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Article de revue

La poésie dénonciatrice pendant les guerres de religion

« Faites fondre sur luy vos carmes satyriques »

Pages 24 à 67

Notes

  • [1]
    Tatiana Debbagi Baranova est docteur en histoire moderne et contemporaine.
  • [2]
    La rupture entre le Paris ligueur et Henri III s'est produite après l'exécution du duc et du cardinal de Guise aux États généraux de Blois (les 23 et 24 décembre 1588). En éliminant ses puissants adversaires politiques, le roi a violé l'immunité dont ils bénéficiaient en tant que députés. Il s'est surtout attaqué aux grands perçus par les catholiques comme les principaux protecteurs de la Religion. De plus, le cardinal de Guise relevait de la juridiction du Saint-Siège et, selon le droit canon, le meurtre d'un cardinal était passible d'excommunication. C'est sur cette base que le 7 janvier la faculté de théologie de Paris a délié les sujets de leur serment d'obéissance au roi.
  • [3]
    Le Faux visage 1589, p. 24.
  • [4]
    Pineaux 1971.
  • [5]
    Poétiques 2001, p. 53-86.
  • [6]
    Voir, par exemple, ses traités De divine furore, Phèdre, Théologie platonicienne (XIII, 2).
  • [7]
    Abrégé de l'Art poétique français (1565), voir Traités 1990, p. 431.
  • [8]
    Traités 1990, p. 225.
  • [9]
    Voir sur la poésie d'éloge Poétiques 2001, p. 361-163 et Debbagi Baranova 2003.
  • [10]
    Skinner 2001, p. 321-327.
  • [11]
    Viala 1985.
  • [12]
    Crouzet 1990, t. II, p. 121.
  • [13]
    Dictionnaire des lettres 2001.
  • [14]
    Nouvelet 1572, fo 2.
  • [15]
    L'expression tirée du traité Sophilogium de Jacques Le Grand (1475).
  • [16]
    Simonin 1992, p. 124-127.
  • [17]
    Discours sur la mort 1572, fo 12.
  • [18]
    Une chronique rouennaise qui décrit la procession solennelle faite le jeudi 4 février 1535 parle de l'association de « Jhesu Maria fondée à Bonnes Nouvelles, vulgairement dicte l'association des Conartz », Rosse 2003, p. 409.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Triomphes 1587, p. 67-68.
  • [21]
    Babelon 1986, p. 320-321.
  • [22]
    Le parlement rédige des remontrances dans lesquels il affirme que les magistrats sont les seuls capables de discerner l'équité, grâce à leur formation juridique. Houllemare 2005.
  • [23]
    NAF, 1870, fo IIIIxx IV.
  • [24]
    Par exemple, le ms. fr. 25567, fo 167 contient deux épigrammes contre Monmineau, auditeur des comptes, élu échevin en 1581, et contre le président de Nully qui briguait la charge de prévôt des marchands. Un Coq à l'asne d'un Parisien (ms. fr. 4897, ffo 153-154) dénonce les dernières élections des échevins (août 1566), lorsque le roi a imposé ses candidats pour empêcher les catholiques intransigeants d'accéder aux charges. On trouve également de nombreuses poésies qui attaquent les magistrats vicieux dans le journal de l'audiencier du parlement de Paris, Pierre de L'Estoile. Voir L'Estoile 1992-2006.
  • [25]
    Entreprise qui avait pour but de convaincre le roi à se séparer des Guise. Révélée à la cour par un traître, Des Avenelles, elle échoua. La répression fut impitoyable. Histoire 1998.
  • [26]
    La Planche 1875, p. 217.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    NAF 1870, ffo LVIII vo-LX vo.
  • [29]
    « On dict qu'un roy [...] ne doibt poinct faire estat// D'un rebelle vassal, ne d'un trahistre appostat », ibid., LIX vo.
  • [30]
    Déjà en 1575, Pierre de L'Estoile insère dans son Registre-journal un sonnet accusant le roi d'homosexualité ; c'est la façon de dénoncer sa proximité avec ses favoris. Voir L'Estoile 1992, t. I, p. 166, note du mai 1575.
  • [31]
    Voir Constant 1996, p. 107 et Crouzet 1990, t. II, p. 292.
  • [32]
    Poétiques 2001, p. 386.
  • [33]
    Traités 1990, p. 276.
  • [34]
    El Kenz 1997, p. 81.
  • [35]
    Pineaux 1971, p. 127.
  • [36]
    Ibid., ffo VI et VIII.
  • [37]
    Ms. fr. 22560, ffo 18, 30-32, 40, 49, 53- 54, 59, 74, 110, 112, 113, 118, 159, 167, 268, et ms. fr. 10304, p. 50-59, 62, 137-142, 144.
  • [38]
    Les ministres de Genève ont toujours essayé de contenir les fidèles les plus radicaux. Néanmoins, une certaine distorsion existe entre, d'une part, le protestantisme « officiel » de Calvin et ses proches et, de l'autre, l'action collective de certains fidèles. Crouzet 1990, t. I, p. 512.
  • [39]
    Dans une lettre à Laurent Dürnhoffer (12 mai 1573), Théodore de Bèze reconnaît d'avoir composé des épigrammes pour condamner le massacre et affirme que le devoir du pasteur est de louer les bons et frapper d'opprobre les méchants, Bèze 1999, p. 115.
  • [40]
    L'Estoile 1992, t. 1, p. 110.
  • [41]
    NAF 1870, fo 48.
  • [42]
    Mathieu-Castellani 1984, p. 21.
  • [43]
    Voilà quelques exemples : Ronsard, Pierre, Discours des miseres de ce temps. À la Royne mere du Roy, Paris, Gabriel Buon, 1562 ; La Taille, Jean de, Remonstrance pour le Roy à tous ses subjects qui ont pris les armes, Paris, F. Morel, 1562 ; Du Rosier, P., Déploration de la France sur la calamité des dernières guerres civiles advenues en icelle l'an 1567, Paris, D. Du Pré, 1568 ; Belleforest, François de, Remonstrance aux princes françoys de ne faire poinct la paix auec les mutins et rebelles. À Monseigneur le Duc d'Aumale, Lyon, Michel Iove, 1567.
  • [44]
    Yves Bellenger dans son étude sur les discours de Ronsard donne une définition plus restreinte de ce genre. Voir Bellenger 1984, p. 198. En me situant plutôt dans une perspective communicationnelle, j'assouplis ses critères afin de réunir des poèmes parfois assez variés en égard du type d'éloquence choisi, mais se rapprochant par rapport à leur capacité d'accueillir l'information.
  • [45]
    Gigon 1911.
  • [46]
    En 1561, le chancelier Michel de L'Hospital déclarait dans son Harangue aux États généraux qu'il y avait deux sortes de lois, les unes sont « les fondements des républiques » et d'autres « qui dépendent de la grâce et bienfait du prince » ; il affirmait ainsi l'existence d'une sphère stable de la loi général dédiée au bien public et une sphère changeante du privilège liée à la faveur particulière. L'État et les pouvoirs 1989, p. 223.
  • [47]
    L'Élégie 1567, fo 8vo.
  • [48]
    D'après Michel de L'Hospital, « peu à peu se ruinent les États quand l'on méprise aujourd'hui une loi, demain l'autre, de sorte que, à la fin, l'État se trouve sans lois » (1561). En 1586, le premier président du Parlement Achille de Harlay répétait la même chose à Henri III : « Si devez-vous observer les lois de l'État du royaume qui ne peuvent être violées sans révoquer en doute votre propre puissance », L'État et les pouvoirs 1989, p. 223.
  • [49]
    Son origine suscite de grands débats au cours du xvie siècle, les uns lui attribuant l'autorité d'une loi royale (qui aurait été promulguée par Pharamond, le père de Clovis) et d'autres l'investissant de la légitimité de coutume immémoriale.
  • [50]
    L'Élégie 1567, ffo 2vo-3.
  • [51]
    De Thou 1740, t. II, p. 695.
  • [52]
    Romier 1923 et Naëf 1922.
  • [53]
    Naëf 1922, p. 7. Cette théorie est exprimé dans plusieurs libelles qui datent de 1560 : l'Histoire du tumulte d'Amboise ; Les Estats de France, opprimez par la tyrannie de Guise, au Roy leur souverain Seigneur ; La Response au livre inscrit Pour la majorité du Roy François II, le Légitime Conseil des Rois de France pendant leur jeune âge, réimprimés dans les Mémoires de Condé 1743, t. 1.
  • [54]
    Les écrits justificatifs du parti condéen affirment régulièrement une place particulière des princes du sang près du monarque. Première guerre de Religion (1562-1563) : Déclaration 1562 ; Requeste présentée au Roy 1562 ; deuxième guerre de Religion (1567-1568) : Aduertissement 1567 ; troisième guerre de Religion : Lettres et Requeste 1568, etc.
  • [55]
    La pairie de France est un groupe de grands féodaux, vassaux directs de la couronne de France. Il y avait à l'origine douze pairs : six pairs ecclésiastiques et six pairs laïques. Les princes du sang sont les pairs de France, mais les ducs des Guise le sont aussi depuis 1528 !
  • [56]
    L'Élégie 1568, fo 11.
  • [57]
    Traité d'association 1562, p. 3.
  • [58]
    Histoire et dictionnaire 1998, p. 173 et suiv.
  • [59]
    Galand-Hallyn 1999, p. 165.
  • [60]
    D'après Peletier du Mans, le coq-à-l'âne de Marot est un « vrai espèce de Satire ». Traités 1990, p. 276. D'après Thomas Sebillet, « les Satyres de Juvénal, Perse, et Horace, sont Coqs à l'âne Latins : ou a mieux dire, lés Coq-à-l'âne de Marot sont pures Satyres Françaises ». Ibid., p. 130.
  • [61]
    Meylan 1956.
  • [62]
    N.A.F. 1870.
  • [63]
    Le Veaux à coq, ibid., fo 56.
  • [64]
    Recueil 1829, no 110, l'édit de Moulins, art. 78.
  • [65]
    NAF 1870, ffo LI-LI vo.
  • [66]
    Néanmoins, cette église n'a été démolie qu'au xviiie siècle. Voir Berty 1866, p. 95-96.
  • [67]
    NAF 1870, fo LI vo.
  • [68]
    Le Roux 2001, pp. 77-83.
  • [69]
    NAF 1870, fo LI vo.
  • [70]
    Houllemare 2005.
  • [71]
    NAF 1870, fo LI vo. Ce soupçon est général au courant de 1567 et les protestants l'utilisent dans leurs libelles justificatifs au début de la deuxième guerre de Religion.
  • [72]
    Ibid., fo LII.
  • [73]
    Ibid.
  • [74]
    La Fosse 2004, p. 66-67.
  • [75]
    NAF 1870, fo LII : « Elle s'accoste des plus fins // C'est avec eulx qu'elle s'affyne // Elle a beau faire bonne myne // Personne plus ne s'y fiera ».
  • [76]
    Ibid., fo LII vo : « C'est ung homme d'un grand affaire // Qui est plus digne d'estre roy // Comme escript la Planche, que toy // Et pour certain l'intelligence // Qu'il a et sa grande alliance // Luy font entreprendre plus hault // Qu'il ne doibt et qu'il ne luy fault ».
  • [77]
    Renier 1565.
  • [78]
    Traités 1990, p. 268.
  • [79]
    Sebillet Thomas dans ibid., p. 104 :
  • [80]
    Mc Farlane 1974, p. 387-410.
  • [81]
    Poétiques 2001, p. 57-59.
  • [82]
    Graziani 1988, p. 104.
  • [83]
    Traités 1990, p. 116.
  • [84]
    Ford 1988, p. 205-214. D'après Jacques Pineaux, son recueil de sonnets satiriques, Les Regrets, a fortement influencé les poètes protestants qui ont adopté cette forme. Pineaux 1971, p. 22-123.
  • [85]
    Graziani, Françoise, art. cit., p. 108.
  • [86]
    Ms. fr. 22560, fo 16.
  • [87]
    Dont, par exemple, la Supplication 1560, fo 17 ou l'Histoire du tumulte 1560, p. 7.
  • [88]
    Ms. fr. 22560, fo 13.
  • [89]
    Davillé 1908, p. 4.
  • [90]
    Hotman 1970.
  • [91]
    Ibid., p. 13-16.
  • [92]
    Ms. fr. 22560, fo 17.
  • [93]
    Charpentier 1575, ffo 41-41 vo.
  • [94]
    Lecointe 1993, p. 80-85.
  • [95]
    Du Chesne 1572 ; pour Belleforest, voir Le Masle 1572, p. 7 ; pour Dorat et les poésies anonymes voir ms. fr. 10304, p. 245 et 331. Voir, sur le cadavre de Coligny, Crouzet 1994, chapitre XXXVII.
  • [96]
    Ms. fr. 10304, fo 355.
  • [97]
    Le chansonnier 1969.
  • [98]
    Bordeaux s.d. [1569]. À la fin xvie-début xviie siècle, les jésuites se serviront de la chanson spirituelle comme d'un support pour la catéchèse, Pau 1981.
  • [99]
    Dorléans 1594, ffo 13-14.
  • [100]
    Quatre cas répertoriés à la Bibliothèque nationale de France.
  • [101]
    Belles figures.
  • [102]
    Cinquante et une sur soixante et onze pièces de recueil.
  • [103]
    Les batailles de Saint-Denis (10 novembre 1567), de Jarnac (13 mars 1569), de Moncontour (3 octobre 1569) ; la surprise de Meaux et le siège de Paris (septembre-novembre 1567), le siège de Chartres.
  • [104]
    Recueil 1590.
  • [105]
    L'Advis 1589.
  • [106]
    Recueil 1590, ffo 4-4 vo.
  • [107]
    Contre les fausses allegations 1589, p. 32.
  • [108]
    Recueil 1590, fo 4vo.
  • [109]
    « [tu] as osé commettre le sacrilège // Par trahison aux saincts Prestres sacrez... » Ibid., fo 4vo.
  • [110]
    Ibid., fo 6vo.
  • [111]
    Ibid.

