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Article de revue

Manufacture de Villeneuvette, Souvenirs des fêtes jubilaires des noces d'or d'industriel de M. Jules Maistre

Pages 167 à 190

1 Pendant qu'au loin gronde le bruit de la haine, de la discorde, de la révolte et de la guerre au patron par l'ouvrier, il est à côté de nous un gentil paradis terrestre où le petit et le puissant s'aiment, se respectent, jouissent du bonheur parfait. Villeneuvette, site charmant, grâce à ses hauts bosquets, à ses ruisseaux langoureux, est un petit village qui, jusqu'ici, a soigneusement fermé la porte à l'invasion de toute sorte de poison.

2 Dimanche prochain, Villeneuvette donnera une fête splendide, à laquelle prendront part tous les ouvriers...

3 ... Les ouvriers de la manufacture de draps de M. Maistre, veulent affirmer hautement leur attachement et leur reconnaissance à leur patron qui, depuis bientôt soixante ans, prodigue ses largesses, ses sollicitudes à plusieurs générations de travailleurs pour continuer la glorieuse tradition de ses ancêtres...

4 Ces ouvriers ont désiré pour leur patron une décoration glorieuse. C'est ainsi qu'ils ont obtenu du Souverain Pontife, la Croix de Saint Grégoire le Grand.

5 Monseigneur de Cabrières a bien voulu répondre favorablement à l'invitation qui lui a été faite. Dimanche prochain, il passera la journée à Villeneuvette, pour présider les différentes cérémonies de l'Église et remettre la décoration à M. Maistre.

6 On parle d'un programme splendide...

7 La journée du 8 juillet sera donc mémorable pour l'honorable famille Maistre, qui mérite bien ce témoignage de sympathie.

8 C'est en ces termes qu'un correspondant clermontais annonçait dans le journal La Croix Méridionale, les belles fêtes des noces d'or de M. Jules Maistre. Il faillit révéler un secret que nous avions soigneusement gardé. Heureusement, le journal La Croix méridionale n'arriva pas à la date voulue.

9 Voici la genèse de l'événement auquel le journal faisait allusion :

10 Depuis longtemps, nous rêvions le moyen de faire s'épanouir dans notre paroisse et dans cette belle usine la fleur si rare de nos jours : La fleur de la Reconnaissance. L'occasion s'est présentée à nous bien favorable dans le 50e anniversaire d'une vie de travail de M. J. Maistre, passée au milieu de ses ouvriers. Une vie comme la sienne, toute faite de charité et de morale, et vécue durant un demi-siècle, méritait bien une récompense. Dans le c ur de chacun des ouvriers, on sentait ce v u formulé avec ardeur et affection. Il fallait pouvoir permettre à cette piété filiale de s'affirmer publiquement.

11 Le 1er mars, ils demandaient à Sa Sainteté Pie X la faveur insigne de voir leur patron inscrit sur le registre des hommes méritants et réclamaient pour lui la Croix de Chevalier de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.

SUPPLIQUE À SA SAINTETÉ PIE X

12 Très Saint Père,

13 Très humblement prosternés aux pieds de Votre Sainteté, les ouvriers de Villeneuvette, désireux de donner à leur vénéré patron, M. Jules Maistre, un digne témoignage de leur estime et de leur gratitude, prennent la liberté de solliciter de Votre part, l'insigne honneur de voir son nom inscrit sur le registre des vaillants chrétiens et demandent pour lui la croix de Saint Grégoire le Grand.

14 La famille Maistre réalise, depuis plus d'un siècle, l'idéal du Patronat chrétien dans l'usine de Villeneuvette, fondée en 1666, par l'illustre Colbert, ministre de Louis XIV. Trois cents ouvriers vivant ici, trouvent chaque jour, avec le pain du travail, un asile gratuit, assistance et secours dans la maladie et la vieillesse, le ministère du prêtre catholique et l'exemple constant d'un patron résidant au milieu d'eux.

15 Déjà Villeneuvette a vu tant de dévouement récompensé par S. M. Napoléon qui accorda la croix de la Légion d'honneur à M. Casimir Maistre, père. M. Casimir Maistre, père, sut résumer toute une vie d' uvres et de dévouement par ces paroles prononcées sur son lit de mort et gravées sur sa tombe : « Nos ouvriers et nous, c'est la même famille. »

16 M. Jules Maistre a su comprendre cette maxime que lui léguait son Père comme testament. Il a continué cette tradition toute faite des enseignements de l'Évangile. Depuis 50 ans, il se montre le Père des ouvriers, l'ami des pauvres, le défenseur zélé et actif de la bonne cause et de la morale. Il ne cesse de s'affirmer autant par une conduite irréprochable que par sa parole et ses écrits, le noble champion du Devoir. Père de six enfants, il se voit entouré du respect et de l'affection de dix-sept petits-fils ou petites-filles. Un de ses fils, M. Casimir Maistre, a mérité du gouvernement français en 1892, la croix de la Légion d'honneur, pour une mission dans le Congo et à Madagascar ; une de ses filles, Mlle Euphémie Maistre, s'est donnée à Dieu, en entrant dans l'ordre des religieuses missionnaires d'Afrique. Parmi ses ouvriers, plus de 30 ont mérité la médaille accordée aux trente années de service.

17 En ces temps si troublés et où la charité chrétienne trouve tant de contradicteurs et d'ingrats ; nous, soussignés, au nom des trois cents ouvriers de Villeneuvette, avons cru devoir signaler à Votre Sainteté ce chrétien qui, sous le manteau de la plus grande modestie, a su depuis 50 ans rester toujours et quand même le Patron par excellence.

18 Confiants que Votre Sainteté aura pour agréable une démarche toute filiale, uniquement inspirée par le devoir de la reconnaissance, et sollicitant pour nous même la faveur de la bénédiction apostolique.

19 Nous avons l'honneur, Très Saint Père, de baiser vos pieds et nous dire :

20 De Votre Sainteté,

21 Les fils respectueux et les biens humbles serviteurs :

22 H. Caniven, chapelain ; F. Morel, directeur ; E. Cadillac, comptable ; E. Salasc, employé ; D. Dardé, employé ; G. Pascal, ouvrier ; G. Navas, ouvrier ; N. Cavalade, ouvrier ; A. Léotard, ouvrier ; J. Bourboujas, ouvrier.

23 Monseigneur l'Evêque, à qui nous avions fait part déjà de notre projet et duquel nous avions reçu les plus grands encouragements, daigna apposer de sa main une bien affectueuse recommandation et rendre ainsi notre humble supplique digne d'arriver jusqu'aux pieds de Sa Sainteté.

24 Dignus est Domus Julius Maistre honore quem in ejus gratiam et pro meritis acquisitis a pluribus annis, sive in laborando pro christiana operiarorum suorum institutione, sive in dando continua virtutum tam privatarum quam publicarum exempla. Sollicitare audent, simul ac maximo corde, Capellanus et primi inter operarios Fabricae suae adnumerati.

25 Ego ipse Di cesanum hunc, maxima cum laetitia, Summo Pontifice distinctum et renumeratum viderem.

26F.-Maria-Anatolius, Episcopes Montispessulani

27M. Jules Maistre est digne de l'honneur que son chapelain et les principaux ouvriers de son usine, osent solliciter aussi affectueusement pour lui à cause de ses nombreux mérites acquis par une vie de 50 ans, toute employée soit à travailler à la formation chrétienne de ses ouvriers, soit à donner de continuels exemples de vertus, tant privées que publiques. Nous-mêmes, nous verrons avec la plus grande satisfaction ce diocésain, honoré et récompensé par le Souverain Pontife.

