulerit »), Revue d'histoire politique et constitutionnelle, juil.-déc. 1937, p. 405-463.
  • [83]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., Préface, p. 529.
  • [84]
    Montesquieu, in uvres complètes, op. cit., p. 435-485 (nous soulignons). Dans ce texte publié en 1734, soit quatorze ans avant L'Esprit des lois, Montesquieu exerce moins son érudition historique qu'il ne cherche, déjà, à rendre compte, comme le relève Simone Goyard-Fabre, des « causes politiques et morales, puis de la décadence romaines », préfigurant ainsi l'objet d'étude de son  uvre majeure, in La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 51.
  • [85]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 28.
  • [86]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530 (souligné dans le texte).
  • [87]
    Ibid.
  • [88]
    « Dieu a du rapport avec l'univers, comme créateur et comme conservateur : les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles il conserve. Il agit selon ces règles parce qu'il les connaît ; il les connaît parce qu'il les a faites », ibid.
  • [89]
    Ibid.
  • [90]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 39.
  • [91]
    « J'ai posé les principes, et j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes », Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., préface, p. 529.
  • [92]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 29.
  • [93]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 401.
  • [94]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 95.
  • [95]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530.
  • [96]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 405.
  • [97]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530. Déjà en 1721, dans ses Lettres persanes, il mettait sous la plume d'Usbek la sentence suivante : « la Justice est éternelle et ne dépend point des conventions humaines », in uvres complètes, op. cit., lettre 83, p. 106-107.
  • [98]
    Todorov T., « Montesquieu », in Renaut A. (dir.), Histoire de la philosophie politique, tome 2. Naissances de la modernité, Calmann-Lévy, 1999, p. 395.
  • [99]
    « La particularité de l'application », comme l'écrit Catherine Larrère, « Article Montesquieu », op. cit., p. 406.
  • [100]
    Todorov T., « Montesquieu », in Histoire de la philosophie politique, op. cit., p. 397.
  • [101]
    V. Binoche B., Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 66-70.
  • [102]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 97-102.
  • [103]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., Avertissement de l'auteur, p. 529.
  • [104]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu ou la constitution de la liberté, op. cit., p. 26.
  • [105]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 405.
  • [106]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu ou la constitution de la liberté, op. cit., p. 27.
  • [107]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, livre I, chapitre 1, op. cit., p. 530.
  • [108]
    Ibid.
  • [109]
    Todorov T., « Montesquieu », in Histoire de la philosophie politique, op. cit., p. 391.
  • [110]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., Avant-propos, p. VIII.
  • [111]
    Cité par Goyard-Fabre S., Philosophie politique, op. cit., p. 208 ; voir Hobbes T., Léviathan ou Matière, forme et puissance de l'État chrétien et civil, Traduction, introduction, notes et notices de Mairet G., Gallimard, coll. Folio Essais, 2000, p. 225 (la traduction donnée par Gérard Mairet est la suivante : « la vie humaine est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève »).
  • [112]
    C'est bien Hobbes qui sert à nouveau ici à Montesquieu de repoussoir : « Le désir que Hobbes donne d'abord aux hommes de se subjuguer les uns les autres, n'est pas raisonnable », écrit-il ainsi en forme de litote, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 2, p. 531.
  • [113]
    Ibid.
  • [114]
    Montesquieu, Pensées, in uvres complètes, op. cit., no 1797, p. 1035.
  • [115]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 284.
  • [116]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 162.
  • [117]
    Pour reprendre le titre que Jean-Jacques Chevallier donne à la deuxième partie de son ouvrage Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 67.
  • [118]
    Todorov T., Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Seuil, coll. Points, 1989, p. 502.
  • [119]
    Jean-Jacques Chevallier cite cette phrase de Crevier (un contemporain de Montesquieu qui commettra un assez obscur commentaire de L'Esprit des lois) : « à force d'être ami des hommes, l'auteur de L'Esprit des lois cesse d'aimer autant qu'il doit sa patrie. L'Anglais doit être flatté en lisant cet ouvrage, mais cette lecture n'est capable que de mortifier les bons Français », in Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 100.
  • [120]
    Sur l'accueil réservé à L'Esprit des lois, v. Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 34-41 et Carcassonne E., Montesquieu et le problème de la Constitution anglaise au xviiie siècle, Paris, 1927, Réimpression, Slatkine Reprints, Genève, 1970, chapitre III L'Esprit des lois et la critique, p. 103-177.
  • [121]
    C'est l'objet des livres II et III consacrés respectivement à la nature et au principe des trois gouvernements, auxquels il faut ajouter le livre VIII portant sur la corruption des gouvernements, L'Esprit des lois, op. cit., p. 532-540 & 570-577.
  • [122]
    Larrère C., « Les typologies des gouvernements chez Montesquieu », Revue Montesquieu, 2001, no5, p. 157-172. Voir également Prélot M., « Montesquieu et les formes de gouvernement », in La pensée constitutionnelle de Montesquieu, Bicentenaire de L'Esprit des lois, Sirey, 1952, p. 119-132 et, sur le gouvernement « gothique », Postigliola A., « En relisant le chapitre sur la Constitution d'Angleterre », Cahiers de philosophie politique et juridique de l'Université de Caen, 1985, no 7 La pensée politique de Montesquieu, p. 9-28 ainsi que Saint-Bonnet F., « L'"autre" séparation des pouvoirs de Montesquieu », in Pariente A. (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Actes de la Journée d'études de l'AFDC du 22 avril 2005 tenue à Agen, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007, p. 49-64.
  • [123]
    Goyard-Fabre S., « La politique constitutionnelle de Montesquieu », in L'État moderne..., op. cit., p. 91n.
  • [124]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 36.
  • [125]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre III, chapitre 8, p. 539.
  • [126]
    Ibid., livre II, chapitre 1, p. 532.
  • [127]
    Ibid., livre III, chapitre 9, p. 539.
  • [128]
    Ibid., livre II, chapitre 5, p. 536.
  • [129]
    Chevallier J.-J., Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 92.
  • [130]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 496.
  • [131]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre V, chapitre 13, p. 551.
  • [132]
    Montesquieu, Lettres persanes, in uvres complètes, op. cit., lettre 104, p. 117.
  • [133]
    Ibid.
  • [134]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 187.
  • [135]
    « Il est la destitution de l'idée même de politique », Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 283.
  • [136]
    Ibid., p. 140.
  • [137]
    « L'image inversée de la liberté politique », écrit Bertrand Binoche, in Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 199 ; plus généralement, voir le chapitre VI « Le despotisme ou le pire gouvernement », p. 199-242.
  • [138]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la nature, les lois, la liberté, op. cit., p. 153.
  • [139]
    Ibid., p. 148 & 153.
  • [140]
    À propos de ces gouvernements modérés, on précisera avec Olivier Beaud que l'apologétique que Montesquieu en fait n'est pas « l'idée de juste mesure, de médiété propre à la pensée grecque. [Montesquieu] est bien politiquement un Moderne parce que sa défense du régime modéré signale son adhésion à un authentique pluralisme fondé sur l'indétermination relative du bien politique », in « La notion de Constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 441 avec cette citation de Bernard Manin pour qui « Montesquieu est un penseur de la modération, non du juste-milieu », in « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 189.
  • [141]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 492.
  • [142]
    Montesquieu, Lettres persanes, in uvres complètes, op. cit., lettre 104, p. 117.
  • [143]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre VIII, chapitre 8, p. 573.
  • [144]
    Montesquieu, Lettres persanes, op. cit., lettre no 104, p. 117.
  • [145]
    Voir supra, note 53.
  • [146]
    De 1728 à 1731, Montesquieu visite durant « son grand tour européen », l'Italie, l'Autriche, les Pays-Bas, la Hongrie avant de séjourner dix-huit mois en Angleterre, Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 242.
  • [147]
    Selon un dénombrement effectué en 1864, la bibliothèque de La Brède comptait 1556 références parmi lesquelles figuraient, à côté d'ouvrages de philosophie, de droit et d'histoire, des récits de voyages, voir Goyard-Fabre S., ibid., p. 60.
  • [148]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 501.
  • [149]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 63.
  • [150]
    Althusser, Montesquieu. La politique et l'histoire, op. cit.
  • [151]
    C'est le titre du chapitre VI de l'ouvrage, ibid., p. 109-122.
  • [152]
    Ibid., p. 121.
  • [153]
    Ibid., p. 118.
  • [154]
    Rossetto J., Recherche sur la notion de constitution et l'évolution des régimes constitutionnels, Thèse, Poitiers, 1982, p. 36.
  • [155]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 63.
  • [156]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 155-156.
  • [157]
    Ibid., p. 155.
  • [158]
    Eisenmann C., « Le système constitutionnel de Montesquieu et le temps présent », op. cit., p. 245.
  • [159]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 41. C'est un point que relève également Olivier Beaud, in « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 166.
  • [160]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 404.
  • [161]
    Sur le rapport holisme / individualisme, voir le chapitre introductif de Louis Dumont, in Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications, Gallimard, coll. Tel, 1979, p. 13-35.
  • [162]
    Dumont L., Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne, Seuil, coll. Points, 1983, p. 303.
  • [163]
    John Stuart Mill fournit dans son  uvre principale, L'utilitariste (1863), la définition suivante : « la doctrine qui donne comme fondement à la morale l'utilité ou le principe du plus grand bonheur, affirme que les actions sont bonnes ou mauvaises dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur ou à produire le contraire du bonheur », cité par Terestchenko M., Philosophie politique, tome 1 « Individu et société », Hachette, coll. Les fondamentaux, 1994, p. 76-77.
  • [164]
    « Ce qui est conforme à l'utilité ou à l'intérêt de l'individu, c'est ce qui tend à augmenter la somme totale de son bien-être », écrit Jeremy Bentham dans ses Principes de législation (1789), cité par Terestchenko M., ibid., p. 73.
  • [165]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 3, p. 586. Sur ce point, voir infra, II, A, 1o).
  • [166]
    L'ouvrage de Bernard Mandeville (1714) a pour titre complet : La fable des abeilles ou les vices privés font le bien public, contenant plusieurs discours qui montrent que les défauts des hommes dans l'humanité dépravée peuvent être utilisés à l'avantage de la société et qu'on peut leur faire tenir la place des vertus morales, cité par Beneton P., Introduction à la politique moderne, Hachette, coll. Pluriel, p. 58.
  • [167]
    Binoche B., Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 245.
  • [168]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XXIX, chapitre 1, p. 749 et livre XI, chapitre 6, p. 590 (nous soulignons).
  • [169]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 405.
  • [170]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 514.
  • [171]
    Pour rappeler la formule qu'on a empruntée à Bernard Manin, in « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 205.
  • [172]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu..., op. cit., p. 440.
  • [173]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530.
  • [174]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 196.
  • [175]
    Ibid., p. 220.
  • [176]
    Montesquieu, Pensées, no 1793, op. cit., p. 1034.
  • [177]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588.
  • [178]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 219.
  • [179]
    Ibid., p. 228 (souligné dans le texte).
  • [180]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 367. Le professeur Goyard-Fabre signale qu'elle reprend ces termes de G. Gusdorf in Les principes de la pensée au siècle des Lumières, Payot, 1971, p. 379.
  • [181]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 289.
  • [182]
    Ibid.
  • [183]
    Ibid., p. 83.
  • [184]
    Une telle ambivalence interdit donc de prêter à Montesquieu, par anticipation, une quelconque visée athéiste. S'il est vrai qu'il combat le pouvoir absolu, dont l'assise philosophico-juridique était, à l'époque, de droit divin (ses contradicteurs le lui reprocheront suffisamment), on se gardera cependant avec Simone Goyard-Fabre de la tentation d'une sur-interprétation : en effet, « il était trop tôt, dans le premier xviiie siècle auquel il appartient, pour qu'il proclame l'indépendance radicale de l'homme », in La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 163.
  • [185]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 2, p. 585.
  • [186]
    Ibid., livre XI, chapitre 3, p. 586.
  • [187]
    On reconnaît la formule de Hobbes (Léviathan..., op. cit., chapitre XIII, p. 224) contre laquelle Montesquieu s'élève véhémentement : dans sa Défense de L'Esprit des lois (1750), il restitue ainsi son intention qui a été « d'attaquer le système de Hobbes [...] voulant prouver que la première loi naturelle est la guerre de tous contre tous », in uvres complètes, op. cit., p. 809.
  • [188]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 3, p. 586.
  • [189]
    Ibid.
  • [190]
    Ibid.
  • [191]
    Ibid., livre II, chapitre 1, p. 532.
  • [192]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 288.
  • [193]
    Pour Simone Goyard-Fabre, cette « idée qu'il existe dans la Cité terrestre des lois positives nécessaires pour organiser les conduites humaines [...] trouve place dans une tradition juridico-philosophique prestigieuse qui commence avec les Grecs et conduit à J. Locke ou à J. Domat », ibid., p. 113.
  • [194]
    Voir sur ce point Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 70-85 & 296-328.
  • [195]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 124n.
  • [196]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 77.
  • [197]
    Goyard-Fabre S., « L'intuition d'un positivisme juridique et ses limites », in Actes du Colloque de Lyon, 1989, PU de Saint-Étienne, 1992.
  • [198]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 155.
  • [199]
    Ibid., p. 140.
  • [200]
    Ibid., p. 289.
  • [201]
    Ibid., p. 294.
  • [202]
    Ces deux types de lois sont soigneusement distingués par Montesquieu dans L'Esprit des lois qui les traite dans deux livres distincts, respectivement le livre XI intitulé « Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution », op. cit., p. 585-598 et le livre XII intitulé « Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec le citoyen », op. cit., p. 598-607.
  • [203]
    Vlachos G., La politique de Montesquieu. Notion et méthode, Montchrestien, 1974, p. 36.
  • [204]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XII, chapitre 1, p. 598.
  • [205]
    Vlachos G., La Politique de Montesquieu..., op. cit., p. 37.
  • [206]
    Ibid., p. 151.
  • [207]
    Au vrai, il faut admettre cependant une limite à ce caractère imparable : c'est que la liberté du citoyen, c'est-à-dire sa liberté civile, sa sécurité au regard de ses concitoyens, est la résultante d'un « ensemble d'idées et d'institutions collectives qui plongent leurs racines dans le caractère national particulier [...] et dans les données de l'histoire sociale et politique [...] consécutives à ce caractère » (Vlachos G., op. cit., p. 154). On est en présence de causes morales et physiques, d'une sorte de génie propre à chaque peuple, sur lesquels la distribution des pouvoirs ne pourra pas avoir pleinement prise.
  • [208]
    Pour cette raison, on s'éloignera, sur ce point, de l'analyse du professeur Beaud qui estime que, pour Montesquieu, le problème fondamental de la garantie de la liberté politique peut être résolu « soit par les lois politiques (droit politique), soit par les lois civiles ou criminelles (droit civil) » (in « La notion de constitution chez Montesquieu..., op. cit., p. 441). Il faut certes se rendre au constat que, chez Montesquieu, « l'expression de "liberté du citoyen" [est] équivoque : elle désigne tantôt la liberté politique (au sens strict) du citoyen, tantôt sa liberté civile ­ sa sécurité au regard de ses concitoyens » (ibid., p. 441-442). Mais il semble que le point décisif ici reste celui du rapport entre ces deux libertés, politique et civile : dès lors, plutôt que de retenir l'idée d'une alternative (soit/soit) compte tenu du fait que les lois politiques peuvent contrecarrer l'avènement de lois civiles libres, on préfèrera voir dans ce rapport un rapport de complémentarité, voire de conditionnalité, dans la mesure où, dans la logique de Montesquieu, l'existence de lois civiles libres ne peut être garantie que dès lors que les lois politiques elles-mêmes le sont.
  • [209]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 116.
  • [210]
    Eisenmann C., « Essai d'une classification théorique des formes politiques », Politique, 1968, no 41-44, p. 49.
  • [211]
    Ibid., p. 50
  • [212]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 444.
  • [213]
    Ibid., p. 443.
  • [214]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 156.
  • [215]
    Ibid.
  • [216]
    Troper M., « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », in Pour une théorie juridique de l'État, PUF, 1994, p. 217.
  • [217]
    Troper M., « L'interprétation de la Déclaration des droits. L'exemple de l'article 16 », Droits, 1988, no 8, p. 111-122.
  • [218]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu..., op. cit., p. 425 & 427 et plus généralement p. 425-429.
  • [219]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 196-197.
  • [220]
    Eisenmann C., « Les fonctions de l'État », op. cit., p. 195.
  • [221]
    Troper M., « Actualité de la séparation des pouvoirs », in Pour une théorie juridique de l'État, PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 234.
  • [222]
    Eisenmann C., « Les fonctions de l'État », op. cit., p. 195.
  • [223]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 434.
  • [224]
    Pour reprendre l'intitulé d'une section du manuel de Droit constitutionnel des Professeurs Troper et Hamon, op. cit., 113.
  • [225]
    Ibid.
  • [226]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, livre V, chapitre 14, op. cit., p. 552-553.
  • [227]
    Une telle définition exclut donc, comme le note le professeur Troper, « toute participation autre que "décisionnelle". La participation intellectuelle d'un expert ou d'un conseil à la rédaction de l'acte, ou à la détermination de son contenu, n'en fait pas des co-auteurs de cet acte, parce que leur consentement n'est pas nécessaires à sa création », in La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 21. Voir également Chevallier J.-J., « De la distinction établie par Montesquieu entre la faculté de statuer et la faculté d'empêcher », in Mélanges Maurice Hauriou, Paris, 1929, p. 137-158.
  • [228]
    On rappellera la passage célèbre de L'Esprit des lois qu'on a déjà cité supra : « voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative », Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 589.
  • [229]
    Ibid. dans le même sens, voir également la thèse de Michel Troper, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 122-130.
  • [230]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 29.
  • [231]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 21.
  • [232]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 31n.
  • [233]
    Ibid., p. 22.
  • [234]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 337.
  • [235]
    Pour la citer à nouveau, Simone Goyard-Fabre note que « pour Montesquieu, la Constitution, en son sens juridique, est telle qu'en ses dispositions, les dimensions sociale et politique interfèrent au point qu'elle les recouvre exactement », ibid., p. 337n.
  • [236]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 197.
  • [237]
    Ibid., p. 196.
  • [238]
    À propos de l'Angleterre, Montesquieu écrit ainsi : « Dans un pays où la constitution donnerait à tout le monde une part au gouvernement et des intérêts politiques, on parlerait beaucoup de politique », in L'Esprit des lois, op. cit., livre XIX, chapitre 27, p. 650.
  • [239]
    Troper M., « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 73.
  • [240]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 227.
  • [241]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 337.
  • [242]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588.
  • [243]
    Althusser L., Montesquieu. La politique et l'histoire, op. cit., p. 118.
  • [244]
    Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 200.
  • [245]
    Ibid., p. 201. Cette expression, « le rang et la propriété », est empruntée, précise Denis Baranger, à Charles J. Fox.
  • [246]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588.
  • [247]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 587. Pour Simone Goyard-Fabre, ceux que Montesquieu entend désigner par ces mots sont « certainement [les] malades mentaux et [les] condamnés de droit commun et non point [les] miséreux formant ce que nous appellerions un sous-prolétariat », in Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 212.
  • [248]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 587.
  • [249]
    Blackstone, Commentaries, vol. 1, p. 158, cité par Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 202.
  • [250]
    Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 182.
  • [251]
    Ibid., p. 200.
  • [252]
    Pour Bertrand Binoche, « Cette distribution des pouvoirs, dans la tradition du gouvernement mixte, n'a pas pour fin d'assurer un équilibre abstrait qui permettrait l'arbitrage transcendant des intérêts individuels ; elle vise, au contraire, à matérialiser juridiquement les intérêts des corps constitués de telle sorte qu'ils soient contraints au compromis : la modération constitutionnelle permet la modération sociale. Aussi, Montesquieu montre-t-il comment les inégalités sociales se trouvent investies dans les mécanismes constitutionnels anglais : le bicamérisme trouve sa raison d'être dans la nécessité d'exprimer les antagonismes des nobles et du peuple qu'il ne s'agit aucunement d'ignorer (§ 30-31) [...]. Pas plus qu'elle ne s'oppose à des individus abstraits, la constitution ne s'oppose à la "société civile" du siècle suivant. Elle transpose la hiérarchie des corps pour en organiser juridiquement les litiges et se trouver en mesure d'affaiblir leur violence », Introduction à De l'Esprit des Lois de Montequieu, op. cit., p. 266-267 (souligné dans le texte).
  • [253]
    Montesquieu, Mes Pensées, op. cit., no 238, p. 878.
  • [254]
    Pour une lecture privilégiant la qualification de monarchie seule, v. Bacot G., « Montesquieu et la nature monarchique de la constitution anglaise », cette revue, 2007, no 25-1er semestre.
  • [255]
    Petot J., « La notion de régime mixte », in Mélanges Charles Eisenmann, Cujas, 1975, p. 99.
  • [256]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 126.
  • [257]
    Spitz J.-F., « Régime mixte », in Raynaud P. & Rials S. (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 635, avec la référence à Vile M. J. C., Constitutionalism and the separation of powers, 2e éd., Indianapolis, 1998, p. 37.
  • [258]
    Passerin D'Entreves A., La notion de l'État, Sirey, 1969, p. 147.
  • [259]
    Petot J., « La notion de régime mixte », op. cit., p. 105.
  • [260]
    Manin B., Les principes du gouvernement représentatif, Flammarion, coll. Champs, 1995, p. 66.
  • [261]
    Prédécesseur du chancelier Thomas More, John Fortescue (1394-1476) avait composé, au xve siècle, plusieurs traités sur les lois anglaises, dont un De natura legis Angliae.
  • [262]
    Simone Goyard-Fabre signale que Montesquieu le cite à deux reprises dans son Spicilège et ses Pensées, in Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 203.
  • [263]
    Passerin D'Entreves A., La notion de l'État, op. cit., p. 148.
  • [264]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 203.
  • [265]
    Treize livres des Parlements de France, livre XIII, chapitre 17, § 11-12, cité par Carcassonne E., Montesquieu et le problème de la Constitution anglaise au xviiie siècle, op. cit., p. 25-26.
  • [266]
    Selon le commentaire de Leo Strauss dans la recension qu'il fait de l'ouvrage de Fink Z. S., The classical Republicans. An essay in the recovery of a pattern of thought in Seventeenth Century England, Evanston, Northwestern University Press, 1945, in Qu'est-ce que la philosophie politique ?, PUF, coll. Léviathan, 1992, p. 276.
  • [267]
    Petot J., « La notion de régime mixte », op. cit., p. 108.
  • [268]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 127.
  • [269]
    « It is by this mixture of monarchical, aristocratical and democratical power, blended together in one system, and by these estates balancing one another, that our free constitution has been established », cité par Troper M., ibid., p. 128 (nous traduisons).
  • [270]
    Bobbio N., L'État et la démocratie internationale, Bruxelles, Éd. Complexe, coll. Études européennes, 1998, p. 241.
  • [271]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 123.
  • [272]
    Ibid., p. 124.
  • [273]
    Voir en particulier Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 141-144 et Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 26-29.
  • [274]
    Carré de Malberg R., Contribution..., op. cit., tome 2, p. 50.
  • [275]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 25.
  • [276]
    On retrouve cette phrase quasi inchangée dans plusieurs publications : voir par exemple « Actualité de la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 226 ou encore le manuel de Michel Troper, Droit constitutionnel, op. cit., p. 91.
  • [277]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 29.
  • [278]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 123.
  • [279]
    Troper M., « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », op. cit., p. 217.
  • [280]
    Troper M., « L'interprétation de la Déclaration des droits. L'exemple de l'article 16 », op. cit., p. 111-122.
  • [281]
    Sur le sens de ce terme qu'on emprunte à Olivier Beaud, v. infra 2).
  • [282]
    Il faut toutefois relever ici un anachronisme puisque, selon Georges Burdeau, le terme « libéralisme » n'apparaît qu'en 1823 dans le Lexique de C. Boiste, cité par Goyard-Fabre S., Montesquieu ; la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 278.
  • [283]
    Manent P., Histoire intellectuelle du libéralisme. Dix leçons, Hachette, coll. Pluriel, 1987, p. 123.
  • [284]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 4, p. 586.
  • [285]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 312.
  • [286]
    Voir à ce propos Beaud O., La puissance de l'État, PUF, coll. Léviathan, 1994, spéc. la première partie p. 27-198.
  • [287]
    Selon la formule d'Ugo Preu (« Der Begriff der Verfassung und ihrer Beziehung zur Politik », in Preu U. (Hg.), Zum Begriff der Verfassung. Die Ordnung des Politischen, Fisher, 1994, p. 9), citée par Olivier Beaud in « La Constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 412.
  • [288]
    On emprunte cette formule à Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 310.
  • [289]
    Tillet E., « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle : l'exemple de Montesquieu », in Pensée politique et droit, Actes du Colloque de Strasbourg des 11 et 12 septembre 1997, organisé par l'Association française des historiens des idées politiques, PUAM, 1998, p. 370. Cet auteur a recensé une centaine d'occurrences du terme dans L'Esprit des lois.
  • [290]
    Comanducci P., « Ordre ou norme ? Quelques idées de constitution au xviiie siècle », in Troper M. & Jaume L. (dir.), 1789 et l'invention de la constitution, Actes du Colloque de Paris des 2, 3 et 4 mars 1989, organisé par l'Association française de science politique, Bruylant-LGDJ, coll. Le pensée juridique moderne, 1994, pp. 23-43.
  • [291]
    Tillet E., « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle... », op. cit., p. 396.
  • [292]
    Ibid., p. 370.
  • [293]
    Comanducci P., « Ordre ou norme ?... », op. cit., p. 36.
  • [294]
    Tillet E., « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle... », op. cit., p. 370.
  • [295]
    Goyard-Fabre S., Éléments de philosophie politique, Armand Colin, coll. Cursus, 1996, p. 16-19.
  • [296]
    Ibid., p. 18.
  • [297]
    Sur les théories contractualistes du xviiie siècle, voir Terrel J., Les théories du pacte social. Droit naturel, souveraineté et contrat de Bodin à Rousseau, Seuil, coll. Points Essais, 2001.
  • [298]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 286. On rappellera incidemment la définition bien connue donnée par un Boris Mirkine-Guetzevitch : « le droit constitutionnel est un procédé technique pour assurer la liberté politique, et la technique constitutionnelle est la technique de la liberté », in Les nouvelles tendances du droit constitutionnel, Marcel Giard, 1931, Avant-propos, p. XI.
  • [299]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 55.
  • [300]
    Troper M., « La machine et la norme. Deux modèles de constitution », in La théorie du droit, le droit, l'État, PUF, coll. Léviathan, 2001, p. 152.
  • [301]
    Le professeur Troper a relevé « la profusion des métaphores mécaniques » chez Montesquieu, in « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », p. 210 ; dans le même sens, Édouard Tillet fait état de « l'omniprésence de la terminologie de la physique mécanique », in « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle... », op. cit., p. 379.
  • [302]
    Troper M., « La machine et la norme. Deux modèles de constitution », op. cit., p. 152.
  • [303]
    Troper M., « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », op. cit., p. 210.
  • [304]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 4, p. 586.
  • [305]
    Ibid.
  • [306]
    Fioravanti M., « Costituzione e stato di diritto », Filosophia politica, no2, décembre 1991, p. 324-350, cité par Olivier Beaud, Article « Constitution et constitutionnalisme », in Raynaud P. & Rials S. (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 118.
  • [307]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 293.
  • [308]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 411. Voir également « Constitution et constitutionnalisme », op. cit., p. 133.
  • [309]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 411.
  • [310]
    Ibid., p. 409.
  • [311]
    Ibid., p. 411.
  • [312]
    Pour rappeler la formule qu'on a empruntée à Bernard Manin, in « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 205.
  • [313]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 440.
  • [314]
    Ibid., p. 409, avec la référence aux travaux ­ qualifiés par Olivier Beaud de « fondamentaux » ­ de Stourzh G., Neue Wege der Grundsrechtsdemokratie, Böhlau Verlag, Vienne & Cologne, 1989, et à l'article ­ qualifié de « séminal » ­ « Constitution : changing meanings of the term from the early 17th to the late 18th century », in Ball T. & Pocock A. (dir.), Conceptual change and the Constitution, Lawrence, University Press of Kansas, 1988, p. 35 et suiv.
  • [315]
    Ibid., p. 410.
  • [316]
    Ibid., p. 413 (souligné dans le texte).
  • [317]
    Pour une réflexion récente en ce sens, v. Pierré-Caps S., « La Constitution comme ordre de valeurs », in La Constitution et les valeurs, Mélanges D.-G. Lavroff, Dalloz, 2005, p. 283 et suiv.
  • [318]
    On emprunte à nouveau ces analyses au professeur Beaud, « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., spéc. p. 433.
  • [319]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 436 (souligné dans le texte) ; l'expression « non-convenance » étant empruntée à Goldschmidt V., in Introduction à L'Esprit des lois, Flammarion, coll. GF, 1979, p. 33.
  • [320]
    On reconnaît ici une formulation de Hegel duquel Olivier Beaud rapproche la conception constitutionnelle de Montesquieu, ibid., p. 438.
  • [321]
    Voir en ce sens Piérré-Caps S., « L'esprit des constitutions », in L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, Dalloz, 2003, p. 375-390.
  • [322]
    Rials S., Préface à Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 10.
  • [323]
    Ibid.
« Ce qu'on appelle union, dans un corps politique, est une chose très équivoque. La vraie est une union d'harmonie, qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu'elles nous paraissent, concourent au bien général de la société comme des dissonances dans la musique concourent à l'accord total. Il peut y avoir de l'union dans un État où on ne croit voir que du trouble, c'est-à-dire une harmonie d'où résulte le bonheur, qui seul est la vraie paix. Il en est comme des parties de cet univers, éternellement liées par l'action des unes et la réaction des autres » (Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, Chapitre 9) [2].