1 Un libelle ligueur anonyme, publié en janvier 1589 sous le titre le Faux visage descouvert du fin Renard de France, exhorte les Français à combattre courageusement contre Henri de Valois, ennemi de l'Église catholique et de la communauté des fidèles [2]. Un sonnet final appelle les poètes à frapper le tyran d'infamie éternelle :

2

Et vous, diuins esprits zelez pour Iesus Christ,
Faites fondre sur lui vos carmes Satyriques,
Éternisant son nom au plus creux des Croniques [3].

3 Ce passage fait référence à un ensemble de représentations sur le pouvoir et sur le devoir du poète chrétien. Capable d'influencer voire de transformer la mémoire nationale, inspiré par Dieu, il se trouve au coeur du projet de moralisation et de régularisation de la vie de la cité et de l'État. En blâmant les personnes vicieuses et en célébrant les Princes vertueux, il avertit les puissants de ce monde et construit un frein naturel aux débordements du pouvoir.

4 La grave crise politico-religieuse que la France traverse entre 1559 et 1598 nourrit la poésie partisane. Les libelles et les collections de manuscrits rassemblent quelques milliers de poèmes sur les sujets politiques. Il ne s'agit pas uniquement d'oeuvres, largement minoritaires, de grands poètes comme Pierre Ronsard (1524-1585), du côté catholique, ou Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630), du côté protestant. On rencontre surtout des poésies imprimées et manuscrites, provenant de la plume des poètes occasionnels, peu connus voire anonymes. Qu'ils soutiennent le monarque ou le parti des mécontents, ils dénoncent les abus, les crimes ou les discours des ennemis de Dieu ou de la res publica. Contrairement aux oeuvres de poètes célèbres, cette production reste peu étudiée [4]. Citée occasionnellement dans les ouvrages historiques pour illustrer un courant d'opinion, analysée du point de vue des procédés littéraires ou de sa thématique, la poésie des guerres de Religion échappe à une étude d'ensemble qui pourrait rendre compte aussi bien de la spécificité de ce mode de discours que des pratiques qu'il implique.

5 Je tenterai donc d'apporter quelques éléments de réponse à cette problématique. J'aborderai, en premier lieu, la question de la légitimation de la prise de parole dénonciatrice dans le discours sur la poésie et dans le discours poétique lui-même. En deuxième lieu, j'essaierai de saisir la spécificité de différents genres poétiques par rapport à leur façon de traduire (d'accueillir) l'information politique.

I. LES POSTURES DU POÈTE

6 Au xvie siècle, le principe de compétence de l'auteur détermine la crédibilité du discours. Les théologiens se réservent la réflexion théologique, les nobles parlent de l'art militaire alors que les juristes et les historiens sont admis ­ avec la caution du roi ­ à raisonner sur les sujets politiques. Les exceptions sont bien rares. Or, le poète réclame la liberté de toucher à tous les sujets quelle que soit sa situation sociale. Cette prétention se fonde sur l'idée que les contemporains se font de la nature et des fonctions de la poésie.

L'évolution de l'imaginaire poétique au xvi e siècle

7 Dès la fin du xve siècle, les commentaires des oeuvres des poètes antiques et les manuels de rhétorique témoignent d'un changement considérable dans la perception de la poésie. Alors que les traités du Moyen Âge se contentaient d'expliquer les techniques poétiques, dorénavant les auteurs y introduisent des observations sur l'origine et les fins de la poésie [5]. Cette évolution s'explique par l'influence des idées néo-platoniciennes développées par le traducteur et l'exégète italien de l'oeuvre de Platon, Marsile Ficin (1433-1499). Le philosophe grec avait été le premier à insister sur le rôle de l'inspiration divine dans l'écriture poétique. Le poète, d'après lui, n'a pas « seulement une connaissance de tous les arts, mais, dans l'ordre humain, de tout ce qui a rapport à la vertu et au vice, et même aussi des choses divines » (Rep. 598-d-e). Cependant, en considérant que la fiction poétique peut être contraire à la morale et à la bienséance ­ Homère avait représenté les Dieux en train de se quereller ­ Platon l'a exclue de sa République, à l'exception des « hymnes aux Dieux » et des « chants de louange aux hommes de bien » (Rep. 607a). Les néo-platoniciens de la Renaissance n'ont retenu que l'aspect positif du discours de Platon. Pour Marsile Ficin, l'inspiration poétique permet aux poètes de percevoir et d'imiter la musique céleste qui régit l'évolution des sphères et se diffuse dans l'univers [6]. Deux points fondamentaux découlent de cette perception de la poésie qu'on qualifie d'Orphique, du nom du poète mythique Orphée.

8 D'abord, la poésie est reconnue comme le résultat de la fureur divine. La théorie d'inspiration devient un lieu commun à partir des années 1540. Elle influence tout particulièrement la réflexion de la Pléiade. Ainsi, pour Ronsard, c'est l'inspiration qui distingue le vrai poète d'un rimailleur. Le poète ne se maîtrise plus, mais se laisse guider par Dieu ; il est donc capable de révéler la vérité cachée en sortant du cadre de discours conventionnel.

9 Ensuite, la poésie est perçue comme un domaine qui embrasse toutes les sciences. Elle constitue un savoir universel sur l'organisation du monde, une sorte de « théologie poétique » qui dissimule la vérité derrière le langage symbolique. D'après Ronsard, la poésie était, dans le monde païen, une sorte de « théologie allégorique » qui enseignait la vérité à travers des « fables plaisantes et colorées » puisque les hommes n'étaient pas encore prêts à l'entendre de façon directe [7]. Certains théoriciens, dont Robert Gaguin (1433-1501), rappellent que les personnages bibliques et chrétiens, tels Moïse et saint Paul, n'ont pas négligé de louer Dieu et d'instruire le peuple par l'intermédiaire de la poésie. La science politique fait également partie de son domaine. Jacques Peletier du Mans (1517-1582), dans son Art poétique (1555), affirme que les premières lois et oracles ont été donnés en forme poétique et que la poésie a participé au processus de la civilisation. Elle

10

a congrégé des hommes, qui étaient sauvages, brutaux et épaves : et d'une horreur de vie les a retiré à la civilité, police et société [8].

11 Les poètes de la Renaissance revendiquent donc que la partie la plus noble de leur vocation est de servir Dieu et la cité en éduquant les Princes et leurs sujets. Je n'aborderai qu'un verset de cette mission : la parole critique et accusatrice [9]. Trois logiques permettent au poète de se positionner comme un dénonciateur de l'ennemi de la res publica.

Le poète au service d'un grand

12 Le poète est appelé à célébrer des Princes vertueux et à vitupérer leurs ennemis au nom de la transmission d'un patrimoine moral. La tâche est d'autant plus importante que la clé du succès politique est généralement vue moins dans la bonne organisation des institutions que dans la vertu et la piété des gouvernants [10]. Le poète doit donner au Prince la conscience d'être élu par Dieu afin de mener la communauté des sujets vers le salut et d'inciter ses lecteurs à imiter les grands sur le chemin de la vertu. Du point de vue social, le poète demeure très dépendant du système du mécénat. Attaché à un grand personnage qui le soutient dans l'exercice de son art, il est chargé de créer sa bonne renommée. Des liens de clientèle lui permettent d'obtenir des charges ou des bénéfices, la production poétique ne constituant en rien une activité économiquement suffisante [11]. Cette double logique, à la fois morale et sociale, explique la relation de service qui lie les poètes aux grands et surtout au roi, le destinataire le plus prestigieux. La dénonciation poétique de leurs ennemis est considérée comme un service rendu.

13 Pendant les guerres de Religion, de nombreux poètes fustigent les hérétiques rebelles pour soutenir le monarque. Pierre Ronsard publie, pendant la première guerre de Religion (1562-1563), les Discours des misères de ce temps. Dédiés à Catherine de Médicis, mère de Charles IX et régente, ils expliquent, à l'aide d'un langage métaphorique, que la discorde fut provoquée par la naissance de l'Opinion, c'est-à-dire de la nouvelle religion, fruit de l'orgueil de l'homme confiant dans sa capacité de comprendre les desseins de Dieu. Ronsard attaque les chefs spirituels protestants comme les auteurs de la guerre et condamne la rébellion. Il exhorte ses lecteurs à respecter l'ancien ordre politico-religieux. Dans la même logique, chaque conflit armé est accompagné par la publication de discours poétiques composés par des poètes plus ou moins connus qui expriment leur désir de servir la monarchie.

14 La production poétique qui dénonce les ennemis du roi atteint son comble après le massacre de la Saint-Barthélemy (le 24 août 1572). Les débordements de la violence plongent alors la monarchie dans un état critique car le roi ne parvient pas à les faire arrêter ni dans la capitale, ni dans les villes de province. D'après Denis Crouzet, le roi s'attribue finalement la responsabilité de l'exécution de l'amiral de Coligny et d'autres chefs protestants pour masquer sa faiblesse et renforcer sa sacralité [12]. Charles IX annonce qu'il a ainsi prévenu la réalisation d'une conjuration protestante qui menaçait la vie de la famille royale. En accordant les privilèges et les permissions d'imprimer, la monarchie encourage les écrivains occasionnels qui célèbrent le massacre comme une délivrance miraculeuse. Les poètes intransigeants en profitent pour exprimer leur soutien au monarque et leur zèle religieux. Deux d'entre les poèmes publiés après le massacre insistent particulièrement sur la relation de service.

15 Claude-Étienne de Nouvellet, écrivain savoyard, bénédictin et docteur de la Sorbonne [13], fait imprimer l'Hymne trionfal au Roy, sus l'equitable iustice que sa Maiesté feit des rebelles la veille & iour de Sainct Loys. Il contient six pièces adressées à Nouvellet ou à des personnages d'importance, signées par le célèbre professeur de grec du Collège de France, Jean Dorat, par le secrétaire du duc de Savoie, De May, et par deux autres auteurs moins connus, Pierre de La Roche et Jean de l'Orme. Deux épigrammes déclarent que Nouvellet attendait, en récompense de son poème, une faveur du roi. De May, en proposant une anagramme du nom de l'auteur, lui souhaite du succès dans cette entreprise :

16

Que pour sien, le Roy, t'ayant leu,
Mon Nouuelet, te puisse elire,
Afin qu'au vray lon puisse dire
De toy, VELA VN DOCTE ELU [14].

17 De son côté, Jean de l'Orme espère que l'Hymne apportera à son auteur la faveur du roi, « heureuse & profitable ». Cette insistance semble indiquer que Nouvellet a composé son poème dans un objectif tout à fait concret. Le président de Birague fut choisi comme intermédiaire entre le roi et le poète. De May lui adresse un sonnet en lui recommandant l'auteur de l'Hymne et en le suppliant de présenter ce poème au monarque.

18 Dans ce discours il est question d'un voyage imaginaire de l'auteur au ciel. En décrivant l'histoire du massacre à l'aide de fables, Claude Nouvellet revendique sa qualité de vrai poète, qui, à la différence des vulgaires rimeurs, sait non seulement versifier mais surtout « feindre histoires » [15] pour révéler la volonté des dieux. Transporté par sa « Chrestienne Calliope » dans leur demeure, le poète y rencontre tous les rois de la « race Valoise », ainsi que Charles IX et ses futurs descendants, rassemblés dans une sorte d'intemporalité qui n'est interrompue que par le récit du combat contre les hérétiques. Jove (Dieu) offre au roi une foudre justicière, avec laquelle ce dernier défait ses ennemis. Sa victoire est célébrée par ses aïeux. Charlemagne conduit le roi jusqu'au trône de Dieu qui lui ordonne de partir en Croisade pour reprendre possession de Jérusalem. L'auteur voit déjà l'Espagne, Rome, Venise et la Savoie se joindre à la guerre sainte, menée par le roi, ses frères et « des guerriers de Guise ». Il voit les célèbres prédicateurs parisiens ­ Hugonis, Sorbin, Sainctes et Vigor ­ prêcher à Salem. Le discours s'achève sur cette vision prophétique. Les ennemis de Dieu et du roi, les huguenots, comparés aux géants, sont présentés comme des adversaires puissants, vaincus par le roi dans un combat éprouvant. Ce récit fabuleux permet à Claude Nouvellet de faire ressortir la logique divine de l'événement, de glorifier le roi, mais aussi de lui donner des conseils se faisant le traducteur de la volonté divine. Le poète montre ainsi qu'il peut rendre service en immortalisant les exploits du monarque.

19 La décision du roi d'exterminer les hérétiques et le massacre sont célébrés par les poètes comme une sorte de combat mystique. Quoique le roi en soit le principal héros, d'autres seigneurs catholiques en bénéficient, dont, par exemple, René de Voyer, vicomte de Paumy. Gentilhomme servant du duc d'Orléans, il participe au siège de Malte et à la guerre contre les Turcs en Hongrie. Le 2 avril 1570, il est reçu dans l'Archiconfrérie du Saint Sépulcre. Autour de ce chevalier chrétien auréolé de l'expérience charismatique de la lutte contre les infidèles se forme un cercle d'écrivains catholiques [16]. À l'automne 1572, un auteur anonyme qui signe par les initiales I.S.F. lui dédie le Discours sur la mort de Gaspard de Coligny qui fut admiral de France et de ses complices le iour Sainct Berthelemy. Il exprime ainsi son désir de se prévaloir de son patronage. Même si, aujourd'hui, l'identité du poète nous échappe, elle était certainement connue à René de Voyer auquel le Discours fut présenté aussi bien qu'aux autorités qui ont délivré le privilège à l'imprimeur. Cet anonymat relatif souligne l'effacement de la personne du poète derrière sa qualité de médium qui découvre aux hommes les secrets des Dieux.