28 F.-Marie-Anatole, évêque de Montpellier

29 Aussi gracieusement apostillée, la supplique ne pouvait que recevoir bon accueil. Nous l'envoyâmes aussitôt à Son Éminence Mgr Merry del Val, la priant de la remettre elle-même à Sa Sainteté.

30 Éminentissime Monseigneur,

31 Après avoir soumis à Monseigneur de Cabrières, évêque de Montpellier, la supplique des ouvriers de Villeneuvette, sollicitant du Souverain Pontife une récompense pour leur digne patron, M. Jules Maistre, je me permets comme chapelain de cette paroisse d'intercéder Votre Éminence pour qu'elle daigne la transmettre Elle-même à Sa Sainteté.

32 Nous n'avons pas cru devoir arrêter cet élan de confiance et de piété qui porte ces ouvriers à avoir recours à la Bienveillance de Sa Sainteté pour donner à leur patron un juste témoignage de leur gratitude. Sachant même combien Sa Sainteté aime le pauvre et l'ouvrier, nous avons pensé qu'une pareille démarche, toute spontanée, lui serait des plus agréables et vaudrait aux ouvriers et à la paroisse, une bénédiction particulière.

33 Que votre Éminence daigne donc écouter favorablement la prière que je lui adresse en faveur de ces ouvriers, mes paroissiens. Impuissants par eux-mêmes, ils se tournent en toute simplicité et avec confiance, vers le Père de la grande famille chrétienne, pour récompenser leur patron qui, par une vie de 50 ans, toute faite de travail a su mériter tant et si bien de l'Église et de la Patrie.

34 Que votre Éminence daigne pardonner ce que ma démarche pourrait avoir de trop osé. C'est un pasteur plaidant la cause de son humble troupeau.

35 Daignez agréer, Éminentissime Seigneur, l'hommage des sentiments avec lesquels j'ai l'honneur de me dire,

36 De Votre Éminence,

37 le très humble et très obéissant serviteur,

38 H. CANIVEN, chapelain

39 La réponse ne se fit pas attendre. Le 26 mars, Monseigneur Merry del Val adressait à l'évêché le Bref par lequel Sa Sainteté Pie X déclarait M. Jules Maistre chevalier de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand. Son Éminence faisait remarquer que le Pape avait la bonté de dispenser les ouvriers de Villeneuvette de tous frais de Chancellerie et envoyait gratuitement la récompense sollicitée.

40 Heureuse nouvelle que nous nous fîmes un devoir de garder secrète, afin de la rendre plus précieuse au jour de la fête. Nous voulûmes cependant en donner la primeur à la bonne s ur Rose Sainte-Marie, qui, à cette date, jouissait de la présence de M. et Mme Maistre.

41 Un programme fut aussitôt élaboré, un comité organisateur fondé et nos fêtes préparées. Pour dire les sentiments des ouvriers de Villeneuvette, en même temps que célébrer dignement les mérites de notre cher élu, il fallait un interprète éloquent. Monseigneur lui-même voulut bien accepter de venir présider nos fêtes et se faire l'orateur de la circonstance. Nous ne pouvions désirer davantage.

Fête du 8 juillet

42Dès la veille, Villeneuvette avait le bonheur de posséder son évêque et voyait tous les préparatifs terminés. On devinait la grandeur de la fête, mais on ignorait la nature de la récompense. Sur tous les visages, on lisait l'impatience de dilater les c urs.

43Le 8 juillet, à 7 h 1/2 du matin, la paroisse se rendait à la chapelle pour prendre connaissance du programme et aller chercher processionnellement Monseigneur. Notre évêque n'est plus habitué à voir, dans nos paroisses, ses enfants libres de lui témoigner publiquement leur attachement et leur vénération. Aussi, le privilège dont nous jouissons à Villeneuvette nous portait à laisser déborder pleinement les élans de notre foi. C'est avec une sorte d'enthousiasme que les hommes saluèrent Sa Grandeur, au moment où elle apparut.

44Refrain
Enfants de Villeneuvette,

45 Sur vos pas (bis) nous marcherons

46 Groupés sous votre Houlette,

47 Monseigneur, oui nous vaincrons.

48 I

49 En ce jour ô notre Père

50 Écoutez nos chants pieux.

51 Et la fervente prière

52 De tous vos enfants joyeux.

53 II

54 Nous vaincrons l'affreuse rage

55 De l'enfer et des méchants,

56 Ranimez notre courage

57 Par vos accents éloquents.

58 III

59 Nous vaincrons l'indifférence

60 Qui paralyse le c ur,

61 Pour le Christ et pour la France,

62 En avant, et plus de peur.

63 IV

64 Nous voulons pour notre usine

65 Le Christ et la liberté.

66 L'esclavage et la ruine

67 Seront pour l'impiété.

68 V

69 Nous voulons pour notre Église

70 Le triomphe et le bonheur.

71 Nous voulons que la devise

72 Soit toujours : Travail, Honneur.

73 A 8 heures, Monseigneur montait au Saint-Autel, où il devait offrir le Saint-Sacrifice et prier aux intentions de la famille ouvrière de Villeneuvette.

74Une harmonie, sous l'habile direction de M. Bieau, professeur de piano à Béziers, exécuta des morceaux choisis et aida les paroissiens à chanter les louanges de Dieu et affirmer leur foi.

75A l'issue de la Sainte Messe, Monseigneur conféra le Sacrement de Confirmation à nos chers enfants de la Première Communion.

76A 10 heures précises, la paroisse se retrouvait groupée cette fois pour fêter son chef d'usine. En face de la maison de M. Maistre, un trône avait été préparé à cet effet, sous un éventail de verdure au centre duquel se dessinaient les armoiries épiscopales. Des guirlandes de feuillage fleuri formaient comme une sorte de dôme et des oriflammes aux couleurs pontificales et nationales disaient déjà d'une façon muette les v ux et les souhaits de chacun. Une marche triomphale salue l'arrivée de Sa Grandeur, autour de laquelle viennent successivement prendre place : M. Jules Maistre, M. l'archidiacre David, M. le chanoine Aussenac, curé-doyen de Clermont-l'Hérault ; M. l'abbé Carel, curé de Laghouat ; M. le chanoine de Llobett, secrétaire particulier de Monseigneur ; M. l'abbé Fonzes, curé de Mourèze ; M. l'abbé Manissier, curé d'Aspiran ; M. l'abbé Barth, précepteur, et toute la famille Maistre.

77Entouré de ses camarades de Confirmation, M. Guilhem Maistre s'avance pour adresser à Sa Grandeur les souhaits de bienvenue :

78 Monseigneur,

79« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Ce cri de bénédiction jaillit vrai de nos jeunes âmes. Il exprime à Votre Grandeur l'hommage ingénu de notre vénération profonde, de notre intime gratitude, de notre attachement filial. Il révèle aussi notre secret et vif désir de vous faire savourer dans l'oasis enchanteresse de Villeneuvette ce charme irrésistible, ce tressaillement de bonheur qu'éprouvait en la présence, aux caresses et aux hommages des petits-enfants le divin Maître de qui Votre Grandeur est parmi nous, la représentation haute et vivante. »

80« Sinite parvulos venire adme » Oh ! personne ici ne nous empêche de nous rapprocher tout près de vous. C'est là notre plus belle liberté.