1 Pour la doctrine majoritaire, l'équation selon laquelle « théorie de la séparation des pouvoirs égale théorie de l'organisation des pouvoirs publics » va de soi. Selon une approche somme toute classique, la substance de la théorie s'absorbe toute entière dans une mécanique, une ingénierie, une architecture institutionnelles : la séparation des pouvoirs est conçue comme un « principe d'organisation politique » [3], elle est un principe d'« aménagement des structures et fonctions gouvernantes » [4]. Cet angle d'analyse se justifie pleinement à la relecture du célèbre chapitre 6 du livre XI de L'Esprit des lois : on y trouve bien l'exposé d'une théorisation de la distribution du pouvoir dans la Constitution d'Angleterre, théorisation sous forme idéale-typique d'une part des fonctions de l'État, d'autre part d'un mode privilégié de répartition de ces fonctions entre divers organes. On serait ainsi fondé, en tant que juriste, à extraire de ce chapitre 6 les données directement utiles dans l'édification de la science du droit public [5], comme d'autres, historiens [6], sociologues [7], politologues [8], anthropologues [9], ont puisé ailleurs dans l'ouvrage matière pour leur discipline respective.

2 En vertu d'une telle approche, la théorie de la séparation des pouvoirs fait habituellement l'objet d'une présentation en une séquence comportant quatre temps. La première étape réside dans l'affirmation selon laquelle il existe dans chaque État trois sortes de fonction, législative, exécutive et judiciaire. Ce point, duquel Montesquieu fait partir sa démonstration, est généralement admis en doctrine et il n'est pas exagéré d'affirmer qu'il est considéré comme « une manière de postulat » [10], comme l'apport essentiel du magistrat bordelais à la science du droit constitutionnel, ce même s'il existe un débat relatif au point de savoir si Montesquieu a entendu opérer une classification dualiste, trialiste, voire quadrialiste des fonctions [11]. Et en effet, Montesquieu apporte, relativement à la question de la nature des fonctions étatiques, une clarification des typologies antérieures, ce bien que sa classification prenne encore largement corps sur celles-ci. Il procède à un classement qui n'est pas effectué selon l'objet des activités étatiques [12], mais selon la forme qu'elles prennent. Pour Montesquieu, « l'État peut intervenir d'abord en édictant des règles, puis en appliquant ces règles » [13], précisons, à l'occasion de différends entre particuliers (fonction judiciaire) ou en exécution des résolutions publiques (fonction exécutive stricto sensu). En distinguant ainsi nettement volonté et exécution [14], selon une métaphore anthropomorphique assez commune à l'époque, il rationalise la classification « hybride » [15] de Locke, qui mêle encore définition par l'objet et définition par la forme, et pose un jalon vers lequel revient l'ensemble des manuels modernes de droit constitutionnel.

3 Deuxième étape, et seconde proposition de la doctrine de Montesquieu, ces fonctions sont hiérarchisées entre elles, elles ne sont pas sur un pied d'égalité [16]. La fonction législative est nécessairement supérieure aux fonctions exécutive et judiciaire parce qu'existe entre la première et les secondes un rapport de conditionnalité : les fonctions exécutive et judiciaire sont juridiquement inconcevables sans l'exercice préalable de la fonction législative ; politiquement, l'exercice de la fonction législative confèrera ainsi à son détenteur un degré de puissance supérieur au degré de puissance que recèlent les deux autres fonctions. On sait que ce point est resté longtemps inaperçu et il a fallu attendre les travaux de Raymond Carré de Malberg puis de Charles Eisenmann et Michel Troper pour qu'il soit affirmé avec autorité [17].

4 Troisième étape du raisonnement, les fonctions étatiques sont distribuées entre des organes selon la règle négative de non attribution exclusive à un même organe de plusieurs fonctions. Il s'agit là d'un principe négatif, mis au jour par Charles Eisenmann dès 1933 [18], que l'on trouve très explicitement formulé dans L'Esprit des lois. Montesquieu y examine, pour les rejeter l'un après l'autre comme contraires à la liberté des citoyens, les quatre cas de figure ­ il ne peut y en avoir ni un de plus, ni un de moins ­ de cumul des fonctions étatiques : celui de la fonction législative avec la fonction exécutive, celui de la fonction législative avec la fonction judiciaire, celui de la fonction exécutive avec la fonction de juger, celui enfin des trois fonctions [19]. Avec Charles Eisenmann, on peut formuler cette règle négative de façon synthétique : « il ne faut pas que deux quelconques des trois fonctions [a fortiori les trois, ajouterons-nous] soient réunies intégralement entre les mêmes mains » [20]. Bertrand Binoche décrit parfaitement la double distribution à laquelle Montesquieu croit impérieux de procéder, à savoir non seulement à une distribution entre les puissances, mais aussi une distribution de chacune des puissances : pour cet auteur, la formule de Montesquieu ne se réduit pas à l'affirmation que « chaque puissance doive être seulement opposée aux autres par le jeu d'un mécanisme qui la contiendrait du dehors sans entamer son intériorité. Diviser le pouvoir, ce sera aussi diviser chaque puissance pour la répartir sur plusieurs organes. [...] Si le terme de "distribution" se rapporte souvent aux trois pouvoirs simultanément (par exemple dans les chapitres 9 et 11), il peut aussi être référé à l'un d'entre eux seulement » : selon les termes du paragraphe 1 du chapitre 18 de L'Esprit des lois que Bertrand Binoche cite à l'appui de son affirmation, « la puissance de juger fut donnée au peuple, au sénat, aux magistrats, à certains juges. Il faut voir comment elle fut distribuée » [21]. Comme le résume Michel Troper, cette règle de distribution du pouvoir « est celle qui est désignée dans le vocabulaire du xviiie siècle par l'expression "séparation des pouvoirs" ou "division des pouvoirs" ou encore "distribution des pouvoirs" » [22].

5 Mais ce principe négatif comporte son pendant positif, énoncé dans la quatrième proposition : car Montesquieu n'examine pas seulement les conditions auxquelles la liberté serait anéantie ; il énonce aussi celles auxquelles elle peut être établie. C'est même cette recherche d'une formule constitutionnelle positive qui permet de caractériser le projet de Montesquieu, qui en fait la singularité [23]. On sait toutefois à quel point cet aspect de sa pensée a donné lieu à controverses. La ligne de fracture oppose ici ce qu'il est convenu d'appeler, depuis les travaux de Charles Eisenmann [24], l'interprétation séparatiste ­ ou juriste ­ du xxe siècle à l'interprétation politique du xixe siècle. Pour la première, la théorie de la séparation des pouvoirs tient en une série de propositions que Michel Troper résume en termes particulièrement clairs :

6 « 1. La séparation des pouvoirs est un principe de politique constitutionnelle, qui comporte deux règles : a) chacune des fonctions de l'État [...] doit être exercée par une autorité spécialisée. b) ces autorités doivent être mutuellement indépendantes [...].

7 2. L'application de ce principe aura pour résultat que ces autorités se feront mutuellement équilibre, de sorte qu'aucune d'elles ne pourra devenir despotique et que la liberté sera préservée » [25].

8 « Finalement, conclut pour sa part Charles Eisenmann, la Constitution préconisée comme idéale par Montesquieu se laisserait bien résumer en cette formule : un système d'exercice des trois pouvoirs étatiques par trois organes parfaitement séparés et même isolés les uns des autres sous tous les rapports » [26]. C'est une telle lecture que l'interprétation politique conteste résolument [27]. Pour Charles Eisenmann, « investir du pouvoir suprême dans l'État conjointement deux organes, le Parlement et le Gouvernement, ­ trois si l'on compte séparément les deux Chambres du Corps législatif ­, en rendant leur accord nécessaire et libre, telle est l'idée qu'il [Montesquieu] a voulu réaliser » [28]. Et en effet, la logique profonde à laquelle répond l'agencement constitutionnel de Montesquieu appelle la mise au point d'un mécanisme d'enchaînement réciproque des organes, suppose une mise en contact des pouvoirs publics [29]. C'est au fond le principal écueil de l'interprétation juriste de ne l'avoir pas compris, des organes séparés, c'est-à-dire exerçant chacun une fonction distincte, ne pourraient se faire équilibre faute d'avoir un domaine d'intervention commun. Au contraire, la fonction législative, c'est-à-dire la fonction suprême dans l'État, est exercée en commun par plusieurs instances qui, réunies, forment un organe composé [30] ou complexe [31]. C'est là encore très explicitement que Montesquieu décrit cet agencement institutionnel dans sa Constitution d'Angleterre et qu'il résume dans une « inoubliable synthèse » [32] : « voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative » [33]. Comme le note Charles Eisenmann commentant ces passages, « les trois organes [...] sont dans un rapport d'égalité mutuelle ; le système se caractérise bien par trois organes égaux en pouvoir ; il en résulte encore que chacun de ces trois organes a le pouvoir de s'opposer même à la volonté concordante des deux autres ­ elle ne l'emporte pas sur la sienne ­ peut l'annuler, c'est-à-dire qu'ils peuvent s'arrêter, s'empêcher mutuellement, se faire contrepoids, se balancer et contrebalancer » [34]. C'est le modèle de l'équilibre ou de la balance des pouvoirs défini comme le partage de la fonction la plus haute de l'État, c'est-à-dire du pouvoir législatif, « entre plusieurs organes qui se feront mutuellement contrepoids » [35]. Cette lecture de L'Esprit des lois, qui a récemment été consacrée sous la dénomination de « doctrine eisenmanno-troperienne » [36], est restée très longtemps ignorée par la majorité des publicistes [37] ; elle est aujourd'hui bien reçue dans la littérature constitutionnelle contemporaine [38].

9 Un point doit encore être souligné, un point qui vaudrait presque d'être formulé comme une proposition autonome du système constitutionnel de Montesquieu s'il n'était pas en fait la condition de la réalisation de la balance des pouvoirs. Il s'agit de l'indépendance juridique réciproque des organes. Et il faut suivre encore ici Charles Eisenmann, « accoucheur, pour Stéphane Rials, du vrai sens du chapitre 6 de L'Esprit des lois » [39], qui opère une distinction essentielle entre indépendance organique de droit et de fait [40]. Dans le système de Montesquieu, explicite-t-il, le Parlement et le Gouvernement sont juridiquement indépendants à deux égards : d'une part fonctionnellement, en ce sens que, « exerçant conjointement la fonction suprême, appelés à consentir tous deux aux actes de cette fonction, ils seront juridiquement sur un pied d'égalité » [41] ; d'autre part « personnellement », puisque « s'ils pouvaient se révoquer l'un l'autre, Parlement et Gouvernement pourraient échapper au moins momentanément à la nécessité de s'entendre » [42]. Du fait qu'elle n'a pas distingué entre ces deux types d'indépendance ­ là réside au reste sa « grande erreur » ­ l'interprétation classique de Montesquieu s'est montrée incapable de comprendre que « l'indépendance juridique du Parlement et du Gouvernement qui doit leur assurer mutuellement la possibilité de s'arrêter suppose qu'ils soient dans une entière dépendance de fait l'un de l'autre : la liberté de fait dont jouissent les deux organes dans le système de Montesquieu ne consiste point dans la liberté pour eux de réaliser leur volonté, c'est-à-dire d'édicter et faire exécuter les normes juridiques qu'il leur plaît mais uniquement dans celle de proposer ou de donner ou refuser leur adhésion aux décisions qui leur sont proposées » [43].

10 Il faut cependant adresser un reproche majeur à une telle présentation ­ quelle que soit d'ailleurs la lecture, juriste ou politique, qui en est retenue. Ce reproche, c'est celui de négliger l'étude du soubassement philosophico-politique du dispositif constitutionnel conçu par Montesquieu ; celui de ne prendre qu'insuffisamment en compte le rapport existant entre la mécanique institutionnelle et le contexte politique dans lequel elle trouve à s'appliquer. Cette critique se décline à un double niveau, fonctionnel et organique. En premier lieu, l'approche classique repose sur l'idée discutable ­ et discutée [44] ­ que le Chatelain de La Brède a proposé une théorisation proprement juridique des fonctions étatiques. En réalité, on serait bien en mal de repérer dans ses écrits une analyse du régime juridique des actes normatifs. On peut certes tenter de reconstruire, comme Charles Eisenmann et Michel Troper se sont efforcés de le faire par application du positivisme kelsenien [45], une hiérarchie normative des actes par lesquels s'exerce la puissance de l'État. Sans remettre en cause l'idée d'une hiérarchie des fonctions ­ l'affirmation selon laquelle le pouvoir législatif est le pouvoir suprême est un « lieu commun » [46] de la pensée politique du xviiie siècle ­ il semble cependant que le fondement d'une telle hiérarchisation soit moins à trouver, chez Montesquieu, dans des facteurs juridiques que politiques. Il pense moins en effet les fonctions étatiques comme étant articulées les unes aux autres par un rapport de validité qu'en tant qu'elles révèlent un étagement dans la puissance de commander : la fonction législative est supérieure aux autres en ce qu'elle met en  uvre une puissance de commandement qui atteint tous les hommes ­ cette puissance, c'est « la volonté générale » [47] ­ là où la fonction exécutive n'est que « l'exécution de cette volonté générale » [48] en ce qu'elle consiste « plus en une action qu'en une délibération » [49] et où la fonction de juger n'est « qu'un texte précis de la loi » [50], n'est que l'application de la loi criminelle et de la loi civile à un cas d'espèce.

11 En second lieu, et dans le prolongement de ces développements, l'approche traditionnelle de la doctrine constitutionnelle de Montesquieu conduit à négliger la structure organique de l'État. Les organes se trouvent en effet relégués au second plan du fait que, selon la formule topique de Raymond Carré de Malberg, « la hiérarchie des fonctions provoque et implique fatalement celle des organes » [51]. Ramenés ainsi au rang de simples titulaires de fonctions qui bornent leur compétence, les organes ne sont envisagés que comme instances intervenant dans la production de la norme étatique. Dès lors, s'agissant de la Constitution d'Angleterre singulièrement, le Roi, la Chambre des Lords et les Communes sont-ils au mieux examinés en tant qu'ils informent sur l'état de développement du régime anglais en ce milieu de xviiie siècle, ce qui est dire que c'est une valeur strictement historique ­ d'ailleurs critiquée [52] ­ qui est prêtée à un tel examen : le régime mixte anglais témoignerait d'une époque révolue depuis que le référent démocratique s'est imposé comme fondement exclusif du pouvoir dans les sociétés occidentales. Cependant, cette présentation conduit, ici aussi, à minimiser les facteurs politiques : la théorie qu'élabore Montesquieu est en réalité une théorie qui ne s'attache à la distribution juridique des pouvoirs qu'en tant que cette distribution permet d'organiser la division sociale du pouvoir : comme l'écrit le professeur Beaud, la séparation des pouvoirs est d'abord conçue chez lui comme « organisant institutionnellement un équilibre entre les différents intérêts sociaux représentés par les divers organes » [53]. Une telle lecture peut être étayée par de nombreux passages de l' uvre de Montesquieu lesquels, outre l'Angleterre, portent sur Rome, Venise, ou encore la Suède [54].

12 En somme, l'objection qui doit être adressée à la présentation classique de la doctrine constitutionnelle de Montesquieu est double : d'une part celle de disjoindre les facteurs juridiques et politiques ; d'autre part celle de conduire à un renversement de perspective en inversant l'ordre des priorités entre éléments fonctionnels et éléments organiques. Sur le premier point, le motif profond qui anime Montesquieu est bien celui de la division du pouvoir entre les composantes du corps social : loin de concevoir les organes comme des autorités réduites à l'exercice de la ou des fonctions étatiques dont ils sont investis, comme de simples titulaires d'une compétence juridique, en somme comme des instances politiquement désincarnées, il les pense au contraire à partir de leur capacité à réfracter, dans le dispositif constitutionnel, les différentes forces sociales présentes dans la Cité, c'est-à-dire en prenant en compte les principes de légitimité qui déterminent leur titre réel ­ au-delà de leur titre légal ­ à exercer le pouvoir. On ne peut dans ces conditions oblitérer la résonance politico-sociale du dispositif imaginé par le baron de La Brède dès lors que c'est bien en associant et non en disjoignant les deux aspects, politique et juridique, qu'il construit sa théorie : comme l'avait relevé avec pénétration Jean-Jacques Chevallier, « ce célèbre chapitre De la Constitution d'Angleterre comporte au vrai deux objets qui sont différents tout en étant étroitement liés : le premier est la théorie in abstracto de la séparation des pouvoirs ; le second est la description concrète des mécanismes du gouvernement anglais » [55]. C'est dès lors sur cette liaison entre « théorie in abstracto » et « description concrète » que l'effort d'analyse doit porter.

13 Sur le second point, le principe de non attribution exclusive d'une fonction à un seul et même organe n'est lui-même qu'un moyen de technique juridique permettant d'atteindre le but politique plus élevé de la distribution du pouvoir entre les forces sociales représentées par des organes. Dans ces conditions, la structure organique de l'État doit faire l'objet d'une analyse séparée et autonome par rapport à la distribution des fonctions. Au vrai, la doctrine constitutionnelle de Montesquieu comporte deux moments successifs : celui, premier, de l'identification des composantes propres à un contexte politico-social déterminé (les principes monarchique, aristocratique et populaire dans l'Angleterre du milieu du xviiie siècle, ou les patriciens et les plébéiens dans la Rome antique « après l'expulsion des rois » [56]) qui détermine la structuration organique de l'État (le Roi, la Chambre des Lors et la Chambre des Communes ou le Sénat romain et les curies, centuries et comices) ; celui, second, du partage des fonctions entre ces organes. Autrement dit, c'est bien à partir de l'identification préalable des principes de légitimité présents dans la Cité que Montesquieu construit son système : certes, juridiquement, la hiérarchie des organes suit toujours celle des fonctions, mais c'est uniquement à raison de ce que la distribution des fonctions a elle-même été d'abord pensée, politiquement, comme moyen de réaliser un partage du pouvoir entre les différentes puissances. Si la distribution des fonctions correspond à un précepte que Montesquieu énonce en termes généraux ­ le pouvoir arrête le pouvoir au moyen de la division de celui-ci entre plusieurs autorités ­ la déclinaison concrète de ce précepte dépend, elle, du contexte politique ou socio-historique propre à une société donnée à un moment donné. C'est dire qu'il existe une autre règle attributive des fonctions aux organes, règle qui est entièrement politique : les organes ne peuvent pas tous prétendre à l'exercice de toutes les fonctions dès lors qu'ils ne disposent pas tous du même degré de légitimité.

14 Sur la base de cette critique, c'est à une double revalorisation à laquelle il faut procéder. En premier lieu, c'est le soubassement même de la doctrine constitutionnelle de Montesquieu qui doit être repensé : la valeur fondamentale à laquelle il adosse tout son édifice institutionnel, la liberté politique, trouve son prolongement dans un principe de représentation de la totalité des forces sociales. En effet, la liberté est d'abord ce qui définit l'Homme en tant qu'il est Homme : elle le singularise par rapport aux autres êtres de la Création, elle en fixe l'ontologie. Partant, cette liberté retentit directement sur les modalités de l'inscription de l'Homme en société : elle conduit à l'affirmation d'un principe d'hétérogénéité du corps social dès lors que, chaque homme conservant dans la Cité le plein exercice de sa liberté, elle institue nécessairement un pluralisme des valeurs ou, pour le dire négativement, elle interdit toute subsomption des hommes sous une Vérité absolue. Partant encore, c'est cette même liberté qui détermine les conditions de formation du corps politique, c'est-à-dire les modalités de passage du fait social au fait politique : sans pluralisme éthique, c'est toute idée même de politique qui est niée. Dès lors qu'on définit le politique comme cette catégorie de la pensée qui porte sur la discussion sur les valeurs dans leur relation avec le pouvoir [57], l'avènement du fait politique n'est concevable en effet qu'à la double condition d'une part de permettre à chacun d'exprimer les valeurs qu'il porte, c'est-à-dire d'exercer sa liberté, et d'autre part d'organiser le champ politique comme un espace libre, ouvert, dans lequel l'échange, la discussion peuvent seuls permettre de dégager le Bien commun. Partant enfin, c'est cette même liberté qui conditionne les modalités juridiques d'encadrement du fait politique : dès lors que l'espace politique doit permettre à chacun de s'exprimer, c'est à l'architecture institutionnelle de l'État que revient d'organiser la participation de tous au Gouvernement.

15 En second lieu, dans cette architecture, c'est la structure organique qui a le statut de facteur premier : dans la doctrine constitutionnelle de Montesquieu, c'est une telle structure, elle-même strictement entée sur la composition sociale de la Cité, qui conditionne les modalités de la distribution des fonctions. Pour le magistrat bordelais en effet, il existe une hiérarchisation proprement politique des organes : cette hiérarchisation tient au fait que la « résonance sociale » [58] que rencontre chaque organe détermine un degré de légitimité spécifique et, partant, la position qu'il occupe dans le dispositif constitutionnel. C'est dire que la constitution est elle-même pensée comme ayant vocation, certes à régler la production normative dans la Cité, mais surtout à instituer juridiquement les forces sociales ; c'est dire que la constitution est conçue comme constitution juridique, mais aussi comme constitution politique ou socio-politique. C'est bien là, in fine, « l'idée-force de Montesquieu, pour qui l'État est essentiellement un phénomène juridique et dont l'effort consiste, au long des six cents chapitres de L'Esprit des lois, à définir les structures juridiques nécessaires du social et du politique » [59].

16 Au total, la ligne de cohérence de la pensée constitutionnelle de Montesquieu s'établit comme suit : d'abord une conviction philosophique ­ celle que la liberté définit la vérité ontologique de l'Homme ­ qui débouche sur un mode de pensée du fait social comme nécessairement hétérogène dès lors que tous les hommes ne partagent pas tous la même conception du Bien commun (I). Ensuite l'identification d'une contrainte institutionnelle : la dynamique sociale ne peut que retentir sur les modalités d'organisation juridique du pouvoir politique ou, pour le dire dans l'autre sens, la configuration institutionnelle du pouvoir ne peut se faire à rebours des dynamiques qui traversent le corps social (II). Enfin, une conception de la constitution comme constitution politico-sociale : si la constitution est pensée comme constitution juridique, comme devant régler la production du droit dans l'État, elle est également et surtout pensée comme instituant le corps politique en ce qu'elle a avant tout pour objet d'instituer juridiquement les forces sociales (III).

I. Liberté ontologique de l'Homme et hétérogénéité du corps social

17 La pensée de Montesquieu fait système. En dépit de la succession, au long de son  uvre, de développements dont la tonalité dominante est tantôt philosophique, historique, juridique ou encore politique [60], il y a bien continuité de la démonstration, cohérence interne du propos. Ce qui ne signifie pas qu'aucune partie n'en soit détachable, mais que, en bonne méthode [61], l'étude d'une fraction de ce raisonnement doit être rapportée à la globalité de celui-ci, au « grand dessein » [62] qui anime son auteur. Ce grand dessein, quel est-il ? Il est avant tout d'ordre éthique. Si Montesquieu raisonne sur ce qui est (l'influence de l'héritage aristotélicien sur sa méthode de travail [63] a été relevée par de nombreux commentateurs [64]), il n'en est pas moins pétri d'une conviction sur ce qui doit être, il est porteur d'un « Droit idéal » [65] et peut-être est-il aussi de ce fait le créateur d'une « science nouvelle » [66]. Si bien qu'il faut renoncer à l'image d'un Montesquieu seulement attaché à la description des faits : on peut en ce sens « s'étonner, avec Bernard Manin, que tant d'interprètes soient demeurés aveugles à ce fait massif : Montesquieu ne se borne pas à décrire, il juge et choisit » [67]. On pourrait ajouter, il affirme. Il affirme que l'homme ne peut être défini qu'à partir de sa liberté, une liberté dont il retient cependant un contenu non pas tant moral que politique. La Cité idéale est celle où la liberté prévaut, ce qui est dire que si la liberté définit l'Homme en tant qu'être de la Création, elle le définit également comme être politique (A).

18 Cette ambition qu'a Montesquieu de délimiter les contours de la double condition de l'Homme, condition naturelle et condition politique, n'est cependant qu'un préalable dans sa pensée. Définir l'Homme comme animal politique postule en effet nécessairement de s'attacher, ensuite, à décrire les conditions d'établissement de la société, puisque la Cité est le cadre de vie naturel, imposé, des hommes. Et c'est à nouveau la liberté qui fournit le schème efficient pour penser le fait social : celui-ci ne peut être décrit que comme inévitablement plural, hétérogène, en ce que l'exercice par chacun de sa liberté ne peut produire autre chose qu'une altérité sociale, qu'une diversité des croyances, que des divergences de convictions (B).

A. Une certitude ontologique : l'Homme se définit par sa liberté

19 Incontestablement, la théorie de la séparation des pouvoirs a « le statut ambigu d'une notion à cheval entre philosophie politique et droit constitutionnel » [68]. Aussi, la très grande majorité de la doctrine ne néglige-t-elle pas de relever l'inspiration philosophique de la pensée de Montesquieu : tous les manuels y insistent, l'objet réel de l' uvre de Montesquieu est bien la quête de « l'idéal politique [de] modération du pouvoir » [69] aux fins de permettre l'établissement de la liberté politique [70]. Comme le résument les professeurs Hamon et Troper, « la théorie de la séparation des pouvoirs est avant tout un principe de technique constitutionnelle destinée à éviter le despotisme et à garantir la liberté » [71]. Il reste cependant que ces considérations d'ordre philosophico-politique sont tenues en général comme ne ressortissant pas d'une analyse proprement juridique : à la nécessité cardinale de distinguer description des faits et jugements de valeur [72], s'ajoute la conviction que les composantes philosophico-politiques de la théorie n'informent que sur l'inspiration et la finalité libérales de celle-ci, mais pas sur les propositions juridiques qu'elle renferme. La césure majeure semble être ici celle qui oppose les tenants d'une approche juridico-formelle à ceux pour lesquels il existe au contraire une ligne de continuité entre d'une part les propositions de la théorie tenant aux modalités de distribution des fonctions entre les organes, et d'autre part le soubassement philosophico-politique de la théorie.

20 C'est à cette seconde lecture qu'on croit nécessaire de se ranger. L'intelligence du projet constitutionnel de Montesquieu appelle en effet à prendre la mesure du parti pris éthique sur lequel il repose. Ce parti pris éthique, c'est celui de la liberté, et c'est à juste titre qu'on a pu dessiner la figure d'un Montesquieu « hanté » [73] par l'idéal de liberté, d'un « Montesquieu combattant de la liberté » [74]. C'est bien ce contenu axiologique, d'ailleurs caractéristique de l'humanisme des Lumières [75] et que Montesquieu assume au reste explicitement, c'est bien cet « esprit de liberté [qui] confère aux multiples analyses que propose L'Esprit des lois une extraordinaire unité » [76] et qui rend du coup inséparable le volet philosophique de sa doctrine de son volet juridique. Car Montesquieu, en tant que « moraliste [...], est en quête des conditions du bonheur des hommes » [77], de sorte que sa doctrine constitutionnelle n'apparaît que comme « la pensée d'un moyen [...], une intention, une visée téléologique » [78] au service d'un but plus grand, celui de l'anti-despotisme, c'est-à-dire l'envers de la liberté [79] ; cette doctrine est, pour lui, le « moyen adéquat pour atteindre l'idéal politique défini par la réflexion philosophique de l'époque : garantir la liberté concrète des sujets » [80]. Cet idéal de liberté est doublement fondateur dans la pensée de Montesquieu : la liberté est le fondement de la nature de l'Homme (1) ; elle est également une valeur cardinale en ce que, l'Homme ne pouvant être conçu autrement que comme animal social, elle seule permet de penser l'institution politique de la Cité (2).

1) La liberté, vérité ontologique de l'Homme

21 L'opposition entre le Montesquieu soucieux de découvrir les causes profondes des événements et le Montesquieu prescriptif, imprégné de l'idéal de liberté, n'a que l'apparence du paradoxe. Il est vrai que l'on a pu trouver dans son  uvre les racines du positivisme sociologique [81] ; et à bien des égards en effet, sa méthode d'investigation annonce l'avènement d'une démarche qui sera celle de la « science des sociétés » [82]. « J'ai d'abord observé les hommes, écrit Montesquieu, et j'ai cru que, dans cette infinie diversité de lois et de m urs, ils n'étaient pas uniquement conduits par leur fantaisie » [83]. Dans cette phrase inaugurale, Montesquieu expose son programme de travail : il s'agit pour lui de rechercher, par delà l'irréductible variété des sociétés humaines, les causes explicatives rationnelles. C'était déjà l'ambition qui l'avait animé lors de la rédaction de ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence[84]. C'est la tâche qu'il poursuit avec l'écriture de L'Esprit des lois. Le chaos des faits n'est pas insaisissable, « la suite apparemment accidentelle des événements » [85] peut devenir intelligible. Il est faux de dire que le hasard gouverne les hommes : « ceux qui ont dit qu'une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit une grande absurdité » [86]. Au contraire, le monde est régi par un principe de causalité universelle, dont Montesquieu énonce le sens dès les premières lignes de son texte : il y a, dit-il, une « raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces êtres entre eux. [...] Ainsi la création, qui paraît être un acte arbitraire, suppose des règles aussi invariables que la fatalité des athées. Il serait absurde de dire que le Créateur, sans ces règles, pourrait gouverner le monde, puisque le monde ne subsisterait pas sans elles » [87]. Il faut comprendre que tout, depuis les lois physiques, les bêtes, jusqu'à l'Homme et au droit qu'il crée est commandé par la nécessité. Il n'est pas jusqu'aux décrets du Dieu créateur lui-même qui ne puissent échapper à la rationalité universelle [88]. La complexité du monde n'est dès lors pas hors de portée de la connaissance puisque le principe de causalité permet de la déchiffrer, puisque « chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance » [89]. Il suffit donc, mais la tâche est immense, d'établir quels mécanismes régissent « l'inéluctable nécessité » [90] ; il faut classer, ordonner, regrouper dans des catégories générales, ce que Montesquieu nomme ses « principes » [91]. « L'esprit des lois », pour Montesquieu, c'est l'ensemble des causes morales et physiques. Ces causes ne sont génériques qu'à raison des effets qu'elles produisent (les mêmes causes produisent les mêmes effets, ce qui permet à l'esprit humain d'en connaître, ce qui les rend accessibles à la raison scientifique) ; mais elles ne sont pas présentes à l'identiques dans toutes les sociétés (ce qui explique que les lois, constitutionnelles en particulier, soient si différentes de par le monde). Le magistrat bordelais trouve ainsi une voie moyenne « en dégageant des principes ou des types qui constituent un niveau intermédiaire entre la diversité incohérente et un schéma universellement valable » [92].