20 Le libelle instaure une sorte de relation triangulaire entre René de Voyer, le roi et le poète. Une ode préliminaire célèbre les qualités du vicomte, chevalier chrétien et homme docte. Elle est suivie d'un sonnet qui rappelle qu'il a combattu vaillamment contre les séditieux et que maintenant, l'hérésie vaincue, il peut poser les armes. Ce rappel de ses services est suivi par un discours sur le massacre qui utilise également des éléments mythologiques. L'exécution de l'amiral criminel serait inspirée au roi par Jupiter qui se présente au Louvre pour remettre à Charles IX un « insulphure brandon », avec lequel ce dernier, assisté des grands princes et des dieux, châtie les rebelles. La deuxième partie du récit décrit les déambulations du corps de l'amiral qu'aucune divinité, ni les nymphes aquatiques, ni les déesses de l'air et de la terre ne veulent recevoir. L'ennemi principal vaincu, les Dieux continuent encore pendant trois jours et trois nuits la poursuite du reste des mutins dans un élan de vengeance purificatrice :

21

N'espargnant grands seigneurs, conseillers, presidans,
N'aduisant s'ils estoyent ieunes ou chargez d'ans,
Non plus qu'au plus petis & pauures de la terre,
Contre femmes aussi leur fureur se desserre.
Bref, en ces trois iours là, Paris estoit remply
Et repaué de mortz. Et apres qu'acomply
Fust le veu du destin, les Dieux la France laissent,
S'enuolant dans le ciel, où de nectar repaissent [17].

22 Les exécutions sont présentées comme une juste punition du crime de rébellion, des meurtres et des sacrilèges répétés des huguenots. L'auteur cite parmi les noms des victimes ceux des grands nobles, chefs du parti protestant : Pardallian, Soubise, La Rochefoucault, Raynel, Théligny, de Pille, Montgomery, Briquemault. Ce sont, en fait, les plus puissants adversaires du chevalier René de Voyer dont il a affronté les troupes pendant la troisième guerre de Religion et qui ont été, enfin, châtiés.

23 Le poète rend un double service. D'un côté, il attire l'attention du roi sur les mérites de René de Voyer. De l'autre, il glorifie l'action de Charles IX lui-même, monarque juste et puissant qui exécute les ordres divins. Il n'oublie pourtant pas de mettre en valeur ses propres qualités en prenant à témoin un autre auteur occasionnel. Un Sonet à la louenge de l'oeuvre par Cl. Guignart Parisien loue le pouvoir du poète qui sait communiquer avec les Dieux. Qualifié de « royal », donc de plus excellent parmi ses confrères, il se montre capable de servir à la fois son protecteur et son roi.

24 La logique de service anime le poète lorsqu'il souhaite persuader que son protecteur agit pour le bien de la communauté et selon la volonté divine. Mais sa capacité à dévoiler la vérité peut se retourner contre les puissants de ce monde.

Le devoir civique du poète

25 Les poètes dénonciateurs se présentent souvent en porte-parole d'une communauté, d'un corps de métier, de ville, de tous les sujets du royaume. Cette prétention peut renvoyer à une structure associative réelle ou relever d'une posture rhétorique.

26 Au niveau urbain, la parole critique se développe, par exemple, dans le cadre des associations ou des sociétés joyeuses, telle l'abbaye des Cornards ou Connards à Rouen [18]. Son nom provient du mot « corne » qui en Normandie se prononce « cône ». Malgré ce nom comique qui renvoie à la censure des m urs conjugaux, il s'agit, en fait, d'une association pieuse qui rassemblait des représentants de l'élite de la ville (riches marchands, clercs, petits officiers), souvent très cultivés [19]. Chargée d'organiser les fêtes, elle profitait de son droit carnavalesque pour corriger les m urs de la communauté et même pour critiquer les abus des magistrats, du clergé et de la noblesse. Bien connus dans la ville, les connards n'avaient pas le droit à la critique nominale, mais ils pouvaient faire allusion au coupable. Les Triomphes de l'abbaye des Conards, un libelle anonyme qui propose le récit des processions carnavalesques, transcrit des poésies distribuées lors du défilé de 1540. L'une d'entre elles explique les principes de la critique :

27

Il est requis les fautes corriger,
Faire rougir et le monde songer,
Sans rien nommer, mais le monstrer par signes [20].

28 D'autres quatrains mobilisent les thèmes de la satire morale : les abus des gens de justice, du clergé, de la noblesse « qui blesse » et ruine le pauvre peuple, les ambitieux, les avares. L'action des connards se voulait avant tout régulatrice, morale et pédagogique. Elle devait purifier la cité et donner aux dirigeants une leçon de morale, et non subvertir ou s'attaquer aux hiérarchies. Lorsque la critique devenait trop personnelle, la victime pouvait porter plainte et de telles affaires étaient assez fréquentes à Rouen. Les sociétés joyeuses se présentaient donc comme une « voix morale » de la ville.

29 Pendant les guerres de Religion, elles connaissent un déclin à cause d'une conjoncture politique défavorable et de la vive hostilité des protestants, puis de l'Église post-tridentine. Mais les pratiques de l'écriture poétique « critique » perdurent au sein des communautés. Parfois la cité devient une scène pour une véritable polémique poétique entre les corps. Par exemple, en 1566, un conflit oppose deux juridictions parisiennes, le Châtelet et les Juges-consuls. La juridiction consulaire fut instaurée à Paris par un édit de décembre 1563 pour connaître en première instance « de toutes les affaires du commerce et de toutes sociétés » pour les sommes n'excédant pas 500 livres. Un juge et quatre consuls devaient être élus pour une période d'un an parmi les marchands parisiens [21]. Le Parlement et surtout le Châtelet qui avaient auparavant la connaissance des affaires du commerce, s'opposèrent à ce nouveau tribunal composé de juges non-professionnels [22]. Le roi imposa sa volonté. Les clercs du Châtelet, réunis en une société joyeuse, organisèrent alors une représentation théâtrale qui attaqua les juges consuls d'une façon assez violente. Le texte de la pièce n'est pas parvenu à nos jours, mais nous disposons de La response au Jeu des Clercs de Chastelet, une pièce manuscrite conservée à la Bibliothèque nationale de France. Elle se présente comme une réplique collective que des marchands parisiens adressent aux clercs :

30

On a ouy vostre jeu et entendu vos sens.
Estes vous insenses ? Estes vous hors de sens
Vous voulloir attaquer à nos juges consulz,
Que l'on sçayt sans reproche et n'en cognoissez nulz ?
A qui puissez donner ung seul poinct de scandale
Pour amoindrir leur faict qui n'est ny ord ny salle ? [23]

31 D'après le poète anonyme, les clercs ont accusé les marchands consuls d'incompétence parce qu'ils ont perdu une partie de leurs revenus suite à la création de la justice consulaire. Le poète riposte en reprochant à la procédure juridique du Châtelet sa complexité et sa longueur. Il expose ensuite les avantages de la nouvelle juridiction. D'abord, elle est plus équitable parce que, contrairement aux juges du Châtelet qui ont acheté leurs offices, les consuls sont électifs. De plus, l'expérience dans le domaine de la vente permet aux marchands de mieux arbitrer les conflits liés à la marchandise. L'auteur fait référence à l'expérience d'autres pays d'Europe qui ont mis en place la justice consulaire. Le Jeu des Clercs du Châtelet et la réponse poétique exploitent les arguments du Parlement de Paris et du roi, en informant les citadins de ce débat qui s'est déroulé devant le public réduit. Ils s'attribuent le statut d'expression collective : ce n'est pas un poète mais tout un corps qui prend la parole pour défendre le bien public. Cette posture est typique qu'il s'agisse de dénoncer les brigues ou les défauts de procédure lors des élections municipales, l'immoralité des candidats ou des officiers [24]. Le poète apparaît comme le garant du bon fonctionnement de la police.

32 C'est toujours au nom de la communauté des sujets qu'il dévoile les abus des conseillers du roi. En 1559, après le décès d'Henri II, mortellement blessé au cours d'un tournois, de nombreux poèmes s'attaquent à Charles, cardinal de Lorraine, conseiller privilégié du jeune François II. Oncle de l'épouse du roi, Marie Stuart, il est chargé de redresser les finances royales, alors que son frère, le duc de Guise, remplit les fonctions de lieutenant général. Les deux frères sont accusés d'avoir usurpé la faveur du roi et d'avoir évincé du gouvernement les princes du sang, Antoine de Bourbon, roi de Navarre, et le prince Louis de Condé. Cette critique est surtout le fait des poètes protestants car les deux princes du sang sont favorables à la Réforme. Mais elle est menée uniquement au nom du bien public, dans l'espoir de capter dans le mouvement d'opposition la noblesse catholique mécontente. Ainsi, le Paradoxe de Carolus, un poème manuscrit qui circule à Paris avant le tumulte d'Amboise (mars 1560) [25], épouse la cause du bien commun [26]. Carolus est une monnaie portant un portrait du roi Charles. À l'époque, il pouvait circuler des carolus français, frappés sous Charles VIII, ou espagnols (carolus d'or, avec le portrait de Charles Quint). Mais cette fois-ci il s'agit de Charles, cardinal de Lorraine. Comme la prérogative de frapper la monnaie n'appartient qu'au roi, le texte entend que le cardinal a usurpé le pouvoir royal. Le poème annonce que le carolus est apprécié en France plus que toute autre monnaie et que les plus grands seigneurs sont obligés de rester enfermés dans leurs maisons s'ils n'en possèdent pas. Il fait ainsi allusion à la grande influence du cardinal qui contrôle la distribution des charges dans tous les domaines. Le poète laisse apparaître son appartenance confessionnelle en blâmant Ronsard pour avoir délaissé son ancien protecteur, le cardinal de Châtillon, converti au calvinisme, pour se vendre contre « vn rouge Carolus », c'est-à-dire passer au service du cardinal de Lorraine. Pourtant, le poème ne fait aucune référence aux persécutions des protestants dont le cardinal est responsable. En revanche, il tente de prouver la fausseté de son zèle :

33

Qui veult soupper & dejeuner
Tout le Caresme sans jeusner
Et manger chevreaux pour merluz
Qu'il face tinter Carolus [27].

34 Le quatrain vise incontestablement la sensibilité religieuse des catholiques. L'auteur s'adresse à tous les Français qui doivent se réunir pour chasser leur ennemi commun. Les autres poésies qui dénoncent la tyrannie séculière du cardinal adoptent la même logique. Il est possible que certaines d'entre elles proviennent des plumes de catholiques hostiles au cardinal.

35 A partir de la première guerre de Religion, l'opposition confessionnelle se durcit. Les catholiques qui, à chaque conflit militaire jusqu'à 1585, se trouvent du côté du pouvoir royal, se voient obligés de soutenir celui-ci. Néanmoins, les intransigeants expriment leur mécontentement chaque fois que le roi se montre enclin à faire la paix avec les hérétiques. Cette opposition intérieure s'exprime également dans la poésie manuscrite. Ainsi, quelques poèmes rapportent les « on dict » de la ville, comme Passevent escripvant à son amy des nouvelles de la cour, composé au début de la deuxième guerre civile (octobre 1567). Le « on » exprime ici l'avis de la sanior pars de la communauté parisienne catholique, auquel l'auteur accorde la valeur du bon sens commun :

36

On dict ce que l'on veult & n'ose l'on rien dire,
On dict que c'est malfaict aussi que de mesdire,
On dict qu'apres du roy n'y a que trahison,
On dict qu'on n'est pas seur dans sa propre maison [...] [28]

37 Le poème affirme que les Parisiens sont méfiants à l'égard de la politique royale. Ils craignent que la guerre ne se termine par un nouvel édit de pacification qui reconnaîtra les protestants, ennemis du roi, « pour loyaux serviteurs & pour les bien venuz », et éloignera ses fidèles serviteurs. Or, le monarque ne doit pas négocier avec les sujets rebelles [29]. Le poète désigne les coupables de son aveuglement. Ce sont des grands seigneurs catholiques, partisans de la politique de tolérance : François de Montmorency, gouverneur de Paris et d'Ile-de-France, le chancelier Michel de l'Hospital et le conseiller Jean de Monluc, évêque de Valence. Les Parisiens souhaitent que ces personnes soient éloignées de la cour et que le roi mène la guerre jusqu'à l'extermination totale de l'hérésie.

38 La critique poétique de la politique du roi au nom du bien commun prolifère surtout dans les années 1574-1589. Les poésies manuscrites qui dénigrent Henri III circulent depuis les premières années de son règne [30]. Les épigrammes attaquent ses m urs à travers la dénonciation de ses favoris, les « mignons », de ses tenues vestimentaires et de son comportement. Ces attaques sont d'autant plus graves qu'il est communément admis que le manque de vertu chez un prince mène à la tyrannie. Mais les poèmes dénoncent surtout sa politique financière : en imposant les emprunts et les nouvelles taxes, le roi porte atteinte aux privilèges de différents corps, donc aux droits de ses sujets. En effet, le contexte économique défavorable, les tendances absolutistes dans le gouvernement, la piété et les attitudes plutôt baroques et méditerranéennes du roi, étrangères aux Parisiens, lui aliènent les esprits [31]. Le mécontentement général de la communauté civique des sujets s'exprime systématiquement dans la poésie manuscrite qui réagit à chaque nouvel incident.

39 La critique poétique de la politique royale est également formulée au nom de la volonté divine que certains poètes prétendent pouvoir traduire grâce à l'inspiration.

Le poète au service de Dieu

40 Il n'est pas rare que les auteurs des traités sur la poésie comparent la mission du poète à celle d'un prêtre. La poésie satirique est souvent rapprochée au sermon d'un prédicateur. Josse Bade (v. 1461-1535), imprimeur et humaniste, dit à propos d'Horace qu'il expose, dans ses Conversations, des sujets comparables à ceux qui sont abordés lors des prêches [32]. Tout comme les prédicateurs, les poètes peuvent s'attaquer aux vices propres à toutes les catégories sociales, mais doivent éviter la critique personnelle. La désignation publique ne fait qu'aigrir le pêcheur alors que l'anonymat permet à chacun de se corriger dans le secret de sa conscience. Néanmoins, pour Jacques Peletier du Mans la « répréhension personnelle » peut être utile pour la postérité car elle découvre ce que l'historien a tendance à taire [33].