81Nous ne l'ignorons pas : il est au-delà de Villeneuvette des enfants moins heureux que nous. On vous les enlève avec la voracité d'un lion. Reposez donc sur nous (mais sans oublier nos autres frères d'âge, car eux aussi ont grand besoin de votre affectueuse sollicitude) reposez donc sur nous votre regard et surtout votre c ur de Bon Pasteur. Tendres plants d'olivier, nous sommes féconds en promesses : troupe innocente, nous nous armons, à l'ombre de l'église, en vaillante élite pour les nobles luttes de la vie d'homme, de chrétien et de français ; princes naissants, nous apparaissons beaux comme l'espérance.

82Par un acte sublime du sacerdoce divin, vous venez, Monseigneur, de nous oindre de l'onction de la virilité, de nous marquer du signe des combats victorieux, de nous adouber preux chevaliers du Christ. Merci, Monseigneur, de ce merveilleux sacrement de Confirmation, de cette pleine collation des dons de l'Esprit divin. Vous n'aurez pas produit un geste vain. Toujours debout, sous le fort ombrage du robuste chêne de Montpellier et de Maguelone, toujours appuyé sur le roc inamovible de Rome, nous besognerons pour Dieu, le Christ, l'Église et la France.

83Mais, Monseigneur, les enfants ont l'instinct délicat, le pressentiment affiné, et nous soupçonnons que sous quelque pan de votre robe d'évêque, vous portez encore un second sacrement. De grâce, ouvrez large ce pan et déployez-le, à nos regards curieux, ce sacrement. À ce grand geste, l'émotion au c ur, les larmes de joie aux yeux, nous applaudirons et nous crierons fort : merci, merci Monseigneur. C'est une grâce méritée. C'est un honneur juste qui désormais couronnera une longue vie de labeur, de sacrifices et de charité. Il consacrera la double devise qui inspire, régit et arme Villeneuvette : « Nos ouvriers et nous c'est la même famille. Honneur au travail. »

84Enfin, Monseigneur, les enfants ont de la franchise et de l'audace. C'est pourquoi nous exprimons ce v u du c ur : que vous veniez souvent vous reposer au milieu de la famille pastorale et ouvrière de Villeneuvette. Mais si charmante que soit la violette qui modestement vous orne, la pourpre romaine répandrait autour de Votre Grandeur un éclat plus joyeux. Si le Ciel et Rome réalisent nos supplications, vous viendrez donc, Monseigneur, bientôt à Villeneuvette, étaler à nos regards ravis votre belle Robe cardinalice comme le trophée glorieux des luttes victorieuses que Votre Grandeur a constamment soutenues pour l'Église et la France.

85Dans cet espoir ferme, nous crions tous : Vive Monseigneur ! que Dieu vous garde à votre beau et antique diocèse. Vous en êtes dans ces heures obscures et difficiles, la lumière indéfectible et la force robuste.

86Vive Monseigneur !

87 Combien nous regrettons de ne pouvoir donner in extenso la belle réponse de Monseigneur. Voici, cependant, les passages les plus marquants de son discours. Sa Grandeur nous dit :

88 C'est vraiment un grand spectacle de voir les ouvriers groupés comme une ruche laborieuse autour de leurs patrons. L'union des patrons et des ouvriers est toujours féconde. Elle est ici à Villeneuvette un bel exemple et forme un magnifique contraste avec ce qui se passe ailleurs. Les propagateurs des grèves, les excitateurs des mésintelligences de l'ouvrier avec le patron, les fomentateurs de la haine de l'ouvrier contre le patron font  uvre antisociale, antipatriotique et surtout  uvre égoïste. Loin de revendiquer comme ils le proclament l'amélioration du sort des ouvriers, ils ne se passionnent que pour leurs propres intérêts. Ils leurrent l'ouvrier par de fausses promesses, le poussent ainsi à la révolte et l'enfoncent dans la misère.

89Honneur au travail ! Ayez toujours l'intelligence de cette devise significative. Le travail est un honneur. Dieu lui-même se proclame le travailleur du monde. Jésus-Christ, durant son passage sur la terre, a voulu être fils d'un ouvrier et ouvrier lui-même. Ainsi considéré, le travail est chose sacrée, chose divine. Il ne vous amoindrit pas ; il vous ennoblit au contraire. Ouvriers de l'intelligence ou des mains, respectez-le donc et fécondez-le par l'amour et la charité.

90Monseigneur ajoute :

91Je suis fier d'être au milieu de vous comme évêque ; je suis fier aussi comme français ! Sa Grandeur raconte alors en résumé l'histoire de la fondation de Villeneuvette, montre cette usine vieille de 240 ans, résistant à toutes les révolutions sociales et économiques et la famille Maistre la dirigeant depuis plus d'un siècle.

92« Depuis 50 ans, M. Jules Maistre se fait le fidèle observateur des traditions du passé. Son nom rayonne dans toute la France et franchit même les mers. « L'orateur rappelle qu'il y a une absente à cette réunion de famille », c'est une fille bien-aimée qui sur la terre africaine se fait l'ouvrière de la charité comme son père l'est à Villeneuvette. »

93 « Oui, continue Monseigneur, la charité de M. Maistre est connue et appréciée bien loin, jusqu'à Rome. » Et montrant le Bref du Pape « voyez ce parchemin et lisez le nom qui est en tête : Pie X. Oui, Pie X veut bien lui-même consacrer aujourd'hui parmi vous la noblesse du travail dans la personne de votre patron. Rome me charge d'attacher sur la poitrine de M. Maistre, la croix de saint Grégoire-le-Grand. Cette grande distinction rejaillit du patron aux ouvriers et je suis heureux de proclamer qu'elle est bien méritée, qu'elle ne saurait l'être davantage.

94 « En évêque, en Français, en vieil et fidèle ami et au nom du Pontife suprême, je décore le travail. À ce geste on applaudit autant sur la terre africaine que sur le sol de Villeneuvette :

95 « Vive M. Maistre avec sa charmante famille naturelle et ouvrière. »

96 A peine Monseigneur a-t-il attaché la Croix sur la poitrine de M. Maistre qu'un frisson d'enthousiasme s'empare de tous les c urs. Les vivats éclatent nombreux et des bombes portent au loin la joie de Villeneuvette. L'orchestre joue une marche : Fière race.

97 Pendant ce temps, M. Maistre reçoit l'accolade affectueuse de sa nombreuse famille. Ses ouvriers viennent à leur tour offrir leurs hommages. On voit des larmes couler dans tous les yeux.

98 Ce sont de vieux serviteurs qui témoignent leur contentement d'applaudir un patron si dignement et si justement récompensé. Scène admirable de simplicité en même temps que de grandeur ! Et, selon l'expression de l'un d'eux : « La langue et la plume même des génies sont parfois impuissantes à traduire certaines impressions de l'âme. La fête de ce jour mettrait bien des artistes dans l'embarras. » Oui, à plus forte raison celui qui ne sait que bégayer ses propres sentiments.