22 Pour autant, même si « sa recherche d'une explication rationnelle, le rapport qu'il établit entre la relativité des coutumes et l'universalité des principes font [de Montesquieu] une référence nécessaire pour les sociologues comme pour les anthropologues » [93], ce serait singulièrement amputer son  uvre que de ne retenir que ce seul aspect. Sa philosophie est aussi une philosophie morale et il faut la classer dans la lignée des théories du droit naturel. La science qu'il entend construire n'est pas une science neutre axiologiquement, mais fondée sur l'opposition entre le Bien et le Mal. Car l'idée de justice est pour lui « antérieure et supérieure à toutes les lois humaines » [94] : « avant qu'il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possible. Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux » [95]. Dans cette affirmation anti-hobbesienne par excellence Montesquieu pose que « les lois humaines ne sont pas la mesure du juste et de l'injuste » [96], mais qu'il existe au contraire « des rapports d'équité antérieurs à la loi qui les établit » [97]. C'est dire que le Bien, en tant que donné objectif, peut et doit orienter l'action des hommes. Les faits humains sont susceptibles de recevoir un jugement moral. L'on voit ainsi à nouveau se dessiner l'image d'un Montesquieu recherchant un terme intermédiaire entre « absolu et relatif » [98]. Le relativisme moral absolu, ce serait d'accepter qu'il existe autant de définitions du Bien qu'il y a de sociétés et ce serait, partant, renoncer à toute idée d'un Bien commun ; mais à l'inverse, proclamer qu'un Bien universel doit régir, partout et de la même façon, l'action des hommes, ce serait nier l'« infinie diversité de lois et de m urs », renoncer à expliquer pourquoi les hommes n'ont pas tous les mêmes coutumes. Le point d'équilibre, difficile à maintenir, doit donc être le suivant : l'affirmation de la valeur universelle de la règle morale, mais aussi l'acceptation de sa déclinaison chaque fois spécifique [99] dans une société donnée.

23 On le voit, Montesquieu emprunte un chemin étroit et ardu. Il déclare simultanément que non seulement les faits humains sont accessibles à la connaissance, et même, au-delà, qu'il existe un déterminisme des causes morales et physiques, mais aussi qu'on peut jauger ces faits à l'aune de valeurs, qu'un monde sans éthique est inconcevable. Cette tentative « de ne pas séparer connaissance et jugement » [100] est d'autant plus périlleuse que Montesquieu reste délibérément en marge de toute spéculation métaphysique, de toute idéalité. Comprendre une telle façon de procéder nécessite de s'arrêter un instant sur la notion, centrale dans son raisonnement, de Nature ou de nature des choses [101]. Précisons d'emblée que c'est dans cette notion que le jusnaturalisme de Montesquieu apparaît le plus distinctement, un jusnaturalisme dont on a pu faire remonter la généalogie à Aristote, de nouveau, et dans une moindre mesure à Cicéron [102]. Dès l'ouverture de son grand livre, Montesquieu avertit le lecteur : « je n'ai point tiré mes principes de mes préjugés, mais de la nature des choses » [103]. Mais qu'est-ce au fond que cette « nature des choses » ? Il faut certainement y voir, avec le Professeur Goyard-Fabre, la référence à un « horizon méta-juridique » [104] ou, pour le dire avec d'autres mots, à un principe immanent : il existe une nature humaine, « un instinct » [105] propres à l'Homme et desquels il ne peut s'affranchir précisément parce que ce sont eux qui le définissent en tant qu'Homme. « L'ordre ontologique de l'univers » [106], qui n'est autre que l'ordre même de la nature, enferme les créatures dans une condition : ces créatures ont été façonnées selon certaines lois, fondatrices de leur essence, qui les bornent à ne pouvoir être autre chose que ce qu'elles sont. Nier une telle essence, un tel conditionnement, ce serait nier les êtres en tant qu'ils sont êtres.

24 Reste à définir la nature propre de l'Homme. Mais à nouveau surgit une ambivalence, une dialectique dans la réponse que Montesquieu fournit. Car les hommes, doués d'intelligence, par opposition aux animaux, sont certes « bornés par leur nature [mais] d'un autre côté il est dans leur nature qu'ils agissent par eux-mêmes » [107]. C'est dire que l'Homme possède une qualité, l'intelligence, que les autres  uvres de la création n'ont pas : si, « comme être physique, [il] est, ainsi que les autres corps, gouverné par des lois invariables », en revanche, « comme être intelligent, il viole sans cesse les lois que Dieu a établies » [108]. Montesquieu fonde ainsi, dans ce balancement entre déterminisme d'une nature physique et volonté d'émancipation d'une pensée, la liberté ontologique des hommes : « leur nature, comme l'écrit avec profondeur Tzvetan Todorov, les laisse s'écarter de cette nature, leur détermination consiste en une capacité de liberté » [109]. Loin de poser les termes d'une antinomie, Nature et Liberté entretiennent donc entre elles un lien étroit : « ce qui est conforme à l'ordonnancement naturel des choses est précisément la liberté » [110].

25 Encore faut-il préciser : la liberté dont il s'agit n'est pas la liberté négative de l'état de nature telle que l'avait définie Hobbes dans son Léviathan évoquant la vie « solitaire, besogneuse, pénible, quasi animale et brève » [111] qu'y mènent les hommes. Tout au contraire, il ne peut s'agir pour Montesquieu que d'une liberté positive [112], précisément parce que le désir de vivre en société est, pour l'homme, une « loi naturelle » [113]. Une nouvelle fois, Montesquieu retrouve les mots du Stagirite pour affirmer que l'Homme est un animal politique, qu'il ne possède pas d'état pré-social. La liberté dont il jouit ne peut être qu'une liberté « en société », une liberté s'épanouissant dans la Cité, en un mot une liberté politique. Et puisque l'examen du monde administre la preuve que cette précieuse liberté n'est pas établie partout, il faut convenir que certaines sociétés seulement sont conformes à la nature de l'Homme, les autres, parce qu'elles la contrecarrent, devant être déclarées contre-nature, impropres à fonder l'existence d'une communauté politique.

26 C'est à ce stade que s'opère le basculement de la philosophie morale de Montesquieu vers une philosophie proprement politique. En affirmant ainsi que « la liberté [est] ce bien qui fait jouir de tous les autres » [114], Montesquieu s'exprime en philosophe, mais en philosophe non pas tant épris de métaphysique que préoccupé de la vie réelle de la Cité, de la liberté concrète de l'homme en société. La liberté dont il fait la valeur cardinale de son système s'inspire certes d'une certitude ontologique, celle que « l'humanité de l'homme réside dans sa liberté » [115], mais elle est aussi pour lui le critère qui permet de distinguer le politique du non politique.

2) La liberté, critère du politique

27 Pour Montesquieu, définir positivement la liberté de l'Homme en société, c'est, négativement, dénoncer le mal absolu que représente le despotisme. En ce sens, il fait partie de la cohorte des penseurs qui, tout au long du xviiie siècle,  uvreront à la libération de l'Homme [116], ce terme même de libération exprimant bien l'idée que la liberté, pour s'imposer, devra abattre le régime dominant du siècle. Et à bien des égards en effet, L'Esprit des lois fait « assaut contre l'absolutisme » [117]. Si Montesquieu s'en prend au despotisme asiatique, il faut aussi considérer que, à mots couverts, « son livre lui-même est la réponse à une situation qu'il juge menaçante : l'avènement possible du despotisme en France » [118]. Lors de la querelle qui suivra la publication de l'ouvrage, le reproche d'anglomanie [119] qu'on lui fera sera une autre façon de dénoncer en Montesquieu un sujet bien peu fidèle du roi de France [120].

28 C'est que, et ses contempteurs l'ont bien compris, Montesquieu dresse une typologie des gouvernements particulièrement militante [121]. À la tripartition traditionnelle, qui repose sur le seul critère quantitatif du nombre de gouvernants, il substitue en effet une classification qualitative reposant sur les notions de nature et de principe. Ici n'est pas le lieu d'examiner en détail l'exposé, par ailleurs fort étudié [122], que le baron de La Brède fait de sa nouvelle taxinomie. Retenons seulement que, « selon Montesquieu, parmi les "trois espèces de gouvernement", le monarchique et le despotique sont deux figures distinctes et irréductibles » [123]. Une telle irréductibilité a d'ailleurs une portée générale puisqu'elle sépare également démocratie et aristocratie d'une part et despotisme d'autre part. La raison qui fait que ce dernier régime est « le mal politique absolu » [124] tient au fait qu'il est destructeur de la liberté. Les hommes y sont tous abaissés à la condition d'esclaves [125], réunis dans le partage d'un destin commun de souffrance. Ils y sont de fait tous égaux, mais d'une égalité qui nivelle, qui écrase. Tous également soumis à la volonté et aux caprices d'un seul [126], ils en redoutent chacun les sentences arbitraires. Le principe de « ce gouvernement monstrueux » est la « crainte » [127]. Le despote y est tout, peut tout ; les autres hommes n'y sont rien [128]. Pour le dire en une formule, « le despotisme [est une] insulte à la nature humaine » [129].

29 En somme, un tel gouvernement consacre le règne de la force brute, il n'est que « pulsion de pouvoir » [130], pulsion que Montesquieu rend par cette célèbre parabole : « quand les sauvages de Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l'arbre au pied, et cueillent le fruit. Voilà le despotisme » [131]. Il est un « pouvoir sans bornes » qui ne sert qu'à « accabler et détruire » [132]. En cela, il est un gouvernement contre-nature, un gouvernement en contradiction avec la nature même de l'Homme, avec sa « liberté naturelle » [133]. Le despotisme « dénature » donc, au sens premier du mot, l'Homme. Il l'empêche d'exprimer sa véritable essence, il est la négation de son ontologie. Il lui interdit d'être ce qu'il est. Étant négation de l'Homme, le despotisme est, partant, négation du politique. Il supprime d'abord la machine gouvernementale à laquelle il substitue le bon vouloir d'un seul, une telle individualisation du pouvoir pouvant être considérée comme « l'antithèse de l'institutionnalisation » [134]. Ensuite et surtout, il détruit toutes les valeurs pour n'en garder qu'une seule, délétère, presque une anti-valeur, la crainte. Le despotisme est ainsi l'antinomie du politique [135], il est la transposition [...] de l'idée métaphysique de néant » [136].

30 On le voit, pour Montesquieu, le despotisme marque une sorte de contre-point absolu [137], son programme politique étant lui-même « construit comme l'image inversée de l'absolutisme despotique » [138]. Une fois la borne franchie, il n'y a plus place pour rien. La Vérité se situe donc en-deçà de cette limite. Mais Montesquieu ne se contente pas de nous montrer l'image repoussante de la dégénérescence, de la déviance du pouvoir ; il nous donne aussi à voir le parangon de la rectitude politique. Dans sa pensée, correspond au versant négatif, la « haine du despotisme », un versant positif, « l'horizon d'espérance de la liberté » [139]. Il est des sortes de gouvernement dans lesquels la liberté est à même de s'épanouir : ce sont les gouvernements modérés [140]. Eux seuls sont potentiellement en harmonie avec la nature humaine, eux seuls sont en mesure de préserver la « liberté naturelle » de l'Homme. Ainsi, sous la plume de Montesquieu, « la modération [...] acquiert le statut d'un principe politique » [141]. C'est à raison de ce qu'un gouvernement modéré respecte la liberté qu'il peut être déclaré légitime ; à l'inverse, « un pouvoir sans bornes ne saurait être légitime » [142]. Aussi, « l'inconvénient n'est[-il] pas lorsqu'un État passe d'un gouvernement modéré à un gouvernement modéré [...] mais quand il tombe et se précipite du gouvernement modéré au despotisme » [143]. Pour le dire avec des termes modernes, la ligne de fracture que trace Montesquieu est en somme celle qui passe entre gouvernement modéré et despotisme, entre respect de la liberté et pouvoir tyrannique.

31 A travers cette césure entre types de gouvernement qu'elle permet d'opérer, on comprend combien la liberté est pour Montesquieu cet impératif logique qui seul permet de penser le fait politique. Le politique, en tant que catégorie de la pensée humaine qui porte sur la discussion sur les valeurs de la Cité, en tant qu'il conduit à départager différentes conceptions du Bien social souhaitable, le politique donc devient proprement impensable dès lors qu'on ne présuppose pas la libre expression par chacun de ses convictions. La cohérence de la pensée de Montesquieu apparaît ici parfaite : ou bien l'Homme n'est pas libre et c'est alors toute idée de politique qui est congédiée parce que son asservissement est synonyme d'anéantissement des valeurs, ou bien, en accord avec sa condition naturelle, il l'est et c'est alors non seulement l'institution du fait social qui devient possible, mais encore le politique qui devient pensable. Autrement dit, c'est bien la liberté qui détermine la légitimité d'un gouvernement, faute de quoi les hommes sont fondés à dissoudre la société politique afin de recouvrer leur liberté naturelle : « Si un prince, bien loin de faire vivre ses sujets heureux, veut les accabler et les détruire, le fondement de l'obéissance cesse : rien ne les lie, rien ne les attache à lui ; et ils rentrent dans leur liberté naturelle. Ils soutiennent que tout pouvoir sans bornes ne saurait être légitime, parce qu'il n'a jamais pu avoir d'origine légitime » [144].

32 Au total, c'est la liberté qui, seule, permet de définir l'Homme ; c'est elle aussi qui détermine les conditions de son inscription en société, en ce qu'elle est le critère décisif permettant de faire le départ entre les Gouvernements politiques et ceux qui ne le sont pas, c'est-à-dire entre les Gouvernements modérés ou libéraux et les autres. Mais c'est encore cette même liberté qui retentit sur la configuration du fait social ; ou plutôt, elle commande une certaine façon de penser le fait social. En effet, l'exercice par chaque individu de sa liberté ne peut avoir pour conséquence que de générer une société hétérogène dès lors que, c'est presque un truisme, les hommes ne sont pas tous semblables, n'ont pas tous les mêmes croyances, ne partagent pas tous la même conception du Bien commun.

B. Un donné objectif : la société est hétérogène

33 Dans la pensée de Montesquieu, le caractère hétérogène du champ social s'impose avec la force d'une évidence. Cette évidence résulte en premier lieu de ce que l'étude des sociétés humaines l'a convaincu qu'il s'agit là d'un donné brut, objectif, premier : qu'on l'envisage sous l'angle anthropologique, sociologique ou historique, l'hétérogénéité sociale se donne à voir comme une constante, comme un invariant de toute communauté organisée. Montesquieu recense ainsi, dans chacun des États qu'il examine, les groupes sociaux ou forces sociales constitués, de même que c'est la distribution des fonctions entre les groupes sociaux qui retient son attention [145]. Cette évidence, en second lieu, le magistrat bordelais la dégage comme conséquence logique de la prémisse libérale qu'il a posée : la liberté postule la diversité humaine, une diversité qui ne disparaît pas avec l'avènement de la société ­ mis à part il est vrai la société placée sous la coupe réglée du despote, mais il ne peut s'agir là que d'une exception dès lors que ce gouvernement apparaît, on l'a dit, comme un gouvernement contre nature : l'expression « société despotique » est proprement un oxymore. Parce qu'elle est le lieu par excellence où s'expriment les valeurs que portent en eux les individus et groupes constitués, la société ne peut être perçue que comme totalité hétérogène (1) ; parce qu'elle est cet espace dans lequel se déroule un échange permanent sur la définition du Bien commun, un Bien commun qui n'est jamais connu à l'avance, jamais fixe, c'est bien dans un principe d'indétermination que la société trouve son ressort (2).

1) L'idéologie sociale de Montesquieu

34 Si on rencontre bien chez Montesquieu une certaine conception de l'Homme, on trouve également chez lui une idéologie sociale. Cette idéologie sociale résulte d'abord et avant tout d'un constat historico-sociologique. Un tel constat, Montesquieu le tire du regard avec lequel il a, des années durant, scruté les sociétés humaines. Ses multiples voyages qui lui ont fait découvrir l'Europe [146] ainsi que sa fréquentation assidue des livres [147], pour les sociétés qu'il n'a pas connues parce que trop éloignées dans l'espace ou le temps, lui ont donné la conviction que c'est bien la pluralité qui caractérise les sociétés humaines : à « l'infinie diversité de lois et de m urs » fait pendant une « autre diversité, cette fois à l'intérieur de la société » [148]. En somme, comme l'écrit Raymond Aron, « son idée dernière est que l'ordre social est, par essence, hétérogène » [149]. Montesquieu récuse ainsi toute idée d'unité supérieure, préexistant en quelque sorte à l'avènement de la société. Celle-ci est un fait premier, donné à l'observateur dans son irréductible diversité. Les hommes, bien qu'ontologiquement semblables du fait de leur commune condition naturelle, n'en sont pas moins mus, dans la société, par des valeurs et intérêts différents.

35 Le reproche de conservatisme adressé à Montesquieu semble dès lors rater sa cible. C'est Louis Althusser qui a porté la charge la plus lourde à l'encontre du magistrat de Bordeaux : dans son court opuscule [150], il dénonce un « parti pris de Montesquieu » [151], ce « féodal ennemi du despotisme » [152], qui n'a pas « fait figurer au partage du pouvoir une autre puissance que celles qui recevaient les honneurs de la théorie politique : la "puissance" de la masse du peuple [...] » [153]. En fait, ce qu'Althusser n'aperçoit pas, c'est que « Montesquieu avait à l'esprit une conception de l'ordre social qui transcende les données du xviiie siècle », que, pour lui en effet, « tout ordre social est par essence hétérogène et [que] la liberté ne peut résulter que d'accommodements entre les différents groupes qui le composent » [154]. En ce sens, il faut relever la modernité des enseignements de Montesquieu qui « reste peut-être le représentant d'une façon de penser qui n'est nullement dépassée ou anachronique. Quelle que soit la structure de la société à une époque, il y a toujours possibilité de penser à la façon de Montesquieu, c'est-à-dire d'analyser la forme propre d'hétérogénéité d'une certaine société » [155].

36 Sans être le critère du politique, l'hétérogénéité sociale en est à son principe ; si la liberté est ce qui fonde le politique, la diversité sociale est ce qui lui donne corps, ce qui le structure : le politique est bigarrure, variété, mixité. Aussi faut-il partir de ces prémisses pour comprendre les développements du chapitre sur la Constitution d'Angleterre que Montesquieu consacre aux composantes de la société anglaise. Pour Charles Eisenmann, « l'idéologie sociale » de Montesquieu réside précisément en ce qu'il « part de l'hypothèse d'une société de classes au sens juridique du terme ; qu'il accepte tout au moins cette division en ordres comme un fait sur la base duquel il établit sa Constitution » [156]. Quels sont les groupes sociaux qu'il a vus constitués lors de son séjour outre-Manche ? Quelles sont ces « forces sociales » [157] structurées, comme le souligne Charles Eisenmann, autour de « croyances et intérêts » [158] solidement ancrés dans l'Angleterre du xviiie siècle ? Montesquieu en recense trois : le Roi, l'Aristocratie, le Peuple. L'important ici est que ces forces sociales ne sont pas le produit d'une théorisation que Montesquieu aurait opérée ; elles sont le simple résultat de son observation. Montesquieu dresse le constat que la société anglaise ne constitue pas un ordre social unifié, de la même façon qu'à la fin du chapitre 6 « il revient à Rome et analyse l'ensemble de l'histoire romaine en termes de relations entre la plèbe et le patriciat » [159]. Il existe ou existait dans ces sociétés, dont le baron de La Brède se contente de faire « l'anatomie » [160], des groupes sociaux constitués. Telle est la réalité première, réalité sur laquelle l'observateur n'a aucune prise. On l'a dit, Montesquieu part de ce qui est. Et s'il échafaude ensuite, en artisan constitutionnel, un système d'organisation du pouvoir, ce n'est pas pour se défaire de cette réalité ni pour changer l'ordre des choses : il identifie seulement là les déterminants sociaux avec lesquels toute organisation constitutionnelle du pouvoir doit composer en raison de ce qu'ils en forment le soubassement.

37 Avant d'examiner les conséquences à tirer de ce principe d'hétérogénéité sociale, il convient d'apporter des précisions sur une double sur-interprétation qui pourrait être déduite de la présentation qui vient d'être faite. En premier lieu, le constat fait par Montesquieu de l'existence de groupes sociaux n'est pas assimilable à un holisme [161] : cette notion, définie comme « une idéologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l'individu humain » [162], s'applique en effet mal à un projet philosophique et une démarche sociologique qui ambitionnent de restituer à l'Homme sa liberté individuelle. Ce serait donc une erreur de perspective que de considérer ces catégories sociales comme des unités sous lesquelles les hommes seraient subsumés : ces groupes sociaux constituent plutôt pour Montesquieu des groupes intermédiaires qui, certes structurent l'espace social, mais ne conditionnent pas l'accès des individus à un tel espace.

38 En second lieu, il faut se garder de rattacher Montesquieu à l'école de pensée utilitariste [163] qui, après Locke, Mandeville et Smith, trouve en Jeremy Bentham et John Stuart Mill ses théoriciens. Ce serait prêter à Montesquieu des intentions qu'il n'a pas. Sans doute refuse-t-il de scinder l'individu en deux, comme le fera plus tard Rousseau, en distinguant le citoyen, préoccupé du Bien commun, et l'homme, animé par une volonté particulière ; mais il n'en dessine pas pour autant la figure d'un individu égoïste, guidé par la seule recherche de son plaisir [164]. Pour lui, la liberté n'est pas « l'indépendance » consistant à « faire ce que l'on veut » [165] car il existe des « rapports d'équité antérieurs ». C'est dire, à l'opposé de la Fable des abeilles et de l'hédonisme égoïste qu'elle revendique, que les vices privés ne font pas le Bien public [166], que l'exercice par chacun de sa liberté peut ne pas produire la liberté de tous, qu'une majorité peut ne pas être raisonnable. Comme l'écrit Bertrand Binoche, c'est bien plutôt vers la formule d'un « calcul de médiété » [167] que Montesquieu incline, un Montesquieu qui se défie des extrêmes : « le bien politique, comme le bien moral, écrit-il ainsi, se trouve entre deux limites » ; ou encore, « Comment dirais-je cela, moi qui crois que l'excès même de la raison n'est pas toujours désirable, et que les hommes s'accommodent presque toujours mieux des milieux que des extrémités » [168]. Ces deux bornes, si l'on essaie de les identifier, sont d'une part l'impossibilité de réduire la liberté en société à l'expression spontanée des choix individuels, sauf à ne voir dans la Cité qu'un ensemble humain atomistique ; d'autre part la nécessité d'assurer que la définition du Bien commun ne soit pas décidée une fois pour toutes, au point qu'elle retirerait aux individus leur faculté d'exprimer librement leurs intérêts et leurs valeurs du fait de leur subordination à une sorte de morale civique.

39 Pour Montesquieu, la société est hétérogène en amont de la définition du Bien commun, mais elle le demeure aussi en aval : du fait que les individus ne sont jamais privés de faire valoir leur liberté, cette définition ne peut que résulter d'un ajustement continuel, d'un processus permanent de confrontation entre les valeurs que portent les uns et les autres. Dans ces conditions, le champ social se donne à voir comme un champ toujours ouvert, comme un champ indéterminé dès lors qu'il demeure toujours un espace de pluralité.

2) La société comme espace plural indéterminé

40 Nulle part dans l' uvre de Montesquieu on ne peut trouver trace de l'affirmation de vérités ou de valeurs absolues, à l'exception notable de la liberté. On l'a dit, « ce bien qui fait jouir de tous les autres » occupe dans son système la position centrale ou, on dirait mieux, fondatrice : la liberté est à la fois la valeur dont tout part et celle à laquelle tout ramène. Et on comprend d'autant mieux l'importance pratique et théorique qui s'y attache que l'on saisit les contours du « pluralisme éthique » [169] que prône Montesquieu : puisqu'aucun individu n'est en position de s'affirmer détenteur de la Vérité, puisqu'aussi bien une telle Vérité n'existe pas du fait que la liberté de l'un trouve sa limite dans la liberté de l'autre, il est indispensable que chacun soit en mesure de s'exprimer. À la recherche de la Vérité absolue doit ainsi être substituée la recherche de vérités relatives, momentanées, toujours susceptibles d'être remises en cause. L'espace politique et social naît ainsi de ce qu'il est in fine un espace dans lequel la liberté de chacun doit pouvoir trouver son plein épanouissement ; à l'opposé, le despotisme n'a que l'apparence d'une forme politique précisément parce qu'il est affirmation d'une Valeur absolue, celle que le prince énonce, qui ne souffre aucune mise en débat. Importance théorique donc en ce que la qualification de politique, on l'a dit, ne peut être attachée à toute forme de pouvoir indéterminée, mais uniquement à un pouvoir qui assure la confrontation des valeurs ; importance pratique en ce que le pouvoir, dans sa structuration même, doit organiser cette confrontation de valeurs.

41 Dans ces conditions, le principe d'hétérogénéité sociale, que Tzvetan Todorov va jusqu'à qualifier de « grand principe politique, aperçu par Montesquieu » [170], n'est aucunement germe d'entropie. Il est même, dans sa pensée, son exact contraire. La diversité humaine est certes un donné presque primitif, mais le magistrat bordelais ne la considère en aucun cas comme un mal nécessaire et il est en cela conséquent avec son raisonnement : les individus ayant des points de vue différents, il est indispensable qu'un échange, qu'une mise en discussion aient lieu. Toute discussion excluant totalement ou partiellement certains arguments, c'est-à-dire concrètement certains individus, serait une discussion tronquée, partielle et par voie de conséquence partiale en ce qu'elle ne permettrait pas à chacun d'exprimer sa liberté. La discussion, la mise en débat, loin d'être des ferments de divisions, de fragmentations, sont constitutives d'un principe positif.

42 Montesquieu apparaît ainsi foncièrement comme un penseur de la pluralité : hormis la liberté, qui est la valeur cardinale en ce que c'est elle qui détermine les conditions d'énonciation de toutes les autres, il n'existe pas de valeur absolue. Les hommes sont dissemblables du fait qu'ils ne portent pas en eux la même conception du Bien. Dès lors, c'est un principe d'indétermination qui régit le monde : « une indétermination ultime du concept de justice en matière politique » [171], comme l'écrit Bernard Manin, une « indétermination relative du bien politique » [172], pour le dire avec les mots d'Olivier Beaud. Parce que, dit Montesquieu, si « l'homme, comme être physique, est, ainsi que les autres corps, gouverné par des lois invariables », « comme être intelligent il viole sans cesse les lois que Dieu a établies » [173]. Ainsi, « si les hommes ne suivent pas spontanément et toujours ces lois invariables [...], cela ne tient pas seulement à leur imperfection mais aussi à ce qu'il y a de plus élevé en eux, leur intelligence et leur liberté » [174]. C'est bien l'exercice de cette intelligence et de cette liberté qui rend les hommes différents et, partant, font de la Cité un espace de pluralité.

43 Ce serait donc une erreur que de voir dans le dispositif que Montesquieu construit un simple pis-aller : le pouvoir étant par essence dangereux, il faudrait le contrôler de sorte que puisse en résulter la liberté. Tout au contraire, Montesquieu semble baser son système sur ce que Bernard Manin appelle « les bienfaits d'une pluralité conflictuelle » [175]. Pour Montesquieu en effet, il faut faire « un système, c'est-à-dire une convention de plusieurs et une discussion d'intérêts » [176]. Le Bien commun n'étant pas connu à l'avance ­ c'est le principe d'indétermination ­ chaque individu en ayant une conception différente ­ c'est le principe d'hétérogénéité sociale ­ il faut mettre en place un processus délibératif qui permette de le dégager. Il est nécessaire de confronter les points de vue, d'instaurer un dialogue, pour connaître ce Bien commun. C'est ce qu'exprime bien le paragraphe 31 du chapitre 6 du Livre XI : le corps des nobles et le corps représentants le peuple, écrit Montesquieu, ont « chacun leurs assemblées et leurs délibérations à part, et des vues et des intérêts séparés » [177].

44 Dès lors, puisque la société est impensable comme entité unifiée, c'est l'objet même du politique qui doit être défini comme plural et indéterminé. C'est dire que le fonctionnement de la Cité ne peut être pensé autrement qu'à partir d'une mise en confrontation des composantes sociales. L'opposition entre les pouvoirs n'assurera pas seulement la sauvegarde de la liberté, mais elle en sera également la « source » [178]. On comprend dès lors en quoi le projet de Montesquieu peut être qualifié de dual. Les deux sens du terme confrontés donnent une première approximation d'une telle dualité : il signifie à la fois une mise en opposition de points de vue différents (c'est la métaphore belliciste) et une comparaison (terme plus neutre) de ces points de vue. Pour le dire différemment, le projet de Montesquieu comporte au vrai un double versant : le versant négatif, c'est la fonction instrumentale que remplit le pouvoir, à savoir stopper un autre pouvoir ; quant au versant positif, il réside dans la capacité du système à produire les conditions favorables à la délibération.