41 Avec le début des troubles politico-religieux, la règle de la critique générale est fréquemment transgressée. La désignation nominale vise moins à appeler la personne concernée à la repentance qu'à avertir la communauté du danger causé par la présence de l'ennemi de Dieu. Tel un prophète, le poète réclame son droit de dénoncer les tyrans au nom de la justice divine. Malgré cet imaginaire de l'inspiration prophétique non maîtrisée, les poètes semblent agir avec prudence. Ainsi, avant le tumulte d'Amboise, les poètes protestants préfèrent dénoncer les abus du cardinal de Lorraine dans un registre civique parce que, conformément à l'idéal évangélique, les chrétiens doivent supporter les persécutions avec patience. Or, la réputation des Églises réformées, est en jeu. La posture choisie par les poètes dépend donc bien souvent des considérations stratégiques. En revanche, les poètes protestants jouent le rôle de pasteur en parlant au nom de Dieu chaque fois qu'il s'agit de réconforter les fidèles ou de transformer les événements récents en arguments en faveur de la Réforme. Par exemple, la logique confessionnelle de dénonciation des tyrans se manifeste avec éclat après de brusques changements de rapports de forces provoqués par la disparition de grands persécuteurs. Jusqu'au massacre de la Saint-Barthélemy, les monarques ne sont jamais condamnés de leur vivant ; en effet, pour Calvin, l'autorité publique est instaurée par la Providence [34]. Dieu seul qui punit le peuple en le soumettant à un roi tyrannique peut le châtier. Mais il est permis de crier contre le tyran mort car « Dieu a parlé le premier » [35]. Son décès est présenté comme un miracle. Ainsi, dans les années 1559-1563, se constitue la légende de « Quatre Tyrans Gallois ». Les décès inopinés d'Henri II (1559), de François II (1560), du roi de Navarre, apostat de la religion réformée (1562) et du duc François de Guise (1563) sont suivis de nombreuses épitaphes diffamatoires. Théodore de Bèze (1519-1605), théologien et bras droit de Calvin, inaugure cette campagne en montrant que la dénonciation poétique fait partie de la charge pastorale [36]. Chaque nouvelle mort prouve l'intervention providentielle de Dieu dans l'histoire, d'autant plus évidente que les poètes établissent une corrélation entre les crimes des tyrans et leur façon de mourir. Ainsi, en 1562, le poème De la mort de trois Roys remarque que Henri II qui avait juré de voir brûler Anne du Bourg, conseiller du Parlement de Paris accusé d'hérésie, fut blessé à l' il. François II qui avait refusé d'entendre la requête des protestants à Amboise fut frappé à l'oreille et Antoine de Bourbon qui s'était engagé dans l'armée catholique pour combattre les réformés, mourut d'une blessure à l'épaule qui devait soutenir une lance.

42 L'assassinat du duc de Guise, mortellement blessé le 18 février 1563 par Poltrot de Méré, donne lieu au plus grand nombre de poésies. Ce chef militaire le plus en vue du parti catholique, auteur du massacre des protestants à Wassy (mars 1562), a été désigné, depuis le début de la première guerre civile, non seulement comme persécuteur, mais aussi comme un usurpateur du pouvoir royal. Si, au début des années 1560, il était admis que les sujets n'ont pas le droit de s'attaquer au tyran légitime, le tyran d'usurpation ne bénéficie pas du statut protecteur d'instrument de la colère divine. Poltrot de Méré est alors loué comme un élu de Dieu qui aurait reçu une mission extraordinaire. Mais parmi les poésies manuscrites consacrées à cet événement, une trentaine ne mentionne pas son nom [37]. Le fait qu'il soit souvent omis de cette célébration de l'intervention divine souligne la prédominance de la prudente logique pastorale. Pour de nombreux ministres, la mort infamante du tyran doit rassurer plutôt qu'inciter à reproduire un tel geste [38].

43 Ce n'est qu'après le massacre de la Saint-Barthélemy qui a provoqué la radicalisation générale de la pensée politique que les poètes protestants se mettent à dénoncer la tyrannie de Charles IX et de Catherine de Médicis. Cette condamnation doit d'abord prévenir l'abjuration des fidèles choqués par l'ampleur du massacre, en promettant un rapide châtiment des méchants et en les couvrant d'infamie [39]. Mais elle a aussi un objectif politique concret, celui de persuader les princes protestants étrangers de soutenir leurs frères en Christ. Tel est le but d'un recueil de poésies latines intitulé Illustrium aliquot germanorum carminum liber, De immanissima summeque miseranda christianorum laniena ab impiis & crudelissimis Galliae Tyrannos. Imprimé à Bâle, il contient des poèmes très violents contre le roi. Il est reconnu le plus coupable et le plus cruel de tous les tyrans les plus célèbres. Ses sujets n'ont aucune garantie ni de vie, ni de biens ; ils ne sont donc plus tenus de lui obéir. Les poètes attaquent jusqu'aux insignes du pouvoir royal : les lys du roi de France pourrissent ou sont venimeux, le titre de « Très chrétien » doit être remplacé par celui de « tyran païen », le coq (Gallus) cesse d'incarner le Français (également Gallus), car le coq, en chantant, pousse les gens à se lever du lit, alors que le Français (Charles IX) allonge les corps dans un sommeil éternel. Quelques poèmes appellent les princes protestants d'Allemagne à venger leurs frères en Christ en intervenant dans les affaires françaises. Ce recueil circule en France en minant l'autorité du roi [40].

44 Néanmoins, après l'avènement d'Henri III (1574), on ne trouve pratiquement plus de poésies protestantes qui condamneraient le monarque au nom de Dieu. Largement minoritaires et conscients de leur fragilité politique, les protestants cherchent plutôt la protection du pouvoir que son affaiblissement. Ce fait s'inscrit dans une tendance générale des penseurs protestants à séparer les sphères politique et religieuse.

45 Chez les poètes catholiques la posture du porte-parole du Seigneur connaît également un grand succès en traduisant un divorce entre la politique royale de tolérance et les milieux catholiques intransigeants. Aux moments des pics de tensions, les poèmes imprimés de façon clandestine ou distribués sous forme manuscrite avertissent le roi de la colère divine. Tel est, par exemple, le manuscrit Secret conseil au Roy Charles IX sur la refformation des abbuz de son royaume (fin 1567-1568), attribué au prêtre catholique et célèbre polémiste Artus Désiré. Il est composé pendant la seconde guerre civile, lorsque de longues négociations entamées par Catherine de Médicis avec le parti protestant engendrent des soupçons de trahison chez les catholiques. Le Secret conseil se présente comme une remontrance qui prévient le roi que sa clémence excessive envers les hérétiques et leurs « supports », les catholiques modérés, a suscité l'ire de Dieu. S'il n'agit pas aussitôt, il n'atteindra jamais l'« âge d'homme ». L'auteur récupère le mythe protestant sur les morts providentielles des rois, ses prédécesseurs (Henri II et François II). À son tour, il les présente comme les signes merveilleux de la colère divine :

46

Pour première admonition
Dieu nous osta vostre feu père
Et après, par punition,
Le Roy Françoys vostre frere.
Et pour seconde affliction
Vous ordonna jeune enffant roy,
Dont le royaulme en tuition
Fut mys en ung tresgrand esmoy [41].

47 Comme un prophète, l'auteur interprète les différents signes ­ la famine, la peste, le gel, les grands vents ­ pour persuader que la colère de Dieu ne peut être apaisée que par la punition des méchants.

48 La critique « prophétique » du roi reste néanmoins assez occasionnelle avant janvier 1589. La rupture entre Henri III et Paris ligueur qui s'est produite après l'exécution des champions de la cause catholique, le duc et le cardinal de Guise (les 23 et 24 décembre 1588), est consacrée par l'arrêt de la Faculté de Théologie de Paris qui libère les Français de leur serment de fidélité. Henri de Valois est accusé de favoriser l'hérésie et est excommunié. Le tyran déchu est placé du côté du diable. Les écrivains de la Ligue ramènent le conflit à la confrontation religieuse fondamentale. « Détester » le tyran devient une obligation de chaque bon chrétien ; la production de libelles diffamatoires, aussi bien en vers qu'en prose, n'avait encore jamais atteint une telle ampleur. Les auteurs ligueurs affirment une interdépendance profonde entre la logique de la protection de la religion catholique et celle du bien public. La communauté vertueuse ne peut que prospérer alors que la présence de l'hérésie corrompt définitivement le corps politique. Le devoir chrétien du poète est alors perçu comme inséparable de son devoir civique.

49 Ainsi les poètes s'affirment comme intermédiaires privilégiés entre Dieu, les princes et le peuple, capables de révéler la vérité grâce à leur don poétique. Ils n'ont pas besoin d'être théologiens ou juristes pour aborder les sujets religieux ou politiques puisqu'ils ne produisent pas d'argumentation très détaillée. Cela semble expliquer la particularité de l'usage des poésies. Lorsque l'opposition au pouvoir royal se traduit par une confrontation ouverte, comme c'est le cas des protestants jusqu'en 1589 et des catholiques après 1585 (la prise d'armes par la Ligue catholique), sa critique se développe dans les poèmes et dans les argumentaires en prose de façon tout à fait parallèle. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une opposition latente, comme chez les catholiques intransigeants jusqu'à l'épisode ligueur, elle s'exprime surtout par l'intermédiaire de la poésie. En effet, l'élaboration et surtout la publication d'un argumentaire juridique suppose, semble-t-il, une attitude active de mécontentement ; il est habituellement appelé à justifier une action d'une force politique existante. Or, un poème formule des accusations et des avertissements sans nécessairement recourir à une construction idéologique ou par référence à une réflexion préexistante. De plus, le poète n'a pas besoin de la caution d'un grand pour fustiger les abus. La critique poétique dirigée contre le roi ne signifie pas automatiquement l'appel à la désobéissance, mais sert plutôt à avertir le monarque. Ainsi, pour la période qui va de 1574 à 1585, on constate une absence de textes en prose contre la politique financière d'Henri III alors que les épigrammes qui frappent le roi n'ont jamais été aussi nombreuses.

50 Cette réflexion montre l'importance du problème des capacités de communication propres aux formes poétiques.

II. LA POÉSIE ET LE DISCOURS POLITIQUE

51 De trois types d'arguments distingués par la rhétorique, logos, qui correspond à un raisonnement rigoureux, pathos, qui agit sur les sentiments du lecteur, et ethos, qui met en scène la moralité de l'orateur, la poésie semble privilégier les deux derniers. Le langage poétique est avant tout allusif et imagé. Mais les différents genres poétiques n'accueillent pas l'information politique de la même façon.

52 La notion de genre reste marquée au xvie siècle par un décalage entre pratique et théorie. D'après G. Mathieu-Castellani, les théoriciens distinguaient des genres d'écrire (épigramme, sonnet, épopée, etc.), des genres de style (bref, copieux, floride, etc.) et des structures formelles sans s'attacher à « distribuer en classes distinctes les caractéristiques et les traits structuraux de chaque forme... » [42]. Le savoir-faire poétique semble se transmettre plus par imitation que par une réflexion théorique ce qui laisse aux poètes une certaine marge de liberté mais aussi les incite à suivre les recettes efficaces. Il semble donc possible, grâce à une analyse comparative, de distinguer la spécificité de chaque genre poétique défini comme une structure de communication qui possède ses propres capacités à présenter l'information et ses propres armes rhétoriques. Je propose ici les quelques résultats d'une enquête menée sur environ trois cents poésies qui relèvent du discours poétique, du coq-à-l'âne, des formes poétiques brèves et de la chanson. Quelques exemples permettront de mieux illustrer la spécificité de chaque genre.

Le discours poétique

53 Le discours poétique en alexandrins (ou, plus rarement, en décasyllabes) et à rime plate n'est pas distingué en tant que genre dans les Arts poétiques d'époque. Cette forme peut accueillir les trois genres de la rhétorique ­ délibératif, judiciaire ou épidictique ­ en privilégiant le conseil, l'acte d'accusation, la louange ou le blâme. Sous les titres divers ­ Oraison, remonstrance, épistre, élégie, regrets[43] ­ le discours poétique aborde les problèmes politiques ou l'histoire récente des troubles dans un langage plus ou moins métaphorique. Le poème met en scène un locuteur qui parle en son propre nom. La plupart des textes sont adressés au roi, à un grand personnage ou au peuple et s'achèvent sur une exhortation incitant le destinataire à prendre une décision ou à s'engager dans une action. Le discours poétique est toujours grave, le choix d'alexandrins étant, d'après les Arts poétiques de l'époque, réservé aux sujets sérieux. L'accent y est mis sur les malheurs du temps. Ce genre est le plus approprié pour traduire des éléments de la polémique et des concepts politiques. Mais leur traitement est pathétique, fondé plutôt sur une image qui doit frapper l'imagination que sur une démonstration rigoureuse [44].

54 Telle est l'Élégie ou complainte que la France fait aux François, monstrant trois causes de guerres & misères de ce Royaume. Item le vray remede de les appaiser : Auec une instruction de bien cognoistre et remarquer les amateurs de la Paix, & repos d'icelluy, & les acteurs des guerres & vrays ennemis de la couronne. Il s'agit d'un poème anonyme, imprimé en 1568 et dédié à François III de La Rochefoucault (1521-1572), l'un des principaux chefs militaires du parti protestant et gendre de l'amiral de Coligny. Il est composé au début de la troisième guerre civile qui débute à la fin d'août 1568, à peine cinq mois après la signature de l'édit de pacification de Longjumeau. En fait, depuis sa publication, les chefs du parti protestant, le prince de Condé et l'amiral de Coligny, ne se présentèrent pas à la Cour. Depuis juin 1568, ils avaient formulé des plaintes sur les contraventions à l'édit [45]. Le roi avait affiché sa volonté de leur rendre justice, mais, en réalité, les deux partis se préparaient à l'action militaire. Les hostilités ouvertes commencèrent avec le départ du prince de sa résidence de Noyers, en signe de défiance. Dans ses Lettres et Requeste adressées au roi, il prétendait être la cible d'un complot et rendait le cardinal de Lorraine responsable de multiples transgressions de l'édit. Charles IX répondit en faisant publier l'édit de Saint-Maur, déclaré perpétuel et irrévocable, qui supprimait la liberté du culte réformé et ordonnait aux pasteurs de quitter le pays.