99 Un c ur de jeunes gens et de jeunes filles entonne une cantate :

100 Chantons tous, amis, cette fête

101 Longue vie et pleine santé

102 À celui dont Villeneuvette

103 Redit chaque jour la bonté.

104 À nos reconnaissants hommages,

105 Vous daignez sourire en ce jour,

106 Quand nous chantons les avantages

107 Que l'on recueille en ce séjour.

108 Quand pour célébrer cette fête,

109 Auprès de vous Villeneuvette

110 Souriante avec le printemps

111 Se réunit, grande famille,

112 Et que la joie éclate et brille

113 Sur le front de tous vos enfants.

114 De dignes sujets de louange

115 Peuvent décorer nos souhaits,

116 Sans aucun doute, faible échange

117 De nobles et constants bienfaits.

118 Parmi ce qu'en vous on admire

119 Du Savant nous pourrions redire

120 L'infatigable activité.

121 Il nous sied mieux de faire entendre

122 Du Patron généreux et tendre

123 La simple et touchante bonté.

124 Du Père dont les fils sont si dignes,

125 Nous aimons à voir le bonheur ;

126 Car Dieu par des grâces insignes,

127 Augmente par eux votre honneur.

128 Soit qu'il les prenne à son service

129 Et qu'au chemin du Sacrifice,

130 La Charité guide leurs pas.

131 Soit que, sous votre main vigilante,

132 Ils conservent leur foi vaillante,

133 Parmi les luttes d'ici-bas.

134 Du Chrétien fidèle et pratique,

135 Apôtre auprès des ouvriers,

136 Du sincère et fier catholique

137 Qui veut le Christ aux ateliers,

138 Du Bienfaiteur de la Jeunesse

139 Louons la prudente sagesse,

140 Dont les efforts seront compris

141 Et du zèle de sa grande âme,

142 Toujours aux pieds de Notre-Dame,

143 Avec lui demandons le prix.

Le Banquet

144 Lorsque Lycurgue voulut rendre Lacédemone invincible par l'union de tous ses enfants, il institua ces fameux repas où les riches coudoyaient les pauvres. Ainsi, les ouvriers, désireux de montrer pratiquement combien l'esprit de famille était vrai à Villeneuvette, offrirent un banquet à leur patron. À midi, ils se retrouvaient tous dans une salle préparée pour cette circonstance. C'était bien comme le stratum magnum de l'Évangile.

145 Des draps blancs et rouges couraient tout autour en torsades élégantes et dans chaque feston, se dessinait gracieusement un cartouche rappelant une des dates mémorables des annales de Villeneuvette : 1666, fondation de Villeneuvette par Colbert ; 1667, Villeneuvette déclarée manufacture royale et commune ; 1703, André Pouget, premier propriétaire ; 1708, Castanier d'Aurillac ; 1768, Raymond Ronzier ; 1788, André de Chambert de Saint-Martin ; 1793, Denis Gairaud ; 1803, Joseph Maistre ; 1803, Hercule-Casimir Maistre ; 1858, Casimir Maistre, chevalier de la Légion d'honneur ; 1854, Jules Maistre entre dans l'industrie ; 1892, Casimir Maistre fils, chevalier de la Légion d'honneur ; 1897, Mademoiselle Euphémie Maistre entre en religion et devient s ur Rose de Sainte-Marie, religieuse missionnaire.

146 Un magnifique baldaquin, au centre duquel se balançait l'effigie de la croix de notre chevalier, formait comme un dôme sous lequel se trouvaient la table d'honneur et les 100 couverts des ouvriers. Au-dessus de la porte d'entrée, deux anges semblaient vouloir saluer au passage le roi du jour et déposer sur sa tête une couronne de lauriers. Au fond, se déroulait un gracieux parchemin sur lequel on lisait la devise : « Nos ouvriers et nous, c'est la même famille. »

147 Le spectacle qu'allait offrir la salle dans un instant devait donner la preuve éloquente de la mise en pratique ici de cette parole qui fut comme le testament de M. Casimir Maistre. Au milieu de la salle, sur un chevalet enguirlandé de fleurs, se dresse une plaque de marbre rouge extraite des carrières de Villeneuvette, venant affirmer que le souvenir de nos fêtes ne saurait disparaître jamais :

148 « En mémoire de ses noces d'or d'industriel, à M. Jules Maistre, promu chevalier de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand par Sa Sainteté Pie X et décoré par Sa Grandeur Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, 8 juillet 1906.

149 Les ouvriers de la manufacture de Villeneuvette, fondée par Colbert, 1666 ».

150 Une salve d'artillerie annonce l'arrivée du cortège. Monseigneur fait son entrée, ayant à son bras M. Jules Maistre, suivi de toute la famille. Les ouvriers, chacun à sa place, entonnent aussitôt un chant de circonstance sur l'air du « Clairon » de Déroulède :

151 Refrain

152 Debout, Villeneuvettois, Villeneuvettois

153 En ce beau jour de fête ;

154 Debout, Villeneuvettois, Villeneuvettois

155 Chantons, proclamons notre foi.

156 1

157 En ce beau jour d'allégresse

158 Laissons éclater l'ivresse

159 Qui déborde de tout c ur.

160 Enfants de Villeneuvette

161 Pour célébrer cette fête

162 Chantons, chantons tous en c ur.

163 2

164 Chantons notre cher village

165 Nos ruisseaux aux frais ombrages,

166 Les fleurs de nos beaux jardins.

167 Nos collines verdoyantes

168 Leurs cascades écumantes,

169 Et la saveur de nos vins.

170 3

171 Chantons notre vieille église

172 Où notre âme fraternise,

173 Dans l'amour et dans la foi

174 Les traditions de nos pères

175 Nous resteront toujours chères ;

176 Et Dieu sera notre Roi.

177 4

178 Chantons notre chère usine

179 Notre labeur magnanime,

180 Nos patrons, nos travailleurs.

181 L'honneur, nos maîtres, notre ouvrage,

182 La liberté, le courage,

183 Voilà ce qu'aiment nos c urs.

184 5

185 Enfants de Villeneuvette,

186 Pour célébrer cette fête

187 Répétons nos cris joyeux :

188 Vive, vive le village,

189 L'honneur et le bon courage,

190 Tout ce qu'aimaient nos aïeux.

191 Monseigneur bénit la table et, tandis que chaque convive se prépare à faire honneur au modeste menu, l'harmonie fait entendre les meilleurs morceaux de son répertoire. Les ouvriers sont là mêlés, les aînés près des jeunes, tous égaux parce qu'ils se sentent à cette heure tous aimants et aimés, et leur joyeuse animation flatte délicieusement le noble orgueil du patron, fier de se voir entouré de tous ses enfants. Oui, se dit-on les uns aux autres : « Comme l'union brille avec éclat autour de cette table commune. »

192 Mais voici que le champagne mousse dans les verres. C'est l'heure des toasts. Soudain apparaît, sur le seuil de la porte, une véritable phalange, saluée par une marche que joue l'Harmonie bitteroise. Ce sont les petits-fils de M. Maistre qui, accompagnés de tous les enfants de Villeneuvette, viennent dire à leur vénéré grand-père et patron leur affection et leur bonheur. Une magnifique gerbe de fleurs précède cet imposant cortège. Toutes les ouvrières de l'usine sont admises et viennent aussi s'associer aux v ux offerts à M. Maistre et aux remerciements adressés à Sa Grandeur.