45 In fine, on voit combien il est réducteur de ramener le système de Montesquieu à l'établissement de règles qui borneraient purement et simplement la chose politique. Ce sera l' uvre des penseurs libéraux du xixe siècle, Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville et, plus tard dans le siècle, Édouard Laboulaye, de se faire les promoteurs de l'idée d'un espace privé, réservé à la liberté individuelle, que l'État ne peut investir. Quant à lui, Montesquieu a une autre conception, peut-être au fond plus moderne, des rapports entre l'État et la société. S'il est vrai qu'il conçoit en termes antagonistes les rapports entre liberté et pouvoir, il ne fait pas de la société le siège de l'une et de l'État le siège de l'autre. Son système n'a pas pour vocation d'assigner à la chose politique un espace propre, nécessairement restreint ; il consiste au contraire à canaliser l'exercice du pouvoir politique, à le contraindre à revêtir une forme qui en neutralisera les excès. Montesquieu admet donc tout à fait que l'espace politique soit mouvant. Il est en cela parfaitement conséquent avec les prémisses qu'il a posées : faute de valeurs absolues, on se « trouve dans l'impossibilité d'assigner universellement et une fois pour toutes sa juste limite au pouvoir des gouvernants » [179]. En fonction de l'évolution de la conception du Bien commun que la société se donne pour elle-même, la ligne de partage entre ce qui relève de l'État et ce qui demeure une chose privée se déplacera ; il est donc inutile de tenter une délimitation définitive, tout autant qu'il est impossible d'anticiper sur l'avenir. En revanche, ce qui demeure essentiel, c'est que le système annihile tout pouvoir arbitraire, qu'il maintienne les conditions d'un processus délibératif et, de ce fait, préserve la liberté laquelle, au fond, n'est que le droit de se choisir un destin.

46 La liberté ontologique de l'Homme, qui le définit en tant que créature, détermine les conditions de son inscription en société. Dans une société plurale. C'est dès lors sur cette réalité première que le système doit reposer, puisqu'aussi bien il s'agit là d'un donné proprement invariable, fixe, non modifiable, presque immanent. Il faut dès lors se rendre à la conclusion d'une part que, puisqu'on ne peut avoir prise sur cette réalité, puisqu'elle ne peut pas être changée, l'effort doit porter ailleurs, à savoir sur l'organisation sous forme d'institutions de cette pluralité sociale ; d'autre part que, dès lors que la réalité sociale constitue toujours le matériau brut de toute réflexion sur le pouvoir, tout système qui vise à organiser celui-ci ne peut être viable qu'à la condition de réfracter les dynamiques qui traversent le corps social. La conception que Montesquieu a de l'Homme et de la société débouche dès lors sur l'identification d'une contrainte institutionnelle : celle de la recherche d'une mise en adéquation entre les cadres juridiques organisant le pouvoir et la réalité des structures sociales.

II. Dynamique politique de la société

47 et structure juridique du pouvoir

48 Dans la conception de Montesquieu, adosser le système institutionnel à la réalité du corps social, c'est en assurer la viabilité : la liberté ne peut être établie à rebours de la configuration politique de la Cité, la structure institutionnelle ne peut s'affranchir du fait politique. Si la liberté doit valoir, ce ne peut être que la liberté de tous. Le précepte serait détruit si la liberté de quelques uns, a fortiori d'un seul, neutralisait la liberté des autres. Et pour que la liberté de tous soit assurée, il faut que l'instrument potentiel ­ au double sens de « qui exprime une possibilité » et de « relatif à la puissance » ­ d'asservissement, le Gouvernement, soit maintenu sous le contrôle de tous. Il faut que chacun soit placé en position de faire valoir sa liberté en prenant part à l'exercice de l'autorité ; il faut que la présence des différentes composantes sociales soit assurée dans la mécanique juridique du pouvoir, chacun étant placé en situation d'exercer sa liberté ayant précisément intérêt à  uvrer à sa préservation.

49 Cette conception prend d'abord appui sur une conviction : celle que le droit peut être un vecteur efficace d'imposition de la liberté. Le droit peut être ce vecteur en raison de ce que, d'une part, la liberté, pour exister dans la Cité, doit bénéficier d'un statut juridique, d'autre part que la mise en confrontation des intérêts sociaux doit s'analyser comme une « auto-nomie », c'est-à-dire comme assurant que la norme juridique sera toujours nécessairement aussi la norme que la société se donne à elle-même (A). Cette conception trouve ensuite sa concrétisation plus particulière dans la structure juridique de l'État : la présence des composantes sociales sera assurée par des organes qui en permettent la représentation, tandis que la distribution des fonctions, à travers la mise en rapport des organes, à travers l'obligation qu'elle leur imposera de collaborer, permettra la mise en rapport des puissances sociales (B).

A. Le droit, vecteur d'imposition de la liberté

50 On a parlé à juste titre, à propos de la mission que Montesquieu assigne au droit, d'« optimisme juridique » [180]. Toute son  uvre est en effet nourrie de la conviction que le droit peut être le vecteur d'imposition de la liberté, d'une liberté dont il faut rechercher la reformulation en termes juridiques. Comme le résume Simone Goyard-Fabre, la liberté « est affaire de droit, plus précisément de droit positif » [181]. Pour le baron de La Brède, seul le droit peut instituer la liberté : c'est en cela, en cette intime osmose entre but éthique et moyen juridique, que s'affirme la philosophie du droit de Montesquieu. C'est au droit que revient doublement d'organiser les conditions d'existence de la liberté dans la Cité : d'une part il la dote d'un statut qui a pour fonction « de la constituer et de la protéger » [182] (1), d'autre part il en aménage l'exercice de telle sorte qu'il crée les conditions d'une production par les composantes sociales de la norme juridique (2).

1) Le statut juridique de la liberté

51 Le destin de l'Homme est entre ses mains. En tant que créature divine, il est certes borné par les attributs naturels que Dieu a placés en lui. Mais, en tant qu'être de pensée, il est doué d'une rationalité qui doit lui permettre de ne pas subir les aléas ; il lui est loisible d'ordonnancer le monde à sa guise. C'est en fait en ce caractère même d'« être double » [183] que réside la possibilité qu'il a de se réaliser pleinement : sa raison doit lui montrer la voie de l'accomplissement de sa liberté naturelle [184].

52 Pour autant, il y a loin de la liberté naturelle à la liberté en société. La seconde ne peut être le simple décalque de la première. D'une part, en effet, le problème de la liberté ne se résout pas avec l'avènement de la société civile. Montesquieu l'a montré lors de l'étude des formes de gouvernement, l'avènement de la société s'accompagne de l'émergence d'une puissance en charge de commander dans la Cité, d'une puissance publique, dont l'hypertrophie tendancielle est toujours à redouter. D'autre part et surtout, la liberté en société présente des caractéristiques bien spécifiques ou, pour le dire autrement, la liberté naturelle doit subir une mutation pour pouvoir exister dans la Cité. Il importe d'être précis sur ce point car, prévient Montesquieu, « il n'y a point de mot qui ait reçu plus de significations, et qui ait frappé les esprits de tant de manières, que celui de liberté » [185].

53 En quoi consiste alors la liberté dans la Cité ? Elle n'est pas d'abord « l'indépendance » et il faut rejeter le mot d'ordre simpliste : « faire ce que l'on veut » [186]. L'existence de la société commande précisément l'intersubjectivité, la prise en compte des autres ; l'affirmation d'une volonté individuelle autonome serait, au contraire, un solipsisme réducteur et générateur d'une guerre de chacun contre chacun, de tous contre tous [187]. La liberté ne peut donc « consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir » [188]. Il s'agit en somme de trouver un équilibre : la volonté de chacun doit pouvoir s'exprimer sans pour autant menacer celle des autres. Partant, il faut penser la liberté dans sa double dimension, sociale et politique. La définir métaphysiquement est de peu d'utilité. Il faut au contraire en tenter une approche concrète, située, c'est-à-dire cerner les conditions de son effectivité. Et cette effectivité ne peut résulter que d'un entre-deux : le libre arbitre d'un individu pouvant être constamment remis en cause par le libre arbitre des autres, il faut instituer une référence extérieure, commune à tous, valable pour tous et susceptible de s'imposer à tous. La liberté doit alors être définie comme « le droit de faire ce que les lois permettent » [189]. En effet, « si un citoyen pouvait faire ce qu'elles défendent, il n'aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir » [190].

54 On le voit, pour Montesquieu, la liberté dans la Cité s'assimile étroitement à la légalité. C'était déjà au nom de cette légalité qu'il vouait aux gémonies le régime honni du despotisme : parce qu'il fonctionne « sans loi et sans règle » [191], ce gouvernement ne peut établir la liberté. C'est cette même légalité qui lui permet de tracer, positivement cette fois, les contours de la liberté politique. Celle-ci est doublement « affaire de droit » [192]. Elle l'est d'une part en ce qu'elle résulte du contenu même du droit positif : la liberté ne peut être avant d'avoir été instituée, posée par des lois. On retrouve ici une idée que Montesquieu n'a pas été le premier à formuler ; sans mentionner de plus lointains devanciers [193], on relèvera qu'elle figure déjà dans l' uvre de Jean Domat, écrite un demi-siècle plus tôt et que Montesquieu a lue avec attention [194]. Mais il importe de faire ici une nouvelle incise pour bien marquer que ces lois, qui instaurent la liberté, ne sauraient trouver leur justification dans le pouvoir de décision des hommes. S'il est vrai que de telles lois sont le fruit de l'expression d'une volonté humaine, s'il est vrai dès lors « que la liberté des hommes se conquiert et qu'elle est l' uvre commune des législateurs et des peuples » [195], Montesquieu considère, comme Domat d'ailleurs, que « nulle loi positive ne doit offenser l'Idéal de Justice que Dieu a voulu supérieur et antérieur à tous les décrets de l'arbitre humain » [196]. La liberté politique ne pourra être effective que si elle est fondée en droit positif, mais un tel droit ne trouve lui-même son fondement et, partant, les conditions de sa validité, que dans l'ordre établi par le Dieu créateur. On doit conclure à nouveau que Montesquieu s'arrête à un moyen terme, « l'intuition d'un positivisme juridique » [197] que l'on peut déceler dans sa pensée demeurant fortement teinté de jusnaturalisme.

55 D'autre part et surtout, la liberté est affaire de droit en ce que c'est la force inhérente au droit qui, seule, permet de l'instituer. Certes, c'est à raison de ce qu'elles établissent la liberté que certaines lois pourront être déclarées justes. Il reste cependant que le droit possède une force intrinsèque qui est de nature à garantir l'effectivité de la liberté. La puissance qu'il met en  uvre doit assurer l'assujettissement du politique. Pour être plus précis, Montesquieu décrit les termes d'une subsomption du politique sous le droit [198]. Il conçoit en effet « le phénomène politique comme un phénomène juridique » [199] : le droit, parce qu'il  uvre à la création de la liberté, détermine les conditions de l'avènement du politique. Ce n'est que par la médiation du droit que la force brute, le pouvoir nu, peuvent accéder à la catégorie du politique. Dans la pensée de Montesquieu, le droit n'est donc pas une simple technique d'assujettissement, et il serait réducteur en ce sens d'opposer droit et fait. Le droit, en même temps qu'il substitue l'ordre à l'anomie, opère une transmutation du pouvoir en politique. Il ne se contente pas d'instituer la liberté, c'est-à-dire d'organiser les conditions juridiques de son existence, mais il la constitue [200] au sens fort du terme et permet du même coup l'émergence de l'ordre politique. Puisque sans liberté le politique n'existe pas, sans droit pour établir la liberté, il n'existe pas d'ordre politique.

56 Chez Montesquieu, droit et liberté sont étroitement unis dans un rapport dialectique qui fait que la pensée, dans son mouvement, va de l'un à l'autre sans jamais pouvoir véritablement les saisir l'un isolément de l'autre. La liberté est, sans le droit qui l'établit, un simple mot sans portée concrète ; en retour, le droit doit avoir pour objet la liberté, c'est-à-dire se préoccuper d'en assurer l'établissement dans la Cité, sauf à se trouver en contradiction avec les « rapports d'équité antérieurs ». Dans cette dialectique du droit et de la liberté, il faut certainement « l'acmé de la pensée politique de Montesquieu » [201] ; ce d'autant qu'elle contribue aussi à nourrir l'analyse que le châtelain de La Brède propose des conditions d'élaboration du droit.

57 Car au vrai, il existe deux sortes de lois de la liberté [202] : « celles qui ont trait à la constitution et celles qui concernent directement la liberté du citoyen » [203]. Et Montesquieu dresse le constat que les sociétés humaines n'offrent pas toutes le spectacle d'une parfaite concordance entre les deux : « il pourra arriver, dit-il, que la constitution sera libre, et que le citoyen ne le sera point. Le citoyen pourra être libre, et la constitution ne l'être pas » [204]. Est-ce à dire alors qu'il n'existe entre elles qu'un rapport de coïncidence fortuit ? Il faut en fait se rappeler que Montesquieu est tout autant préoccupé de mener à bien un travail de recensement de ce qui est, que de décrire les conditions d'imposition d'un droit idéal. Aussi constate-t-il, premier temps, que les coutumes, les usages, ainsi que « diverses causes historiques ou psychologiques plus ou moins occasionnelles » [205] auront permis l'acclimatation de la liberté dans certains États ; les citoyens y seront libres du fait d'un concours heureux de circonstances. Mais que ces circonstances viennent à changer et les citoyens perdront immanquablement leur liberté. C'est pourquoi, second temps, Montesquieu s'efforce de mettre au jour le lien d'« interdépendance [qui existe] entre la liberté de l'homme et la forme d'État et de gouvernement » [206], entre la liberté du citoyen et la liberté issue de la constitution. Pour que l'éventualité de la survenance de lois liberticides soit conjurée, pour que soit garanti l'établissement juridique de la liberté, pour que, en somme, le système soit complet, imparable [207], il faut que les conditions, déterminées par la constitution, qui président à la production du droit répondent à certaines exigences [208]. Au titre de ces exigences, figure la nécessité de faire en sorte que la notion de loi au sens juridique se superpose avec la notion de norme au sens social : l'idée d'une loi liberticide est proprement inconcevable dans un système où la totalité des forces sociales a pris part à son adoption dès lors que ces forces sociales sont précisément composées d'une infinité de monades mues par un principe de liberté, dès lors que les hommes ne pourront insuffler dans cet auto-gouvernement autre chose que la liberté, puisqu'il s'agit là de leur condition naturelle.

2) La norme juridique comme norme sociale

58 Pour Montesquieu, la loi ne trouve en réalité sa puissance qu'à raison de ce que ses conditions d'énonciation garantissent qu'elle ne peut être autre chose qu'un acte édicté par la société dans sa totalité. Par la société et pour elle-même. L'objet de l'organisation des pouvoirs constitués ne vise pas en priorité, pour lui, à empêcher ceux-ci d'adopter des règles contraires à la norme réputée suprême, c'est-à-dire, pour s'en tenir à ces deux seules normes, à inscrire la constitution et la loi dans un rapport hiérarchique de validité. Inviolable, la constitution doit l'être non pas du fait qu'elle serait considérée comme une norme de rang supérieur fournissant, comme telle, une base juridique permettant de sanctionner la loi qui lui serait contraire, mais du fait qu'elle enserre les acteurs sociaux, qu'elle les contraint à certains comportements politiques. Si elle règle la production du droit, ce n'est donc pas tant à raison de ce qu'elle constitue un corpus normatif suprême auquel rapporter, suivant une analyse de conformité, les actes édictés par les organes institués, mais à raison de ce qu'elle organise ce processus de production de telle sorte que la totalité des fractions du corps social y auront été placées en position d'exprimer leur consentement.

59 Dans ces conditions, la loi est nécessairement conforme à la constitution puisqu'elle est le produit de la volonté de l'ensemble des forces sociales, puisqu'elle exprime « la volonté du corps social » [209] ; elle est incontestable et demeurera incontestée dans son principe puisqu'elle est un acte édicté par la société dans sa totalité ; elle ne rencontrera au stade de son exécution aucune difficulté puisqu'elle intervient naturellement pour répondre à des demandes sociales.

60 Compte tenu d'une telle analyse, l'autorité de la loi ne résulte pas exclusivement de ce qu'elle est un acte édicté par la puissance publique, un acte pris au nom de l'État et pouvant dès lors se prévaloir du monopole qu'il détient de la contrainte légitime. Une telle présentation s'apparente à un raccourci dès lors que l'on considère que l'autorité publique ne possède elle-même sa pleine puissance qu'en tant qu'elle dispose d'une assise sociale suffisante : c'est bien l'union des puissances sociales qui confère à la puissance étatique son unité. En d'autres termes, ce contre quoi le système de Montesquieu prémunit c'est contre une situation d'hétéro-nomie définie comme « le fait pour un sujet d'être régi par des règles qui sont posées par autrui, en dehors de lui-même, par des règles qu'il reçoit pour ainsi dire du dehors, qui lui sont imposées, dictées purement et simplement, de façon autoritaire » [210]. Tout au contraire, la pensée constitutionnelle de Montesquieu le fait incliner dans le sens d'une auto-nomie que Charles Eisenmann tient pour équivalente de la « mise en  uvre de l'idée de liberté » [211] : pour le dire de manière lapidaire, si la condition naturelle et sociale des hommes est d'être libre, ils ne peuvent être que les auteurs de la norme juridique.

61 Et à nouveau, il faut relever la ligne de continuité, chez Montesquieu, entre les modalités juridiques d'organisation du pouvoir et la nécessité de s'assurer de leur résonance sociale : comme le résume parfaitement le professeur Beaud, « la leçon » qu'il faut tirer de la lecture de Montesquieu s'agissant de la manière circulaire dont il envisage les rapports entre pouvoir institutionnalisé et structure sociale est « claire : la règle politique ou juridique n'est rien sans la force sociale qui la seconde ou la contrarie » [212], le seul procédé permettant de conjurer cette dernière hypothèse, celle de la contrariété, consistant précisément à organiser la « superposition de la séparation sociale à la séparation juridique » [213]. Dès lors en effet qu'une telle superposition est assurée, la jonction sinon la fusion entre la société et l'État est telle que toute production normative de l'État est nécessairement en même temps une production sociale.

62 Le fait social, dont le caractère plural s'impose dans toute sa rigueur à l'observateur et qui le conduit en conséquence à constater l'impossibilité de ne pas organiser un dialogue entre les différentes forces présentes dans la Cité, apparaît comme le motif sous-jacent qui détermine les structures juridiques du pouvoir : c'est bien ce fait social qui conditionne la configuration de ces dernières, le partage du pouvoir étant dès lors à comprendre d'une part comme permettant d'assurer que la norme juridique est avant tout une norme édictée par la société elle-même et pour son propre compte ; d'autre part comme propre à enserrer dans une forme juridique les rapports entre puissances sociales.

B. La structure juridique du pouvoir, reflet de la dynamique sociale

63 Pour Montesquieu, la nécessité s'impose d'assurer l'inscription dans une forme juridique des tensions sociales. Cette inscription doit d'abord se traduire dans la structure organique du pouvoir : les organes de l'État sont strictement entés sur la composition des forces du corps social dès lors qu'ils sont conçus comme ayant pour vocation première d'assurer la participation de ces forces au gouvernement ; elle trouve son prolongement dans un mode de distribution des fonctions pensé de telle sorte qu'il n'isole pas les organes les uns des autres mais les contraint à aller de concert (1). Dans ces conditions, en assurant un enchaînement des organes les uns aux autres, la structure juridique du pouvoir crée les conditions d'un contre-balancement de ceux-ci qui doit s'analyser comme l'instauration d'un dialogue entre les forces sociales présentes dans la Cité (2).

1) Retranscription organique de l'hétérogénéité sociale et distribution des fonctions

64 Dans le système de Montesquieu, la structuration organique de l'État se présente comme le reflet de la composition politique de la société. Dire, en effet, qu'il n'y a pas chez lui de césure radicale entre société et État, ce n'est pas pour autant dire qu'il ne les distingue pas. Le fait premier, on l'a dit, est pour lui le fait social et c'est précisément dans celui-ci que les structures de l'État doivent trouver leur assise. En d'autres termes, il n'y a pas autonomie de l'une vis-à-vis de l'autre : de la composition de la société en groupes hétérogènes doit être déduite la charpente organique de l'État. Ainsi, dans le chapitre 6 du livre XI de L'Esprit des lois, Montesquieu dresse-t-il le tableau des organes de l'État à partir de la recension qu'il a faite des groupes ou forces composant la société anglaise. Quels sont ces organes ? Il s'agit des deux chambres, des Communes et des Lords, ainsi que du Roi. La première est l'incarnation organique du peuple ; la seconde de l'aristocratie ; le troisième du principe monarchique. De sorte que, comme l'écrit Charles Eisenmann, « son appareil gouvernemental apparaît comme la projection sur le plan constitutionnel de son image de la société : trois forces sociales, donc trois forces politiques les incarnant ­ la correspondance est parfaite » [214]. Et avec le même auteur il faut insister à nouveau sur la cohérence profonde du système conçu par Montesquieu : « toute [s]a pensée constitutionnelle présente une unité de ligne parfaite, [...] il existe une entière harmonie entre toutes les parties : idées sociales, principes politiques, maximes constitutionnelles, règles concrètes » [215]

65 Cette manière d'appréhender la structure organique de l'État ne saurait être regardée comme foncièrement originale dans ce xviiie siècle. Elle correspond à la manière dont les auteurs, Montesquieu et ses contemporains, ont de penser la constitution. Comme le rappelle le professeur Troper, au Siècle des lumières, « on ne cherche pas seulement à organiser les pouvoirs publics et à leur prescrire un certain mode de fonctionnement : on veut avant tout structurer le corps social lui-même » [216] ; de ce point de vue, apparaît topique le choix du terme « société » au détriment de celui d'« État » dans le texte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen [217].

66 Les organes du dispositif constitutionnel que conçoit Montesquieu se doivent ainsi d'être la retranscription fidèle, presque la copie parfaite des composantes de la société. Avant d'être des instances juridiques en charge d'exercer les fonctions étatiques, ils sont les organes représentatifs des forces sociales ; leur fonction première, proprement politique, est d'assurer la présence de celles-ci dans le système constitutionnel, de les placer en position d'acteurs. Ils sont des pouvoirs publics au sens propre des mots, c'est-à-dire des forces qui, du fait de leur institution dans l'espace commun, deviennent publiques. Une telle conception fait de Montesquieu l'un des premiers penseurs modernes à poser le principe cardinal de la correspondance entre structure sociale et structure étatique, ce en quoi il renoue, pour reprendre l'analyse d'Olivier Beaud, avec « la politeia grecque », c'est-à-dire avec une « conception organiciste de la société » [218]. L'État ne peut être pensé comme un Tout indépendant, désincarné, voulant pour l'ensemble du corps social, ce même s'il dispose d'une puissance qui lui appartient en propre ; il se doit, dans son organisation même, de représenter une société « dans laquelle se manifestent toujours, en même temps que des hiérarchies, des oppositions et des contradictions » [219].

67 De la même façon que Montesquieu envisage la structure organique de l'État dans une perspective politico-sociale, il appréhende la question de la distribution des fonctions moins en tant que celles-ci traduisent un étagement normatif qu'en ce qu'elles correspondent à des degrés différents dans la puissance de commander. Certes, la classification des fonctions étatiques que Montesquieu opère est traditionnellement présentée comme étant, prima facie, une classification juridique. Ce constat ne saurait pour autant oblitérer le fait qu'il faut également envisager une telle classification dans une perspective sociale ou politico-sociale. Ce point est particulièrement manifeste dans la pensée du baron de La Brède. Et en réalité, c'est même en vain qu'on chercherait dans L'Esprit des lois un exposé détaillé d'une théorie juridique des fonctions étatiques : comme le note Charles Eisenmann, l'analyse que développe Montesquieu « ne vise en aucune façon à rendre compte des données relatives au régime juridique des actes, ni donc à aider le moins du monde à la solution de problèmes spécifiquement juridiques [...]. Une partie au moins des notions qu'elle utilise, ajoute Charles Eisenmann, est de caractère plutôt "politico-social" que proprement juridique » [220]. Ce qui ne revient pas à dire qu'il n'existe pas, dans la doctrine de Montesquieu, une approche fonctionnelle dont on pourrait délimiter les contours à partir d'une étude juridique : bien qu'il dresse le constat qu'on vient de rappeler, Charles Eisenmann a au contraire montré sur quel type d'aporie débouche la non prise en compte de la valeur supérieure de la fonction législative dans le système de Montesquieu. Mais, comme Michel Troper l'a relevé, de telles fonctions, pour autant qu'elles traduisent bien une rationalisation aboutie des activités de l'État que l'on peut recomposer à l'aide d'une approche kelsenienne, correspondent également à « certains actes nécessaires à la société dans son ensemble : le maintien de l'équilibre social exige qu'il y ait des lois, des actes matériels d'exécution et que les litiges soient réglés de façon pacifique » [221].

68 Au-delà de ces premières observations, la question se révèle de quelque pertinence de se demander pourquoi le magistrat de Bordeaux n'a pas construit de théorie juridique des fonctions étatiques ou, pour reformuler cette interrogation en termes positifs, quel est le rôle, quel est l'office que remplit, dans son système, la distinction qu'il établit entre fonctions législative, exécutrice et judiciaire. On peut apporter deux séries de réponse : la première consiste à souligner qu'à l'époque où Montesquieu écrit, le corpus conceptuel du droit constitutionnel ­ et du droit tout court ­ est encore trop rudimentaire pour qu'il lui soit possible d'aller bien au-delà de l'analyse à laquelle il s'est finalement tenu. Partant, il faudrait tenir son étude pour historiquement datée, et ne voir en elle qu'un premier jalon dans une généalogie bien plus longue. C'est ce que, semble-t-il, Charles Eisenmann suggère lorsqu'il écrit que « l'analyse [de Montesquieu est] en vérité très étroitement liée à la réalité des États de son époque, parce qu'elle correspond aux activités qu'ils assumaient, ou en tout cas à celles qui frappaient le plus fortement et retenaient l'attention, mais qu'elle s'adapte au contraire beaucoup moins bien à l'État du xxe siècle » [222].

69 Cette première série de raisons est pertinente, mais elle néglige certainement un point dont la seconde série d'explications rend mieux compte. Car si Montesquieu n'a pas édifié de théorie juridique des fonctions, ce n'est pas seulement parce qu'il ne dispose pas des ressources conceptuelles suffisantes, mais surtout parce qu'il a autre chose en vue. Il faut ici encore revenir sur la cohérence interne de son système, ainsi qu'à sa finalité, c'est-à-dire ne pas perdre de vue que Montesquieu est avant tout un penseur de la chose politique, qu'il s'est donné précisément pour ambition d'ordonner à partir de l'impératif catégorique de la liberté. De sorte que son système est toujours à rapporter à cette interrogation fondamentale, à cette quête primordiale, celle des conditions auxquelles les dérives liberticides du pouvoir peuvent être entravées. En ce sens, la manière dont il pense les fonctions de l'État est orientée, conditionnée par l'objectif axiologique qu'il assigne à son système. Pour lui, les différentes fonctions étatiques ne délimitent pas seulement des domaines de compétences qu'il faudrait attribuer de façon équilibrée entre les organes ; il les pense également comme des pouvoirs de faire, des pouvoirs d'agir dans la société et sur elle. De façon symétrique à la manière dont il a conçu les organes ­ comme puissances sociales incarnées ­ il définit les fonctions à partir du degré de puissance qu'elles procurent, dans le dispositif constitutionnel, aux organes qui en détiendront l'exercice. Si, pour lui, les organes disposent du potentiel de puissance que leur confère leur assise sociale, les fonctions quant à elles sont les vecteurs par lesquels cette puissance s'écoulera, elles sont les armes juridiques dont disposeront les organes.

70 Et c'est bien une telle analyse qui permet de restituer la cohérence du propos de Montesquieu. Il est souvent fait valoir que l'utilisation alternative qu'il fait du terme « pouvoir », tantôt pour parler des organes, tantôt pour parler des fonctions, est la manifestation d'une certaine confusion ; on croit devoir affirmer qu'au contraire cette utilisation redoublée est volontaire, qu'elle est l'expression de sa rigueur de raisonnement : la théorie de Montesquieu est bien une théorie de la distribution du pouvoir, ce qui le conduit non seulement à envisager la question des titulaires de ce pouvoir, c'est l'aspect organique de sa théorie, mais aussi celle du contenu de ce pouvoir, c'est son aspect fonctionnel. Au fond, il ne pense jamais ces deux aspects de façon séparée : pour lui, l'un ne va pas sans l'autre. Avec le professeur Beaud, il faut ainsi affirmer que la réflexion constitutionnelle de Montesquieu envisage bien non seulement « la structuration du pouvoir mais aussi les détenteurs de la puissance » [223]. Dès lors, à côté d'une hiérarchisation juridique des fonctions ou plutôt par delà elle, c'est bien d'une hiérarchisation politique dont il faut faire état. Pour Montesquieu, toutes les fonctions ne confèrent pas aux organes un niveau égal de puissance dans le dispositif institutionnel ; dès lors, il ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la quantité de puissance qui doit être attribuée à tel ou tel organe dès lors que l'équilibre du système en dépend.

71 Au total, l'angle sous lequel Montesquieu aborde la hiérarchie fonctionnelle consiste à tenir avant tout les fonctions étatiques pour des « techniques d'exercice du pouvoir » [224] et donc à situer l'analyse peu ou prou sur le terrain politique. Certes une théorie juridique pure des fonctions de l'État nécessite de procéder à une classification des « actes accomplis par les gouvernants pour le compte de l'État » et, en ce sens, « les fonctions ne sont rien d'autre que des classes d'actes » [225]. Cependant, ce raisonnement ne peut que partiellement être transposé à l'analyse de la pensée de Montesquieu dès lors que l'étagement normatif qu'on peut y trouver ne forme pas un système clos sur lui-même : il se situe au contraire à l'articulation du juridique et du politique en ce que la dévolution d'une fonction à un organe vaut aussi attribution à celui-ci d'un pouvoir de faire, d'une puissance d'action.