55 L'auteur de l'Élegie soutient clairement l'action du prince de Condé en reprenant les principaux points du modèle politique que construit le discours condéen. D'après lui, l'expulsion du cardinal de Lorraine, la restauration de la politique de tolérance et le respect des lois seraient les conditions indispensables d'une paix durable. Néanmoins, il ne cherche pas à défendre ni à développer ses affirmations, en actualisant les éléments de la réflexion politique que le lecteur doit apprendre d'autres sources. Ainsi, lorsqu'il soutient que tous les maux du royaume proviennent de l'irrespect de ses lois, le lecteur doit comprendre qu'il s'agit des lois fondamentales, principes directeurs de la monarchie française, que les penseurs contemporains distinguaient des lois énoncées par le prince [46] :

56

Car comme vn corps humain sans l'ame ne peut viure
Ainsi, semblablement, sans iustes Loix ensuiure,
Vn Royaume ne peut bien prosperer iamais [47].

57 Jamais clairement énumérées, ces lois reposent sur une tradition vieille de plusieurs siècles. Elles règlent la succession de la couronne (par exemple, hérédité, primogéniture, masculinité, indisponibilité) et proclament l'inaliénabilité de ses biens. L'idée que la transgression de ces lois quasi constitutionnelles ne peut aboutir qu'à la destruction de la monarchie est omniprésente pendant le xvie siècle [48]. Le poète s'appuie donc sur un lieu commun largement partagé. Il insiste surtout sur les conséquences de l'irrespect de la loi salique qui exclut de la succession royale les femmes et leurs descendants [49]. En la mentionnant au moment où le problème de la succession ne se pose pas, le poète condamne l'influence que Catherine de Médicis exerce sur la politique de Charles IX. La loi salique viserait, d'après lui, à empêcher aux femmes d'accéder au gouvernement effectif :

58

[...] vne femme se doit mesler de son mesnage,
Et non point se mesler d'vn Royaume, ny Empire,
Regir, ou gouuerner, de peur qu'il n'en empire :
Comme il m'est aduenu, depuis que Catherine
De Medicis a eu, helas ! Pour ma ruine
En France le degré, que femme n'eut iamais [50].

59 D'après le poète, la reine mère accumule tous les défauts de la nature féminine. Légère et influençable, incapable de se choisir de bons conseillers et de respecter les coutumes, elle s'est rapprochée du cardinal de Lorraine alors que les prélats devraient être exclus du Conseil. Le poète n'explique pas pourquoi, en supposant que cette critique vieille de neuf ans est déjà suffisamment connue du lecteur. En effet, un mémoire qui circulait à Paris en octobre 1559, prouvait que les prêtres et les cardinaux, dépendant de la juridiction du pape, ne devaient avoir « le principal gouvernement de l'État », car le roi ne pouvait pas les punir au cas d'abus [51]. De plus, le poète rappelle que la famille de Guise, à laquelle appartient le cardinal, convoite depuis longtemps la couronne [52]. L'évocation de ses éléments extérieurs lui sert à appuyer une thèse quasi constitutionnaliste : la loi salique serait une garantie contre l'imprudence politique.

60 Le poète fait également appel à la réflexion des juristes calvinistes sur le rôle éminent des princes du sang. Depuis la conjuration d'Amboise, ils insistent sur le droit biologique de ces derniers à participer au Conseil et même à exercer le gouvernement avant la majorité complète du roi qu'ils fixent à vingt-cinq ans [53]. Réclamer la tutelle d'Antoine de Bourbon et du prince de Condé, favorables aux protestants, sur François II, âgé alors de quinze ans, signifiait s'opposer à la politique répressive menée par les Guise. Si les princes du sang n'ont pas soutenu les conjurés en 1560, depuis le début des guerres, le prince de Condé se présente comme le défenseur « naturel » de la couronne et du roi abusé par ses conseillers [54]. Notre poète renvoie à ce discours en affirmant que les princes du sang doivent servir de garants au respect des lois et des droits des sujets et même « régir » le royaume de France aussi bien pendant la minorité que pendant la majorité du roi :

61

Ceci est dit à vous, ô Princes de son sang,
Et autres qui tenez de droit le premier rang
Pour bien & iustement son Royaume de France
Regir estant maieurs, ou bien en son enfance,
Pour doucement traicter & moy & ses subiects,
Non pas le tormenter par tant & tant d'effects.
Quand anciennement (comme sçauez) vn Roy
D'auenture vouloit aller contre vne loy,
L'enfraindre ou violer, soudain les Pairs de France [55]
S'opposoient à cela ne souffrant violence [56].

62 Cette affirmation justifie indirectement la prise d'armes par le parti du prince de Condé. Dans cette logique, Charles IX est présenté comme accaparé par sa mère et son méchant conseiller au point de commettre des erreurs politiques fatales. Si le prince de Condé fait son devoir, d'autres princes du sang soutenant la reine et le cardinal, dont le catholique Louis de Montpensier, sont accusés d'être les principaux responsables de la guerre.

63 En suivant les juristes calvinistes, le poète laisse comprendre que la violation de l'édit de Saint-Germain (dit de Janvier dans le texte, car il fut signé le 17 janvier 1562) fut à l'origine du conflit. Cet édit autorisait l'exercice du culte réformé à l'extérieur des enceintes urbaines et il était considéré, par les protestants, comme d'autant plus intouchable au moins pendant la minorité du roi qu'il était le fruit d'une décision collective des princes du sang, des pairs de France, des conseillers du roi et « des plus notables de toutes les cours des Parlements » [57]. Le poète présente la rupture de l'édit de Janvier, puis des édits de pacification, comme une faute majeure. Elle mettrait en péril l'honneur du monarque. Contrairement aux conseillers de Charles IX qui soutiennent que le roi est libre de casser les lois, pour notre poète le non-respect de la parole donnée menace de détruire l'autorité royale basée sur une sorte de contrat mutuel avec les sujets.

64 La tolérance civique est, pour lui, la seule bonne politique et le bon fonctionnement des institutions ne pourrait aboutir qu'à cette solution. La paix est nécessaire pour mettre fin aux ambitions des Guise. Protestant, le poète parle au nom du bien commun. Ainsi, il condamne les pillages des églises par les calvinistes, en considérant que les biens ecclésiastiques font partie de la richesse du royaume. Il fait, en outre, appel au sentiment national en suppliant les Français de s'unir pour ne pas devenir victimes des ambitions des pays voisins, aussi bien alliés du cardinal (l'Espagne) que des protestants (l'Angleterre, l'Allemagne). Il parvient donc à formuler son idéal politique sans développer de véritable raisonnement, en renvoyant le lecteur aux libelles et aux traités théoriques. Il montre son adhésion à la justification princière, mais apporte également quelques éléments nouveaux qui constituent l'originalité de son poème. Alors que la troisième guerre civile marque l'internationalisation du conflit et souligne ses origines religieuses [58], le poète condamne le recours aux forces étrangères, valorise le sentiment national, affirme que la politique de Catherine de Médicis nuit aux intérêts de tous les sujets, quelle que soit leur confession, et appelle la collaboration du prince du sang catholique, Louis de Montpensier. L'alliance des grands catholiques serait nécessaire pour empêcher la ruine politique du royaume. Le discours poétique permet donc d'exprimer une position, même si le lecteur doit chercher les preuves logiques, le logos, à l'extérieur du poème.

65 Le discours poétique mobilise néanmoins d'autres ressources de persuasion. Il sollicite l'imaginaire et les émotions en adoptant un langage métaphorique. L'Élegie et complainte se présente comme un discours prononcé par la France. Sa qualité de mère aimante constitue le principal point de son ethos : elle est également bienveillante envers ses enfants, qu'ils soient catholiques ou protestants. Le choix du personnage permet à l'auteur de souligner son impartialité. De plus, la métaphore d'une mère se lamentant de l'ingratitude de ses fils porte une grande charge émotionnelle qui doit susciter la compassion. Le poète plante le décor pathétique avant même de commencer le discours, en s'excusant devant le lecteur du manque de fluidité du style provoqué par l'émotion violente qui saisit la France. Cette introduction permet au lecteur de construire une image mentale qui, d'après les rhéteurs de la Renaissance, doit faire naître des passions [59]. Le registre visuel est constamment sollicité dans le poème. Ainsi, la France est présentée comme une suppliante qui cherche à confondre son adversaire, la maison de Guise, en montrant aux juges la multitude de ses enfants errants sur les chemins, privés de leurs habitations, de leurs biens et de leur famille. Enfin, son discours est ponctué par de multiples répétitions qui visent à augmenter la charge émotionnelle. On rencontre quatorze fois les mots qui ont pour racine « ingrat ». Ceux qui soutiennent le cardinal de Lorraine doivent se sentir coupables. Ce sentiment doit être amplifié par des exemples de héros romains qui se sont sacrifiés pour leur patrie. Le langage grave et proche de celui du sermon, appelle le lecteur à la repentance.

66 Grâce à sa longueur, le discours poétique permet d'exprimer une position assez nuancée et complète. Il nécessite néanmoins le recours aux connaissances intertextuelles. Il s'inscrit, le plus souvent, dans une logique de service, en donnant au poète l'occasion de faire preuve de sa capacité à traduire en langage pathétique et métaphorique un discours politique partagé par son protecteur, mais aussi de mettre en valeur ses qualités de conseiller.

Le coq-à-l'âne

67 L'épître du coq-à-l'âne est un genre poétique qui semble peu propre à recueillir une argumentation. Ce long poème en octosyllabes, à la rime plate, dont les propos ne présentent pas de suite logique, fut inventé par Clément Marot. Son éclectisme garantit au poète la plus grande liberté dans le choix des sujets : des allusions aux événements récents, aux problèmes religieux ou politiques, aux rapports de forces à la cour, dans le royaume ou encore dans la chrétienté. Sa poétique, caractérisée par l'utilisation des proverbes, des mots familiers, voire grossiers, et du ton ironique, lui a valu le nom de « satyre françoise » [60]. Les imitateurs de Marot ont inventé de nouveaux titres tels que Asne au coq, Coq au lievre, Crapaud à grenouille, Coq aux veaux, etc. Il est difficile d'évaluer le degré de popularité du genre, car ces poèmes sont rarement imprimés. Henry Meylan donne une liste d'au moins douze poèmes écrits avant 1561 [61]. Les fonds de la Bibliothèque nationale de France conservent au moins une trentaine de poèmes relatifs à la période de 1562 à 1598 [62].

68 Le coq-à-l'âne adopte la fiction d'une lettre qui apprend les dernières nouvelles à un ami intime. Le pronom personnel est omniprésent dans le texte et la sincérité de l'auteur est soulignée : « En vous escripvant, je pensoyes// Comme le soir l'on en devise »[63]. Malgré cela, il s'agit moins d'un avis personnel que d'une traduction du discours collectif. Le coq-à-l'âne est, par excellence, un genre poétique de mécontentement, la fiction de la lettre privée et un air de folie que lui procure l'incohérence des propos permettant de tenir un discours inconvenant. Ainsi, les deux groupes les plus importants de coq-à-l'âne expriment la position des catholiques intransigeants qui dénoncent la politique royale dans les années 1566-1568 et celle des politiques qui critiquent le discours ligueur dominant dans les années 1584-1585.

69 Les épîtres du coq-à-l'âne des guerres de Religion sont, avant tout, des textes de persuasion. Prenons pour l'exemple l'Asne au coq manuscrit composé dans l'été de 1567. Dès les premières lignes, l'auteur critique l'article de l'ordonnance de Moulins préparé à l'initiative de Michel de l'Hospital, chancelier de France, interdisant de publier tout livre qui n'a pas obtenu la permission du roi et rendant obligatoire l'obtention du privilège [64]. L'auteur y voit, probablement, le moyen de faire taire ceux qui s'opposent à la politique de tolérance menée par le roi et son conseil. La fin de ce passage semble faire allusion à la vénalité du chancelier :

70

Maistre Michel avec sa cyre
En a despéché ung ecdict
Par lequel il est interdict
Aux gens de bien et de science
Qui sont au royaulme de France
De riens faire imprimer sans luy
Qui leur sert d'un maulvais appuy.
Mais il m'a donne privillège
Et à tous ceulx de mon collège
D'en faire à nostre volonté.
Il ne nous sera pas osté
Car nous avons payé finance [65].

71 Le poète fait ensuite allusion à la construction du palais et à l'aménagement du jardin des Tuileries entrepris par Catherine de Médicis vers 1565. Ce passage peut paraître neutre à un lecteur qui ignore que la reine mère s'était attirée de vives critiques de la part des Parisiens pour ses dépenses consacrées à une entreprise jugée inutile, alors que les dettes du roi restaient impayées. De plus, l'auteur semble souligner l'impiété de la reine qui se préparait à démolir l'église de Saint-Thomas-du-Louvre qui se trouvait sur le territoire acquis pour réaliser son projet [66] :

72

Nous avons beau nous promener
Tout droict du Louvre aux Thuilleries
Et faire là noz singeries.
[...] on ayt razé Sainct Thomas.
Les vielles cours sont mises bas,
On en aura plus belle veue [67].

73 Le passage suivant traduit un autre grief du discours catholique qui concerne la politique de Catherine de Médicis à l'égard de la noblesse. Depuis le tour de France, la reine et le roi anoblissent davantage et élargissent l'attribution des honneurs, visant ainsi à insérer les gentilshommes dans un système de dons et de contre-dons, pour revitaliser les liens de fidélité personnelle de la noblesse [68]. La politisation de ces pratiques sonne la fin de la noblesse qui, aux yeux des contemporains, ne s'acquiert que par un long et fidèle exercice des armes :

74

Mais je ne sçay moy que la menu
De faire tant de chevaliers
Qui n'estoient que pallefreniers
Et n'ont faict acte de vitesse [69].