193 Les applaudissements révèlent aussitôt la joie de cette agréable surprise. Le silence bientôt se fait. La parole est à ces chers petits :

194 Poésie dialoguée

195 Ce matin quand naissait l'aurore,

196 La fleur souriait doucement

197 Dans le vallon qu'elle décore,

198 Son parfum montait lentement.

199 L'oiseau dans son brillant ramage,

200 Avait aujourd'hui plus d'ardeur,

201 Dans le buisson, le vert feuillage

202 Bruissait avec plus de bonheur.

203 2

204 Ce matin dans Villeneuvette,

205 Les enfants sautaient de plaisir

206 Avant qu'eût chanté l'alouette

207 On les voyait aller-venir.

208 Leur front plus beau que la pervenche

209 Était empourpré de bonheur,

210 J'ai pensé que c'était dimanche,

211 Le grand jour aimé du Seigneur.

212 3

213 Ce matin, sur chaque visage,

214 S'épanouissait le bonheur

215 Et maman m'a dit : Sois bien sage,

216 Aujourd'hui nous vient Monseigneur.

217 Il revient parmi nous. Vous pouvez tous me croire,

218 Porter à nos patrons

219 Que tous nous vénérons,

220 L'estime de son c ur, la croix de Saint Grégoire.

221 4

222 Mon Dieu, que dis-tu là ? mon âme en est ravie,

223 Comme je vais crier : Oh ! vive Monseigneur !

224 Je veux, à ce prélat que chacun nous envie,

225 Dire tout mon bonheur.

226 5

227 Si nous avions encore un compliment superbe,

228 Nous pourrions le lui dire. Il en serait heureux.

229 Si nous avions de fleurs une imposante gerbe,

230 Nous la lui donnerions d'un c ur généreux.

231 6

232 Albert, on nous a dit que ta petite langue

233 Savait un compliment bien gentil, plein d'amour.

234 Écoute-nous. Veux-tu, comme un petit ange,

235 Le dire en souriant, pour fêter ce beau jour.

236 Va, ne te trouble pas, son âme est paternelle ;

237 Sur les petits, sa main s'étend avec douceur ;

238 Ses yeux ont un regard d'où la bonté ruisselle.

239 Ses lèvres, un sourire où passe tout son c ur.

240 7

241 Je sais Petit Poucet, le beau chaperon rose,

242 Je sais Mimi la chatte et Raton le gourmand ;

243 Mais, pour Monseigneur, ce serait peu de chose ;

244 C'est un grand travailleur ; on le dit si savant.

245 8

246 Écoutez mon conseil, sans fausse modestie,

247 Allons vers nos amis, nous les connaissons tous,

248 Ils ont de très beaux chants, de belles poésies ;

249 Allons les supplier de les dire pour nous ;

250 Nous offrirons encore un bouquet magnifique,

251 Nous y mettrons beaucoup de nos plus belles fleurs,

252 Ici l'on comprendra leur langage pudique,

253 Partons, nos amis sont là-bas, ils viendront de grand c ur.

254 9

255 Si j'étais eau qui serpente

256 En murmurant le long des prés ;

257 Ou le gai rossignol qui chante

258 Tous les jours, dans les hauts cyprès,

259 Je dirais à la blonde abeille

260 De prendre mon chant le plus doux

261 Et prestamment, quand tout sommeille,

262 De le déposer près de vous.

263 10

264 Si j'étais le lys qui s'élance

265 Dans un manteau de blanc satin,

266 Ou bien la rose que balance

267 Le souffle embaumé du matin,

268 Au papillon le plus agile,

269 Je donnerais mon doux trésor,

270 Afin que, joyeux et docile,

271 Il vint vous l'apporter encor.

272

273 11

274 Si j'étais le Dieu de lumière,

275 Celui qui règne dans les cieux,

276 Dont le c ur est celui d'un Père

277 Qui sourit aux désirs pieux,

278 Devant vous, j'enverrais mon ange,

279 Pour que toujours sa blanche main

280 Éloignât l'épine et la fange

281 Sur vos pas, le long du chemin.

282 12

283 Si j'étais du Pontife Pierre,

284 Le très glorieux successeur,

285 Je voudrais, ô notre bon Père,

286 Vous couvrir de pourpre et d'honneur.

287

288 13

289 Si j'étais la bonne hirondelle

290 Qui nous ramène le printemps,

291 Sur le toit de notre chapelle

292 Je voudrais m'arrêter longtemps.

293 Je vous dirais : En Algérie,

294 J'ai fait d'intéressants séjours,

295 Et notre chère tante Euphémie

296 Pense à nous tous toujours toujours.

297 15

298 Si j'étais un de ces archanges

299 Qui peuvent s'approcher de Dieu,

300 J'irais lui porter nos louanges

301 Disant ce qu'on fait en ces lieux.

302 Je dirais qu'à Villeneuvette,

303 On sait aimer, on sait travailler,

304 Que la paix doit être parfaite

305 Entre le Patron et l'ouvrier.

306

307 16

308 Hélas ! du bel oiseau nous n'avons pas l'ivresse,

309 Nous n'avons pas non plus le parfum de la fleur.

310 Un c ur plein de respect, voilà notre richesse,

311 Nous vous l'offrons, daigner l'agréer, Monseigneur.

312 M. Gabriel Navas donne lecture d'une poésie patoise composée par M. Casimir Maistre, père : « Sermou sus lou joïc et la fainéantisa. » C'est la note gaie qui rappelle un passé cher à certains convives. M. Casimir Maistre aimait à mettre en pratique le conseil du poète latin : « Castigare mores ridendo ». Il veillait avec un soin jaloux sur la moralité de ses ouvriers et comprenait que la morale chrétienne est la base d'une vie laborieuse.