72 Dans cette perspective, ce que produit la distribution du pouvoir dans le modèle de Montesquieu c'est la mise en forme juridique de l'exercice du pouvoir des groupes sociaux : au double moyen de l'inscription organique de ces groupes sociaux et du partage entre eux des fonctions étatiques, il s'agit d'assurer un enchaînement des composantes du corps social afin que toutes prennent part à la définition du Bien commun ou, pour le dire dans l'autre sens, qu'aucune de ces composantes ne puisse définir seule ce Bien commun.

2) L'enchaînement et le contre-balancement organique, ou l'institution d'un dialogue entre les forces sociales

73 Le but que vise Montesquieu est celui de la mise en forme juridique des conflits d'intérêts, la canalisation procédurale des tensions sociales. L'objet auquel s'attache son système est bien d'organiser l'État et de le faire fonctionner non pas pour lui-même, mais pour la société. Le pouvoir d'une force sociale donnée est arrêté par le pouvoir d'une autre en raison de ce que l'expression de ces deux pouvoirs est canalisée dans une forme juridique. C'est d'ailleurs en ce sens que doit être lu ce passage de L'Esprit des lois : « il faut combiner les puissances, les régler, les tempérer, les faire agir ; donner, pour ainsi dire, un lest à l'une, pour la mettre en état de résister à une autre » [226]. Le fait social ou politico-social se trouve subsumé sous le fait juridique : puisqu'aucun groupe social n'est plus en position, du fait des dispositions constitutionnelles, d'exercer sa force politique sans retenue, il ne pourra déposséder les autres groupes sociaux de leur liberté. Le ressort initial du modèle est bien l'enchaînement mutuel des autorités de l'État au moyen du partage entre elles des fonctions, partage qui crée mécaniquement l'obligation pour elles d'aller de concert pour l'édiction des actes juridiques.

74 C'est dès lors que l'on se place dans cette perspective que les notions d'organes simples, partiels et complexes trouvent tout leur sens. Il est nécessaire de faire ici un rapide retour sur l'opposition entre les deux modèles concurrents d'organisation du pouvoir que sont la spécialisation fonctionnelle et la collaboration fonctionnelle des organes. Dans le premier, qui demeure le tropisme dominant en doctrine, les organes n'exercent qu'une fonction et une seule, tandis que la règle de la séparation organique, lorsqu'elle est appliquée dans toute sa rigueur, proscrit tout moyen de pression de nature à remettre en cause l'intégrité organique de chacune des autorités de l'État. Dans ces conditions, il n'existe aucun enchaînement non seulement fonctionnel, mais aussi organique. Privés des moyens d'entrer en contact, les organes de l'État sont juxtaposés, agissent librement dans le ressort de leurs compétences. On connaît cependant les objections théoriques qui ont été élevées à l'encontre de l'idée selon laquelle ce schéma serait susceptible de produire un équilibre, et notamment la principale d'entre elles qui réside dans le constat irrécusable que le titulaire de la fonction normative la plus haute sera nécessairement en position d'imposer sa volonté aux autres organes.

75 Le schéma de la collaboration fonctionnelle ou de la balance des pouvoirs qu'il implique est tout autre et c'est à son égard que les notions d'organes simples, partiels et complexes apparaissent des clés de lecture essentielles. La conséquence logique de ce que les fonctions normatives sont partagées entre les institutions est que celles-ci doivent être analysées comme des organes partiels, c'est-à-dire comme des organes titulaires, non de la totalité, mais d'une fraction de la fonction normative ; pris ensemble, ces organes simples forment un organe composé qui est le véritable titulaire de la fonction prise cette fois dans sa totalité. Le critère déterminant est ici celui du consentement, qui peut être examiné sous deux angles différents, juridique et politique. Juridiquement, on doit souligner les deux modalités selon lesquelles le consentement des organes sera formulé : le consentement entendu dans un sens positif consiste en la faculté de statuer, c'est-à-dire de composer effectivement le contenu de l'acte ; dans un sens négatif, il correspond à la faculté d'empêcher, c'est-à-dire de s'opposer à l'édiction d'un acte mais sans pouvoir le modifier [227]. Politiquement ensuite, le consentement est dans le système de Montesquieu une nécessité absolue : il ne suffit pas en effet de partager les fonctions entre les organes pour garantir l'équilibre entre les pouvoirs ; il est encore nécessaire que les organes participent à l'exercice des fonctions de manière effective, c'est-à-dire qu'ils soient en position de consentir à l'édiction de l'acte.

76 C'est dire, et Montesquieu a su se faire explicite sur ce point [228], qu'il ne peut être question de penser les organes autrement que comme des organes partiels : sauf à se priver d'atteindre l'objectif d'équilibre, les autorités de l'État ne peuvent en effet se voir attribuer la totalité d'une fonction normative. Le domaine d'action qui leur est reconnu est donc commun : à l'exercice partagé des fonctions, c'est-à-dire au fractionnement de celles-ci, fait ainsi pendant la complexité organique, c'est-à-dire l'enchaînement d'une pluralité d'instances titulaires chacune d'une portion du pouvoir de décider. L'objet réel et final est bien celui de l'enchaînement des organes et de leur contre-balancement. C'est en effet à la seule condition d'organiser le consentement de chacun des organes à la prise de décision qu'il pourra être garanti que la mesure adoptée traduit la volonté commune de tous, et non seulement celle d'une partie ou d'un seul d'entre eux ; c'est in fine cette condition qui assure l'équilibre entre les pouvoirs.

77 Il faut préciser de surcroît que, dans ce second schéma, la proscription des moyens de pression organique n'est pas motivée par la volonté de conférer une portée intégrale au principe de séparation, en complétant par une séparation organique la séparation fonctionnelle, puisqu'aussi bien celle-ci n'existe pas. Il s'agit au contraire de ne pas conférer aux organes un moyen détourné de s'affranchir de l'obligation d'agir de concert : en contraignant organiquement un partenaire, ils seraient en effet en position d'obtenir que celui-ci se range à leur avis, et l'empêcheraient ainsi d'exprimer sa volonté autonome. L'équilibre serait rompu, la modération perdue. Comme le résume le professeur Troper à propos de la Constitution d'Angleterre, la balance des pouvoirs « présente du point de vue de la liberté, au sens de Montesquieu, deux avantages considérables : d'abord que la règle de la séparation des pouvoirs sera nécessairement respectée car, à cause de la présence du roi dans le pouvoir législatif, les assemblées ne pourront s'emparer de la fonction exécutive et cumuler les deux fonctions ; ensuite que les actes d'exécution seront conformes à la loi, puisque celle-ci n'aura été faite qu'avec le consentement du roi » [229].

78 Ainsi présenté, le modèle de Montesquieu traduit bien un degré supplémentaire par rapport à la règle négative de non cumul des fonctions. Par principe, le cumul de l'élaboration de la loi et de sa mise en  uvre n'y est en effet pas absolument banni ; il y est même indispensable, mais à la condition qu'il ne soit que partiel et jamais intégral. Ainsi, loin de consister dans le cantonnement respectif et somme toute assez rigide des organes, la balance des pouvoirs vise au contraire à les lier par une mécanique plus subtile qui synchronise le moment où leur volonté s'exprime. L'organisation de la structure institutionnelle autour du principe de l'attribution des fonctions normatives de l'État à des organes complexes traduit à l'évidence l'option d'assurer la concomitance de l'expression de la position de chacun d'eux : au lieu d'intervenir à des stades différents du processus de concrétisation du droit, au lieu de se prononcer sur des objets juridiques différents, les autorités de l'État s'expriment de manière synchrone sur le même objet.

79 Cette nécessité de l'agrément organique peut être appréhendée en croisant les points de vue individuel et collectif d'une part, et offensif et défensif d'autre part. Le système de la balance des pouvoirs implique d'abord que chaque organe soit appelé à consentir à titre individuel à l'acte envisagé : offensivement, ou positivement, il est donc placé en position d'exprimer son point de vue, de faire valoir ses intérêts, d'imprimer sa marque sur le contenu de la norme ; défensivement, ou négativement, il est en mesure de faire échec seul à la volonté même concordante de ses partenaires, il dispose d'un droit de veto minoritaire sur une volonté majoritaire. Collectivement ensuite, l'exigence de l'acquiescement de tous les organes signifie, positivement, que les actes qui sont adoptés résultent nécessairement d'un accord de volontés entre eux : parce qu'ils ont été façonnés grâce au concours d'une pluralité d'instances, ils sont nécessairement le fruit d'une volonté commune, le reflet d'un intérêt collectif définis comme le point de jonction entre les intérêts particuliers de chacune de ces instances. Négativement, cette volonté commune implique qu'un organe n'est jamais en mesure de s'affranchir de la volonté exprimée par ses partenaires, qu'il n'est jamais en mesure de réaliser seul sa volonté ; en d'autres termes, les autorités, au lieu d'être souveraines à des stades différents du processus de production normative comme dans le modèle de la spécialisation, le sont simultanément, c'est-à-dire qu'elles ne le sont pas.

80 Au total, pour le dire avec les mots déjà cités de Charles Eisenmann, « la liberté de fait dont jouissent les [...] organes dans le système de Montesquieu ne consiste point dans la liberté pour eux de réaliser leur volonté, c'est-à-dire d'édicter et faire exécuter les normes juridiques qu'il leur plaît mais uniquement celle de proposer ou de donner ou refuser leur adhésion aux décisions qui leur sont proposées » [230]. De cet enchaînement résulte alors nécessairement un contre-balancement des autorités de l'État. L'agencement institutionnel de l'État doit en effet être tel qu'il garantit un bornage réciproque de la puissance organique. Tout converge, dans ce modèle, pour organiser un partage de la puissance de l'État afin qu'aucun organe ne puisse se l'approprier en propre : le partage des fonctions d'une part, c'est-à-dire l'assignation d'un domaine commun d'action, relève de ce principe de division de l'autorité publique ; il en est de même, d'autre part, de la reconnaissance à chaque organe du pouvoir d'exprimer une volonté personnelle, mais une volonté qui est non seulement juridiquement égale en valeur à celle de ses partenaires, mais qui s'exprime de surcroît de manière concomitante et concurrente. Ainsi pensée, l'architecture institutionnelle assure que les autorités qui composent l'organe complexe sont en position de s'annihiler mutuellement.

81 La neutralisation de la puissance organique se présente ainsi comme la version négative du contre-balancement des autorités de l'État : elle correspond à un empêchement, à une limitation de leur action, elle contrecarre tout débordement. C'est au fond la métaphore mécaniste du jeu de forces s'exerçant en sens contraires et qui, parce qu'elles sont équivalentes, s'annulent. Mais le contre-balancement organique possède également un versant positif. Dans le modèle de la balance des pouvoirs, cet égalitarisme possède d'abord un contenu juridique : en s'appuyant, comme le suggère le professeur Troper, sur la philosophie du droit, on ne peut affirmer « qu'un acte juridique a deux co-auteurs, dès lors que, pour qu'il soit édicté, deux organes doivent exprimer la volonté qu'il le soit » [231]. En d'autres termes, l'égalitarisme juridique signifie que les organes contribuent de manière égale au processus de production du droit. En ce sens, la faculté de statuer et la faculté d'empêcher, qu'on a pu distinguer précédemment pour qualifier les modalités selon lesquelles le consentement organique est susceptible d'intervenir, n'en traduisent pas moins un degré de puissance identique de la volonté de chaque organe. Elles possèdent une valeur juridique équivalente. On saisit cependant mieux la portée de cet égalitarisme organique en l'appréhendant sous l'angle politique : comme l'a formulé en des termes particulièrement clairs Charles Eisenmann, « la faculté d'opposition [des organes] doit permettre un veto purement politique en ses motifs, discrétionnaire juridiquement, fondé sur le simple dissentiment, sur la simple hostilité à la décision désirée par l'autre organe, éviter des mesures politiquement mauvaises, c'est-à-dire avant tout, au sens de Montesquieu, qui répondraient aux intérêts d'un seul groupe ou individu » [232].

82 Pour reformuler cette analyse, le ressort de la balance des pouvoirs réside donc dans l'affirmation qu'aucune des autorités n'est en position de revendiquer le monopole de la volonté de l'État. L'absence de hiérarchie organique conjuguée avec le partage des fonctions normatives traduit ainsi le refus ou l'impossibilité de confier à une instance unique la détermination des orientations fondamentales de la Cité ; elle traduit l'abstention d'opérer un choix parmi les autorités publiques qui devront dès lors concourir ensemble, en tant qu'organes partiels, à la formation de la volonté politique de l'État. Cet égalitarisme peut être dit politique en ce sens que la balance des pouvoirs tient pour d'égale valeur l'opinion que chacun des organes sera amené à exprimer. De ce modèle théorique, il résulte dès lors nécessairement la recherche d'un compromis : puisque aucun organe n'est individuellement titulaire du pouvoir suprême, puisque l'objet de la balance des pouvoirs est au contraire d'« investir du pouvoir suprême dans l'État conjointement deux organes, le Parlement et le Gouvernement, ­ trois si l'on compte séparément les deux Chambres du Corps législatif ­, en rendant leur accord nécessaire et libre » [233], les décisions publiques seront nécessairement le résultat d'une transaction. Exprimant un point de vue qui, sans être inférieur à celui exprimé par leurs partenaires, demeure un point de vue personnel, c'est-à-dire partiel, les organes seront contraints de transiger, de faire sur certains points des concessions en échange d'avancées sur d'autres. Pour jouer sur le double sens du terme, les organes sont amenés à composer avec leurs partenaires : ils sont contraints de composer ou fabriquer ensemble les actes juridiques ; ils sont également contraints de composer ou de négocier les uns avec les autres. C'est cette contrainte mi-juridique, mi-politique qui assure le contre-balancement du système.

83 Le pouvoir, organisé en une forme juridique, doit au total être conçu comme ce lieu qui mêle indissociablement le politique et le social, et conduit à la nécessité de penser la constitution comme ayant pour vocation de « confére[r] à la réalité sociale un statut juridique que, par elle-même, elle ne possède pas » [234]. Il existe une relation ou mieux une osmose nécessaire entre les structures du gouvernement et la réalité sociale sur laquelle elles prennent appui. Se trouve ainsi abolie la distance entre constitution politique et constitution de la société ­ pour ne pas dire constitution sociale [235].

III. Principes de légitimité

84 et définition institutionnelle de la Constitution

85 Dans le système de Montesquieu, les organes de l'État ne sont jamais envisagés que sous l'angle de leur mise en adéquation avec « la réalité vivante de la société » [236] ; les organes de l'État n'existent qu'à raison de la « résonance sociale » [237] qu'ils rencontrent ; ils sont distingués parce que l'unité sociale est une chose introuvable et que la réalité première est bien plutôt celle de l'hétérogénéité sociale. Il s'agit là, pour le châtelain de La Brède, d'une condition nécessaire, impérative sinon suffisante, pour qu'un équilibre des forces puisse s'établir ; en surplomb du Montesquieu constitutionnaliste, le Montesquieu sociologue est en effet toujours présent qui ne peut penser la puissance juridique indépendamment des puissances sociales dans la Cité. Pour que la liberté résulte de la mécanique constitutionnelle, il faut que l'ensemble des forces sociales y soit, d'une façon ou d'une autre, représenté [238]. Si une seule de ces forces était laissée en dehors du système, le risque serait grand que les autres forces, abusant de leur puissance, se coalisent pour confisquer la liberté à leur profit. Et Montesquieu se refuse à faire dépendre son système d'une hypothétique vertu des hommes. Il recherche au contraire une garantie mécanique. C'est pourquoi il fait en sorte que chaque groupe social soit placé en position de se défendre depuis l'intérieur même du système ; de cette mise en rapport des forces sociales devant résulter un équilibre dynamique.

86 C'est dès lors cet adossement de l'édifice constitutionnel à la réalité sociale qui rend celui-ci efficace : il est doté d'une double garantie interne en ce que, d'une part, en tant que réfraction de la dynamique sociale, il offre la garantie que la volonté de l'autorité publique ne sera jamais autre chose que la volonté de la société elle-même, que les règles édictées seront toujours une réponse à des demandes sociales ; d'autre part en ce qu'il règle la production normative de telle sorte qu'aucune composante sociale ne pourra se voir imposer une norme qu'elle n'aura, sous une forme ou sous une autre, agréée. De ce fait, le système peut être dit auto-régulateur en ce sens que « le jeu des forces et contre-forces entretient une régulation permanente » [239], en ce sens que « c'est le jeu des pouvoirs et leur opposition qui constituent les conditions de possibilité du Règne de la Loi » [240]. Dans la théorie de Montesquieu, l'impact structurant du fait politico-social sur la conception même de la distribution du pouvoir apparaît ainsi déterminant : son objectif premier demeure bien celui de penser la réalité sociale en une forme juridique, de « définir les structures juridiques nécessaires du social et du politique » [241], ce en opérant un décalque de l'aménagement institutionnel du pouvoir à partir de la division de la Cité en groupes sociaux hétérogènes. Dans ces conditions, et à rebours d'une approche trop exclusivement juridico-formelle qui tend à passer cet aspect sous silence, il faut insister sur la question cruciale de la base sociale des pouvoirs : sauf à encourir le risque d'instabilité, le système politico-institutionnel se doit de prendre en compte une telle assise sociale.

87 Cette base politico-sociale, qui fonde le pouvoir d'agir réel des organes ­ au-delà du titre à agir formel qu'ils tirent de la constitution ­ conduit en premier lieu Montesquieu à mener une réflexion en termes de principes de légitimité : dès lors que les organes sont censés assurer la représentation dans le dispositif gouvernemental des puissances sociales, ils tirent nécessairement de cette relation verticale avec une fraction du corps social une légitimité qui détermine leur degré de puissance (A). En second lieu, c'est bien cette question de la base sociale du pouvoir qui détermine la manière particulière qu'a Montesquieu de penser le texte constitutionnel comme traduisant la superposition entre régime politique ou juridico-politique et régime social (B).

A. Degré de légitimité et puissance organique

88 Le tropisme contemporain dominant ­ l'approche normative de la constitution ­ conduit à envisager les organes constitués de manière privilégiée sous l'angle du pouvoir d'agir que le texte constitutionnel leur confère : c'est le titre constitutionnel qui détermine leur latitude d'action. La pensée constitutionnelle de Montesquieu invite quant à elle à se situer à la fois en amont de l'attribution constitutionnelle et sur un terrain plus politique. Au-delà, en effet, de leur titre constitutionnel, les organes pour Montesquieu disposent d'un titre réel à agir qui résulte de ce qu'ils sont les incarnations des puissances sociales. On peut essayer de montrer, d'une part, la manière dont Montesquieu prend en compte, lors de la rédaction de sa Constitution d'Angleterre singulièrement, les différents principes de légitimité en présence et comment il pense leur mise en tension dans le cadre du modèle du régime mixte (1) ; d'autre part comment ce jeu des légitimités concurrentes détermine directement les modalités concrètes de l'organisation juridique du pouvoir en ce qu'il retentit sur la position à laquelle chacun des organes peut prétendre accéder dans le dispositif constitutionnel (2).

1) Les principes de légitimité dans la doctrine de Montesquieu

89 Pour Montesquieu, les organes de l'État sont des émanations du corps social ; à ce titre, du seul fait qu'ils sont adossés à une fraction du corps social, ils bénéficient pour ainsi dire d'une légitimité « naturelle ». Ce qui signifie deux choses : d'une part qu'une telle légitimité est toujours présumée puisque les modalités mêmes de composition de l'organe empêchent que celui-ci veuille autre chose que ce qu'il est ; d'autre part que la nature du principe de légitimité propre à chaque organe peut être déterminée à partir de l'assise sociologique de celui-ci.

90 Ainsi, dans la célèbre Constitution d'Angleterre, la Chambre des Lords, qui doit assurer la représentation des « gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs » [242], est-elle l'expression d'un principe de légitimité aristocratique ; celui-là même qu'Althusser reprochera tant à Montesquieu de vouloir maintenir en dépit des signes des temps qui annoncent pourtant déjà l'essor de « la puissance de la masse du peuple » [243]. Mais que faut-il entendre par légitimité aristocratique ? À partir de l'étude que le professeur Baranger fait du régime politique de l'Angleterre des années 1740-1840, on doit d'une part distinguer entre les Lords temporels, qui représentent la propriété, et les Lords spirituels, qui incarnent la nation religieuse [244]. Il faut d'autre part préciser que « les Lords font plus que représenter un estate de la constitution. Ce qu'ils représentent n'est pas un ensemble de personnes, mais "le rang et la propriété" » [245]. Et c'est à ce titre qu'il est indispensable d'assurer la présence de leur volonté dans le dispositif constitutionnel. Au surplus, comme le dit explicitement Montesquieu, ces « gens distingués par la naissance, les richesses ou les honneurs » ne doivent pas être « confondus parmi le peuple » ou alors « la liberté commune serait leur esclavage, et ils n'auraient aucun intérêt à la défendre, parce que la plupart des résolutions seraient contre eux » [246].

91 La Chambre des Communes, ensuite, est portée par une légitimité démocratique qui, bien qu'encore balbutiante en ce milieu du xviiie siècle, n'en recèle pas moins déjà les potentialités que l'on sait. Il ne s'agit toutefois pas d'une légitimité démocratique "intégrale" : Montesquieu le dit, « ceux qui sont dans un tel état de bassesse, qu'ils sont réputés n'avoir point de volonté propre » [247], ceux-là ne doivent pas « avoir droit de donner leur voix pour choisir un représentant » [248]. Il s'agit en somme du reste de la nation : selon une formule de Blackstone citée par Denis Baranger, « les Communes consistent en tous ces hommes [jouissant de] propriété dans le royaume, qui n'ont pas de siège à la Chambre des Lords ; chacun d'eux a une voix au Parlement, personnellement ou par son représentant » [249].

92 Enfin, le Roi-organe de l'État continue de bénéficier, reliquat de l'absolutisme monarchique, de la légitimité de droit divin. Certes, celle-ci est au bord de céder du terrain, définitivement, aux autres formes émergentes de légitimité. Mais, en un siècle qui a reçu l'héritage de la Glorious Revolution et qui ignore encore qu'il s'achèvera avec les révolutions américaine et française, elle demeure une assise importante du pouvoir du monarque. Elle l'est d'autant plus que, à cette époque, « le Roi n'est aucunement un pouvoir neutre. [...] Il est un acteur parmi d'autres, défenseur d'intérêts que leur généralité ne place pas dans la délibération sur un autre pied que ceux défendus par les politiciens » [250].

93 La Constitution anglaise, pour Montesquieu, prend donc appui sur trois principes de légitimité différents, chacun de ces principes fournissant son assise à un organe distinct. Il reste à préciser comment, dans « cet agrégat où tous les aspects de la nation sont représentés » [251], les légitimités en présence s'articulent les unes par rapport aux autres dans le dispositif constitutionnel. Et la réponse à cette question, on la trouve dans la forme de gouvernement que Montesquieu décrit. Il faut y insister à nouveau, c'est à cet égard que le réductionnisme consistant à ne voir dans sa doctrine constitutionnelle qu'un simple procédé de répartition des fonctions étatiques entre des organes apparaît le plus patent, et ce en ce qu'il néglige que Montesquieu ne s'intéresse en vérité aux mécanismes de répartition des fonctions qu'en tant qu'ils sont un moyen de réaliser un équilibre entre les puissances sociales détentrices des pouvoirs. En d'autres termes, cette prise en compte des légitimités permet de rétablir la cohérence qui existe entre sa réflexion sur les moyens juridiques de l'organisation du pouvoir ­ c'est-à-dire son modèle de balance ou d'équilibre des pouvoirs ­ et celle sur le fondement politique d'une telle organisation ­ c'est-à-dire le type de forme de gouvernement qu'il construit, à savoir le régime mixte.

94 C'est en effet cette forme de régime, le gouvernement mixte, que Montesquieu décrit dans le chapitre 6 du livre XI [252], comme il l'affirme au reste explicitement dans l'une de ses Pensées : « Quelle est donc la constitution d'Angleterre ? C'est une monarchie mêlée, comme Lacédémone, surtout avant la création des éphores, fut une aristocratie mêlée ; comme Rome, quelque temps après l'expulsion des Rois, fut une démocratie mêlée » [253] ; si la composante royale y prédomine, et emporte avec elle la qualification centrale rendue par le substantif « monarchie », elle n'est reste pas moins mâtinée, mixée ou mixtionnée des composantes démocratique et aristocratique, lesquelles justifient l'ajout de l'adjectif « mêlée » [254]

95 Définie comme « un mélange des trois formes pures, la monarchie, l'aristocratie et la démocratie, dont les principes sont combinés grâce à la diversité des organes suprêmes et de leurs compétences » [255], sa caractéristique essentielle réside dans le fait que « le pouvoir suprême, c'est-à-dire le pouvoir législatif, [y est] partagé entre le peuple (ou ses représentants), les nobles et un Roi » [256]. En première approche, elle se définit ainsi par opposition à la notion de régime simple : « lorsque les institutions de la cité sont disposées de manière à assurer la domination sans partage et exclusive de l'une de ces valeurs sur les deux autres, la constitution revêt alors une forme simple, monarchique, aristocratique ou démocratique. Lorsque, en revanche, elles sont organisées de manière à exclure qu'aucune de ces trois valeurs ne puisse l'emporter de façon décisive sur les deux autres, et lorsque l'équilibre entre elles est ménagé, la constitution est mixte, c'est-à-dire qu'elle procède à un mélange en répartissant aussi savamment que possible les différents intérêts et les différentes valeurs dans l'ensemble des institutions politiques de manière à ce qu'ils se fassent pièce et s'empêchent les uns les autres de parvenir à la domination exclusive de l'ensemble des pouvoirs » [257].

96 Historiquement, il s'agit d'une forme de gouvernement dont la généalogie est ancienne. On en trouve les premières descriptions chez les penseurs grecs : chez Platon, chez Aristote, chez les pythagoriciens. Mais c'est surtout Polybe qui en fournit la première théorisation juridique, théorisation en laquelle il faut voir « l'expression la plus ancienne de l'idée d'équilibre et de contrôle mutuel des pouvoirs de l'État » [258]. Dans le livre VI de son Histoire, il expose en effet « un vaste système d'équilibre en vertu duquel des forces, munies de moyens juridiques, se neutralisent réciproquement par voie d'interaction » [259], de sorte que, « les trois pouvoirs se limit[ant] et se balan[çant] réciproquement » [260], les abus de pouvoir seront évités. Au moment de la redécouverte de la pensée antique, au sortir du Moyen Âge qui, à travers les écrits de Saint Thomas d'Aquin en particulier, n'a pas distendu le fil généalogique, la notion de gouvernement mixte bénéficie d'une importante attention, notamment à mesure que progresse la remise en cause de l'absolutisme monarchique. Il faut notamment mentionner ici le nom de Sir John Fortescue [261] dont on sait qu'il exercera une influence notable sur Montesquieu [262]. Ce noble anglais compose dans la deuxième moitié du xve siècle plusieurs traités dans lesquels il « emprunte presque textuellement à Thomas d'Aquin la notion de "regimen mixtum" » [263] afin de prouver l'excellence et la supériorité du régime anglais sur la monarchie française. Pour lui, « il appartient à la Constitution d'un État d'assurer la liberté et la sûreté des citoyens en prévoyant les moyens d'empêcher les abus du pouvoir », ces moyens consistant en la formule du politicum et regale, « sorte de monarchie parlementaire qui évitait à la fois les excès de la monarchie absolue ou regale et les déviations de la république ou politicum » [264]. Cette critique du régime français lui vaudra, au début du xviie siècle, l'objection d'un président du Parlement de Toulouse, Bernard de la Roche, pour lequel la notion de mixité est tout aussi bien applicable à l'Hexagone : « le Royaume et Monarchie de France est réglée et policée, et est composée et mixtionnée de trois sortes de gouvernements ensemble, sçavoir de la Monarchie, Aristocratie et République : à la fin que l'un servist de frein et contre-poids à l'autre » [265]. Dans la même Angleterre, mais deux siècles plus tard, Harrington, pétri de la conviction que « les institutions convenables garantiraient par elles-mêmes l'État de la dissolution par des causes internes quelles qu'elles soient » [266], expose dans son très utopique Oceana un modèle mêlé visant à assurer « la balance des forces, l'élite et la masse » [267].

97 Ainsi donc, au moment où un Montesquieu rédige sa Constitution d'Angleterre, les bases théoriques dont il peut s'inspirer apparaissent particulièrement fournies et il faut se garder de voir dans ce point l'aspect le plus novateur de sa pensée. Il le faut d'autant plus que l'interprétation qu'il donne du régime politique outre-Manche est « au xviiie siècle un véritable lieu commun, en Angleterre même, puis en France » [268]. Dans sa Dissertation upon parties de 1735, Bolingbroke écrit ainsi que « c'est par cette mixtion entre les pouvoirs monarchique, aristocratique et démocratique, mêlés ensemble dans un seul système, et par ces trois états (estates) qui se contrebalancent l'un l'autre, que notre constitution libre a été établie » [269]. En vertu d'une telle approche, la question de l'organisation technique du pouvoir, la question des modalités de distribution des fonctions aux organes, ne peut être résolue sans que soit tranchée celle, préalable, de la forme du gouvernement, entendue dans le sens de justification du pouvoir. On retrouve bien ici une interrogation du même type que celle qui retient Montesquieu à propos des « principes » ou « ressorts » propres à chaque forme simple de gouvernement, à savoir une interrogation portant sur « les différentes formes du pouvoir légitime » [270].