75 Puis le poète passe à la dénonciation des financiers italiens, « favoris » de Catherine de Médicis. La reine mère entretient effectivement de nombreuses relations avec les familles italiennes, créditeurs de la monarchie française. Elle se rapproche, par exemple, d'Albert de Gondi, membre d'une famille de financiers florentins établie à Lyon. En 1565, elle le marie avec Claude Catherine de Clermont, issue de la grande noblesse, qui lui donne le titre de comte de Retz. En 1566, il devient le premier gentilhomme de la chambre de Charles IX et bénéficie de l'entière confiance de la reine. Son avancement coïncide avec une vague de procès pour la banqueroute et le détournement d'argent intentée devant le Parlement de Paris contre les marchands et les banquiers italiens [70]. Le passage suivant fait référence à ce contexte italianophobe :

76

N'est ce pas à faire à madame
D'enrichir ses bons serviteurs.
Il y a quelques créditeurs,
Petit coq, qui ont les despouilles
De tes poussins et de tes poulles
Et les portent en Italye [71].

77 Les citations qui ont été proposées jusqu'ici dans l'ordre de leur apparition dans le texte montrent que c'est au lecteur de reconstituer l'ensemble du discours à partir des éléments disparates de la critique. En effet, le petit coq, mentionné dans ce passage, renvoie à Charles IX, présenté comme ignorant des abus de sa mère. Le poète prétend donc l'avertir du véritable état de ses affaires et de lui indiquer la bonne politique à suivre. Ainsi, quelques lignes plus bas, il lui signifie l'existence d'une conjuration protestante :

78

Et sy je ne suys qu'une beste,
J'ay grand poeur qu'on toste la creste,
On y a bien desja tasché [72].

79 Cette allusion à la première tentative de l'usurpation de la couronne par les protestants renvoie au tumulte d'Amboise et à la première guerre de Religion. Le lecteur doit sauter encore quelques passages pour trouver une autre preuve de ce dessein sinistre :

80

Mais ung syen assasinateur
A esté rompu sur la roue.
Ho ho qu'est ce cy ho ho moue
Soubstenu à jusqu'à la mort
Que l'admiral avoit le tort [73].

81 En effet, le journal de Jean de La Fosse, curé parisien, nous apprend qu'en 1566 Simon de May, un voleur condamné à la roue, cherchant à se sauver, accusa l'amiral de préparer l'assassinat du roi [74]. Cette tentative fut inutile et il fut exécuté, mais le poète semble accorder foi à ses déclarations. Il accuse également les protestants d'être des régicides : ils auraient frappé des médailles représentant la tête d'Henri II, transpercée d'une lance. Néanmoins, les mauvais conseillers du roi l'empêchent de prendre conscience de la gravité de la situation. L'auteur attaque surtout la reine mère qui joue sur la rivalité des partis [75]. Il accuse également François de Montmorency, gouverneur de Paris et d'Ile-de-France, cousin des Coligny, de vouloir s'emparer de l'autorité royale [76]. En guise de preuve, il fait allusion à un libelle de Louis Regnier de La Planche, le secrétaire du gouverneur qui a soutenu sa cause dans la querelle qui l'a opposé au cardinal de Lorraine à partir de janvier 1565 [77]. D'après le poète, François de Montmorency qui a refusé de laisser le cardinal entrer dans la capitale accompagné de son escorte armé, aurait dépassé ses pouvoirs. Son père, le connétable de Montmorency, est également accusé de trahir la cause catholique en soutenant son fils, catholique modéré, et ses neveux protestants, Coligny-Châtillon. Le poète appelle Charles IX à chasser ces serviteurs infidèles et à se rapprocher des champions catholiques, le cardinal de Lorraine et son jeune neveu Henri de Guise, pour l'instant éloignés de la cour. Il l'exhorte d'ordonner aux huguenots de retourner à la messe et lui promet l'aide des Parisiens. L'épuration du royaume lui permettrait de remédier à tous les autres abus qui s'y commettent.

82 Ainsi, l'assemblage d'anecdotes et d'allusions, à première vue incohérent, forme un discours persuasif. Les références à des événements déjà connus constituent un ensemble de preuves et le lecteur est invité à formuler des arguments et à les remettre dans l'ordre. Ce procédé met la preuve en valeur, invite le lecteur à y réfléchir et, la forme poétique aidant, à l'apprendre par coeur. Il pourrait ensuite l'utiliser dans une conversation amicale ou dans une dispute. Le coq-à-l'âne présente un excellent entraînement à la recherche, à la reconnaissance et à la mémorisation des arguments et des preuves.

Sonnet et épigramme

83 Les formes poétiques brèves, de moins de quatorze vers, forment l'essentiel du corpus de la poésie diffamatoire de l'époque. Ils demandent un temps d'écoute court et sont immédiatement accessibles à l' il, comme un tableau. Il s'agit surtout d'épigrammes ou de sonnets. D'après Peletier Du Mans, l'épigramme est un

84

genre d'écrit, connu et pratiqué de tout temps, et presque en toutes langues : par ce qu'il est bref, familier : et capable tant de facéties que de choses sérieuses [78].

85 Le nombre de syllabes doit être adapté à la matière, huit pour les sujets plus légers et dix pour les plus graves [79]. Sa caractéristique la plus typique est la « pointe », la nécessité de conclure le poème de façon inattendue. Le latin reste très largement l'apanage de l'épigramme [80] ce qui facilite sa circulation internationale. Mais les traductions et les poésies en français ne sont pas rares. Pratiquée comme un exercice scolaire dans les collèges, l'épigramme est, en principe, accessible aux anciens élèves [81]. Le sonnet, une poésie à forme fixe de quatorze vers répartis en quatre strophes, s'apparente à l'épigramme aussi bien par sa forme brève et ramassée que par l'exigence d'être « illustre » en conclusion. Il est élaboré en Sicile, au xiiie siècle, et introduit en France par Clément Marot et Mellin de Saint-Gelais [82]. D'après Thomas Sébillet, le sonnet est une poésie « qui reçoit plus proprement affections et passions greves » [83]. Le choix du sonnet pour un contenu satirique ne compromet pas sa « gravité » : Joachim Du Bellay qui commence à composer des sonnets satiriques après son séjour à Rome (1553-1557) adopte le style élevé pour souligner la gravité des vices de la cour pontificale ou pour les ridiculiser [84].

86 Trop brefs pour pouvoir développer une argumentation dans un récit, ils sont construits autour d'un argument ou d'un lieu qu'ils tirent d'« une topique, d'un fond culturel ou psychologique commun » [85]. L'épigramme et le sonnet sont donc capables d'élaborer ou de faire circuler des lieux (topoï) du discours politique. Rapportons-nous à quelques poésies protestantes qui dénoncent la tyrannie du cardinal de Lorraine (1559-1560). Quelques poèmes attaquent le cardinal en construisant leur développement autour de son emblème et de sa devise. Créé en 1547, lorsque Charles de Lorraine portait le titre d'archevêque de Reims, son emblème représente une pyramide couronnée d'un cercle et d'un croissant (symbole des prétentions impériales d'Henri II) et entourée de lierre. Cette image commentée par la devise Crescam et te stante virebo signifie que l'archevêque cardinal (lierre) espérait maintenir et augmenter sa grandeur par la faveur du roi (pyramide). En 1559, cette image sert à dénoncer la tyrannie du cardinal :

87

Ta devise de lyerre est bien propre pour toy,
Cardinal ruyneux, et n'y a que redire,
Car, si nous l'entendons, lyerre tu te veux dire,
Et par la pyramide est entendu le roy.
Jamais on ne planta lyerre contre paroy,
De luy mesme il vient, l'embrasse et s'en fait sire :
Tout ainsy on t'a veu toy mesme t'introduire
A lier nostre prince et à luy donner loy.
Lyerre semble enrichir le mur et le tenir,
Mais en la fin il le fait en ruyne venir,
S'on ne l'arrache avant que dans la pierre il mine :
Tu seras arraché, car miner on te void
Desjà la pyramide et un chascun prévoit
Qu'en vain tu n'es nommé Charles DE LA RUINE [86].

88 Le sonnet accuse le cardinal d'usurper le pouvoir royal : il tient le roi en captivité en l'empêchant de gouverner librement. Le poète fait également allusion aux abus du cardinal chargé de redresser les finances du royaume. Enfin, il l'avertit de sa chute prochaine et démontre qu'il est nécessaire d'agir pour prévenir la totale ruine du royaume. Le sonnet investit l'image du lierre entourant la pyramide d'une lourde signification. Plusieurs libelles reprennent ce lieu métaphorique, sans nécessairement expliquer sa signification, connue grâce à d'autres sources d'information [87].

89 Si ce sonnet développe une seule image dénonciatrice, un autre poème, composé après le tumulte d'Amboise, renvoie, par allusion, à l'ensemble de la critique dirigée contre les Guise.

90

Pour les puis-nez & cadets de Lorraine
Fault-il avoir si souvent des assaux,
Fault-il qu'un peuple endure tant de maux,
Si que du tout il soit mis en ruine.
Est-ce raison que l'estranger domine
Le legitime, à force & violence,
Est-ce raison que nos princes de France
Soyent dechassez & leur bien butine ?
O faulse rasse, & tygres de Guysars !
On sçait assez que vieux traistres renards
Ainsi que vous sont tous prestz à mal faire.
Mais tous ces maux vous seront chers venduz,
Car comme Aman au bois serez penduz
Qui fut dressé pour l'innocent deffaire [88].

91 Les cinquième et sixième lignes font référence à l'accusation formulée à l'adresse des Guise d'avoir usurpé les droits des princes du sang, seuls conseillers légitimes du roi pendant sa minorité. L'épithète « étranger » ravive l'imaginaire de l'époque selon lequel un étranger est un être potentiellement dangereux parce que le climat, les lois, les coutumes et les m urs de son pays d'accueil ne correspondent pas à son naturel. Il ne peut pas l'aimer et entretient avec lui des relations de pur profit. Ensuite, le poète fait comprendre que les Guise tiennent leurs charges non pas par la faveur du roi, mais « à force & violence ». Il s'agit donc d'une usurpation. De plus, le début du sonnet fait sentir l'absurdité des prétentions des Guise. Ils sont des « puis-nes », c'est-à-dire qu'ils appartiennent à la branche cadette des ducs de Lorraine. La maison de Lorraine descendant de Yolande, fille de René d'Anjou (1409-1480), sa branche aînée prétendait au duché d'Anjou et au comté de Provence. Ces terres faisant partie du domaine royal, la France ne reconnaissait pas ces prétentions [89]. Elle doit donc encore moins reconnaître celles des Guise que les réformés accusent de vouloir s'en emparer, en se basant notamment sur quelques tentatives du cardinal et de son frère de faire figurer Anjou dans leurs titres honorifiques. Toutes ces allusions servent à prouver la réalité de leur intention d'usurper la couronne. Le poète indique également que les Guise se sont rendus coupables de la tyrannie d'exercice. Ils ruinent le peuple et projettent d'assassiner un « innocent », le prince de Condé, arrêté sur l'ordre du roi à l'automne 1560 et accusé d'avoir préparé une conjuration. Ni les biens, ni la vie des sujets ne peuvent donc être garantis dans le royaume soumis à la tyrannie des Guise. La troisième strophe fait allusion au célèbre libelle, l'Epistre envoyée au Tigre de la France (1560), attribué à François Hotman [90]. Ce texte est le premier à qualifier le cardinal de Lorraine de « tigre ». Il propose un ensemble de preuves pour persuader le lecteur que le cardinal est un tyran qui a conspiré pour la ruine du royaume et la mort du roi, corrompu la justice et dérobé les finances. C'est un meurtrier, un athée accumulant les bénéfices, un homme incestueux. La métaphore animale renvoie le lecteur à l'argumentation du libelle qui a coûté la vie à son imprimeur, Martin Lhommet [91]. Le poème s'achève par l'évocation d'un exemple biblique qui prédit aux Guise leur ruine. Aman, favori et ministre d'Assuérus, roi des Perses, obtient de lui un décret contre les Juifs et fait construire un gibet pour pendre son ennemi Mardochée. Mais Dieu protège son peuple : les Juifs sont sauvés grâce à l'intervention d'Esther, fille de Mardochée et épouse d'Assuérus, qui rappelle à son mari les services rendus par son père. Finalement, Aman est pendu au gibet qu'il avait fait construire pour un autre. Cet exemple sous-entend que Dieu qui prend soin de son peuple affligé renversera les tyrans et ouvrira les yeux du roi. Ce sonnet apparaît donc comme un condensé du discours politique. Incapable d'expliquer ou de prouver, il fournit, en revanche, au poète et au lecteur avertis un moyen d'exprimer leur adhésion.

92 L'épigramme fonctionne également par allusion à un discours extérieur. Le plus souvent, elle décrit une situation qui constitue une preuve capable de confirmer les arguments préexistants. Ainsi, le célèbre quatrain

93

François [premier] predit ce point
Que ceux de la maison de Guyse
Mettroyent ses enfans en pourpoint
Et son peuple en chemise [92],

94 doit confirmer le danger que présentent les Guise pour le royaume. Cet épisode est mentionné dans de nombreux libelles d'après la conjuration d'Amboise, sans qu'on puisse savoir si l'épigramme leur est antérieure. Les écrivains protestants exploitent une relative perte d'influence des Guise à la fin du règne de François Ier. Sur son lit de mort, le roi aurait supplié son fils, futur Henri II, d'éloigner cette famille, néfaste pour le royaume. Cette preuve tire son autorité morale de l'importance de la personne ayant prononcé le jugement et de ses circonstances. Le roi, premier chef de justice, à l'approche de la mort et donc du jugement de Dieu, ne peut pas se tromper.