313 Voici M. Gabriel Pascal qui prend la parole au nom de la Jeunesse :

314 Monseigneur,

315 Oh ! la chère et bonne visite,

316 Dont le motif nous est connu !

317 Soyez, soyez le bienvenu,

318 Vous qui couronnez le mérite.

319 De nos fils vous marquez le front

320 Avec la croix victorieuse ;

321 Vous mettez la croix glorieuse

322 Sur le c ur de notre Patron.

323 Double bienfait ! Si le saint chrême

324 Est le premier et le plus grand,

325 Tout le monde, en ces murs, comprend

326 Le lustre et le prix du deuxième.

327 Rome aujourd'hui, par votre main,

328 Couronne toute une existence

329 D'un dévouement sans repentance

330 En faveur du travail chrétien.

331 Du travail, l'Église est la mère,

332 C'est Elle qui le libéra ;

333 C'est Elle qui le défendra

334 Au milieu d'une lutte amère.

335 De sa douce et puissante voix,

336 Maudissant l'usure vorace,

337 Au milieu d'un siècle rapace,

338 Elle en a promulgué les lois.

339 Pour que la paix et la justice

340 Rayonnent sur l'humanité,

341 Pour que la sainte charité

342 Dompte toute erreur et tout vice,

343 Elle a dit les droits de chacun ;

344 Du capital et du salaire,

345 Traçant la règle salutaire

346 Avec un esprit opportun.

347 Mais par bonheur, « Villeneuvette »

348 Malgré les révolutions,

349 Des antiques solutions

350 Garde l'infaillible recette.

351 Depuis Colbert, sur son portail,

352 Lorsque l'on entre, il faut qu'on lise

353 La fière et vibrante devise

354 Toujours vraie : Honneur au Travail.

355 Toujours vraie et toujours aimée,

356 Car, pour en conserver l'éclat,

357 Un siècle tient les Maistre là.

358 Leur constance l'a ranimée.

359 Pour cette généreuse ardeur

360 Que dans sa race l'on admire,

361 Casimir Maistre, sous l'Empire,

362 Entre à la Légion d'Honneur.

363 Un autre Casimir la porte,

364 Cette croix, encore aujourd'hui.

365 Peu l'ont gagnée autant que lui,

366 Encore moins de la même sorte.

367 Explorant des pays lointains,

368 Y plantant le drapeau de France,

369 Il l'a conquise avec vaillance,

370 Au milieu de périls certains.

371 Monsieur Jules Maistre a la gloire

372 D'obtenir par ses ouvriers

373 La croix des nobles chevaliers,

374 Des chevaliers de Saint Grégoire.

375 Le plus haut, le plus Saint Pouvoir

376 Qui soit au monde, le décore ;

377 Le Pape, en Monsieur Maistre honore

378 Un « Patron fidèle au devoir ».

379 C'est que, conservateur docile

380 De la coutume des aïeux,

381 Il garde pour code, comme eux,

382 Le Décalogue et l'Évangile.

383 En vain, l'utopie en nos murs,

384 Avec ses doctrines ineptes,

385 Voudrait racoler des adeptes ;

386 Il nous maintient des remparts sûrs.

387 Tu peux séduire quelques têtes,

388 Socialisme d'à présent,

389 Mais contre un « Patron bienfaisant »,

390 Bien courtes seront tes conquêtes.

391 Car ce Patron est tout à tous

392 Sans acception de personnes,

393 Et peut-être pour les moins bonnes,

394 Se montre-t-il souvent plus doux.

395 Conduit par un Père si sage

396 Et qui, dans ses enfants revit,

397 La paix, à jamais nous sourit.

398 C'est l'avenir de ce village.

399 La paix du royaume de Dieu,

400 Elle fleurira notre voie ;

401 On a le surcroît de la joie,

402 Quand c'est la justice qu'on veut.

403 C'est la justice souveraine,

404 Pour laquelle vous combattez,

405 Monseigneur, et de tous côtés,

406 Brille votre force sereine.

407 Aussi, de notre Évêque fiers,

408 Nous resterons des catholiques

409 Fidèles aux vertus antiques,

410 Au milieu de nos jours amers.

411 Et si la cruelle tempête

412 Doit submerger notre pays,

413 Vous trouverez des c urs amis,

414 Dans les murs de Villeneuvette.

415 Des applaudissements très chaleureux prouvent à M. Gabriel Pascal combien on a senti vivement les belles allusions faites à l'Encyclique de Léon XIII, qui restera comme l'évangile de l'ouvrier. En réalité, à Villeneuvette, l'enseignement du Pape trouve parfaite obéissance.

416 C'est le tour de M. Morel, directeur de l'usine, qui vient se faire l'interprète de tous les ouvriers :

417 Cher et honoré Monsieur Maistre,

418 L'heure n'est pas aux longs discours ; d'ailleurs, le spectacle grandiose qui se déroule aujourd'hui sous nos yeux, n'est-il pas, à lui seul, de la plus grande éloquence pour vous assurer de la reconnaissance de toute votre famille ouvrière.

419 Je voudrais avoir vécu 30 ou 40 ans auprès de vous, Monsieur Maistre ; il me serait facile, alors, de puiser dans ce passé tout de travail, de charité et de morale, pour révéler ici toutes les richesses de votre c ur et de votre intelligence, que vous cachez si jalousement sous le manteau de la modestie.

420 Une âme délicate et autorisée a su dénoncer vos mérites. La main de l'auguste Pontife les récompense aujourd'hui. C'est à la fois un honneur pour vous et une joie bien grande pour tous vos ouvriers, impuissants par eux-mêmes à réaliser ce qu'ils rêvaient depuis longtemps. La croix qui brille sur votre poitrine sera désormais comme la fleur épanouie de leur reconnaissance. Puissiez-vous longtemps en savourer les parfums !

421 Monseigneur, Votre Grandeur est venue aujourd'hui faire plus que présider une fête de famille ; c'est une sorte de Consécration que vous donnez à cette usine, consécration qui lui permet de regarder l'avenir avec l'assurance de rester ce qu'elle a été dans son passé : Victorieuse de toutes les décadences et de tous les bouleversements.

422 Permettez-nous, Monseigneur, de vous adresser notre plus vive gratitude.

423 Haut nos c urs et nos verres et disons tous : « Vive Monseigneur ! Vive Monsieur Maistre. »

424 M. Morel est applaudi et toute la salle de répéter avec une sorte de joie délirante : « Vive Monseigneur ! Vive Monsieur Maistre. »

425 M. l'abbé Carel, curé de Laghouat, se lève aussitôt. La Providence a voulu nous dédommager en quelque sorte du sacrifice imposé à nos c urs de l'absence de la chère s ur Rose de Sainte-Marie et nous permet d'entendre un digne interprète de ses sentiments en la personne même de son aumônier :

426 Monsieur Maistre,

427 Voici la lettre que m'a envoyée votre fille, S ur Rose de Sainte-Marie :

428 Monsieur le Curé,

429 Je vous prie de vouloir bien accepter d'être le représentant de la Communauté de Laghouat, à la belle fête présidée par Monseigneur et d'exprimer à mon père, en mon nom et au nom de notre mère et des s urs, nos félicitations les plus sincères pour l'honneur qui lui est fait par Sa Sainteté.

430 Veuillez aussi présenter à Monseigneur, ainsi qu'à M. le curé de Villeneuvette l'expression de ma plus vive reconnaissance pour avoir bien voulu faire connaître à Notre Saint Père le Pape, la vie toute de dévouement et de charité de celui qui méritait si bien une marque de distinction et d'encouragement.

431 Cher Papa, sache combien je pense à toi et t'embrasse en ce jour. Je suis de loin tous les heureux moments de cette journée. J'ai la conviction que tout sera également réussi et que la joie sera parfaite.

432 Dans 15 jours, nous en aurons tous les détails, mais j'en devine déjà une grande partie. Cher papa, comme je suis heureuse pour toi. Laisse-moi, la première, baiser cette croix que tu mérites si bien de porter. Maman, mes frères, s urs, nièces et neveux sont au comble de la joie. Je partage, avec notre mère et mes compagnes, leur bonheur et nous demandons bien au bon Dieu que la bénédiction du Saint Père nous obtienne à tous un surcroît de grâces.

433 Je vous embrasse bien,

434 S ur Rose de Sainte-Marie

435 Monsieur Maistre,

436 Je n'ajouterai rien aux paroles de votre fille. Vous savez l'affection sincère qu'elle a pour nous tous. Vous savez que là-bas, au pays des sables et des tempêtes, elle offre une partie de ses sueurs et de ses souffrances au bon Dieu pour son père et sa mère bien-aimés, ses frères, s urs, nièces et neveux, et pour cette famille agrandie que sont les ouvriers de Villeneuvette qui, d'ailleurs, gardent d'elle un souvenir si vivace et si affectueux.

437 Je me contenterai de dire que s ur Rose de Sainte-Marie m'a confié une mission qui m'honore grandement, puisqu'elle me donne une place de choix à cette fête, qui restera dans ma mémoire comme un jour heureux de ma vie et qui, en retour, me procure l'occasion de vous adresser mes chaleureuses félicitations, vous qui êtes l'activité qui ne se lasse jamais, toujours en quête d'amélioration et de progrès, jusque dans le Sahara. Vous qui êtes la charité incarnée, mais discrète, l'homme du devoir, le chrétien sans peur, parce que vous êtes sans reproches, vous méritez bien la distinction que le Saint Père vous a accordée.