98 Mais dire que Montesquieu se contente de reprendre la théorie ancienne du gouvernement mixte n'est sans doute pas suffisant. Il faut insister à nouveau sur le fait que c'est la configuration même de la réalité politique anglaise qui lui interdit de se prononcer en faveur d'un principe de légitimité unique. La position respective qu'il attribue, dans son dispositif constitutionnel, au Roi et aux deux Chambres, des Communes et des Lords, doit ainsi être expliquée par le fait que le xviiie siècle anglais n'a pas encore tranché le conflit des légitimités qui le caractérise. Les organes se doivent d'être placés sur un pied d'égalité dans la mesure où ils incarnent des légitimités qui, toutes trois, peuvent revendiquer une position dominante. En ce sens, un principe unique de légitimité demeurant encore introuvable dans l'Angleterre du milieu du xviiie siècle, il serait illusoire ou inefficace de tenter de l'établir par une constitution qui aurait alors toutes les caractéristiques de l'artifice. La structure sociale commande la composition des organes étatiques et elle s'impose à l'ingénieur constitutionnel. C'est dire encore que les principes de légitimité qui fondent le pouvoir d'agir politique des organes ­ au-delà du titre légal qu'ils tirent de la constitution ­ ont, dans le système de Montesquieu, le statut de facteurs premiers.

2) Autonomie et antériorité de la hiérarchisation politique des organes

99 A trop réduire le système constitutionnel de Montesquieu à une lecture purement juridique, on passe à côté d'un fait essentiel : celui du caractère structurant des principes de légitimité. On l'a souligné au début de cet article, la « description concrète des mécanismes du gouvernement anglais » que contient la Constitution d'Angleterre n'est pas une simple exemplification du système de Montesquieu ; elle permet surtout de comprendre comment la distribution des pouvoirs s'ajuste par rapport à une configuration sociale déterminée. Les principes de légitimité organisant l'espace social sont structurants en ce sens qu'ils déterminent les modalités concrètes de la distribution des pouvoirs. Cette affirmation n'est pas unanimement reconnue ou, quand elle l'est, n'est pas toujours admise dans toutes ses conséquences. Elle doit donc être étayée de façon détaillée.

100 Du fait que Montesquieu décrive le gouvernement anglais à partir du recensement des principes de légitimité en concurrence, il a pu être déduit qu'il se faisait le partisan d'une société structurée en ordres hiérarchisés, attentif qu'il aurait été à préserver les intérêts du groupe social auquel il appartient, à savoir l'aristocratie. Sa doctrine serait ainsi l'illustration d'une « idée très généralement admise au xviiie siècle » selon laquelle « l'État n'est [...] que la Société en tant que celle-ci exerce son pouvoir sur ses membres » [271]. En vertu de cette idée, « adopter un type de constitution dans lequel la noblesse aura sa part du pouvoir législatif revient à organiser une société dans laquelle l'aristocratie acquerra ­ et non conservera ­ une position privilégiée ; c'est de son pouvoir législatif que lui vient sa force sociale, et non l'inverse » [272]. Plus généralement, dans la version révisée de la doctrine de Montesquieu que Charles Eisenmann et Michel Troper ont donnée, la hiérarchisation des organes est pensée comme une gradation d'ordre juridique ­ premier caractère ­ et comme devant être déduite de la façon dont les fonctions étatiques sont distribuées entre les organes ­ second caractère. Sur le premier caractère, les deux auteurs entendent décrire la position hiérarchique des organes à partir de l'étude des moyens juridiques permettant à certains d'entre eux d'imposer leur décision aux autres : c'est à raison de ce qu'ils disposeront ou non de la faculté de statuer ou d'empêcher que les organes bénéficieront d'une position supérieure ou inférieure [273]. Sur le second caractère, la hiérarchisation organique est interprétée comme une conséquence des modalités selon lesquelles les fonctions ont été distribuées : les différentes fonctions ne mettant pas en  uvre le même degré de puissance, les fonctions, partant, étant hiérarchisées entre elles, l'exercice par un ou plusieurs organes de la fonction la plus haute lui ou leur confèrera quasi mécaniquement une position suprême vis-à-vis des autres organes, ceux exclus de l'exercice de cette fonction. Cette idée, Carré de Malberg avait été le premier à la formuler, même si elle s'inscrit par ailleurs, on l'a signalé, dans une interprétation inexacte des intentions et de la pensée de Montesquieu. « La hiérarchie des fonctions, écrit le maître de Strasbourg, provoque et implique fatalement celle des organes. Le titulaire d'une fonction ne saurait être vraiment maître de l'exercice de cette fonction, si celle-ci est, de sa nature, subordonnée à une autre qui la commande » [274]. Charles Eisenmann, qui prend le soin de rectifier l'interprétation malbergienne, développe une analyse voisine : « c'est le rapport fonctionnel des organes qui décide de leur égalité ou inégalité juridique » [275]. Quant à Michel Troper enfin, dont les ouvrages et articles disent suffisamment combien sa pensée s'inscrit dans la lignée de celle de ces deux prédécesseurs, il retrouve les mots de Carré de Malberg pour affirmer que « la hiérarchie des organes suit la hiérarchie des fonctions et [que] jamais un pouvoir subordonné ne pourra arrêter un pouvoir supérieur » [276].

101 A côté de cette gradation juridique des organes, dépendante de la hiérarchisation fonctionnelle, il semble cependant qu'il faille envisager un autre type d'étagement pyramidal des organes, qui présente la double caractéristique d'être autonome par rapport à la hiérarchisation fonctionnelle et antérieure à elle. En premier lieu, l'autonomie peut être déduite à la fois du registre politique dans lequel Montesquieu se situe et du séquençage de son raisonnement. On a essayé de le montrer, la notion d'organe chez Montesquieu n'est pas détachable de son substrat tant philosophique que politico-social : la société, composée d'un ensemble de groupes hétérogènes, est le lieu d'où émergent des principes de légitimité auxquels les organes de l'État doivent être adossés, sauf à n'être que des instances artificielles, politiquement désincarnées, et incapables de ce fait de permettre l'avènement de la liberté ontologique de l'Homme. Détenteurs d'un degré de légitimité qui dépend de leur capacité à représenter telle ou telle fraction du corps social, les organes de l'État sont ainsi placés dans une situation de concurrence les uns par rapport aux autres, une telle compétition portant sur la revendication de la représentation légitime du corps social se résorbant en une hiérarchisation politique des organes.

102 En second lieu et surtout, cette hiérarchisation politique des organes doit être pensée comme antérieure à la hiérarchie des fonctions et à la distribution effective de celles-ci. Utiliser le terme antériorité, c'est postuler que la doctrine de Montesquieu comporte deux moments successifs : celui du recensement des composantes sociales propres à un contexte politico-social déterminé (par exemple l'Angleterre du xviiie siècle) ; celui, ensuite, de la mise en place effective de la distribution des fonctions, de sa réalisation compte tenu de la spécificité de ce contexte politico-social. Ce découplage chronologique entre recensement et implémentation semble s'imposer comme une nécessité logique du système de Montesquieu, comme une conséquence quasi mécanique des postulats qui le fondent : en effet, si d'une part, comme l'écrit Charles Eisenmann, les organes de l'État doivent assurer la présence dans l'édifice constitutionnel, « des facteurs sociaux auxquels [ils donnent] le moyen de faire valoir leurs conceptions et leurs intérêts » [277], et si d'autre part on tient pour acquis que Montesquieu a entendu organiser un équilibre entre ces organes de telle sorte qu'ils se fassent mutuellement opposition, on doit alors admettre que l'identification de ces facteurs sociaux précède nécessairement la distribution entre eux des fonctions étatiques.

103 Certes, on admettra avec Michel Troper que, pour les penseurs des Lumières, « l'unité fondamentale de l'État et de la société » [278] est chose certaine ou encore que « le xviiie siècle envisageait la constitution comme l'organisation de la société elle-même » [279]. On le sait, Michel Troper appuie en particulier ces affirmations sur le texte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui comporte le terme « société » et non celui « d'État » [280]. Mais si cette analyse permet de rendre compte du projet révolutionnaire, français en particulier, elle semble moins bien cadrer avec l'ambition qui anime Montesquieu : d'une part en ce que si les deux notions, celle de société et d'État, sont pensées conjointement, elles ne sont pas pensées comme équivalentes ; d'autre part et surtout en ce que l'examen des rapports qui les unissent ne doit pas nécessairement amener à l'affirmation de la prévalence de l'État sur la société. C'est même bien plutôt l'inverse, à savoir l'antériorité de la société humaine sur son organisation juridique sous forme d'État, qui semble devoir être déduit de la pensée de Montesquieu dont la philosophie, on a essayé de le montrer, l'amène à penser le fait social comme autonome. Le Montesquieu sociologue a constaté, dans le chapitre 6 du livre XI, l'existence d'une structuration déterminée de la société anglaise ; c'est sur cette base que le Montesquieu constitutionnaliste édifie son système de gouvernement. On voit bien que le mouvement, chez Montesquieu, est avant tout ascendant en ce sens qu'il va de la société vers l'État ; une volonté de structurer le corps social supposerait un mouvement contraire, descendant, de l'État vers la société.

104 Au reste, cela ne signifie nullement que Montesquieu ignore le poids dont l'État peut, le cas échéant, peser sur le corps social ; s'il prend autant de soin à élaborer son système, c'est précisément parce qu'il sait tout le parti, éventuellement liberticide, qui peut être tiré de l'utilisation de la puissance étatique. Cela ne signifie pas, donc, que la société puisse s'affranchir entièrement du droit : c'est même un des traits majeurs de sa pensée que de faire dépendre l'avènement de la liberté de son établissement juridique. Si on doit dès lors admettre sans difficulté que les composantes sociales vont tirer de leur présence dans le dispositif constitutionnel une certaine force pour maintenir les pouvoirs dont elles disposent dans la société, il n'en demeure pas moins que le fait premier est bien que c'est leur existence en tant que forces sociales qui conditionne leur participation aux fonctions étatiques. Il semble au contraire, pour citer à nouveau Michel Troper, que sont difficilement conciliables les deux propositions affirmant simultanément que « la structure du pouvoir suprême reflète la structure sociale » et que « c'est de son pouvoir législatif que [l'aristocratie tire] sa force sociale ». De deux choses l'une : ou bien c'est la structure sociale qui détermine initialement la composition des organes de l'État, ou bien c'est l'inverse. Ou bien l'aristocratie est déjà constituée en force sociale, de sorte que sa participation au Gouvernement ne crée pas sa puissance dans la société mais ne fait que transcrire une telle puissance en une forme juridique ; ou bien l'association de l'aristocratie à l'exercice du pouvoir législatif permet à celle-ci de s'ériger en puissance sociale, mais on doit alors admettre que la structure de pouvoir suprême ne reflète pas la structure sociale mais l'institue. Ou bien la structure sociale est une réalité autonome et antérieure à la distribution des pouvoirs, de sorte que ce sont les facteurs politico-sociaux qui déterminent l'organisation juridique du pouvoir ; ou bien c'est l'agencement organico-fonctionnel de l'État qui organise la société, mais alors celle-ci ne peut être pensée comme un déjà-là, comme une réalité déjà organisée en groupes sociaux puisqu'elle n'est rien avant que d'avoir été instituée par l'État.

105 Au total, il semble qu'il faille admettre que le fait social conserve, pour Montesquieu, un caractère premier ; ce n'est pas l'architecture organico-fonctionnelle de l'État qui structure le corps social, mais la structuration de celui-ci qui détermine celle-là. L'ultime conséquence qui doit être tirée de cette manière qu'a le magistrat bordelais de penser l'organisation du pouvoir se rapporte à la définition de la notion de constitution. Si la constitution peut être décrite, chez Montesquieu, comme un texte ayant pour vocation de conférer à la société une armature juridique propre à encadrer le pouvoir ou les tensions politiques qui la traversent, elle doit aussi être envisagée comme un support ayant pour objet d'instituer le corps politique tout entier, comme un texte fondant l'institution de la société en corps politique.

B. Une conception institutionnelle [281] de la Constitution

106 Il faut voir dans l'opposition entre pouvoir et liberté autour de laquelle Montesquieu organise son système l'expression de son libéralisme [282] politique. On a même pu dire que, en faisant de cette opposition « le centre du problème politique », Montesquieu a fixé « le langage définitif du libéralisme » [283]. Pour lui, le pouvoir est en effet toujours potentiellement liberticide. Les phrases qu'il a écrites à ce propos sont connues, mais résonnent comme une sentence définitive et on peut les rappeler : « c'est une vérité éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites » [284]. Le magistrat de Bordeaux a en effet compris que le pouvoir porte en lui un « germe de surabondance » [285], qu'il menace à tout moment la liberté. Il la menace d'autant plus que, depuis l'avènement de l'État, le pouvoir politique a acquis une force incoercible, une puissance absolue, dont Bodin a donné l'assise juridique [286]. L'Homme n'est pourtant pas démuni face à une telle absoluité du pouvoir. Montesquieu indique le chemin : la liberté, doublement définie comme la condition naturelle des hommes et comme la valeur primordiale de la Cité, peut être construite. Il faut pour cela encadrer le pouvoir par le droit. Et une telle tâche est à la portée des hommes pour peu qu'ils maîtrisent la technique constitutionnelle.

107 La constitution se donne à voir, dans son système, comme la Charte de la liberté, comme un texte qui n'est nullement neutre politiquement, puisqu'il tire sa légitimité autant que sa substance de sa capacité à réaliser l'objectif axiologique qui lui est assigné, à savoir instituer la liberté (1). Cette axiologie constitutionnelle traduit de surcroît un mode de pensée de la constitution comme ordre politique : la constitution, pour Montesquieu, « constitue une communauté politique » [287], elle est tout à la fois et indissociablement constitution sociale, politique et juridique (2).

1) La Constitution, Charte de la liberté [288]

108 D'emblée, il faut convenir que le concept de constitution possède, chez Montesquieu, une redoutable polysémie [289] ; à l'époque où il écrit, il est vrai, le sens du terme n'a pas encore été fixé définitivement [290] et, en ce sens, L'Esprit des lois reflète « les hésitations sémantiques de son temps » [291]. L'effort d'identification des différentes acceptions qu'il retient a toutefois été entrepris et l'on peut dresser, avec Édouard Tillet, la typologie suivante : en premier lieu, il est possible d'isoler deux utilisations conformes à l'usage alors en vigueur. Chez Montesquieu, le mot constitution est d'abord utilisé pour rendre compte, de façon descriptive, « passive » [292], « neutre » [293], de l'organisation d'un objet. Il s'agit en fait du recours, fort répandu au xviiie siècle, à la métaphore anthropomorphique : est transposée à d'autres objets d'étude la méthode d'analyse du corps humain, reposant sur l'identification des organes et de leurs fonctions spécifiques, ainsi que sur l'appréhension de l'organisme comme étant autre chose que la simple somme des parties qui le composent. Le second usage que l'on peut déceler tend à recouvrir le sens d'« établissement artificiel d'un ordre » [294]. Là encore, Montesquieu reprend une acception classique chez ses contemporains : le terme de constitution renvoie ici à l'idée d'un ordre construit, façonné. C'est donc dans un sens cette fois dynamique mais qui ne doit toutefois pas être assimilé au volontarisme d'un Hobbes : l'artificialisme politique du philosophe anglais [295] tend à délier l'« homo rationalis » [296] de toute subordination, à élever l'Homme au rang de créateur émancipé de Dieu et donc concurrent de lui. À rebours d'une telle approche, Montesquieu, qui tient l'hypothèse contractualiste pour une erreur [297], considère au contraire que la latitude d'action des hommes est strictement bornée par « la nature des choses », c'est-à-dire par les rapports d'équité selon lesquels Dieu a organisé le monde.

109 Ces deux premiers sens, pour correspondre aux acceptions en vigueur au xviiie siècle, n'en reflètent pourtant pas moins la recherche, décidément constante chez Montesquieu, d'une via media. Le terme de constitution ne peut que posséder un contenu plural précisément parce qu'il porte la marque de la nature double des hommes : concept statique, il renvoie à la part irréductible de déterminisme qui fait que l'homme ne peut échapper à sa condition ; concept dynamique, il est le miroir de la latitude d'action dont disposent les hommes pour déterminer les règles de vie de la Cité.

110 Mais s'en tenir à la seule ambivalence du concept de constitution est insuffisant. Car par-delà son caractère composite, le terme de constitution n'acquiert sa véritable substance que du fait de la perspective axiologique dans laquelle Montesquieu l'emploie. C'est même sa capacité à fonder l'ordre juridico-politique, lequel est pour Montesquieu consubstantiel à l'établissement de la liberté, qui rétablit l'unité de la notion. La constitution est à la fois, et indissociablement, insistons-y, organisatrice en tant qu'elle donne à la société ses cadres juridiques et normative en tant qu'investie de la mission de garantir la liberté ; elle institue le fait politique, qui ne peut venir à l'existence sans structures juridiques, en même temps qu'elle le soumet à un impératif libéral. Il s'agit donc d'une construction agrégative de la notion de constitution, d'une conception mi-politique mi-juridique ; l'unité de la notion n'est pas détruite mais bien consolidée par l'adjonction d'un élément qui fait office de ciment. Parce qu'elle est au fondement de la société politique, la constitution ne peut être que la constitution de la liberté ; inversement, la liberté, en tant que norme éthique cardinale des sociétés humaines, ne peut trouver place que dans le texte juridique fondateur qu'est la constitution.

111 Par cette définition complexe, Montesquieu pose un jalon essentiel dans l'histoire du constitutionnalisme. Il est en effet l'un des premiers auteurs, non pas à se préoccuper de la liberté parmi les hommes, mais à en faire un des réquisits de la constitution, et il annonce en ce sens la grande ambition qui animera les révolutionnaires américains et français de la fin de son siècle. Il affirme non seulement que la liberté ressortit du champ du droit constitutionnel, mais que le problème constitutionnel s'absorbe quasi entièrement dans la « question principielle de la liberté » [298]. Le droit constitutionnel ne saurait donc être neutre : il doit au contraire avoir un certain contenu, tendre vers une fin donnée.

112 Reste à déterminer les propriétés que doit posséder l'édifice constitutionnel pour garantir la liberté. Car une fois posée la relation d'identité entre droit constitutionnel et liberté, la question cruciale devient alors la suivante : selon quels mécanismes le droit constitutionnel peut-il, sans coup férir, devenir le droit de la liberté ? La réponse qu'apporte ici Montesquieu est celle d'un technicien : il étudie en effet les règles de composition de la constitution sous l'angle mécanique et on a pu le qualifier de ce fait de « Newton du monde humain » [299]. À l'instar du physicien anglais qui s'est donné pour ambition de rendre intelligible le système de l'univers, le baron de La Brède s'est appliqué à établir les lois de fonctionnement, les règles de composition de la machine constitutionnelle. Celle-ci doit être façonnée de telle sorte qu'elle en devient « indéréglable » [300].

113 En somme, la question constitutionnelle est pour Montesquieu une question d'ingénierie, celle de l'assemblage satisfaisant de ressorts, pignons et autres roues [301]. Le mode opératoire du système, comme Charles Eisenmann et Michel Troper se sont efforcés de le montrer, peut être décrit à l'aide de l'acception mécaniste du concept de constitution : il n'est nullement « nécessaire de penser la constitution comme obligatoire puisqu'elle est contraignante » [302]. De la façon, en effet, dont sont agencées les pièces qui la composent, il doit « résulte[r] nécessairement certains effets, indépendants de la volonté des agents » [303]. Car là est l'essentiel : si le système est bien actionné par les hommes, s'il prend vie du fait de la volonté qu'ils y insufflent, son mécanisme interne est réglé de telle sorte que, quelle que soit l'intention qui anime les hommes, il ne pourra produire autre chose que ce pour quoi il a été fabriqué. Conçue comme force d'entraînement, la machine constitutionnelle ne peut que réaliser l'objectif qui lui a été assigné. Puisque les hommes sont parfois emportés par leurs passions, c'est dans le mécanisme interne de la machine, c'est-à-dire hors de leur portée, que sera placée son innocuité.

114 Ainsi, la métaphore mécaniste permet-elle à Montesquieu de dégager le mode opératoire de la constitution : les contraintes juridiques que celle-ci pose auront ce salutaire effet d'empêcher tout débordement. La machine, telle qu'elle a été pensée dans ses plans généraux, est solidement arrimée à la valeur fondatrice qu'est la liberté. Au fond, la solution que Montesquieu apporte ainsi à la question constitutionnelle, et qui a contribué plus que tout autre aspect de sa pensée, à faire passer le philosophe à la postérité, tient à l'énonciation d'un principe : « pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » [304]. Cette formule, limpide dans sa concision, révèle tout le génie de Montesquieu : en une phrase, il ramasse sa pensée en même temps qu'il livre le point d'orgue de sa philosophie. La liberté, condition naturelle des hommes et, partant, critère du politique, peut être établie dans la Cité : il suffit pour cela que le pouvoir, ontologiquement guetté par l'hypertrophie et de ce fait toujours potentiellement liberticide soit fractionné, morcelé, qu'il soit organisé en forces et contre-forces se faisant équilibre. De cette division de l'autorité, résultera nécessairement la garantie que les lois ne seront pas iniques. Ainsi conçue, « la constitution [pourra] être telle que personne ne sera contraint de faire les choses auxquelles la loi n'oblige pas, et à ne point faire celles que la loi lui permet » [305]. Entre constitution et liberté, il y a un rapport étroit non pas de cause à effet, mais de moyen à fin.

115 Chez Montesquieu, la constitution n'est donc aucunement la marque d'une césure radicale entre la société et l'État : elle est tout au contraire constitutive de celle-ci dans la forme juridique de celui-là, elle est institution de la société en ordre politique, elle est « principe premier de l'unité politique » [306].

2) Une conception politico-sociale de la Constitution

116 Montesquieu a de la constitution une conception totale ou totalisante : elle est pour lui à la fois constitution sociale, politique et juridique [307]. Parce que, s'il les distingue, il n'envisage jamais la société indépendamment de l'État ; parce que si le fait social est bien pour lui la réalité première de la vie des hommes, c'est bien vers l'inscription de cette réalité en une forme juridique constitutionnelle que tend tout son système. Pour reprendre la typologie proposée par le professeur Beaud ­ dont l'analyse a inspiré pour l'essentiel les développements qui suivent ­ Montesquieu a en somme une conception « institutionnelle (ou organique) » [308] de la constitution, et non pas une « conception normative » [309] ou « juridico-normative » [310]. Selon une telle conception, « la constitution est l'ordre politique », une telle définition, en quelque sorte, « actualis[ant] le concept de politeia entendu comme le système éthico-politique tout entier, et non pas une loi suprême de l'État » [311].

117 Compte tenu de la ligne de continuité qui existe, dans la pensée de Montesquieu, entre ses réquisits philosophiques ­ érigeant la liberté en fondement de la nature humaine autant qu'en critère de définition de politique ­, sa manière de penser le fait social ­ comme à la fois hétérogène ou plural et caractérisé par « une indétermination ultime du concept de justice en matière politique » [312], par une « indétermination relative du bien politique » [313] ­, sa conception des structures organiques et fonctionnelles de l'État ­ qui ont vocation à retranscrire juridiquement l'organisation de la société en composantes multiples et à réfléchir les tensions traversant les relations entre groupes sociaux ­, compte tenu donc de cette ligne de continuité, on voit combien il est réducteur de n'examiner son  uvre qu'à travers le prisme d'une conception normative, contemporaine, de la constitution. Le jugement qu'on en tirerait ne pourrait être qu'affecté d'un profond « anachronisme » dès lors que le « magistrat bordelais ne pouvait littéralement pas penser en termes de hiérarchie des normes » [314]. On l'a signalé dès le début de cet article, le mérite de la lecture eisenmanno-troperienne de la doctrine de Montesquieu est certes d'avoir permis de sortir de l'ornière dans laquelle était tombée la lecture traditionnelle qui superposait à la séparation des organes une séparation fonctionnelle. Mais elle a du coup contribué à ancrer davantage encore le réflexe consistant à isoler le volet juridique de la doctrine de Montesquieu du reste de sa pensée ; elle a renforcée l'idée que l'analyse de l'État pouvait être menée « uniquement [...] en fonction de la tripartition des fonctions juridiques conçues au sens formel du terme » [315].

118 On doit pourtant tenir pour inséparables les éléments éthico-philosophiques, socio-historiques, politiques et juridico-constitutionnels. Ce n'est en effet qu'à cette condition qu'on peut pleinement saisir, pour citer à nouveau Olivier Beaud, la « place originale et atypique » que Montesquieu occupe « dans la configuration du constitutionnalisme européen ». Cette originalité, cette atypicité résultent de sa capacité à jeter un pont entre les anciens et les modernes, à tenir les deux bouts de la chaîne du temps de la pensée constitutionnaliste :

119 « d'un côté, comme tous les libéraux, l'auteur de L'Esprit des lois souhaite bâtir une théorie politique capable de marier la liberté avec la constitution, et donc de proposer une théorie du gouvernement modéré, meilleure forme de gouvernement. Dans cette mesure, il fait partie des auteurs qui ont  uvré en vue du passage du constitutionnalisme ancien au constitutionnalisme moderne. Mais d'un autre côté, sa pensée constitutionnelle renoue, en partie, avec la tradition de la philosophie politique grecque et de la politeia d'Aristote. Ainsi, quoique libéral et constitutionnaliste ­ et là se situe le paradoxe ­ Montesquieu défend plutôt une conception institutionnaliste proche d'Aristote et de Hegel. On peut alors saisir, conclut Olivier Beaud à la fin de son introduction, le paradoxe de Montesquieu : un penseur institutionnaliste de la constitution qui défend pourtant une conception libérale de la Cité » [316].

120 Cette présentation de la conception et libérale et institutionnaliste que Montesquieu se fait de la constitution permet de restituer la cohérence des différents pans de sa pensée et, se faisant, d'en montrer l'unité. En ne séparant pas, d'abord, l'être du devoir-être, le descriptif du prescriptif, c'est à articuler ensemble droit et politique que Montesquieu  uvre, c'est à insuffler les valeurs au c ur même du dispositif constitutionnel qu'il travaille, c'est à la tâche de façonner une axiologie constitutionnelle qu'il s'attèle. La constitution ne peut donc être pour lui simplement organisatrice de l'État en ce sens qu'il suffirait qu'elle règle la production du droit dans celui-ci au moyen d'une distribution indifférente des fonctions entre les organes : sa critique du despotisme, qu'on peut certainement transposer aux totalitarismes du xxe siècle, montre assez qu'il sépare radicalement le politique du non politique, qu'il renoue avec la recherche antique du meilleur gouvernement, que la constitution n'est pas exclusivement pour lui un ordre juridique mais aussi un ordre de valeurs [317].

121 En ne séparant pas, ensuite et par voie de conséquence, ordre social, ordre politique et ordre juridique, c'est une conception globale ou totalisante ­ celle de la politiea ­ dont Montesquieu se révèle le partisan. Il ne peut être rattaché, de ce point de vue, aux Modernes qui, sur la base de la césure entre sphère privée et sphère publique, entendent assigner à la chose publique un espace strictement délimité : il ignore, à la manière des Anciens, la distinction entre liberté privée et liberté politique. De sorte que pour lui la constitution, loin d'avoir pour objet d'enfermer dans le droit un pouvoir pensé comme extérieur à la société, doit simplement donner un cadre juridique à des pouvoirs publics pensés au contraire comme consubstantiels à la société. Elle doit ainsi simplement permettre à la société d'être toujours en situation de décider pour elle-même où se situe le bien commun, un bien commun, doit-on ajouter, qui parce qu'il n'est pas immuable mais au contraire indéterminé et toujours mouvant ne sera pas de ce fait sanctuarisé dans le texte constitutionnel.

122 Partant, en ne séparant pas, enfin, régime politique ou juridico-politique et régime social, c'est à la question de la légitimité de la constitution que Montesquieu entend apporter une réponse. À la question de sa légitimité et partant de son efficience, c'est-à-dire de la capacité effective de la mécanique constitutionnelle à réguler le pouvoir non pas par le jeu d'une contrainte imposant une obéissance, mais par le jeu d'une adhésion ou d'une identification au pouvoir [318]. On peut reformuler cette idée négativement et positivement. Négativement, le châtelain de La Brède reste convaincu que la structure institutionnelle d'un État donné ne peut se maintenir dès lors qu'elle ne se situe pas dans un rapport d'harmonie ou au moins d'adéquation avec la société sur laquelle son pouvoir s'étend. On a écrit société, mais le substrat de la constitution que Montesquieu envisage est même en réalité beaucoup plus vaste : on renverra ici encore à l'analyse du professeur Beaud qui met en évidence qu'un tel substrat suppose de considérer dans l'analyse le rapport qui s'établit entre nature du régime et son principe, mais aussi le telos propre à chaque gouvernement de même que les m urs et les manières qui constituent l'esprit public d'un peuple ; et le même auteur de relever la fréquence, chez Montesquieu, de l'utilisation de « l'expression "choquer la constitution" (EdL V, 7 et V, 9) pour exprimer non pas la désobéissance (conception normative), mais le rapport d'inadéquation, ou plutôt de "non-convenance" » [319]. Un régime politique n'est rien sans ses bases sociales, puisque ce sont elles qui le maintiennent. Positivement, dès lors, c'est dans « l'âme d'un peuple » [320] que le fondement réel de la constitution est à rechercher : elle est au sens propre l'émanation du corps social [321].

123 On comprend dans ces conditions que son système ne puisse être lu autrement que comme le résultat d'une double, voire d'une triple superposition. À la strate sociale, hétérogène et dynamique du fait des multiples intérêts (sociaux) qui s'y entrecroisent, vient s'ajouter une strate proprement juridique, celle du modèle de la balance des pouvoirs résultant de la distribution équilibrée des fonctions entre les organes représentant les groupes sociaux, cette seconde strate étant elle-même coiffée d'une troisième, celle du régime mixte tenant à ce que les organes instituent au c ur du gouvernement trois modes différents de légitimité, trois fondements séparés et concurrents du pouvoir d'agir des institutions.