95 Les formes brèves s'affirment comme une réaction littéraire du poète face à un discours ou à un événement. De nombreux libelles sont accompagnés d'épigrammes et de sonnets. Le faux visage découvert de fin renard de France (1589) comporte onze poésies sur des thèmes développés dans le corps du texte. Elles mettent en scène l'approbation de l'entreprise de l'auteur par des poètes qui constituent son premier public et qui invitent le lecteur à lui accorder sa bienveillance. Les événements symboliques qui peuvent être interprétés comme des présages ­ la maladie, l'apparition d'une comète, le tremblement de terre ­ provoquent également l'écriture poétique. Ainsi, en 1573, Théodore de Bèze compose une épigramme latine qui associe le passage d'une comète à la prochaine ruine du roi de France. Le chef spirituel des calvinistes est loin de croire aux présages, mais il profite de ce lieu commun littéraire pour souligner que la tyrannie de Charles IX ne peut qu'attirer sur lui la colère de Dieu. Il a été suivi par d'autres poètes. Pierre Charpentier, écrivain au service du roi de France, considère ces poésies comme une tentative de diminuer le pouvoir de Charles IX et de le rabaisser aux yeux des Princes voisins :

96

Et sur vn nouveau Comete qui apparut, ils prindrent vn sujet de risée contre pieté d'escrire en vers contre le Roy ; et par icelui firent courir vn bruit qu'il estoit denoté la mort du Roy, la ruine du Roiaume, & le changement de l'estat pour tout certain : Non pour autre fin que pour plus aisement persuader aux sujets affectionnez & loiauls enuers leur Roy, qu'ils n'eussent plus à s'apuier par ci apres desus luy[...] & pour plus aisément atirer aussi les nations estrangeres comme au pillage ou au festin des funerailles de ce Royaume [93].

97 Le sonnet et l'épigramme permettent donc d'exprimer une appartenance politique ou religieuse en créant de nouvelles images ou en en développant d'anciennes pour confirmer le discours préexistant. Ce sont des formes poétiques privilégiées pour les exercices de variation et d'imitation. La variation, art de la reformulation d'un thème sous de multiples formes, est largement pratiquée dans les collèges. Elle favorise, à la fois, l'esprit de compétition et de communauté, les élèves concourant autour d'un sujet commun. L'imitation consiste à proposer un modèle d'éloquence et à reproduire aussi bien l'esprit de l'oeuvre que des particularités techniques de construction, de présentation et de style. Elle rapproche l'élève de son modèle [94]. Les anciens collégiens de la Renaissance transforment les exercices scolaires en pratiques de sociabilité politico-littéraire. L'échange de poésies qui développent les mêmes thèmes, est perçu comme un moyen d'affirmer la cohésion d'un groupe et le partage des valeurs. Cette façon de faire explique l'existence de grappes de poèmes qui concourent autour des mêmes lieux communs, comme ce groupe de poésies catholiques qui rivalisent d'ingéniosité pour décrire les mutilations du corps de l'amiral de Coligny tué pendant le massacre de la Saint-Barthélemy. Léger Du Chesne, Jean Dorat, François de Belleforest et encore quelques poètes anonymes s'interrogent sur la correspondance du destin de chaque membre de ce « cadavre merveilleux » aux crimes commis par le chef des huguenots [95].

98 Les échanges poétiques semblent jouer un rôle très important dans la sociabilité des hommes appartenant aux milieux cultivés : ecclésiastiques, officiers, représentants des professions libérales. Le Registre-Journal de Pierre de L'Estoile, audiencier au Parlement de Paris, témoigne de l'intensité de la circulation des poèmes dans son milieu professionnel. Une note de son recueil de poésies manuscrites nous apprend qu'elles sont perçues comme un moyen d'exprimer son opinion politique. L'Estoile raconte qu'un de ses amis lui avait procuré un texte extrêmement injurieux contre le roi, un traité monarchomaque qui proclame la souveraineté du peuple, probablement le Politique : Dialogue traitant de la puissance, autorité et du devoir des Princes. Deux ou trois jours plus tard, les deux hommes se rencontrent à nouveau pour discuter sur le « devoir du Roy envers ses subjects, et des subjects envers leur Roy ». L'ami du collectionneur lui offre alors un sonnet de sa composition qui résume les conclusions de leur débat [96].

99 En divertissant, en offrant un sujet à des discussions et en affichant les opinions des participants, les poésies de formes brèves jouent un rôle important dans la sociabilité et dans la formation de l'identité des hommes appartenant aux milieux lettrés.

Chanson politique

100 La chanson demeure le genre poétique le plus accessible grâce à la clarté de son message et à sa transmission orale. La chanson religieuse, amoureuse ou politique est très largement pratiquée au xvie siècle. Elle n'a pas obligatoirement un caractère « populaire » et fait partie de la culture curiale. Il s'agit toutefois d'un genre familier, éloigné de la poésie érudite. Ses capacités didactiques sont rapidement mises en service par les ministres protestants qui l'utilisent pour disqualifier les prêtres et le culte catholique et pour résumer les points de la « pure » doctrine [97]. Les catholiques les suivent de près [98]. Son public semble se définir moins par son identité sociale que par ses compétences et ses attentes culturelles ; il s'agit surtout des « demi lettrés » et des illettrés qui ne lisent pas de traités ou de livres sacrés, par incapacité ou par ennui. Les nobles et les courtisans en font partie à côté des bourgeois, des marchands, des artisans et du peuple. La chanson politique semble leur fournir des connaissances minimales sur la vie publique de l'État.

101 La chanson joue, de plus, un rôle important dans la sociabilité des groupes socioculturels différents. Dans la fiction du Banquet et après disnée du conte d'Arete du célèbre avocat de la Ligue Louis Dorléans (1594), la fille de l'hôte, Cariclée, âgée de « dix à onze ans », divertit la compagnie en chantant une chanson ligueuse [99]. Cette situation fictive semble symptomatique. La chanson permet la manifestation du zèle d'une personne étrangère à la science théologique et politique, mais innocente et pure. Tous les invités ­ des gentilshommes, des ecclésiastiques, des magistrats et des dames ­ l'écoutent avec plaisir. Le chant symbolise le partage des valeurs essentielles et donne le ton à la conversation. Si la volonté didactique de la chanson est évidente, elle ne rebute pas pour autant le public instruit qui doit trouver dans la répétition des « vérités » simples une sorte de communion politique.

102 Avant 1589, la chanson est rarement imprimée séparément [100]. Pour la période de la Ligue parisienne, j'ai pu retrouver onze chansons imprimées sur un placard [101]. Disposée en deux ou trois colonnes sur une feuille in-folio, sans nom d'auteur ni lieu d'impression, la chanson est alors accessible gratuitement sur la place publique. Mais la plupart des chansons parvenues à nos jours sont rassemblées dans des recueils assez volumineux, de soixante à trois cents pages, mais de petite taille (145 x 100) qui permet de glisser l'objet dans une poche. Il semble destiné au lecteur aisé et conçu pour pouvoir accompagner partout son propriétaire.

103 Le Beau recueil de plusieurs belles chansons spirituelles, avec ceux des Huguenots heretiques et ennemis de Dieu, & de nostre mere saincte Église, composé par le bourgeois Christophe de Bordeaux et le prêtre Léger de Bontemps, ressemble au manuel d'un catholique parisien exemplaire. Alors que les chansons spirituelles enseignent les principaux points de la différence doctrinale entre les catholiques et les protestants, les préceptes moraux et les normes du comportement, les chansons politiques [102] proposent des récits simplifiés des événements marquants des dix dernières années : des morts vertueuses et chrétiennes d'Henri II et du duc François de Guise, le massacre de Wassy (1 mars 1562), l'expulsion des ministres protestants de Paris (mars-avril 1562), les exécutions exemplaires des huguenots, l'édit royal instaurant l'unité de culte, les sièges et les batailles des trois conflits militaires etc [103]. Se dessine ainsi l'histoire providentielle des victoires catholiques. D'autres chansons diffament les hérétiques. Celles qui ont été composées avant 1567 attaquent des ministres protestants et les chansons postérieures s'en prennent aux chefs nobiliaires. Christophe de Bordeaux rassemble des informations provenant de différents registres et enseigne aux fidèles les rudiments de la culture politique de la même façon que les chants spirituels les instruisent pour les préserver de l'hérésie.

104 En revanche, la confrontation entre la Ligue catholique et les rois Henri III, puis Henri IV, donne naissance à des chansons qui traduisent la réflexion politique. Quelques chants contenus dans le Recueil de plusieurs excellentes chansons qu'on chante à présent, traittant partie de la guerre, partie de la Saincte-Union (1590) [104], mettent en musique les arguments des juristes de la Ligue. Ainsi la Chanson nouvelle qui donne la parole à la duchesse de Nemours, mère du duc et du cardinal de Guise assassinés sur l'ordre d'Henri III, évoque les raisons qui ont permis à la Faculté de Théologie de Paris de délier les sujets de leur serment d'obéissance (atteinte à l'immunité des députés des États généraux et le viol de l'édit de l'Union au préjudice de la religion catholique [105]) :

105

Tu as couuert ta trahison mauditte,
D'vn feint semblant conuoquant des Estats.

106 et

107

Tu veux occir nostre mere l'Église,
Faisant mourir son soutien & appuy [le duc et le cardinal de Guise],
Afin qu'après l'heretique maistrise,
C'est ton destin, on le void aujourd'huy.
Aux Huguenots tu fais plus de secours
Qu'aux gens de bien, du grand Dieu seruiteurs.
Dedans Rouen pour palier ta rage,
Feis vn Edict tres-Catholique & sainct,
Donnant ta foy au sanct clergé pour gage,
Semblant ton coeur enuironné & ceint
D'vn bon vouloir humain & cordial,
Mais on le void cruel & desloyal [106].

108 La chanson réfute l'affirmation royale selon laquelle les Guise ont été exécutés pour prévenir un complot. D'après les écrivains ligueurs, le roi n'a pas le droit de vie ou de mort sur ses sujets et l'exécution d'un officier de la couronne sans procès serait un acte contre le droit divin et humain [107]. La chanson clame, elle aussi, l'illégalité de cette exécution :

109

Si mes enfans t'auoient commis offence
Ou au pays fait faute ou trahison,
N'y a-il pas des Mareschaux de France
Et du conseil pour en faire raison ?
N'y a-il pas des Courts de Parlement
Pour à chacun donner vray iugement ? [108]

110 Elle rappelle, de plus, que le roi n'a pas le droit d'exécuter les prêtres, sans néanmoins expliquer que le droit canon soustrait les prêtres de la juridiction du monarque [109]. La chanson traduit les arguments juridiques en langage pathétique. Ainsi le crime d'Henri de Valois serait aggravé par son ingratitude : le cardinal de Guise l'avait sacré roi de France et le duc de Guise lui avait conservé sa couronne lorsqu'il était en Pologne. La chanson fait donc appel au sentiment de justice de son auditeur qui comprend que le roi est coupable parce qu'il a favorisé l'hérésie et perfidement tué le cardinal, personne sacrée, et le duc, son meilleur serviteur.

111 La volonté didactique est parfois encore plus évidente. Les regrets lamentables du Clergé, sur la mort violente de Monseigneur le reuerendissime Cardinal de Guise expliquent l'inconsistance de la justification d'Henri III de façon très détaillée. La chanson apprend que la loi de l'Église interdit au roi de juger un prêtre :

112

Il n'appartient de iuger,
Ni le proces decider,
A vn iuge Politique
Contre vn Ecclesiastique.
S'il auoit fait quelque excez,
Que ne faisoit on son procez,
Et enuoyer sa personne
Prisonniere iusque dans Rome [110].

113 Ce crime est passable d'excommunication :

114

De nous tous procederons
D'excommunication,
Contre le faux parricide
Qui a fait tel homicide [111].

115 Contrairement aux libelles qui s'attachent à prouver le bon droit de l'excommunication d'Henri de Valois, la chanson ne cherche pas à développer ce type d'arguments mais instruit le lecteur d'une manière catéchétique.

116 La chanson peut donc accueillir aussi bien la description d'un événement que l'explication d'un argument polémique. Elle se caractérise par une position pédagogique de l'auteur. Le travail d'adaptation consiste dans la simplification des récits ou des réflexions qui sont épurés des détails et des exemples. Les auteurs optent pour un message clair, cohérent, émotionnellement chargé et aisé à retenir : en jouant sur la simplification des dispositifs cognitifs des lecteurs, les recueils des chansons politico-religieuses semblent proposer une quintessence ou un compendium des connaissances dans ce domaine. Le véritable engouement pour la chanson se développe particulièrement pendant les années 1589-1595, alors que l'effort de la propagande ligueuse et royaliste atteint ses sommets. C'est le genre le plus adapté à la large diffusion du message politique.

117 Malgré sa complexité technique, la forme poétique laisse plus de liberté dans le choix du sujet et des modalités de son traitement que le discours en prose. Il permet surtout au poète occasionnel de dépasser sa condition sociale et de toucher aux questions les plus diverses en justifiant sa démarche par l'inspiration poétique. Face à la poésie, il ne faut pas s'attendre à une expression claire, logique et structurée des idées politiques. Mais cette incapacité de proposer un discours spécialisé laisse, en revanche, la possibilité de manifester son opinion, son adhésion ou, au contraire, son désaccord, sans construire un système mais par référence à la réflexion politique préexistante.