438 Vivez longtemps, Monsieur Maistre, pour le bonheur des vôtres, de vos nombreux amis, pour la bonne cause de foi et d'esprit de sacrifice, et, pour montrer à ceux qui entrent dans la vie, la route qu'ils doivent suivre.

439 Et puisque j'ai la parole, je tiens à joindre mes remerciements à ceux de la mère supérieure de Laghouat, pour le bien que vous faites à nos  uvres si intéressantes, au point de vue catholique et national. Lorsque vous franchirez le seuil des sacrés Parvis, vous verrez arriver à vous une troupe nombreuse d'élus pour vous acclamer et vous dire qu'ils doivent en grande partie à votre charité le bonheur de jouir de la gloire des cieux.

440 Monsieur Maistre, Ad multos annos !

441 Monseigneur, je suis certain que la bénédiction de Mgr de Cabrières serait un encouragement puissant pour mes religieuses de Laghouat dans la rude tâche qu'est la leur. Je prie très respectueusement Votre Grandeur de vouloir bien la leur accorder. »

442 L'auditoire est ému et les larmes montrent combien est toujours agréable le souvenir de celle que les ouvriers aiment à appeler la « Sainte Fille ». Aussi est-ce avec un respect affectueux que chacune des paroles de la bonne s ur a été écoutée. « Avec les yeux du c ur, nous la voyons, disait quelqu'un. Elle est là, souriante et bonne ». Oui, M. le curé de Laghouat nous a permis d'avoir un instant cette douce illusion.

443 Monseigneur a accordé volontiers sa bénédiction épiscopale à la noble absente et à toute sa communauté. Nous ne doutons pas qu'en la recevant, les chères s urs de Laghouat n'aient prié pour nous.

444 M. le curé de Villeneuvette vient à son tour et prononce les paroles suivantes :

445 Monseigneur,

446 Ne se croirait-on pas en un pays de rêve...

447 Quand la haine et l'envie ont marqué tant de fronts,

448 Quand partout on entend les clameurs de la grève,

449 Voit-on des ouvriers décorer leur patron ?...

450 Il est vrai que ces lieux, témoins de ce spectacle,

451 Sont comme une oasis au milieu d'un désert...

452 Votre auguste présence atteste le miracle

453 Et vous venez bénir cet étonnant concert.

454 Mais avant que d'y mettre une note finale,

455 Permettez que ma voix se joigne à cet accord.

456 Du rang que m'a donné l'échelle sociale,

457 Je dois parler : Le prêtre est ouvrier d'abord.

458 Le prêtre est ouvrier du grand labeur des âmes,

459 Jusqu'à Dieu, de leur vie il doit guider le fil

460 Et doit de leurs vertus tisser les nobles trames,

461 Laver, du sang divin, ce qu'elles ont de vil.

462 Mais, ici, ce labeur a des charmes suprêmes

463 Car ici, toute vie est dans la vérité :

464 Exemples et leçons viennent des patrons même,

465 De travail, de morale et d'Humble Charité.

466 Et la justice règne. Aussi le bonheur brille,

467 Une voix du tombeau sans cesse éclate et dit :

468 « Nos ouvriers et nous c'est la même famille »,

469 La paix, la bonne paix en ces murs resplendit.

470 Cinquante ans, M. Maistre en fut gardien fidèle.

471 Pour moi, depuis huit ans, j'admire son grand c ur.

472 Je le dis avec tous : À ce patron modèle,

473 Le Pape devait bien offrir Sa Croix d'Honneur.

474 De nos chers ouvriers, présentant la demande,

475 Vous avez bien voulu vous donner le souci,

476 Monseigneur, de porter vous-même cette offrande.

477 Au nom de tous, je viens vous dire : Merci !

478 Et vous, mon peuple, vous dont la reconnaissance

479 Vibre, en ce jour, avec un entrain joyeux,

480 Songez et comprenez combien la Providence,

481 En vous plaçant ici, vous a voulu heureux !

482 La Franc-Maçonnerie, en vain gronde à nos portes,

483 Tel que le loup hurlant aux fentes d'un bercail,

484 Restez dans vos remparts ; vos murailles sont fortes

485 Et l'honneur les défend : Noble honneur du Travail !

486 Bénissez, Monseigneur, tout ce troupeau docile

487 Afin que défendu de tant d'illusions,

488 Il sente la douceur du joug de l'Évangile

489 Et qu'il résiste au vent des Révolutions.

490 Il y résistera, car vous en êtes le chêne,

491 Dont la racine tient à Rome, ce vrai roc...

492 Lierre qu'à vos rameaux l'amour sans cesse enchaîne

493 Et peut des ouragans braver sans fin le choc.

494 Bénissez ce Patron, et sa famille entière

495 Et sa fille là-bas par delà les flots bleus

496 Qui pour Villeneuvette est un paratonnerre ;

497 Fleur de pur dévouement, éclose pour les cieux.

498 Et bénissez aussi sa mère humble et vaillante

499 Ange de nos foyers, soutien de son époux,

500 Qui mérite sa part de l'étoile brillante

501 Que le Saint-Père vient de lui donner par vous.

502 Enfin bénissez-moi, pour que dans cette enceinte,

503 Où vous m'avez donné votre sacré pouvoir,

504 Je porte le drapeau de notre Église sainte,

505 Et je sois par le Christ le prêtre du Devoir.

506 M. Jules Maistre aussitôt se lève. L'émotion est visiblement peinte sur son visage. On voit combien il est surpris de tant de choses aimables à son endroit.

507 Monseigneur,

508 Mes chers amis,

509 Je vous remercie de ce que vous avez bien voulu me dire de gracieux et d'aimable.

510 Oui, ici, les ouvriers et les patrons, nous ne formons qu'une seule famille. Dès lors, comment une entente cordiale et complète ne pourrait-elle pas exister.

511 N'est-ce pas cette entente, ce désir de vivre en paix par le travail, qui a permis à la manufacture de Villeneuvette d'avoir une existence de près de 240 ans.

512 Nous sommes trop portés à médire de notre époque. Volontiers nous répétons avec un ancien représentant du Pape à Paris au moment où on l'engageait à se réfugier à Rome : « S'il y a beaucoup de mal en France, il y a aussi beaucoup de bien, dès lors il vaut mieux rester, car si nous partons, le mal augmentera ».

513 Au moment où une mode néfaste porte certains hommes à pousser la folie jusqu'à renier Dieu, il faut, ainsi que l'a dit Notre Saint Père le Pape Léon XIII, restaurer les m urs chrétiennes.

514 Oui, la meilleure et la seule manière d'arriver au bien, c'est de restaurer les m urs chrétiennes. Si la question sociale nous préoccupe, pour la résoudre d'une manière pratique, il faut nous armer de courage, et dire à ceux qui à certaines heures agissent en chrétien, qu'il ne faut pas à d'autres heures se laisser guider par les gens du monde.

515 Il ne faut pas oublier que ceux qui sont dans l'erreur ne reviendront à de meilleurs sentiments que lorsque les hommes sincèrement chrétiens prendront la direction des affaires et du pouvoir.

516 Permettez-moi, Monseigneur, de vous remercier d'avoir bien voulu venir au milieu de nos ouvriers montrer autant par votre parole que par votre exemple, combien il est nécessaire de vivre de Charité. Je suis confus de l'honneur que votre Grandeur est venue me conférer. Je ne saurais, à cette heure, exprimer assez éloquemment ma vive gratitude.