124 La doctrine constitutionnelle de Montesquieu forme un redoutable écheveau. Stéphane Rials relève avec profondeur que le magistrat bordelais, comme « tous les très grands penseurs du constitutionnalisme », considère que « la constitution n'[est] pas seulement un texte mais un complexe de rapports politiques, sociaux, moraux, psychologiques, etc. » [322] et qu'il est en ce sens à rattacher « aux traditions de la mixité du lieu, et politique et social [...] de la constitution » ; en somme, que le régime mixte ou « le monde des checks and balances » auquel il le ramène « n'est pas celui d'une hétéro-régulation de la vie politique par des textes : il est celui d'une autorégulation toujours mouvante par le jeu, au fond "naturel", de forces en mouvement, d'intérêts affrontés, d'interprétations justiciables de tous les soupçons, d'arguments inlassables et contradictoires » [323].

125 On a essayé de montrer, dans cet article, que c'est sans doute mutiler la pensée de Montesquieu que de la considérer sous un angle excessivement juridico-formel : expurgée des prémisses philosophiques qui la fondent, amputée de l'examen des principes de légitimité sur lesquels repose le pouvoir d'agir réel des institutions, diminuée de l'étude per se de la structure organique de l'État, elle n'offre plus qu'une image bien modeste de l'ambition qui a animée son auteur et fait surtout bien peu justice de la complexité que Montesquieu s'est donné pour tâche de démêler. Ce n'est pourtant qu'en se confrontant à cette complexité qu'on peut espérer restituer la cohérence et l'unité de sa pensée constitutionnelle.