118 La variété des formes poétiques renvoie à la multiplicité des pratiques culturelles, politiques, sociales et littéraires. Il s'agit d'une large palette de structures de communication qui possèdent aussi leur imaginaire propre. Plus ou moins complexes, elles sont destinées à différents groupes socioculturels. Alors que la compréhension de l'épigramme exige souvent une bonne culture latine, la chanson apparaît, au contraire, comme un instrument pédagogique par excellence. Par conséquent, chaque genre est plus ou moins adapté à certains usages. Ainsi le discours poétique est plus idoine à exprimer une relation de service ou de conseil, le coq-à-l'âne traduit une posture d'opposition, les formes brèves permettent de réagir aux événements ou aux discours et de participer aux concours poétiques, alors que la chanson, tout en offrant l'opportunité de « communier » avec un groupe, correspond à merveille aux objectifs de propagation du message politique auprès des milieux des demi-lettrés ou analphabètes. En suivant ces différentes façons de présenter l'information, on s'aperçoit à quel point ces écrits satellites constituent des instruments essentiels à sa mémorisation, à son assimilation ou encore à l'éducation et à l'expression de l'appartenance. En faisant l'objet d'échanges intenses entre les particuliers, les poèmes participent à la diffusion de la culture politique et à l'expression personnelle dans une plus large mesure que le discours en prose.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 01/01/2011.

https://doi.org/10.3917/rfhip.026.0024

Notes

  • [1]
    Tatiana Debbagi Baranova est docteur en histoire moderne et contemporaine.
  • [2]
    La rupture entre le Paris ligueur et Henri III s'est produite après l'exécution du duc et du cardinal de Guise aux États généraux de Blois (les 23 et 24 décembre 1588). En éliminant ses puissants adversaires politiques, le roi a violé l'immunité dont ils bénéficiaient en tant que députés. Il s'est surtout attaqué aux grands perçus par les catholiques comme les principaux protecteurs de la Religion. De plus, le cardinal de Guise relevait de la juridiction du Saint-Siège et, selon le droit canon, le meurtre d'un cardinal était passible d'excommunication. C'est sur cette base que le 7 janvier la faculté de théologie de Paris a délié les sujets de leur serment d'obéissance au roi.
  • [3]
    Le Faux visage 1589, p. 24.
  • [4]
    Pineaux 1971.
  • [5]
    Poétiques 2001, p. 53-86.
  • [6]
    Voir, par exemple, ses traités De divine furore, Phèdre, Théologie platonicienne (XIII, 2).
  • [7]
    Abrégé de l'Art poétique français (1565), voir Traités 1990, p. 431.
  • [8]
    Traités 1990, p. 225.
  • [9]
    Voir sur la poésie d'éloge Poétiques 2001, p. 361-163 et Debbagi Baranova 2003.
  • [10]
    Skinner 2001, p. 321-327.
  • [11]
    Viala 1985.
  • [12]
    Crouzet 1990, t. II, p. 121.
  • [13]
    Dictionnaire des lettres 2001.
  • [14]
    Nouvelet 1572, fo 2.
  • [15]
    L'expression tirée du traité Sophilogium de Jacques Le Grand (1475).
  • [16]
    Simonin 1992, p. 124-127.
  • [17]
    Discours sur la mort 1572, fo 12.
  • [18]
    Une chronique rouennaise qui décrit la procession solennelle faite le jeudi 4 février 1535 parle de l'association de « Jhesu Maria fondée à Bonnes Nouvelles, vulgairement dicte l'association des Conartz », Rosse 2003, p. 409.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Triomphes 1587, p. 67-68.
  • [21]
    Babelon 1986, p. 320-321.
  • [22]
    Le parlement rédige des remontrances dans lesquels il affirme que les magistrats sont les seuls capables de discerner l'équité, grâce à leur formation juridique. Houllemare 2005.
  • [23]
    NAF, 1870, fo IIIIxx IV.
  • [24]
    Par exemple, le ms. fr. 25567, fo 167 contient deux épigrammes contre Monmineau, auditeur des comptes, élu échevin en 1581, et contre le président de Nully qui briguait la charge de prévôt des marchands. Un Coq à l'asne d'un Parisien (ms. fr. 4897, ffo 153-154) dénonce les dernières élections des échevins (août 1566), lorsque le roi a imposé ses candidats pour empêcher les catholiques intransigeants d'accéder aux charges. On trouve également de nombreuses poésies qui attaquent les magistrats vicieux dans le journal de l'audiencier du parlement de Paris, Pierre de L'Estoile. Voir L'Estoile 1992-2006.
  • [25]
    Entreprise qui avait pour but de convaincre le roi à se séparer des Guise. Révélée à la cour par un traître, Des Avenelles, elle échoua. La répression fut impitoyable. Histoire 1998.
  • [26]
    La Planche 1875, p. 217.
  • [27]
    Ibid.
  • [28]
    NAF 1870, ffo LVIII vo-LX vo.
  • [29]
    « On dict qu'un roy [...] ne doibt poinct faire estat// D'un rebelle vassal, ne d'un trahistre appostat », ibid., LIX vo.
  • [30]
    Déjà en 1575, Pierre de L'Estoile insère dans son Registre-journal un sonnet accusant le roi d'homosexualité ; c'est la façon de dénoncer sa proximité avec ses favoris. Voir L'Estoile 1992, t. I, p. 166, note du mai 1575.
  • [31]
    Voir Constant 1996, p. 107 et Crouzet 1990, t. II, p. 292.
  • [32]
    Poétiques 2001, p. 386.
  • [33]
    Traités 1990, p. 276.
  • [34]
    El Kenz 1997, p. 81.
  • [35]
    Pineaux 1971, p. 127.
  • [36]
    Ibid., ffo VI et VIII.
  • [37]
    Ms. fr. 22560, ffo 18, 30-32, 40, 49, 53- 54, 59, 74, 110, 112, 113, 118, 159, 167, 268, et ms. fr. 10304, p. 50-59, 62, 137-142, 144.
  • [38]
    Les ministres de Genève ont toujours essayé de contenir les fidèles les plus radicaux. Néanmoins, une certaine distorsion existe entre, d'une part, le protestantisme « officiel » de Calvin et ses proches et, de l'autre, l'action collective de certains fidèles. Crouzet 1990, t. I, p. 512.
  • [39]
    Dans une lettre à Laurent Dürnhoffer (12 mai 1573), Théodore de Bèze reconnaît d'avoir composé des épigrammes pour condamner le massacre et affirme que le devoir du pasteur est de louer les bons et frapper d'opprobre les méchants, Bèze 1999, p. 115.
  • [40]
    L'Estoile 1992, t. 1, p. 110.
  • [41]
    NAF 1870, fo 48.
  • [42]
    Mathieu-Castellani 1984, p. 21.
  • [43]
    Voilà quelques exemples : Ronsard, Pierre, Discours des miseres de ce temps. À la Royne mere du Roy, Paris, Gabriel Buon, 1562 ; La Taille, Jean de, Remonstrance pour le Roy à tous ses subjects qui ont pris les armes, Paris, F. Morel, 1562 ; Du Rosier, P., Déploration de la France sur la calamité des dernières guerres civiles advenues en icelle l'an 1567, Paris, D. Du Pré, 1568 ; Belleforest, François de, Remonstrance aux princes françoys de ne faire poinct la paix auec les mutins et rebelles. À Monseigneur le Duc d'Aumale, Lyon, Michel Iove, 1567.
  • [44]
    Yves Bellenger dans son étude sur les discours de Ronsard donne une définition plus restreinte de ce genre. Voir Bellenger 1984, p. 198. En me situant plutôt dans une perspective communicationnelle, j'assouplis ses critères afin de réunir des poèmes parfois assez variés en égard du type d'éloquence choisi, mais se rapprochant par rapport à leur capacité d'accueillir l'information.
  • [45]
    Gigon 1911.
  • [46]
    En 1561, le chancelier Michel de L'Hospital déclarait dans son Harangue aux États généraux qu'il y avait deux sortes de lois, les unes sont « les fondements des républiques » et d'autres « qui dépendent de la grâce et bienfait du prince » ; il affirmait ainsi l'existence d'une sphère stable de la loi général dédiée au bien public et une sphère changeante du privilège liée à la faveur particulière. L'État et les pouvoirs 1989, p. 223.
  • [47]
    L'Élégie 1567, fo 8vo.
  • [48]
    D'après Michel de L'Hospital, « peu à peu se ruinent les États quand l'on méprise aujourd'hui une loi, demain l'autre, de sorte que, à la fin, l'État se trouve sans lois » (1561). En 1586, le premier président du Parlement Achille de Harlay répétait la même chose à Henri III : « Si devez-vous observer les lois de l'État du royaume qui ne peuvent être violées sans révoquer en doute votre propre puissance », L'État et les pouvoirs 1989, p. 223.
  • [49]
    Son origine suscite de grands débats au cours du xvie siècle, les uns lui attribuant l'autorité d'une loi royale (qui aurait été promulguée par Pharamond, le père de Clovis) et d'autres l'investissant de la légitimité de coutume immémoriale.
  • [50]
    L'Élégie 1567, ffo 2vo-3.
  • [51]
    De Thou 1740, t. II, p. 695.
  • [52]
    Romier 1923 et Naëf 1922.
  • [53]
    Naëf 1922, p. 7. Cette théorie est exprimé dans plusieurs libelles qui datent de 1560 : l'Histoire du tumulte d'Amboise ; Les Estats de France, opprimez par la tyrannie de Guise, au Roy leur souverain Seigneur ; La Response au livre inscrit Pour la majorité du Roy François II, le Légitime Conseil des Rois de France pendant leur jeune âge, réimprimés dans les Mémoires de Condé 1743, t. 1.
  • [54]
    Les écrits justificatifs du parti condéen affirment régulièrement une place particulière des princes du sang près du monarque. Première guerre de Religion (1562-1563) : Déclaration 1562 ; Requeste présentée au Roy 1562 ; deuxième guerre de Religion (1567-1568) : Aduertissement 1567 ; troisième guerre de Religion : Lettres et Requeste 1568, etc.
  • [55]
    La pairie de France est un groupe de grands féodaux, vassaux directs de la couronne de France. Il y avait à l'origine douze pairs : six pairs ecclésiastiques et six pairs laïques. Les princes du sang sont les pairs de France, mais les ducs des Guise le sont aussi depuis 1528 !
  • [56]
    L'Élégie 1568, fo 11.
  • [57]
    Traité d'association 1562, p. 3.
  • [58]
    Histoire et dictionnaire 1998, p. 173 et suiv.
  • [59]
    Galand-Hallyn 1999, p. 165.
  • [60]
    D'après Peletier du Mans, le coq-à-l'âne de Marot est un « vrai espèce de Satire ». Traités 1990, p. 276. D'après Thomas Sebillet, « les Satyres de Juvénal, Perse, et Horace, sont Coqs à l'âne Latins : ou a mieux dire, lés Coq-à-l'âne de Marot sont pures Satyres Françaises ». Ibid., p. 130.
  • [61]
    Meylan 1956.
  • [62]
    N.A.F. 1870.
  • [63]
    Le Veaux à coq, ibid., fo 56.
  • [64]
    Recueil 1829, no 110, l'édit de Moulins, art. 78.
  • [65]
    NAF 1870, ffo LI-LI vo.
  • [66]
    Néanmoins, cette église n'a été démolie qu'au xviiie siècle. Voir Berty 1866, p. 95-96.
  • [67]
    NAF 1870, fo LI vo.
  • [68]
    Le Roux 2001, pp. 77-83.
  • [69]
    NAF 1870, fo LI vo.
  • [70]
    Houllemare 2005.
  • [71]
    NAF 1870, fo LI vo. Ce soupçon est général au courant de 1567 et les protestants l'utilisent dans leurs libelles justificatifs au début de la deuxième guerre de Religion.
  • [72]
    Ibid., fo LII.
  • [73]
    Ibid.
  • [74]
    La Fosse 2004, p. 66-67.
  • [75]
    NAF 1870, fo LII : « Elle s'accoste des plus fins // C'est avec eulx qu'elle s'affyne // Elle a beau faire bonne myne // Personne plus ne s'y fiera ».
  • [76]
    Ibid., fo LII vo : « C'est ung homme d'un grand affaire // Qui est plus digne d'estre roy // Comme escript la Planche, que toy // Et pour certain l'intelligence // Qu'il a et sa grande alliance // Luy font entreprendre plus hault // Qu'il ne doibt et qu'il ne luy fault ».
  • [77]
    Renier 1565.
  • [78]
    Traités 1990, p. 268.
  • [79]
    Sebillet Thomas dans ibid., p. 104 :
  • [80]
    Mc Farlane 1974, p. 387-410.
  • [81]
    Poétiques 2001, p. 57-59.
  • [82]
    Graziani 1988, p. 104.
  • [83]
    Traités 1990, p. 116.
  • [84]
    Ford 1988, p. 205-214. D'après Jacques Pineaux, son recueil de sonnets satiriques, Les Regrets, a fortement influencé les poètes protestants qui ont adopté cette forme. Pineaux 1971, p. 22-123.
  • [85]
    Graziani, Françoise, art. cit., p. 108.
  • [86]
    Ms. fr. 22560, fo 16.
  • [87]
    Dont, par exemple, la Supplication 1560, fo 17 ou l'Histoire du tumulte 1560, p. 7.
  • [88]
    Ms. fr. 22560, fo 13.
  • [89]
    Davillé 1908, p. 4.
  • [90]
    Hotman 1970.
  • [91]
    Ibid., p. 13-16.
  • [92]
    Ms. fr. 22560, fo 17.
  • [93]
    Charpentier 1575, ffo 41-41 vo.
  • [94]
    Lecointe 1993, p. 80-85.
  • [95]
    Du Chesne 1572 ; pour Belleforest, voir Le Masle 1572, p. 7 ; pour Dorat et les poésies anonymes voir ms. fr. 10304, p. 245 et 331. Voir, sur le cadavre de Coligny, Crouzet 1994, chapitre XXXVII.
  • [96]
    Ms. fr. 10304, fo 355.
  • [97]
    Le chansonnier 1969.
  • [98]
    Bordeaux s.d. [1569]. À la fin xvie-début xviie siècle, les jésuites se serviront de la chanson spirituelle comme d'un support pour la catéchèse, Pau 1981.
  • [99]
    Dorléans 1594, ffo 13-14.
  • [100]
    Quatre cas répertoriés à la Bibliothèque nationale de France.
  • [101]
    Belles figures.
  • [102]
    Cinquante et une sur soixante et onze pièces de recueil.
  • [103]
    Les batailles de Saint-Denis (10 novembre 1567), de Jarnac (13 mars 1569), de Moncontour (3 octobre 1569) ; la surprise de Meaux et le siège de Paris (septembre-novembre 1567), le siège de Chartres.
  • [104]
    Recueil 1590.
  • [105]
    L'Advis 1589.
  • [106]
    Recueil 1590, ffo 4-4 vo.
  • [107]
    Contre les fausses allegations 1589, p. 32.
  • [108]
    Recueil 1590, fo 4vo.
  • [109]
    « [tu] as osé commettre le sacrilège // Par trahison aux saincts Prestres sacrez... » Ibid., fo 4vo.
  • [110]
    Ibid., fo 6vo.
  • [111]
    Ibid.
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