517 Nous espérons vous revoir encore et bientôt au milieu de nous... Il nous sera permis alors de prendre une sorte de revanche.

518 Le bon Monsieur Maistre disait vrai en s'excusant de ne pouvoir dire sa joie et ses sentiments. Il avait été jusqu'à la dernière heure ignorant de la digne récompense que Monseigneur lui apportait au nom du Souverain Pontife. Il ne pouvait s'attendre à une telle explosion de sympathie de la part de sa famille ouvrière. Son émotion et ses larmes ont été pour ses ouvriers le témoignage le plus éloquent de sa gratitude et de son affection toute paternelle en cette circonstance.

519 Monseigneur veut bien donner la note finale. Sa Grandeur salue d'abord affectueusement nos chers petits enfants, qui sont venus « dit-elle, égrainer le chapelet de la reconnaissance ». Elle félicite en termes très élogieux M. Gabriel Pascal et M. Morel d'avoir, l'un et l'autre, rendu si bien la pensée dominante de cette fête. Monseigneur insiste à nouveau auprès des ouvriers sur la nécessité de rester attachés au patron ; à se tenir en garde contre le vent d'insubordination qui souffle avec tant de violence sur les intelligences et les esprits des ouvriers à l'heure actuelle. Il fait un procès en règle du socialisme et invite les ouvriers à savoir apprécier le dévouement tout fait de désintéressement et de foi de M. Jules Maistre.

520 La religion seule peut faire ce miracle de tenir unis dans une même pensée et dans un même sentiment le c ur des patrons et le c ur des ouvriers.

521 Ce miracle s'opère à Villeneuvette. Le prêtre, représentant de Dieu y est l'instrument dont aime à se servir la divine Providence, « aimez votre curé, aimez votre patron et la paix sera avec vous ».

522 Monseigneur exprime en patois ses regrets de ne pouvoir dire facilement en ce dialecte sa pensée à l'adresse de M. Gabriel Navas. Il paraîtrait peut-être ne pas avoir les mêmes sentiments, aussi préfère-t-il continuer en français.

523 Monseigneur s'incline alors devant la croix de la Légion d'honneur portée si dignement par M. Casimir Maistre fils. Il aime « à saluer la patrie et son glorieux drapeau, représentés si fièrement par l'Amour du Devoir et du Sacrifice. Désormais, à Villeneuvette, l'Église et la France compteront des soldats dignes d'Elles ».

524 Sa Grandeur termine en s'écriant :

525 Vive Dieu ! Vive le Christ ! Vive la France !

526 Alors, les applaudissements éclatent, l'enthousiasme est à son comble. « L'Harmonie » fait entendre ses notes joyeuses. Le champagne emplit les verres et les v ux et les souhaits les plus ardents sont émis avec la plus franche et la plus sincère cordialité.

527 Monseigneur se retire avec la famille Maistre, ravi de ce spectacle grandiose, tandis que nos chers convives continuent à exprimer à leur manière leur joie de cette grande fête.

528 Le soir, à 8 heures, toute la paroisse vient rendre grâces à l'auteur de tout bien, en assistant à un salut solennel. M. le curé de Laghouat veut bien nous adresser un dernier mot d'édification et nous donner lui-même la bénédiction de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

529 Dans la prairie, un gentil petit feu d'artifice attend pour clôturer la fête, tandis que sur la place, on lit en lettre de feu le monogramme de M. Jules Maistre. Des bombes, des feux de Bengale, etc., et surtout l'embrasement du portail de Villeneuvette, avec son inscription célèbre : « Honneur au Travail », finissent avec éclat cette journée mémorable.

530 Villeneuvette n'avait jamais vu de pareille fête, disaient les anciens en se retirant.

531 Nous nous permettons de donner, comme conclusion à ce compte rendu bien modeste et bien infidèle de nos belles fêtes, le récit fait par un témoin oculaire dans la Semaine Religieuse :

532 Fête de famille. ­ J'arrive de Villeneuvette, cité industrielle unique en France, oasis enchanteresse où l'on respire, avec l'air embaumé des montagnes, une atmosphère tout imprégnée de charité, de concorde, d'harmonie et disons le mot, puisqu'il est de mode, de « justice sociale », telle que nos modernes sociologues la rêvent.

533 J'ai assisté à une scène inoubliable, bien difficile à décrire, puisqu'elle est d'un autre âge et que nous sommes peu faits pour en comprendre toute la grandeur et en savourer toutes les délices.

534 A cette heure de lutte acharnée entre le capital et le travail, entre le patron et l'ouvrier, j'ai vu ­ phénomène ravissant ­ deux cents ouvriers célébrer avec enthousiasme les noces d'or de M. Jules Maistre, chef d'industrie de la manufacture de Villeneuvette.

535 Dans une adresse signée de leurs mains, ils avaient sollicité du Pape Pie X, la Croix de Chevalier de l'ordre de Saint Grégoire, pour leur bien-aimé Patron, dont les hommes du jour affectent de méconnaître les mérites, parce que ce chef d'industrie est « chrétien avant tout ».

536 Cette supplique, signée de la main des ouvriers, ne pouvait qu'être agréée par le Pape, qui veut avant tout « la restauration de la société dans le Christ et l'union des classes, dans les pratiques évangéliques ».

537 Le dimanche 8 juillet, a été le jour choisi pour la remise de la décoration. Mgr de Cabrières a bien voulu présider cette fête de famille et déposer lui-même sur la poitrine de ce patron modèle, l'insigne que la plus haute autorité du monde venait de lui décerner.

538 Je n'essayerai pas de décrire les cérémonies touchantes et grandioses qui se sont déroulées devant nous, le spectacle, si rare de nos jours, d'une famille patriarcale qui compte près de « trente membres », mêlée, sans se confondre, à la grande famille ouvrière et fraternisant dans des agapes qui rappelaient celles des premiers chrétiens.

539 Un compte rendu détaillé nous donnera, je l'espère, le texte du discours prononcé par sa Grandeur et celui du chapelain de Villeneuvette qui est un hymne à la Fraternité chrétienne, telle qu'elle est pratiquée dans la cité ouvrière dont il est l'heureux pasteur ­ le toast si distingué de M. le Directeur ­ le charmant dialogue de tous les enfants ­ et la réponse magistrale de Monsieur Jules Maistre à toutes les adresses de l'assemblée.

540 Qu'il me suffise d'achever cette esquisse par une réflexion : La question sociale, aujourd'hui agitée dans le monde par les révolutionnaires et par les sociologues chrétiens, est résolue, depuis longtemps, dans la cité ouvrière de Villeneuvette.

541 Monsieur Jules Maistre appartient depuis 50 ans à l'école de M. Le Play, dont on vient d'ériger la statue sur une place de la Capitale.

542 « La question sociale ne peut être solutionnée que par la pratique du Décalogue et des maximes évangéliques. »

543 A l'heure où nous livrons notre compte rendu à l'impression, nous recevons de Sa Sainteté Pie X, par l'intermédiaire de son secrétaire le cardinal Mgr Merry del Val, ses vifs remerciements pour l'aumône que les ouvriers de Villeneuvette lui ont offerte en reconnaissance de la bonté avec laquelle Sa Sainteté avait daigné accéder à leur demande en faveur de M. Jules Maistre.

544 Sa Sainteté bénit de tout c ur les ouvriers et leur chapelain.

545 Vatican, 6 octobre 1906

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