Notes

  • [1]
    Sébastien Roland est professeur de droit public à l'Université Clermont-Ferrand I.
  • [2]
    In uvres complètes, Seuil, 1964, préface de Georges Vedel, p. 453.
  • [3]
    Gicquel J., Droit constitutionnel et institutions politiques, 18e éd., Montchrestien, coll. Domat, 2002, p. 108.
  • [4]
    Pactet P., Institutions politiques et droit constitutionnel, 21e éd., Armand Colin, coll. U, 2002, p. 111.
  • [5]
    Brethe de la Gressaye J., « Montesquieu fondateur du droit public moderne », in Mélanges en l'honneur de M. Stassinopoulos, LGDJ, 1974, p. 347-362. Voir également Puget H., « L'apport de L'Esprit des lois à la science politique et au droit public », in La pensée constitutionnelle de Montesquieu, Bicentenaire de L'Esprit des lois, Sirey, 1952, p. 25-38.
  • [6]
    Seignobos C., Études de politique et d'histoire, PUF, 1934, reprise d'un article paru dans le Journal de psychologie, n. 6-7, 15 juin-15 juillet 1920.
  • [7]
    « Montesquieu n'est pas à mes yeux un précurseur, mais un des doctrinaires de la sociologie », Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, coll. Tel, 1967, p. 27.
  • [8]
    « C'est une vérité reçue de déclarer Montesquieu le fondateur de la science politique », Althusser L., Montesquieu, la politique et l'histoire, PUF, coll. Quadrige, 1959, p. 11 (souligné par l'auteur).
  • [9]
    « En ce qu'il observe principalement dans le droit sa variabilité, Montesquieu est donc le premier anthropologue du droit de l'époque moderne », Rouland N., Anthropologie juridique, PUF, coll. Droit fondamental, 1988, p. 49.
  • [10]
    Selon la formule de Georges Burdeau qui, on le sait, s'efforcera pourtant de proposer une typologie renouvelée des fonctions étatiques, in « Remarques sur la classification des fonctions étatiques », RDP 1945, p. 204.
  • [11]
    S'agissant en premier lieu des classifications dualiste et trialiste, le texte de Montesquieu n'est pas dénué d'ambiguïté puisqu'il distingue « la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil [qu']on appellera [...] la puissance de juger » (Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 4, p. 586). Notons avec le Professeur Olivier Beaud, citant Carré de Malberg, que « la question de savoir si la fonction juridictionnelle doit être considérée comme une "fonction principale" ou une " branche spéciale et partielle de la fonction d'administrer" reste toujours ouverte », in « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », Droits, 2003, no 37, p. 160-161.En second lieu, s'agissant d'une classification quadrialiste, les contributions semblent se limiter à deux auteurs : pour Gérard Bergeron, Montesquieu distingue bien quatre fonctions, à savoir celles de gouvernement, de législation, d'administration et de juridiction, in Tout était dans Montesquieu. Une relecture de L'Esprit des Lois, L'Harmattan, coll. Logiques juridiques, 1996, p. 189 et 193-4 ; M. J.C. Vile retient une interprétation similaire in Constitutionalism and the separation of powers, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. 87.
  • [12]
    C'est à une telle classification que procèdent Grotius et Pufendorf ­ et Burlamaqui en épigone fidèle ­ qui donneront naissance à la théorie des « partes potentiales ». Voir sur ce point Goyard-Fabre S., Philosophie politique xvie-xxe siècles (Modernité et humanisme), PUF, coll. Droit fondamental, 1987, p. 187-189 et Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, LGDJ, 1973, p. 114-115. Voir plus généralement Eisenmann C., « Les fonctions de l'État », in Faure E. & Trotabas L. (dir.), Encyclopédie française, Tome X : l'État, Société Nouvelle de l'Encyclopédie française, 1964, p. 291-311.
  • [13]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, op. cit., p. 115.
  • [14]
    Notons avec Simone Goyard-Fabre, qu'« on invoque souvent l'autorité d'Aristote [...] lorsqu'on parle des « pouvoirs de l'État » ». Or, « en toute rigueur, Aristote parle de délibération (La Politique, livre IV, chapitre XIV, 1298 a) et de commandement (ibid., chapitre XV, 1299 a) », La philosophie du droit de Montesquieu, 2e éd., Klincksieck, 1979, p. 317 note 109.
  • [15]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, op. cit., p. 116.
  • [16]
    On observera cependant que ce point est contesté par le professeur Bacot pour qui Montesquieu n'a conçu « ni la loi comme une source de compétence, ni les actes exécutifs comme des normes d'application particulière des lois » (in « L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », RDP, 1992, p. 638) ; en réalité, « les actes de l'exécutif ne sont pas, pour Montesquieu, des normes d'application des lois à des cas particuliers, même quand ils n'en constituent que la mise en  uvre : ils ont une portée aussi générale que ces lois qu'ils servent éventuellement à exécuter ; en outre ils ne sont pas des normes, mais des actes matériels » (ibid., p. 640) ; dans ces conditions, « ce n'est pas par leur caractère d'application particulière que les actes d'exécution sont distingués de la législation par Montesquieu ; c'est par le fait que ce ne sont pas des normes, mais « des résolutions actives et qui demandent quelque exécution » (L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588) » (ibid.). Cette analyse doit cependant être rapportée à cet autre passage du chapitre 6 du livre XI dans lequel Montesquieu affirme explicitement que « les deux autres pouvoirs », à savoir le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, ne sont « l'un, que la volonté générale, et l'autre, que l'exécution de cette volonté générale », L'Esprit des lois, op. cit., p. 587.
  • [17]
    S'il est vrai que Montesquieu n'a pas explicitement formalisé une telle hiérarchie des fonctions, celle-ci peut être déduite de son système. Et c'est précisément à un tel exercice que se livre Charles Eisenmann, à partir des travaux préalables de Carré de Malberg. Ce dernier, de façon remarquablement paradoxale, a montré dans sa Contribution à la théorie générale de l'État (Sirey, 1922, réimpression CNRS, 1962, tome 2, chapitre quatrième : De la séparation des fonctions entre des organes distincts, p. 1-142) l'impossibilité logique d'une égalité des fonctions, mais sans apercevoir que c'est bien ainsi que Montesquieu a conçu sa doctrine. Il reproche en effet au baron de La Brède d'avoir pensé les trois fonctions législative, exécutive et judiciaire comme égales et souveraines chacune dans leur domaine respectif ; or, du fait de l'unité de l'État, il lui semble impossible d'admettre que la fonction législative soit considérée comme de puissance égale à celle des deux autres. « Il est même tout simplement absurde de prétendre, commente le professeur Troper, que l'activité qui consiste à faire les lois pourrait être équivalente à celle qui consiste à les exécuter. En réalité, l'exécution est bien évidemment, par définition même, subordonnée à la législation » (in Hamon F. & Troper M., Droit constitutionnel, 29e édition, LGDJ, coll. Manuel, 2005, p. 95). Bien que prêtant faussement à Montesquieu le raisonnement contraire, le grand publiciste strasbourgeois a mis là au jour une idée essentielle que Charles Eisenmann exploitera, non sans prendre le soin de rectifier l'erreur de l'interprétation malbergienne. « Il suffit, commente Charles Eisenmann, de se reporter au texte [de L'Esprit des lois] pour y relever des preuves multiples qu'au contraire Montesquieu a parfaitement compris la supériorité de la fonction législative aux deux autres fonctions », « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », in Mélanges Carré de Malberg, Duchemin-Topos Verlag, 1933, p. 16, note 16. Il devient alors patent que, la fonction supérieure étant la fonction législative, l'élément crucial du système de Montesquieu est celui du partage de celle-ci entre les organes.
  • [18]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 16-18 et « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Bicentenaire de l'Esprit des lois, Sirey, 1952, p. 147-150.
  • [19]
    « Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté [...]. Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie des citoyens serait arbitraire [...]. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur. Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. », Montesquieu, L'Esprit des lois, livre XI, chapitre 6, op. cit., p. 586.
  • [20]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 17.
  • [21]
    Binoche B., Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, PUF, coll. Les grands livres de la philosophie, 1998, p. 260-261.
  • [22]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle, op. cit., p. 112. Voir également « L'interprétation de la Déclaration des droits. L'exemple de l'article 16 », Droits, no 8, 1988, p. 111-122.
  • [23]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 21-22.
  • [24]
    Eisenmann C., ibid., p. 165-192, « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 133-160, « Le système constitutionnel de Montesquieu et le temps présent », in Actes du Congrès Montesquieu de Bordeaux des 23-26 mai 1955, Delmas, 1956, p. 241-248. Ces célèbres études sont aujourd'hui regroupées in Eisenmann C., Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d'idées politiques, Textes réunis par Charles Leben, Éditions Panthéon-Assas, coll. Les Introuvables, 2002.
  • [25]
    Troper M., « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », Cahiers de philosophie politique de l'Université de Reims, 1986, no 2-3, p. 67-68.
  • [26]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 141.
  • [27]
    Pour Charles Eisenmann, « cette façon de comprendre et de présenter les idées constitutionnelles de L'Esprit des lois est erronée » (in « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 4) tandis que pour Michel Troper, il s'agit même d'« une doctrine véritablement absurde » in « Article Montesquieu », in Chatelet F., Duhamel O. & Pisier E. (dir.), Dictionnaire des  uvres politiques, PUF, coll. Quadrige, 1986, p. 794. Notons incidemment que ces auteurs ont eu un prédécesseur prestigieux en la personne de Maurice Hauriou qui s'est attaché à restituer « la véritable théorie de Montesquieu sur le principe de la séparation des pouvoirs » (Précis de droit constitutionnel, 2e éd., Sirey, 1929, p. 352) ; il a en particulier parfaitement compris que le projet de Montesquieu n'est pas d'enfermer chaque organe de l'État dans l'exercice d'une fonction unique, mais de réaliser une collaboration fonctionnelle qu'il adopte à son tour comme credo ; « il faut que les pouvoirs de gouvernement ne soient pas séparés au point de ne plus pouvoir collaborer, il faut que chacun d'eux intervienne dans plusieurs fonctions, de façon qu'ils puissent se rencontrer et s'arrêter les uns les autres ou marcher de concert » (Principes de droit public, 2e éd. Sirey, 1916, p. 700)
  • [28]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 22.
  • [29]
    On doit à nouveau signaler ici l'interprétation divergente proposée par Guillaume Bacot : pour cet auteur, il semble que « Montesquieu se soit beaucoup plus préoccupé que ne le croit Eisenmann d'établir une certaine spécialisation de ces organes ; et cela précisément parce qu'il se souciait fort peu de les voir s'influencer mutuellement », in « L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 628 et, pour la démonstration de ces deux affirmations, p. 628-636.
  • [30]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., ibid., p. 29.
  • [31]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 152 ; voir également Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., en particulier p. 121-126. Notons également que la notion d'organe complexe se trouve déjà chez Carré de Malberg, qui ne l'utilise cependant pas à propos de la Constitution d'Angleterre de Montesquieu mais de l'examen du droit de veto absolu accordé au monarque dans le projet du premier comité de constitution de l'Assemblée nationale de 1789, in Contribution..., op. cit., tome 1, p. 395.
  • [32]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 144.
  • [33]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 589.
  • [34]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 153.
  • [35]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 122. Un peu plus loin, Michel Troper ajoute : « la théorie de la balance des pouvoirs ne prétend nullement, comme l'a cru la plus grande partie de la doctrine classique de droit public, instaurer un équilibre entre trois autorités spécialisées. Bien au contraire, cette théorie est tout entière fondée sur la reconnaissance d'une hiérarchie entre les fonctions étatiques et par conséquent entre leurs détenteurs, si ceux-ci étaient spécialisées. C'est pourquoi l'équilibre n'est concevable qu'entre détenteurs de la fonction législative », ibid., p. 125.
  • [36]
    Beaud O., « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 164.
  • [37]
    En 1986, dans son article précité intitulé « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », le professeur Troper ne cachait pas sa « tristesse » et sa « colère » devant les réticences à reconnaître l'apport essentiel de celui qui avait été son directeur de thèse.
  • [38]
    Voir par exemple Baranger D., Droit constitutionnel, PUF, coll. QSJ ?, no 3634, 2002, p. 96-98 ou encore les manuels des professeurs Grewe C. & Ruiz-Fabri H., Droits constitutionnels européens, PUF, 1995, p. 359-366 et 383-384 et Zoller E., Droit constitutionnel, 2e éd., PUF, coll. Droit fondamental, 1999, p. 287-308.
  • [39]
    Rials S., « Charles Eisenmann, historien des idées politiques ou théoricien de l'État ? », in La pensée de Charles Eisenmann, Amselek P. (dir.), Économica-PUAM, 1986, p. 108.
  • [40]
    On doit préciser que cette analyse ne fait toutefois pas l'unanimité. Pour le professeur Bacot en particulier, et le principe de non cumul et le principe d'influence mutuelle des organes doivent être rejetés (voir « L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 628). On peut faire valoir cependant que ce que Montesquieu a en vue est une limitation politique du pouvoir : il ne s'agit donc pas seulement d'obtenir du Parlement ou du Gouvernement qu'ils fassent correctement leur « métier » de législateur ou d'exécution des lois, mais aussi et surtout qu'ils n'usent pas de leurs compétences pour imposer à l'autre partie des décisions qu'elle ne souhaite pas ; en d'autres termes, l'enjeu n'est pas tant un enjeu formel (le respect des compétences) qu'un enjeu de fond (l'abus du pouvoir politique). Si d'ailleurs on considère comme établi que le projet de Montesquieu, pour reprendre les termes du professeur Bacot, vise à « permettre à [chacun des groupes sociaux] de "conserver ses prérogatives" et l'intégralité de ses droits propres, qui demeurent inhérents à toute vie sociale organisée » (ibid., p. 635), il semble qu'un tel but soit difficile à atteindre au moyen d'un système de limitation de compétences, sauf à considérer qu'il est possible d'imaginer, pour chacune des classes sociales, un ensemble de compétences correspondant exactement à ses intérêts et privilèges. Il semble au contraire, que Montesquieu ait eu en vue d'organiser entre les organes, représentant les diverses forces sociales, un système de prise de décision en commun dans le cadre duquel ils seront en situation de faire valoir leur point de vue en recourant, le cas échéant, à leur faculté d'empêcher.
  • [41]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 25.
  • [42]
    Ibid. Ce qui n'exclut bien sûr pas l'existence de moyens d'action réciproques : dans sa Constitution d'Angleterre, Montesquieu précise ainsi que c'est « la puissance exécutrice qui règle le temps et la durée de ces assemblées [du corps législatif] » (L'Esprit des lois, op. cit., p. 588) et que, en retour, la puissance législative a « la faculté d'examiner de quelle manière les lois qu'elle a faites ont été exécutées » (ibid., p. 589). Mais il faut insister sur le fait qu'il s'agit là de prérogatives qui doivent être considérées comme des moyens de pression dans le cadre du processus de prise de décision ou d'exécution des décisions, non comme des procédures qui conditionneraient, de près ou de loin, l'intégrité organique du monarque, des Communes ou de la Chambre des Lords. Et on conçoit mal en effet comment Montesquieu, qui entend établir un système institutionnel équilibré, aurait conféré à l'un quelconque des organes le pouvoir de décider de l'existence juridique des autres. Au contraire, son système garantit à chacun des organes une intégrité juridique, intégrité assortie de moyens mutuels d'influence ; sur cette notion d'« influence », on lira l'analyse que le professeur Baranger en a proposée dans sa thèse où il la définit comme « une puissance hors le droit », « la relation entre le Roi et les organes délibérants [ne procédant] pas d'une norme ou d'un statut, mais d'une puissance de fait », in Parlementarisme des origines. Essai sur les conditions de formation d'un exécutif responsable en Angleterre des années 1740 au début de l'âge victorien, PUF, coll. Léviathan, 1999, p. 205-209, spéc. p. 205.
  • [43]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 29.
  • [44]
    Pour le professeur Bacot, il n'est ainsi possible d'affirmer que le pouvoir législatif domine le pouvoir exécutif qu'au prix d'une réduction excessive du contenu de celui-ci : il ressort au contraire de la lecture de L'Esprit des lois que la fonction exécutive ne consiste pas en « la seule exécution des lois, puisque, dans l'exercice de cette fonction, le prince ou le magistrat "fait la paix et la guerre, envoie et reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions" » (« L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 626), ce même si, comme en convient l'auteur, Montesquieu n'exclut pas, pour l'ensemble de ces activités, une limitation ou un contrôle du législateur qui lui permettent d'assurer le maintien de la subordination de l'exécutif. Pour Guillaume Bacot, c'est dès lors une lecture en termes de limitations de compétence qu'il faudrait privilégier : « il serait plus exact de dire que, pour Montesquieu, les fonctions législative et exécutive se situent dans un même plan, et qu'elles constituent deux surfaces qui se limitent mutuellement, dès lors qu'aucune d'entre elles ne peut empiéter sur l'autre » (ibid., p. 631).
  • [45]
    Mais c'est précisément cet angle d'approche qui a nourri les critiques : notamment celles de Guillaume Bacot qui fait reproche à Charles Eisenmann de raisonner « en positiviste kelsenien » (« L'Esprit des lois, la séparation des pouvoirs et Charles Eisenmann », op. cit., p. 642 et plus généralement p. 642-644) et celles d'Olivier Beaud pour qui c'est bien « le schéma kelsenien [qui] est, en dernière instance, la matrice de compréhension du phénomène de la séparation des pouvoirs » tel que Michel Troper et avant lui Charles Eisenmann en ont rendu compte (« Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 159 et plus généralement p. 158-165).
  • [46]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 127. Michel Troper indique ainsi que « la primauté de la loi est, au xviiie siècle, la plus banale qui soit. Locke en a fait le titre d'un chapitre de son Essai sur le gouvernement civil. Elle est implicite tout au long du chapitre de L'Esprit des lois sur la Constitution d'Angleterre, et, bien sûr, tout au long du Contrat social », ibid., p. 112.
  • [47]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 587.
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    Ibid., p. 590.
  • [50]
    Ibid., p. 587.
  • [51]
    Carré de Malberg R., Contribution..., op. cit., tome 2, p. 50.
  • [52]
    On sait en effet que plusieurs auteurs ont pointé les inexactitudes de ce passage de L'Esprit des lois. Charles Seignobos, en historien, souligne ainsi qu'« entre la politique anglaise et la description de Montesquieu, il n'y a guère qu'un point commun, c'était le nombre trois », in « La séparation des pouvoirs », Études de politique et d'histoire, op. cit., p. 182 (souligné par l'auteur). Chez les juristes pareillement, un Esmein peut écrire que Montesquieu « se trompait assurément » en croyant dégager sa doctrine de la réalité anglaise du xviiie siècle (in Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 8e éd., Sirey, 1927, p. 499. On sait cependant que l'erreur imputée à Montesquieu est une erreur de l'interprète lui-même, Esmein faisant de L'Esprit des lois une lecture séparatiste manifestement en contradiction avec le texte. Esmein ­ tout comme Seignobos ­ néglige de surcroît le parti pris méthodologique de l'auteur, parti pris dont Michel Troper ­ après Charles Eisenmann ­ rend bien compte : Montesquieu a en vue de construire un modèle et, de ce fait, « sacrifiera tout ce qui, dans la Constitution [d'Angleterre] lui paraîtra étranger à la nature idéale du système » (in La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 112). Montesquieu lui-même avait explicitement averti : « je serai plus attentif à l'ordre des choses qu'aux choses mêmes », L'Esprit des lois, op. cit., livre XIX, chapitre 1, p. 641.
  • [53]
    Beaud O., « La Constitution chez Montesquieu. Contribution à l'étude des rapports entre constitution et constitutionnalisme », in Murswiek D., Storot U. & Wolff H. A. (Hrsg), Staat ­ Souveränität ­ Verfassung, Festschrift für Helmut Quaritsch zum 70. Geburtstag, Duncker & Humblot, Berlin, 2000, p. 407-448, p. 443.
  • [54]
    Pour Rome, voir bien sûr la fin du livre XI de L'Esprit des lois, op. cit., chapitres 12 à 19, p. 592-598, mais aussi Les considérations..., op. cit., chapitre XI, p. 454-458 ; pour Venise, voir Mes Pensées, no 1565, in uvres complètes, op. cit., p. 1018-1019 ; pour la Suède, voir Mes Pensées, no 1707, ibid., p. 1029.
  • [55]
    Chevallier J.-J., Les grandes  uvres politiques de Machiavel à nos jours, Armand Colin, coll. U, 1970, p. 94 (souligné par l'auteur).
  • [56]
    Selon la formule qui revient dans les chapitres 13 à 19 du livre XI, Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., p. 592-598.
  • [57]
    V. Dumont L., Homo aequalis I. Genèse et épanouissement de l'idéologie économique, Gallimard, coll. NRF-Bibl. des sciences humaines, 1985, p. 19 et plus généralement l'introduction p. 11-40 où l'auteur discute les modalités de la genèse historique et de l'articulation des catégories du religieux, du politique et de l'économique.
  • [58]
    Pour Simone Goyard-Fabre, la pensée constitutionnelle de Montesquieu possède une « résonance sociale en ce que la distribution tripartite des forces gouvernementales [reflète] la structure de la société dans laquelle se manifestent toujours, en même temps que des hiérarchies, des oppositions et des contradictions », in La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 336.
  • [59]
    Ibid., p. 337.
  • [60]
    « Il a été, écrit Jean Brethe de la Gressaye, juriste, historien, sociologue, moraliste, politique », in « Introduction » à De l'Esprit des lois, Éd. des Belles-Lettres, 1950-61, t. 1, p. CXXV.
  • [61]
    Cette observation vaut singulièrement à l'égard des juristes qui, comme le souligne Olivier Beaud, tendent à « concentrer l'analyse de la pensée de Montesquieu sur le commentaire du sixième chapitre du onzième livre de L'Esprit des lois, consacré à la Constitution de l'Angleterre. Certes, ajoute-t-il, seul ce chapitre pourrait concerner le juriste de droit constitutionnel, car il traite de l'organisation des pouvoirs publics. Le reste, pense-t-on, ne l'intéresse pas car cela ressort de la science politique ou de la philosophie politique. Mais qui ne voit pas qu'en raisonnant ainsi, on plaque sur l' uvre de Montesquieu nos catégories modernes de pensée, et qu'on perd ainsi l'unité de son projet ? », in « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 166 (nous soulignons).
  • [62]
    Chevallier J.-J., Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 80.
  • [63]
    Sur la méthode de travail de Montesquieu, v. Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 43-76. Pour cet auteur, Montesquieu opère selon une méthode scientifique révolutionnaire » (p. 53). Louis Althusser intitule pour sa part le premier chapitre de son Montesquieu. La politique et l'histoire « Une révolution dans la méthode », op. cit., p. 11-27. Voir également Brethe de la Gressaye J., « Introduction » à De L'Esprit des lois, op. cit., tome 1, p. XCII-C, pour qui Montesquieu « recourt à la méthode expérimentale, historique et comparative (p. XCVI) et, sur « la méthode et l'objet », Troper M., « Article Montesquieu », in Chatelet F., Duhamel O. & Pisier E. (dir.), Dictionnaire des  uvres politiques, op. cit., p. 789-792.
  • [64]
    Pour une analyse détaillée de cet héritage, dont la portée n'est d'ailleurs pas seulement « méthodologique », mais aussi « socio-politique » et « philosophique », v. Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, PUF, 1993, p. 2-12. Jean Brethe de le Gressaye évoque quant à lui en termes élégants « la grande innovation, renouvelée d'Aristote », in « Montesquieu fondateur du droit public moderne », op. cit., p. 347.
  • [65]
    Brethe de la Gressaye J., « La philosophie du droit de Montesquieu », APD, 1962, tome 7, p. 208.
  • [66]
    C'est à la démonstration de cette thèse qu'est consacrée la première partie de l'ouvrage de Bertrand Binoche, Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 29-196.
  • [67]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », Cahiers de philosophie politique de l'Université de Reims, 1984-1985, no 2-3, p. 159. Catherine Larrère s'exprime en termes voisins : « en même temps qu'il décrit, Montesquieu juge, choisit, propose », in « Article Montesquieu » du Dictionnaire de philosophie politique, Raynaud P. & Rials S. (Dir.), PUF, 3e éd., 2003, p. 401. Dans le même sens, Jean Brethe de la Gressaye écrit en une formule ramassée que Montesquieu a « sans cesse oscillé entre deux conceptions du droit, la loi de ce qui est, et la loi de ce qui doit être », in « Introduction » à De L'Esprit des lois, op. cit., p. XCVI.
  • [68]
    Beaud O., « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 153.
  • [69]
    Chantebout B., Droit constitutionnel et science politique, 22e éd., Armand Colin, coll. U, 2005, p. 92.
  • [70]
    Voir par exemple Zoller E. : « Le livre XI de L'Esprit des Lois est entièrement consacré à la liberté politique. Montesquieu y recherche la définition des "lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution", c'est-à-dire en langage moderne les conditions qui doivent être remplies pour que l'on puisse rester libre tout en étant gouverné. », in Droit constitutionnel, op. cit., p. 287-288. V. dans le même sens Colliard J.-C., « Séparation des pouvoirs », in Duhamel O. & Meny Y. (dir.), Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 972-974.
  • [71]
    Hamon F. & Troper M., Droit constitutionnel, op. cit., p. 93.
  • [72]
    Sur ce point épistémologique, voir l'analyse qu'Olivier Beaud propose du risque d'« idéologisation du principe », « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 154 et plus généralement p. 154-159.
  • [73]
    « Des Lettres persanes à L'Esprit des lois, le souci de la liberté politique n'a cessé de hanter Montesquieu », Goyard-Fabre S., « La politique constitutionnelle de Montesquieu », in L'État moderne. Regards sur la pensée politique de l'Europe occidentale entre 1715 et 1848, Goyard-Fabre S. (Études réunies par), J. Vrin, 2000, p. 89.
  • [74]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 148.
  • [75]
    V. Cassirer E., La philosophie Lumières, Fayard, 1990.
  • [76]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 287.
  • [77]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu ou la Constitution de la liberté, Ellipses, coll. Philo-philosophes, 1997, p. 10.
  • [78]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 336.
  • [79]
    Pour Raymond Aron, « en définitive, dans la pensée politique de Montesquieu, l'opposition décisive est entre le despotisme, où chacun a peur de chacun, et les régimes de liberté, où nul citoyen n'a peur d'aucun autre », in Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 36.
  • [80]
    Grewe C. & Ruiz Fabri H., Droits constitutionnels européens, op. cit., p. 360.
  • [81]
    V. Durkheim E., Montesquieu et Rousseau précurseurs de la sociologie, Rivière, 1953, 200 p., et Comte A., Cours de philosophie positive, (1830-1842), 47e leçon, repris in Leçons de sociologie, Flammarion, coll. GF, 2001, p. 37-75.
  • [82]
    Durkheim E., « Montesquieu, sa part dans la fondation des sciences politiques et de la science des sociétés », traduction de la thèse latine datant de 1892 (« Quid Secundatus politicae scientiae instituendae contulerit »), Revue d'histoire politique et constitutionnelle, juil.-déc. 1937, p. 405-463.
  • [83]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., Préface, p. 529.
  • [84]
    Montesquieu, in uvres complètes, op. cit., p. 435-485 (nous soulignons). Dans ce texte publié en 1734, soit quatorze ans avant L'Esprit des lois, Montesquieu exerce moins son érudition historique qu'il ne cherche, déjà, à rendre compte, comme le relève Simone Goyard-Fabre, des « causes politiques et morales, puis de la décadence romaines », préfigurant ainsi l'objet d'étude de son  uvre majeure, in La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 51.
  • [85]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 28.
  • [86]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530 (souligné dans le texte).
  • [87]
    Ibid.
  • [88]
    « Dieu a du rapport avec l'univers, comme créateur et comme conservateur : les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles il conserve. Il agit selon ces règles parce qu'il les connaît ; il les connaît parce qu'il les a faites », ibid.
  • [89]
    Ibid.
  • [90]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 39.
  • [91]
    « J'ai posé les principes, et j'ai vu les cas particuliers s'y plier comme d'eux-mêmes », Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., préface, p. 529.
  • [92]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 29.
  • [93]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 401.
  • [94]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 95.
  • [95]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530.
  • [96]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 405.
  • [97]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530. Déjà en 1721, dans ses Lettres persanes, il mettait sous la plume d'Usbek la sentence suivante : « la Justice est éternelle et ne dépend point des conventions humaines », in uvres complètes, op. cit., lettre 83, p. 106-107.
  • [98]
    Todorov T., « Montesquieu », in Renaut A. (dir.), Histoire de la philosophie politique, tome 2. Naissances de la modernité, Calmann-Lévy, 1999, p. 395.
  • [99]
    « La particularité de l'application », comme l'écrit Catherine Larrère, « Article Montesquieu », op. cit., p. 406.
  • [100]
    Todorov T., « Montesquieu », in Histoire de la philosophie politique, op. cit., p. 397.
  • [101]
    V. Binoche B., Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 66-70.
  • [102]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 97-102.
  • [103]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., Avertissement de l'auteur, p. 529.
  • [104]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu ou la constitution de la liberté, op. cit., p. 26.
  • [105]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 405.
  • [106]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu ou la constitution de la liberté, op. cit., p. 27.
  • [107]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, livre I, chapitre 1, op. cit., p. 530.
  • [108]
    Ibid.
  • [109]
    Todorov T., « Montesquieu », in Histoire de la philosophie politique, op. cit., p. 391.
  • [110]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., Avant-propos, p. VIII.
  • [111]
    Cité par Goyard-Fabre S., Philosophie politique, op. cit., p. 208 ; voir Hobbes T., Léviathan ou Matière, forme et puissance de l'État chrétien et civil, Traduction, introduction, notes et notices de Mairet G., Gallimard, coll. Folio Essais, 2000, p. 225 (la traduction donnée par Gérard Mairet est la suivante : « la vie humaine est solitaire, misérable, dangereuse, animale et brève »).
  • [112]
    C'est bien Hobbes qui sert à nouveau ici à Montesquieu de repoussoir : « Le désir que Hobbes donne d'abord aux hommes de se subjuguer les uns les autres, n'est pas raisonnable », écrit-il ainsi en forme de litote, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 2, p. 531.
  • [113]
    Ibid.
  • [114]
    Montesquieu, Pensées, in uvres complètes, op. cit., no 1797, p. 1035.
  • [115]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 284.
  • [116]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 162.
  • [117]
    Pour reprendre le titre que Jean-Jacques Chevallier donne à la deuxième partie de son ouvrage Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 67.
  • [118]
    Todorov T., Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Seuil, coll. Points, 1989, p. 502.
  • [119]
    Jean-Jacques Chevallier cite cette phrase de Crevier (un contemporain de Montesquieu qui commettra un assez obscur commentaire de L'Esprit des lois) : « à force d'être ami des hommes, l'auteur de L'Esprit des lois cesse d'aimer autant qu'il doit sa patrie. L'Anglais doit être flatté en lisant cet ouvrage, mais cette lecture n'est capable que de mortifier les bons Français », in Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 100.
  • [120]
    Sur l'accueil réservé à L'Esprit des lois, v. Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 34-41 et Carcassonne E., Montesquieu et le problème de la Constitution anglaise au xviiie siècle, Paris, 1927, Réimpression, Slatkine Reprints, Genève, 1970, chapitre III L'Esprit des lois et la critique, p. 103-177.
  • [121]
    C'est l'objet des livres II et III consacrés respectivement à la nature et au principe des trois gouvernements, auxquels il faut ajouter le livre VIII portant sur la corruption des gouvernements, L'Esprit des lois, op. cit., p. 532-540 & 570-577.
  • [122]
    Larrère C., « Les typologies des gouvernements chez Montesquieu », Revue Montesquieu, 2001, no5, p. 157-172. Voir également Prélot M., « Montesquieu et les formes de gouvernement », in La pensée constitutionnelle de Montesquieu, Bicentenaire de L'Esprit des lois, Sirey, 1952, p. 119-132 et, sur le gouvernement « gothique », Postigliola A., « En relisant le chapitre sur la Constitution d'Angleterre », Cahiers de philosophie politique et juridique de l'Université de Caen, 1985, no 7 La pensée politique de Montesquieu, p. 9-28 ainsi que Saint-Bonnet F., « L'"autre" séparation des pouvoirs de Montesquieu », in Pariente A. (dir.), La séparation des pouvoirs. Théorie contestée et pratique renouvelée, Actes de la Journée d'études de l'AFDC du 22 avril 2005 tenue à Agen, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007, p. 49-64.
  • [123]
    Goyard-Fabre S., « La politique constitutionnelle de Montesquieu », in L'État moderne..., op. cit., p. 91n.
  • [124]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 36.
  • [125]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre III, chapitre 8, p. 539.
  • [126]
    Ibid., livre II, chapitre 1, p. 532.
  • [127]
    Ibid., livre III, chapitre 9, p. 539.
  • [128]
    Ibid., livre II, chapitre 5, p. 536.
  • [129]
    Chevallier J.-J., Les grandes  uvres politiques..., op. cit., p. 92.
  • [130]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 496.
  • [131]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre V, chapitre 13, p. 551.
  • [132]
    Montesquieu, Lettres persanes, in uvres complètes, op. cit., lettre 104, p. 117.
  • [133]
    Ibid.
  • [134]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 187.
  • [135]
    « Il est la destitution de l'idée même de politique », Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 283.
  • [136]
    Ibid., p. 140.
  • [137]
    « L'image inversée de la liberté politique », écrit Bertrand Binoche, in Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 199 ; plus généralement, voir le chapitre VI « Le despotisme ou le pire gouvernement », p. 199-242.
  • [138]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la nature, les lois, la liberté, op. cit., p. 153.
  • [139]
    Ibid., p. 148 & 153.
  • [140]
    À propos de ces gouvernements modérés, on précisera avec Olivier Beaud que l'apologétique que Montesquieu en fait n'est pas « l'idée de juste mesure, de médiété propre à la pensée grecque. [Montesquieu] est bien politiquement un Moderne parce que sa défense du régime modéré signale son adhésion à un authentique pluralisme fondé sur l'indétermination relative du bien politique », in « La notion de Constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 441 avec cette citation de Bernard Manin pour qui « Montesquieu est un penseur de la modération, non du juste-milieu », in « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 189.
  • [141]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 492.
  • [142]
    Montesquieu, Lettres persanes, in uvres complètes, op. cit., lettre 104, p. 117.
  • [143]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre VIII, chapitre 8, p. 573.
  • [144]
    Montesquieu, Lettres persanes, op. cit., lettre no 104, p. 117.
  • [145]
    Voir supra, note 53.
  • [146]
    De 1728 à 1731, Montesquieu visite durant « son grand tour européen », l'Italie, l'Autriche, les Pays-Bas, la Hongrie avant de séjourner dix-huit mois en Angleterre, Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 242.
  • [147]
    Selon un dénombrement effectué en 1864, la bibliothèque de La Brède comptait 1556 références parmi lesquelles figuraient, à côté d'ouvrages de philosophie, de droit et d'histoire, des récits de voyages, voir Goyard-Fabre S., ibid., p. 60.
  • [148]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 501.
  • [149]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 63.
  • [150]
    Althusser, Montesquieu. La politique et l'histoire, op. cit.
  • [151]
    C'est le titre du chapitre VI de l'ouvrage, ibid., p. 109-122.
  • [152]
    Ibid., p. 121.
  • [153]
    Ibid., p. 118.
  • [154]
    Rossetto J., Recherche sur la notion de constitution et l'évolution des régimes constitutionnels, Thèse, Poitiers, 1982, p. 36.
  • [155]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 63.
  • [156]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 155-156.
  • [157]
    Ibid., p. 155.
  • [158]
    Eisenmann C., « Le système constitutionnel de Montesquieu et le temps présent », op. cit., p. 245.
  • [159]
    Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 41. C'est un point que relève également Olivier Beaud, in « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 166.
  • [160]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 404.
  • [161]
    Sur le rapport holisme / individualisme, voir le chapitre introductif de Louis Dumont, in Homo hierarchicus. Le système des castes et ses implications, Gallimard, coll. Tel, 1979, p. 13-35.
  • [162]
    Dumont L., Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne, Seuil, coll. Points, 1983, p. 303.
  • [163]
    John Stuart Mill fournit dans son  uvre principale, L'utilitariste (1863), la définition suivante : « la doctrine qui donne comme fondement à la morale l'utilité ou le principe du plus grand bonheur, affirme que les actions sont bonnes ou mauvaises dans la mesure où elles tendent à accroître le bonheur ou à produire le contraire du bonheur », cité par Terestchenko M., Philosophie politique, tome 1 « Individu et société », Hachette, coll. Les fondamentaux, 1994, p. 76-77.
  • [164]
    « Ce qui est conforme à l'utilité ou à l'intérêt de l'individu, c'est ce qui tend à augmenter la somme totale de son bien-être », écrit Jeremy Bentham dans ses Principes de législation (1789), cité par Terestchenko M., ibid., p. 73.
  • [165]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 3, p. 586. Sur ce point, voir infra, II, A, 1o).
  • [166]
    L'ouvrage de Bernard Mandeville (1714) a pour titre complet : La fable des abeilles ou les vices privés font le bien public, contenant plusieurs discours qui montrent que les défauts des hommes dans l'humanité dépravée peuvent être utilisés à l'avantage de la société et qu'on peut leur faire tenir la place des vertus morales, cité par Beneton P., Introduction à la politique moderne, Hachette, coll. Pluriel, p. 58.
  • [167]
    Binoche B., Introduction à De l'esprit des lois de Montesquieu, op. cit., p. 245.
  • [168]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XXIX, chapitre 1, p. 749 et livre XI, chapitre 6, p. 590 (nous soulignons).
  • [169]
    Larrère C., « Article Montesquieu », op. cit., p. 405.
  • [170]
    Todorov T., Nous et les autres..., op. cit., p. 514.
  • [171]
    Pour rappeler la formule qu'on a empruntée à Bernard Manin, in « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 205.
  • [172]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu..., op. cit., p. 440.
  • [173]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre I, chapitre 1, p. 530.
  • [174]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 196.
  • [175]
    Ibid., p. 220.
  • [176]
    Montesquieu, Pensées, no 1793, op. cit., p. 1034.
  • [177]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588.
  • [178]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 219.
  • [179]
    Ibid., p. 228 (souligné dans le texte).
  • [180]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 367. Le professeur Goyard-Fabre signale qu'elle reprend ces termes de G. Gusdorf in Les principes de la pensée au siècle des Lumières, Payot, 1971, p. 379.
  • [181]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 289.
  • [182]
    Ibid.
  • [183]
    Ibid., p. 83.
  • [184]
    Une telle ambivalence interdit donc de prêter à Montesquieu, par anticipation, une quelconque visée athéiste. S'il est vrai qu'il combat le pouvoir absolu, dont l'assise philosophico-juridique était, à l'époque, de droit divin (ses contradicteurs le lui reprocheront suffisamment), on se gardera cependant avec Simone Goyard-Fabre de la tentation d'une sur-interprétation : en effet, « il était trop tôt, dans le premier xviiie siècle auquel il appartient, pour qu'il proclame l'indépendance radicale de l'homme », in La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 163.
  • [185]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 2, p. 585.
  • [186]
    Ibid., livre XI, chapitre 3, p. 586.
  • [187]
    On reconnaît la formule de Hobbes (Léviathan..., op. cit., chapitre XIII, p. 224) contre laquelle Montesquieu s'élève véhémentement : dans sa Défense de L'Esprit des lois (1750), il restitue ainsi son intention qui a été « d'attaquer le système de Hobbes [...] voulant prouver que la première loi naturelle est la guerre de tous contre tous », in uvres complètes, op. cit., p. 809.
  • [188]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 3, p. 586.
  • [189]
    Ibid.
  • [190]
    Ibid.
  • [191]
    Ibid., livre II, chapitre 1, p. 532.
  • [192]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 288.
  • [193]
    Pour Simone Goyard-Fabre, cette « idée qu'il existe dans la Cité terrestre des lois positives nécessaires pour organiser les conduites humaines [...] trouve place dans une tradition juridico-philosophique prestigieuse qui commence avec les Grecs et conduit à J. Locke ou à J. Domat », ibid., p. 113.
  • [194]
    Voir sur ce point Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 70-85 & 296-328.
  • [195]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 124n.
  • [196]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 77.
  • [197]
    Goyard-Fabre S., « L'intuition d'un positivisme juridique et ses limites », in Actes du Colloque de Lyon, 1989, PU de Saint-Étienne, 1992.
  • [198]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 155.
  • [199]
    Ibid., p. 140.
  • [200]
    Ibid., p. 289.
  • [201]
    Ibid., p. 294.
  • [202]
    Ces deux types de lois sont soigneusement distingués par Montesquieu dans L'Esprit des lois qui les traite dans deux livres distincts, respectivement le livre XI intitulé « Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution », op. cit., p. 585-598 et le livre XII intitulé « Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec le citoyen », op. cit., p. 598-607.
  • [203]
    Vlachos G., La politique de Montesquieu. Notion et méthode, Montchrestien, 1974, p. 36.
  • [204]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XII, chapitre 1, p. 598.
  • [205]
    Vlachos G., La Politique de Montesquieu..., op. cit., p. 37.
  • [206]
    Ibid., p. 151.
  • [207]
    Au vrai, il faut admettre cependant une limite à ce caractère imparable : c'est que la liberté du citoyen, c'est-à-dire sa liberté civile, sa sécurité au regard de ses concitoyens, est la résultante d'un « ensemble d'idées et d'institutions collectives qui plongent leurs racines dans le caractère national particulier [...] et dans les données de l'histoire sociale et politique [...] consécutives à ce caractère » (Vlachos G., op. cit., p. 154). On est en présence de causes morales et physiques, d'une sorte de génie propre à chaque peuple, sur lesquels la distribution des pouvoirs ne pourra pas avoir pleinement prise.
  • [208]
    Pour cette raison, on s'éloignera, sur ce point, de l'analyse du professeur Beaud qui estime que, pour Montesquieu, le problème fondamental de la garantie de la liberté politique peut être résolu « soit par les lois politiques (droit politique), soit par les lois civiles ou criminelles (droit civil) » (in « La notion de constitution chez Montesquieu..., op. cit., p. 441). Il faut certes se rendre au constat que, chez Montesquieu, « l'expression de "liberté du citoyen" [est] équivoque : elle désigne tantôt la liberté politique (au sens strict) du citoyen, tantôt sa liberté civile ­ sa sécurité au regard de ses concitoyens » (ibid., p. 441-442). Mais il semble que le point décisif ici reste celui du rapport entre ces deux libertés, politique et civile : dès lors, plutôt que de retenir l'idée d'une alternative (soit/soit) compte tenu du fait que les lois politiques peuvent contrecarrer l'avènement de lois civiles libres, on préfèrera voir dans ce rapport un rapport de complémentarité, voire de conditionnalité, dans la mesure où, dans la logique de Montesquieu, l'existence de lois civiles libres ne peut être garantie que dès lors que les lois politiques elles-mêmes le sont.
  • [209]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 116.
  • [210]
    Eisenmann C., « Essai d'une classification théorique des formes politiques », Politique, 1968, no 41-44, p. 49.
  • [211]
    Ibid., p. 50
  • [212]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 444.
  • [213]
    Ibid., p. 443.
  • [214]
    Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 156.
  • [215]
    Ibid.
  • [216]
    Troper M., « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », in Pour une théorie juridique de l'État, PUF, 1994, p. 217.
  • [217]
    Troper M., « L'interprétation de la Déclaration des droits. L'exemple de l'article 16 », Droits, 1988, no 8, p. 111-122.
  • [218]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu..., op. cit., p. 425 & 427 et plus généralement p. 425-429.
  • [219]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 196-197.
  • [220]
    Eisenmann C., « Les fonctions de l'État », op. cit., p. 195.
  • [221]
    Troper M., « Actualité de la séparation des pouvoirs », in Pour une théorie juridique de l'État, PUF, coll. Léviathan, 1994, p. 234.
  • [222]
    Eisenmann C., « Les fonctions de l'État », op. cit., p. 195.
  • [223]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 434.
  • [224]
    Pour reprendre l'intitulé d'une section du manuel de Droit constitutionnel des Professeurs Troper et Hamon, op. cit., 113.
  • [225]
    Ibid.
  • [226]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, livre V, chapitre 14, op. cit., p. 552-553.
  • [227]
    Une telle définition exclut donc, comme le note le professeur Troper, « toute participation autre que "décisionnelle". La participation intellectuelle d'un expert ou d'un conseil à la rédaction de l'acte, ou à la détermination de son contenu, n'en fait pas des co-auteurs de cet acte, parce que leur consentement n'est pas nécessaires à sa création », in La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 21. Voir également Chevallier J.-J., « De la distinction établie par Montesquieu entre la faculté de statuer et la faculté d'empêcher », in Mélanges Maurice Hauriou, Paris, 1929, p. 137-158.
  • [228]
    On rappellera la passage célèbre de L'Esprit des lois qu'on a déjà cité supra : « voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative », Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 589.
  • [229]
    Ibid. dans le même sens, voir également la thèse de Michel Troper, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 122-130.
  • [230]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 29.
  • [231]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 21.
  • [232]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 31n.
  • [233]
    Ibid., p. 22.
  • [234]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 337.
  • [235]
    Pour la citer à nouveau, Simone Goyard-Fabre note que « pour Montesquieu, la Constitution, en son sens juridique, est telle qu'en ses dispositions, les dimensions sociale et politique interfèrent au point qu'elle les recouvre exactement », ibid., p. 337n.
  • [236]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 197.
  • [237]
    Ibid., p. 196.
  • [238]
    À propos de l'Angleterre, Montesquieu écrit ainsi : « Dans un pays où la constitution donnerait à tout le monde une part au gouvernement et des intérêts politiques, on parlerait beaucoup de politique », in L'Esprit des lois, op. cit., livre XIX, chapitre 27, p. 650.
  • [239]
    Troper M., « Charles Eisenmann contre le mythe de la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 73.
  • [240]
    Manin B., « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 227.
  • [241]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 337.
  • [242]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588.
  • [243]
    Althusser L., Montesquieu. La politique et l'histoire, op. cit., p. 118.
  • [244]
    Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 200.
  • [245]
    Ibid., p. 201. Cette expression, « le rang et la propriété », est empruntée, précise Denis Baranger, à Charles J. Fox.
  • [246]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 588.
  • [247]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 587. Pour Simone Goyard-Fabre, ceux que Montesquieu entend désigner par ces mots sont « certainement [les] malades mentaux et [les] condamnés de droit commun et non point [les] miséreux formant ce que nous appellerions un sous-prolétariat », in Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 212.
  • [248]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 6, p. 587.
  • [249]
    Blackstone, Commentaries, vol. 1, p. 158, cité par Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 202.
  • [250]
    Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 182.
  • [251]
    Ibid., p. 200.
  • [252]
    Pour Bertrand Binoche, « Cette distribution des pouvoirs, dans la tradition du gouvernement mixte, n'a pas pour fin d'assurer un équilibre abstrait qui permettrait l'arbitrage transcendant des intérêts individuels ; elle vise, au contraire, à matérialiser juridiquement les intérêts des corps constitués de telle sorte qu'ils soient contraints au compromis : la modération constitutionnelle permet la modération sociale. Aussi, Montesquieu montre-t-il comment les inégalités sociales se trouvent investies dans les mécanismes constitutionnels anglais : le bicamérisme trouve sa raison d'être dans la nécessité d'exprimer les antagonismes des nobles et du peuple qu'il ne s'agit aucunement d'ignorer (§ 30-31) [...]. Pas plus qu'elle ne s'oppose à des individus abstraits, la constitution ne s'oppose à la "société civile" du siècle suivant. Elle transpose la hiérarchie des corps pour en organiser juridiquement les litiges et se trouver en mesure d'affaiblir leur violence », Introduction à De l'Esprit des Lois de Montequieu, op. cit., p. 266-267 (souligné dans le texte).
  • [253]
    Montesquieu, Mes Pensées, op. cit., no 238, p. 878.
  • [254]
    Pour une lecture privilégiant la qualification de monarchie seule, v. Bacot G., « Montesquieu et la nature monarchique de la constitution anglaise », cette revue, 2007, no 25-1er semestre.
  • [255]
    Petot J., « La notion de régime mixte », in Mélanges Charles Eisenmann, Cujas, 1975, p. 99.
  • [256]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 126.
  • [257]
    Spitz J.-F., « Régime mixte », in Raynaud P. & Rials S. (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 635, avec la référence à Vile M. J. C., Constitutionalism and the separation of powers, 2e éd., Indianapolis, 1998, p. 37.
  • [258]
    Passerin D'Entreves A., La notion de l'État, Sirey, 1969, p. 147.
  • [259]
    Petot J., « La notion de régime mixte », op. cit., p. 105.
  • [260]
    Manin B., Les principes du gouvernement représentatif, Flammarion, coll. Champs, 1995, p. 66.
  • [261]
    Prédécesseur du chancelier Thomas More, John Fortescue (1394-1476) avait composé, au xve siècle, plusieurs traités sur les lois anglaises, dont un De natura legis Angliae.
  • [262]
    Simone Goyard-Fabre signale que Montesquieu le cite à deux reprises dans son Spicilège et ses Pensées, in Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 203.
  • [263]
    Passerin D'Entreves A., La notion de l'État, op. cit., p. 148.
  • [264]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 203.
  • [265]
    Treize livres des Parlements de France, livre XIII, chapitre 17, § 11-12, cité par Carcassonne E., Montesquieu et le problème de la Constitution anglaise au xviiie siècle, op. cit., p. 25-26.
  • [266]
    Selon le commentaire de Leo Strauss dans la recension qu'il fait de l'ouvrage de Fink Z. S., The classical Republicans. An essay in the recovery of a pattern of thought in Seventeenth Century England, Evanston, Northwestern University Press, 1945, in Qu'est-ce que la philosophie politique ?, PUF, coll. Léviathan, 1992, p. 276.
  • [267]
    Petot J., « La notion de régime mixte », op. cit., p. 108.
  • [268]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 127.
  • [269]
    « It is by this mixture of monarchical, aristocratical and democratical power, blended together in one system, and by these estates balancing one another, that our free constitution has been established », cité par Troper M., ibid., p. 128 (nous traduisons).
  • [270]
    Bobbio N., L'État et la démocratie internationale, Bruxelles, Éd. Complexe, coll. Études européennes, 1998, p. 241.
  • [271]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 123.
  • [272]
    Ibid., p. 124.
  • [273]
    Voir en particulier Eisenmann C., « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », op. cit., p. 141-144 et Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 26-29.
  • [274]
    Carré de Malberg R., Contribution..., op. cit., tome 2, p. 50.
  • [275]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 25.
  • [276]
    On retrouve cette phrase quasi inchangée dans plusieurs publications : voir par exemple « Actualité de la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 226 ou encore le manuel de Michel Troper, Droit constitutionnel, op. cit., p. 91.
  • [277]
    Eisenmann C., « L'Esprit des lois et la séparation des pouvoirs », op. cit., p. 29.
  • [278]
    Troper M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, op. cit., p. 123.
  • [279]
    Troper M., « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », op. cit., p. 217.
  • [280]
    Troper M., « L'interprétation de la Déclaration des droits. L'exemple de l'article 16 », op. cit., p. 111-122.
  • [281]
    Sur le sens de ce terme qu'on emprunte à Olivier Beaud, v. infra 2).
  • [282]
    Il faut toutefois relever ici un anachronisme puisque, selon Georges Burdeau, le terme « libéralisme » n'apparaît qu'en 1823 dans le Lexique de C. Boiste, cité par Goyard-Fabre S., Montesquieu ; la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 278.
  • [283]
    Manent P., Histoire intellectuelle du libéralisme. Dix leçons, Hachette, coll. Pluriel, 1987, p. 123.
  • [284]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 4, p. 586.
  • [285]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 312.
  • [286]
    Voir à ce propos Beaud O., La puissance de l'État, PUF, coll. Léviathan, 1994, spéc. la première partie p. 27-198.
  • [287]
    Selon la formule d'Ugo Preu (« Der Begriff der Verfassung und ihrer Beziehung zur Politik », in Preu U. (Hg.), Zum Begriff der Verfassung. Die Ordnung des Politischen, Fisher, 1994, p. 9), citée par Olivier Beaud in « La Constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 412.
  • [288]
    On emprunte cette formule à Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 310.
  • [289]
    Tillet E., « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle : l'exemple de Montesquieu », in Pensée politique et droit, Actes du Colloque de Strasbourg des 11 et 12 septembre 1997, organisé par l'Association française des historiens des idées politiques, PUAM, 1998, p. 370. Cet auteur a recensé une centaine d'occurrences du terme dans L'Esprit des lois.
  • [290]
    Comanducci P., « Ordre ou norme ? Quelques idées de constitution au xviiie siècle », in Troper M. & Jaume L. (dir.), 1789 et l'invention de la constitution, Actes du Colloque de Paris des 2, 3 et 4 mars 1989, organisé par l'Association française de science politique, Bruylant-LGDJ, coll. Le pensée juridique moderne, 1994, pp. 23-43.
  • [291]
    Tillet E., « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle... », op. cit., p. 396.
  • [292]
    Ibid., p. 370.
  • [293]
    Comanducci P., « Ordre ou norme ?... », op. cit., p. 36.
  • [294]
    Tillet E., « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle... », op. cit., p. 370.
  • [295]
    Goyard-Fabre S., Éléments de philosophie politique, Armand Colin, coll. Cursus, 1996, p. 16-19.
  • [296]
    Ibid., p. 18.
  • [297]
    Sur les théories contractualistes du xviiie siècle, voir Terrel J., Les théories du pacte social. Droit naturel, souveraineté et contrat de Bodin à Rousseau, Seuil, coll. Points Essais, 2001.
  • [298]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 286. On rappellera incidemment la définition bien connue donnée par un Boris Mirkine-Guetzevitch : « le droit constitutionnel est un procédé technique pour assurer la liberté politique, et la technique constitutionnelle est la technique de la liberté », in Les nouvelles tendances du droit constitutionnel, Marcel Giard, 1931, Avant-propos, p. XI.
  • [299]
    Goyard-Fabre S., Montesquieu : la Nature, les Lois, la Liberté, op. cit., p. 55.
  • [300]
    Troper M., « La machine et la norme. Deux modèles de constitution », in La théorie du droit, le droit, l'État, PUF, coll. Léviathan, 2001, p. 152.
  • [301]
    Le professeur Troper a relevé « la profusion des métaphores mécaniques » chez Montesquieu, in « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », p. 210 ; dans le même sens, Édouard Tillet fait état de « l'omniprésence de la terminologie de la physique mécanique », in « Les ambiguïtés du concept de constitution au xviiie siècle... », op. cit., p. 379.
  • [302]
    Troper M., « La machine et la norme. Deux modèles de constitution », op. cit., p. 152.
  • [303]
    Troper M., « Le concept de constitutionnalisme et la théorie moderne du droit », op. cit., p. 210.
  • [304]
    Montesquieu, L'Esprit des lois, op. cit., livre XI, chapitre 4, p. 586.
  • [305]
    Ibid.
  • [306]
    Fioravanti M., « Costituzione e stato di diritto », Filosophia politica, no2, décembre 1991, p. 324-350, cité par Olivier Beaud, Article « Constitution et constitutionnalisme », in Raynaud P. & Rials S. (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, op. cit., p. 118.
  • [307]
    Goyard-Fabre S., La philosophie du droit de Montesquieu, op. cit., p. 293.
  • [308]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 411. Voir également « Constitution et constitutionnalisme », op. cit., p. 133.
  • [309]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 411.
  • [310]
    Ibid., p. 409.
  • [311]
    Ibid., p. 411.
  • [312]
    Pour rappeler la formule qu'on a empruntée à Bernard Manin, in « Montesquieu et la politique moderne », op. cit., p. 205.
  • [313]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 440.
  • [314]
    Ibid., p. 409, avec la référence aux travaux ­ qualifiés par Olivier Beaud de « fondamentaux » ­ de Stourzh G., Neue Wege der Grundsrechtsdemokratie, Böhlau Verlag, Vienne & Cologne, 1989, et à l'article ­ qualifié de « séminal » ­ « Constitution : changing meanings of the term from the early 17th to the late 18th century », in Ball T. & Pocock A. (dir.), Conceptual change and the Constitution, Lawrence, University Press of Kansas, 1988, p. 35 et suiv.
  • [315]
    Ibid., p. 410.
  • [316]
    Ibid., p. 413 (souligné dans le texte).
  • [317]
    Pour une réflexion récente en ce sens, v. Pierré-Caps S., « La Constitution comme ordre de valeurs », in La Constitution et les valeurs, Mélanges D.-G. Lavroff, Dalloz, 2005, p. 283 et suiv.
  • [318]
    On emprunte à nouveau ces analyses au professeur Beaud, « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., spéc. p. 433.
  • [319]
    Beaud O., « La notion de constitution chez Montesquieu... », op. cit., p. 436 (souligné dans le texte) ; l'expression « non-convenance » étant empruntée à Goldschmidt V., in Introduction à L'Esprit des lois, Flammarion, coll. GF, 1979, p. 33.
  • [320]
    On reconnaît ici une formulation de Hegel duquel Olivier Beaud rapproche la conception constitutionnelle de Montesquieu, ibid., p. 438.
  • [321]
    Voir en ce sens Piérré-Caps S., « L'esprit des constitutions », in L'esprit des institutions, l'équilibre des pouvoirs, Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, Dalloz, 2003, p. 375-390.
  • [322]
    Rials S., Préface à Baranger D., Parlementarisme des origines..., op. cit., p. 10.
  • [323]
    Ibid.
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